Réflexion de Lamennais - Livre 4, chapitre 11
Qu'est-ce que la terre ? Un lieu d'exil, une vallée de larmes, comme l'appelle l'Eglise. L'homme y cherche dans les ténèbres la vérité, qui est la vie de son intelligence; il y cherche, au milieu de maux sans nombre, un bien, il ne sait quel bien, immense, inépuisable, éternel, qui est la vie de son cur; et tout ce qu'il cherche lui échappe. Le doute, l'opinion, l'erreur fatiguent sa raison épuisée. Ce qu'il a cru des biens se change en amertume; il trouve au fond de tout le vide et l'ennui. Est-il seul, son âme retombe avec douleur sur elle-même ! Il a besoin de support, et malheur a lui s'il met sa confiance dans les autres hommes ! Ils se masquent pour le surprendre; ils profanent, pour le tromper, le nom d'ami; tandis que leur bouche lui sourit, ils lui tendent des pièges dans l'ombre, et quand, à force de ruses, de mensonges et de basses noirceurs, ils l'ont enveloppé de leurs rets, tout à coup se dévoilant, ils se ruent sur lui et le dévorent comme l'hyène dévore sa proie. Lamentable condition !
Mais Dieu n'a pas abandonné sa pauvre créature dans ces extrémités de la misère. Il l'éclaire par sa parole, il la soutient par sa grâce, il l'anime, il la console par la foi d'une vie meilleure, par l'espérance de posséder, après ces jours d'épreuve, le bien auquel elle aspire, le bien infini, qui est Lui-même. Et ces dons merveilleux d'un amour inénarrable, rassemblés, concentrés, en quelque sorte, dans la divine Eucharistie, y sont offerts à nos désirs sans autre mesure que ces désirs mêmes. Toutes les fois que nous approchons de cet auguste Sacrement, nous recevons en nous la Sagesse, la Lumière incréée, le Verbe de Dieu, la Parole vivante; nous recevons l'Auteur de la grâce, le Consommateur de la foi, le gage immortel de notre espérance; la chair crucifiée pour nous s'incorpore à notre chair; le sang qui a sauvé le monde se mêle à notre sang; un saint baiser unit notre âme à l'âme du Rédempteur; sa divinité nous pénètre et consume en nous tout ce que le péché avait corrompu; l'ami fidèle repose dans notre sein, il nous parle, il nous dit: Pose-moi comme un sceau sur ton cur, car l'amour est plus fort que la mort; et alors embrasés de cet amour ardent comme le feu, nous ne voyons plus que le bien-aimé, nous n'avons plus de vie que la sienne, et la tristesse de notre pèlerinage s'évanouit dans les joies du ciel.