Les ANGES du SEIGNEUR
Sainte Françoise Romaine nous apprend, dans ses visions, que le 20 janvier 1432 la Divinité lui fut montrée tout d'abord, avant qu'aucune créature n'existât : « elle vit donc sur un vide aériforme un cercle immense et tout splendide qui se soutenait par soi-même et qui avait dans son centre une blanchissime Colombe ». En continuant de regarder, elle aperçut, au premier moment de la création, « les Anges floconner comme la neige et se diviser en choeurs ». Sainte Mechtilde se sert, dans ses Révélations, d'une autre image et compare les hiérarchies célestes à un psalterion à dix cordes « du corps divin sortit un instrument mélodieux c'était un psaltérion à dix cordes. Neuf de ces cordes représentaient les neuf choeurs des Anges parmi lesquels est rangé le peuple des saints. La dixième corde représentait le Seigneur lui-même, Roi des Anges et sanctificateur des Saints. » (2 èmepartie, ch. XXXV). Le nombre des Anges nous est, évidemment incalculable. Le livre de Daniel (7-10) nous décrit leur multitude comme « un fleuve de feu coulant et sortant de devant l'Éternel. Mille milliers le servaient et dix mille millions se tenaient en sa présence ». Le Psaume 67, dit que « le char de Dieu, ce sont des milliers et des milliers d'Anges : le Seigneur est au milieu d'eux ». Citons enfin ce passage de l'Apocalypse (V, 11) : « je vis et j'entendis autour du Trône, autour des animaux et des Vieillards, la voix d'une multitude d'Anges, et leur nombre était des myriades de myriades et des milliers de milliers ». N'est-ce pas déclarer que leur nombre est vraiment incommensurable ? Notons cependant que des rabbins cabalistes, tel Isaac Loriah, l'ont évalué à soixante myriades (1). Les Anges ne forment évidemment pas une foule indistincte et confuse : une hiérarchie, dont l'ordre a été éternellement fixé par Dieu, les répartit en choeurs subordonnés les uns aux autres. L'Ancien Testament fait mention à plusieurs reprises des Séraphins et des Chérubins (Isaïe, 6, 1-4 et 6-7 ; Isaïe, 37, 16 ; Ezéchiel, 1, 7 et suiv. ; Psaumes 17, 1l ; 79, 2 ; 98, 1). A toutes les pages de la Bible il est parlé des Anges et des Archanges. Saint Paul, dans ses Epitres, mentionne à son tour les Principautés, les Puissances, les Vertus, les Dominations (Ephès. 1, 21), et, ailleurs, les Trônes, les Dominations, les Principautés, les Puissances (Coloss. 1, 16). Il dit à Coloss 11, 10 que le Christ est « le chef de toute Principauté et de toute Puissance » ; à Rom. VIII, 38, il fait allusion aux Anges, aux Principautés et aux Puissances. Enfin la première Épître de Pierre déclare qu'au Christ sont soumis les Anges, les Principautés et les Puissances (111, 22). Au total neuf choeurs angéliques que la tradition énumère dans l'ordre suivant : Séraphins, Chérubins, Trônes, Dominations, Vertus, Puissances, Principautés, Archanges, Anges et qu'elle divise en trois séries hiérarchiquement subordonnées. Qu'est-ce maintenant que ces Etres singuliers et merveilleux, qui n'apparaissent jamais à l'homme que revêtus de robes éclatantes de blancheur et tout resplendissants de la lumière de l'Eternel ? Le Psaume 103 enseigne que Dieu a fait « des Esprits ses Anges, des flammes de feu ses serviteurs ». D'autre part le pseudo-Denys rappelle qu'« ils sont spécialement et par excellence honorés du nom d'Anges, parce que la splendeur divine leur est départie tout d'abord et que la révélation des secrets surnaturels est faite à l'homme par leur intermédiaire » (2). Le Nouveau Testament n'est pas moins fertile en renseignements sur le rôle missionnaire des Anges. C'est un Ange dit Seigneur qui apparaît en songe à Joseph pour lui révéler la conception miraculeuse de Jésus (Matth. I, 20) ; c'est encore un Ange du Seigneur qui apparaît à Joseph pendant son sommeil pour l'inviter à fuir en Égypte la colère d'Hérode (Matth. II, 13) ; c'est enfin un Ange du Seigneur qui prescrit à Joseph de quitter la terre d'exil et de rentrer à Nazareth (Matth. II, 9). Des Anges nourrissent Jésus après son jeûne dans. le désert de la quarantaine ; ce sont eux qui annoncent aux deux Maries, le matin de Pâques, la résurrection du Sauveur (Matth. IV, II et XXVIII). L'Évangile de Matthieu décrit enfin avec quelques détails les fonctions que rempliront les Anges à la fin des Temps pour le jugement dernier : l'Apocalypse développera avec l'ampleur que l'on sait le rôle eschatologique des Anges dans les événements grandioses qui prépareront la parousie ; mais elle nous. donnera aussi de la Jérusalem céleste cette magnifique vision où le Trône de Dieu apparaît entouré de myriades d'anges comme d'un arc en ciel de la couleur de l'émeraude.....« et sept lampes ardentes brûlent devant le trône, ce sont les Esprits de Dieu » (IV, 3 et suiv.). De ces sept Esprits, trois nous sont plus particulièrement connus, car l'Écriture nous entretient à plusieurs reprises de leur personnalité : Ce sont Saint Michel, Saint Gabriel et Saint Raphaël, dont le nom, d'après l'hébreu, signifie : « qui est semblable à Dieu » - « la force de Dieu » - « le remède de Dieu ». Il est question, dans le livre de Daniel, de Saint Michel comme du Prince des milices célestes : « en ce temps-là se lèvera Micaël, le grand chef, le défenseur des enfants de ton peuple, et ce sera une époque de détresse... » (12, 1) ; et ailleurs : « le chef du royaume des Perses m'a résisté vingt-et-un jours ; mais voici, Micaël, l'un des principaux chefs, est venu à mon secours ».(10, 13). Nous lisons dans le livre de Josué (5, 13-14) : « Comme Josué était près de Jéricho, il leva les yeux et regarda : voici, un homme se tenait debout devant lui, son épée nue dans la main. Il alla vers lui et lui dit es-tu des. nôtres ou de nos ennemis ? Il répondit non, mais je suis le chef de l'armée de l'Éternel ». Une tradition très ancienne veut que l'Ange qui consola le Christ en agonie au jardin des Olives (Luc., XXII, 43) fût Saint Michel. L'Apocalypse décrit le combat que l'Archange livra, dans le ciel, avec ses Anges, contre le Dragon et les Anges rebelles : « et le Dragon et ses Anges combattirent, mais ils ne purent vaincre et leur place même ne fut plus trouvée dans. le ciel. » (XII, 7, 9). Signalons enfin ce curieux passage de l'Épître de Jude : « l'Archange Michel lui-même, lorsqu'il contestait avec le diable et lui disputait le corps de Moïse, n'osa pas porter contre lui une sentence d'exécration, mais il se contenta de dire : que le Seigneur te punisse » - allusion à une vieille légende juive se rattachant au Deutéronome (34, 5-6) : « Moïse, le serviteur de Yaweh, mourut là dans le pays de Moab, selon l'ordre de Yaweh. Et il l'enterra dans la vallée du pays de Moab, en face de Beth-Phogor. Aucun homme n'a connu son sépulcre jusqu'à ce jour ». Il est déjà question de saint Gabriel dans le livre de Daniel (8, 15-16 et 9, 21) : c'est lui qui est chargé d'expliquer au prophète le sens de sa vision. Mais son rôle dans l'Évangile de Luc est plus important. Voici d'abord l'annonce à Zacharie que sa femme, la stérile, va concevoir : « Un ange du Seigneur lui apparut debout à droite de l'autel de l'encens... je suis Gabriel, qui nie tiens devant Dieu, j'ai été envoyé pour te parler et t'annoncer l'heureuse nouvelle » (1. 11 et 19). Voici surtout l'annonce à Marie : « l'Ange Gabriel fut envoyé de Dieu dans une ville de Galilée appelée Nazareth auprès d'une Vierge ... » (1. 26). Saint Raphaël remplit de sa personne et de ses actes le livre de Tobie : « le Saint-Ange du Seigneur, Raphaël, fut envoyé pour guérir Tobie et Sara dont les prières avaient été prononcées en même temps en présence du Seigneur » (3, 25). C'est lui qui guide le jeune Tobie dans son voyage pour aller chercher l'argent jadis confié à Gabelius ; et, lorsque sa mission est achevée, il révèle son identité : « je suis l'Ange Raphaël, un des sept qui nous tenons en présence du Seigneur ». En entendant ces paroles, ils furent hors d'eux-mêmes et tout tremblants, ils tombèrent la face contre terre. Et l'Ange leur dit : que la paix soit avec vous. Ne craignez point, car, lorsque j'étais avec vous, j'y étais par la volonté de Dieu, bénissez-le donc et chantez ses louanges. Il vous a paru que je mangeais et buvais avec vous mais je me nourrissais d'un aliment invisible et d'une boisson que l'oeil de l'homme ne peut atteindre. Il est donc temps que je retourne vers Celui qui m'a envoyé ; mais vous, bénissez Dieu et publiez toutes ses merveilles. Après avoir ainsi parlé, il fut dérobé à leurs regards et ils ne purent le voir. » (12, 15 et suiv.). * Quelle que soit la splendeur propre à chacun de ces Êtres invisibles que nous appelons les Anges, il ne faudrait pas croire que, tous, ils participent, au même titre et dans la même mesure, à la lumière de gloire qui environne le trône du Tout-Puissant : par cela seul qu'ils forment une hiérarchie, s'il est vrai de dire avec le pseudo-Denys que les dons de la purification, de l'illumination et de la perfection leur sont communs, il ne s'ensuit pas qu'ils les possèdent tous également au même degré. L'ordre hiérarchique exige en effet « que les uns soient purifiés et que les autres purifient, que les uns soient illuminés et que les autres illuminent, que les uns soient perfectionnés et que les autres perfectionnent, de façon que chacun ait son mode propre d'imiter Dieu... qui est la pureté, la lumière, et la perfection. absolues » (3). Si donc tous les Anges reçoivent la lumière de Dieu, les uns la reçoivent immédiatement et en premier lieu ; les autres immédiatement et à un degré inférieur. Et comme, dans toute institution hiérarchique, ce sont les ordres supérieurs qui possèdent les dons et les facultés des ordres inférieurs, sans que ceux-ci puissent réciproquement prétendre à la perfection de ceux-là, il faut conclure que dans la hiérarchie céleste « les ordres inférieurs des pures intelligences sont instruits des choses divines par les ordres supérieurs, et les esprits du premier rang à leur tour reçoivent directement de Dieu la communication de la science. » (4). De là viennent les dénominations spéciales attribuée à chaque choeur angélique. Régi par le suprème Initiateur lui-même, le premier ordre est un embrasement de lumière brûlante (Séraphins), une plénitude de science qui déborde en fleuves de sagesse (Chérubins), une immutabilité à jamais fixée dans le centre divin (Trônes). Le second ordre, purifié, illuminé, perfectionné par les splendeurs qui émanent du premier ordre, possède cette sublime spiritualité qui demeure affranchie de toute entrave (Dominations), cette force invincible dont aucun obstacle ne peut suspendre l'élan (Vertus), cette autorité calme qui accomplit son oeuvre dans la stabilité d'une paix assurée (Puissances). Le troisième ordre, s'il reçoit avec moins de clarté les dons d'en haut, n'en manifeste pas moins à son rang les attributs de la majesté infinie : au troisième ordre est échu le secret divin de commander à soi-même et aux autres dans le parfait équilibre d'une justice indéfectible (Principautés) ; il reçoit aussi les lumières spéciales qui lui sont nécessaires pour exercer les missions dont il est investi (Archanges) ; enfin il sert d'intermédiaire immédiat et habituel entre le Créateur et ses créatures raisonnables (Anges). Quel que soit le rang qu'ils occupent dans la hiérarchie céleste, les Anges, sont qualifiés par les théologiens d'intelligences séparées, d'esprits purs, et par cette expression il faut entendre que les Anges sont, par nature, des êtres incorporels, c'est-à-dire libres de toute matière et par conséquent immatériels. Et ceci n'exclut pas seulement le corps de matière grossière, mais aussi le corps de matière subtile. Sans doute, l'opinion des théologiens a varié sur ce point au cours des âges : certains Pères de l'Eglise prêtaient aux Anges des « corps spirituels » ; Saint Bonaventure enseignait qu'ils ont une matière à eux, spéciale et d'un ordre plus relevé que la matière corporelle. Mais, s'il est vrai que la vie de l'esprit consiste pour nous autres hommes, ici-bas, à aimer Dieu beaucoup plus qu'à le connaître, la vie éternelle, dit saint Jean, est proprement et essentiellement de connaître Dieu. (Jean, XVII, 3). Or, dans le processus de cette connaissance, l'opération de la substance intellectuelle demeure évidemment étrangère à toute matière ; donc, à fortiori, la substance intellectuelle doit-elle être, en elle-même et par elle-même, indépendante de toute matière : elle est forme pure. Toutefois, si les esprits angéliques n'ont pas de corps qui leur soit naturellement uni, ils peuvent, selon la volonté ou la permission divine, s'en former un à leur gré par un procédé dont la disposition nous échappe nécessairement (5). Ajoutons que, par cela même qu'il n'est pas uni à un corps, l'Ange ne possède pas d'autre connaissance que la connaissance intellectuelle, connaissance qui a d'ailleurs son objet toujours en acte, parce que les idées représentatives des choses lui sont innées, « connaturelles » selon le terme thomiste, au même titre que sa propre essence : c'est donc une connaissance directe, immédiate, intuitive. Mais, si l'Ange a reçu de Dieu, dès le premier moment de sa création, la connaissance de toutes choses par les Idées que Dieu a déposées en lui et qui font ainsi partie de sa propre nature, c'est seulement après l'épreuve, à laquelle un grand nombre succomba, que Dieu donna à l'Ange, outre cette connaissance naturelle de toutes choses par les Intelligibles, la connaissance surnaturelle de la nature divine elle-même, en laquelle consiste la vision béatifique et qui comprend : a) la connaissance de Dieu face à face, c'est-à-dire dans son essence, par une union immédiate et sans fin ; b) la connaissance des oeuvres de Dieu en Dieu lui-même et non plus seulement dans les idées représentatives des choses. Par cette union avec Dieu, l'Ange, confirmé dans la grâce surnaturelle, participe désormais à la vie divine elle-même, de sorte que c'est Dieu même qui devient en lui la vie de son esprit. Du fait qu'ils sont incorporels, les Anges ne peuvent être localisés suivant la quantité dimensive ; mais on peut admettre qu'ils occupent un lieu de la création en ce sens qu'ils appartiennent au Ciel de gloire. « L'Ange, dit très bien saint Thomas dans son Commentaire sur les sentences, étant une substance intellectuelle, a pour opération propre la contemplation. Il s'ensuit que tous les Anges ont été créés dans le lieu le plus en harmonie avec cet acte de la contemplation. D'autre part, la vie de la gloire ne diffère de la vie de nature pour eux que selon une différence de degré, comme le parfait diffère de l'imparfait. Ce sera donc le même lieu qui conviendra aux Anges, soit qu'on les considère au moment de leur création, soit qu'on les considère dans leur état de gloire ». Mais, si les Anges n'ont pas été créés dans l'état de gloire, puisque, tous, ils ont eu besoin de la grâce pour se tourner vers Dieu comme objet de leur béatitude par la vision de son essence, si même l'on estimait qu'ils n'ont pas été créés dans l'état de grâce sanctifiante, mais dans l'état de. nature pure, et qu'ils ont dû mériter comme une récompense cette béatitude qui demeure dans tous les cas une fin improportionnée à leur nature propre, néanmoins le fait qu'ils ont tous été créés dès le principe dans un lieu qui n'est pas différent de celui où ils sont maintenant à jamais fixés dans leur état de gloire, implique évidemment que la nature angélique n'a pas seulement été créée bienheureuse, mais qu'elle a été faite par Dieu pour la grâce et la béatitude, les divers degrés de cette nature étant d'ailleurs préordonnés par la Sagesse divine aux divers degrés de la grâce et de la gloire. Et la question se pose de savoir comment parmi les Anges un certain nombre a pu déchoir de ce haut état de nature ou de grâce. Si les Anges ont pu pécher, c'est qu'ils étaient des créatures, car c'est seulement par un don de la grâce et non en vertu de la nature qu'on ne peut pas pécher. Or le péché de la créature consiste principalement à désirer comme fin dernière de sa béatitude ce à quoi elle peut atteindre par la seule vertu de sa nature propre et, par conséquent, à refuser le don de cette fin surnaturelle qui est la vision béatifique, ou tout au moins à nier la nécessité de la grâce divine pour obtenir la vision béatifique. Et ce refus ou cette négation sont la marque distinctive de l'orgueil. L'essence du péché réside dans l'orgueil de la créature qui, pleine de sa propre suffisance, veut se soustraire à toute dépendance à l'égard de Dieu, et, pour se soustraire à cette dépendance, veut fixer son bien suprême dans l'ordre de la nature, alors que Dieu l'a fixé dans l'ordre surnaturel de la grâce. Créés bons dans leur nature, des Anges ont péché, parce que, suivant un acte de leur libre choix, ils n'ont pas voulu suivre le mouvement de la grâce qui les emportait vers Dieu et, détournant sur eux-mêmes leur propre désir, se sont arrogé une excellence qui ne leur appartenait pas. Et ce péché des Anges était possible, même dans le Ciel où ils avaient été placés dès l'origine, parce que, si la volonté de l'Ange était nécessairement fixée dans l'amour de Dieu considéré comme principe de l'ordre naturel, il fallait, pour que cette volonté fût également fixée dans l'amour de Dieu considéré comme principe et fin de l'ordre surnaturel, la confirmation gratuite dans le bien par la vision face à face ; et cette confirmation, l'Ange devait la mériter en correspondant humblement à la grâce qu'il avait reçue de Dieu dès le premier instant de son être.
(1) cf. aussi la Didascabie des douze apôtres, trad. Nau., 1). 170. |