Réflexion de Lamennais - Livre 3, chapitre 14

Une des plus dangereuses tentations et des plus déliées est celle de l'orgueil dans le bien. Pour peu qu'elle se relâche de sa vigilance, l'âme que la grâce avait élevée au-dessus de la nature et de sa corruption glisse imperceptiblement et retombe en elle-même.

On s'est garanti de certaines fautes, on a pratiqué certaines vertus; l'amour-propre s'arrête à cette pensée, et s'y repose avec complaisance. On se regarde, on est content de soi, on se préfère peut-être à tel ou tel autre; et l'on en vient jusqu'à s'attribuer secrètement les dons de Dieu, un des crimes qui offensent le plus ce Dieu jaloux et vengeur, qui ne donnera sa gloire à nul autre, et qui résiste aux superbes.

Que fait-il cependant ? Il se retire, il délaisse cet insensé qui comptait sur ses forces, il l'abandonne à son orgueil. Alors arrivent ces chutes terribles qui étonnent et consternent, ces chutes inattendues, effrayants exemples des jugements divins. Malheur à qui s'appuie sur sa propre justice ! La ruine l'attend.

Je ne sens, disait l'Apôtre, rien en moi qui m'accuse; mais je ne suis pas pour cela purifié, car celui qui me juge, c'est le Seigneur. Et le prophète-roi: Purifiez-moi de mes fautes cachées, oubliez celles que j'ignore, et pardonnez-moi celles d'autrui; prière admirable, qui rappelle à l'homme cette funeste communication du mal, en vertu de laquelle il est, hélas ! si peu de péchés purement personnels.

Donc nul refuge, nulle assurance que dans l'humilité, dans l'aveu sincère, dans la conviction et le sentiment toujours présents de notre profonde misère, joints à la confiance en Dieu seul. Prosternés à ses pieds, disons-lui avec le Psalmiste: Ma honte est sans cesse devant moi, et la confusion a couvert mon visage: Seigneur, vous ne méprisez point un cœur contrit et humilié !