Réflexion de Lamennais - Livre 3, chapitre 18

La vie de l'homme sur la terre est pleine de douleur, de misères, de souffrances: Qui ne le sait ? Nous sommes visiblement punis, et comme la justice qui nous châtie est toute-puissante, nul moyen d'échapper au châtiment. Or, en cet état, la sagesse humaine n'a vu que le choix entre deux partis, ou de se raidir contre la nature et dénier le supplice, ou d'y chercher une distraction dans la volupté. Elle a demandé le bonheur à l'orgueil et aux sens, et, trompée dans ses espérances, elle s'est voilée la tête en disant: Il n'y a point de remède.

Le monde en était là, quand tout à coup une voix s'élève: Heureux ceux qui pleurent ! Les peuples écoutent et s'étonnent: quelque chose de nouveau se remue en eux: ils comprennent, ils goûtent la joie des larmes, et du haut de la Croix où l'homme de douleurs est attaché, un fleuve inépuisable de consolations inconnues coule sur le genre humain. La vie a perdu sa tristesse, depuis que, baigné d'une sueur de sang, et dans les transes de l'agonie, Jésus s'est écrié: Mon âme est triste jusqu'à la mort.

Elle n'a plus assez de souffrances pour le repentir qui les cherche, pour l'amour qui les désire et qui s'y complaît. Qu'est-ce donc que cette merveille ? O Fils du Dieu vivant, c'est que votre lumière a éclairé le monde, et que votre grâce l'a touché: c'est que l'homme, sorti de sa voie, l'a retrouvée en vous, qui êtes la voie la vérité et la vie: c'est qu'il a conçu qu'après le péché, le seul bien qui reste est l'expiation, et il a dit en regardant la Croix: Ou souffrir ou mourir.

Victime sainte, Agneau de Dieu, qui ôtez le péché du monde, donnez-moi de souffrir avec vous et de mourir en unissant mes dernières souffrances à celles qui nous ont rouvert le ciel que le péché nous avait fermé !