SERVIR

« Écoute, Ô Éternel, car je suis
ton serviteur, ton serviteur, fils
de ta servante ».
(Psaume 115, 16).

I

     Il est écrit dans le livre de Job, que « servir c'est la vie de l'homme sur la terre » (VII, 1). L'obéissance, en effet, est devenue la loi de l'homme depuis que, trompé par « l'antique Serpent », Adam s'est détourné de la volonté de Dieu pour se faire l'esclave du péché. « Ne savez-vous pas, écrit saint Paul aux Romains, que, si vous vous livrez à quelqu'un comme serviteur pour lui obéir, vous êtes les serviteurs de celui à qui vous obéissez, soit du péché pour la mort, soit de l'obéissance pour la justice ? Or grâces soient rendues à Dieu de ce que, après avoir été serviteurs du péché, vous avez obéi de coeur à la doctrine qui vous a été donnée pour règle ! Étant donc affranchis du péché, vous êtes devenus les serviteurs de la justice. Ainsi, de même que vous avez mis vos membres au service de l'impureté et de l'iniquité, pour commettre l'iniquité, de même, maintenant, mettez vos membres au service de la justice pour votre sanctification. En effet, lorsque vous étiez serviteurs du péché, vous étiez libres à l'égard de la justice. Quels fruits portiez-vous donc alors ? des fruits dont maintenant vous avez honte. Car la fin de ces choses-là, c'est la mort. Mais, maintenant, affranchis du péché et devenus serviteurs de Dieu, vous avez pour fruit la sanctification. et pour fin la vie éternelle. » (Rom., VI, 16-23).

     « Nul, en effet, dit Jésus, ne peut servir deux maîtres, car ou il haïra l'un et aimera l'autre, ou il. s'attachera à l'un et méprisera l'autre. Vous ne pouvez servir Dieu et Mammon » (Matth., VI, 24 ; Luc, XVI, -13). Ne pas servir Dieu, c'est s'asservir à ce que saint Paul appelle, les « rudiments du monde » (Galat., IV, 3) car c'est préférer la créature au Créateur, « ne pas donner à Dieu la gloire qui appartient à Dieu, remplacer la Gloire de Dieu incorruptible par des images qui représentent l'homme corruptible, changer la vérité de Dieu en mensonge » ; et, « parce qu'ils ne se sont pas souciés de conserver la connaissance de Dieu, Dieu les a livrés à un esprit pervers, de sorte qu'ils ont commis des actions indignes ; et ils sont remplis de toute espèce d'injustice et de méchanceté » (Rom., 1, 18, 29). « Ces gens-là, dit encore l'Apôtre, ne servent pas le Christ, Notre Seigneur, mais leur ventre » (Rom., XVI, 18). Mais n'est-il pas écrit : « tu craindras l'Éternel, ton Dieu, et tu le serviras »?.(Deut., VI, 13). Tous les bien de la terre ne sont-ils pas promis à ceux qui obéissent fidèlement aux commandements de Dieu ? « Si vous aimez l'Éternel, votre Dieu, si vous le servez de tout votre coeur et de toute votre âme, je donnerai en son temps la pluie à votre pays, la pluie de la première et celle de la dernière saison et tu y récolteras ton. blé, ton vin nouveau et ton huile. je ferai croître aussi dans tes champs de l'herbe pour ton bétail ; tu mangeras et tu seras rassasié » (Deut., XI, 13,15). Ne disons donc pas avec ceux qui ne craignent pas Dieu : « c'est en vain qu'on sert Dieu ; qu'avons-nous gagné à observer ses préceptes ? » (Malachie, III, 14). «Toutes choses sont à vous », écrit saint Paul aux Corinthiens, mais à la condition « que vous soyez au Christ comme le Christ.. est à Dieu » (I, Cor., III, 22). Au Diable qui lui découvre « tous les royaumes du monde et leur gloire » et lui dit : « je te donnerai toutes ces choses, si, te prosternant devant moi, tu m'adores », le Christ répond par la parole sainte de l'Écriture . « tu adoreras le Seigneur ton Dieu et tu ne rendras le service qu'à lui seul » (Matth., IV, 10). Dieu doit être servi, simplement parce qu'il est Dieu : « Nous servirons l'Éternel, parce qu'il est notre Dieu » (Josué, XXIV, 18). Et servir Dieu, c'est faire sa volonté, selon la justice et la vérité : « mettez vos membres, dit saint Paul, au service de la justice pour votre sanctification » (Rom., VI, 19). Le Père, aussi, sanctifie dans la vérité » (Jean, XVII, 17) ceux « qui pratiquent la vérité » (Jean,III, 21), parce qu'ils sont venus à la lumière et que leurs oeuvres sont faites en Dieu.

II

     Servir Dieu selon sa volonté, c'est d'abord le servir avec fidélité, « dans la crainte et le respect, dans la simplicité du coeur », non point « pour être vu de lui » et en recevoir notre récompense, non, point même pour chercher seulement à lui plaire, mais bien plutôt pour faire de bon coeur sa volonté », « avec affection », par « attachement aux choses d'en haut » (Ephès., VI, 6 ; Coloss., III, 22), parce qu'il est le Seigneur et qu'il, ne peut rien ordonner qui ne soit pour notre bien. « Nous savons, dit l'Apôtre, que toutes choses concourent au bien de ceux qui aiment Dieu » (Rom., VIII, 28). Et celui qui aime Dieu pourrait-il ne pas servir son Maître avec le zèle du soldat à qui l'on dit : « Va » et il va : « viens », et il vient ; « fais cela », et il le fait ? (Matth., VIII, 9). Peut-être a-t-il attendu la sixième, ou la neuvième, ou même la onzième heure pour se rendre à la vigne du Père de famille ; il recevra néanmoins, comme les autres ouvriers de la vigne, un denier, parce qu'il a entendu la voix de Celui qui a dit : « Allez, vous aussi, à la vigne » et qu'il a obéi sur-le-champ et pris sa part de fatigue et de labeur (Matth., XX, 1, 16). Peut-être même a-t-il répliqué au père de famille : « je ne veux pas » ; mais « plus tard, s'étant repenti, il y est allé », tandis que celui qui avait dit : « oui Seigneur ! » n'y est point allé : « Lequel des deux a fait la volonté du Père ? » demande Jésus et les disciples de répondre : celui qui est allé travailler à la vigne. (Matth., XII, 28-31).

     C'est donc, avant tout, la bonne volonté, non seulement dans l'intention, mais encore dans l'action, qui fait le bon serviteur, celui qui sert avec patience, avec ferveur, avec joie : « Ne vous relâchez point dans votre zèle, écrit saint Paul aux Romains ; soyez fervents d'esprits ! Servez le Seigneur, joyeux dans l'espérance, patients dans l'affliction, persévérants dans la prière » (Rom., XII, 4). « Ton serviteur, dit le Psalmiste, sera comblé de joie », (Psaume 108, 8) ; « réjouis l'âme de ton serviteur, car c'est vers toi, Seigneur, que j'élève mon âme ; car tu es bon et clément, Seigneur ! » (Psaume 85, 4). La bonne volonté, qui déjà s'accompagne de joie, ne va pas sans le désir de connaître la pensée du Maître, afin de lui obéir avec intelligence : « je suis ton serviteur, dit encore le Psalmiste, donne-moi. l'intelligence, afin que je puisse comprendre tes ordonnances » (Psaume 118, 125). Elle ne va pas, non plus, sans le désir de faire porter du fruit aux biens que le Maître a confiés à son serviteur : «Seigneur, tu m'avais remis cinq talents, en voici cinquante que j'ai gagnés ». « Cela va bien, bon et fidèle serviteur, tu as été fidèle en peu de chose, je t'établirai sur beaucoup ; viens, prends ta part à la joie de ton Seigneur » (Matth., XXV, 20). Elle ne va pas surtout sans le désir d'assurer le service de la maison durant l'absence du Maître, afin que celui-ci, à son retour, la trouve entretenue selon sa volonté : « quel est le serviteur fidèle et prudent que le Maître a établi sur ses serviteurs pour leur donner la nourriture en temps convenable ? Heureux sera le serviteur que le Maître, à son arrivée, trouvera agissant ainsi. En vérité, je vous le déclare, il l'établira sur tous ses biens » (Matth.,. XXIV, 45-47).

     Le bon serviteur en prendra-t-il de l'orgueil ? « Qui de vous, demande Jésus, ayant un serviteur employé à labourer ou à faire paître les troupeaux, lui dira, à son retour des champs : viens tout de suite te mettre à table ? Ne lui dira-t-il pas au contraire : prépare-moi à souper, ceins-toi pour me servir, jusqu'à ce que j'aie mangé et bu ; et, après, cela, tu mangeras et tu boiras ? Saura-t-il gré à ce serviteur d'avoir fait ce qu'il lui avait commandé
     Vous aussi, de même, quand vous aurez fait tout ce qui vous est commandé, dites : nous sommes des serviteurs inutiles. Ce que nous avons fait, nous devions le faire »(Luc., XVII, 7, 10). C'est qu'en effet, le serviteur n'est pas plus grand que le Maître : « le disciple n'est pas au-dessus de son Maître, ni le serviteur au-dessus de son Seigneur » (Matth., X, 24). C'est à deux reprises que, selon l'Évangile de saint Jean, le Christ rappelle à ses Apôtres que « l'envoyé n'est pas plus grand que celui qui l'envoie » : après leur avoir lavé les pieds, « lui, le Seigneur et le Maître », il insiste sur l'exemple qu'il leur a donné, afin qu'à leur tour ils fassent comme il a fait « en vérité, je vous Je dis, le serviteur n'est pas plus grand que son Maître » (Jean, XIII, 14, 16). Et au moment où il leur fait ses suprêmes recommandations, il leur annonce que, si le monde les haïra, il l'a haï, lui avant eux « souvenez-vous de la parole que je vous ai dite le serviteur n'est pas plus grand que son Maître » (Jean, XV, 20). Lui-même ne s'est-il pas fait obéissant, « obéissant jusqu'à la mort même, jusqu'à la mort de la croix ? (Phil., II, 8). Le Fils de l'homme n'est-il pas venu dans le monde, « non pour être servi, mais pour servir » ? (Marc, X, 45). C'est la vocation! du chrétien de suivre son Maître, s'il le faut, jusqu'au Calvaire et d'y boire le calice qu'il a bu. Tout au moins ne doit-il jamais oublier que « celui qui voudra être grand parmi ses frères sera leur serviteur, celui qui voudra être le premier sera l'esclave de tous » (Marc, X, 64).

     On comprend bien que le service qui s'impose de la sorte au chrétien est ce que saint Paul appelle « le service en esprit » (Rom., I, 9) ; car, dit-il, « étant morts à la loi qui nous tenait captifs, nous en sommes maintenant affranchis pour servir Dieu sous le régime nouveau de l'Esprit et non sous le régime vieilli de la lettre » (Rom., VII, 6). Dieu, en effet, « est Esprit et il faut que ceux qui l'adorent l'adorent en Esprit et en vérité »(Jean, IV, 24). Dès son premier discours aux juifs, Pierre rappelle cette prédiction de Joël : « il arrivera pendant les derniers jours - c'est Dieu lui-même qui parle - que je répandrai de mon esprit sur toute créature : vos fils, et vos filles prophétiseront, vos jeunes gens auront des visions et vos vieillards auront des songes. Oui, en ce jours-là, je répandrai de mon Esprit sur mes serviteurs et sur mes servantes » (Actes, II, 17-18). Si l'effusion de l'Esprit fut si grande parmi les fidèles au premier siècle de l'Église que saint Paul dut intervenir auprès des Corinthiens pour le maintien du bon ordre dans les assemblées (I, Cor., XIV, 26-39), il reste que c'est avec les armes de l'Esprit que le serviteur du Christ doit « combattre le bon combat » (I, Tim., I, 18), « ayant revêtu la cuirasse de la foi et de la charité et pris pour casque l'espérance du salut » (I, Thess., V, 9). En effet, dit saint Paul, « ce n'est pas contre la chair et le sang que nous avons à combattre, mais contre les Dominations, contre les Puissances, contre les Princes de ce monde de ténèbres, contre les Esprits mauvais qui sont dans des régions célestes. C'est pourquoi prenez toutes les armes de Dieu afin que vous puissiez résister dans les mauvais jours et qu'ayant tout surmonté, vous demeuriez fermes. Oui, tenez ferme, ayant la vérité pour ceinture de vos reins, étant revêtus de la cuirasse de la justice, ayant pour chaussures les bonnes dispositions que donne l'Évangile de paix. Prenez par dessus tout le bouclier de la foi, au moyen duquel vous pourrez éteindre tous les traits enflammés du Malin. Prenez aussi le casque du salut et l'épée de l'Esprit, c'est-à-dire la parole de Dieu » (Ephès., VI, 11, 18). Le serviteur du Christ est un « soldat » (II, Tim., 11, 3), qui doit travailler pour la vérité contre le mensonge, pour la lumière contre les ténèbres, pour la justice contre l'iniquité, pour la liberté contre la servitude, pour la paix et la joie contre celui qui « tient l'empire de la mort ».
 

III

     Celui qui a été jusqu'à la fin le « bon soldat de Jésus-Christ », à la fois « fidèle et prudent », n'a pas travaillé en vain ; il a mérité d'entendre et de prendre pour lui l'émouvante et profonde parole du Divin Maître : « je ne vous appelle plus serviteurs, parce que le serviteur ne sait pas ce que fait son maître ; mais je vous appelle mes amis, parce que je vous ai fait connaître tout ce que j'ai appris de mon Père » (Jean, XV, 15). Dieu, en effet, « a envoyé dans nos coeurs l'Esprit de son Fils, lequel crie « Abba », c'est-à-dire Père !... Ainsi, tu n'es plus serviteur, mais fils, et, si tu es fils, tu es aussi héritier par la grâce de Dieu » (Galat., IV, 5, 7). Et, parce que le Christ nous a ainsi obtenu de Dieu, par le sacrifice de son sang, l'« adoption filiale », devenus ses « frères »(Rom., VIII, 29), nous pourrons désormais prétendre à demeurer là où il demeure : « Père, je veux que là où je suis, ceux que tu m'as donnés y soient aussi avec moi, afin qu'ils contemplent ma gloire, la gloire que tu m'as donnée avant la création du monde » (Jean, XVII, 24). Sans doute, « il y a beaucoup de demeures dans la maison du Père » ; mais le Christ n'a-t-il pas déclaré qu'il nous y « préparerait une place » pour nous y prendre avec lui, « afin que là où il est, nous y soyons aussi » ? (Jean, XIV, 2-4).

     Le Voyant de Patmos nous a présenté, de cette demeure où nous devons passer notre éternité, une image saisissante : c'est la Cité sainte, la Jérusalem céleste, qui descend du Ciel parée comme une épouse pour son époux, le Tabernacle de Dieu au milieu des hommes... je n'y vois pas de temple, car le Seigneur Dieu tout-puissant en est le temple ainsi que l'Agneau... La ville n'a besoin ni de soleil, ni de lune pour l'éclairer, car la gloire de Dieu l'éclaire et l'Agneau est son flambeau... Le trône de Dieu et de l'Agneau sera dans la ville, ses serviteurs le serviront., ils verront sa Face et son Nom sera sur leurs fronts... et ils régneront aux siècles des siècles » (Apoc., XI-XX).

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« N'entre pas, Seigneur, en jugement avec ton 
« serviteur ; mais traite-le selon ta miséricorde !
« N'as-tu pas racheté de ton sang les âmes de tes 
« serviteurs ? Parle, Seigneur, ton serviteur écoute. 
« Fais resplendir sur lui ta Face et renvoie le en 
« paix, afin que, prosterné avec les Anges et les
« Saints dans l'adoration, il puisse s'écrier jour et 
« nuit : Saint, Saint, Saint est le Seigneur Dieu, le 
«Tout-Puissant, qui était, qui est et qui sera ! »

Gabriel HUAN.