Qu'est-ce que Jésus de Nazareth ?

     1. - L'Incarnation du Verbe consiste dans l'union. d'une nature humaine individuée à la nature divine en la Personne du Verbe. Cette nature humaine individuée est composée, comme toute nature humaine, d'une âme et d'un corps ; c'est elle qui porte dans l'histoire le nom de Jésus de Nazareth. Jésus de Nazareth est clone la nature humaine individuée dans laquelle et par laquelle s'est manifestée sur la terre la Personne du Verbe incarné ; le corps de cette nature humaine a été formé dans le sein de la Vierge par l'opération du Saint-Esprit ; l'âme de cette nature humaine a été directement créée par Dieu, donc parle Verbe lui-même, au moment de la conception du corps.

     2. - Cette nature humaine individuée, qui est le fils de Marie et porte le nom de Jésus, n'a pas de personnalité qui lui soit propre, puisque c'est la Personne même du Verbe qui lui sert de support et lui confère la subsistance. Par suite, quand Jésus dit « je » ou « Moi », ce n'est pas en tant que Fils de Marie qu'il parle, c'est-à-dire comme homme, mais en tant que Verbe de Dieu, comme Fils de Dieu. Aussi peut-il affirmer en toute vérité qu'il est « descendu du Ciel ». Les juifs, qui n'aperçoivent pas derrière la nature humaine de Jésus, la Personne même du Verbe, s'y méprennent, car ils croient savoir, eux, quel est l'homme qui s'appelle Jésus et d'où il vient. C'est donc en Jésus la Personne même du Verbe divin qui prononce « je » ou « Moi » ; et c'est par la bouche de Jésus qu'elle prononce ces paroles, parce que Jésus compose la nature humaine à laquelle le Verbe, pour s'incarner, a attribué sa personnalité de Fils de Dieu, en même temps qu'il lui unissait sa nature divine.

     3. - Il s'ensuit que dans la conscience de l'âme humaine et créée de Jésus, ce qui se manifeste et se connaît, ce n'est pas seulement cette âme en sa réalité concrète, mais aussi et surtout la Personne même du Verbe en tant que Fils de Dieu incarné et vivant parmi les hommes d'une existence terrestre. Dans l'âme et par l'âme de Jésus la Personne du Verbe fait donc en quelque sorte l'expérience de la vie humaine ; elle accomplit dans cette âme et par cette âme des actes humains de mémoire, d'intelligence, de volonté, de conscience ; elle agit et vit d'une vie vraiment humaine au milieu des hommes, ,qui sont, à la lettre, les frères de Jésus.

      4. - S'il en est ainsi, on doit affirmer, par réciprocité, que dans son âme et par son âme Jésus prend conscience en lui de la Personne du Verbe, comme d'une présence divine qui ne lui est pas seulement immanente, mais encore fournit à cette âme sa personnalité propre et lui assure une subsistance indéfectible. Et, en même temps qu'il découvre en lui la présence immédiate et intérieure de la Personne du Verbe à laquelle son âme est comme suspendue dans l'être, il aperçoit, par une illumination directe et ineffable, toutes les grâces dont le Verbe a gratifié son âme pour la rendre digne de Lui, dans toute la mesure où une âme, qui est une créature, peut ressembler à son Créateur. De là dérivent, d'une part, tous les actes de contemplation et d'adoration accomplis par l'âme de Jésus envers cette nature divine à laquelle il est uni, et, d'autre part, l'humilité profonde de cette âme en présence du mystère de l'union hypostatique à laquelle elle doit sa sanctification avec toutes les joies, toutes les splendeurs, toute la gloire dont elle est inondée.

     5. - Ainsi, or peut dire que le Verbe prend, en quelque sorte, dans l'âme et par l'âme de Jésus, conscience de la nature humaine qu'il a revêtue, et, inversement, que l'âme humaine de Jésus prend conscience en elle, directement et sans intermédiaire, de la Personne du Verbe à laquelle elle est unie hypostatiquement. En conséquence, à tout moment de la durée de l'Incarnation, le Verbe pose devant lui et se représente l'âme humaine de Jésus comme l'instrument prédestiné qu'il a créé pour exercer parmi les hommes, en vue de la Rédemption, des actes humains et vivre d'une vie terrestre ; et, à tout moment de la durée de l'incarnation, l'âme humaine de Jésus, parce qu'elle est la nature humaine à laquelle le Verbe a uni hypostatiquement sa nature divine, pose devant elle le Fils de Dieu comme un objet d'adoration, de contemplation et d'amour et jouit sans interruption de la vision béatifique.

     6. - Concluons que dans la vie humaine du Verbe incarné, vie humaine qui porte dans l'histoire le nom et les traits de Jésus de Nazareth, l'âme qui pense, qui agit, qui veut, c'est l'âme même de Jésus en union immédiate et indéfectible avec la nature divine du Fils de Dieu ; et ce qui dans ce Verbe incarné souffrira, sera crucifié et mourra sur le gibet, ce sera encore, non pas la Personne même du Verbe, puisque celle-ci demeure impassible et éternelle, mais la nature humaine créée par le Verbe aux fins du salut, c'est-à-dire Jésus de Nazareth en son corps et en son âme. Et, parce que ce corps, et cette âme auront été, sous l'inspiration et la conduite du Verbe, les instruments choisis et élus pour opérer la rédemption du genre humain, Jésus aura bien mérité de rester uni au Verbe dans la gloire, ainsi qu'il l'a été dans la sainteté et dans l'humiliation.

     C'est pourquoi il ressuscitera et montera au ciel, comme emporté par le Verbe dans le sein du Père, où désormais il régnera éternellement ; et, dans ce ciel de la gloire, le Verbe continuera, comme au temps de son incarnation, à contempler et à aimer son Père, non pas seulement en tant qu'il est la seconde Personne de la Trinité, mais aussi désormais, pour tous les siècles des siècles, dans sa nature humaine, qui est Jésus.

 GABRIEL HUAN.