« Nous connaissons qu'Il demeure en nous par l'Esprit qu'Il nous a donné ». Il est un point de doctrine qu'ignorent la plupart de ceux-là mêmes qui appartiennent à l'Église : c'est à savoir que les dons du Saint-Esprit sont nécessaires au salut. Certes, les trois vertus théologales de la foi, de l'espérance et de la charité suffisent à nous unir à Dieu ; mais cette union demeure imparfaite et toujours précaire, tant qu'elle n'a pour règle et pour soutien que les seules forces naturelles de notre raison et de notre volonté. « Ceux qui sont agis par l'Esprit de Dieu, voilà, dit saint Paul, les fils de Dieu ». (Rom., VIII, 14). Ce sont, en effet, les dons du Saint-Esprit qui seuls, proprement, nous ordonnent à la vie éternelle, parce que, en nous rendant dociles à la motion de l'Esprit, ils accordent tous nos actes à des opérations surnaturelles qui spiritualisent notre vie intérieure au-dessus de toute mesure humaine, nous connaturalisent en quelque sorte aux choses divines et, finalement, élèvent toutes nos puissances à un mode d'expérience qui ressortit à l'inspiration et nous fait participer à la nature divine elle-même. Il importe donc à tout chrétien de savoir ce que c'est que les dons du Saint-Esprit. « L'Esprit du Seigneur reposera sur lui, esprit de sagesse et d'intelligence, esprit de conseil et de force, esprit de science et de piété, et l'esprit de crainte de Dieu le remplira. » Ce texte d'Isaïe (XI) est le fondement scripturaire de toute la doctrine des dons; il établit que les dons sont des esprits, c'est-à-dire qu'ils constituent dans l'âme juste un état spirituel et que cet état, qui est un en son essence, peut prendre sept formes différentes : spiritus septiformis. Et cet Esprit septiforme, saint François de Sales le compare justement à « une belle fleur de lys qui a six feuilles plus blanches que la neige et, au milieu, les beaux martelets d'or de la sapience », (1) ce qui donne le schéma suivant où nous retrouvons le septénaire sacré qu'invoquent les hymnes de la Pentecôte (2) : Des sept dons ou esprits, trois ont leur siège dans la volonté , ce sont les dons de crainte, de piété et de force ; trois ont leur siège dans l'intellect : ce sont les dons de conseil, de science et d'intelligence. Le septième, qui est le don de sagesse, est au-delà de l'intellect comme de la volonté : il réside au centre même de l'âme, en ce centre simple et indivisible où l'être humain, surnaturalisé par la grâce, prend possession du Dieu intérieur, présent en lui, par une sorte d'expérience intime et immédiate où s'accomplit cette union dans la contemplation qui est le terme et l'achèvement de toute vie spirituelle.
* S'il est vrai que « la crainte du Seigneur est le commencement de la sagesse » (Psaume 110, 10), cette crainte, pour posséder une valeur spirituelle, ne doit pas être la crainte servile qui n'évite la faute que pour échapper au châtiment, mais la crainte filiale qui a horreur du péché et fuit la tentation, parce qu'elle ne veut pas déplaire au Dieu qu'elle aime et être ainsi séparée de Lui. Une te!le crainte, qui révère un Père juste, mais bon, et se garde bien de ne rien faire qui puisse l'affliger, est fondée sur la charité et grandit avec la charité ; elle procède de l'amour c'est parce qu'elle se réjouit en Celui qui est toute Sainteté et toute Perfection qu'elle écarte de sa route tout ce qui est susceptible de ternir la beauté d'une âme juste. Ainsi elle perfectionne la vertu cardinale de tempérance, non seulement parce qu'elle met un frein aux désirs de l'appétit concupiscible, mais parce qu'elle détourne cet appétit lui-même de tous les biens créés pour le porter sur l'unique et souverain Bien en qui sont contenues toute délectation et toute joie. Et c'est pourquoi, aussi, elle a pour effet la troisième des béatitudes énumérées par le Sermon sur la montagne, la béatitude des larmes : en refrénant la concupiscence de la chair et l'orgueil de l'esprit, elle vide l'âme de toute superbe, lui donne en face du Seigneur, Seul grand et seul Saint, le juste sentiment de son humilité et, par cet acte d'abaissement spirituel, lui fait comprendre combien profonde est sa misère dans cette vallée de larmes où ses jours s'écoulent dans l'attente de la vie éternelle. « Bienheureux ceux qui pleurent, parce qu'ils seront consolés. » (Matth. V, 5). L'âme qui a reçu le don de crainte, tel que nous venons de le définir, ne peut manquer, d'offrir à son Dieu le culte auquel il a droit. Déjà la vertu infuse de religion prescrit un culte à Dieu, mais en raison des bienfaits que nous recevons de Lui et qui font de nous ses débiteurs. Le don de piété veut que honneur et gloire soient rendus à Dieu, simplement parce qu'il est Dieu et qu'à ce seul titre il est digne de tout honneur et de toute gloire. La notion d'une dette humaine à acquitter est ici exclue. L'âme qui s'est vidée, par le don de crainte, de tout le créé a dépassé toute mesure terrestre et elle ne se soucie plus des biens qu'elle peut encore recevoir de son Créateur : c'est à ce Créateur lui-même qu'elle veut désormais se donner et s'unir et le culte qu'elle lui rend alors est le culte désintéressé d'un total abandon. Que lui importe la bonne ou la mauvaise fortune où Dieu l'a placée, ses bienfaits ou ses châtiments ! Tout son désir est d'adhérer à son Seigneur à cause de sa seule magnificence et parce qu'il est le Seigneur. Dieu se suffit à lui-même et notre piété envers Lui doit, sous le souffle de l'Esprit, se suffire pareillement à elle-même. « Nous te rendons grâces, Seigneur, Dieu tout puissant, qui es et qui étais et qui viendras, parce que tu es revêtu de ta grande puissance et que tu règnes » (Apoc. XI, 17). Mais l'âme qui aime Dieu et l'adore comme son Seigneur pourrait-elle ne pas aimer en même temps tout ce qui est de Dieu et lui appartient sous quelque mode que ce soit ? Le don de piété, parce qu'il implique un sentiment d'affection filiale envers Dieu, doit étendre sa charité à tous les enfants de Dieu, à tous ceux qui ont été rendus participants de la nature divine par « cet esprit d'adoption filiale en lequel nous crions Abba, Père » (Rom. VIII, 15) ; et, comme toutes les créatures spirituelles sont enfants de Dieu ou peuvent le devenir, il n'est pas d'être humain qui échappe à sa sollicitude. En ce sens, il est évident que le don de piété perfectionne la vertu cardinale de justice, puisqu'il introduit le culte du respect et de l'amour mutuel entre tous les membres de la famille de Dieu, frères en l'esprit et en la grâce ; et à ceux qui ont reçu ce don on peut appliquer les paroles de la seconde béatitude : « Bienheureux ceux qui sont doux, car, ils posséderont la terre » (Matth., V. 4). L'âme qui, sous la motion du don de piété, a ainsi remis tous ses désirs et toute sa volonté entre les mains du Dieu de puissance et de majesté qu'elle révère d'un culte intérieur et filial, qu'a-t-elle désormais à redouter des périls ou des difficultés qui peuvent se dresser sur le chemin de sa vie spirituelle ? Appuyée pour ainsi dire sur la droite de son Créateur, elle est revêtue d'une force qui dépasse la mesure de toutes les forces humaines en elle se manifeste quelque chose de la vertu divine elle-même, de sorte qu'elle est prête à affronter ou à supporter tous les maux qui la menacent ou qui l'assaillent et que, pour rester fidèle à son espérance et à sa foi, elle ne craint même pas la mort. Cette fermeté d'âme inébranlable à tous les coups de la fortune constitue le don de force : elle diffère de la vertu cardinale du même nom en ce qu'elle prend son appui, non pas sur l'efficace, toujours précaire, de la volonté humaine, mais sur la puissance du souverain Maître de l'Univers ; mais elle perfectionne cette vertu infuse, en lui apportant le secours surnaturel de la force divine et en l'imprégnant d'une énergie intime, d'une assurance si pleine d'elle-même qu'avec l'aide de Dieu aucune épreuve ne peut l'abattre ou la faire fléchir. « je peux tout, dit saint Paul, en Celui qui me fortifie » (Philip. IV, 13). C'est pourquoi ceux qui ont reçu le don de force ne reculent devant aucune oeuvre, si difficile ou si héroïque qu'elle soit, pourvu que la gloire de Dieu la commande ou qu'elle soit ordonnée à la fin éternelle de l'âme. Ceux-là ont vraiment faim et soif de la justice et bienheureux sont-ils, « car ils seront rassasiés » (Matth., V. 6).
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Spiritualisée jusque dans les fibres les plus secrètes de sa volonté par les dons de crainte, de piété et de force, l'âme juste va subir dans son intellect une action de même ordre, par les dons de conseil, de science et d'intelligence. La raison pratique a, dans le don de conseil, son guide spirituel ; la raison spéculative a les siens dans le don de science et dans le don d'intelligence. Toute connaissance est un jugement qui se fait par les causes ; lorsque ce jugement a lieu par les causes inférieures et prochaines et qu'il porte sur les choses humaines et temporelles, on a la science. Mais, tandis que la science qui procède de sources naturelles ne donne l'expérience des choses créées que, dans l'ordre même où elles sont insérées par la loi de l'enchaînement des causes, la science qui est régie par la motion du Saint-Esprit dépasse ce cadre purement humain de la connaissance et, haussant sa perspective jusqu'au niveau même du Créateur, mesure tout l'Univers à l'archétype du Bien suprême et raccorde ainsi toute la Nature au plan surnaturel du Divin. Dans cette voie, l'intelligence n'est pas élevée à la vérité par une lumière qui lui soit donnée du dehors ; elle prend contact avec le réel par une sorte d'expérience intérieure qui la connaturalise à l'objet de son jugement et lui fait, pour ainsi dire, goûter en Dieu et par Dieu le sens et la valeur de toutes choses créées. Mais c'est parce que l'âme juste est déjà unie à son Dieu et a éprouvé combien le Seigneur est doux, que, avec les suavités de cet amour, elle reçoit en même temps l'expérience surnaturelle des choses humaines et temporelles. Par cette expérience ou ce goût des créatures elle perçoit à la fois, selon la rectitude d'un jugement sûr, et leur misère et leur grandeur. Aussi se garde-t-elle de les chérir ou de les craindre au point d'oublier son Dieu et de se séparer de Lui , mais elle ne cesse pas, pour ce motif, de les comprendre dans le mouvement de sa charité qui de Dieu ne peut manquer de s'étendre à toutes les créatures à cause même de Dieu. Ainsi par le don de science l'intelligence ordonne toutes les choses temporelles et créées à leur Créateur ; et elle les juge en fonction des propriétés ou des vertus qui les rapprochent ou les éloignent de Celui par qui tout a été fait. Sans doute, l'attitude de l'âme juste qui juge ainsi toutes choses sous l'inspiration du don de science sera-t-elle souvent mal comprise et peut-être même condamnée par ceux-là qui se sont laissés prendre aux attraits de ce monde ; mais n'est-il pas écrit que « bienheureux sont ceux qui souffrent persécution pour la justice, car le royaume des Cieux est à eux ? » (Matth., V. 10). La plupart des théologiens rapprochent le don de science de la vertu théologale d'espérance. Celui, en effet, qui a mesuré à leur exacte valeur les choses d'ici-bas, parce qu'il les considère sous l'aspect de l'éternité, ne peut plus placer en elles son espérance : il la tourne tout entière vers Dieu, qui ne saurait tromper son attente. C'est à la vertu théologale de foi que se rattache le don d'intelligence.
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Avec la théologie des dons, nous avons fait le tour de l'âme humaine et nous avons vu cette âme, déjà sanctifiée par la grâce, recevoir dans chacune de ses puissances, volonté et intellect, sous la motion du Saint-Esprit, une régulation, une direction qui accorde efficacement tous ses actes à des opérations surnaturelles dont le terme normal ne peut être que cette union à Dieu dans la contemplation où. se parfait et se consomme toute la vie intérieure. du chrétien. C'est à l'oeuvre de cette consommation finale qui, en vérité, est le commencement de la gloire, que s'emploie le don de sagesse. Il ne s'agit plus ici, simplement, d'accommoder les impulsions de l'appétit ou les désirs de la volonté aux nécessités de l'esprit, ni même d'ordonner le jugement de la raison pratique ou de la raison spéculative aux réalités surnaturelles. L'action du septième don est plus profonde : elle pénètre, au-delà des puissances de l'âme, à la source même de ces puissances, dans le foyer de lumière et d'amour d'où jaillit toute la vie spirituelle, dans le centre indivisible où réside le Dieu intérieur et toujours présent avec la grâce (5). Et c'est pourquoi ce don consiste proprement dans une expérience affective et immédiate de la réalité divine ; il saisit le divin par connaturalité et union à la Cause suprême. Il ne peut plus être question, dans ce cas, de jugement, de réflexion, de connaissance analytique et discursive : l'âme qui a reçu le don de sagesse perçoit directement, intuitivement, comme par une sorte de toucher intérieur qui ne peut la tromper, la réalité divine elle-même, non sans doute déjà telle qu'elle est en soi, dans son essence pure et absolue, mais sous un mode que les théologiens qualifient de mystique, parce qu'il est fondé sur l'union intime de cette âme avec la réalité divine. Qu'est-ce à dire sinon que le don de sagesse est, avant tout, le don de la contemplation ? Expérience profonde et savoureuse de Dieu, qui laisse dans l'âme un sentiment ineffable de paix, de sécurité, de joie ; ivresse du coeur qui a goûté au vin capiteux de l'union divine ; appréhension immédiate du Créateur qui se livre à sa créature par son Esprit et sa Volonté ; toucher amoureux où l'Époux donne à l'Épouse un baiser de sa bouche ; contemplation déiforme dont ne peut parler que celui qui l'a éprouvée, et qui de clarté en clarté le conduit jusqu'au seuil de la vision béatifique. N'est-ce pas ici le triomphe de l'Amour divin dont toutes les délices sont d'habiter dans le coeur des hommes ? Parce que Dieu lui-même s'offre à notre âme dans le don de sagesse, nous l'atteignons dans sa propre donation et en vertu de cette donation . il vient à nous pacifiquement, pour que notre coeur s'unisse au sien (6). En ce sens il faut admettre que le don de sagesse se rattache plus particulièrement à la vertu théologale de charité, non pas qu'il perfectionne cette vertu, comme le faisait le don d'intelligence à l'égard de la vertu de foi ; car, dit saint Thomas, « la foi a besoin de dons qui la perfectionnent, vu la misère de notre intelligence qui n'arrive à percevoir les réalités spirituelles qu'en partant des choses sensibles ; mais la volonté n'a pas, en vertu de sa nature, pareille imperfection ; c'est pourquoi à la charité ne correspond pas de don qui agisse d'une manière plus parfaite (7).
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Résumons en un tableau la correspondance des vertus, des dons et des béatitudes :
Et, pour terminer, récitons ensemble cette belle prière que nous empruntons à l'École mystique dominicaine du XIVè siècle : « Viens, Seigneur, viens avec les sept dons de ton Esprit ! « Toi, qui as lavé les pieds de tes disciples en te proclamant le serviteur de tous, donne-moi ta crainte filiale qui me fasse humblement obéissant comme « Toi, qui pleuras sur Jérusalem et sur Lazare, toi qui nourris cinq mille hommes avec cinq pains, donne-moi le don de piété et son rayonnement, la compassion !. « Toi dont chacune des actions répondait à la lumière immense, donne-moi la science pour m'acheminer vers la perfection que j'ignore encore ! « Toi qui, toujours au centre du feu de l'amour et du désir, te penches sans cesse vers les hommes misérables, pour les soulever jusqu'au ciel, donne-moi ta force : que je m'élève au-dessus de toute créature ! « Jésus, si miséricordieux, souviens-toi des ténèbres de ton agonie et donne-moi le conseil de l'Esprit invisible, lorsque les consolations sensibles de ta grâce, ne se feront plus sentir ! « O Christ Soleil, fais-moi jouir de tes rayons, plonge-moi dans l'abîme ineffable, dans l'unité essentielle et que, par le don d'intelligence, mon activité s'unisse toujours à la contemplation dans l'équilibre parfait ! « O Sagesse éternelle, en qui tout se résume et dont tout découle, donne-toi toi-même et pénètre-moi jusqu'au fond ! Don par excellence, insaisissable amour, vie en qui tout vit, sécurité, essence de joie, viens ... »
Gabriel HUAN.
(1) Traité de l'amour de Dieu, liv. XI, ch. XV. (2) « Tu septiformis munere »... « da tuis fidelibus in te confidentibus sacrum septenarium. » (3) « Dans sa prière il se confiera à Dieu et Dieu dirigera son conseil et sa conduite, et Il le conseillera dans ses secrets ». (Ecclésiastique XXXIX). (4) Summa Théol., IIa, IIae, qu. 8, art. 2. (5) « Si quelqu'un m'aime, il gardera ma Parole ; et mon Père l'aimera, et nous viendrons à lui et nous ferons chez lui notre demeure. » (Jean, XIV, 23). (6) cf, Paralip. XII : Si vous êtes venus pacifiquement vers moi, que mon coeur s'unisse au vôtre », (7) III. Sent., dist. 34, qu. I, a. I, ad 5 ; a. 2, ad t . (8) Il y a une huitième béatitude, la première énumérée dans le sermon sur la montagne: la pauvreté spirituelle ; mais elle doit être mise à part, Car C'est elle qui conditionne toutes les autres, étant au fondement même de la vie intérieure. |