Le Triomphe de la Mort
I Le Serpent avait dit à la femme : « vous ne mourrez pas » (Genèse, III, 4) ; mais l'Éternel dit à Adam : « tu es poussière et tu retourneras dans la poussière » (Genèse, III, 19). Et « depuis Adam jusqu'à Moïse, écrit saint Paul, la mort a régné même sur ceux qui n'avaient pas péché par une transgression semblable à celle d'Adam » (Rom., V, 1). L'Éternel avait formé l'homme de la poussière de la terre, mais « il avait fait pénétrer dans ses narines un souffle de vie et l'homme était devenu un être vivant » (Genèse, II, 7). Il suffit que l'Éternel lui retire le souffle pour que l'homme « expire et retourne dans la poussière » (Psaume 103, 29). Ainsi « la jalousie du Diable a introduit la mort dans le monde » (Sap.,II, 24) et tous, riches et pauvres, puissants et misérables, savants et ignorants, tous désormais « sont poussés comme un troupeau vers le séjour des morts et la mort les conduit comme un berger » (Psaume 48). « Le sage, dit l'Écclésiaste, meurt aussi bien que le fou » (II, 6). « L'un meurt au sein du bien-être, tout à son aise et en pleine tranquillité ; l'autre meurt dans l'amertume de son âme, n'ayant jamais goûté le bonheur. Ils sont couchés ensemble dans la poussière et ils ont les vers pour linceul » (Job, XXI, 23-26). Et « dans le séjour des morts, dit encore l'Écclésiaste, il n'y a plus ni science ni sagesse » (IX, 10). Écoutez la plainte de Job : « pourquoi, Seigneur, m'avez-vous tiré du sein de ma mère ? je serais mort et nul ne m'aurait vu. je serais comme n'ayant pas été ; du sein maternel, j'aurais passé au sépulcre. Mes jours ne sont-ils pas courts ? Laissez-moi donc pleurer un peu ma douleur, avant que je m'en aille, pour ne plus revenir, dans la terre des ténèbres et de l'ombre de la mort et le chaos, où la lumière même est semblable à la nuit » (Job, X, 18-22). « Seigneur, s'écrie à son tour le Psalmiste, Seigneur, délivrez mon âme, sauvez-moi à cause de votre miséricorde ; car celui qui meurt n'a plus souvenir de vous. Qui vous louera dans le Séjour des morts ?... Ce ne sont pas les morts qui loueront l'Éternel ni aucun de ceux qui descendent dans le lieu du Silence » (Psaumes 6 et 114). « L'homme né de la femme vit peu de jours et il est abreuvé d'angoisses ; comme la fleur, il naît, puis on le coupe ; il fuit comme une ombre et n'a aucune durée » (Job, XIV, 1). Et le Psalmiste : « je suis comme l'eau qui s'écoute et tous mes os se sont disjoints. Mon coeur est comme la cire, il se fond dans mes entrailles. Ma vigueur s'est desséchée comme la brique : ma langue s'attache à mon palais. Et tu m'as couché dans la poussière de la mort » (Psaume 21). « Si encore, s'écrie Job, l'homme une fois mort pouvait revivre ! Tout le temps de ma station, j'attendrais qu'on vînt me relever... Mais non, l'homme meurt et il perd sa force ; 1'homme expire et alors, où est-il ? . Les eaux d'un lac s'écoulent, le fleuve tarit et se dessèche. Ainsi l'homme se couche et il ne se relève pas ! Tant qu'il y aura des cieux, il ne se réveillera pas et on ne le fera point sortir de son sommeil » (Job, XIV, 10, 14). « On ne meurt qu'une fois ; après quoi vient le jugement » (Hebr..,IX, 27). Le corps s'est consumé « comme un bois vermoulu, comme un vêtement rongé par la teigne » (Job, XIII, 28) et l'homme s'est « endormi dans la poussière » (Job, VII, 21). « je ne verrai plus l'Éternel, disait Ézéchias, sur la terre des vivants. je ne verrai plus les hommes, je serai avec les habitants de l'Empire de la mort. Ma vie est enlevée ; elle est transportée loin de moi comme une tente de berger. Le fil de ma vie a été retranché comme la toile que le tisserand détache de la traîne. Du matin au soir, Seigneur, tu m'auras enlevé ! » (Isaïe, 38, 11-12). Qui donc osera « pénétrer jusqu'aux sources de la mort » ? Qui donc « s'est promené au fond de l'abîme ? » (Job, XXXVIII, 16-17). « Regarde ! exauce-moi, ô Éternel, mon Dieu ! Répands dans mes yeux ta lumière de peur que je ne m'endorme du sommeil de la mort » (Psaume 12). II
Et pourtant ! le Voyant de Patmos n'a-t-il pas entendu la voix de l'Esprit qui disait : « heureux les morts qui sont morts dans le Seigneur ! qu'ils se reposent maintenant de leurs travaux, car leurs oeuvres les suivent ! » (Apoc., XIV, 13). Et le Psalmiste lui-même n'a-t-il pas écrit : « elle a du prix aux yeux de l'Éternel la mort de ses Saints » (Psaume 115). Si, en effet, « la mort des pécheurs est amère » (Psaume 33), qu'ont à craindre d'elle ceux qui ont suivi la voile de la justice ? Ceux-là sont « dans la main de Dieu » (Sap., III, 1). « L'Éternel a les yeux sur ceux qui le craignent, sur ceux qui espèrent en sa grâce. Aussi les délivre-t-il de la mort » (Psaume 32). « Quand les justes crient, l'Éternel les exauce et il les délivre de toutes leurs détresses. L'Éternel est près de ceux qui ont le coeur brisé et il sauve ceux dont l'âme est abattue... L'Éternel rachète l'âme de ses servitudes et tous ceux qui cherchent en lui leur refuge sont à l'abri du châtiment » (Psaume 33). Écoutez la prière de celui qui a mis toute sa confiance dans le Seigneur « J'ai l'Éternel constamment présent devant moi. Puisqu'il est à ma droite, je ne serai point ébranlé. C'est pourquoi mon coeur se réjouit et mon âme tressaille de joie. Mon corps même reposera en toute sécurité. Car tu n'abandonneras pas mon âme dans le séjour des morts ; tu ne permettras pas que celui qui t'aime voie la corruption » (Psaume 15). Si l'Éternel délivre de la mort celui « qui marche devant lui, dans la lumière de la vie » (Psaume 55), c'est qu'il est « fidèle et miséricordieux envers ceux qui gardent son alliance et sa loi » (Psaume 24). Il « tire les pieds du lacet » (Psaume 24) et, il fait « remonter des portes de la mort » (Psaume 9) : « les liens de la mort m'avaient enveloppé, chante David, serviteur de l'Éternel ; les torrents de la destruction m'avaient épouvanté. Oui, les liens du séjour des morts m'avaient entouré, les filets de la mort m'avaient surpris. Dans ma détresse j'invoquai l'Éternel, je criai vers mon Dieu. De son palais il entendit ma voix ; les cris que je poussais vers lui parvinrent à ses oreilles... Alors, Dieu étendit sa main d'en-haut et il me saisit et il me délivra. Seigneur, avec celui qui est fidèle, tu es fidèle, avec l'homme intègre, tu es intègre ; avec celui qui est pur, tu te montres pur. Mais avec le pervers tu te joues de sa perversité ! Car c'est toi qui sauves le peuple des humbles et qui abaisses les regards des superbes » (Psaume 17). Comment, dès lors, le coeur du juste ne demeurerait-il pas ferme devant la mort ? Il dira en lui-même : « Le Seigneur est ma lumière et mon salut : qui craindrais-je ? Le Seigneur est le rempart de ma vie, de qui aurais-je peur ? » (Psaume 26). Et il répétera avec saint Paul :, « Ô mort, où est ta victoire ? Ô mort, où est ton aiguillon ? » (I, Cor., XV, 55). Ce n'est donc point en vain que le juste met son espoir et sa confiance en Dieu ; il est assuré que Dieu ne l'abandonnera pas, mais fera « resplendir sa Face sur son serviteur » (Psaume 30). Mais celui qui, au-delà de la justice, aura pratiqué la charité pour l'amour de Dieu dans l'Esprit du Christ ne doit-il pas attendre une récompense plus haute et plus belle ? Parce qu'il a marché dans la lumière du Christ, s'il est mort avec lui, il ressuscitera aussi, avec lui, de cette résurrection qui régénère toute la substance humaine pour une vie nouvelle. Il n'est pas simplement délivré de la mort, il est né à cette vie dans le Christ qui est déjà, clés l'existence présente, possession de la vie éternelle. La mort est « la rançon du péché » (Rom., VII, 23). Comment celui qui a été affranchi de la servitude du péché pourrait-il encore redouter la mort ? La mort n'a-t-elle pas perdu tout empire sur son âme ? Et, si cette âme jouit déjà, dans une certaine mesure, de la vie ,éternelle, est-ce que son corps n'aura pas, lui aussi, quelque part à cette vie ? Sans doute, ce qui est de la terre doit retourner à la terre ; mais, « comme nous avons porté l'image de celui qui est terrestre, nous porterons aussi l'image de celui qui est céleste » (I, Cor., XV, 49). Chez le chrétien qui a « revêtu Jésus-Christ » (Galat., III, 27), le corps corruptible revêtira, lui aussi, dès ici-bas, en quelque façon, l'incorruptibilité ; le corps mortel, l'immortalité, afin que s'accomplisse cette parole de l'Écriture : « la mort a été engloutie dans ta victoire » (I, Cor., XV, 54). III
David avait reculé d'épouvante devant l'Ange de la Mort qu'il aperçut « debout entre le ciel et la terre, ayant à la main une épée nue » (I, Parab., XXI, 16). Le Chrétien, lui, n'aura pas peur de regarder en face celui « qui ouvre les portes de la mort » (Job, XXX, VIII, 17) ; car il sait qu'à son heure dernière, le Fils de l'homme «posera sa main droite sur lui et lui dira : ne crains point ! je suis le premier et le dernier, le Vivant ! J'ai été mort, et je suis vivant aux siècles des siècles et je tiens les clefs de la mort et du Séjour des Morts » (Apoc., I, 18). N'a-t-elle pas été anéantie, la « Puissance des Ténèbres » ? (Luc., XX, 53). N'a-t-il pas été vaincu, celui «qui tenait l'empire de la mort » ? (Hébr., II, 14). N'a-t-il pas été jugé, « le Prince de ce monde » ? (Jean, XVI). N'ont-ils pas été illuminés tous ceux « qui étaient assis dans les ténèbres, à l'ombre, de la mort » ? (Luc., 1, 79). Un homme est venu sur la, terre, qui a dit : « ayez, confiance, j'ai vaincu le monde », « celui qui croit en moi ne demeurera pas dans les ténèbres » , « celui qui gardé ma parole ne verra jamais la mort » (Jean, XVI, 33: 46 , VIII, 51) ? Certes, parce qu'il s'est déclaré « le Fils de Dieu », cet homme a été crucifié ; mais saint Paul écrit de Lui : « si les Princes de ce monde avaient connu la sagesse de Dieu, ils n'auraient pas crucifié le Seigneur de Gloire » (I, Cor., 1, 8). C'est qu'en vérité, sa mort a été notre rédemption par l'offrande de son sang il nous a rachetés de la malédiction du péché ; car, « sans effusion de sang, il n'y a pas de rémission des péchés » (Hébr.,.I, X, 22). Le Christ a triomphé de la mort. en se livrant à elle ; il s'est fait « obéissant jusqu'à la mort, à la mort même de la croix » (Phil., II, 8). Par le péché d'Adam, la mort était entrée dans le monde ; par,la mort de Jésus-Christ, la grâce, qui est puissance de vie, a été répandue sur tous les hommes : « Comme par la faute d'un seul, écrit saint Paul, la condamnation est venue sur tous les hommes la justification qui donnera vie » (Rom., V, 18). Si, de la sorte, nous sommes maintenant justifiés par le sang du Christ qui est mort pour nous, combien plus, écrit encore saint Paul, serez-vous sauvés par lui de la colère divine ! car si, lorsque vous étiez les ennemis de Dieu, vous avez été réconciliés avec lui par la mort de son Fils, combien plus, étant réconciliés, serons-nous sauvés par sa vie » (Rom... V, 8-10). Ne savons-nous pas en effet, que « le Christ, ressuscité d'entre les morts, ne meurt plus et que la .mort n'a plus ainsi d'empire sur lui ? Car, s'il est mort, il est mort pour le péché une fois pour toutes ; mais, maintenant qu'il est vivant, il est vivant pour Dieu. Nous donc aussi, considérons-nous comme morts pour le péché et vivants pour Dieu en Jésus-Christ » (Rom., VII, 10-11). Mourons donc avec .Jésus-Christ pour ressusciter avec lui dans la gloire. Sans doute, notre corps de chair, parce qu'il est un « corps de mort » (Rom., VII, 24), est voué à la dissolution ; mais nous avons l'assurance que la substance même de ce corps, vivifiée et sanctifiée par la vertu du Christ qui vit en nous, demeure par delà la destruction de ses manifestations phénoménales ,et qu'à la fin des temps cette substance sera de nouveau dotée de ses puissances de vie et d'action pour prendre part à la béatitude des élus dans le ciel « Il faut, en effet, que ce corps corruptible revête l'incorruptibilité, que ce corps mortel revête l'immortalité » (I, Cor., XV, 53). La mort ne sera plus, le dernier ennemi de Dieu sera détruit, afin que « Dieu soit tout en tous » (I, Cor., XV, 28). « La mort est venue par un homme, dit saint Paul, c'est par un homme aussi qu'est venue la résurrection des morts. Comme tous meurent en Adam, de même tous revivront en Jésus-Christ » (I, Cor., XV, 21-22). *
|