MILES CHRISTI

« Militia est vita hominis super terram »
(Job, VII,1)

     « Vous entendrez parler de guerres et de bruits de guerres : prenez garde, ne vous troublez pas ! Car il faut que ces choses arrivent. Mais ce ne sera pas encore la fin. Une nation s'élèvera contre une nation et un royaume contre un royaume. Il y aura des famines, et des tremblements de terre en divers lieux: Mais tout cela ne sera que le commencement des douleurs. Alors ils vous livreront aux supplices et ils vous feront mourir, et vous serez haïs de toutes les nations à cause de mon Nom. Alors aussi plusieurs succomberont à l'épreuve ; ils se trahiront les uns les autres et se haïront les uns les autres. Plusieurs faux prophètes s'élèveront et séduiront beaucoup de gens. Et parce que l'iniquité sera multipliée, la charité du plus grand nombre se refroidira. Mais celui qui persévérera jusqu'à la fin, celui-là sera sauvé. » (Matth. XXIV, 6-14).

     Ne semble-t-il pas que les temps annoncés par le divin Maître soient venus et que les artisans d'iniquité soient dès maintenant à l'oeuvre pour l'accomplissement des prophéties ? « J'appris, dit la Voyante de Dulmen, Anne-Catherine Emmerich, morte en 1824, que Lucifer doit être déchaîné cinquante ou soixante ans avant l'an 2000 du Christ, si je ne me trompe. Beaucoup d'autres chiffres dont je ne me souviens plus furent indiqués. Quelques démons doivent être relâchés auparavant pour punir et tenter le monde ». Il suffit de noter au jour le jour les événements qui secouent notre monde contemporain, pour s'apercevoir que la structure même de toute la civilisation humaine est en train de se désagréger et que nous approchons de l'heure où va s'engager la lutte suprême de l'Antéchrist contre toutes les valeurs chrétiennes.

     Remarquons-le bien. La crise qui sévit actuellement dans toutes les classes de la société, quel que soit le domaine où nous la constations, politique, économique et social, a son origine dans un désarroi purement social. Nous ne souffrons aujourd'hui dans nos intérêts matériels que parce que nous avons cessé depuis longtemps de croire à la fécondité des valeurs spirituelles. Nous avons ravalé toutes nos aspirations et tous nos besoins au niveau des jouissances terrestres, de sorte que le désordre s'est introduit dans nos coeurs et que nous avons perdu jusqu'au sens même de la vie. Faut-il rappeler ici le succès croissant parmi les masses populaires de la propagande antireligieuse qui enseigne publiquement l'athéisme, le matérialisme, l'immoralisme et gagne jusqu'à l'âme de l'enfant, préparant ainsi l'immense armée du Mensonge et du Crime ? La puissance des ténèbres étend partout son empire ; l'ombre de Satan grandit sur le monde.

     Aussi la lutte qui se prépare sera-t-elle singulièrement redoutable, bien plus redoutable qu'un conflit entre des forces simplement humaines. Car, notait déjà St-Paul, « ce n'est pas contre des êtres de chair et de sang que nous avons à combattre, mais contre les princes et les puissances qui régissent les ténèbres de ce monde, contre les esprits d'iniquité. » .(Éphès., VI, 12). Celui que l'Écriture appelle « le Prince de ce monde » est à la fois « le père du mensonge », (Jean, VIII, 44) et « le prince de la mort »: (Heb. II, 14) ; il a été « meurtrier dès le commencement » (Jean, ibid) et, parce qu'« il n'y a pas de vérité en lui », il hait tous ceux qui rendent témoignage à la vérité. C'est lui, le « grand dragon rouge » qui se tenait devant l'Immaculée afin de dévorer son enfant quand elle l'aurait mis au monde (Apoc., XII, 4). C'est lui qui livra à la mort de la Croix l'Innocent en qui il n'avait pas reconnu le Seigneur de Gloire (I Cor, II, 8). C'est lui qui suscitera l'Impie dont la puissance apparaîtra aux derniers jours, « opérant toutes sortes de miracles, de signes et de prodiges menteurs et recourant à toutes les séductions de l'injustice pour la perte de ceux qui périssent parce qu'ils n'ont pas ouvert leur coeur à l'amour de la vérité ». (II Thés; II, 9-11). De quelque nom qu'on le désigne, on le retrouve partout où se trame dans la nuit l'oeuvre de perdition ; il est l'unique Adversaire qui, s'élevant au-dessus de tout ce qu'on appelle Dieu ou qu'on adore, va jusqu'à s'asseoir dans le temple de Dieu, se faisant passer lui-même pour Dieu ». (II Thés., II, 4).

     Aussi, conclut St-Paul, « revêtez-vous de toutes les armes de Dieu afin de pouvoir tenir ferme contre les embûches du Démon... Oui, tenez ferme, ayant la vérité pour ceinture de vos reins, étant revêtus de la cuirasse de la justice, ayant pour chaussures les bonnes dispositions que donne l'Évangile de la paix. Prenez par dessus tout le bouclier de la foi, au moyen duquel vous pourrez éteindre tous les traits enflammés du Mauvais. Prenez aussi le casque du salut et l'épée de l'Esprit, c'est-à-dire la parole de Dieu. » (Éphès. VI, 11-17). Ce n'est pas en effet, avec les épées que forge la main de l'homme que le soldat du Christ pourra repousser les assauts de l'Adversaire : contre la puissance des Ténèbres il faut revêtir « les armes de la Lumière » (Rom, XIII, 12) ; contre le « prince de la mort » il faut lever l'étendard du « Prince de la paix » (Isaïe, IX, 6) ; contre celui qui est le Menteur et le Meurtrier il faut proclamer solennellement la royauté du juste » qui est venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité » (Jean, XVIII, 37) du Bon Pasteur qui n'a vaincu la mort qu'en donnant sa vie pour ses brebis (Jean, X, 12). Et, parce qu'il n'a recours qu'aux armes de l'Esprit, selon la volonté du Maître, le « bon soldat de Jésus-Christ » (II, Tim., II, 3) doit se préparer par la pénitence et la prière à subir victorieusement les épreuves et les souffrances des luttes prochaines.
 

II

     Pénitence et prière : par l'une on se détache de toutes les choses humaines, par l'autre on s'unit aux choses divines ; la première fait du chrétien « le sel de la terre », la seconde « la lumière du monde » (Matth. V, 13-14).

     Quel est celui d'entre nous qui oserait se dire sans péché ? Toute créature humaine, parce qu'elle est née dans la désobéissance est sujette aux convoitises de la chair et du sang ; et dans toute âme s'agite obscurément une foule de désirs qui tentent de s'opposer aux oeuvres de l'esprit. Il n'y a pas de coeur, si purifié qu'il soit, qui puisse se croire à l'abri de toute tentation. St-François d'Assise, le plus grand peut-être de tous les saints, se considérait comme le plus vil des pêcheurs et traitait durement son corps. La pénitence s'impose donc à chacun de nous, quelle que soit l'innocence de sa vie, comme une discipline nécessaire, sans laquelle il n'y a pas de progrès véritable dans les voies surnaturelles. Il suffit d'avoir une fois compris ce qu'est, dans sa splendeur immaculée, la Sainteté de Dieu, pour s'abîmer, avec le publicain, dans la confession de sa misère intérieure et s'écrier : « Seigneur, je ne suis pas digne de lever les yeux vers Toi, parce que Tu es Saint et que je suis un pécheur ». (Luc, XVIII, 14).

     Ce n'est pas seulement pour lui que le chrétien doit faire pénitence ; c'est aussi pour ses frères. Ne faut-il pas que nous portions les fardeaux les uns des autres ? (Galat., VI, 2) Nous sommes tous membres d'un même corps et, lorsqu'un membre est malade, le corps tout entier souffre. Il est faux d'enseigner que le salut soit affaire de chaque individu ; une foi commune unit tous les chrétiens dans une même espérance et dans les liens d'une même charité, de sorte que l'indigence des uns doit être comblée par l'abondance des autres. La notion de réparation trouve ici son sens plein. Parce que, dans l'Église qui est le corps du Christ, tout chrétien demeure en étroite communion avec ses frères, il n'est pas de grâce dont chacun ne puisse prendre sa part avec joie, mais aussi d'épreuve ou de défaillance qui ne soit douloureusement ressentie par tous. Aux plus riches en bénédictions divines doit échoir l'honneur de porter les plus lourds fardeaux, afin qu'en soient soulagées les épaules de leurs frères affligés. C'est par un surcroît de pénitence que le chrétien offre ainsi à Dieu réparation, pour ses fautes sans doute, mais aussi pour les fautes de ceux qui ont buté sur la pierre du chemin et qui ont peine à se relever.

     Les oeuvres de pénitence les plus austères seraient sans fruit si elles n'étaient fécondées par la prière, une prière active et fervente qui s'élève tout droit du coeur suppliant vers le Père Céleste, avec un accent de sincérité, de confiance et d'abandon qui ne peut manquer de recevoir sa récompense. Qui donc sait encore prier avec la conviction que sa prière sera accueillie et exaucée ? Hommes de peu de foi, nous osons douter de Dieu comme s'il était trop loin de nous pour nous entendre et s'intéresser de nos affaires ; et cependant, Celui qui est venu sur la terre nous enseigner la plus belle oraison que des lèvres humaines puissent répéter, n'a-t-il pas dit : « tout ce que vous demanderez en priant, croyez que vous l'avez obtenu ». (Marc, XI, 24) Non point que vous l'obtiendrez, mais que vous l'avez obtenu ; ce n'est pas une échéance à venir, mais une réalité qui s'est déjà accomplie, la certitude que toute prière vraie et vivante est un acte qui ne peut rester sans effet et a déjà atteint son but.

     Le chrétien, qui connaît par expérience la valeur purgative de la pénitence, sait aussi quels trésors de contemplation sont contenus dans la prière. Lors qu'on a bien débarrassé son âme de tout souci des choses de ce monde, on est prêt à recevoir les grâces particulières que Dieu réserve à ses amis et qui sont le moyen prochain de notre union avec Lui. C'est sur l'arbre du renoncement de la désapprobation que mûrissent les plus beaux fruits de la contemplation . « heureux ceux qui ont le coeur pur, car ils verront Dieu. » (Matth. V, 8) Trempé dans les eaux salées de la pénitence, le chrétien est à son tour « le sel de la terre » ; éclairé par la lumière de Dieu, il est maintenant « la lumière du monde ».
 

III

     Mais « on n'allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau » : « que votre lumière, dit le divin Maître, luise devant les hommes, afin qu'ils voient vos bonnes oeuvres » (Matth. V, 13-16). Le chrétien n'est pas un homme comme les autres. Dans toutes ses oeuvres et par tous ses actes, il se pose en témoin, « témoin fidèle et véritable », (Apoc. III, 14) de Celui qui a lavé nos péchés dans l'effusion de son sang et, vainqueur de la mort, est entré maintenant dans sa gloire après avoir jugé et jeté dehors le Prince de ce monde. C'est en effet la volonté formellement déclarée du Seigneur que tous ceux qui ont reçu son Esprit doivent rendre témoignage de Lui : «Quand l'Esprit de vérité sera venu, il rendra témoignage de moi ; et vous aussi, vous me rendrez témoignage, vous qui êtes avec moi dès le commencement » (Jean, XV, 27 et Actes 1, 8). Ce qu'il prescrit à ses Apôtres vaut pour tous les chrétiens . « quiconque me confessera devant les hommes, je le confesserai, moi aussi devant mon Père qui est dans les cieux ; mais quiconque me reniera devant les hommes, je le renierai moi aussi devant mon Père qui est dans les cieux.». (Matth. X, 32).

     Ce témoignage qui porte, non sur une doctrine, mais sur une Personne, est avant tout et principalement un acte de reconnaissance et d'amour envers Celui qui nous a délivrés de la triple servitude de Satan, du péché et de la mort. Avant qu'il fût parmi nous, esclaves du péché, nous demeurions dans les ténèbres, assis à l'ombre de la mort ; et Il est venu comme une Lumière afin que tous ceux qui croient en Lui ne demeurent plus dans les Ténèbres, mais possèdent la vie éternelle. Nous avions une dette, il l'a payée pour nous ; nous étions des coupables, il nous a justifiés ; nous étions asservis à la domination de Satan, il nous a rendu notre liberté. Qu'avons-nous désormais à redouter ? Sans doute, la Puissance des ténèbres ne sera enchaînée qu'à la fin des temps (Apoc. XX, 2) et, jusqu'à cette fin, ;elle mènera contre l'Église une lutte implacable. Mais soyons sans crainte, la promesse est formelle : les portes de l'Enfer ne prévaudront point contre cette Église (Matth, XVI, 18).

     Il ne semble pas que, nous autres chrétiens, nous soyons suffisamment persuadés de la victoire du Christ, comme s'il ne nous avait pas lui-même affirmé qu'il a « vaincu le monde » (Jean, XVI, 33) à « jugé le Prince de ce monde » (Jean, XVI, 11). Certes, les épreuves ne nous seront pas épargnées et nous aurons des tribulations : « si vous étiez du monde, dit le Christ à ses disciples, le monde aimerait ce qui est à lui ; mais, parce que vous n'êtes pas du monde et que je vous ai choisis du milieu du monde, C'est à cause de cela que le monde vous hait. Souvenez-vous de la parole que je vous ai dite : « le serviteur n'est pas plus grand que son Maître. S'ils m'ont persécuté, ils vous persécuteront aussi » (Jean, XV, 14-20). La persécution qui fait les martyrs, c'est-à-dire précisément les témoins, est comme le van qui sert à cribler la moisson et les chrétiens doivent être « criblés comme le froment » (Luc, XXII, 32). Mais le Christ a prié son Père pour eux, non sans doute afin qu'ils soient retirés du monde, mais qu'ils soient préservés du mal (Jean, XVII, 16). Ayons confiance en Celui qui nous a donné l'assurance qu'il serait avec nous tous les jours jusqu'à la fin des temps (Matth., XXVIII, 20). Il est « plus grand que Celui qui est dans le monde » (I Jean, IV, 4).

     Prenons donc courage. En face des événements graves qui le menacent, le chrétien doit garder la ferme attitude du soldat qui, confiant dans la valeur de son Chef et la puissance de ses armes, ne redoute aucun assaut de l'ennemi et demeure assuré de la victoire. Déjà la cognée est au pied de l'arbre et le « jour de la vengeance de Dieu » (Isaïe, 61, 1-2) est proche. Le sang des victimes crie vers le Seigneur : « Vengez, Seigneur, le sang de vos Saints qui a été répandu » (Ps. 78). Chrétiens, ne serons-nous pas les « héros de la colère divine » ? (Isaïe, 13, 3). Revêtus « des vêtements du salut et du manteau de justice » (Isaïe, 61, 10), préparons-nous « pour la bataille du grand jour de Dieu tout-puissant » (Apoc., XVI, 14) qui doit consommer la ruine de la grande Babylone et inaugurer le règne du Christ qui n'aura pas de fin.

Gabriel HUAN.