DES ERREURS OU
Ouvrage dans lequel, en faisant remarquer aux observateurs lÕincertitude de leurs recherches, et leurs mprises continuelles, on leur indique la route quÕils auraient d suivre, pour acqurir lÕvidence physique sur lÕorigine du bien et du mal, sur lÕhomme, sur la nature matrielle, la nature immatrielle, et la nature sacre, sur la base des gouvernements politiques, sur lÕautorit des souverains, sur la justice civile et criminelle, sur les sciences, les langues, et les arts.
Par un PhilÉ IncÉ
Seconde partie (Tome2)
A EDIMBOURG |
Chapitre 5
Incertitude des politiques
En envisageant lÕhomme sous les rapports politiques, il prsentera deux points de vue comme dans les observations prcdentes : le premier, celui de ce quÕil pourrait et devrait tre dans lÕtat de socit ; le second, celui de ce quÕil est dans ce mme tat. Or, cÕest en tudiant avec soin ce quÕil devrait tre dans lÕtat de socit, que nous apprendrons mieux juger de ce quÕil est aujourdÕhui. Cette confrontation est sans aucun doute, le seul moyen de pouvoir dvelopper clairement les mystres qui voilent encore lÕorigine des socits, dÕasseoir les droits des Souverains, et de poser les rgles dÕadministration par lesquelles les Empires pourraient et devraient se soutenir et se gouverner.
Le plus grand embarras quÕaient prouv les Politiques qui ont le mieux cherch suivre la marche de la Nature, a t de concilier toutes les Institutions sociales avec les principes de justice et dÕgalit quÕils aperoivent en eux. Ds quÕon leur a fait voir que lÕhomme tait libre, ils lÕont cru fait pour lÕindpendance, et ds lors ils ont jug que tout assujettissement tait contraire sa vritable essence.
Ainsi dans le vrai, selon eux, tout gouvernement serait un vice, et lÕhomme ne devrait avoir dÕautre chef que lui-mme.
Cependant ce vice prtendu de la dpendance de lÕhomme et de lÕautorit qui lÕassujettit, subsistant gnralement sous leurs yeux, ils nÕont pu rsister la curiosit de lui chercher une origine et une cause ; cÕest l o leur imagination prenant la chose mme pour le Principe, sÕest livre tous ses carts, et o les Observateurs ont montr autant dÕinsuffisance que lorsquÕils ont voulu expliquer lÕorigine du mal.
Ils ont prtendu que lÕadresse et la force avaient mis lÕautorit dans les mains de ceux qui commandaient aux hommes ; et que la Puissance souveraine nÕtait fonde que sur la faiblesse de ceux qui sÕtaient laiss subjuguer. De l, ce droit invalide nÕayant aucune consistance, est, comme on le voit, sujet vaciller, et tomber successivement dans toutes les mains qui auront la force et les talents ncessaires pour sÕen emparer.
DÕautres se sont plu dtailler les moyens violents ou adroits, qui, selon eux, ont prsid la naissance des Etats ; et en cela ils nÕont fait que prsenter le mme systme plus tendu ; tels sont les vains raisonnements de ceux qui ont donn pour mobile de ces tablissements, les besoins et la frocit des premiers hommes, et ont dit que vivant en chasseurs et dans les forts, ces hommes effrns faisaient des incursions sur ceux qui sÕtaient livrs lÕagriculture et aux soins des troupeaux, et cela dans la vue dÕen dtourner leur profit tous les avantages ; quÕensuite pour se maintenir dans cet tat dÕautorit que la violence avait form, et qui devenait une vritable oppression, les usurpateurs furent forcs dÕtablir des lois et des peines, et que cÕest ainsi que le plus adroit, le plus hardi et le plus ingnieux parvint demeurer le matre, et assurer son despotisme.
Mais on voit que ce ne put tre l la premire socit, puisquÕon suppose dj des agriculteurs et des bergers. Cependant voil quelle est peu prs la principale opinion de ceux des Politiques qui ont dcid que jamais un Principe de justice et dÕquit nÕa pu faire la base des Gouvernements, et cÕest cette conclusion quÕils ont ramens tous leurs systmes, et les observations dont ils les ont appuys.
Quelques-uns ont cru remdier cette injustice en tablissant toute socit sur le commun accord et la volont unanime des individus qui la composent, et qui ne pouvant chacun en particulier, supporter les suites dangereuses de la libert et de lÕindpendance naturelle de leurs semblables, se sont vus forcs de remettre entre les mains dÕun seul ou dÕun petit nombre, les droits de leur tat de nature, et de sÕengager concourir eux-mmes par la runion de leurs forces, maintenir lÕautorit de ceux quÕils avaient choisis pour chefs.
De lÕassociation force
Alors cette cession tant volontaire, il nÕy a plus dÕinjustice, disent-ils, dans lÕautorit qui en mane. Fixant ensuite par le mme acte dÕassociation les pouvoirs du Souverain, ainsi que les privilges des Sujets, voil les Corps politiques tout forms, et il nÕy aura plus de diffrence entre eux que dans les moyens particuliers dÕadministration, qui peuvent varier selon les temps et les occurrences.
Cette opinion est celle qui paratrait la plus judicieuse, et qui remplirait le mieux lÕide naturelle quÕon veut nous donner de la justice des Gouvernements, o les personnes et les biens sont sous la protection du Souverain, et o ce Souverain ne devant avoir pour but que le bien commun, nÕest occup quÕ soutenir la Loi qui doit le procurer.
Dans lÕassociation force, au contraire, on ne voit que lÕimage dÕune atrocit rvoltante, o les Sujets sont autant de victimes, et o le Tyran rapporte lui seul tous les avantages de la socit dont il sÕest rendu matre. Je nÕarrterai donc pas ma vue plus longtemps sur cette espce de gouvernement, quoiquÕelle ne soit pas sans exemple ; mais nÕy voyant aucune trace de justice, ni de raison, elle ne peut se concilier avec aucun des vrais principes naturels de lÕhomme ; autrement il faudrait dire quÕune bande de voleurs forme aussi un Corps politique.
De lÕassociation volontaire
Il ne suffit pas cependant quÕon nous ait prsent lÕide dÕune association volontaire ; il ne suffit pas mme quÕon puisse trouver dans la forme des Gouvernement qui en seraient provenus, plus de rgularit que dans tous ceux que la violence a pu faire natre ; il faut encore examiner avec soin, si cette association volontaire est possible, et si cet difice nÕest pas tout aussi imaginaire que celui de lÕassociation force. Il faut examiner de plus si dans le cas o cette convention serait possible, lÕhomme a pu lgitimement prendre sur lui de la former.
CÕest dÕaprs cet examen que les Politiques pourront juger de la validit des Droits qui ont fond les Socits ; et si nous les trouvons videmment dfectueux, on apercevra bientt, en dcouvrant par o ils pchent, quels sont ceux quÕil faut ncessairement substituer.
Il nÕest pas ncessaire de rflchir longtemps pour sentir combien lÕassociation volontaire de tout un Peuple est difficile concevoir. Pour que les voix fussent unanimes, il faudrait que la manire dÕenvisager les motifs et les conditions du nouvel engagement, le ft aussi ; cÕest ce qui nÕa jamais eu et nÕaura jamais lieu dans une Rgion et dans des choses qui nÕont que le sensible pour base et pour objet, parce que lÕon ne doit plus douter que tout est relatif dans le sensible, et quÕen lui il nÕy a rien de fixe.
Outre quÕil faudrait supprimer dans chacun des Membres, lÕambition dÕtre le Chef, ou dÕappartenir au Chef, il faudrait encore le concours dÕune infinit dÕopinions, qui ne sÕest jamais rencontr parmi les hommes, tant sur la forme la plus avantageuse du Gouvernement, que sur lÕintrt gnral et particulier, et sur la multitude des objets qui doivent composer les articles du Contrat.
De plus longues observations seraient donc inutiles, pour nous faire reconnatre quÕun Etat social, form librement de la part de tous les individus, est absolument hors de toute vraisemblance, et pour avouer quÕil est impossible quÕil y en ait jamais eu de semblable.
Mais admettons-en la possibilit, supposons ce concours unanime de toutes les voix, et que la forme, ainsi que les Lois qui appartiendront au Gouvernement dont il sÕagit, aient t fixes dÕun commun accord ; il reste encore demander si lÕhomme a le droit de prendre un pareil engagement, et sÕil serait raisonnable de se reposer sur ceux quÕil aurait forms.
Aprs la connaissance que lÕon a d acqurir de lÕhomme, par tout ce quÕon a vu son sujet, il est ais de pressentir quÕun pareil droit ne put jamais lui tre accord, et que cet Acte serait nul et superflu. Premirement, rappelons-nous cette boussole invariable que nous avons reconnue pour son guide, ayons toujours devant les yeux que tous les pas quÕil pourrait faire sans elle, seraient incertains, puisque sans elle lÕhomme nÕa point de lumire, et quÕelle est prpose par son Essence mme le conduire et prsider sur toutes ses actions.
Alors donc, si sans lÕaveu de cette Cause qui veille sur lui, lÕhomme prenait un engagement dÕune aussi grande importance que celui de se soumettre un autre homme, il devrait dÕabord douter que sa dmarche ft conforme sa propre Loi, et, par consquent, quÕelle ft propre le rendre heureux ; ce qui suffirait pour lÕarrter, pour peu quÕil coutt la prudence.
Rflchissant ensuite avec plus de soin sur sa conduite, ne reconnatrait-il pas que non seulement il sÕest expos se tromper, mais mme quÕil a attaqu directement tous les principes de la Justice, en transfrant dÕautres hommes des droits dont il ne peut pas lgitimement disposer, et quÕil sait rsider essentiellement dans la main qui doit tout faire pour lui ?
Secondement, cet engagement serait vague et draisonnable, parce que, sÕil est vrai que cette Cause dont nous parlons, doive tre universellement le guide de lÕhomme, et quÕelle en ait tous les pouvoirs, il est absolument inutile de chercher employer une autre main. A plus forte raison, dirons-nous la mme chose de lÕhomme, considr la manire des Politiques ; cÕest, selon eux, lÕimpuissance de lÕhomme et la difficult quÕil prouve supporter lÕtat de Nature, qui lÕengage se donner des Chefs et des Protecteurs. En effet, si cet homme avait la force de se soutenir, il nÕaurait pas besoin dÕappuis trangers ; mais enfin, sÕil nÕa plus cette force, si cÕest aprs lÕavoir perdue quÕil veut en revtir un autre homme, que lui donne-t-il donc, et o trouver ce qui fait la matire du Contrat ?
LÕassociation volontaire nÕest donc pas rellement plus juste ni plus sense, quÕelle nÕest praticable ; puisque par cet Acte, il faudrait que lÕhomme attacht un autre homme un droit dont lui-mme nÕa pas la proprit, celui de disposer de soi ; et puisque, sÕil transfre un droit quÕil nÕa pas, il fait une convention absolument nulle, et que ni le Chef, ni les Sujets, ne peuvent faire valoir, attendu quÕelle nÕa pu les lier ni les uns ni les autres.
Ainsi, reprenant tout ce que nous venons de dire, si lÕassociation force est videmment une atrocit, si lÕassociation volontaire est impossible, et en mme temps oppose la Justice et la raison, o trouverons-nous donc les vrais Principes des Gouvernements ? Car, enfin, il est des Etats qui les ont connus et qui les suivent.
CÕest, comme je lÕai dit, cette recherche que les Politiques consument tous leurs efforts, et si ce que nous venons de voir est exactement tout ce quÕils ont trouv sur cette manire, nous pouvons assurer avec raison quÕils nÕont pas encore fait les premiers pas vers leur Science.
Fausse conclusion des politiques
Il y a bien en eux une voix secrte qui les porte convenir, que quelle quÕait t la cause de lÕassociation dÕun Corps politique, le Chef se trouve essentiellement dpositaire dÕune suprme autorit, et dÕune puissance qui par elle-mme doit lui subordonner tous ses sujets ; ils reconnaissent, dis-je, dans les Souverains une force suprieure qui inspire naturellement pour eux le respect et lÕobissance.
CÕest aussi ce que je me fais gloire de professer hautement avec les Politiques ; mais, comme ils nÕont pu dmler dÕo cette supriorit devait provenir, ils ne sÕen sont pas forms une ide nette, et alors les applications quÕils en ont voulu faire, ne leur ont offert que des faussets ou des contradictions.
Aussi la plupart dÕentre eux, peu satisfaits de leurs dcouvertes, et ne trouvant aucun moyen dÕexpliquer lÕhomme en socit, ont recouru leur premire ide, et se sont rduits dire quÕil ne devrait pas tre en socit ; mais on verra trs certainement que cette conjecture nÕest pas mieux fonde que celles quÕils ont formes sur les moyens dÕassociation, et quÕelle est plutt une preuve vidente de leur incertitude et de la prcipitation de leurs jugements.
De la sociabilit de lÕHomme
Il ne faut que jeter un moment les yeux sur lÕhomme, pour dcider cette question. Sa vie nÕest-elle pas une chane de dpendances continuelles ? LÕacte mme de son entre dans la vie corporelle ne porte-t-il pas le caractre de lÕassujettissement o il va tre condamn pendant son cours ? NÕa-t-il pas besoin peur natre quÕune cause extrieure vienne fconder son germe, et lui donner une raction sans laquelle il ne vivrait pas ? Et nÕest-ce pas l cette humiliante sujtion qui lui est commune avec tous les Etres de la Nature ?
Ds quÕil a reu le jour, cette dpendance devient encore plus sensible, en ce que les yeux corporels des hommes en sont tmoins. CÕest alors que dans une impuissance absolue, et une faiblesse vraiment honteuse, lÕhomme a besoin, pour ne pas mourir, que des Etres de son espce lui donnent des secours et des soins sans nombre, jusquÕ ce que parvenu lÕge de pouvoir se passer dÕeux quant aux besoins de son corps, il soit rendu lui-mme, et jouisse de tous les avantages et de toutes les forces de son Etre corporel.
Mais telle est la nature de lÕhomme et la sagesse de lÕÏil qui veille sur lui, quÕavant de parvenir ce terme dÕindpendance corporelle, il prouve un besoin dÕun autre genre, et qui le lie encore plus troitement la main qui a soutenu son enfance ; cÕest celui de son Etre intellectuel, lequel commenant sentir sa privation, sÕagite et se livre aveuglment tout ce qui peut lui rendre le repos.
Dans cet ge, encore infirme, il sÕadresse naturellement tout ce qui lÕentoure, et surtout ceux qui soulageant chaque jour ses besoins corporels, semblent devoir tre de droit les premiers dpositaires de sa confiance. CÕest eux quÕil demande chaque pas la science de lui-mme, et ce nÕest que dÕeux, en effet, quÕils devrait lÕattendre ; car cÕest eux le diriger, le soutenir, lÕclairer, selon son ge, lÕarmer dÕavance contre lÕerreur et le prparer au combat ; en un mot, cÕest eux faire sur son Etre intellectuel ce quÕils ont fait sur son corps dans un temps o il prouvait les douleurs, sans avoir la force ni de les supporter, ni de sÕen garantir. Voil, nÕen doutons point, la vraie source de la socit parmi les hommes, et en mme temps le tableau o lÕhomme peut apprendre quel est le premier de ses devoirs quand il se fait Pre.
Pourquoi ne trouverons-nous rien de semblable parmi les btes, cÕest quÕelles ne sont pas de nature connatre de pareils besoins ; cÕest que la bte, ne se dirigeant que par le sensible, quand ce besoin ne lui parle plus, elle ne connat plus rien ; cÕest que lÕaffection corporelle, tant la mesure de toutes ses facults, lorsque cette affection est satisfaite, il nÕy a plus pour elle de sensibilit, ni de dsir ; aussi nÕy a-t-il point pour elle de lien social.
On ne doit pas me citer lÕexemple de lÕattachement de quelques Animaux, soit entre eux, soit pour lÕhomme ; nous ne parlons ici que de la marche, et des mouvements naturels des Etres ; et tous les exemples quÕon pourrait nous opposer seraient srement le fruit de lÕhabitude, qui, comme nous lÕavons dit ailleurs, peut convenir et se trouver dans la bte, en qualit dÕEtre sensible.
On ne doit pas me citer non plus ces peuplades de certains Animaux qui vivent et voyagent ensemble, soit sur terre, soit dans lÕeau, soit dans lÕair ; ce nÕest que le besoin particulier et sensible qui les rassemble et il y a si peu de vritable attachement entre eux, que lÕun peut prir et disparatre sans que les autres sÕen aperoivent.
Nous voyons donc dj par ces observations sur les premiers temps de notre existence matrielle, que lÕhomme nÕest pas n pour vivre isol.
Nous voyons quÕaprs que sa dpendance corporelle a cess, il lui reste un lien infiniment plus fort, en ce quÕil est relatif son Etre propre ; nous voyons, dis je, que par un intrt insparable de son tat actuel, il recherchera toujours ses semblables, et que sÕils ne le trompaient jamais, ou quÕil ne ft pas dj corrompu, il n penserait point sÕloigner dÕeux, lors mme que son corps nÕaurait plus besoin de leurs secours.
CÕest donc mal propos quÕon a cherch la source de la sociabilit dans les seuls besoins sensibles et dans ce moyen puissant par lequel la Nature rapproche lÕhomme des Etres de son espce, pour en oprer la reproduction ; car, comme cÕest par l quÕil est semblable la bte, et que cependant la bte ne vit point en tat de socit, ce moyen ne suffirait pas pour tablir celle de lÕhomme. Aussi, je ne mÕoccupe que des facults qui le distinguent, et par lesquelles il est port lier avec ses semblables un commerce dÕactions morales, dÕo doit driver toute association pour tre juste. Quand, dans un ge plus avanc, les facults intellectuelles de lÕhomme commencent lÕlever au-dessus de ce quÕil voit, et quÕil parvient apercevoir quelques lueurs au milieu des tnbres o nous sommes plongs, cÕest alors quÕun nouvel ordre de choses nat pour lui ; non seulement tout lÕintresse, mais combien cet intrt ne doit-il pas sÕaccrotre pour ceux qui lui auront fait goter le bonheur dÕtre homme, de mme que pour ceux qui il pourrait le faire goter son tour ?
A mesure quÕil marche dans la carrire de la vie, ce lien social se fortifie encore par lÕextension que reoivent ses vues et ses penses ; enfin, au dclin de ses jours, ses forces venant dgnrer, il retombe corporellement dans cet tat de faiblesse qui avait accompagn son enfance, il devient pour la seconde fois lÕobjet de la piti des autres hommes, et rentre de nouveau sous leur dpendance, jusquÕ ce que la Loi commune tous les corps achve de sÕaccomplir sur le sien et vienne en terminer le cours. Que faut-il de plus pour convenir que lÕhomme nÕtait pas destin passer ses jours seul et sans aucun lien social ?
On voit aussi que dans cette simple socit naturelle, il y a toujours des Etres qui donnent et dÕautres qui reoivent ; quÕil y a toujours de la supriorit et de la dpendance, cÕest--dire, quÕil y a le vrai modle de ce que doit tre la socit politique.
Source des erreurs politiques
CÕest l cependant ce que ceux qui ont trait de ces objets nÕavaient pas considr, lorsquÕils ont dit que lÕtat de Socit tait contraire la Nature, et que ne trouvant pas de moyen de justifier cette Socit, ni de la concilier avec leurs principes de Droit naturel, ils ont pris la rsolution de la proscrire.
Pour nous, qui sentons lÕindispensable ncessit de la liaison et de la frquentation mutuelle des hommes, nous ne serons point arrts par la fausset et lÕinjustice de quelques-uns des liens qui les ont mis souvent en Corps social ; nous serons trs persuads mme que les hommes ne seraient pas ns, comme ils le sont, avec ces besoins rciproques, et avec ces facults qui leur promettent tant dÕavantages, sÕil nÕy avait pas aussi des moyens lgitimes de les mettre en valeur, et dÕen retirer tous les fruits dont elles sont susceptibles.
Or, lÕusage de ces moyens, ne pouvant avoir lieu que dans le commerce mutuel des individus, et ce commerce, vu lÕtat actuel de lÕhomme, tant sujet des inconvnients sans nombre, nous ne rejetterons pas pour cela les Corps politiques, nous ne ferons quÕindiquer une base plus solide que celle quÕon leur a donne jusquÕ ce jour, et des principes plus satisfaisants.
Mais on doit voir actuellement que les tnbres o les Politiques se sont envelopps sur ce point, ont la mme source que ceux qui couvrent encore aujourdÕhui les Observateurs de la Nature ; cÕest pour avoir, comme eux, confondu le principe avec son enveloppe, la force conventionnelle de lÕhomme avec sa vritable force, quÕils ont tout obscurci et tout dfigur.
Du premier empire de lÕHomme
De plus, nous avons vu le peu de fruits quÕont produit toutes ces observations sur la Nature par lesquelles on a voulu la sparer dÕune Cause active et intelligente, dont le concours et le pouvoir ont t dmontrs dÕune ncessit absolue.
Nous saurons donc que la marche des Politiques tant semblable, doit tre galement infructueuse ; ils ont cherch dans lÕhomme isol les principes des Gouvernements, et ils ne les y ont pas plus trouvs, que les Observateurs nÕont trouvs dans la Matire la source de ses effets et de tous ses rsultats.
Ainsi, de mme quÕune circonfrence sans centre ne peut pas se concevoir, de mme aucune de ces Sciences ne peut marcher sans son appui ; cÕest pourquoi tous ces systmes ne peuvent se soutenir, et tombent sans autre cause que celle de leur propre dbilit.
Si par son origine premire, lÕhomme tait destin tre chef et commander, ainsi que nous lÕavons assez clairement tabli, quelle ide devons-nous nous former de son Empire dans ce premier tat, et sur quels Etres appliquerons-nous son autorit ? Sera-ce sur ses gaux ? Mais dans tout ce qui existe et dans tout ce que nous pouvons concevoir, rien ne nous donne lÕexemple dÕune pareille Loi, tout nous dit au contraire quÕil ne saurait y avoir dÕautorit que sur des Etres infrieurs, et que ce mot dÕautorit porte ncessairement avec lui-mme lÕide de la supriorit ?
Sans nous arrter donc plus longtemps examiner sur quels Etres sÕtendaient alors les droits de lÕhomme, il nous suffit de reconnatre que ce ne pouvait tre sur ses semblables. Si cet homme ft rest dans ce premier tat, il est donc certain que jamais il nÕaurait rgn sur des hommes, et que la Socit politique nÕaurait jamais exist pour lui, parce quÕil nÕy aurait point eu pour lui de liens sensibles, ni de privation intellectuelle, que son seul objet aurait t dÕexercer pleinement ses facults, et non comme aujourdÕhui dÕen oprer pniblement la rhabilitation.
Lorsque lÕhomme se trouva dchu de cette splendeur, et quÕil fut condamn la malheureuse condition o il est rduit prsent, ses premiers droits ne furent point abolis, ils ne furent que suspendus, et il lui est toujours rest le pouvoir de travailler et de parvenir par ses efforts les remettre dans leur premire valeur.
Il pourrait donc mme aujourdÕhui gouverner comme dans son origine, et cela, sans avoir ses semblables pour sujets. Mais cet empire dont nous parlons, lÕhomme ne le peut retrouver et en jouir que par les mmes titres qui lÕont rendu matre autrefois, et ce nÕest absolument quÕen portant son ancien Sceptre, quÕil parviendra reprendre avec fondement le nom de Roi. Ce fut l sa condition premire, et celle laquelle il peut encore prtendre par lÕessence invariable de sa nature ; en un mot, telle est son ancienne autorit, dans laquelle, nous le rptons, les droits dÕun homme sur un autre homme nÕtaient pas connus, parce quÕil tait hors de toute possibilit que ces droits existassent entre des Etres gaux, dans leur tat de gloire et de perfection.
Du nouvel empire de lÕHomme
Or, dans lÕtat dÕexpiation que lÕhomme subit aujourdÕhui, non seulement il est porte de retrouver les anciens pouvoirs dont tous les hommes auraient joui, sans que leurs sujets fussent pris parmi leur espce, mais il peut acqurir encore un autre droit dont il nÕavait pas la connaissance dans son premier tat ; cÕest celui dÕexercer une vritable autorit sur dÕautres hommes ; et voici dÕo ce pouvoir est provenu.
Dans cet tat de rprobation o lÕhomme est condamn ramper, et o il nÕaperoit que le voile et lÕombre de la vraie lumire, il conserve plus ou moins le souvenir de sa gloire, il nourrit plus ou moins le dsir dÕy remonter, le tout en raison de lÕusage libre de ses facults intellectuelles, en raison des travaux qui lui sont prpars par la justice, et de lÕemploi quÕil doit avoir dans lÕÏuvre.
Les uns se laissent subjuguer, et succombent aux cueils sems sans nombre dans ce cloaque lmentaire, les autres ont le courage et le bonheur de les viter.
On doit donc dire que celui qui sÕen prservera le mieux, aura le moins laiss dfigurer lÕide de son Principe, et se sera le moins loign de son premier tat. Or, si les autres hommes nÕont pas fait les mmes efforts, quÕils nÕaient pas les mmes succs, ni les mmes dons, il est clair que celui qui aura tous ces avantages sur eux, doit leur tre suprieur, et les gouverner.
Du pouvoir souverain
Premirement, il leur sera suprieur par le fait mme, parce quÕil y aura entre eux et lui une diffrence relle fonde sur des facults et des pouvoirs dont la valeur sera vidente ; il le sera en outre par ncessit, parce que les autres hommes sÕtant moins exercs, et nÕayant pas recueilli les mmes fruits, auront vraiment besoin de lui, comme tant dans lÕindigence et dans lÕobscurcissement de leurs propres facults.
SÕil est un homme en qui cet obscurcissement aille jusquÕ la dpravation, celui qui se sera prserv de lÕun et de lÕautre, devient son matre non seulement par le fait et par la ncessit, mais encore par devoir. Il doit sÕemparer de lui, et ne lui laisser aucune libert dans ses actions, tant pour satisfaire aux lois de son Principe, que pour la sret et lÕexemple de la Socit, il doit enfin exercer sur lui tous les droits de lÕesclavage et de la servitude ; droits aussi justes et aussi rels dans ce cas-ci, quÕinexplicables et nuls dans toute autre circonstance.
Voil donc quelle est la vritable origine de lÕempire temporel de lÕhomme sur ses semblables, comme les liens de sa nature corporelle ont t lÕorigine de la premire socit.
Cet empire toutefois, loin de contraindre et de gner la socit naturelle, doit tre regard comme en tant le plus ferme appui, et le moyen le plus sr par lequel elle puisse se soutenir, soit contre les crimes de ses membres, soit contre les attaques de tous ses ennemis.
Celui qui sÕen trouve revtu, ne pouvant tre heureux quÕautant quÕil se soutient dans les vertus qui le lui ont fait acqurir, cherche pour son propre intrt faire le bonheur de ses sujets. Et quÕon ne croie pas que cette occupation doive tre vaine et sans fruit ; car lÕhomme dont nous offrons ici lÕide, ne peut tre tel sans avoir en lui tous les moyens de se conduire avec certitude, et sans que ses recherches ne lui rendent des rsultats vidents.
De la dignit des rois
En effet, la lumire qui clairait lÕhomme dans son premier tat, tant une source inpuisable de facults et de vertus, plus il peut sÕen rapprocher, plus il doit tendre son empire sur les hommes qui sÕen loignent, et aussi plus il doit connatre ce qui peut maintenir lÕordre parmi eux, et assurer la solidit de lÕEtat.
Par le secours de cette lumire, il doit pouvoir embrasser, et soigner avec succs toutes les parties du Gouvernement, connatre videmment les vrais principes des lois et de la Justice, les rgles de la discipline militaire, les droits des particuliers et les siens, ainsi que cette multitude de ressorts qui sont les mobiles de lÕadministration.
Il doit mme pouvoir porter ses vues et tendre son autorit jusque sur ces parties de lÕadministration, qui nÕen font pas aujourdÕhui lÕobjet principal dans la plupart des Gouvernements, mais qui, dans celui dont nous parlons, en doivent tre le plus ferme lien, savoir, la Religion et la gurison des maladies. Enfin, il nÕest pas jusquÕaux arts, soit dÕagrment, soit dÕutilit, dont il ne puisse diriger la marche et indiquer le vritable got. Car le flambeau quÕil est assez heureux dÕavoir la main, rpandant une lumire universelle, doit lÕclairer sur tous ces objets, et lui en laisser voir la liaison.
Ce tableau, tout chimrique quÕil doit paratre, nÕa cependant rien qui ne soit conforme lÕide que nous nous trouverons avoir des Rois, quand nous la voudrons approfondir.
En rflchissant sur le respect que nous leur portons, ne verrons-nous pas que nous les regardons comme devant tre lÕimage et les reprsentants dÕune main suprieure, et comme tels susceptibles de plus de vertus, de force, de lumire et de sagesse que les autres hommes ? NÕest-ce pas avec une sorte de regret que nous les voyons exposs aux faiblesses de lÕhumanit ? Et ne semblerions-nous pas dsirer quÕils ne se fissent jamais connatre que par des actes grands et sublimes comme la main qui est cense les avoir placs tous sur le Trne ?
Que dis je, nÕest-ce pas sous cette autorit sacre quÕils sÕannoncent, et quÕils font valoir tous leurs droits ? Quoique nous nÕayons pas la certitude quÕils agissent par elle, nÕest-ce pas de ce que nous en sentons la possibilit, que nat cette espce dÕeffroi qui rsulte de leur puissance, et cette vnration quÕils nous inspirent ?
Tout ceci nous indique donc que leur premire origine est suprieure aux pouvoirs et la volont des hommes, et doit nous confirmer dans lÕide que jÕai prsente, que leur source est au-dessus de celles que la Politique leur a cherch.
De la science des rois
Quant ces facults et ces vertus innombrables que nous avons montres, comme devant se trouver dans les Rois qui auraient retrouv leur ancienne lumire, ce sont encore les Chefs des Socits tablies qui nous les annoncent, puisquÕils agissent comme ayant la jouissance de tout ce que nous sentons devoir tre en eux.
Leur nom nÕest-il pas le sceau de toutes les puissances quÕils versent dans leur Empire ? Gnraux, Magistrats, Princes, tous les Ordres de lÕEtat ne tiennent-ils pas dÕeux leur autorit, et lorsque cette mme autorit se transmet de main en main jusquÕaux derniers rameaux de lÕarbre social, nÕest-ce pas toujours en vertu de la premire manation ? Ne faut-il pas mme toujours leur attache pour lÕexercice des talents utiles, et quelquefois pour celui des talents qui ne sont quÕagrables ?
Dans tous ces cas, les Souverains nous donnent eux-mmes un signe vident quÕils sont comme le centre et la source, dÕo doivent sortir tous les privilges et tous les pouvoirs quÕils communiquent ? Car lÕacte mme de cette communication, et les formalits qui lÕaccompagnent, montrent toujours quÕils sont, ou quÕils peuvent tre dirigs dans leur choix par une lumire sre, et quÕils sont clairs sur la capacit des sujets qui ils confient une partie de leurs droits. Et mme ces prcautions de leur part, ainsi que les dcisions qui en rsultent, supposent non seulement leur capacit personnelle, mais encore elles en sont comme autant de tmoignages.
Car toutes les informations que les Souverains font prendre dans les diffrents cas qui se prsentent, et lÕadhsion quÕils apportent aux lumires et aux dcisions de leurs diffrents Tribunaux, ne doivent point tre regardes comme des suites de leur ignorance sur les diffrentes matires soumises leur Lgislation. Ce nÕest point quÕils soient censs ne pouvoir connatre tout par eux-mmes, au contraire, on ne peut se dispenser de le supposer, puisque ce sont eux-mmes qui crent ces juridictions. Mais cÕest que faisant dans le temporel les fonctions dÕun Etre vrai et infini, ils sont chargs, comme lui, de lÕaction totale et infinie, et sont, comme lui, dans la ncessit indispensable de ne pouvoir oprer les actions bornes et particulires, que par leurs attributs et par les agents de leurs facults.
De la lgitimit des souverains
Si nous entrions dans le dtail de tous les ressorts qui agissent et soutiennent les Gouvernements politiques, nous en ferions la mme application aux facults des Chefs qui les dirigent ; lÕexercice de la Justice, tant civile que criminelle, quoique se faisant par dÕautres mains que les leurs, mais toujours par leur autorit, annoncerait assez clairement quÕils pourraient avoir les moyens de dcouvrir les droits et les fautes de leurs Sujets, et de fixer avec certitude lÕtendue et le soutien des uns, en mme temps que la rparation des autres. Le soin quÕils prennent de veiller la conservation des Lois du Gouvernement, la puret des mÏurs, au maintien des Dogmes et des pratiques de la Religion, la perfection des Sciences et des Arts, tout cela, dis je, nous rappellerait quÕil doit tre en eux une lumire fconde qui sÕtend tout, et par consquent qui connat tout.
Nous ne nous cartons donc point de la Vrit, en attribuant lÕhomme revtu de tous les privilges de son premier tat, les avantages dont les Rois nous retracent si sensiblement lÕimage, et nous pouvons dire avec raison quÕils nous instruisent par-l, de ce que lÕhomme pourrait et devrait tre, mme au milieu de la Rgion impure quÕil habite aujourdÕhui.
Je ne me dissimule pas cependant, la multitude dÕobjections que doit faire natre ce point de vue sous lequel je viens de prsenter les Rois, et en gnral tous les Chefs des Socits. Accoutums, comme sont les hommes, expliquer les choses par elles-mmes, et non par leur principe, il doit tre nouveau pour eux dÕapercevoir, tous leurs droits et toutes leurs puissances, une source qui nÕest plus eux, mais qui nanmoins est si analogue avec eux.
Des gouvernements lgitimes
Aussi tant peu faits ces principes, ils commenceront par me demander quelle preuve les Nations pourront avoir de la lgitimit de leurs Chefs, et sur quoi elles pourront juger que ceux qui en occupent la place ne les ont point abuses.
Je ne crains pas de me trop avancer, en disant que les tmoignages en seront vidents, soit pour les Chefs, soit pour les Sujets, qui auront su faire un juste et utile usage de leurs facults intellectuelles, et je renvoie pour cet article, ce que jÕai dit prcdemment sur les tmoignages dÕune Religion vraie. La mme rponse peut servir lÕobjection prsente, parce que lÕInstitution sacre et lÕInstitution politique ne devraient avoir que le mme but, le mme guide et la mme Loi : aussi devraient-elles toujours tre dans la mme main, et lorsquÕelles se sont spares, elles ont perdu de vue lÕune et lÕautre, leur vritable esprit, qui consiste dans une parfaite intelligence et dans lÕunion.
La seconde question quÕon pourra me faire, cÕest de savoir, si en admettant la possibilit dÕun Gouvernement, tel que celui que je viens de reprsenter, on peut en trouver des exemples sur la Terre.
Je ne serais pas cru, sans doute, si je voulais persuader que tous les Gouvernements tablis sont conformes au modle quÕon vient de voir, parce quÕen effet le plus grand nombre en est trs loign : mais je prie mes semblables, dÕtre bien convaincus que les vrais Souverains, ainsi que les lgitimes Gouvernements, ne sont pas des Etres imaginaires, quÕil y en a eu de tout temps, quÕil y en a actuellement, et quÕil y en aura toujours, parce que cela entre dans lÕOrdre universel, parce quÕenfin cela tient au Grand-Îuvre, qui est autre chose que la Pierre philosophale.
Une troisime difficult, qui se prsentera naturellement dÕaprs les principes qui ont t tablis, cÕest dÕy avoir vu que tout homme par sa nature, peut esprer de retrouver la lumire quÕil a perdue, et cependant que je reconnaisse des Souverains parmi les hommes ; car, si chaque homme parvient au terme de sa rhabilitation, quels seront les Chefs ? Tous les hommes ne seront-ils pas gaux, ne seront-ils pas tous des Rois ?
Cette difficult ne peut plus subsister, aprs ce que jÕai dit sur les obstacles qui arrtent si souvent lÕhomme dans sa carrire, et qui, multiplis encore par ses imprudences et lÕusage faux de sa volont, sont de sa part, si rarement et si ingalement surmonts.
De lÕinstitution militaire
On pourrait mme rappeler ici ce que jÕai dit sur les diffrences naturelles des facults intellectuelles des hommes, o lÕon a pu remarquer, quÕen ne les comparant mme que sous ce point de vue, il resterait toujours une ingalit entre eux, mais ingalit qui ne leur serait point pnible, et qui ne les humilierait pas, parce que leur grandeur serait relle dans chacun dÕeux, et non pas relative, comme celle qui nÕest que conventionnelle et arbitraire.
CÕest ce qui nous est reprsent en quelque sorte dans les lois de lÕinstitution Militaire, celui de tous les ouvrages des hommes qui nous peigne le plus fidlement lÕtat premier, et qui, comme tel, est le plus noble de tous leurs Etablissements, quoique nÕayant pas une base plus vraie, ni plus solide que leurs autres Ïuvres, il ne doive tenir aux yeux de lÕhomme sens, que le premier rang dans lÕordre des prjugs ; mais je le rpte, il est si noble, il engage tant de vertus, quÕon oublie presque quÕil aurait besoin dÕtre vrai.
Ainsi, regardant cette institution, comme celle qui sÕapplique le mieux au Principe de lÕhomme, nous remarquerons que tous les Membres qui composent un corps militaire, sont censs revtus et dous chacun des facults particulires qui sont propres leur grade. Ils sont censs, chacun dans leur classe, avoir atteint et rempli le but qui leur est assign.
Cependant, quoique ces Membres soient tous ingaux, il nÕy a point de difformit dans leur assemblage, ni dÕhumiliation pour les individus, parce que le devoir de chacun est fixe, et que l il nÕest pas honteux dÕtre infrieur aux autres Membres du mme Corps, mais seulement dÕtre infrieur son grade.
En mme temps, ces corps Militaires, tant composs de Membres ingaux, ne peuvent jamais demeurer un moment sans Chef, puisquÕil y aura toujours un de ces Membres qui sera suprieur lÕautre.
Si ces Corps nÕtaient pas lÕouvrage de la main de lÕhomme, les diffrences et la supriorit de leurs Membres seraient fixes, et ce serait la qualit et le prix rel du sujet qui serviraient de rgle. Mais, lorsque le Lgislateur nÕest pas conduit par sa vraie lumire, et que cependant il a toujours agir, il y supple en tablissant une valeur et un mrite plus faciles connatre, et qui nÕont besoin que du secours des yeux corporels pour tre dtermins. CÕest lÕanciennet, qui, aprs la diffrence des Grades, fixe les droits dans les corps Militaires, et nÕy et-il que deux Soldats dans un Poste, la Loi veut que le plus ancien commande lÕautre.
De lÕingalit des hommes
Cette loi, toute factice quÕelle soit, nÕest-elle pas un indice de la justesse du principe que jÕai expos, et en supposant tous les hommes en possession de leurs Privilges, comme il nÕy aurait jamais une entire galit entre eux, ne pourrait-on pas croire quÕils auraient toujours des Rois ?
Ce serait nanmoins la plus grande des absurdits, que de prendre cette comparaison la lettre ; les corps Militaires, nÕtant que lÕouvrage de lÕhomme, ne peuvent avoir que des diffrences conventionnelles, aussi l le suprieur et lÕinfrieur sont par leur nature de la mme espce, et malgr ces distinctions si imposantes, tout sÕy ressemble au fond, puisque ce sont toujours des hommes dans la privation.
Mais dans lÕOrdre naturel, si chaque homme parvenait au dernier degr de sa puissance, chaque homme alors serait un Roi. Or, de mme que les Rois de la Terre ne reconnaissent pas les autres Rois pour leurs Matres, et que, par consquent, ils ne sont points sujets les uns des autres ; de mme, dans le cas dont il sÕagit, si tous les hommes taient pleinement rhabilits dans leurs droits, les Matres et les Sujets des hommes ne pourraient pas se trouver parmi des hommes, et ils seraient tous Souverains dans leur Empire.
Mais, je le rpte, ce nÕest pas dans lÕtat actuel des choses, que les hommes parviendront tous ce degr de grandeur et de perfection, qui les rendrait indpendants les uns des autres ; ainsi, depuis que cet tat de rprobation subsiste, sÕils ont toujours eu des chefs pris parmi eux, il faut sÕattendre quÕils en auront toujours, et cela est mme indispensable, jusquÕ ce que ce temps de punition soit entirement accompli.
CÕest donc avec confiance que jÕtablis sur la rhabilitation dÕun homme dans son Principe, lÕorigine de son autorit sur ses semblables, celle de sa puissance, et de tous les titres de la souverainet politique.
Je ne crains pas mme dÕassurer que cÕest le seul et unique moyen dÕexpliquer tous les droits, et de concilier la multitude dÕopinions diffrentes que les Politiques ont enfantes sur cette matire ; parce que, pour reconnatre une supriorit dans un Etre, sur les Etres de la mme classe, ce nÕest pas dans ce en quoi il leur ressemble quÕil faut la chercher, mais dans ce en quoi il peut en tre distingu.
Or, par leur nature actuelle, les hommes tant condamns la privation, se ressemblent tout absolument par cet endroit, quelques nuances prs ; ce nÕest donc quÕen sÕefforant de faire disparatre cette privation, quÕils peuvent esprer dÕtablir des diffrences relles entre eux.
Du flambeau des gouvernements
Je crois aussi ne pas pouvoir offrir mes semblables, un tableau aussi satisfaisant, que celui de cette Socit que nous avons vue tablie prcdemment sur les besoins corporels de lÕhomme, et sur le dsir quÕil a de connatre ; et lui donner un Chef tel que je viens de le peindre, cÕest complter et confirmer lÕide naturelle que nous portons tous secrtement en nous, de lÕhomme social et du principe des gouvernements.
En effet, nous nÕy verrions rgner quÕun ordre et une activit universelle, qui formeraient un tissu de dlices et de joie pour tous les Membres du Corps politique ; nous verrions que leurs maux corporels mmes eussent trouv l des adoucissements ; parce que, selon que je lÕai indiqu, la lumire qui et dirig lÕassociation, en aurait embrass et clair toutes les parties. Alors, cÕet t au milieu des choses prissables, nous prsenter lÕimage la plus grande et lÕide la plus juste de la perfection ; cÕet t rappeler cet heureux ge quÕon a dit nÕexister que dans lÕimagination des Potes, parce que, nous en tant loigns et nÕen connaissant plus la douceur, nous avons eu la faiblesse de croire que, puisquÕil avait pass pour nous, il devait avoir cess dÕtre.
En mme temps, si telle est la Loi qui devrait lier et gouverner les hommes ; si cÕest l le seul flambeau qui puisse, sans injustice, les runir en corps, il est donc certain, quÕen lÕabandonnant, ils ne peuvent sÕattendre quÕ lÕignorance, et toutes les misres invitables pour ceux qui errent dans lÕobscurit.
De la soumission aux souverains
Alors, si par lÕexamen que lÕon va voir des Gouvernements reus, il se trouve dans eux des difformits, on pourra conclure avec raison quÕelles ne subsistent que par lÕloignement de cette mme lumire, et parce que ceux qui ont fond les Corps politiques nÕen ont pas connu les principes, ou que leurs successeurs en ont laiss altrer la puret. Mais, avant dÕentreprendre cet important examen, je dois tranquilliser les Gouvernements ombrageux, qui pourraient sÕalarmer de mes sentiments, et craindre, quÕen dvoilant leur dfectuosit, jÕanantisse le respect qui leur est d ; et, quoique jÕaie dj montr, dans quelques endroits du sujet qui mÕoccupe actuellement, ma vnration pour la personne des Souverains, autant que pour leur caractre, il est convenable de ritrer ici cette protestation, afin de bien persuader tous ceux qui liront cet Ouvrage, que je ne respire que lÕordre et la paix, que je fais tous les Sujets un devoir indispensable de la soumission leurs Chefs, et que je condamne sans rserve toute insubordination et toute rvolte, comme tant diamtralement contraires aux principes que je me suis propos dÕtablir.
On ne pourra se dispenser dÕajouter foi cette authentique dclaration, lorsquÕon voudra se rappeler ce que jÕai tabli prcdemment sur la Loi qui doit ici-bas diriger lÕhomme dans toute sa conduite. NÕai-je pas montr que lÕenchanement de ses souffrances nÕtait quÕune suite du faux usage de sa volont ; que lÕusage de cette volont nÕtait devenu faux que quand lÕhomme avait abandonn son guide, et que, par consquent, sÕil avait la mme imprudence aujourdÕhui, il ne ferait par-l que perptuer ses crimes et augmenter dÕautant ses malheurs ?
Je condamne absolument la rbellion, dans le cas mme o lÕinjustice du Chef et du Gouvernement serait son comble, et o ni lÕun ni lÕautre ne conserverait aucune trace des pouvoirs qui les constituent ; parce que, toute inique, toute rvoltante que pourrait tre une pareille Administration, jÕai fait voir que ce nÕest point le Sujet qui a tabli ses Lois politiques et ses Chefs, ainsi ce nÕest point lui les renverser.
Mais il faut en donner des raisons plus sensibles encore ; si le mal nÕest que dans lÕAdministration, et que le Chef se soit conserv dans cette force et ces droits incontestables que nous lui supposons, comme tant le fruit de son travail et des exercices quÕil aura faits, il aura en lui toutes les facults ncessaires, pour dmler le vice du Gouvernement et pour y remdier, sans que le Sujet soit dans le cas dÕy porter la main.
Si le vice est en mme temps, dans le Gouvernement et dans le Chef, mais que le Sujet ait su sÕen prserver, en remplissant cette obligation commune tous les hommes de ne jamais sÕcarter de la Loi invariable qui doit les conduire, celui-ci saura se mettre couvert des vexations, sans employer la violence ; ou bien il saura reconnatre si ce nÕest point dÕune main suprieure que part le flau, alors il se gardera dÕen murmurer, ni de sÕopposer la Justice.
Enfin, si le vice tait la fois dans le Chef, dans lÕAdministration et dans le Sujet, alors il ne faudrait plus me demander ce quÕil y aurait faire ; car ce ne serait plus un Gouvernement, ce serait un brigandage ; or, pour les brigandages, il nÕy a pas de Lois.
Il serait mme inutile dÕannoncer aux hommes dans un pareil dsordre, que plus ils sÕy livreront, plus ils sÕattireront de souffrance et dÕafflictions ; que lÕintrt de leur vrai bonheur leur dfendra toujours de repousser lÕinjustice par lÕinjustice, et que les maux les poursuivront, tant quÕils ne sÕefforceront pas de plier leur pense et leur volont leur rgle naturelle. Ces discours ne trouveraient aucun accs dans cette confusion tumultueuse ; car ils sont le langage de la raison, et lÕEtre livr lui-mme ne raisonne point.
QuÕon ne mÕobjecte pas, de nouveau, cette difficult de savoir quels signes chacun pourra discerner si les choses sont ou non dans lÕordre, et quand on devra agir ou sÕarrter. JÕai assez fait entendre que tout homme tait n pour avoir la certitude de la lgitimit de ses actions, quÕelle est indispensable pour fixer la moralit de toute sa conduite, et quÕainsi tant que cette preuve lui manque, il sÕexpose sÕil fait un pas.
DÕaprs cela, lÕon peut juger si je permets lÕhomme la moindre imprudence, et plus forte raison le moindre acte de violence et dÕautorit prive.
Je crois donc que cet aveu de ma part peut rassurer les Souverains sur les principes qui me conduisent ; ils nÕy verront jamais quÕun attachement inviolable pour leur personne, et que le plus sublime respect pour le rang sacr quÕils occupent ; ils y verront que mme sil y avait parmi eux des usurpateurs et des tyrans, leurs Sujets nÕauraient aucun prtexte lgitime, pour leur porter la moindre atteinte.
Des obligations des rois
Si des Rois lisaient jamais cet crit, ils ne se persuaderaient pas, je pense, que par cette soumission que je leur voue, jÕaugmente en rien leurs pouvoirs, et que je les dispense de cette obligation o ils sont comme hommes, dÕassujettir leur marche la rgle commune qui devrait nous diriger tous.
Au contraire, si ce nÕest que par lÕintime connaissance quÕils sont censs avoir de cette rgle, et par leur fidlit lÕobserver quÕils ont d porter le titre de Rois, leur rendre le droit de sÕen carter, ce serait favoriser lÕimposture, et insulter au nom mme qui nous les fait honorer.
Ainsi, si le sujet nÕa pas le droit de venger une injustice de leur part, ils doivent savoir quÕils ont encore moins celui dÕen commettre ; parce quÕen qualit dÕhommes, le Souverain et le Sujet ont la mme Loi ; que lÕEtat politique ne change rien leur nature dÕEtres pensants ; quÕil nÕest quÕune charge de plus pour tous les deux, et que lÕun et lÕautre ne peuvent et ne doivent rien faire par eux-mmes ?
JÕai pens quÕil tait propos de faire cette formelle dclaration avant dÕentrer dans lÕexamen des Corps politiques, et je crois actuellement pouvoir suivre mon dessein sans inquitude, parce que tout dfectueux que paratraient les Gouvernements, je ne peux plus tre souponn de travailler leur ruine ; puisquÕau contraire tout ce que jÕaurais ambitionner, ce serait de leur faire goter les seuls moyens qui soient videmment propres leur bonheur et leur perfection.
De lÕinstabilit des gouvernements
En premier lieu, ce qui doit faire prsumer que la plupart des Gouvernements nÕont point eu pour base le principe que jÕai tabli ci-devant ; savoir, la rhabilitation des Souverains dans leur lumire primitive, cÕest que presque tous les Corps politiques qui ont exist sur la terre, ont pass.
Cette simple observation ne nous permet gure dÕtre persuads quÕils eussent un fondement rel, et que la Loi qui les avait constitus, ft la vritable ; car cette Loi dont je parle ayant, par sa nature, une force vivante et invincible, tout ce quÕelle aurait li devrait tre indissoluble, tant que ceux qui auraient t prposs pour en tre les ministres, ne lÕauraient pas abandonne.
Il faut donc, ou quÕelle ait t mconnue dans lÕorigine des Gouvernements dont il sÕagit, ou quÕelle ait t nglige dans les temps qui ont suivi leur institution, parce que sans cela ils subsisteraient encore.
Et certainement, ceci ne rpugne point lÕide que nous portons tous en nous, de la stabilit des effets dÕune pareille loi ; selon les notions de vrit qui sont dans lÕhomme, ce qui est ne passe point, et la dure est pour nous la preuve de la ralit des choses. Lors donc que les hommes se sont accoutums regarder les Gouvernements comme passagers et sujets aux vicissitudes, cÕest quÕils les ont mis au rang de toutes les institutions humaines, qui nÕayant que leurs caprices, et leur imagination drgle pour appui, peuvent vaciller dans leurs mains, et tre ananties par un autre caprice.
Nanmoins, et par une contradiction intolrable, ils ont exig notre respect pour ces sortes dÕtablissements dont eux-mmes reconnaissaient la caducit.
NÕest-il pas certain alors que dans leur aveuglement mme, le Principe leur parlait encore ; et quÕils sentaient que toutes vicieuses et toutes fragiles que fussent leurs Institutions sociales, elles en reprsentaient une qui ne devait avoir aucun de ces dfauts.
Ceci serait suffisant pour appuyer ce que jÕai avanc sur la Loi fixe qui doit prsider toute Association ; mais, sans doute, malgr lÕide que nous avons tous dÕune pareille Loi, on hsitera toujours y ajouter foi, parce quÕayant vu disparatre tous les Empires, il devient comme vident quÕils n peuvent pas tre durables, et on aura peine croire quÕil y en ait qui nÕaient point pass.
Des gouvernements stables
CÕest cependant une des vrits que je puisse le mieux affirmer, et je ne mÕavance point trop, en certifiant mes semblables, quÕil y a des Gouvernements qui se soutiennent depuis que lÕhomme est sur la terre, et qui subsisteront jusquÕ la fin du temps ; et cela, par les mmes raisons qui mÕont fait dire quÕici-bas il y avait toujours eu, et quÕil y aurait toujours des Gouvernements lgitimes.
Je nÕai donc point eu tort de faire entendre que si les Corps politiques qui ont disparu de dessus la terre, avaient t fonds sur un Principe vrai, ils seraient encore en vigueur ; que ceux qui subsistent aujourdÕhui, passeront infailliblement, sÕils nÕont un pareil principe pour base, et que sÕils sÕen taient carts, le meilleur moyen quÕils eussent de se soutenir, ce serait de sÕen rapprocher.
Par la dure dont jÕannonce quÕun Gouvernement est susceptible, il est clair que je nÕentends parler que dÕune dure temporelle, puisquÕils ne sont tablis que dans le temps. Mais quoiquÕils dussent finir avec les choses, ce serait toujours jouir de la plnitude de leur action, que de la porter jusquÕ ce terme, et cÕest l ce quÕils pourraient esprer, sÕils savaient sÕappuyer de leur principe.
Je ne mÕarrterai point citer pour preuve, cet orgueil avec lequel les Gouvernements vantent leur anciennet, ni les soins quÕils se donnent pour reculer leur origine, je ne rappellerai point non plus, les prcautions quÕils prennent pour leur conservation et pour leur dure, ni tous ces tablissements quÕils forment sans cesse, dans des vues loignes, et dont les fruits ne peuvent tre recueillis quÕaprs des sicles ; on voit que ce seraient l autant dÕindices secrets de la persuasion o ils sont quÕils devraient tre permanents.
Alors donc, je le rpte, ds que nous voyons sÕteindre un Etat, nous pouvons prsumer sans crainte, que sa naissance nÕa pas t lgitime, o que les Souverains qui lÕont gouvern successivement, nÕont pas tous cherch se conduire par la lumire de ce flambeau naturel que nous leur rappellerons comme devant tre le guide de lÕhomme et le leur.
Par la raison contraire, il ne serait pas encore temps de prononcer sur les Gouvernements actuels, si nous nÕavions que ce seul motif pour diriger nos jugements, parce que, tant que nous les verrions subsister, nous pourrions les supposer conformes au Principe qui devrait les constituer tous, et ce ne serait que leur destruction qui nous dcouvrirait sÕils sont dfectueux.
Mais il est dÕautres points de vue sous lesquels nous avons encore les considrer, et qui peuvent nous aider nous instruire de leurs dfauts et de leurs irrgularits.
De la diffrence des gouvernements
Le second vice que nous ne pouvons nous dissimuler dans les Gouvernements admis, cÕest quÕils sont diffrents les uns des autres : Or, si cÕtait un Principe vrai qui les et forms, ce Principe tant unique et toujours le mme, se serait manifest partout de la mme manire, et tous les Gouvernements quÕil aurait produit seraient semblables. Ainsi, ds quÕil y a de la disparit entre eux, nous ne pouvons plus admettre lÕUnit de leur Principe, et trs certainement il doit y en avoir parmi eux qui soient illgalement tablis.
Je ne mÕarrte point ces diffrences locales, qui tant amenes par les circonstances et par le cours continuel des choses, doivent journellement se faire sentir dans lÕadministration. Comme la marche de cette administration doit tre rgle elle-mme par le Principe constitutif universel, loin que les diffrences quÕelle admettra, selon les temps et les lieux, le puissent altrer, elles nous montreront bien plutt sa sagesse et sa fcondit.
Je ne dois donc compter dans ce moment-ci que les diffrences fondamentales, qui tiennent la constitution de lÕEtat.
De ce nombre sont les diffrentes formes de Gouvernement, dont je nÕenvisagerai que les deux principales, parce que les autres y tiennent plus ou moins ; savoir, celle o la suprme puissance est dans une seule main, et celle o elle est la fois dans plusieurs.
Si de ces deux sortes de Gouvernements lÕon suppose que lÕune est conforme au Principe, il est bien prsumer que lÕautre y est oppose ; car lÕune et lÕautre tant si diffrentes, ne peuvent pas raisonnablement avoir la mme base, ni la mme origine.
Je ne puis, par consquent, admettre cette opinion gnralement reue, qui dtermine la forme dÕun Gouvernement dÕaprs sa situation, son tendue et dÕautres considrations de cette nature, par lesquelles on prtend fixer lÕespce de Lgislation la plus convenable chaque Peuple ou chaque Contre.
Selon cette rgle, ce serait dans les Causes secondaires que se trouverait absolument la raison constitutive dÕun Etat, et cÕest ce qui rpugne entirement lÕide que jÕai dj donne de cette Cause ou de ce Principe constitutif. Car, comme Principe, il doit dominer partout, diriger tout. Etant lumineux, il peut, il est vrai, sÕaccommoder aux circonstances que je viens de citer, mais il ne doit jamais plier devant elles au point de se dnaturer, et de produire des effets contradictoires. En un mot, ce serait renouveler lÕerreur que nous avons dvoile en parlant de la Religion ; cÕest--dire, que ce serait chercher dans lÕaction et les Lois des choses sensibles, la source dÕun Principe vrai, pendant que ce sont elles qui lÕloignent et qui le dfigurent. Ainsi je persiste soutenir que des deux formes de Gouvernements, dont je viens de parler, il y en a ncessairement une qui doit tre vicieuse.
Du gouvernement dÕun seul
Si lÕon me pressait absolument de me dcider sur celle qui mrite la prfrence, quoique mon plan soit plutt de poser les Principes, que de donner mon avis, je ne pourrais me dispenser dÕavouer que le gouvernement dÕun seul est, sans contredit, le plus naturel, le plus simple et le plus analogue aux vritables Lois, que jÕai exposes prcdemment comme tant essentielles lÕhomme.
CÕest en effet, dans lui-mme et dans le flambeau qui lÕaccompagne, que lÕhomme doit puiser ses conseils et toutes ses lumires ; si cet homme est Roi, ses devoirs comme homme, ne changent pas, ils ne font que sÕtendre. Ainsi, dans ce rang lev, ayant toujours la mme Ïuvre faire, il a aussi toujours les mmes secours esprer.
Ce nÕest donc point dans les autres Membres de son Etat, quÕil doit chercher ses guides, et sÕil est homme, il saura se suffire lui-mme. Toutes les mains qui seront ncessairement employes dans lÕAdministration, quoiquÕtant lÕimage du Chef, chacune dans leur classe, nÕauront pour objet que de le seconder, et nullement de lÕinstruire et de lÕclairer, puisque nous avons reconnu en lui la source des immenses pouvoirs qui se rpandent dans tout son Empire.
Donc, si nous concevons quÕun homme puisse runir en lui ces privilges, il serait trs inutile quÕil y et la fois plusieurs hommes la tte dÕun Gouvernement, puisquÕun seul peut alors la mme chose que tous les autres.
Ainsi, quelques avantages quÕon voult trouver dans le Gouvernement de plusieurs, je ne pourrais regarder cette forme comme la plus parfaite, parce quÕil y aurait un dfaut qui serait la superfluit, et que dans lÕide que nous portons en nous dÕun Gouvernement vrai, il ne doit point sÕy trouver de dfauts.
Cependant, quoique je donne la prfrence au Gouvernement dÕun seul, je ne dcide point encore que tous ceux qui ont cette forme soient vrais, selon toute la rgularit du principe. Car enfin, mme parmi les Gouvernements dÕun seul, il se trouve encore des diffrences infinies.
Dans les uns, le Chef nÕa presque aucune autorit ; dans les autres, il en a une absolue ; dans dÕautres, il tient le milieu entre la dpendance et le despotisme ; rien nÕest fixe, rien nÕest stable en ce genre. CÕest pour cela quÕil est trs probable, que ce nÕest pas encore par cette Loi invariable, dont nous nous occupons, quÕont t dirigs tous les Gouvernements o la puissance est dans une seule main, et quÕainsi nous ne devons pas les adopter tous.
De la rivalit des gouvernements
Mais le troisime, et en mme temps le plus puissant motif, qui doit nous tenir en suspens sur la lgitimit de toutes les Institutions sociales de la Terre, tant celles o il nÕy a quÕun Chef, que celles qui en ont plusieurs, cÕest quÕelles sont universellement ennemies les unes des autres ; or, trs certainement cette inimiti nÕaurait pas lieu, si le mme Principe et prsid toutes ces Associations, et quÕil en diriget continuellement la marche. Car lÕobjet de ce Principe tant lÕordre, tant en gnral, quÕen particulier, tous les tablissements auxquels il aurait prsid, nÕauraient eu sans doute que ce mme but ; et loin que ce but et t de sÕenvahir les uns et les autres, il et t, au contraire, de se soutenir mutuellement contre le vice naturel et commun qui prpare sans cesse leur destruction.
Lors donc que je les vois employer rciproquement leurs forces les uns contre les autres, et sÕcarter si grossirement de leur objet, je dois prsumer, sans crainte, que dans le nombre de ces Gouvernements, il ne se peut quÕil nÕy en ait dÕirrguliers et de vicieux.
Du droit de la guerre
Les Politiques, je le sais, emploient tous leurs efforts pour pallier cette difformit. Ils considrent les Instructions sociales comme formes lÕinstar des ouvrages de la Nature ; ensuite oubliant que surtout entre leurs mains, la copie ne peut jamais tre gale son modle, ils transportent et attribuent ces Corps factices la mme vie, la mme facult et les mmes pouvoirs que ceux dont les Etres corporels de la Nature sont revtus, ils leur prtent la mme activit, Ta mme force, le mme droit de se conserver, et par consquent, celui de repousser galement les attaques, et de combattre leurs ennemis.
CÕest par l quÕils justifient la guerre entre les Nations, et la multitude des Lois tablies pour la sret, tant intrieure quÕextrieure des Etats.
Mais les Lgislateurs eux-mmes ne peuvent pas se dissimuler la faiblesse et la dfectuosit des moyens quÕils emploient pour le maintien de ces droits, et pour la conservation des Corps politiques ; ils voient videmment que si le Principe actif quÕils supposent dans leur Ouvrage, tait vivant, il animerait sans violence, et conserverait sans dtruire, ainsi que le Principe actif des Corps naturels.
Des vrais ennemis de lÕHomme
Or, ds quÕil arrive absolument tout le contraire, ds que les Lois quelconques des Gouvernements nÕont de force que pour anantir, et quÕelles ne crent rien, le Chef ne trouve plus une vritable puissance dans lÕinstrument dont il se sert, et il ne peut se nier lui-mme, que le Principe qui lui a fait composer sa Loi, ne lÕait tromp.
Alors, je demande quelle peut tre cette erreur, si ce nÕest de sÕtre abus lui-mme sur le genre de combat quÕil avait faire ; dÕavoir eu la faiblesse de croire que ses ennemis taient des hommes, et formaient les Corps politiques ; quÕainsi cÕtait contre ces Corps, quÕil devait tourner toutes ses forces et toute sa vigilance. Or, comme cette ide est une des plus funestes suites des tnbres o lÕhomme est plong, il nÕest pas tonnant que les droits quÕelle a fait tablir soient galement faux, et ds lors quÕils ne puissent rien produire.
On ne doit point tre surpris de me voir annoncer que lÕhomme ne peut avoir les hommes pour ses vritables ennemis ; et que par la Loi de sa nature, il nÕa vraiment rien craindre de leur part ; parce quÕen effet, comme on a reconnu quÕils ne sauraient par eux-mmes, devenir Suprieurs les uns des autres, et quÕils sont tous dans la mme faiblesse et la mme privation, il est certain que dans cet tat, ils nÕont aucun avantage rel sur leur semblable ; et sÕils essayaient de faire usage contre lui des avantages corporels qui seraient en eux, comme lÕadresse, lÕagilit ou la force, celui qui serait lÕobjet de leurs attaques, parviendrait sans doute sÕen prserver, en se laissant conduire par la Loi premire et universelle, que jÕai prsente chaque instant dans cet Ouvrage, comme tant le guide indispensable de lÕhomme.
Si, au contraire, cÕtait en vertu des facults de cette mme loi, et par la puissance du Principe qui lÕa prescrite, que lÕhomme trouvt rellement des Suprieurs ; comme ceux qui auraient ces pouvoirs ne les emploieraient que pour son propre bien et pour son vrai bonheur, il est clair quÕil nÕaurait rien craindre de leur part, et quÕil aurait tort de les regarder comme ses ennemis.
Des trois vices des gouvernements
CÕest donc par faiblesse et par ignorance, que lÕhomme est timide avec ses semblables ; cÕest pour avoir mal saisi le but de son origine, et lÕobjet de sa destination sur la Terre ; et si, comme nous lÕavons observ, lÕon voit, entre les diffrents Gouvernements, une jalouse et avide inimiti, nous devons croire que cette erreur nÕa pas eu une autre source, ni un autre principe, et que par consquent, la lumire qui a prsid leur association nÕa pas tous les droits quÕelle aurait notre confiance, si elle et t aussi pure quÕelle aurait d lÕtre.
Indpendamment des vices dÕadministration dont nous parlerons ensuite, nous observerons donc ici trois vices essentiels, savoir, lÕinstabilit, la disparit et la haine, qui se montrent clairement parmi les Gouvernements reus, considrs en eux-mmes et dans leurs rapports respectifs ; sur cela seul, je serais en droit dÕassurer que ces associations se sont formes par la main de lÕhomme, et sans le secours de la Loi suprieure qui doit leur donner la sanction, et que cette sanction ayant t nglige, les Gouvernements, qui ne peuvent tous se soutenir que par elle, ont dgnr de leur premier tat.
Mais comme je me suis impos la Loi de ne prononcer sur aucun, je ne porterai point encore ici mon Jugement, dÕautant que chacun de ces Gouvernements pourrait trouver des objections faire pour se dfendre de lÕinculpation. Si ceux qui se sont teints ont t faux, ceux qui subsistent peuvent ne pas lÕtre ; si parmi ceux-ci jÕai remarqu une diffrence presque universelle, dÕo jÕai conclu quÕil y en avait ncessairement de mauvais, je nÕai condamn, et mme encore en gnral, que le Gouvernement de plusieurs, ainsi les Gouvernements dÕun seul nÕont point t compris dans ce jugement.
De lÕadministration
Enfin, si je trouve mme entre les Gouvernements dÕun seul, une haine marque, ou pour parler plus dcemment, une rivalit gnrale, chacun dÕeux pourrait opposer quÕil est dpositaire de ces droits rels qui devraient prsider toute socit, et alors quÕil est de son devoir de se tenir en garde contre les autres Etats.
Ce sont toutes ces raisons runies, qui mÕempcheront toujours de donner mon sentiment sur aucun des Corps Politiques actuels ; mais, comme mon dessein est en mme temps, de les mettre tous dans le cas de pouvoir se juger eux-mmes ; je vais leur offrir dÕautres observations qui les aideront diriger leurs jugements sur ce quÕils sont et sur ce quÕils devraient tre.
CÕest sur leur administration que je vais actuellement jeter la vue, parce que pour quÕun Gouvernement soit conforme au Principe vrai, son administration doit se conduire par des Lois certaines et dictes par la vraie Justice ; si au contraire, elle se trouve injuste et fausse, ce sera aux Gouvernements qui lÕemploient, en tirer les consquences sur la lgitimit du Principe et du mobile auxquels ils doivent leur naissance.
Du droit public
LÕAdministration des Corps politiques a deux choses principales rgler ; premirement les droits de lÕEtat et de chacun des membres, ce qui fait lÕobjet du Droit public et de la Justice civile ; secondement, elle a veiller la sret de la Socit tant gnrale que particulire, ce qui fait lÕobjet de la Guerre, de la Police et de la Justice criminelle. Chacune de ces branches ayant des Lois pour se diriger, il ne faut pour nous assurer de leur justesse, quÕexaminer si ces Lois manent directement du Principe vrai, ou si elles sont tablies par lÕhomme seul et priv de son guide. Commenons par le Droit public.
Je nÕen examinerai quÕun seul article, parce quÕil suffira pour indiquer lÕobscurit o cette partie de lÕAdministration est encore plonge ; cÕest celui des changes que les Souverains font souvent entre eux, de diffrentes parties de leurs Etats, selon leur convenance.
Des changes et des usurpations
Je demande, en effet, si aprs quÕun Sujet a prt, ou est cens avoir prt serment de fidlit un Souverain, celui-ci a le droit de lÕen dlier, et cela mme malgr tous les avantages qui peuvent en rsulter pour lÕEtat. LÕusage o sont les Souverains de ne pas prendre lÕaveu des Habitants des contres quÕils changent, nÕannonce-t-il pas que lÕancien serment nÕa pas t libre, et que le nouveau ne le sera pas davantage. Or, cette conduite peut-elle jamais tre conforme aux ides que les Lgislateurs eux-mmes veulent nous donner dÕun Gouvernement lgitime ?
Dans celui dont jÕai annonc la Vrit et lÕExistence indestructible, ces changes sont galement en usage, et ceux qui se pratiquent parmi les Gouvernements reus, nÕen sont que lÕimage, parce que lÕhomme ne peut rien inventer ; mais les formalits en sont diffrentes, et dictes par des motifs qui en rendent tous les actes quitables ; cÕest--dire, que lÕchange y est libre et volontaire de part et dÕautre, quÕon nÕy regarde pas les hommes comme attachs au sol, et faisant partie du domaine ; en un mot, quÕon ne confond pas leur nature avec celle des possessions temporelles.
De la loi civile
Je nÕose parler ici de ces illustres usurpations par lesquelles les diffrents Gouvernements prtendent acqurir un droit de proprit sur des Nations paisibles et ignores, ou mme sur des Contres voisines et sans dfense, par cela seul quÕils manifestent contre elles leur force et leur cupidit. Il est vrai que tout se faisant par raction dans lÕUnivers, la Justice a souvent laiss armer des Peuples pour la punition des Peuples criminels, mais en servant rciproquement de Ministres sa vengeance, ils nÕont fait quÕaugmenter leurs propres crimes et leur propre souillure, et ces horribles envahissements dont nous avons sous les yeux tant dÕaffreux exemples, ont peut-tre t moins funestes ceux qui en ont t les victimes, quÕ ceux qui les ont oprs. Venons lÕexamen de la Loi civile.
Je suppose tous les droits de proprit tablis, je suppose le partage de la terre fait lgitimement parmi les hommes, ainsi quÕil a eu lieu dans lÕorigine, par des moyens que lÕignorance ferait regarder aujourdÕhui comme imaginaires. Alors, quand lÕavarice, la mauvaise foi, lÕincertitude mme viendront produire des contestations, qui pourra les terminer ? Qui pourra assurer des droits menacs par lÕinjustice, et rhabiliter ceux qui auraient dpri ? Qui pourra suivre la filiation des hritages et des mutations depuis le premier partage jusquÕau moment de la contestation ? Et cependant, comment remdier tant de difficults, sans avoir la connaissance vidente de la lgitimit de ces droits, et sans pouvoir coup sr dsigner le vritable propritaire ? Comment juger sans avoir cette certitude, et comment oser prononcer sans tre sr que lÕon ne couronne pas une usurpation ?
De la prescription
Or, personne nÕosera nier que cette incertitude ne soit comme universelle, dÕo nous conclurons hardiment que la Justice civile est souvent imprudente dans ses dcisions.
Mais voici o elle est bien plus condamnable encore, et o elle montre dcouvert sa tmrit ; cÕest lorsque dans lÕextrme embarras o elle se trouve frquemment, de reconnatre lÕorigine des diffrents droits et des diffrentes proprits, elle fixe une borne ses recherches, en assignant un temps pendant lequel toute possession paisible devient lgitime, ce quÕelle appelle Prescription ; car je demande, dans le cas o la possession serait mal acquise, sÕil est un temps qui puisse effacer une injustice.
Il est donc vident que la Loi civile agit dÕelle-mme en ce moment, il est vident que cÕest elle qui cre la Justice, pendant quÕelle ne doit que lÕexcuter, et quÕelle rpte par l cette erreur universelle par laquelle lÕhomme confond toujours les choses avec leur Principe.
Il suffirait peut-tre de me borner ce seul exemple sur la Justice civile, quoiquÕelle pt mÕen offrir plusieurs autres qui dposeraient galement contre elle, tels que ces varits, ces contradictions o elle est expose tous les pas, et qui lÕobligent se dsavouer elle-mme dans mille occasions.
De lÕadultre
JÕajouterai seulement quÕil est une circonstance o elle dcouvre tout fait son imprudence et son aveuglement, et o le principe de Justice qui devrait toujours diriger sa marche, est bless bien plus grivement que lorsquÕelle porte des jugements hasards sur de simples possessions. CÕest lorsque pour dÕautres causes que pour lÕadultre, elle prononce la sparation des personnes lies par le mariage. En effet, lÕadultre est le seul motif sur lequel elle puisse lgitimement dsunir les poux, parce que cÕest la seule contravention qui blesse directement lÕalliance, et que par cela seul elle est rompue, puisque cÕtait sur cette union sans partage quÕelle tait fonde. Ainsi lorsque la Loi civile se laisse guider par dÕautres considrations, elle annonce, sans aucun doute, quÕelle nÕa pas la premire ide dÕun pareil engagement.
Je ne peux donc me dispenser dÕavouer combien la marche de la Loi civile est dfectueuse, tant dans ce qui regarde la personne des membres de la Socit, que dans ce qui regarde tous leurs droits de proprit ; ce qui mÕempche absolument de regarder cette Loi comme conforme au Principe qui devrait avoir dirig lÕassociation, et me force reconnatre ici la main de lÕhomme au lieu de cette main suprieure et claire qui devrait tout faire en sa place.
Je mÕen tiendrai l sur la premire partie de lÕAdministration des Corps politiques, mais avant de passer la seconde, je crois propos de dire un mot sur lÕadultre que nous avons annonc comme tant la seule cause lgitime de la dissolution des Mariages.
LÕadultre est le crime du premier homme, quoiquÕavant quÕil le commt, il nÕy et point de femmes. Depuis quÕil y en a, lÕcueil qui le conduisit son premier crime, subsiste toujours, et en outre les hommes sont exposs lÕAdultre de la chair. De faon que ce dernier Adultre ne peut avoir lieu sans tre prcd du premier.
Ce que je dis deviendra sensible, si lÕon conoit que le premier Adultre ne sÕest commis que parce que lÕhomme sÕest cart de la Loi qui lui avait t prescrite, et quÕil en a suivi une toute oppose ; or, lÕAdultre corporel rpte absolument la mme chose, puisque le Mariage, pouvant tre dirig par une Loi pure, ne doit pas tre lÕouvrage de lÕhomme plus que ses autres actions ; puisque cet homme ne devant pas avoir form lui-mme son lien, nÕa pas en lui le droit de le pouvoir rompre ; puisquÕenfin se livrer lÕAdultre, cÕest rvoquer de sa propre autorit la volont de la Cause universelle temporelle, qui est cense avoir conclu lÕengagement, et en couter une quÕelle nÕa point approuve. Ainsi, la volont de lÕhomme prcdant toujours ses actions, il ne peut sÕoublier dans ses actes corporels, sans sÕtre auparavant oubli dans sa volont, de faon quÕen se livrant aujourdÕhui lÕAdultre de la chair, au lieu dÕun crime, il en commet deux.
Si celui qui lira ceci, est intelligent, il pourra bien dmler dans lÕadultre de la chair, quelques indices plus clairs que lÕadultre commis par lÕhomme avant quÕil ft soumis la Loi des lments. Mais autant je dsire quÕon y parvienne, autant mes obligations mÕinterdisent le moindre claircissement sur ce point ; et dÕailleurs pour mon propre bien, jÕaime mieux rougir du crime de lÕhomme, que dÕen parler.
Tout ce que jÕai dire, cÕest que sÕil est quelques hommes qui lÕadultre ait paru indiffrent, ce nÕest srement quÕ ceux qui ont t assez aveugles pour tre Matrialistes. Car en effet, si lÕhomme nÕavait que des sens, il nÕy aurait point dÕadultre pour lui, puisque la Loi des sens nÕtant pas fixe, mais relative, tout pour eux doit tre gal. Mais, comme il a de plus une facult qui doit mesurer mme les actions de ses sens, facult qui se fait connatre jusque dans le choix et la dlicatesse dont il assaisonne ses plaisirs corrompus, on voit si lÕhomme peut de bonne foi se persuader lÕindiffrence de pareils actes.
Ainsi, loin dÕadopter cette opinion dprave, jÕemploierai tous mes efforts pour la combattre. JÕassurerai hautement que le premier adultre a t la cause de la privation et de lÕignorance o lÕhomme est .encore plong, et que cÕest l ce qui a chang son tat de lumire et de splendeur en un tat de tnbres et dÕignominie.
Le second adultre, outre quÕil rend encore plus rigoureux le premier Arrt, expose lÕhomme temporellement des dsordres inexprimables, des souffrances cruelles, et des malheurs dont il ignore souvent la principale source, et quÕil est bien loign de souponner si prs de lui ; ce qui nÕempche pas cependant quÕils ne puissent avoir une multitude dÕautres causes.
CÕest encore dans cet adultre corporel que lÕhomme pourrait aisment se former lÕide des maux quÕil prpare aux fruits de ses crimes, en rflchissant que cette Cause temporelle universelle, ou cette volont suprieure ne prside pas des assemblages quÕelle nÕa pas approuvs, ni plus forte raison ceux quÕelle condamne ; que si sa prsence est ncessaire tout ce qui existe temporellement, soit sensible, soit intellectuel, lÕhomme destitue sa postrit de ce soutien, quand il lÕengendre dÕaprs une volont illgitime ; et que par consquent, il expose cette postrit des ptiments inous, et au dprissement terrible de toutes les facults de son Etre.
Des espces dÕhommes irrgulires
Mais ce serait dans les divers adultres originels, que les hommes avides de Sciences trouveraient lÕexplication de toutes ces peuplades abtardies, de toutes ces Nations dont lÕespce est si bizarrement construite, ainsi que de toutes ces gnrations monstrueuses, et mal colores dont la Terre est couverte, et qui les Observateurs cherchent en vain une classe dans lÕordre des Ouvrages rguliers de la Nature.
QuÕon ne mÕobjecte pas ces beauts arbitraires, fruit de lÕhabitude, qui sont admises dans les diverses contres : ce ne sont que les sens qui les jugent, et les sens sÕaccoutument tout. Il y a trs certainement pour lÕespce humaine une rgularit fixe et indpendante de la convention et du caprice des Peuples ; car le corps de lÕhomme a t constitu par un nombre. Il y a aussi une Loi pour sa couleur, et elle nous est assez clairement indique par lÕarrangement et lÕordre des Elments dans la composition de tous les corps, o lÕon voit toujours le sel la surface. CÕest pour cela que les diffrences du climat et celles que la manire de vivre oprent souvent, tant sur la forme que sur la couleur du corps, ne dtruisent point le principe qui vient dÕtre tabli ; car la rgularit de la stature des hommes, ne consiste pas dans lÕgalit de leur grandeur rciproque, mais dans la juste proportion de toutes leurs parties.
De la pudeur
De mme, quoiquÕil y ait des nuances dans leur vraie couleur, cependant il y a un degr quÕelles ne peuvent jamais passer, parce que les Elments ne sauraient changer de place, sans une action contraire celle qui leur est naturelle.
Ainsi, attribuons sans crainte aux drglements des Anctres des Nations, tous ces signes corporels, qui sont un indice frappant dÕune souillure originelle ; attribuons la mme source, lÕabrutissement o des Peuples entiers sont tellement plongs quÕils ont perdu tout sentiment de pudeur et de honte, et que non seulement ils nÕinterdisent pas lÕadultre, mais que mme ils sont si peu choqus des nudits, que pour quelques-uns dÕentre eux, lÕacte de la gnration corporelle est devenu une crmonie publique et religieuse. Ceux qui dÕaprs ces observations ont jug que le sentiment de la pudeur nÕtait point naturel aux hommes, nÕont pas fait attention quÕils prenaient leurs exemples parmi des Peuples abtardis ; ils nÕont pas vu que ceux qui montrent le moins de rpugnance et de dlicatesse cet gard, sont aussi les plus abandonns la vie des sens, et si peu avancs dans la jouissance et lÕusage de leurs facults intellectuelles, quÕils ne diffrent presque plus des btes que par quelques vestiges de Lois qui leur ont t transmises, et quÕils conservent par habitude et par imitation.
Lorsque les Observateurs ont voulu, au contraire, prendre leurs exemples dans les socits polices, o le respect du lien conjugal et la pudeur ne sont presque jamais que lÕeffet de lÕducation, ils se sont encore tromps dans leurs jugements, parce que ces Socits nÕclairant pas lÕhomme sur les droits de sa vritable nature, y supplent par des instructions et des sentiments factices, que le temps, les lieux, le genre de vie, font disparatre ; aussi, en tant de ces Socits polices, les dehors de dcence reue, ou une attache plus ou moins forte aux principes de la premire ducation, on nÕy trouverait peut-tre pas rellement plus de pudeur que parmi les Nations les plus grossires ; mais cela ne prouvera jamais rien contre la vraie Loi de lÕhomme, parce que dans ces deux exemples, les Peuples dont il est question en sont galement loigns, les uns par dfaut de culture et les autres par dpravation ; en sorte quÕaucun dÕeux ne sont dans leur tat naturel.
Des deux lois naturelles
Pour rsoudre la difficult, il fallait donc remonter jusquÕ cet tat naturel de lÕhomme ; alors on aurait vu que la forme corporelle tant lÕEtre le plus disproportionn avec lÕhomme intellectuel, lui offrait le spectacle le plus humiliant ; et que sÕil connaissait le Principe de cette forme, il ne pourrait la considrer sans rougir, quoique cependant chacune des parties de ce mme corps ayant un but et un emploi diffrent, elles ne fussent pas toutes propres lui inspirer la mme horreur. On y aurait vu, dis-je, que cet homme aurait frmi la seule ide dÕadultre, en ce quÕelle lui aurait retrac le souvenir affreux et dsesprant de ce premier adultre, dÕo sont dcouls tous ses malheurs. Mais comment les Observateurs auraient-ils considr lÕhomme dans son Principe ? Ils ne lui en connaissaient aucun ; alors quelle confiance pourrions-nous donc ajouter leurs opinions ?
NÕoublions donc jamais que toutes les difformits et tous les vices que les diffrentes Nations montrent, soit dans leurs corps, soit dans leur Etre pensant, viennent de ce que leurs Anctres nÕavaient pas suivi leur Loi naturelle, ou quÕelles-mmes sÕen sont cartes : et que les Matrialistes ne me croient pas prsent dÕaccord avec eux, en mÕentendant parler ici dÕune Loi naturelle pour lÕhomme ; je veux, comme eux, quÕil suive sa Loi naturelle, mais nous diffrons, en ce quÕils veulent quÕil suive la Loi naturelle de la bte, et moi celle qui lÕen distingue, cÕest--dire, celle qui claire et assure tous ses pas, celle, en un mot, qui tient au flambeau mme de la Vrit.
Des deux adultres
NÕoublions pas, je le rpte, que le second crime de lÕhomme ou lÕadultre corporel, ne prend sa source que dans le premier adultre, ou celui de la volont, par lequel lÕhomme a suivi dans son Ïuvre une Loi corrompue, au lieu de la Loi pure qui lui tait impose. Car, si lÕhomme peut commettre aujourdÕhui lÕadultre avec la femme, il peut encore plus, comme dans lÕorigine, commettre un adultre sans la femme, cÕest--dire, un adultre intellectuel puisquÕaprs la premire cause temporelle, rien dans le temps nÕest plus puissant que la volont de lÕhomme, et puisquÕelle a des pouvoirs, lors mme quÕelle est impure et criminelle, en similitude du Principe qui sÕest fait mauvais.
Que lÕon examine ensuite, si lÕhomme qui se trouverait tre lÕauteur de tous les dsordres que nous venons dÕexposer, devrait jamais tre heureux et en paix, et sÕil pourrait se cacher lui-mme quÕil doit encore plus de tributs la Justice, que sa malheureuse postrit.
Ceux qui croiraient remdier tous ces maux en rendant nuls les rsultats de leurs crimes, ne prtendront jamais de bonne foi, faire adopter cette opinion dprave, et ils ne peuvent douter, au contraire, que ce ne soit tourner contre eux le flau tout entier, tandis que leur postrit lÕaurait pu partager avec eux. En outre, cÕest donner ce mme flau une extension sans mesure, puisque par cet Acte criminel, joint aux adultres corporel et intellectuel, de toutes les Lois qui forment lÕEssence de lÕhomme, il nÕy en a pas une qui ne soit viole.
Je ne pourrais sans indiscrtion mÕtendre davantage sur cet objet : les Vrits profondes ne conviennent pas tous les yeux ; mais, quoique je nÕexpose pas aux hommes la Raison premire de toutes les Lois de la Sagesse, ils nÕen sont pas moins tenus de les observer, parce quÕelles sont sensibles, et que lÕhomme peut connatre tout ce qui est sensible. De plus, quoiquÕil soit aussi reu parmi eux que la Gnration est un mystre, il nÕen est pas moins vrai quÕelle a dans lÕhomme une Loi et un ordre inconnus la brute, et que les droits qui y sont attachs sont les plus beaux tmoignages de sa grandeur, comme aussi la source de sa condamnation et de sa misre.
De lÕadministration criminelle
Laissons nos lecteurs mditer sur ce point, et passons la seconde partie de lÕAdministration sociale, savoir, celle qui veille la sret extrieure et intrieure de lÕEtat.
Nous avons vu que cette seconde partie ayant deux objets, avait aussi deux sortes de Lois pour se diriger ; les premires charges de veiller au-dehors, forment des Lois de la guerre, et les droits politiques des Nations. Mais, comme jÕai fait voir que la manire dÕtre des Peuples, et lÕhabitude o ils sont de se considrer respectivement comme ennemis, taient fausses, je ne peux pas avoir plus de confiance dans les Lois quÕils se sont faites sur ces objets.
On sera facilement dÕaccord avec moi, si lÕon examine ces incertitudes continuelles, o lÕon voit errer les Politiques qui veulent chercher parmi les choses humaines, une base leurs tablissements. Comme ils ne connaissent pour principe des Gouvernements que la force ou la convention ; comme ils ne tendent quÕ se passer de leur unique point dÕappui ; comme ils veulent ouvrir, et que cependant ils sÕobstinent ne vouloir point se servir de la seule clef avec laquelle ils pourraient y parvenir, leurs recherches restent absolument sans fruits. CÕest pour cela que je ne mÕtendrai pas au-del de ce que jÕai dj dit sur ce sujet.
Du droit de punir
Ce ne sera donc que sur la seconde espce de Lois, ou sur celles qui sÕoccupent de la sret intrieure de lÕEtat, que se dirigeront mes observations, cÕest--dire, sur cette partie de lÕAdministration qui concerne la Police et les Lois criminelles ; je runis mme ces deux branches sous un seul point de vue, parce que, malgr la diffrence des objets quÕelles embrassent, elles ont chacune pour but le maintien de lÕordre, et la rparation des dlits ; ce qui leur donne lÕune et lÕautre la mme origine, et les fait galement driver du droit de punir.
Mais dans lÕexamen que jÕen vais faire, mon dessein sera toujours le mme que dans tout le cours de cet Ouvrage, et je continuerai de chercher dans tout, si les choses sont ou non conformes leur Principe, afin que chacun en tire les consquences, et sÕinstruise par lui-mme, plutt que par mes propres Jugements.
JÕexaminerai donc ici dans quelle main le droit de punir doit principalement rsider, et ensuite de quelle manire celui qui en sera revtu devra lgitimement y procder ; car, sans tous ces claircissements, ce serait tre trangement tmraire que de prendre le glaive, puisquÕil pourrait galement tomber sur lÕinnocent et sur le coupable, et que quand mme il nÕy aurait pas cet inconvnient craindre, et quÕil ft possible que les coups ne tombassent jamais que sur des criminels, il resterait encore incertain de savoir si celui qui frappe en a le droit.
SÕil est un Principe suprieur, unique et universellement bon, comme tous mes efforts ont tendu jusquÕ prsent lÕtablir ; sÕil est un Principe mauvais dont jÕai aussi dmontr lÕexistence, qui travaille sans cesse sÕopposer lÕaction de ce Principe bon, il est comme invitable que dans cette classe intellectuelle, il nÕy ait des crimes.
Or, la Justice tant un des attributs essentiels de ce Principe bon, les crimes ne peuvent soutenir un seul instant sa prsence, et la peine en est aussi prompte quÕindispensable ; cÕest l ce qui prouve la ncessit absolue de punir, dans ce Principe bon.
LÕhomme, dans sa premire origine, prouva physiquement cette Vrit, et il fut solennellement revtu de ce droit de punir ; cÕest mme l ce qui faisait sa ressemblance avec son Principe ; et cÕest aussi en vertu de cette ressemblance que sa Justice tait exacte et sre ; que ses droits taient rels, clairs, et nÕauraient jamais t altrs, sÕil avait voulu les conserver ; cÕest alors, dis-je, quÕil avait vritablement le droit de vie et de mort sur les malfaiteurs de son Empire.
Mais rappelons-nous bien que ce nÕtait point sur ses semblables quÕil aurait pu lÕexercer, parce que, dans la Rgion quÕil habitait alors, il ne peut y avoir de Sujets parmi des Etres semblables.
Du droit de vie et de mort
LorsquÕen dgnrant de cet tat glorieux, il a t prcipit dans lÕtat de nature, dÕo rsulte lÕtat de Socit, et bientt celui de corruption, il sÕest trouv dans un nouvel ordre de choses, o il a eu craindre et punir de nouveaux crimes. Mais, de mme quÕaucun homme dans lÕtat actuel, ne peut avoir une juste autorit sur ses semblables, sans avoir par ses efforts retrouv les facults quÕil a perdues ; de mme, quelque soit cette autorit, elle ne peut faire dcouvrir en lui le droit de punir corporellement ses semblables, ni le droit de vie et de mort sur des hommes ; puisque ce droit de vie et de mort corporelle, il ne lÕavait pas mme pendant sa gloire, sur les Sujets soumis sa domination.
Il faudrait pour cela, que par sa chute, son empire se ft tendu, et quÕil et acquis de nouveaux Sujets. Mais, loin quÕil en ait augment le nombre, nous voyons au contraire, quÕil a perdu lÕautorit quÕil avait sur les anciens ; nous voyons mme que la seule espce de supriorit quÕil puisse acqurir sur ses semblables, cÕest celle de les redresser, quand ils sÕgarent ; de les arrter, quand ils se livrent au crime, ou bien plutt celle de les soutenir, en les rapprochant, par son exemple et par ses vertus, de lÕtat dont ils nÕont plus la jouissance ; et non celle de pouvoir par lui-mme, exercer sur eux un empire que leur propre nature dsavoue.
Source du droit de punir
Ce serait donc en vain que nous chercherions aujourdÕhui en lui, les titres dÕun Lgislateur et dÕun Juge. Cependant, selon les Lois de la Vrit, rien ne doit rester impuni, et il est invitable que la Justice nÕait universellement son cours, avec lÕexactitude la plus prcise, tant dans lÕtat sensible, que dans lÕtat intellectuel. Alors si lÕhomme par sa chute, loin dÕacqurir de nouveaux droits, sÕest laiss dpouiller de ceux quÕil avait, il faut absolument trouver ailleurs que dans lui, ceux dont il a besoin pour se conduire dans cet tat social auquel il est prsent li.
Et, o pourrons-nous mieux les dcouvrir que dans cette mme Cause temporelle et physique qui a pris la place de lÕhomme, par ordre du premier Principe ? NÕest-ce pas elle, en effet, qui a t substitue au rang que lÕhomme a perdu par sa faute, nÕest-ce pas elle dont la destination et lÕemploi ont t dÕempcher que lÕennemi ne demeurt matre de lÕEmpire dont lÕhomme avait t chass ? En un mot, nÕest-ce pas elle qui est prpose pour servir de fanal lÕhomme, et pour lÕclairer dans tous ses pas ?
CÕest donc par elle seule que doit sÕoprer aujourdÕhui, et lÕÏuvre que lÕhomme avait faire anciennement, et celui quÕil sÕest impos lui-mme, en venant habiter un lieu qui nÕavait pas t cr pour lui.
Voil ce qui peut seul expliquer et justifier la marche des Lois criminelles de lÕhomme. La socit o il vit ncessairement et laquelle il est destin, fait natre des crimes ; il nÕa en lui ni le droit, ni la force de les arrter ; il faut donc absolument que quelquÕautre cause le fasse pour lui, car les droits de la Justice sont irrvocables.
Cependant, cette Cause tant au-dessus des choses sensibles, quoiquÕelle les dirige et quÕelle y prside ; et les punitions de lÕhomme en socit devant tre sensibles comme le sont ses crimes, il faut quÕelle emploie des moyens sensibles pour manifester ses dcisions, de mme que pour faire excuter ses jugements.
CÕest la voix de lÕhomme quÕelle emploie pour cette fonction, quand toutefois il sÕen est rendu digne ; cÕest lui quÕelle charge dÕannoncer la Justice ses semblables, et de la leur faire observer. Ainsi, loin que lÕhomme soit par son essence le dpositaire du glaive vengeur des crimes, ses fonctions mmes annoncent que ce droit de punir rside dans une autre main dont il ne doit tre que lÕorgane.
On voit aussi quels avantages infinis rsulteraient pour le Juge qui aurait obtenu dÕtre vraiment lÕorgane de cette Cause intelligente, temporelle, universelle ; il trouverait en elle une lumire sre qui lui ferait discerner sans erreur lÕinnocent dÕavec le coupable ; par l il serait couvert des injustices, il serait sr de mesurer les peines aux dlits, et de ne pas se charger lui-mme de crimes, en travaillant rparer ceux des autres hommes.
Cet inestimable avantage, quelquÕinconnu quÕil soit parmi les hommes en gnral, nÕoffre cependant rien qui doive tonner, ni qui surpasse tous ceux dont jÕai fait voir jusquÕ prsent, que lÕhomme tait susceptible ; ils proviennent tous des facults de cette Cause active et intelligente, destine tablir lÕordre dans lÕUnivers, parmi tous les tres des deux natures ; et si par son moyen, lÕhomme peut sÕassurer de la ncessit, et de la vrit de sa Religion et de son culte ; sÕil peut acqurir des droits incontestables qui lÕlvent et qui lÕtablissent lgitimement au-dessus de ses semblables ; il peut sans doute esprer les mme secours pour lÕAdministration sre de la Justice civile ou criminelle, dans la Socit confie ses soins.
DÕailleurs, tout ce que jÕai avanc, se trouve figur et indiqu par ce qui sÕobserve vulgairement dans la Justice criminelle. Le juge nÕest-il pas cens sÕoublier lui-mme, pour devenir le simple agent et lÕorgane de la Loi ? Cette Loi, quoiquÕhumaine, nÕest-elle pas sacre pour lui ? Ne prend-il pas tous les moyens quÕil connat pour clairer sa conduite et ses Jugements, et pour proportionner, autant que la Loi le permet, la punition au crime ; ou plutt nÕest-ce pas le plus souvent cette Loi mme qui en est la mesure ; et quand le Juge lÕobserve, ne se persuade-t-il pas avoir agi selon la Justice ?
Des tmoins
Ce serait donc lÕhomme lui-mme qui nous instruirait de la ralit de ce Principe, quand dÕailleurs nous nÕen aurions pas la .persuasion la plus intime. Mais en mme temps, il nous parait encore plus manifeste, que la Justice criminelle en usage parmi les Nations, nÕest en effet que la figure de celle qui appartient au Principe dont nous parlons ; et que ne le prenant point pour appui, elle marche dans les tnbres, comme toutes les autres institutions humaines, dÕo rsulte dans ses effets une chane affreuse dÕiniquits, et de vritables assassinats.
En effet, cette obligation impose au Juge de sÕoublier lui-mme et son propre tmoignage, pour nÕcouter que la voix des tmoins, annonce bien, la vrit, quÕil y a des tmoins qui ne mentent pas, et que cÕest leur dposition qui devrait le diriger. Mais aussi, comme ces tmoins ne doivent pas tre susceptibles de corruption, il est bien vident que la Loi a tort de ne les chercher que parmi des hommes, dont elle peut craindre et lÕignorance et la mauvaise foi, parce quÕalors cÕest sÕexposer prendre le mensonge pour preuve, et se rendre tout fait inexcusable, puisque ce nÕest quÕenvers un tmoin sr et vrai, que le Juge doit sÕoublier lui-mme, et se transformer en un simple instrument ; puisque enfin la Loi fausse sur laquelle il croit pouvoir sÕappuyer, ne se chargera jamais de ses erreurs, ni de ses crimes.
Du pouvoir humain
CÕest donc pour cela quÕaux yeux du Juge mme, le plus important de ses devoirs est de chercher dmler la vrit, dans la dposition des tmoins ; or, comment pourra-t-il y russir sans le secours de cette lumire que je lui indique comme son seul guide en qualit dÕhomme, et comme devant lÕaccompagner tous les instants ?
NÕest-ce donc pas dj un vice norme dans les Lois criminelles, que de nÕavoir pas eu cette lumire pour principe ; et ce dfaut nÕexpose-t-il pas le Juge aux plus grands abus ? Mais examinons ceux qui rsulteront de la puissance mme que la Loi humaine sÕattribue ?
Lorsque les hommes ont dit que la Loi politique se chargeait de la vengeance des Particuliers, qui elle dfendait alors de se faire justice par eux-mmes, il est certain quÕils lui ont donn par-l des privilges qui ne pourront jamais lui convenir tant quÕelle sera rduite elle-mme.
Je conviens nanmoins que cette Loi politique, qui peut en quelque faon mesurer ses coups, renferme une sorte dÕavantage, en ce que sa vengeance ne sera pas toujours illimite, comme celle des individus pourrait lÕtre.
Mais premirement, elle peut se tromper sur les coupables, et un homme ne se trompe pas aussi facilement sur son propre adversaire.
Secondement, si cette vengeance particulire, quelque admissible quÕelle ft dans le cas o lÕhomme ne serait dou que de la nature sensible, est cependant entirement trangre sa nature intellectuelle ; si cette nature intellectuelle non seulement nÕa jamais eu le droit de punir corporellement, mais mme se trouve aujourdÕhui dpouille de toute espce dÕautorit, et ne peut en aucune faon exercer la Justice, jusquÕ ce quÕelle ait recouvr son tat dÕorigine, il est bien certain que la Loi politique qui ne sera pas guide par une autre lumire, commettra les mmes injustices sous un autre nom.
Car, si un homme me nuit en quelque genre que ce soit, il est coupable selon les Lois de toute Justice ; si de moi-mme, je le frappe, que je rpande son sang, ou que je le tue, je manque comme lui, aux Lois de ma vraie nature, et celles de la Cause intelligente et physique qui doit me guider. Lors donc que la Loi politique toute seule, prendra ma place pour la punition de mon ennemi, elle prendra la place dÕun homme de sang.
En vain on mÕobjecterait prsent, que par la convention sociale, chaque Citoyen sÕest soumis, en cas de prvarication, aux peines portes par les diffrentes Lois criminelles ; car, ainsi quÕon lÕa vu, si les hommes nÕont pas pu lgitimement tablir les Corps politiques, par le seul effet de leur convention un Citoyen ne pourra pas plus transmettre ses Concitoyens le droit de le punir ; puisque sa vraie nature ne le lui a pas donn, et puisque le contrat quÕil est cens avoir fait avec eux, ne peut tendre lÕessence qui constitue lÕhomme.
Dira-t-on que cet acte de vengeance politique, ne se considre plus comme tant opr par lÕhomme, mais par la Loi ? Je rpondrai toujours que cette Loi politique, destitue de son flambeau, nÕest quÕune pure volont humaine qui, mme lÕunanimit des suffrages ne donne pas un pouvoir de plus. Ds lors, si cÕest un crime pour lÕhomme dÕagir par violence, et de son propre mouvement ; si cÕest un crime pour lui de rpandre le sang, la volont runie de tous les hommes de la terre, ne pourrait jamais lÕeffacer.
Pour viter cet cueil, les Politiques ont cru ne pouvoir mieux faire que dÕenvisager un criminel comme tratre, et comme tel, ennemi du Corps social ; alors le plaant comme dans un tat de guerre, sa mort leur parat lgitime, parce que les Corps politiques tant forms, selon eux, lÕimage de lÕhomme, doivent aussi veiller comme lui, leur propre conservation. Ainsi, dÕaprs ces principes, lÕautorit souveraine a droit de disposer de toutes ses forces contre les malfaiteurs qui menacent lÕEtat, soit en lui-mme, soit dans ses membres.
Mais premirement, on verra sans peine le vice de cette comparaison, quand on observera que dans un combat dÕhomme homme, cÕest vraiment lÕhomme qui se bat, au lieu que dans la Guerre entre les Nations, on ne peut pas dire que ce sont les Gouvernements qui combattent, attendu que ce ne sont que des tres moraux, dont lÕaction Physique est imaginaire.
Secondement, outre que jÕai fait voir que la Guerre entre les Nations ne sÕoccupait pas de son vritable objet, son but mme nÕest pas de dtruire des hommes, mais bien plutt de les empcher de nuire : jamais on nÕy devrait tuer un ennemi que lorsquÕil est impossible de le soumettre ; et parmi les Guerriers, il sera toujours plus glorieux de vaincre une Nation, que de lÕanantir.
Or, certainement lÕavantage dÕun Royaume entier contre un coupable, est assez manifeste, pour que le droit et la gloire de le tuer, disparaissent.
DÕailleurs, ce qui prouve que ce prtendu droit ne ressemble en rien au droit de la Guerre, cÕest que l la vie de chaque Soldat est en danger, et la mort de chaque ennemi est incertaine ; au lieu quÕici un appareil inique accompagne les excutions. Cent hommes sÕarment, sÕassemblent, et vont de sang-froid exterminer un de leurs semblables, qui ils ne laissent pas mme lÕusage de ses forces ; et lÕon veut que le simple pouvoir humain soit lgitime, lui quÕon peut tromper tous les jours ; lui qui prononce si souvent des sentences injustes ; lui enfin, quÕune volont corrompue peut convertir en un instrument dÕassassin.
Non, lÕhomme a sans doute en lui dÕautres rgles ; sÕil sert quelquefois dÕorgane la Loi suprieure pour en prononcer les oracles, et pour disposer de la vie des hommes, cÕest par un droit respectable pour lui, et qui en mme temps peut lui apprendre diriger sa marche sur ta justice et sur lÕquit.
Veut-on mieux encore juger de son incomptence actuelle, il ne faut pour cela que rflchir sur ses anciens droits. Pendant sa gloire il avait pleinement le droit de vie et de mort incorporelle, parce que jouissant alors de la vie mme, il pouvait son gr la communiquer ses sujets, ou la leur retirer, quand la prudence le lui faisait juger ncessaire ; et comme ce nÕtait que par sa prsence quÕils pouvaient vivre, il avait aussi, seulement en se sparant dÕeux, le pouvoir de les faire mourir.
AujourdÕhui, il nÕa plus que par tincelles cette vie premire, et encore nÕest-ce plus envers ses anciens sujets, mais envers ses semblables quÕil peut parvenir en faire usage.
Quant ce droit de vie et de mort corporelle, qui fait lÕobjet de la question prsente, nous pouvons assurer quÕil appartient encore moins lÕhomme considr en lui-mme et pris dans son tat actuel. Car, peut-il se dire jouissant et dispensateur de cette vie corporelle qui lui est donne, et quÕil partage avec toute son espce ? Ses semblables ont-ils besoin de son secours pour respirer et pour vivre corporellement ? Sa volont, toutes ses forces mme suffiront-elles pour leur conserver lÕexistence, et nÕest-il pas oblig tout moment, de voir la Loi de nature agir cruellement sur eux, sans quÕil puisse en arrter le cours ?
De mme, a-t-il en lui un pouvoir et une force inhrente qui puissent gnralement leur ter la vie selon son gr ? Lorsque sa volont corrompue le porte y penser, quelle distance nÕy a-t-il pas entre cette pense et le crime qui la doit suivre ? Quels obstacles, quels tremblements entre le projet et lÕexcution ? Et ne voit-on pas que les soins quÕil prend pour disposer ses attaques, ne rpondent presque jamais pleinement ses vues ?
Du droit dÕexcution
Nous dirons donc avec vrit, que par les lois simples de son Etre corporel, lÕhomme doit trouver partout de la rsistance ; ce qui prouve que cet Etre corporel ne lui donne aucun droit.
Et en effet, nÕavons-nous pas vu assez clairement que lÕEtre corporel nÕavait quÕune vie secondaire, qui tait dans la dpendance dÕun autre Principe ; par consquent, nÕest-il pas vident que tout Etre qui nÕaurait rien de plus, serait galement dpendant, et ds lors aurait la mme impuissance ?
Ce ne serait donc pas, je le rpte, dans lÕhomme corporel, pris en lui-mme, que nous pourrions reconnatre ce droit essentiel de vie et de mort qui constate une vritable autorit, et tout ceci ne servira quÕ confirmer ce qui a t tabli sur la source, o lÕhomme doit aujourdÕhui puiser un pareil droit.
Ce sera encore moins dans lui que nous trouverons le droit dÕexcution ; puisque, sÕil nÕemployait la violence et des forces trangres, il serait rare quÕil pt venir bout de faire prir un malfaiteur, moins dÕavoir recours la trahison ou la ruse, et ces moyens seraient bien loigns dÕannoncer un vrai pouvoir dans lÕhomme.
Cependant, lÕexcution des Lois criminelles est absolument ncessaire pour que la Justice ne soit pas inutile ; bien plus, je prtends quÕelle est invitable. Ainsi, puisque ce droit ne peut nous appartenir, il faudra encore le remettre, ainsi que le droit de juger, dans la main qui doit nous servir de guide. CÕest elle qui donnera une vraie force lÕarme naturelle de lÕhomme, et qui le mettra dans le cas de faire excuter les Dcrets de la Justice, sans attirer sur lui des condamnations.
Tels sont du moins les moyens que les vrais Lgislateurs ont mis en usage, quoiquÕils ne nous les fassent connatre que par des Symboles et des Allgories. Peut-tre mme employrent-ils la main de leurs semblables, pour oprer en apparence la punition des criminels, pour frapper par des figures sensibles les yeux grossiers des Peuples quÕils gouvernaient ; et pour couvrir dÕun voile les ressorts secrets qui dirigeaient lÕexcution.
Je parle ainsi avec dÕautant plus dÕassurance, que lÕon a vu ces Lgislateurs se servir du mme voile, dans le simple expos de leurs Lois civiles et sociales. QuoiquÕelles fussent lÕouvrage dÕune main sre et suprieure, ils se sont attachs ne parler quÕaux sens, pour ne point profaner leur science.
Mais, quant leurs Lois criminelles, ils en ont peint le tableau sensible avec une extrme svrit ; pour faire sentir aux Peuples qui leur taient soumis, toute la rigueur de la vritable Justice, et pour leur faire concevoir que le moindre des Actes rfractaires la Loi, ne pouvait demeurer impuni. CÕest dans cette vue, que quelques-uns dÕeux ont mis des punitions jusque sur les btes.
Du rapport des peines aux crimes
Toutes ces observations nous apprennent de nouveau, que lÕhomme ne peut trouver dans lui, ni le droit de condamner son semblable, ni celui dÕen excuter la condamnation.
Mais, quand ce droit serait rellement de lÕessence des hommes qui gouvernent, ou qui sont employs au maintien de la Justice criminelle dans les Gouvernements, ainsi quÕils en sont tous persuads, il resterait toujours dcider une question bien plus difficile encore, ce serait de savoir comment ils trouveront une rgle sre pour diriger leurs Jugements, et pour appliquer les peines avec justesse, en les proportionnant exactement lÕtendue et la nature des crimes ; toutes choses sur lesquelles la Justice criminelle est aveugle, incertaine, et nÕa presque jamais pour guide que le prjug rgnant, le gnie, ou la volont du lgislateur.
Il est des gouvernements, qui, sentant leur profonde ignorance, ont eu la bonne foi dÕen convenir, et ont sollicit les conseils des hommes clairs sur ces matires. Je loue leur zle dÕavoir pris sur eux de faire de pareilles dmarches ; mais je ne crains point de leur assurer quÕen vain en espreront-ils des lumires satisfaisantes, tant quÕils nÕiront les chercher que dans lÕopinion et lÕintelligence de lÕhomme, et quÕils ne se sentiront pas le courage, ni la rsolution dÕaller eux-mmes les puiser dans leur vraie source.
Car les plus clbres des Politiques et des Jurisconsultes nÕont point encore clairci cette difficult ; ils ont pris les Gouvernements tels quÕils taient ; ils ont admis, comme le Vulgaire, que la base en tait relle, et que la science et le droit de punir taient dans lÕhomme ; ensuite ils se sont puiss en recherches pour asseoir un difice solide sur ce fondement ; mais, comme on ne peut douter quÕils ne btissent sur une supposition, il est clair que les Gouvernements qui veulent sÕinstruire, doivent sÕadresser dÕautres Matres.
Je ne dcide donc point quelles sont les peines qui conviennent chaque crime, je prtends, au contraire, quÕil nÕest pas possible lÕhomme de jamais rien statuer dÕabsolument fixe sur ces objets, parce que nÕy ayant pas deux crimes gaux, si la mme peine est prononce, il en rsulte certainement une injustice.
Des codes criminels
Mais la simple raison de lÕhomme doit au moins lui enseigner ne chercher la punition du coupable, que dans lÕobjet et lÕordre qui ont t blesss, et ne pas les prendre dans une autre classe, laquelle nÕayant point de rapport avec le sujet du dlit, se trouverait blesse son tour, sans que le dlit en ft rpar.
Voil pourquoi la Justice humaine est si faible et si horriblement dfectueuse, en ce que tantt son pouvoir est nul, comme dans le suicide et dans les crimes qui lui sont cachs ; tantt ce pouvoir nÕagit quÕen violant lÕanalogie qui devrait la guider sans cesse, comme il arrive dans toutes les peines corporelles, quÕelle prononce pour des crimes qui nÕattaquent point les personnes, et qui ne tombent que sur les possessions.
Lors mme quÕelle parat observer le plus cette analogie, et quÕelle semble cet gard conserver une sorte de lumire, cette Justice humaine est encore infiniment fautive, en ce quÕelle nÕa quÕun trs petit nombre de punitions infliger dans chaque classe, pendant que dans chacune de ces classes, les crimes sont sans nombre et toujours diffrents.
Voil aussi pourquoi les Lois criminelles crites sont un des plus grands vices des Etats, parce que ce sont des Lois mortes, et qui demeurent toujours les mmes, tandis que le crime crot et se renouvelle tous les instants. Le talion en est presque entirement banni, et en effet, elles nÕen peuvent presque jamais remplir humainement toutes les clauses, soit quÕelles ne connaissent pas toujours toutes les circonstances des crimes, soit que quand mme elles les connatraient, elles ne soient pas assez fcondes par elles-mmes, pour produire toujours le vritable remde des maux si multiplis.
Alors, que sont donc ces codes criminels, si nous nÕy trouvons pas ce talion, la seule Loi pnale qui soit juste, la seule qui puisse rgler srement la marche de lÕhomme, et qui, par consquent, ne pouvant venir de lui, est ncessairement lÕouvrage dÕune main puissante, dont lÕintelligence sait mesurer les peines, et les tendre ou les resserrer selon le besoin ?
Des tortures
Je ne mÕarrte point cet usage barbare, par lequel les Nations ne se contentent pas de condamner un homme aveuglment, mais emploient encore sur lui les tortures pour. en exprimer la Vrit. Rien nÕannonce plus la faiblesse et lÕobscurit o languit le Lgislateur, puisque, sÕil jouissait de ses vritables droits, il nÕaurait pas besoin de ces moyens faux et cruels, qui servent de guides ses Jugements ; puisquÕen un mot la mme lumire, qui lÕautoriserait juger son semblable, faire excuter ses condamnations, et qui lÕinstruirait de la nature des peines quÕil doit infliger, ne le laisserait pas non plus dans lÕerreur sur le genre des crimes, ni sur les noms des coupables et des complices.
Aveuglement des lgislateurs
Mais ce qui nous dcouvre clairement lÕimpuissance et lÕaveuglement des Lgislateurs, cÕest de voir quÕils nÕinfligent de peines capitales, quÕaux crimes qui tombent sur le sensible et sur le temporel ; tandis quÕil sÕen commet une multitude autour dÕeux, qui tombent sur des objets bien plus importants, et qui chappent tous les jours leur vue. Je parle de ces ides monstrueuses qui font de lÕhomme un Etre de Matire ; de ces Doctrines corrompues et dsesprantes qui lui tent jusquÕau sentiment de lÕordre et du bonheur ; en un mot, de ces systmes infects, qui portant la putrfaction jusque dans son propre germe, lÕtouffent ou le rendent absolument pestilentiel, et font que le Souverain nÕa plus rgner que sur de viles machines, ou sur des brigands.
Des faux jugements
CÕest assez sÕtendre sur la dfectuosit de lÕAdministration ; bornons-nous actuellement rappeler ceux qui commandent et ceux qui jugent, quelles sont les injustices auxquelles ils sÕexposent quand ils agissent dans lÕincertitude et sans tre assurs de la lgitimit de leur marche.
Le premier de ces inconvnients est de courir le risque de condamner un innocent. Or les maux qui en rsultent sont de nature ne pouvoir jamais sÕvaluer par lÕhomme, parce quÕils dpendent en grande partie du tort plus ou moins considrable, que doit en prouver le condamn, par rapport aux fruits quÕil aurait pu recueillir de ses facults intellectuelles, sÕil ft rest plus longtemps sur la Terre ; et par rapport lÕimpression dcourageante que doit faire sur lui un supplice infamant, cruel et inattendu ; comment le Juge pourrait-il donc jamais estimer lÕtendue de tous ces maux, sÕil nÕacqurait un jour le sentiment amer de ses imprudences et de ses carts ? Et cependant, comment pourrait-il satisfaire la Justice, sÕil nÕen subissait rigoureusement lÕexpiation ?
Le second inconvnient est celui dÕinfliger un coupable, une autre peine que celle qui tait applicable son crime. Dans ce cas, voici la chane des maux que le Juge imprudent prpare, soit sa victime, soit lui-mme.
Premirement, le supplice auquel il la condamne, ne la dispense en rien de celui que la vraie Justice lui a assign. Bien plus, il ne fait que le rendre plus assur, puisque, sans cette condamnation prcipite, peut-tre la vraie Justice et-elle laiss au coupable le temps dÕexpier sa faute par des remords, et que toute rigoureuse quÕelle est, elle et rduit son tribut des repentirs.
Secondement, si le Jugement lger et aveugle de lÕhomme, te le temps du repentir au criminel, lÕatrocit de lÕexcution lui en te la force, et lÕexpose perdre dans le dsespoir, une vie prcieuse, dont un usage plus juste et un sacrifice fait temps, auraient pu effacer tous ses crimes ; de faon que cÕest lui faire encourir deux peines pour une, et dont la premire, loin de rien expier, peut au contraire, lui faire multiplier ses iniquits, et rendre par-l la seconde peine plus invitable.
Lors donc que le Juge voudra se considrer de prs, il ne pourra se dispenser de sÕimputer la premire de ces peines, qui ne diffre dÕun assassinat que par la forme ; ensuite il sera oblig de sÕimputer aussi toutes les consquences funestes, que nous venons de voir natre de sa tmrit et de son injustice. QuÕil rflchisse alors sur sa situation, et quÕil voie sÕil doit tre en paix avec lui-mme.
Droits des vrais souverains
Quittons ces scnes dÕhorreur, et employons plutt tous nos efforts rappeler les Souverains et les Juges, la connaissance de leur vritable Loi, et la confiance dans cette lumire destine tre le flambeau de lÕhomme ; persuadons les que sÕils taient purs, ils feraient plus trembler les malfaiteurs, par leur prsence et par leur nom, que par les gibets et les chafauds. Persuadons-leur que ce serait le seul et unique moyen de dissiper tous ces nuages que nous avons aperus sur lÕorigine de leur Souverainet, sur les causes de lÕAssociation des Etats politiques, et sur les Lois de lÕAdministration civile et criminelle de leurs Gouvernements ; engageons-les enfui jeter sans cesse les yeux sur le Principe que nous leur avons offert comme la seule boussole de leur conduite, et la seule mesure de tous leurs pouvoirs.
De la gurison des maladies
Pour augmenter lÕide que les Souverains en doivent prendre, montrons-leur prsent, que ce mme Principe dont ils devraient attendre tant de secours, pourrait aussi leur communiquer ce don puissant que jÕai plac prcdemment au nombre de leurs privilges, celui de gurir les maladies.
Si cette Cause universelle temporelle, prpose pour diriger lÕhomme et tous les Etres qui habitent dans le temps, est la fois active et intelligente, il est certain quÕil nÕy a aucune partie des sciences et des connaissances quÕelle nÕembrasse ; cela suffit pour faire voir ce que devrait en esprer celui qui serait dirig par elle.
Ainsi ce nÕest point tre dans lÕerreur, de dire quÕun Souverain qui aurait cette lumire pour guide, connatrait les vrais Principes des Corps, ou ces trois Elments fondamentaux, dont nous avons trait au commencement de cet Ouvrage ; quÕil distinguerait dans quelle proportion leur action se manifeste dans les diffrents Corps, selon lÕge, le sexe, le climat, et autres considrations naturelles ; quÕil concevrait la proprit particulire de chacun de ces Elments, ainsi que le rapport qui doit toujours rgner entre eux et que quand ce rapport serait drang ou dtruit, quand les Principes lmentaires tendraient se surmonter les uns et les autres, ou se sparer, il verrait promptement et sans erreur, le moyen de rtablir lÕordre.
CÕest pour cela, que la mdecine se doit rduire cette rgle simple, unique, et par consquent universelle : rassembler ce qui est divis et diviser ce qui est rassembl. Mais quels dsordres et quelles profanations, cette rgle puise dans la nature mme des choses, nÕest-elle pas expose en passant par la main des hommes ; puisque le moindre degr de diffrence dans les moyens quÕils emploient, et dans lÕaction des remdes, produit des effets si contraires ceux quÕils devraient en attendre ; puisque le mlange de ces Principes fondamentaux, qui sont rduits au nombre de trois, change cependant, et se multiplie de tant de manires, que des yeux ordinaires ne pourraient jamais en suivre toutes les varits; et puisque, dans ces sortes de combinaisons, le mme Principe parvient souvent avoir des proprits diffrentes, selon lÕespce de raction quÕil prouve.
Trois lments, trois maladies
Car tout en reconnaissant un feu universellement rpandu, comme les deux autres Elments, cependant on sait que le feu intrieur cre, que le feu suprieur fconde, et que le feu infrieur consume. On en peut dire autant des sels, lÕintrieur excite la fermentation, le suprieur conserve, et lÕinfrieur ronge. Le mercure mme, quoique sa proprit gnrale soit dÕoccuper un rang intermdiaire entre les deux Principes ennemis dont je viens de parler, et par ce moyen dÕtablir la paix entre eux ; cependant ce mercure, dis-je, les rassemble dans mille circonstances, et les renfermant dans le mme cercle, il devient ainsi la source des plus grands dsordres lmentaires, et offre en mme temps lÕimage du dsordre universel.
Quels soins, quelles prcautions ne faut-il donc pas pour dmler la nature et les effets de ces diffrents principes, qui par leur mlange, se diversifient encore plus que par leurs proprits naturelles ? Mais malgr cette multitude infinie de diffrences qui peuvent sÕobserver dans les rvolutions des Etres corporels, un Ïil clair tel que doit tre celui dÕun Souverain, ne perdra jamais sa rgle de vue ; il ramnera toujours ces diffrences trois espces, en raison des trois principes fondamentaux dÕo elles manent, et par consquent, il ne reconnatra que trois maladies ; et mme il saura que ces trois maladies doivent avoir des signes aussi marqus et aussi distincts, que les trois principes fondamentaux le sont eux-mmes dans leur action, et dans leur proprit primitive.
Ces trois espces de maladies concernent chacune, une des substances principales dont le corps animal est compos, cÕest--dire, le sang, lÕos et la chair, trois parties qui sont relatives lÕun des trois Elments dont elles proviennent. Ce sera donc par les mmes Elments quÕelles pourront recevoir leur gurison : ainsi, la chair se gurira par le sel, le sang par le soufre, et les os par le mercure ; le tout avec les prparations et les tempraments convenables.
Maladies de la peau
On sait, par exemple, que les Maladies de la chair et de la peau, proviennent de lÕpaississement et de la corruption des scrtions salines dans les vaisseaux capillaires, o elles peuvent tre fixes par la trop vive et trop subite action de lÕair, de mme que par la trop faible action du sang. Il est donc naturel dÕopposer ces liqueurs stagnantes et corrompues, un sel qui les divise sans rpercuter ; qui les corrode et les ronge dans leur foyer, sans les faire rentrer dans la masse du sang, auquel elles communiqueraient leur propre putrfaction. Mais quoique ce sel soit le plus commun de ceux que produit la Nature, il faut convenir cependant quÕil est encore, pour ainsi dire, inconnu la Mdecine humaine, ce qui fait quÕelle est si peu avance dans la gurison de ces sortes de maladies.
Maladies des os et du sang
Secondement, dans la maladie des os, le mercure doit tre employ avec beaucoup de modration, parce quÕil lie et resserre trop les deux autres principes qui soutiennent la vie de tous les corps, et cÕest par les entraves quÕil donne principalement au soufre, quÕil est le destructeur de toute vgtation, tant terrestre quÕanimale. La prudence exigerait donc souvent, que lÕon laisst simplement agir le mercure inn dans le corps de lÕhomme, parce que lÕaction de ce mercure se conciliant avec celle du sang, ne croit pas plus quÕelle, et la contient assez pour quÕelle ne sÕaffaiblisse et ne sÕvapore pas, mais non assez Pour lÕtouffer et pour lÕteindre .Aussi la Nature nous donne-t-elle ce sujet la leon la plus claire et la plus instructive, en rparant les fractures des os par sa propre vertu, et sans le secours dÕaucun mercure tranger.
Quant aux maladies du sang, le .soufre doit. sÕy employer avec infiniment plus de mnagements encore, parce que les corps tant beaucoup plus volatils que fixes, augmenter leur action sulfureuse et igne, ce serait les exposer se volatiliser encore plus. ; lÕhomme vraiment instruit nÕappliquerait donc jamais ce remde quÕavec la plus grande sobrit, dÕautant quÕil saurait que quand lÕhumide radical est altr, lÕhumide grossier ne peut jamais seul le rparer, et cÕest pour cela quÕil y joindrait lÕhumide radical mme, en lÕallant puiser dans la source, qui nÕest pas toute entire dans la moelle des os.
De la pharmacie
Et, soit dit en passant, cÕest l la raison de la frquente insuffisance et du danger de la Pharmacie qui recherchant avec tant dÕempressement, les principes volatils des corps mdicinaux, nglige trop lÕusage des principes fixes, dont le besoin est tellement universel, quÕil serait exclusif, si lÕhomme tait sage. Aussi, qui ne sait que cette Pharmacie dtruit plutt quÕelle ne conserve ; quÕelle agite et brle au lieu de ranimer, et que quand au contraire, elle se propose de calmer, elle ne sait y procder que par des absorbants et par des poisons ?
On voit donc quoi se bornerait la Mdecine entre les mains dÕun homme qui se serait rtabli dans les droits de son origine ; il donnerait lui-mme une activit salutaire tous les remdes, et rendrait par l des gurisons infaillibles, quand toutefois la Cause active, dont il serait lÕorgane, nÕaurait pas lÕordre dÕen disposer autrement.
Il se serait bien gard dÕemployer dans cette digne et utile Science, les calculs matriels de la Mathmatique humaine, qui nÕoprant jamais que sur des rsultats, sont nuls ou dangereux dans la Mdecine, dont lÕobjet est dÕoprer sur les principes mmes qui agissent dans les corps.
Des privilges des souverains
Par cette mme raison, il ne se ft pas attach des formules, qui dans lÕart de gurir, sont la mme chose que les Codes criminels dans lÕadministration des Etats ; puisque de toutes les maladies, nÕy en ayant jamais deux qui prsentent absolument les mmes nuances, il est impossible que le mme remde ne nuise lÕune ou lÕautre.
Mais comme en qualit de souverain, cet homme aurait connu les vertus des Etres corporels, il en aurait aussi connu le drangement, et ds lors il et t lÕabri de lÕerreur sur lÕapplication du remde. Or, quÕon nÕoublie pas que pour en venir l, lÕhomme ne doit pas prendre la Matire pour le Principe de la Matire, car nous avons vu que cÕtait l la principale cause de son ignorance.
QuÕon en croie pas non plus que ce pouvoir inestimable soit hors de la porte de lÕhomme ; il entre au contraire, au nombre des Lois qui lui sont donnes, relativement la tche quÕil a remplir pendant son passage sur la terre, puisque si cÕest par son enveloppe corporelle, que se dirigent sur lui les attaques, il faut quÕil ne soit pas entirement priv des moyens de les sentir et de les repousser ; ainsi, ds que lÕusage de ce privilge peut tre commun tous les hommes, plus forte raison devrait-il tre particulirement le propre des Souverains, dont la vritable destination est, autant quÕils le peuvent, de prserver leurs Sujets, des maux de toute espce et de les dfendre dans le sensible, comme dans lÕintellectuel.
Alors donc, si ce privilge ne leur est pas plus connu que tous leurs autres droits, cÕest une raison de plus pour eux de sentir, sÕils ont t mis la tte des hommes par le Principe dont je leur ai montr la puissance, et qui est absolument ncessaire pour la rgularit de toutes leurs dmarches. CÕest, dis-je, un moyen de plus que je leur offre pour se juger eux-mmes.
QuÕils joignent donc les observations que je viens de faire sur lÕart de gurir, toutes celles que jÕai faites avec eux sur les vices de lÕadministration politique, civile et criminelle des Etats ; sur les vices des Gouvernements mmes, qui nous ont dvoil ceux de leur Association ; ainsi que sur la source o les chefs doivent puiser leurs diffrents droits ; ensuite quÕils dcident sÕils reconnaissent en eux les traces de cette lumire qui est cense les avoir constitus tous, et ne les pas quitter un instant ; car ce nÕest que par l quÕils pourront tre assurs de la lgitimit de leur puissance, et de la justesse des institutions auxquelles ils prsident.
Nanmoins, rptons en ce moment avec autant de fermet que de franchise, quÕun Sujet qui aperoit toutes ces dfectuosits dans un Etat, et qui voyant les Souverains eux-mmes si fort au-dessous de ce quÕils devraient tre, se croirait dli du moindre de ses devoirs envers eux, et de la soumission leurs dcrets, ds lors sÕcarterait sensiblement de sa Loi, et marcherait directement contre tous les principes que nous tablissons.
Que tout homme se persuade au contraire, que la Justice ne lui imputera jamais que ses propres fautes ; quÕainsi, un Sujet ne ferait quÕaugmenter les dsordres, en prtendant sÕy opposer et les combattre, puisque ce serait marcher par la volont de lÕhomme, et que la volont de lÕhomme ne mne quÕau crime.
Je croirai donc que malgr toutes les applications que les Souverains pourraient se faire eux-mmes de tout ce que je trace leurs yeux, ils ne devront jamais mÕimputer dÕavoir tabli des principes contraires leur autorit, tandis que mon seul dsir serait de les persuader quÕils en peuvent avoir une invincible et inbranlable.
Pour suivre lÕenchanement de nos Observations, nous allons passer lÕexamen des erreurs qui ont t faites sur les hautes Sciences, parce que les principes de ces Sciences tenant la mme source que les Lois Politiques et Religieuses, leur connaissance doit galement entrer au nombre des droits de lÕhomme.
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JÕexaminerai principalement ici la Science Mathmatique, comme tant celle laquelle toutes les hautes Sciences sont lies, et comme tenant le premier rang parmi les objets du raisonnement ou de la facult intellectuelle de lÕhomme ; et dÕabord, pour rassurer ceux que le nom de Mathmatiques pourrait arrter, je les prviendrai que non seulement il nÕest pas ncessaire dÕtre avanc dans cette Science, pour me suivre dans les observations dont elle sera le sujet, mais mme quÕ peine est-il besoin pour cela, dÕen avoir les plus lgres notions, et que la manire dont jÕen traite, peut convenir tous les Lecteurs.
Cette science nous offrira sans doute, des preuves encore plus frappantes des Principes qui ont t avancs prcdemment, de mme que des erreurs auxquelles elle a donn lieu, lorsque les hommes se sont livrs en aveugles aux jugements de leurs sens.
Et ceci doit paratre naturel, parce que les Principes mathmatiques, sans tre matriels, tant cependant la vraie Loi du sensible, les Gomtres sont la vrit toujours les matres de raisonner de la nature de ces Principes leur manire ; mais, quand ils viennent lÕapplication des ides quÕils sÕen sont formes, il faut ncessairement quÕils avouent leurs mprises, parce quÕalors ce nÕest plus eux qui mnent le Principe, mais cÕest le Principe qui les mne ainsi rien ne sera plus propre faire discerner le vrai dÕavec le faux, quÕun examen exact de la marche quÕils ont suivie, et des consquences qui en rsulteraient, si nous lÕadoptions.
Des axiomes
Je commencerai par faire observer que rien nÕest dmontr en Mathmatique, sÕil nÕest ramen un axiome, parce quÕil nÕy a que cela de vrai ; je prierai en mme temps de remarquer pour quelle raison les axiomes sont vrais cÕest quÕils sont indpendants du sensible ou de la Matire, et quÕils sont purement intellectuels ce qui peut dj confirmer tout ce que jÕai dit sur la route quÕil faut prendre pour arriver la Vrit et en mme temps rassurer les Observateurs sur ce qui nÕest pas soumis leur vue corporelle.
Il est donc clair que si les Gomtres nÕeussent pas perdu de vue les axiomes, ils ne se seraient jamais gars dans leurs raisonnements, puisque les axiomes sont attachs lÕEssence mme des Principes intellectuels, et par l reposent sur la certitude la plus vidente.
La production corporelle et sensible, qui sÕest faite dÕaprs ces Lois intellectuelles, est sans doute parfaitement rgulire, prise dans sa classe, en ce quÕelle est exactement conforme lÕordre de ce Principe intellectuel, ou aux axiomes qui en dirigent partout lÕexistence et lÕexcution. Cependant, comme la perfection de cette production corporelle nÕest que dpendante, ou relative au Principe qui lÕa engendre, ce nÕest pas dans cette production que peut en rsider la rgle et la source.
Ce ne serait donc quÕen comparant continuellement cette production sensible avec les axiomes, ou avec les Lois du Principe intellectuel, que lÕon pourrait juger de sa rgularit, ce ne serait, dis-je, que par ce moyen quÕon parviendrait en dmontrer la justesse.
Mais, si cette rgle est la seule vraie, si en mme temps elle est purement intellectuelle, comment les hommes peuvent-ils donc esprer dÕy suppler par une rgle prise dans le sensible ? Comment peuvent-ils se flatter de remplacer un Etre vrai, par un Etre conventionnel et suppos ?
Comment douter cependant que ce ne soit l o tendent tous les efforts des Gomtres, puisque nous verrons quÕaprs avoir tabli les axiomes, qui sont les fondements de toutes les Vrits quÕils veulent nous apprendre, ils ne nous proposent pour nous enseigner valuer lÕtendue, quÕune mesure prise dans cette mme tendue, ou des nombres arbitraires qui ont toujours besoin eux-mmes dÕune mesure sensible pour se raliser nos yeux corporels.
Alors doit-on sÕen tenir une telle dmonstration, et regarder de pareilles preuves comme videntes ? Puisque la mesure rside toujours dans le Principe o la production sensible a pris naissance, cette production sensible et passive peut-elle se servir elle-mme de mesure et de preuve ? Et y a-t-il dÕautres Etres que ceux qui ne sont pas crs, ou les Etres vrais, qui puissent se prouver par eux-mmes ?
Loin de contester lÕvidence des Principes intellectuels mathmatiques, ou des axiomes, nous devons dj reconnatre la faible ide que les Gomtres en ont prise, et le peu dÕusage quÕils en ont fait pour parvenir la science de lÕtendue et des autres proprits de la Matire ; nous devons dire que sÕils ne connaissent rien sur cet objet, cÕest pour tre tombs dans la mme mprise que les Observateurs ont faite sur tous les autres sujets que jÕai passs en revue ; cÕest--dire, quÕils ont spar lÕtendue de son vrai Principe, ou plutt quÕils ont cherch ce Principe en elle, quÕils lÕont confondu avec elle, et quÕils nÕont pas vu que cÕtaient deux choses distinctes, quoique indispensablement rassembles pour constituer lÕexistence de la Matire.
De lÕtendue
Pour rendre ceci encore plus palpable, il est propos de fixer nos ides sur la nature de lÕtendue. LÕtendue est, ainsi que toutes les autres proprits des corps, une production du Principe gnrateur de la Matire, selon les Lois et lÕordre qui sont prescrits ce Principe infrieur par le Principe suprieur qui le dirige. Dans ce sens, lÕtendue nÕtant plus quÕune production secondaire, ne peut avoir les mmes avantages que les Etres compris dans la classe des productions premires ; ceux-ci ont en eux-mmes leurs Lois fixes ; toutes leurs proprits sont invariables, parce quÕelles sont unies leur Essence ; cÕest l, en un mot, o le poids, le nombre et la mesure, sont tellement rgls, quÕils ne peuvent pas plus tre altrs que lÕEtre mme ne peut tre dtruit.
Mais, quant aux proprits des Corps, ou des Etres secondaires, nous avons vu assez amplement quÕil nÕen devait pas tre ainsi, puisque nÕayant absolument pour nos sens aucune proprit fixe, ils ne sauraient jamais avoir de valeur nos yeux, que par comparaison avec les Etres de leur mme classe.
De la mesure de lÕtendue
Si cela est, lÕtendue des Corps nÕest donc pas dtermine pour nous avec plus de certitude, que leurs autres proprits. Lors donc que pour nous faire connatre la valeur de cette tendue, on se servira dÕune mesure qui sera prise dans cette mme tendue, cette mesure que lÕon emploiera sera sujette au mme inconvnient que lÕobjet que lÕon voudra mesurer, cÕest--dire, que son tendue ne sera pas plus srement dtermine ; de faon quÕil nous faudra encore chercher la mesure de cette mesure ; car quelques moyens que nous voulions employer, nous verrons clairement que ce ne sera jamais dans cette tendue o nous dcouvrirons sa vraie demeure, et par consquent, quÕil faudra toujours recourir au Principe qui a engendr lÕtendue, et toutes les proprits de la Matire.
CÕest donc l ce qui dmontre compltement lÕinsuffisance de la marche des Gomtres, lorsquÕils prtendent fixer la vraie mesure des Etres corporels. Il est vrai, et jÕen suis convenu, quÕils attachent des nombres cette mesure tendue et sensible laquelle ils ont recours. Mais non seulement les nombres dont ils se servent ne sont eux-mmes que relatifs et conventionnels, non seulement lÕhomme est libre dÕen varier les rapports et de sÕtablir telle chelle quÕil jugera propos, mais encore cette chelle, quelque utile quÕelle soit pour mesurer en gnral toutes les tendues dÕune espce, ne conviendra point du tout pour mesurer les tendues dÕune autre espce, et les hommes sont encore trouver une base fixe, invariable et universelle, laquelle puissent se rapporter toutes les espces dÕtendues quelconques.
Nature de la circonfrence
Voil dÕo vient lÕembarras que les Gomtres prouvent, lorsquÕils veulent mesurer des courbes, parce que la mesure dont ils se servent ayant t faite pour la ligne droite, ne sÕaccommode quÕ cette sorte de ligne, et offre des difficults insurmontables, quand on veut lÕappliquer la ligne circulaire, ainsi quÕ toute autre courbe qui en drive. Je dis que cette mesure offre alors des difficults insurmontables ; car, quoique les Gomtres aient tranch le nÏud, en nous donnant la ligne circulaire comme un assemblage de lignes droites infiniment petites, ils auraient tort de croire avoir rsolu la question par l, puisque jamais une fausset nÕa pu rien rsoudre.
Or, je ne puis me dispenser de regarder cette dfinition comme fausse, puisquÕelle combat directement lÕide quÕeux-mmes et la Nature nous donnent dÕune circonfrence, qui nÕest autre chose quÕune ligne dont tous les points sont galement loigns dÕun centre commun ; et je ne sais mme comment les Gomtres peuvent raisonnablement se reposer sur deux propositions aussi contradictoires ; car enfin, si la circonfrence nÕest quÕun assemblage de lignes droites, quelque infiniment petites quÕon les suppose, jamais tous les points de cette circonfrence ne seront galement loigns du centre, puisque ces lignes droites elles-mmes seront composes de plusieurs points, parmi lesquels ceux des extrmits et ceux intermdiaires ne seront srement pas la mme distance du centre ; alors le centre ne leur sera plus commun, alors la circonfrence ne sera plus une circonfrence.
Des deux sortes de lignes
CÕest donc vouloir runir les contraires, cÕest vouloir traiter comme nÕayant que la mme nature, deux choses qui sont dÕune nature trs oppose, cÕest, je le rpte, vouloir soumettre au mme nombre deux sortes dÕEtres, qui tant diffrents lÕun de lÕautre, doivent sans doute se calculer diffremment.
Il faut donc lÕavouer, cÕest ici que les hommes nous montrent le plus clairement leur penchant naturel tout confondre, et ne voir dans les Etres de classes diffrentes quÕune uniformit trompeuse, par le moyen de laquelle ils tchent dÕassimiler les choses qui se rpugnent le plus. Car il est impossible de rien concevoir qui soit plus oppos, plus contraire lÕun lÕautre, en un mot, plus contradictoire que la ligne droite et la ligne circulaire.
Outre les preuves morales qui se trouvent, soit dans les rapports de la ligne droite avec la rgularit et la perfection de lÕunit, soit dans ceux de la ligne circulaire avec lÕimpuissance et la confusion attaches la multiplicit dont cette ligne circulaire est lÕimage, je puis encore en donner des raisons dÕautant plus convaincantes, quÕelles seront prises dans les principes intellectuels, les seuls que lÕon doive admettre comme rels, et faisant Loi dans la recherche de la nature des choses ; les seuls, dis-je, qui soient inbranlables comme les axiomes.
JÕavertirai nanmoins que ces vrits ne seront pas claires pour le commun des hommes, et bien moins encore pour ceux qui nÕauront march jusquÕ ce jour, que dÕaprs de faux principes que je combats ; le premier pas quÕil y aurait donc faire pour me comprendre, ce serait dÕtudier les choses dans leur source mme, et non dans les notions que lÕimagination et les jugements prcipits en ont donnes.
Mais je sais combien peu dÕhommes sont capables dÕen avoir le courage ; et quand je le supposerais pour un grand nombre, je devrais supposer aussi, que peu dÕentre eux parviendraient un plein succs, tant les premires sources de la Science ont t infectes dÕerreur et de poison.
Si jÕai fait pressentir que tout avait son nombre dans la Nature, si cÕest par l que tous les Etres quelconques sont aiss distinguer les uns des autres, puisque toutes leurs proprits ne sauraient tre que des rsultats conformes aux Lois renfermes dans leur nombre ; il est constant que la ligne droite et la ligne courbe tant de nature diffrente, ainsi que je lÕai dj indiqu, doivent avoir chacune leur nombre particulier, qui dsigne leur diffrente nature, et nous empche de les galer dans notre pense, en les prenant indiffremment lÕune pour lÕautre.
Quand on ne rflchirait quÕun instant sur les fonctions et les proprits de ces deux sortes de lignes, cela suffirait pour quÕon dt se convaincre de la ralit de ce que je viens de dire. Quel est lÕobjet de la ligne droite, nÕest-ce pas de perptuer lÕinfini les productions du point dont elle mane ? NÕest-ce pas comme perpendiculaire, de rgler la base et lÕassiette de tous les Etres, et de leur tracer chacun leurs Lois ?
Au contraire, la ligne circulaire ne borne-t-elle pas tous ses points, les productions de la ligne droite ? Par consquent, ne tend-elle pas continuellement la dtruire, et ne peut-elle pas tre regarde en quelque sorte comme son ennemie ? Alors, comment serait-il donc possible que deux choses si opposes dans leur marche, et qui ont des proprits si diffrentes, ne fussent pas distingues dans leur nombre, comme elles le sont dans leur action ?
Si lÕon et fait plutt cette importante observation, on et pargn des peines et des travaux infinis, tous ceux qui sÕoccupent de la Science Mathmatique, en ce quÕon les et empch de chercher, comme ils le font, une mesure commune deux sortes de lignes qui nÕauront jamais rien de commun entre elles.
Nombre de chaque sorte de lignes
CÕest donc aprs avoir reconnu cette diffrence essentielle, qui les distingue dans leur figure, dans leur emploi et dans leurs proprits, que je ne dois pas craindre dÕaffirmer que leur nombre est galement diffrent.
Si lÕon me pressait de mÕexpliquer plus clairement, et dÕindiquer quel est le nombre que jÕattribue chacune de ces lignes en particulier jÕavouerais, sans peine, que la ligne droite porte le nombre quatre, et la ligne circulaire, le nombre neuf : et jÕoserais assurer quÕil nÕy a pas dÕautre moyen de parvenir les connatre ; car lÕtendue plus ou moins grande de ces lignes, ne changera rien au nombre que je leur attribue en particulier, et elles conserveront toujours le mme nombre chacune dans leur classe, quelque tendue quÕon les prolonge.
Je sais, je le rpte, que ceci pourra bien nÕtre pas entendu, tant la Matire a fait de progrs dans lÕintelligence de mes semblables. Il en est donc, qui malgr la clart de ma proposition, pourraient en infrer faussement quÕune grande et une petite ligne ayant, selon moi, le mme nombre, doivent par consquent tre gales.
Mais, pour prvenir ce paradoxe, jÕajouterai quÕune grande, comme une petite ligne, ne sont chacune que le rsultat de leur Loi et de leur nombre ;et quÕainsi quoique lÕune et lÕautre aient toujours, dans la mme classe, la mme Loi et le mme nombre, cette Loi et ce nombre agissent toujours diversement dans chacune dÕelles; cÕest--dire, avec plus ou moins de force, dÕactivit ou de dure ; dÕo lÕon voit que le rsultat qui en proviendra, doit exprimer aux yeux toutes ces diffrences sensibles, quoique le Principe qui varie son action, soit lui-mme invariable.
CÕest l, nÕen doutons pas, ce qui peut seul expliquer la diffrence universelle de tous les Etres des deux natures, tant de ceux qui dans lÕune ou lÕautre, occupent des classes diffrentes, que de ceux qui sont de la mme classe et de la mme espce ; cÕest l ce qui peut faire comprendre comment tous les individus dÕune mme classe sont diffrents, quoiquÕils aient la mme Loi, la mme source et le mme nombre.
CÕest par l aussi que sont anantis les nombres conventionnels et arbitraires, que les Gomtres emploient dans leurs mesures sensibles et vritablement les inconvnients o cette mesure les entrane, nous en font voir clairement les dfectuosits. Car, vouloir choisir la mesure de lÕtendue, dans lÕtendue, cÕest sÕexposer tre oblig de tronquer cette mesure, ou de la prolonger, lorsque lÕtendue sur laquelle on lÕa assise vient recevoir des variations ; et comme ces variations nÕarrivent pas toujours juste sous des nombres multiples, ou sous-multiples de la mesure donne ; quÕelles peuvent tomber sur des parties de nombres qui ne soient pas des entiers, par rapport au nombre principal, il faut ncessairement que la mesure donne subisse la mme mutilation ; il faut enfin admettre ce que les calculateurs appellent des fractions dÕunit, comme si jamais un Etre simple, ou une unit pouvait se diviser.
Du calcul de lÕinfini
Si les Mathmaticiens se fussent attachs cette dernire rflexion, ils auraient pris une plus juste ide dÕun savant calcul quÕils ont invent : savoir, celui de lÕinfini. Ils auraient vu quÕils ne pouvaient jamais trouver lÕinfiniment grand dans la Matire qui est borne trois Elments, mais bien dans les nombres qui sont les puissances de tout ce qui existe, et qui vraiment nÕont de bornes, ni dans notre pense, ni dans leur essence. Au contraire, ils auraient reconnu quÕils ne pouvaient trouver le calcul de lÕinfiniment petit que dans la Matire, dont la division indfinie des molcules se conoit toujours possible, quoique nos sens ne puissent pas toujours lÕoprer ; mais ils nÕeussent jamais cherch cette sorte dÕinfini dans les nombres, puisque lÕunit tant indivisible, elle est le premier terme des Etres, et nÕadmet aucun nombre avant elle.
Des mesures conventionnelles
Rien nÕest donc moins conforme au Principe vrai, que cette mesure conventionnelle que lÕhomme sÕest tablie dans ses procds gomtriques, et par consquent, rien nÕest moins propre lÕavancer dans les connaissances qui lui sont absolument ncessaires.
Le secours dÕune telle mesure est, je le sais, de la plus grande utilit, dans les dtails matriels du commerce de la vie sociale et corporelle de lÕhomme ; aussi je ne prtends pas quÕil soit blmable de lÕappliquer cet emploi ; tout ce que je lui demanderais, ce serait de ne pas avoir lÕimprudence de la porter jusque dans ses recherches sur les Vrits naturelles, parce que dans ce genre, elle ne peut que le tromper ; que les erreurs, mmes les plus simples, sont ici de la plus importante consquence, et que toutes les Vrits tant lies, il nÕy en a pas une qui puisse recevoir la moindre atteinte, sans la communiquer toutes les autres.
Les nombres quatre et neuf, que jÕannonce comme appartenant essentiellement, lÕun la ligne droite et lÕautre la ligne courbe, nÕont pas lÕinconvnient quÕon vient de remarquer dans la mthode arbitraire ; puisque ces nombres restent toujours intacts, quoique leur facult sÕtende ou se resserre dans toutes les variations dont lÕtendue est susceptible ; aussi, dans la ralit des choses, nÕy a-t-il jamais de fraction dans un Etre, et si nous nous rappelons ce qui a t dit prcdemment sur la nature des Principes des Etres corporels, nous verrons que puisquÕils sont indivisibles en qualit dÕEtres simples, les nombres qui ne font que les reprsenter et les rendre sensibles, doivent jouir de la mme proprit.
Mais, je le rpte encore, tout ceci est hors du sensible et de la Matire, ainsi, je ne me flatte pas quÕun grand nombre mÕentende. CÕest pour cela que je mÕattends quÕon reviendra encore la charge, et quÕon me demandera comment il sera possible dÕvaluer les diffrentes tendues du mme ordre, si je donne sans exception toutes les lignes droites, le nombre quatre, et toutes les lignes circulaires et courbes, le nombre neuf. On me demandera, dis-je, quel signe on pourra connatre fixement les diffrentes manires dont le mme nombre agit sur des tendues ingales, et comment il faudra sÕy prendre pour dterminer avec justesse, une tendue quelconque.
Il mÕest inutile de chercher une autre rponse que celle que jÕai faite sur cet objet. Je dirai donc que si celui qui me fait cette question nÕa en vue de connatre lÕtendue que pour son propre usage corporel, et pour ses besoins ou ses gots sensibles, comme il nÕy a rien en ce genre qui ne soit relatif, les mesures conventionnelles et relatives sont suffisantes ; parce que par le seul secours des sens, on peut porter la rgularit jusquÕau point de rendre lÕerreur inapprciable aux sens.
Mais, sÕil sÕagit de connatre plus que cette valeur relative et dÕapproximation, si lÕon demande trouver la valeur fixe et relle de lÕtendue ; comme cette valeur est en raison de lÕaction de son nombre, et que le nombre nÕest pas Matire, il est ais de voir si cÕest dans lÕtendue matrielle, quÕon peut trouver la rgle que lÕon dsire, et si nous avons eu tort de dire que la vraie mesure de lÕtendue ne saurait tre connue par les sens corporels : alors, si ce nÕest point dans les sens corporels que cette mesure se peut trouver, il ne faudra pas rflchir longtemps pour juger o elle doit tre, puisque nous nÕavons cess de reprsenter quÕil nÕy avait dans tout ce qui existe, que du sensible et de lÕintellectuel.
Nous voyons donc ds lors ce que les Gomtres ont nous apprendre, et quelles sont les erreurs dont ils bercent notre intelligence, en ne lui offrant que des mesures prises dans le sensible, et par consquent relatives, pendant quÕelle conoit quÕil y en a de vraies et quÕelle est faite pour les connatre.
De la vraie mesure
Nous voyons en mme temps reparatre ici cette Vrit universelle qui fait lÕobjet de cet Ouvrage, savoir, que cÕest dans le Principe seul des choses, quÕil est possible dÕen valuer juste proprits, et que quelque difficult quÕil y ait savoir y lire, il est incontestable que ce Principe rglant tout, mesurant tout, ds quÕon lÕloigne, on ne trouvera rien.
Je dois ajouter nanmoins, que quoiquÕil soit possible par le secours de ce Principe, de parvenir juger srement de la mesure de lÕtendue, puisque cÕest lui-mme qui la dirige, ce serait une vraie profanation de lÕemployer des combinaisons matrielles, car il peut nous faire dcouvrir des Vrits plus importantes que celles qui nÕauraient de rapport quÕ la Matire ; et les sens, comme nous lÕavons dit, sont suffisants pour diriger lÕhomme dans les choses sensibles. Nous voyons mme que les Etres au-dessous de lÕhomme, nÕont pas dÕautre Loi, et que leurs sens suffisent leurs besoins ; ainsi, pour cet objet purement relatif, la Mathmatique vraie et juste, en un mot, la Mathmatique intellectuelle serait non seulement superflue, mais mme elle ne serait pas comprise.
Quelle plus grande inconsquence nÕest-ce donc pas de vouloir assujettir et subordonner cette Mathmatique invariable et lumineuse, celle des sens, qui est si borne et si obscure ; de vouloir que celle-ci tienne lieu de lÕautre ; enfin, de vouloir que ce soit le sensible qui serve de rgle et de guide lÕintellectuel ?
Nous ne faisons l cependant que montrer de nouveau lÕinconvnient auquel les Gomtres se sont exposs ; car, en cherchant lÕtendue une mesure sensible, et nous la donnant comme relle, ils nÕont pas vu quÕelle tait variable comme lÕtendue mme, et que loin de diriger la Matire, elle tait elle-mme dans la dpendance de cette Matire, puisquÕelle en suivait ncessairement le cours et tous les rsultats de relation.
Alors, ds que les nombres quatre et neuf, que jÕai avou tre la mesure des deux sortes de lignes possibles, sont entirement couvert de cette sujtion ; je ne dois pas craindre dÕerrer, en leur donnant toute ma confiance, et en les annonant, ainsi que je lÕai fait, comme la vraie mesure, chacun dans leur classe.
JÕavouerai quÕil mÕest dur de ne pouvoir exposer ces Vrits, sans sentir combien elles sont humiliantes pour les Gomtres, puisque, par les efforts quÕils font journellement pour confondre ces deux mesures, ils nous obligent dire que mme les plus clbres dÕentre eux ne savent pas encore la diffrence dÕune ligne droite une ligne courbe, ainsi quÕon le verra ci-aprs plus en dtail.
Du mouvement
Mais lÕerreur que lÕon vient dÕapercevoir nÕest pas la seule quÕils aient faite sur lÕtendue ; non seulement cÕest dans elle quÕils ont cherch sa mesure, comme nous lÕavons fait observer, mais mme ils y ont encore cherch la source du mouvement. NÕosant jamais sÕlever au-dessus de cette tnbreuse matire qui les environne, ils ont cru pouvoir fixer un espace et une borne au principe de ce mouvement, de faon que, selon ce systme, il nÕest plus possible, hors de cette borne, de rien concevoir dÕactif et qui se meuve.
SÕils ne se sont pas faits encore une ide plus juste du mouvement, nÕest-ce pas toujours par la mme mprise qui leur fait confondre les choses les plus distinctes, nÕest-ce pas parce quÕils ne cherchent que dans lÕtendue, au lieu de chercher dans son Principe ?
Car cette tendue nÕayant que des proprits relatives, ou des abstractions, il lui est impossible de rien offrir de fixe, et dÕassez stable pour que lÕintelligence de lÕhomme sÕy repose dÕune manire satisfaisante ; et vouloir trouver dans elle la source de son mouvement, cÕest rpter toutes ces tentatives insuffisantes qui ont t dj renverses, et vouloir soumettre le Principe sa production, pendant que selon lÕordre naturel et vrai des choses lÕÏuvre fut toujours au-dessous de son Principe gnrateur.
CÕest donc dans le Principe immatriel de tous les Etres, soit intellectuels, soit corporels, que rside essentiellement la source du mouvement qui se trouve en chacun dÕeux. CÕest par lÕaction de ce Principe, que se manifestent toutes leurs facults, selon leur rang et leur emploi personnel, cÕest--dire, intellectuelles dans lÕordre intellectuel, et sensibles dans lÕordre sensible.
Or, si la seule action du Principe des Etres corporels est le mouvement, si cÕest par l seul quÕils croissent, quÕils se nourrissent ; enfin, quÕils manifestent et rendent sensibles et apparentes toutes leurs proprits, et par consquent lÕtendue mme, comment peut-on donc faire dpendre ce mouvement de lÕtendue ou de la Matire, puisquÕau contraire cÕest lÕtendue ou la Matire, qui vient de lui ? Comment peut-on dire que ce mouvement appartienne essentiellement la Matire, pendant que cÕest la Matire qui appartient essentiellement au mouvement ?
Il est incontestable que la Matire nÕexiste que par le mouvement ; car nous voyons que quand les corps sont privs de celui qui leur est accord pour un temps, ils se dissolvent et disparaissent insensiblement. Il est tout aussi certain par cette mme observation, que le mouvement qui donne la vie aux corps, ne leur appartient point en propre, puisque nous le voyons cesser dans eux, avant quÕils aient cess dÕtre sensibles nos yeux ; de mme que nous ne pouvons douter quÕils ne soient absolument dans sa dpendance, puisque la cessation de ce mouvement est le premier acte de leur destruction.
DÕailleurs, rappelons-nous cette Loi de raction universelle laquelle tous les Etres corporels sont assujettis, et reconnaissons que si les Principes immatriels des Etres corporels, sont eux-mmes soumis la raction dÕun autre Principe, plus forte raison les rsultats sensibles de ces Principes, tels que lÕtendue et autres, doivent ncessairement prouver cette sujtion.
Concluons donc, que si tout disparat mesure que le mouvement se retire, il est vident que lÕtendue nÕexiste que par le mouvement, ce qui est bien diffrent de dire que le mouvement est lÕtendue et dans lÕtendue.
Cependant, de cette assertion que cÕest le mouvement qui fait lÕtendue, on pourrait infrer que le mouvement tant de lÕEssence des Principes immatriels, que nous devons reconnatre prsent comme indestructibles, il est impossible que ce mouvement nÕexiste pas toujours, et par consquent, que lÕtendue ou la Matire ne soit ternelle ; ce qui nous replongerait dans ces prcipices tnbreux, dont jÕai pris tant de soin de prserver mes Lecteurs ; car je le sais, on pourrait mÕobjecter quÕon ne peut pas concevoir de mouvement sans tendue.
Cette dernire proposition est vraie dans lÕordre sensible, o lÕon ne peut concevoir de mouvement qui ne produise lÕtendue, ou qui ne se fasse dans lÕtendue ; mais, quoique les Principes qui enfantent le mouvement dans lÕordre sensible, soient immatriels, ce serait tre dans lÕerreur que dÕadmettre leur action comme ncessaire et comme ternelle, puisque nous avons vu quÕils nÕtaient que des Etres secondaires, nÕayant quÕune action particulire et non pas infinie, et quÕils taient absolument dans la dpendance dÕune Cause active et intelligente, qui leur communiquait cette action pour un temps, comme elle la leur retirait, selon lÕordre et la Loi de la Cause premire.
Des deux sortes de mouvements
Bien plus, cÕest dans cet ordre sensible mme, o nous pouvons trouver des preuves dÕun mouvement sans tendue ; quoique dans cette rgion sensible, il se fasse toujours dans lÕtendue. Pour cet effet, remarquons quÕen raison de cette double Loi universelle qui rgit la Nature corporelle, il se trouve deux sortes de mouvements dans tous les Corps.
Premirement, celui de leur croissance, ou lÕaction mme qui manifeste et soutient leur Existence sensible.
En second lieu, celui de leur tendance vers la Terre, qui est leur Centre commun ; tendance qui se fait connatre, tant dans la chute des Corps, que dans la pression que leur propre pesanteur fait sur eux-mmes, ou sur la surface terrestre.
Ces deux mouvements sont directement opposs lÕun lÕautre. Aussi le second de ces mouvements, ou la tendance des Corps vers leur Centre terrestre, quoiquÕil ne puisse se faire que dans lÕtendue, ne produit cependant pas dÕtendue, comme le premier mouvement, ou celui de la croissance et de lÕexistence de ces mmes Corps.
Au contraire, lÕun tend dtruire ce que lÕautre produit ; puisque, si les Etres corporels pouvaient se runir dans leur Centre, ils seraient ds lors sans action, sans manifestation sensible, en un mot sans mouvement, et par consquent sans tendue ; puisquÕil est certain que tous ces effets nÕont lieu que parce que les Etres qui les produisent sont spars de leur Centre.
Or, si de ces deux mouvements, dont lÕun produit lÕtendue, comme nous lÕavons dit, il y en a un qui la dtruit, celui-l au moins ne devra pas se regarder comme appartenant lÕtendue, quoiquÕil nÕait lieu que dans lÕtendue ; ce serait donc l o lÕon apprendrait rsoudre cette objection, quÕon ne peut concevoir de mouvement sans tendue, et ne plus croire gnralement que le mouvement soit de lÕEssence de toutes les classes dÕEtres immatriels, puisque ceux de la classe sensible nÕen sont dpositaires que pour un temps.
Du mouvement immatriel
Fortifions encore cette vrit, quÕil peut y avoir du mouvement sans tendue. NÕavons-nous pas admis quÕil ne saurait y avoir que des Etres sensibles et des Etres intellectuels ; si cÕest la classe de ces derniers qui rgit lÕautre, et qui lui fait donner ce mouvement producteur des choses sensibles, cÕest elle qui par Essence, doit tre la vritable source du mouvement ; comme telle, elle est dÕun autre ordre que la classe des Principes immatriels corporels qui lui sont subordonns ; il doit donc y avoir dans cette classe, une action et des rsultats qui soient comme elle, distincts et indpendants du sensible, cÕest--dire, dans lesquels le sensible ne soit pour rien.
Ainsi, puisque le sensible nÕest pour rien dans toutes les actions qui appartiennent la Cause premire, et dans tous les rsultats immatriels qui en proviennent ; sÕil ne fait quÕen recevoir la vie passive qui le soutient pendant la dure du temps ; si enfin tous les effets sensibles, pendant le temps actuel de leur existence mme, sont absolument sans aucune influence sur la classe purement intellectuelle, plus forte raison cette classe a-t-elle pu agir avant lÕexistence des choses sensibles, et peut agir aprs leur disparition, puisque le moment o ces choses sensibles auront vcu, nÕaura pas mme drang dÕun instant, lÕaction de la Cause premire.
Alors, quoique dans le sensible, le mouvement et lÕtendue soient ncessairement lis lÕun lÕautre, cela nÕempche point que dans la classe suprieure, il ne doive y avoir ternellement un mouvement ou une action, quand mme rien de sensible ne serait existant, et dans ce sens on peut dire avec certitude, que quoiquÕon ne puisse concevoir dÕtendue sans mouvement, il est cependant incontestable quÕon peut concevoir du mouvement sans tendue, puisque le Principe du mouvement, soit sensible, soit intellectuel, est hors de lÕtendue.
Runissant ensuite toutes ces observations, on doit voir sÕil est possible de jamais attribuer avec raison aucun mouvement lÕtendue, comme en faisant lÕEssence ncessaire, et si lÕhomme ne sÕgare pas, lorsquÕil en cherche l le principe et la connaissance.
Du nombre du mouvement
JÕai dit en gnral que le mouvement nÕtait autre chose que lÕeffet de lÕaction, ou plutt lÕaction mme, puisquÕils sont insparables. JÕai reconnu en outre, que dans les choses sensibles, il y avait deux sortes de mouvements ou dÕactions opposes ; savoir, la croissance et la dcroissance, ou la force qui loigne les corps de leur Centre, et leur propre Loi qui tend les en rapprocher. Mais, comme le dernier de ces mouvements ne fait que revenir sur les traces de lÕautre, dans le mme temps, et selon la mme Loi, dans lÕordre inverse, nous ne craignons point dÕerrer, en les annonant comme provenant tous les deux du mme nombre ; et le moindre des Gomtres sait que ce nombre est quatre.
Qui ne sait, en effet, que tous les mouvements et toutes les rvolutions possibles des corps, se font en Progression gomtrique quaternaire, soit ascendante, soit descendante ? Qui ne sait que ce nombre quatre est la Loi universelle du cours des Astres, celle de la Mcanique, de la Pyrotechnie, celle, en un mot, de tout ce qui se meut dans la Rgion corporelle soit naturellement soit par la main des hommes ?
Et vritablement, si la vie agit sans interruption, et que son action soit toujours nouvelle ; cÕest--dire, si elle crot ou dcrot sans cesse dans les Etres corporels et sujets la destruction, quelle autre Loi que celle de la Progression gomtrique ascendante ou descendante saurait convenir la Nature ?
En effet, la Progression arithmtique en est entirement bannie, parce quÕelle est strile et quÕelle ne peut embrasser que des faits borns ou des rsultats toujours gaux et toujours uniformes. Aussi les hommes ne devraient-ils jamais lÕappliquer quÕ des objets morts, des divisions fixes, ou des assemblages immobiles ; et quand ils ont voulu lÕemployer pour dsigner les actions simples et vivantes de la Nature, comme celles de lÕAir, celles qui produisent la chaleur et le froid, et toutes les autres causes des rvolutions de lÕAtmosphre, leurs rsultats ou leurs divisions, ont t trs vicieuses, en ce quÕelles ont donn la multitude, une ide fausse du Principe de vie ou dÕaction corporelle, dont la mesure nÕtant point sensible, ne peut, sans la plus grossire mprise, se tracer sur la Matire.
Nous nÕinduirons donc personne en erreur, en donnant la Progression gomtrique quaternaire, comme tant le principe de la vie des Etres, ou en assurant que le nombre' de toute action est quatre, quelque inconnu que soit ce langage.
Du nombre de lÕtendue
Mais ce que nous nÕavons point encore fix, cÕest de savoir quel est le nombre de lÕtendue. Il faut donc le dire, cÕest ce mme nombre neuf qui a t appliqu ci-devant la ligne circulaire. Oui, la ligne circulaire et lÕtendue ont un tel rapport, elles sont tellement insparables, quÕelles portent absolument le mme nombre, qui est neuf.
Si elles ont le mme nombre, elles ont ncessairement la mme mesure et le mme poids ; car ces trois principes marchant toujours dÕaccord, lÕun ne peut tre dtermin, quÕil ne dtermine galement les deux autres.
De la ligne circulaire
Effectivement, quelque nouveau que cela doive paratre, je ne puis me dispenser dÕavouer que lÕtendue et la ligne circulaire ne sont quÕune mme chose ; cÕest--dire, quÕil nÕy a dÕtendue que par la ligne circulaire, et rciproquement quÕil nÕy a que la ligne circulaire qui soit corporelle et sensible ; cÕest--dire, enfin, que la Nature matrielle et tendue ne peut tre forme que de lignes qui ne sont pas droites, ou, ce qui est la mme chose, quÕil nÕy a pas une seule ligne droite dans la Nature, comme on le verra ci-aprs.
Je nÕai quÕun mot dire avant dÕen venir l, qui est que si les Observateurs eussent examin ceci de plus prs, ils auraient rsolu depuis longtemps une question qui nÕest pas encore clairement dcide parmi eux, savoir, si la gnration et la reproduction se font par des Ïufs, ou par des vers ou Animaux spermatiques ; ils auraient vu que rien nÕtant sans enveloppe ici-bas, et toute enveloppe, ou toute tendue, tant circulaire, tout est ver dans la Nature, parce que tout est Ïuf ; et rciproquement tout est Ïuf, parce que tout est ver. Je reviens mon sujet. Il ne suffit pas, je le sais, dÕavoir exclus de la Nature, la ligne droite, il faut exposer les raisons qui mÕy dterminent.
Premirement, si nous suivons lÕorigine de toutes les choses sensibles et matrielles, nous ne pourrons nier que le Principe des Etres corporels ne soit le Feu, mais que leur corporisation ne vienne de lÕEau, et quÕainsi les Corps ne commencent par le fluide.
En second lieu, nous ne pourrons nier aussi que ce fluide ne soit le principe qui opre la dissolution des Corps, et quÕensuite le Feu nÕen opre la rintgration, puisquÕune des plus belles Lois de la Vrit est que lÕordre direct et lÕordre inverse aient un cours uniforme en sens contraire.
Mais tout fluide nÕest quÕun assemblage de particules sphriques ; et cÕest mme la forme sphrique de ces particules qui donne au fluide la proprit quÕil a de sÕtendre et de circuler. Alors, si les Corps prennent l leur naissance, il est donc constant quÕils doivent conserver dans leur tat de perfection, la mme forme quÕils ont reue leur origine, comme ils la reprsentent encore dans leur dissolution en particules fluides et sphriques et par cette raison les Corps doivent se considrer comme un assemblage de ces mmes globules sphriques, mais qui ont pris de la consistance, en proportion de ce que leur Feu a plus ou moins dessch la partie grossire de leur humide. A quelque degr que lÕon porte cet assemblage de globules sphriques, il est donc vident que le rsultat sera toujours sphrique et circulaire comme son principe.
Veut-on se convaincre matriellement de ce que jÕavance ? Que lÕon fixe avec attention les corps dont les dimensions nous paraissent droites, observons les surfaces les plus unies ; chacun sait quÕon nÕy pourra dcouvrir quÕingalits, quÕlvations et quÕenfoncements ; chacun sait, dis-je, ou doit savoir que les surfaces des Corps, vues de prs, nÕoffrent aux yeux quÕune multitude de sillons.
Mais ces sillons eux-mmes ne sont composs que de ces ingalits, et ceci lÕinfini, et tant que nos yeux ou les instruments dont nous les aidons pourront sÕtendre, nous ne verrons jamais, soit dans les surfaces des Corps, soit dans les sillons quÕelles nous prsentent, quÕune runion de plusieurs particules sphriques qui ne se touchent que par un point de leur surface.
QuÕon examine donc alors sÕil est possible dÕy admettre de ligne droite.
De la ligne droite
QuÕon ne mÕobjecte pas cet intervalle qui existe entre deux points donns, et entre lesquels on peut supposer une ligne droite qui correspondent de lÕun lÕautre.
Premirement, ces deux points, ainsi spars, ne sont plus censs faire corps ensemble. Ainsi la ligne droite quÕon supposerait ente eux, serait purement dans la pense, et ne pourrait pas tre conue comme corporelle et sensible. Secondement, cet intervalle, qui les spare, est lui-mme rempli de particules mercurielles ariennes, qui tant sphriques, comme celles des autres Corps, ne pourraient jamais se toucher que par leur surface ; ainsi cet intervalle serait corps, et par cette raison sujet aux mmes ingalits que les Corps ; ce qui sÕaccorde entirement avec ce qui a t dit prcdemment sur les principes de la Matire, qui, malgr leur union, ne sauraient jamais se confondre.
NÕy ayant donc aucune continuit dans les corps, tout y tant successif et interrompu, il est impossible dans aucun sens dÕy supposer et dÕy reconnatre de lignes droites.
Outre les raisons que nous venons de voir, il en est dÕautres qui viennent lÕappui, et qui confirment lÕvidence de ce Principe. Je me suis dcid convenir que le nombre quatre tait le nombre de la ligne droite ; jÕai vu depuis, de concert avec tous les Observateurs, que le nombre quatre tait aussi celui qui dirigeait toute espce de mouvement quelconque ; il y a donc une grande analogie entre le principe du mouvement et la ligne droite, puisque nous leur voyons porter le mme nombre, puisque dÕailleurs nous avons reconnu que dans ce mouvement rsidait la source et lÕaction des choses corporelles et sensibles, et quÕen mme temps nous avons vu que la ligne droite tait lÕemblme de lÕinfinit et de la continuit des productions du point dont elle mane.
Or jÕai assez dmontr que le mouvement, quoique produisant les choses corporelles et sensibles, ou lÕtendue, ne saurait cependant jamais appartenir en propre cette mme tendue, ni en dpendre ; alors donc, si la ligne droite a le mme nombre que ce mouvement, elle doit avoir la mme Loi et la mme proprit ; cÕest--dire, que quoiquÕelle dirige les choses corporelles et tendues, jamais elle ne pourra se mlanger avec elles, ni sÕy confondre et devenir sensible, puisque le principe ne peut se confondre avec sa production.
Ce sont toutes ces raisons runies, qui doivent empcher de jamais admettre de ligne droite dans la Nature corporelle.
De la quadrature du cercle
Rappelons donc ici tous nos principes ; le nombre quatre est celui du mouvement, cÕest celui de la ligne droite, en un mot, cÕest le nombre de tout ce qui nÕest pas corporel et sensible. Le nombre neuf est celui de lÕtendue et de la ligne circulaire, qui constitue universellement lÕtendue, cÕest--dire, quÕil est le nombre des corps et de toutes les parties des corps ; car il faut absolument regarder la ligne circulaire comme la production ncessaire du mouvement qui se fait dans le temps.
Ce sont l les deux seules et uniques Lois que nous puissions reconnatre, et avec elles nous pouvons sans doute embrasser tout ce qui existe, puisquÕil nÕy a rien qui ne soit, ou dans lÕtendue, ou hors de lÕtendue, qui ne soit passif ou actif, rsultat ou Principe, passager ou immuable, corporel ou incorporel, prissable ou indestructible.
Prenant donc ces deux Lois pour guides, nous reviendrons la manire dont nous avons vu que les Gomtres avaient considr les deux seules sortes de lignes possibles, la droite et la courbe ; et nous jugerons sÕil est vrai que le cercle soit, comme ils le prtendent, un assemblage de lignes droites, puisquÕau contraire, il nÕy a pas de ligne droite, prise dans le corporel, qui ne soit un assemblage de lignes courbes.
CÕest pourtant, faute dÕavoir discern les diffrents nombres de ces deux diffrentes lignes, que depuis son exil lÕhomme cherche les concilier, ou ce qui est la mme chose, tche de dcouvrir ce que lÕon nomme la quadrature du cercle ; car, avant sa chute, connaissant la nature des Etres, il ne se serait pas consum en efforts inutiles, et ne se serait pas livr la recherche dÕune dcouverte dont il et videmment connu lÕimpossibilit ; il nÕet t ni assez aveugle, ni assez imprudent, pour vouloir rapprocher des principes aussi diffrents que ceux de la ligne droite et de la ligne courbe ; en un mot, il ne ft jamais venu sa pense de croire pouvoir changer la nature des Etres, et de faire en sorte que neuf valt quatre, ou que quatre valt neuf ; ce qui est la lettre lÕobjet de lÕtude et de lÕoccupation des Gomtres.
QuÕon essaie en effet de concilier ces deux nombres, comment y parviendra-t-on ; comment adapter neuf avec quatre, comment diviser neuf par quatre, ou, ce qui est la mme chose, partager neuf en quatre parties sans y admettre de fractions, qui, selon ce quÕon a vu, ne peuvent se trouver dans les Principes naturels des choses, quoiquÕelles puissent sÕoprer sur leurs rsultats, qui, ne sont que des assemblages ? Car, aprs avoir trouv deux pour quotient, ne nous resterait-il pas toujours une Unit, quÕil faudrait diviser galement par ce mme nombre quatre ?
Nous voyons donc que cette quadrature est impraticable en figure, ou dans le corporel et le sensible, et quÕelle ne saurait jamais avoir lieu quÕen nombre et immatriellement ; cÕest--dire, en admettant le Centre qui est corporel et Quaternaire, comme on en sera convaincu dans peu. Je laisse donc penser prsent si cette quadrature est admissible, de la manire dont les hommes sÕen occupent ; si lÕimpossibilit nÕen est pas videmment dmontre, et si alors nous devons tre tonns quÕon nÕait encore rien trouv sur cet objet ; car, en fait de Vrit, une approximation, ou rien, cÕest la mme chose.
De la longitude
Il en faut dire autant de la longitude, quÕun si grand nombre dÕhommes cherche sur la surface terrestre avec tant dÕmulation ; et pour en juger, il sera suffisant dÕobserver la diffrence qui existe entre la longitude et la latitude. La latitude est horizontale et va du Sud au Nord. Or, comme ce Sud nÕest dsign par aucun des points imaginaires, invents par les Astronomes pour nous expliquer lÕUnivers, mais trs certainement par le Soleil, dont le Midi vertical varie, en sÕlevant ou en sÕabaissant chaque jour par rapport au jour prcdent, il suit que cette latitude est ncessairement circulaire et variable, et comme telle, elle porte le nombre neuf dÕaprs tous les principes qui viennent dÕtre tablis.
Au contraire, la longitude est perpendiculaire, et vient de lÕEst qui est toujours au mme point dÕlvation, quoique cet Est se montre chaque jour diffrents points de lÕhorizon. Ainsi la longitude tant fixe et toujours la mme, est lÕimage relle de la ligne droite, et par consquent porte le nombre quatre. Or nous venons de voir lÕincompatibilit des deux nombres quatre et neuf ; comment est-il donc possible de trouver le perpendiculaire dans lÕhorizontal, comment assimiler le suprieur lÕinfrieur, comment enfin dcouvrir lÕEst sur la surface terrestre, puisquÕil nÕest pas dans sa Rgion ?
Quand jÕai dit que lÕEst tait fixe, on a bien vu que je ne parlais pas de celui que donne le lever du Soleil, puisquÕil change tous les jours. DÕailleurs lÕespce de longitude, que le Soleil donne de cette manire, nÕest toujours quÕhorizontale par rapport nous, comme la latitude, et par cela seul trs dfectueuse.
Mais je parle du vritable Est dont le lever du Soleil nÕest que le signe indicatif, et qui se manifeste visiblement et plus juste dans lÕaplomb et la perpendiculaire ; de cet Est, qui par son nombre quatre, peut seul embrasser tout lÕespace, puisquÕen se joignant au nombre neuf ou celui de lÕtendue, cÕest--dire, unissant lÕactif au passif, il forme le nombre treize, qui est le nombre de la Nature.
Il nÕest donc pas plus possible de trouver cette longitude sur la Terre, que de concilier la ligne droite avec la ligne courbe, et que de trouver la mesure de lÕtendue et le mouvement dans lÕtendue ; nouvelle preuve de la vrit des principes que nous avons exposs.
Du calcul solaire et lunaire
Nous devons appliquer encore cette Loi une autre observation, et dire que cÕest par la raison de cette mme diffrence du nombre quatre au nombre neuf, quÕon nÕa pu jusquÕ prsent et quÕon ne pourra jamais faire quadrer juste le calcul Lunaire avec le calcul Solaire. Car la Lune est neuvaire, comme tant attache la Terre qui nÕa que des courbes en latitude ; le Soleil, au contraire, quoique dsignant la latitude par le Sud, est nanmoins dans son Est terrestre, ou dans le lieu de son lever, lÕimage du principe de la longitude, ou de la ligne droite, et comme tel il est quaternaire. DÕailleurs il est clairement distinct de la rgion de la Terre, laquelle il communique la raction sa facult vgtative, nouvel indice de son activit quaternaire ; en un mot, son quaternaire se manifeste sur la Lune mme par les quatre phases que nous apercevons sur elle, et qui se dterminent par ses diffrentes positions par rapport au Soleil dont elle reoit la lumire.
Ainsi appliquant cet exemple le principe qui nous occupe pour le prsent, on verra clairement pourquoi le calcul Solaire et le calcul Lunaire sont incompatibles, et que le vrai moyen de parvenir la connaissance des choses, est de commencer par ne pas les confondre, mais de les suivre et de les examiner chacune selon le nombre et les Lois qui leur sont propres.
Des systmes astronomiques
Que ne mÕest-il permis de mÕtendre plus au long, sur ce nombre neuf que jÕattribue la Lune, et par consquent la Terre dont elle est le Satellite ? Je montrerais par le nombre de cette Terre, quel est son emploi et sa destination dans lÕUnivers ; cela pourrait mme nous donner des indices sur la vritable forme quÕelle porte, et rpandre encore plus de jour sur le systme actuel qui ne lÕadmet pas comme immobile, mais, au contraire, comme parcourant un trs grand orbite.
Car les Astronomes se sont peut-tre un peu trop presss dans leurs jugements ; et avant de donner toute leur confiance leurs observations, ils auraient d examiner lequel parmi les Etres corporels doit agir le plus, ou de celui qui donne la raction, ou de celui qui la reoit ; si le feu nÕest pas le plus mobile des Elments, et le sang plus agile que les corps dans lesquels il circule ; ils auraient d penser que la Terre, quoique nÕoccupant pas le centre des orbites des Astres, pouvait cependant leur servir de Rcipient, et ds lors devant recevoir et attendre leurs influences, sans tre force dÕajouter une seconde action corporelle, lÕaction vgtative qui lui est propre, et dont ces Astres sont privs.
Enfin les plus simples expriences sur le Cne, leur auraient prouv la vraie forme de la Terre ; et nous pourrions leur offrir, dans la destination de cette mme Terre, dans le rang quÕelle occupe parmi les Etres crs, et dans les proprits de la perpendiculaire ou de la ligne droite, des difficults insurmontables, et que leurs systmes ne pourraient rsoudre.
Il arriverait peut-tre aussi que ces difficults ne seraient pas senties, parce que lÕAstronomie sÕest isole comme toutes les Sciences o lÕhomme a mis la main, quÕelle a considr la Terre, ainsi que chacun des corps clestes, comme des Etres distincts, et sans liaison les uns aux autres ; en un mot, parce que lÕhomme a agi l aussi inconsidrment que dans tout le reste, cÕest--dire, quÕil nÕa point port la vue sur le principe de lÕexistence de tous ces corps, sur celui de leurs Lois et de leur destination, et que par cette raison il ne connat pas encore quel en est le premier objet.
De la Terre
Bien plus, cÕest par un motif louable en apparence, quÕil a cherch ravaler la Terre, en la comparant lÕimmensit et la grandeur des Astres ; il a eu la faiblesse de croire que cette Terre nÕtant quÕun point dans lÕUnivers, mritait peu lÕattention de la premire Cause ; quÕil serait contre la vraisemblance que cette Terre ft au contraire ce quÕil y a de plus prcieux dans la cration, et que tout ce qui existe autour ou au-dessus dÕelle, lui vnt apporter son tribut ; comme si cÕtait sur une mesure sensible, que lÕAuteur des choses dt valuer ses Ouvrages, et que leur prix ne ft pas plutt dans la noblesse de leur emploi et dans leurs proprits, que dans la grandeur de lÕespace et de lÕtendue quÕils occupent.
CÕest peut-tre cette fausse combinaison qui aura conduit lÕhomme cette autre combinaison plus fausse encore, par laquelle il affecte de ne se pas croire digne lui-mme des regards de son Auteur ; il a cru nÕcouter que lÕhumilit, en refusant dÕadmettre que cette Terre mme, et tout ce que lÕUnivers contient nÕtaient faits que pour lui ; il a feint de craindre de trop couter son orgueil, en se livrant cette pense.
Mais il nÕa pas craint lÕindolence et la lchet qui suivent ncessairement de cette feinte modestie ; et si lÕhomme vite de se regarder aujourdÕhui comme devant tre le Roi de lÕUnivers, cÕest quÕil nÕa pas le courage de travailler en retrouver les Titres, que les devoirs lui en paraissent trop fatigants, et quÕil craint moins de renoncer son tat et tous ses droits, que dÕentreprendre de les remettre dans leur valeur. Cependant, sÕil voulait un instant sÕobserver lui-mme, il verrait bientt quÕil devrait mettre son humilit, avouer quÕil est avec raison au dessous de son rang, mais non se croire dÕune nature nÕavoir jamais pu lÕoccuper, ni ne pouvoir jamais y rentrer.
De la pluralit des mondes
Que ne puis-je donc, je le rpte, me livrer tout ce que jÕaurais dire sur ces matires ? Que ne puis-je montrer les rapports qui se trouvent entre cette Terre et le corps de lÕhomme, qui est form de la mme substance, puisquÕil en est provenu ? Si mon plan me le permettait, je prendrais dans leur analogie incontestable, le tmoignage de lÕuniformit de leurs Lois, et de leurs proportions, dÕo il serait ais de voir quÕils ont lÕun et lÕautre le mme but remplir.
Ce serait mme l, o lÕon apprendrait pourquoi jÕai enseign au commencement de cet Ouvrage, que lÕhomme tait si fort intress maintenir son corps en bon tat ; parce que sÕil est fait lÕimage de la Terre, et que la Terre soit le fondement de la cration corporelle, il ne peut conserver sa ressemblance avec elle, quÕen rsistant comme elle aux forces qui la combattent continuellement. On y verrait aussi que cette Terre lui doit tre respectable comme sa mre, et quÕtant, aprs la Cause intelligente et lÕhomme, le plus puissant des Etres de la Nature temporelle, elle est elle-mme la preuve quÕil nÕexiste pas dÕautres Mondes corporels que celui qui nous est visible.
Car cette opinion de la pluralit des Mondes, est encore prise dans la mme source de toutes les erreurs humaines ; cÕest pour vouloir tout sparer, tout dmembrer, que lÕhomme suppose une multitude dÕautres Univers, dont les Etoiles sont les Soleils, et qui nÕont pas plus de correspondance entre eux, quÕavec le Monde que nous habitons ; comme si cette existence part tait compatible avec lÕide que nous avons de lÕUnit ; et comme si, en qualit dÕEtre intellectuel, dans le cas que ces Mondes supposs existassent, lÕhomme nÕen aurait pas la connaissance.
Alors, sÕil peut et doit avoir la connaissance de tout ce qui existe, il faut ncessairement que rien ne soit isol, et que tout se tienne ; puisque cÕest avec un seul et mme principe que lÕhomme embrasse tout et quÕil ne le pourrait avec ce seul et mme principe, si tous les Etres crs corporellement nÕtaient pas semblables entre eux et de la mme nature.
Oui, sans doute, il y a plusieurs Mondes, puisque le plus petit des Etres en est un, mais tous tiennent la mme chane et comme lÕhomme a le droit de porter la main jusquÕau premier anneau de cette chane, il ne saurait en approcher, quÕil ne touche la fois tous les Mondes.
On verrait de plus dans le tableau des proprits de la Terre, que pour le bien-tre de lÕhomme, soit sensible, soit intellectuel, elle est une source fconde et inpuisable ; quÕelle rassemble toutes les proportions, tant numriques que de figure ; quÕelle est le premier point dÕappui que lÕhomme a rencontr dans sa chute, et quÕen cela il ne saurait trop en priser lÕimportance, puisque sans elle il serait tomb beaucoup plus bas.
Du nombre neuvaire
Que serait-ce donc si jÕosais parler du Principe qui lÕanime, et en qui rsident toutes les facults de vgtation et autres vertus que je pourrais exposer ? CÕest bien alors que les hommes apprendraient avoir de la vnration pour elle, quÕils sÕoccuperaient davantage de sa Culture et quÕils la regarderaient comme lÕentre de la route quÕils ont parcourir pour retourner au lieu qui leur a donn la naissance.
Mais je nÕen ai peut-tre dj que trop dit sur ces objets, et si jÕallais plus loin, je craindrais dÕusurper des droits qui ne mÕappartiennent pas. Je reviens donc aux nombres quatre et neuf, que jÕai annoncs comme tant propres, lÕun la ligne droite, et lÕautre la ligne courbe ; comme tant aussi lÕun le nombre du mouvement, ou de lÕaction, et lÕautre celui de lÕtendue ; car il se pourrait que ces nombres parussent supposs et imaginaires.
Il est propos que je fasse voir pour quelle raison je les emploie, et pourquoi je prtends quÕils conviennent chacun naturellement aux lignes auxquelles je les ai attribus ; commenons par le nombre neuf, ou celui de la ligne circulaire et de lÕtendue.
Sans doute, quÕil ne rpugnera personne de considrer une circonfrence comme un zro ; car quelle figure peut plus que le zro ressembler une circonfrence ? Il rpugnera moins encore dÕen regarder le centre comme une Unit, puisquÕil est impossible que pour une circonfrence, il y ait plus dÕun centre ; tout le monde sait aussi quÕune Unit jointe un zro donne dix, en cette sorte 10. Ainsi nous pouvons envisager le cercle entier, comme faisant dix ou 10, cÕest--dire le centre avec la circonfrence.
Mais nous pouvons galement regarder le cercle entier, comme un Etre corporel dont la circonfrence est la forme ou le corps, et dont le centre est le Principe immatriel. Or nous avons vu avec assez de dtail, quÕon ne devait jamais confondre ce Principe immatriel avec la forme corporelle et tendue ; que quoique ce soit sur leur union quÕest fonde lÕexistence de la Matire, cependant cÕtait une erreur impardonnable de les prendre pour le mme Etre, et que lÕintelligence de lÕhomme pouvait toujours les sparer.
Alors, sparer ce Principe de sa forme corporelle, nÕest-ce pas la mme chose que de sparer le centre de sa circonfrence, et par consquent la mme chose que dÕter lÕunit 1 du denaire 10. Mais, si on te une unit du dnaire 10, il est bien certain quÕil ne restera plus que neuf en nombre ; cependant il nous restera en figure le zro, 0, ou la ligne circulaire, ou enfin la circonfrence. Que lÕon voie donc prsent, si le nombre neuf et la circonfrence ne se conviennent pas lÕun lÕautre, et si nous avons eu tort de donner ce nombre neuf toute tendue, puisque nous avons prouv que toute tendue tait circulaire.
Que lÕon voie aussi, dÕaprs le rapport existant entre le zro, qui est comme nul par lui-mme, et le nombre neuf, ou celui de lÕtendue, si lÕon aurait d blmer si lgrement ceux qui ont prtendu que la Matire nÕtait quÕapparente.
Je sais que la plupart des Gomtres, regardant le nombre des caractres dÕArithmtique, comme dpendant de la convention de lÕhomme, prendront peu de confiance la dmonstration prsente ; je sais mme quÕil en est parmi eux qui ont essay de porter jusquÕ vingt, le nombre de ces caractres, pour faciliter les oprations de calcul.
Mais, premirement, si plusieurs Nations ont des caractres dÕArithmtique, qui ne proviennent que de leur convention, les caractres Arabes doivent en tre excepts, parce quÕils sont fonds sur les Lois et la nature des choses sensibles, qui aussi bien que les choses intellectuelles, ont des signes numriques qui leur sont propres.
Secondement, comme les Gomtres ignorent entirement les Lois et les proprits des Nombres, ils nÕont pas vu quÕen les multipliant au-del de dix, ils dnaturaient tout, et voulaient donner aux Etres un Principe qui nÕtait pas simple, et qui nÕoffrait point dÕUnit ; ils nÕont pas vu que lÕUnit tant universelle, la somme de tous les Nombres devait principalement nous retracer son image, afin que se montrant aussi relle et aussi inaltrable dans ses productions que dans son Essence, cette Unit et nos hommages des droits invincibles, et que lÕhomme ft inexcusable, sÕil venait les mconnatre. Ils nÕont pas vu, dis je, que le nombre dix tait celui qui portait le plus parfaitement cette empreinte, et quÕainsi la volont de lÕhomme ne pourrait jamais tendre au del de dix, les signes des nombres ou des Lois de lÕUnit.
Aussi lÕexprience a pleinement confirm ce principe, et les moyens quÕon avait pris pour le combattre, sont demeurs sans aucun succs. Je ne puis donc entreprendre sa dfense, et attribuant le nombre un ou lÕUnit, au centre, attribuer le nombre neuf la circonfrence ou lÕtendue.
De la division du cercle
Je ne rappellerai point ici ce que jÕai dit de lÕunion des trois Elments fondamentaux, qui se trouvent toujours tous les trois ensemble dans chacune des trois parties des corps ; par o lÕon trouvera facilement un rapport certain du Nombre neuf la Matire, ou lÕtendue circulaire ; je ne dirai rien non plus de la formation du cube, soit algbrique, soit arithmtique, qui, lorsque les facteurs nÕont que deux termes, ne peut avoir lieu que par neuf oprations, puisque parmi les dix, quÕon y devrait compter la rigueur, la seconde et la troisime ne sont quÕune rptition lÕune de lÕautre, et ds lors doivent se considrer comme ne faisant quÕun.
Mais jÕappuierai le principe que jÕai tabli, de quelques observations sur la mesure et la division du cercle ; car il est faux de dire que ce sont les Gomtres qui lÕont divis en trois cent soixante degrs, comme tant la division la plus commode, et celle qui se prtait le plus facilement toutes les oprations du calcul.
Cette division du cercle en trois cent soixante degrs, nÕest point du tout arbitraire ; cÕest la Nature mme qui nous la donne, puisque le cercle nÕest compos que de triangles, et quÕil y a six de ces triangles quilatraux, dans toute lÕtendue de ce mme cercle.
QuÕon suive donc, si lÕon a des yeux, lÕordre naturel de ces nombres, quÕon y joigne le produit qui est la circonfrence ou le zro, et quÕon voie si ce sont les hommes qui ont tabli ces divisions.
Faut-il exposer moi-mme lÕordre naturel de ces nombres ? Toute production quelconque est ternaire, trois. Il y a six de ces productions parfaites dans un cercle, ou six triangles quilatraux, six. Enfin la circonfrence elle-mme complte lÕÏuvre, et donne neuf ou zro,
0. Si lÕon veut donc rduire en chiffres tous ces Nombres, nous aurons premirement 3, secondement 6, et enfin 0, lesquels runis donneront 360.
QuÕon fasse ensuite telles multiplications quÕon voudra, sur les Nombres que nous venons de reconnatre comme constituant le cercle ; alors, comme tous les rsultats en seront neuvaires, on ne doutera plus de lÕuniversalit du nombre neuf dans la Matire.
On ne doutera pas non plus de lÕimpuissance de ce nombre, quand on rflchira quÕavec quelque nombre quÕon le joigne, il nÕen altre jamais la nature ; ce qui, pour ceux qui en auront la clef, sera une preuve frappante de ce que nous avons dit, que la forme ou lÕenveloppe pouvait varier, sans que son Principe immatriel cesst dÕtre immuable et indestructible.
Du cercle artificiel
CÕest par ces observations simples et naturelles, que lÕon peut parvenir apercevoir lÕvidence du principe que jÕexpose. CÕest-l en mme temps, un des moyens qui peuvent indiquer aux hommes, comment on doit procder pour lire dans la nature des Etres ; car toutes leurs Lois sont crites sur leur enveloppe, dans leur marche, et dans les diffrentes rvolutions o leur cours les assujettit.
Par exemple, cÕest pour nÕavoir pas distingu la circonfrence naturelle dÕavec la circonfrence artificielle, quÕest venue lÕerreur que jÕai releve plus haut sur la manire dont on avait considr la circonfrence jusquÕ prsent, cÕest--dire, comme un assemblage dÕune infinit de points runis par des lignes droites. Il est vrai que la circonfrence que lÕhomme dcrit lÕaide du compas, ne peut se former que successivement ; et dans ce sens on peut la regarder comme lÕassemblage de plusieurs points, qui nÕtant marqus que lÕun aprs lÕautre, ne sont pas censs avoir entre eux dÕadhrence ou de continuit ; ce qui fait que lÕimagination y a suppos des lignes droites pour les rassembler.
Du cercle naturel
Mais outre que jÕai fait voir en son lieu, que mme dans ces cas-l, la ligne de runion que lÕon admettrait ne serait pas droite, puisque sensiblement il nÕy en a point qui le soit, il ne faut quÕexaminer la formation du cercle naturel, pour reconnatre la fausset des dfinitions quÕon nous donne gnralement de la ligne circulaire.
Le cercle naturel crot la fois, dans tous les sens ; il occupe et remplit toutes les parties de sa circonfrence, car ce nÕest que dans lÕordre sensible et par les yeux de notre Matire, que nous apercevons des ingalits ncessaires dans les formes corporelles, parce quÕelles ne sont que des assemblages ; au lieu que par les yeux de notre facult intellectuelle, nous voyons partout la mme force et la mme puissance, et nous nÕapercevons plus ces ingalits, parce que nous sentons que lÕaction du Principe doit tre pleine et uniforme ; sans cela il serait lui-mme expos : et soit dit en passant, cÕest l ce qui fait tomber toutes ces disputes scholastiques et puriles sur le vide ; les yeux borns du corps de lÕhomme doivent en trouver tous les pas, parce quÕils ne peuvent lire que dans lÕtendue ; sa pense nÕen conoit nulle part, parce quÕelle lit dans le Principe, quÕelle voit que ce Principe agit partout, quÕil remplit ncessairement tout, puisque la rsistance doit tre universelle comme la pression.
On ne peut donc comparer en rien le cercle naturel avec le cercle artificiel, puisque le cercle naturel se cre tout ensemble, par la seule explosion de son centre ; au lieu que le cercle artificiel ne commence que par la fin qui est le triangle ; car tout le monde sait, ou doit savoir, que le compas dont on tient une des pointes immobile, ne peut faire avec lÕautre un seul pas, sans prsenter un triangle.
Du nombre quaternaire
Venons actuellement aux raisons pour lesquelles le Nombre quatre est celui de la ligne droite.
Je dirai avant tout, que je nÕemploie pas ici ce mot de ligne droite, dans le sens quÕil a, selon le langage reu, par lequel on exprime cette tendue qui parat avoir nos yeux le mme alignement ; et en effet, ayant dmontr quÕil nÕy avait point de ligne droite dans la Nature sensible, je ne pourrais adopter lÕopinion vulgaire cet gard, sans tenir une marche contradictoire avec tout ce que jÕai tabli. Je regarderai donc seulement la ligne droite comme Principe, et comme telle, tant distingue de lÕtendue.
NÕavons-nous pas vu que le cercle naturel croissait en mme temps dans tous les sens, et que le centre jetait la fois hors de lui-mme la multitude innombrable et intarissable de ses rayons ? Chacun de ces rayons nÕest-il pas regard comme une ligne droite dans le sens matriel ? Et vritablement, par sa rectitude apparente et par la facult quÕil a de pouvoir se prolonger lÕinfini, il est lÕimage relle du Principe Gnrateur, qui produit sans cesse hors de lui, et qui ne sÕcarte jamais de sa Loi.
Nous avons vu en outre, que le cercle nÕtait lui-mme quÕun assemblage de triangles, puisque nous nÕavons reconnu partout que trois principes dans les corps, et que le cercle est corps. Or, si ce rayon, si cette ligne droite en apparence, si enfin lÕaction de ce Principe gnrateur ne peut se manifester que par une production ternaire, nous nÕaurions quÕ runir le nombre de lÕunit du centre, ou de ce Principe gnrateur, au nombre ternaire de sa production, avec laquelle il est li pendant lÕexistence de lÕEtre corporel, et nous aurions dj un indice du quaternaire que nous cherchons dans la ligne droite, selon lÕide que nous en avons donne.
Mais pour quÕon ne croie pas que nous confondons actuellement ce que nous avons distingu avec tant de soin, savoir, le centre qui est immatriel, avec la production, ou le triangle qui est matriel et sensible, il faut quÕon se rappelle ce qui a t dit sur les Principes de la Matire. JÕai fait voir assez clairement que quoiquÕils produisent la Matire, ils sont cependant immatriels eux-mmes ; alors, pris comme tels, il est facile de concevoir une liaison intime du centre, ou du Principe gnrateur, avec les Principes secondaires ; et comme les trois cts du triangle, ainsi que les trois dimensions des formes, nous ont indiqu sensiblement, que ces Principes secondaires ne sont quÕau nombre de trois, leur union avec le centre nous offre lÕide la plus parfaite de notre quaternaire immatriel.
De plus, comme cette manifestation quaternaire nÕa lieu que par lÕmanation du rayon hors de son centre ; que ce rayon, qui se prolonge toujours en ligne droite, est lÕorgane et lÕaction du Principe central ; que la ligne courbe, au contraire, ne produit rien ; et quÕelle borne toujours lÕaction et la production de la ligne droite ou du rayon ; nous ne pouvons rsister cette vidence ; et nous appliquons sans crainte le nombre quatre la ligne droite ou au rayon qui la reprsente, puisque cÕest la ligne droite et le rayon seul qui peuvent nous donner la connaissance de ce Nombre.
Voil la route par laquelle lÕhomme peut parvenir distinguer la forme et lÕenveloppe corporelle des Etres, dÕavec leurs Principes immatriels, et par-l se faire une ide assez juste de leurs diffrents nombres, pour viter la confusion et marcher avec assurance dans le sentier des observations ; voil, dis-je, le moyen de trouver cette Quadrature dont nous avons parl, et qui ne se pourra jamais dcouvrir que par le nombre du centre.
Il est si vrai, en effet, que cette ligne droite, ou ce Quaternaire, est la source et lÕorgane de tout ce qui est corporel et sensible, que cÕest au nombre quatre et au carr, que la Gomtrie ramne tout ce quÕelle veut mesurer ; car elle ne considre tous les triangles quÕelle tablit dans cette vue, que comme division et moiti de ce mme carr ; or ce carr nÕest-il pas form par quatre lignes, et par quatre lignes qui sont regardes comme droites, ou semblables au rayon, et par consquent quaternaires comme lui ?
Faut-il donc quelque chose de plus, pour dmontrer que par leur procd mme, les Gomtres prouvent ce que je leur avance ? CÕest--dire, que le Nombre qui produit les Etres, est le mme qui leur sert de mesure ; et ainsi, que la vraie mesure des Etres ne peut se trouver que dans leur Principe, et non pas dans leur enveloppe et dans lÕtendue ; puisquÕau contraire, tout ce qui est enveloppe, tout ce qui est tendue, ne peut sÕvaluer avec prcision quÕen se rapprochant du centre, et de ce Nombre Quaternaire, que nous nommons le Principe Gnrateur.
On ne songera pas, je lÕespre, mÕobjecter que toutes les figures, nommes rectilignes en Gomtrie, tant bornes par des lignes censes droites, portent galement le Quaternaire, et quÕainsi je ne devrais pas me borner au carr, pour indiquer la mesure quaternaire ; ce qui semblerait contredire la simplicit et lÕunit du principe annonc.
Quand le fait ne serait pas pour moi, quand il serait faux que les Gomtres, ainsi que je viens de le dire, ramenassent au carr, tout ce quÕils veulent mesurer, il suffirait, de ce que nous venons de dire sur ce quaternaire immatriel, pour convenir que toutes les choses sensibles provenant de lui, doivent conserver sensiblement sur elles la marque de cette origine quaternaire ; or ce quaternaire tant absolument le seul Principe Gnrateur des choses sensibles, tant le seul Nombre qui cette proprit de production soit essentielle, il est galement indispensable quÕil nÕy ait parmi les choses sensibles quÕune seule figure qui nous lÕindique, et cette figure, on lÕa dit, cÕest le carr.
De la racine carre
Et comment cette vrit ne se montrerait-elle pas pour nous parmi les choses sensibles, puisque nous la trouvons indique clairement et dÕune manire incontestable, dans la Loi numrique, cÕest--dire, dans ce que lÕhomme possde ici-bas de plus intellectuel et de plus sr ? Comment, dis je, pourrions-nous trouver plus dÕune mesure quaternaire, ou ce qui est la mme chose, plus dÕun carr, dans les Figures sensibles et corporelles qui font lÕobjet de la Gomtrie, puisque dans cette Loi numrique, ou de calcul, dont nous venons de parler, il est impossible de trouver plus dÕun nombre carr ?
Je sais que ceci doit tonner, et quelque incontestable que soit cette proposition, elle paratra nouvelle sans doute ; car il est gnralement reu quÕun carr numrique est le produit dÕun Nombre quelconque, multipli par lui-mme, et lÕon ne met pas mme en question que tous les Nombres nÕaient cette proprit.
Mais, puisque lÕanalogie que nous avons dcouverte dans toutes les classes entre les Principes et leurs productions, ne suffit pas encore pour dessiller les yeux sur ce point ; puisque, malgr lÕunit du carr parmi toutes les figures sensibles que lÕhomme peut tracer, les Gomtres se sont persuads quÕil peut y avoir plus dÕun carr numrique ; je vais entrer dans dÕautres dtails qui confirmeront la vrit de ce que je viens dÕavancer.
Le carr en figure est trs certainement le quadruple de sa base ; et sÕil nÕest que lÕimage sensible du carr intellectuel et numrique, dÕo il provient, il faut absolument que ce carr numrique et intellectuel soit le type et le modle de lÕautre ; cÕest--dire, que de mme que le carr en figure est le quadruple de sa base, de mme le carr numrique et intellectuel doit tre le quadruple de sa racine.
Or je puis certifier tous les hommes, et ils le peuvent connatre comme moi, quÕil nÕy a quÕun seul Nombre qui soit le quadruple de sa racine. Je me dispenserai mme, autant que je le pourrai, de le leur indiquer positivement, soit parce quÕil est trop facile trouver, soit parce que ce sont des Vrits que je nÕexpose quÕ regret.
Mais, me dira-t-on, si je nÕadmets quÕun seul carr numrique, comment faudra-t-il donc considrer les produits de tous les autres nombres multiplis par eux-mmes ? Car enfin, sÕil nÕy a quÕun seul carr numrique, il ne peut aussi y avoir quÕune seule racine carre parmi tous les nombres ; et cependant il nÕest pas un seul nombre qui ne puisse se multiplier par lui-mme : alors, tous les nombres pouvant se multiplier par eux-mmes, que seront-ils donc, sÕils rie sont pas des racines carres ?
Je conviens que tout nombre quelconque peut se multiplier par lui-mme, et par consquent quÕil nÕen est point qui ne puisse se regarder comme racine ; je fais de plus avec le moindre des calculateurs quÕil nÕest pas de racine qui ne soit moyenne proportionnelle entre son produit et lÕunit ; mais pour que tous ces nombres fussent des racines carres, il faudrait quÕils fussent tous en rapport de quatre avec lÕunit ; or parmi cette multitude de diffrentes racines dont la quantit ne peut jamais tre fixe, attendu que les nombres sont sans bornes, il nÕy a absolument quÕun seul nombre ou quÕune seule racine, qui soit dans ce rapport de quatre avec lÕunit ; il est donc clair que le Nombre qui se trouve avoir ce rapport, est le seul qui mrite essentiellement le nom de racine carre ; et toutes les autres racines se trouvant avoir des rapports diffrents avec lÕunit, pourront prendre des noms tirs de ces diffrents rapports, mais elles ne devront jamais prendre le nom de racines carres, puisque leur rapport avec lÕunit ne sera jamais quaternaire.
Par la mme raison, quoique toutes les racines tant multiplies par elles-mmes, rendent un produit ; cependant puisque toute racine est moyenne proportionnelle entre son produit et lÕunit, il faut de toute ncessit que ce produit lui-mme soit sa racine ce que sa racine est lÕunit ; alors sÕil nÕest quÕune seule racine qui soit dans le rapport de quatre avec lÕunit, ou qui fait carre, il est incontestable quÕil ne peut y avoir non plus quÕun seul produit qui soit dans le rapport de quatre avec sa racine, et par consquent quÕil ne peut y avoir quÕun seul carr.
Tous les autres produits nÕtant point dans ce rapport quaternaire avec leur racine, ne devront donc pas se considrer comme des carrs, mais ils porteront les noms de leurs diffrents rapports avec leur racine, comme les racines qui ne sont pas carres, portent les noms de leurs diffrents rapports avec lÕunit.
En un mot, sÕil tait vrai que toutes les racines fussent des racines carres, toutes les racines en raison double, donneraient certainement des carrs qui feraient doubles les uns des autres, et lÕon sait quÕen nombre cela est absolument impossible ; voil pourquoi nous nÕadmettons quÕun seul carr, et quÕune seule racine carre. CÕest donc pour nÕavoir pas pris une ide assez juste dÕune racine carre, que les Gomtres en ont attribu les proprits tous les nombres, tandis quÕelles ne convenaient exactement quÕ un seul nombre.
Il faut remarquer nanmoins que la diffrence qui se trouve entre cette seule Racine carre et toutes les autres racines, de mme quÕentre le seul produit carr admissible et tous les autres produits numriques, ne provient que de la qualit des facteurs, dÕo elle se rpand sur les rsultats qui en proviennent. Dans le fait, cÕest toujours le quaternaire qui dirige toutes ces oprations quelconques ; ou, pour parler plus clairement, dans toute espce de multiplication, nous trouverons toujours, premirement lÕunit ; secondement le premier facteur ; troisimement le second facteur, et enfin le rsultat, ou le produit qui provient de lÕaction mutuelle des deux facteurs.
Et quand je dis, dans toute espce de multiplication, cÕest que ceci se trouve vrai, non seulement dans tous les produits auxquels nous connaissons deux Racines ou deux facteurs, comme dans la multiplication de deux diffrents nombres lÕun par lÕautre ; mais aussi dans tous les produits o nous ne connaissons quÕune seule racine, parce que cette racine se multipliant par elle-mme, nous offre toujours distinctement nos deux facteurs.
CÕest donc l ce qui nous reprsente avec une nouvelle vidence, le pouvoir rel de ce nombre quatre, Principe de toute production, et gnrateur universel, de mme que les vertus de cette ligne droite qui en est lÕimage et lÕaction.
CÕest l aussi o nous trouvons une nouvelle preuve de la distinction des choses sensibles et des choses intellectuelles, ainsi que de tout ce qui a t dit sur leur diffrent nombre, puisque dans toutes les multiplications numriques, nous connaissons sensiblement trois choses, savoir les deux facteurs et le produit, au lieu que nous ne connaissons quÕintellectuellement lÕunit laquelle elles ont rapport, et que cette unit nÕentre jamais dans lÕopration des choses composes.
Nous voyons donc alors pourquoi nous avons reconnu ce quaternaire comme tant la fois le Principe et la mesure fixe de tous les Etres, et pourquoi tout produit quelconque, soit lÕtendue, soit toutes les diffrentes proprits de cette tendue, sont engendres et diriges par ce quaternaire.
Des dcimales
Les Gomtres eux-mmes nous confirment tous les avantages qui ont t attribus jusquÕici au quaternaire, et cela par les divisions quÕils emploient sur le rayon pour valuer son rapport avec la circonfrence ? Ils ont soin de le diviser dans le plus grand nombre de parties quÕil leur est possible, afin de rendre lÕapproximation moins dfectueuse. Mais dans toutes les divisions quÕils mettent en usage, il est important dÕobserver quÕils emplient toujours les dcimales. Or, par un calcul que nous nÕexposerons pas ici, quoiquÕil soit assez connu, on ne peut nier quÕune dcimale, et le quaternaire nÕaient des rapports incontestables, puisquÕils ont tous deux le privilge de correspondre et dÕappartenir lÕunit. En se servant des dcimales, les Gomtres marchent donc encore par le quaternaire.
Je sais quÕ la rigueur on pourrait diviser le rayon par dÕautres Nombres que par les dcimales ; je sais mme que ces dcimales ne rendent jamais des rsultats justes, comme la division du cercle en trois cent soixante degrs, dÕo lÕon pourrait infrer que ni les dcimales, ni le quaternaire avec lequel elles sont unies dÕune manire insparable, ne sont pas la vraie mesure.
Mais il faut observer que la division du cercle en trois cent soixante degrs, est parfaitement exacte, parce quÕelle tombe sur le vrai nombre de toutes les formes ; au lieu que la division dcimale exprimant le nombre du Principe immatriel de ces mmes formes, ne peut se trouver juste en nature sensible, sur le rayon corporel, ni sur aucune espce de Matire.
Cela nÕempche pas que de toutes les divisions que lÕhomme pouvait choisir, les dcimales ne soient celle qui lÕapproche le plus du point quÕil dsire ; on peut dire mme quÕen cela, comme dans bien dÕautres circonstances, il a t conduit sans le savoir, par la loi et le Principe des choses ; que son choix est une suite de la lumire naturelle qui est en lui, et qui tend toujours lÕamener au Vrai, et que le moyen quÕil a pris, tout nul et tout inutile quÕil soit pour lui, en ce quÕil veut le faire cadrer avec lÕtendue et avec la Matire, est nanmoins le meilleur quÕil avait prendre en ce genre.
Du carr intellectuel
Ainsi, malgr le peu de succs que lÕhomme a retir de ses efforts, on sera toujours oblig de convenir que la division quÕil a faite du rayon en parties dcimales, confirme ce que jÕai dit sur lÕuniversalit de la mesure quaternaire.
Quelque rserve que je me sois promis, aprs tout ce que jÕai dvoil touchant le nombre quatre et touchant la racine carre, il nÕest aucun de mes lecteurs qui ne jugent que lÕun et lÕautre ne soient les mmes ; ainsi il ne serait plus temps de le dissimuler ; et mme mÕtant avanc jusque-l, je me trouve comme engag leur avouer quÕen vain chercheraient-ils la source des sciences et des lumires ailleurs que dans cette Racine carre, et dans le carr unique qui en rsulte.
Et vritablement sÕil est possible ceux qui liront cet crit, de saisir par eux-mmes la liaison de tout ce que jÕexpose leurs yeux, et de prendre une ide convenable du carr numrique et intellectuel que je leur prsente, je suis en quelque sorte oblig de convenir de la vrit et de ne plus leur refuser un aveu quÕils mÕarrachent.
Je vais donc prsenter pralablement, autant que la prudence et la discrtion me le permettront, quelques-unes des proprits de ce quaternaire, et pour me rendre plus intelligible, je le considrerai comme le carr sensible et corporel qui en est la figure et la production, cÕest--dire comme ayant quatre cts visibles et distincts.
En examinant chacun de ces quatre cts sparment, on pourra se convaincre que le carr dont il sÕagit, est vraiment la seule route qui puisse mener lÕhomme lÕintelligence de tout ce qui est contenu dans lÕUnivers, de mme que cÕest le seul appui qui doive le soutenir contre toutes les temptes quÕil est oblig dÕessuyer pendant son voyage dans le temps.
Mais pour mieux sentir les avantages infinis attachs ce carr, rappelons-nous ce qui en a t dit en le comparant avec la circonfrence ; nous y apprendrons que la circonfrence est faite pour borner et sÕopposer lÕaction du centre ou du carr, et quÕils ragissent mutuellement lÕun sur lÕautre, que par consquent elle arrte les rayons de la lumire, au lieu que le carr tant par lui-mme le Principe de cette lumire, son vritable objet est dÕclairer ; en un mot, que la circonfrence retient lÕhomme dans des liens et dans une prison, tandis que le carr lui est donn pour sÕen dlivrer.
Effets de la circonfrence
CÕest en effet lÕinfriorit de cette circonfrence qui fait tous les malheurs de lÕhomme parce quÕil ne peut en parcourir tous les points que successivement, ce qui lui fait sentir dans toute lÕtendue la peine du temps pour laquelle il nÕtait pas fait ; au lieu que le carr comme correspondant avec lÕunit, ne lÕassujettit point cette Loi, puisquÕ lÕimage de son Principe, son action est entire et sans interruption.
Il faut cependant avouer que la Justice mme a favoris lÕhomme jusque dans les punitions quÕelle lui a infliges, et que cette circonfrence qui lui a t donne pour le borner et lui faire expier ses premiers garements, ne le laisse pas sans espoir et sans consolation ; car au moyen de cette circonfrence, lÕhomme peut parcourir tout lÕUnivers et revenir au point dÕo il est parti, sans tre oblig de se retourner, cÕest--dire, sans perdre de vue le centre. CÕest mme l pour lui lÕexercice le plus utile et le plus salutaire, comme on voit que lorsquÕon veut aimanter une lame de fer, il faut aprs chaque frottement, la ramener lÕaimant en lui faisant faire un circuit, sans cela elle perdrait la vertu quÕelle vient de recevoir.
Supriorit du carr
Nanmoins, malgr cette proprit de la circonfrence, il nÕy a nulle comparaison en faire avec le carr, puisque celui-ci instruit lÕhomme directement des vertus du centre, et que sans quitter sa place, cet homme peut par ce moyen atteindre et embrasser les mmes choses que par le secours de la circonfrence, il ne saurait connatre sans en parcourir tous les points.
Enfin celui qui est tomb dans la circonfrence, tourne autour du centre, parce quÕil sÕest cart de lÕaction de ce centre ou du rayon qui est droit et il tourne toujours, parce que lÕaction bonne est universelle, et quÕil la trouve partout sur son chemin et en opposition ; au lieu que celui qui tient au centre, ou au carr qui en est lÕimage et le nombre, est toujours fixe et toujours le mme.
Il est inutile, sans doute, de pousser plus loin cette comparaison allgorique, parce que je ne doute pas, que dans ce que je viens de dire, des yeux intelligents ne fassent bien des dcouvertes.
Ce nÕest donc pas sans raison que jÕai pu annoncer ce carr, comme tant suprieur tout, puisque nÕy ayant absolument que deux sortes de lignes, la droite et la courbe ; tout ce qui ne tient pas la Ligne droite, ou au carr, est ncessairement circulaire et ds lors temporel et prissable.
CÕest donc en vertu de cette supriorit universelle, que jÕai d faire pressentir lÕhomme les avantages infinis quÕil pourrait trouver dans ce carr, ou ce nombre quaternaire, sur lequel je me suis propos de donner quelques dtails prliminaires mes Lecteurs.
Mesure de la circonfrence
Nous les prions de se souvenir que le carr gnralement connu, nÕest que lÕimage et la figure du carr numrique et intellectuel ; ils concevront sans doute aussi, que nous ne nous proposons de leur parler que du carr numrique intellectuel qui agit sur le temps et qui dirige le temps ; et que celui-l mme est la preuve quÕil existe un autre carr hors du temps, mais dont la connaissance entire nous est interdite, jusquÕ ce que nous soyons nous-mmes hors de la prison temporelle ; et cÕest pour cela que je nÕai pas d parler des termes de la Progression quaternaire, qui sÕlvent au-dessus des Causes agissant dans le temps.
DÕaprs cela, pour faire concevoir comment ce carr contient tout, et mne la connaissance de tout, observons quÕen Mathmatique ce sont les quatre angles droits qui mesurent toute la circonfrence ; et comme ces quatre angles dsignent chacun une Rgion particulire, il est clair que le carr embrasse lÕEst, lÕOuest, le Nord et le Sud ; or, si dans tout ce qui existe, soit sensible, soit intellectuel, nous ne saurions jamais trouver que ces quatre Rgions, que pourrons-nous donc concevoir au-del ? Et quand nous les aurons parcourues dans une Classe, ne devrons-nous pas nous regarder comme certains quÕil ne nous restera plus rien de cette Classe, connatre ?
De la mesure du temps
CÕest pourquoi celui qui aurait observ avec soin et avec persvrance les quatre points Cardinaux de la Cration corporelle, nÕaurait plus rien apprendre en Astronomie, et il pourrait se flatter de possder fond le Systme de lÕUnivers, ainsi que le vritable arrangement des corps Clestes ; cÕest--dire, quÕil aurait la connaissance de la proprit des toiles fixes, de lÕAnneau de Saturne, des Temps et des Saisons convenables lÕAgriculture, et des deux Causes que peuvent avoir les clipses ; car cÕest pour nÕavoir jamais voulu reconnatre quÕune Loi matrielle et visible dans ces clipses, que les Observateurs ont ni celles qui sont provenues dÕune autre source, et dans un temps diffrent du temps indiqu par lÕordre sensible.
Quant lÕordre des mouvements des Astres, lÕhomme pourrait galement en avoir une connaissance certaine, par un examen rflchi des quatre divisions qui compltent leur cours temporel ; car le Temps est celle des mesures sensibles qui est la moins sujette erreur, et cÕest pour cette raison que le Temps tant la vraie mesure du cours des Astres, on sent quÕil mÕest plus ais dÕestimer juste leurs retours priodiques par le calcul du Temps, que dÕvaluer avec prcision la longueur de mon bras, par les mesures conventionnelles prises dans lÕtendue ; puisque celles-ci nÕont point de base fixe, ni dtermine par la Nature sensible ; cÕest pour cela quÕune multitude de Nations mesurent lÕespace mme et les distances itinraires, par la dure ou par le temps.
Des rvolutions de la Nature
Par se secours de ce mme carr, lÕhomme parviendrait se dlivrer des tnbres paisses qui couvrent encore tous les yeux sur lÕanciennet, lÕorigine et la formation des choses ; il pourrait mme claircir toutes les disputes relatives la naissance de notre Globe, et toutes les rvolutions qui sont crites sur sa surface, et dont les traces peuvent aussi bien reprsenter les suites et les effets de la premire explosion, que ceux des rvolutions postrieures et successives, que lÕUnivers prouve continuellement depuis son origine.
Et en effet, ces rvolutions se sont toujours produites par les forces Physiques, quoiquÕelles aient t permises par la Cause premire, et excutes sous les yeux de la Cause temporelle suprieure, par la continuelle contraction du mauvais Principe, qui dÕimmenses pouvoirs ont souvent t accords sur le sensible pour la purification de lÕintellectuel ; car, sÕil le faut dire, cette purification de lÕintellectuel est la seule voie qui mne au vrai grand Ïuvre, ou au rtablissement de lÕUnit ; or, comment cette purification peut-elle avoir lieu, sans son contraire ou sans sa raction, puisquÕelle doit se faire dans le temps, et que dans le temps aucune action ne peut avoir lieu sans le secours dÕune raction.
Ce qui clairerait lÕhomme l-dessus, cÕest quÕon observant les quatre Rgions dont nous parlons, il verrait quÕil y en a une qui dirige, une qui reoit, et deux qui ragissent ; de l il verrait que les dsastres dont la Terre offre universellement les vestiges, appartiennent ncessairement lÕaction de deux Rgions actives opposes, savoir, de celle o rgne le Feu, et de celle ou rgne lÕEau. Alors il nÕattribuerait plus les effets dont ses yeux sont tmoins tous les jours, lÕElment seul qui parat les produire, parce quÕil reconnatrait que ces rvolutions sont le rsultat du combat continuel de ces deux ennemis, dans lequel lÕavantage demeure tantt lÕun et tantt lÕautre, mais aussi dans lequel lÕun des deux ne peut tre vainqueur, sans que le lieu de la Terre o sÕest pass le combat nÕen souffre proportion, et nÕen reoive des altrations et des changements.
Voil pourquoi rien de ce que nous voyons sur la Terre ne doit nous tonner, parce que, quand mme les rvolutions journalires, que nous ne pouvons nier, nÕauraient pas lieu, ces deux Elments ont nanmoins commenc dÕagir en opposition, ds le moment de lÕorigine des choses temporelles.
Voil pourquoi aussi nous devons tre srs que chaque instant produit des rvolutions nouvelles, parce que lÕaction de ces deux Elments lÕun sur lÕautre, est et sera continuelle jusquÕ la dissolution gnrale. Ainsi tous ces prodiges qui surprennent si fort les Naturalistes, disparaissent ; toutes ces irrgularits, toutes ces dvastations qui sÕoprent sous nos yeux, de mme que celles dont les restes et les dbris annoncent lÕanciennet, ne sont plus difficiles expliquer, et se concilient parfaitement avec tout ce que lÕon a vu sur les Principes inns des Etres, sur leurs actions diffrentes et opposes les unes aux autres, enfin sur les suites funestes de la contraction universelle.
Mais tous ces Phnomnes paratront bien moins tonnants encore, quand nous nous rappellerons que ces deux Elments opposs, ou ces deux agents, ou cette double Loi universelle dans la Matire, sont toujours dans la dpendance de la Cause active et intelligente qui en fait le centre et le lien, et qui peut son gr actionner lÕun ou lÕautre des divers Agents qui lui sont soumis, et mme les livrer une action infrieure et mauvaise.
Nous avons donc un moyen de plus de savoir dÕo ont pu provenir, dans les grandes rvolutions, ces excs prodigieux de lÕEau sur le Feu, ou du Feu sur lÕEau ; car il faut simplement songer la Cause active et intelligente, et reconnatre que, lorsque les Principes de ces Elments ne sont plus dans leurs bornes naturelles, cÕest quÕelle abandonne, ou quÕelle actionne lÕun plus que lÕautre par sa propre vertu, pour lÕaccomplissement des Dcrets et de la Justice de la Cause premire, et pour laisser agir, ou pour arrter la trop grande contraction du Principe mauvais qui lui est oppos.
On voit donc par l que pour savoir les raisons de la marche que cette Cause tient dans lÕUnivers, cÕest dans sa Nature intelligente et dans tout ce qui lui ressemble quÕil faut les chercher ; car, comme elle est la fois active et intelligente, cÕest son activit qui fait produire les effets sensibles, en communiquant ses diverses actions et ractions tous les Etres temporels ; mais cÕest sa facult intelligente seule qui peut en donner lÕexplication, attendu que cÕest ce seul titre quÕelle est admise au Conseil ; ainsi il nÕy aura jamais aucun rsultat satisfaisant pour ceux qui ne chercheront cette explication que dans la Matire.
Que lÕon applique ceci tout ce qui a t dit sur la manire de chercher en tout la vrit des choses, et lÕon verra si les principes qui nous conduisent ne sont pas universels.
Cours temporel des tres
Outre les lumires que la connaissance du carr peut donner, sur la constitution des Etres corporels, sur lÕharmonie tablie entre eux, de mme que sur les causes de leur destruction ; il embrasse encore les quatre degrs distincts auxquels leur cours particulier les assujettit, et qui nous sont clairement dsigns par les quatre Saisons ; car, qui ne sait les diffrentes proprits attaches chacune de ces Saisons ? Qui ne sait que tous les Etres corporels, ne pouvant recevoir la naissance que par la runion de deux actions infrieures, il faut premirement et avant tout, que ces deux actions se conviennent et sÕaccordent mutuellement ; ce que lÕon peut appeler lÕAdoption.
Or, cÕest lÕAutomne que cet acte dÕadoption est attribu, parce quÕalors les Etres, par la Loi de leur Principe immatriel, jettent hors dÕeux les germes qui doivent servir leur reproduction ; et cette Loi ne commence dÕagir que quand ces germes se trouvent placs dans leur matrice naturelle. CÕest l le premier degr de leur cours, degr sur lequel la rflexion et lÕintelligence dcouvriront facilement une infinit de choses que je ne dois pas dire.
Quand les germes sont ainsi adopts par leur matrice, les deux actions concourant ensemble, forment ce que nous devons appeler la conception, qui selon la Loi de cette mme nature corporelle, est indispensable pour la gnration des Etres de matire. Ce second degr de leur cours se passe pendant lÕHiver, dont lÕinfluence mnageant leur force en les tenant dans le repos, et ramassant tout leur feu dans le mme foyer, opre sur eux une raction violente qui leur fait faire effort, et les rend plus propres se lier et se communiquer rciproquement leurs vertus.
Le troisime degr de leur cours a lieu pendant le Printemps, et nous pouvons regarder cet acte comme celui de la vgtation ou de la corporisation ; premirement parce quÕil est le troisime, et que nous avons assez montr que le nombre trois tait consacr tout rsultat soit corporel, soit incorporel ; en second lieu, parce que les influences salines de lÕhiver venant cesser aprs avoir rempli leur Loi, qui tait de ractionner non seulement les Principes des germes gnrateurs, mais mme ceux de leurs productions, les uns et les autres font usage de leur facult et de leur proprit naturelle en manifestant au-dehors tout ce quÕils ont en eux. Aussi, cÕest dans cette saison du Printemps que commencent paratre les fruits de cette proprit vgtative, et que nous les voyons sortir du sein o ils ont pris la naissance.
Enfin lÕEt complte tout lÕouvrage ; cÕest alors que toutes ces productions, sortant de la matrice o elles avaient t formes, reoivent pleinement lÕaction du Soleil qui les porte leur maturit, et cÕest l le quatrime degr du cours de tous les Etres corporels terrestres.
On sent cependant quÕil faut en excepter la pluplart des animaux, qui malgr quÕils soient assujettis aux quatre degrs que je viens de reconnatre dans le cours particulier de tous les Etres corporels, ne suivent pas nanmoins toujours pour leur gnration et leur croissance, la Loi et la dure ordinaire des saisons ; et cette exception ne doit pas tonner leur gard, parce que nÕtant pas inhrents la Terre, quoiquÕils viennent dÕelle, il est certain que leur Loi ne doit pas tre semblable celle des Etres de vgtation attachs cette mme Terre.
Epoque de lÕunivers
Il ne faudrait pas non plus rejeter le Principe de lÕuniversalit quaternaire, parce quÕon verrait que mme parmi les Etres de vgtation, les uns nÕattendent pas la rvolution entire des quatre saisons pour complter leur cours, et que dÕautres ne parviennent ce complment quÕaprs plusieurs rvolutions Solaires annuelles. Cette diffrence vient de ce que les uns ont besoin dÕune moindre raction, et les autres dÕune plus considrable pour agir et pour oprer leur Ïuvre particulire. Mais ces quatre degrs ou ces quatre actes que je viens de remarquer, ne leur conviennent pas moins, et sÕaccomplissent toujours avec une parfaite exactitude dans les Etres les plus prcoces, comme dans ceux qui sont les plus tardifs, parce que selon ce quÕon a vu sur le nombre quatre par rapport lÕtendue, il est celui qui mesure tout, et qui porte son action partout, quoiquÕil ne porte pas partout une action gale, et quÕil la proportionne universellement la diffrente nature des Etres.
Ce que lÕon vient de voir sur les proprits attaches aux quatre saisons, ne rpandrait-il pas quelque lumire sur lÕpoque o lÕUnivers a pu prendre naissance. Il est vrai que ceci ne peut regarder que ceux qui accordent une origine lÕUnivers, car pour ceux qui ont t ou assez aveugles ou dÕassez mauvaise foi, pour ne pas lui en reconnatre une, cette recherche devient superflue. Cependant, persuad que ceux-l mmes auraient profit de ce que je leur dirais ce sujet, je vais, autant quÕil me sera permis, lever un coin du voile devant leurs yeux.
Si, dans lÕorigine du monde, on considre seulement le premier instant de lÕapparence de sa corporisation, il est certain quÕen se guidant selon lÕordre des saisons, on serait tent de lÕattribuer au Printemps, parce quÕeffectivement cÕest le moment de la vgtation.
Mais si lÕon portait la vue un peu plus haut, et quÕon examint tous les actes qui ont d prcder cette corporisation visible, il faudrait ncessairement placer lÕorigine du germe du monde une autre saison que celle du Printemps. Car lÕon serait oblig de convenir que la marche actuelle de la Nature universelle, tant la mme quÕau moment de sa naissance, lÕadoption de ses Principes constitutifs a d se faire alors pour elle, dans les mmes circonstances et dans le mme temps o nous voyons que se fait aujourdÕhui lÕadoption des Principes particuliers qui perptuent son cours et son existence ; cÕest--dire, que cette adoption primitive a d commencer dans lÕAutomne.
CÕest, en effet, lorsque les Etres perdent la chaleur du Soleil, cÕest lorsque cet Astre se retire dÕeux, quÕils se rapprochent et se recherchent, pour suppler son absence en se communiquant leur propre chaleur ; et cÕest l, comme on lÕa vu, le premier acte de ce qui doit se passer corporellement parmi les Etres particuliers de la Nature. Il doit donc en tre de mme pour lÕuniversel ; cÕest lorsque le Soleil a cess dÕtre sensible ceux quÕil avait chauffs jusque-l, que les choses corporelles ont fait le premier pas vers lÕexistence, et que la Nature a commenc.
Par la mme analogie on pourrait prsumer dans quelle saison cette Nature doit se dcomposer et cesser dÕexister ; cÕest--dire, quÕen suivant la Loi de son cours actuel, on devrait croire que cÕest dans lÕEt, que cet Univers acquerra le complment des quatre actes de son cours universel, que ce complment tant arriv, il terminera l sa carrire, et que se dtachant de la branche, lÕimage des fruits, il cessera dÕtre, et disparatra totalement pendant que lÕarbre auquel il tait attach, demeurera stable jamais.
Ce que je viens de dire a pour base une Loi gnralement reconnue qui est que les choses finissent toujours par o elles ont commenc. Cependant je le rpte, quoique les quatre actes du cours temporel sÕaccomplissent dans chacun des Etres, il nÕen est pas cependant en qui cette Loi ne sÕopre dans des temps diffrents.
Alors, si ce cours varie du vgtal lÕanimal, si mme dans chacune de ces deux classes, il sÕopre si diversement, tant sur les diffrentes espces que sur les diffrents individus, plus forte raison doit-il tre plus difficile dÕen fixer les Lois et la dure en jugeant du particulier lÕuniversel. Ainsi, rien nÕest plus loin de ma pense que de vouloir dterminer une saison temporelle pour ces grandes poques. Et dans le vrai, ces questions sont entirement superflues pour lÕhomme, dÕautant que par le flambeau quÕil porte en lui-mme, il peut acqurir sur ces objets des lumires plus utiles, plus sres et plus importantes que celles qui ne tombent que sur les priodes des Etres passagers.
Je prie galement quÕon ne me taxe pas de contradiction ou dÕinadvertance, si lÕon mÕa entendu parler du Soleil avant lÕexistence des choses corporelles, je nÕoublie pas que le Soleil que nous voyons, a pris naissance comme tous les corps, et avec tous les corps, mais je sais aussi quÕil y a un autre Soleil trs physique dont celui-ci nÕest que la figure, et sous les yeux duquel tous les actes de la naissance et de la formation de la Nature se sont oprs, comme la rvolution journalire et annuelle des Etres particuliers sÕopre lÕaspect et par les Lois de notre Soleil corporel et sensible.
Ainsi, pour lÕintrt de ceux qui liront ceci, je les exhorte tre assez rservs pour ne pas me juger avant de mÕavoir compris ; et sÕils veulent me comprendre, il faut quÕils portent souvent leur vue plus loin que ce que je dis ; car, soit par devoir, soit par prudence, jÕai laiss beaucoup dsirer.
Des cts du carr
Aprs avoir montr en gnral plusieurs des proprits du carr, que jÕannonce toujours comme seul et unique, jÕexposerai brivement quelques-unes de celles qui sont attaches chacun de ses cts, me rservant de traiter de cet emblme universel dÕune manire un peu plus tendue, dans la division qui suivra celle-ci.
Le premier de ces cts, comme base, fondement, ou racine des trois autres cts, est lÕimage de lÕEtre premier, unique, universel, qui sÕest manifest dans le temps, et dans toutes les productions sensibles, mais qui tant sa cause lui-mme et la source de tout Principe, a sa demeure part du sensible et du temps ; et pour reconnatre ce que jÕai dj dit plusieurs fois ; savoir, combien les productions sensibles, quoique venant de lui, sont peu ncessaires son existence, il ne faut quÕobserver quel est le nombre qui lui convient, il nÕy a personne qui ne sache que cÕest lÕUnit.
Quelque opration que lÕon fasse sur ce nombre pris en lui-mme ; cÕest--dire, quÕon le multiplie, quÕon lÕlve telle puissance que lÕimagination pourra concevoir ; que lÕon cherche successivement la racine de toutes ces puissances, ce sera toujours ce mme nombre dÕunit qui demeurera partout pour rsultat, de faon que ce nombre un tant la fois sa racine, son carr et toutes ses puissances, existe ncessairement par lui et indpendamment de tout autre Etre.
Je ne parle point de la division, parce que cette opration de calcul ne peut avoir lieu que sur des assemblages, et jamais sur un nombre simple comme lÕunit, ce qui confirme ce que jÕai dit sur la nullit des fractions.
Je ne parle point non plus de lÕopration de lÕaddition, parce quÕil est clair quÕelle ne peut galement avoir lieu que dans les choses composes, et quÕun Etre qui a tout en soi ne peut recevoir la jonction dÕaucun autre Etre, ce qui sert de preuve tout ce qui a t dit ci-devant sur la Matire, o rien de ce qui est employ la croissance et la nutrition des Etres corporels, ne se mle avec leurs Principes.
Mais je parle de la multiplication, ou lvation de puissances, ainsi que de lÕextraction des racines, parce que lÕune est lÕimage de la proprit productrice, inne dans tout Etre simple, et lÕautre celle de la correspondance de tout Etre simple avec ses productions, puisque cÕest par cette correspondance que sÕopre la rintgration.
CÕest l ce qui doit nous aider nous confirmer que ce premier ct du carr, ce nombre Un, ou la Cause premire de laquelle il est le caractristique, produit tout par elle, ne reoit rien que dÕelle, ou qui ne soit elle.
Le second ct est celui qui appartient cette Cause active et intelligente que jÕai prsente dans le cours de cet Ouvrage, comme tenant le premier rang parmi les causes temporelles, et qui, par sa facult active, dirige le cours de la Nature et des Etres corporels, de mme que par sa facult intelligente, elle dirige tous les pas de lÕhomme qui lui est semblable en qualit dÕEtre intellectuel.
Nous attribuons cette Cause le second ct du carr, parce que de mme que ce second ct est le plus voisin de la racine ; de mme la Cause active et intelligente parat immdiatement aprs lÕEtre premier qui existe lors des choses temporelles. Alors, si nous la mettons en parallle avec le second ct du carr, nous devons donc aussi lui donner un double nombre ; et nous voyons que nous ne saurions appliquer ce double nombre aucun Etre avec plus de justesse quÕ cette Cause, puisquÕelle nous lÕindique elle-mme, tant par son rang secondaire, que par la double proprit dont elle est en possession.
Et dans le fait, il est si vrai que cette Cause active et intelligente est le premier agent de tout ce qui est temporel et sensible, quÕici rien nÕaurait jamais exist sans son secours, et pour ainsi dire, sans avoir commenc par elle.
Le carr lui-mme ne nous en offre-t-il pas la preuve ? Le second de ses cts, que nous examinons pour le moment, nÕest-il pas le premier degr et le premier pas vers la manifestation des puissances de sa racine ? En un mot, nÕest-il pas lÕimage de cette ligne droite, qui est la premire production du point, et sans laquelle il nÕy aurait jamais eu ni surface ni solide ?
Nous trouvons donc dj dans le carr, deux points des plus importants pour lÕhomme, savoir, la connaissance de la Cause premire universelle, et celle de la Cause seconde qui la reprsente dans les choses sensibles, et qui est son premier Agent temporel.
Je me suis assez tendu, en son lieu, sur les attributs immenses qui appartiennent cette Cause seconde, active et intelligente, pour pouvoir me dispenser de les rappeler ici ; et si lÕon veut avoir dÕelle lÕide qui lui convient, il suffira de ne jamais oublier quÕelle est lÕimage de la Cause premire, et charge de tous ses pouvoirs pour tout ce qui se passe dans le Temps ; cÕest ce quÕon pourra concevoir de plus vrai son sujet ; cÕest en mme temps ce qui apprendra lÕhomme, si aprs elle il est aucun Etre dans le Temps, en qui il puisse mieux placer sa confiance.
Le troisime ct du carr est celui qui dsigne tous les rsultats quelconques, cÕest--dire, tant ceux qui sont corporels et sensibles, que ceux qui sont immatriels et hors du Temps ; car, de mme quÕil y a un. Carr affect au Temps, et un Carr indpendant du Temps, de mme il y a des rsultats attachs lÕun et lÕautre de ces deux Carrs, parce que chacun dÕeux a le pouvoir de manifester des productions ; et comme les productions qui se manifestent dans lÕune et lÕautre Classe, sont toujours au nombre de trois cÕest pour cela que nous les appliquons au troisime ct du carr.
Ceci sÕaccorde parfaitement avec ce que lÕon a vu sur les productions corporelles, qui toutes sont lÕassemblage de trois Elments ; tout ce quÕil y a observer, cÕest la distinction considrable, qui malgr la similitude du Nombre, se trouve entre les productions temporelles et celles qui ne le sont pas ; celles-ci provenant directement de la Cause premire, sont des Etres simples comme elle, et ont par consquent une existence absolue que rien ne peut anantir ; les autres nÕtant enfants que par une Cause secondaire, ne peuvent avoir les mmes privilges que les premires, mais doivent ncessairement se ressentir de lÕinfriorit de leur Principe ; aussi leur existence nÕest-elle que passagre, et elles ne subsistent pas par elles-mmes, comme les Etres qui ont de la ralit.
CÕest l ce que le troisime ct du carr nous fait connatre videmment ; car, si le second nous a donn la ligne, le troisime nous donnera la surface, et puisque le nombre trois est en mme temps le nombre de la surface et le nombre des Corps, il est donc clair que les Corps ne sont composs que de surfaces, cÕest--dire, de substances qui ne sont que lÕenveloppe ou lÕapparence extrieure de lÕEtre, mais auxquelles nÕappartiennent, ni la solidit, ni la vie.
Et en effet, la dernire opration, indique par la Gomtrie humaine, pour composer le solide, nÕest que la rptition de celles qui ont prcd, cÕest--dire, de celles qui ont form la ligne et la surface ; car la profondeur que cette troisime et dernire opration engendre, nÕest autre chose que la direction verticale de plusieurs lignes runies, et toute la diffrence qui sÕy trouve, cÕest que dans les oprations prcdentes la direction des lignes nÕtait quÕhorizontale ; ainsi cette profondeur est toujours le produit de la ligne, et comme telle, elle ne peut tre autre chose quÕun assemblage de surfaces.
Veut-on, puisque lÕoccasion sÕen prsente, apprendre encore valuer plus juste ce que sont les Corps ? Pour cet effet, on nÕa quÕ suivre lÕordre inverse de celui de leur formation. Les solides se trouveront composs de surfaces, les surfaces de lignes, les lignes de points, cÕest--dire, de Principes qui nÕont ni longueur, ni largeur, ni profondeur ; en un mot, qui nÕont aucune des dimensions de la Matire, ainsi que je lÕai amplement expos lorsque jÕai eu lieu dÕen parler. QuÕon ramne donc ainsi les Corps leur source et leur Essence primitive, et quÕon voie par-l lÕide que lÕon doit avoir de la Matire.
Enfin, le quatrime ct du carr, comme rptant le Nombre quaternaire, par lequel tout a pris son origine, nous offre le Nombre de tout ce qui est Centre ou Principe, dans quelque classe que ce soit ; mais, comme nous avons assez parl du Principe universel qui est hors du Temps, et que ce carr dont nous traitons actuellement, a simplement le temporel pour objet, on ne doit entendre par son quatrime ct, que les diffrents Principes agissants dans la classe temporelle, cÕest--dire, tant ceux qui jouissent des facults intellectuelles, que ceux qui sont borns aux facults sensibles et corporelles ; et mme, quant aux Principes immatriels des Etres corporels, sur lesquels nous nous sommes tendus aussi longuement quÕil nous a t permis de le faire, nous ne rappellerons ici ni leurs diffrentes proprits, ni leur action inne, ni la ncessit dÕune seconde action pour faire oprer la premire, ni en un mot, toutes ces observations qui ont t faites sur les Lois et le cours de la Nature matrielle.
Nous nous contenterons de faire remarquer, que le rapport qui peut se trouver entre ces Principes corporels et le quatrime ct du carr, est une nouvelle preuve quÕen qualit de quaternaires ou de centres, ils sont des Etres simples, distincts de la Matire et ds lors indestructibles, quoique leurs productions sensibles, qui ne sont que des assemblages, soient sujettes par leur nature se dcomposer.
CÕest donc seulement sur les Principes immatriels intellectuels, que nous devons actuellement fixer notre attention, et parmi ces Principes, il nÕen est aucun sur qui nous puissions attacher notre vue plus propos que sur lÕhomme en ce moment ; puisque cÕest lui qui a t le principal objet de cet crit ; puisque cÕest en lui que devraient rsider essentiellement toutes les vertus renfermes dans cet important Carr dont nous nous occupons ; puisque enfin, ce Carr nÕa jamais t trac que pour lÕhomme, et quÕil est la vritable source des sciences et des lumires dont cet homme a t malheureusement dpouill.
Ce serait donc en contemplant avec soin le quatrime ct de ce carr, que lÕhomme apprendrait vritablement en valuer le prix et les avantages. Ce serait l en mme temps o il verrait dcouvert les Erreurs, par lesquelles les hommes ont obscurci le fondement et lÕobjet mme des Mathmatiques ; combien ils se trompent, quand ils subsistent aux Lois simples de cette sublime Science, leurs dcisions fautives et incertaines, et combien ils se nuisent eux-mmes, quand ils la bornent lÕexamen des Faits matriels de la Nature, tandis quÕen en faisant un autre usage, ils en pourraient retirer des fruits si prcieux.
Mais on sait que lÕhomme ne peut plus aujourdÕhui observer ce carr sous le mme point de vue quÕil le faisait autrefois, et que parmi les quatre diffrentes classes qui y sont contenues, il nÕoccupe plus que la plus mdiocre et la plus obscure, au lieu que dans son origine il occupait la premire et la plus lumineuse.
CÕtait alors que puisant les connaissances dans leur source mme, et se rapprochant, sans fatigue et sans travail, du Principe qui lui avait donn lÕtre, il jouissait dÕune paix et dÕune flicit sans bornes, parce quÕil tait dans son Elment. CÕest par ce mme moyen quÕil pouvait avec avantage et avec sret diriger sa marche dans toute la Nature, parce quÕayant empire sur les trois classes infrieures du carr temporal, il pouvait les diriger, son gr, sans tre pouvant ni arrt par aucun obstacle ; cÕest, dis-je, par les proprits attaches cette place minente, quÕil avait une notion certaine de tous les Etres qui composent cette Nature corporelle, et pour lors il nÕtait pas expos au danger de confondre sa propre Essence avec la leur.
Du carr temporel
Au contraire, relgu aujourdÕhui la dernire des classes du Carr temporel, il se trouve lÕextrmit de cette mme Nature corporelle qui lui tait soumise autrefois, et dont il nÕaurait jamais d prouver ni la rsistance, ni la rigueur. Il nÕa plus cet avantage inapprciable, dont il jouissait dans toute son tendue, lorsque plac entre le Carr temporel et celui qui est hors du Temps, il pouvait la fois lire dans lÕun et dans lÕautre. Au lieu de cette lumire dont il aurait pu ne jamais se sparer, il nÕaperoit plus autour de lui quÕune affreuse obscurit, qui lÕexpose toutes les souffrances auxquelles il est sujet dans son corps, et toutes les mprises auxquelles il est entran dans sa pense, par le faux usage de sa volont et par lÕabus de toutes ses facults intellectuelles.
Il nÕest donc que trop vrai quÕil est impossible lÕhomme dÕatteindre aujourdÕhui sans secours les connaissances renfermes dans le Carr dont nous traitons, puisquÕil ne se prsente plus lui sous la face qui peut seule le lui rendre intelligible.
Ressources de lÕHomme
Mais, je lÕai promis, je ne veux pas dcourager lÕhomme ; je voudrais, au contraire, allumer en lui une esprance qui ne sÕteignit jamais ; je voudrais verser des consolations sur sa misre, en lÕengageant la comparer avec les moyens quÕil a prs de lui pour sÕen dlivrer.
Je vais donc actuellement fixer sa vue sur un attribut incorruptible quÕil possdait pleinement dans son origine, et dont la jouissance non seulement ne lui est pas totalement interdite aujourdÕhui, mais qui est mme un droit auquel il peut prtendre, et qui lui offre la seule voie et le seul moyen de retrouver cette place importante dont nous venons de parler.
Rien ne paratra moins imaginaire que ce que jÕavance, quand on rflchira que mme dans sa privation, lÕhomme possde encore les facults du dsir et de la volont ; quÕainsi ayant des facults, il lui faut des attributs pour les manifester, puisque la Cause premire elle-mme est soumise, ainsi que tout ce qui tient son Essence, la ncessit de ne pouvoir rien manifester sans le secours de ses attributs.
Il est vrai que les facults de ce Principe premier tant aussi infinies que les Nombres, les attributs qui leur rpondent doivent tre galement sans limites ; car non seulement ce Principe premier manifeste des productions hors du temps, pour lesquelles il emploie des attributs inhrents en lui, et qui ne sont distincts entre eux que par leurs diffrentes proprits ; mais il manifeste encore des productions dans le temps, et pour lesquelles, outre le secours de ces attributs insparables dÕavec lui-mme, il lui a fallu de plus des attributs hors de lui, venant de lui, agissant par lui, et qui ne fussent pas lui ; ce qui constitue la Loi des Etres temporels, et explique la double action de lÕUnivers.
Mais, quoique les manifestations que lÕhomme a faire ne soient nullement comparables celles de la Cause premire, on ne peut nanmoins lui contester les facults que nous venons de reconnatre en lui, ainsi que le besoin indispensable dÕattributs analogues ces facults, pour pouvoir les mettre en valeur ; et puisque ces attributs sont les mmes que ceux par lesquels il a prouv autrefois sa grandeur, nous verrons quÕil en devrait attendre aujourdÕhui les mmes secours, sÕil avait une volont constante dÕen faire usage, et quÕil leur donnt toute sa confiance.
7
Attributs de lÕHomme
Ces attributs au-dessus de tout prix, et dans lesquels se trouve la seule ressource de lÕhomme, sont renferms dans la connaissance des langues, cÕest--dire, dans cette facult commune toute lÕespce humaine de communiquer ses penses ; facult que toutes les Nations ont en effet cultive, mais dÕune manire peu profitable pour elles, parce quÕelles ne lÕont pas applique son vritable objet.
Nous voyons videmment que les avantages attachs la facult de parler, sont les droits rels de lÕhomme, puisque par leur moyen il commerce avec ses semblables, et quÕil leur rend sensibles toutes ses penses et toutes ses affections. CÕest mme l ce qui seul peut vraiment rpondre ses dsirs sur cet objet ; car tous les signes quÕon a employs pour suppler la parole dans ceux qui en sont privs, soit par nature, soit par accident, ne remplissent ce but que trs imparfaitement.
Des langues factices
Cela se borne chez eux ordinairement des ngations et des affirmations, toutes choses qui ne sont que la suite dÕune question ; et si lÕon ne les interroge, ils ne peuvent dÕeux-mmes nous faire concevoir une pense, moins, ce qui revient au mme, que lÕobjet nÕen soit sous leurs yeux, et que par le tact ou autres signes dmonstratifs, ils ne nous fassent comprendre lÕapplication quÕils en veulent faire.
Ceux qui ont pouss lÕindustrie plus loin, ne peuvent tre entendus que des Matres qui les ont enseigns, ou de toute autre personne qui serait instruite de la convention ; mais alors, quoique ce soit bien l une espce de langage, cependant nous ne pouvons jamais dire que ce soit une vritable Langue, puisque premirement elle nÕest pas commune tous les hommes, et en second lieu, quÕelle pche fortement par lÕexpression, en ce quÕelle est prive des avantages inapprciables qui se trouvent dans la prononciation.
Ce ne sera donc jamais l, ni dans aucune des Langues factices, que se trouveront les vrais attributs de lÕhomme, parce que tout y tant conventionnel et arbitraire, et variant sans cesse, nÕannonce pas une vritable proprit.
De lÕunit des langues
DÕaprs cet expos, nous pouvons dj concevoir quelle doit tre la nature des Langues ; car jÕai dit quÕelles doivent tre communes tous les hommes ; or, comment peuvent-elles tre communes tous les hommes, si elles nÕont pas toutes les mmes signes ; ce qui est dire proprement quÕil ne doit y avoir quÕune Langue. Je ne donnerai point pour preuve de ce que jÕavance ici, cette avidit avec laquelle les hommes cherchent acqurir la pluralit des Langues, et cette sorte dÕadmiration que nous avons pour ceux qui en connaissent un grand nombre, quoique cette avidit et cette admiration, toutes fausses quÕelles soient, offrent un indice de notre tendance vers lÕuniversalit ou vers lÕUnit.
Je ne dirai pas non plus avec quelle prdilection les Nations diffrentes regardent leur Langue particulire, et combien chaque Peuple est jaloux de la sienne.
Bien moins encore parlerai-je de lÕusage tabli entre quelques Souverains de ne sÕcrire que dans une Langue morte, et commune entre eux pour les correspondances dÕapparat, parce que non seulement cet usage nÕest pas gnral, mais encore quÕil tient un motif trop frivole, pour pouvoir tre de quelque poids dans la matire que je traite.
CÕest donc dans lÕhomme mme quÕil faut trouver la raison et la preuve quÕil est fait pour nÕavoir quÕune Langue, et ds lors on pourra reconnatre par quelle Erreur on est venu nier cette Vrit, et dire que les Langues nÕtant que lÕeffet de lÕhabitude et de la convention, il est invitable quÕelles ne varient comme toutes les choses de la Terre ; ce qui a fait croire aux Observateurs quÕil peut y en avoir la fois plusieurs, galement vraies, quoique diffrentes les unes des autres.
De la langue intellectuelle
Pour marcher avec quelque certitude dans cette carrire, je les engagerai considrer sÕils ne reconnaissent pas en eux deux sortes de Langues ; lÕune sensible, dmonstrative, et par le moyen de laquelle ils communiquent avec leurs semblables ; lÕautre, intrieure, muette, et qui cependant prcde toujours celle quÕils manifestent au-dehors, et en est vraiment comme la mre.
Je leur demanderai ensuite dÕexaminer la nature de cette Langue intrieure et secrte ; de voir si elle est autre chose que la voix et lÕexpression dÕun Principe extrieur eux, mais qui grave en eux sa pense, et qui ralise ce qui se passe en lui.
Or, dÕaprs la connaissance que nous avons prise de ce Principe, on peut savoir que tous les hommes devant tre dirigs par lui, il ne devrait se trouver dans tous quÕune marche uniforme, que le mme but et la mme Loi, malgr la varit innombrable des penses bonnes qui peuvent leur tre communiques par cette voie.
Mais, puisque cette marche devrait tre si uniforme, puisque cette expression secrte devrait tre la mme partout, il est certain que les hommes, qui nÕauraient pas laiss dnaturer en eux les traces de cette Langue intrieure, lÕentendraient tous trs parfaitement car ils y trouveraient partout une conformit avec ce quÕils sentent en eux, ils y verraient la similitude et la reprsentation de leurs ides mmes, ils y apprendraient que hors celles qui leur viennent du Principe du mal, il nÕy en a point qui leur soient trangres enfin, ils se convaincraient dÕune manire frappante de la parit universelle de lÕEtre intellectuel qui les constitue.
CÕest l o ils reconnatraient clairement que la vraie Langue intellectuelle de lÕhomme tant partout la mme, est essentiellement une quÕelle ne pourra jamais varier, et quÕil ne peut en exister deux, sans que lÕune ne soit combattue et dtruite par lÕautre.
Alors, ainsi que nous lÕavons vu, ds que la langue extrieure et sensible nÕest que le produit de la langue intrieure et secrte ; si cette langue secrte tait toujours conforme au Principe qui doit ta diriger ; quÕelle ft toujours une et toujours la mme, elle produirait universellement la mme expression sensible et extrieure ; par consquent, quoique nous soyons obligs dÕemployer aujourdÕhui des organes matriels, nous aurions encore une langue commune, et qui serait intelligible tous les hommes.
De la langue sensible
Quand est-ce donc que les langues sensibles ont pu varier parmi eux. Quand est-ce quÕils ont aperu de la disparit dans la manire dont ils se communiquaient leurs ides ? NÕest-ce pas lorsque cette expression secrte et intrieure a commenc varier elle-mme, nÕest-ce pas lorsque le langage intellectuel de lÕhomme sÕest obscurci, et nÕa plus t lÕouvrage dÕune main pure; alors nÕayant plus sa lumire prs de lui, il a reu sans examen la premire ide qui sÕest offerte son Etre intellectuel, et nÕa plus senti la liaison, ni la correspondance de ce quÕil recevait, avec le Principe vrai dont il devait tout obtenir. Alors enfin, remis lui-mme, sa volont et son imagination ont t ses seules ressources ; et il a suivi par besoin comme par ignorance toutes les productions que ces faux guides lui ont prsentes.
CÕest par l que lÕexpression sensible t totalement altre, parce que lÕhomme ne voyant plus les choses dans leur nature, leur a donn des noms qui venaient de lui, et qui nÕtant plus analogues ces mmes choses, ne pouvaient plus les dsigner, comme leurs noms naturels le faisaient sans quivoque.
Que quelques hommes seulement aient suivi cette route errone, et si peu susceptible dÕuniformit, alors chacun aura srement donn aux mmes choses des noms diffrents, ce qui rpt par un grand nombre, et perptu de plus en plus dans la succession des temps, doit, la vrit, nous offrir le spectacle le plus variable et le plus bizarre. Ne doutons pas que ce ne soit l lÕorigine de la diffrence et de la division des langues, et dÕaprs tout ce que jÕen ai dit, quand je nÕen aurais pas dÕautres preuves, ceci serait plus que suffisant pour nous convaincre que les hommes sont prodigieusement loigns de leur Principe. Car, je le rpte, sÕils taient tous guids par ce Principe, leur langue intellectuelle serait la mme et par consquent, leurs langues sensibles et extrieures nÕauraient que les mmes signes et les mmes idiomes.
On ne me contestera pas, je lÕespre, ce que je viens de dire, sur les noms naturels et significatifs des Etres : quoique dans les diffrentes langues en usage sur la terre, les noms ne nous offrent rien dÕuniforme, cependant nous sommes obligs de croire quÕelles devraient nÕemployer que des noms qui indiquassent universellement et clairement les choses ; par cette raison ces langues si diffrentes les unes des autres ne sauraient raisonnablement passer pour de vritables langues ; et dÕailleurs chacune de ces langues considre en elle-mme, toute fausse quÕelle soit, nous offrira clairement la preuve de ce que jÕavance.
Les mots que chacune de ces langues emploie, quoique tant conventionnels, ne seront-ils pas pour tous ceux qui seront instruits de cette convention, un signe certain des Etres quÕils reprsentent ? Ne voyons-nous pas mme le penchant naturel que nous avons tous pour exprimer les choses par les signes ou les mots qui nous paraissent le plus analogues ? Et ne gotons-nous pas un plaisir secret ml dÕadmiration, quand on nous offre des signes, des expressions et des figures qui nous rapprochent le plus de la Nature des objets quÕon veut nous prsenter, et qui nous les font le mieux concevoir ?
Que faisons-nous donc en ceci que rpter la marche de la Vrit mme, qui a tabli une langue commune entre toutes ses productions, et qui leur ayant donn chacune un nom propre et li leur essence, les a mis couvert de toute quivoque entre elles ? NÕen prserverait-elle pas par le mme moyen les hommes, qui ayant tous pour tche de rtablir leur liaison avec ses ouvrages, auraient su travailler et parvenir en connatre les vritables noms ?
De lÕorigine des langues
Nous ne pouvons donc nier que dans notre difformit mme et dans notre privation, nous ne nous tracions des emblmes expressifs de la Loi des Etres, et que lÕusage faux que nous faisons du langage ne nous annonce lÕemploi plus juste et plus satisfaisant que nous en pourrions faire, sans sortir pour cela de la Nature, et seulement en nÕoubliant pas la source o ce langage devrait prendre son origine.
Il est donc vrai que si les Observateurs eussent remont jusquÕ cette expression secrte et intrieure que le Principe intellectuel fait dans nous, avant de se manifester au-dehors, cÕet t l quÕils auraient trouv lÕorigine de la langue sensible, comme tant le vrai Principe, et non pas dans les Causes fragiles et impuissantes qui se bornent oprer leur Loi particulire, et qui ne peuvent rien produire de plus. Ils nÕeussent pas cherch expliquer par de simples Lois de Matire, des faits dÕun ordre suprieur, qui ont subsist avent le temps, qui subsisteront aprs le temps et sans interruption, indpendamment de la Matire. Ce nÕest plus lÕorganisation, ce nÕest plus une dcouverte des premiers hommes qui passant dÕge en ge, sÕest perptue jusquÕ nos jours parmi lÕespce humaine, par le moyen de lÕexemple et de lÕinstruction ; mais, ainsi que nous le verrons, cÕest le vritable attribut de lÕhomme, et quoiquÕil en ait t dpouill depuis quÕil sÕest lev contre sa Loi, il lui en est rest des vestiges qui pourraient le ramener jusquÕ sa source, sÕil avait le courage de les suivre pas pas et de sÕy attacher fortement.
Expriences sur des enfants
Je sais que parmi mes semblables ce point est un des plus contests ; que non seulement ils sont incertains quelle a pu tre la premire langue des hommes, mais mme quÕ force de varier l-dessus, ils ont pu venir croire que lÕhomme nÕen avait point la source en lui, et cela, parce quÕils ne le voient pas parler naturellement, quand il est abandonn lui-mme ds son enfance.
Mais ne verront-ils jamais en quoi pche leur observation ? Ne savent-ils pas que dans lÕtat de privation o lÕhomme se trouve aujourdÕhui, il est condamn ne rien oprer, mme par ses facults intellectuelles, sans le secours dÕune raction extrieure, qui les mette en jeu et en action ; et quÕainsi, priver lÕhomme de cette Loi, cÕest absolument lui ter toutes les ressources que la Justice lui avait accordes, et le mettre dans le cas de laisser touffer ses facults, sans quÕelles produisent le moindre fruit.
Cependant on ne peut nier que ce ne soit l la marche des Observateurs, par ces expriences ritres quÕils ont faits sur des enfants pour dcouvrir, en sÕabstenant de parler devant eux, quelle serait leur langue naturelle. Quand ils ont vu ensuite que ces enfants ne faisaient aucun usage de la parole, ou quÕils ne rendait que des sons confus, ils ont interprt le tout leur gr, et ont bti des opinions sur des faits quÕils avaient arrangs eux-mmes. Mais nÕest-il pas vident que la Nature sensible et la Loi intellectuelle appellent galement lÕhomme vivre en socit ? Or, pourquoi lÕhomme se trouve-t-il ainsi plac au milieu de ses semblables qui sont censs avoir fait leur rhabilitation, si ce nÕest pour y recevoir tous les secours dont il a besoin, pour ranimer sont tour ses facults ensevelies, et pouvoir les exercer son profit ?
CÕest donc agir directement contre ces deux Lois et contre lÕhomme, que de le priver des secours quÕil devait en attendre ; cÕest tre peu sens que de le juger, aprs lui avoir t tous les moyens dÕacqurir lÕusage des facults quÕon lui conteste, et dont on cherche le croire incapable. Il vaudrait autant placer un germe sur une pierre, et nier ensuite que ce germe dt porter des fruits.
Mais, sans aller plus loin, sÕil est vident que quand lÕhomme est priv des secours qui lui sont indispensablement ncessaires, il ne peut produire aucune langue fixe, et que cependant il y a des langues parmi les hommes ; o pourra-t-on donc trouver lÕorigine de ce langage universel, et ne faudra-t-il pas convenir que celui qui a pu lÕenseigner le premier, a d le recevoir dÕailleurs que de la main des hommes ?
Du langage des tres sensibles
Il y a, je le sais, une espce de langage naturel et uniforme, que les Observateurs sÕaccordent assez gnralement reconnatre dans lÕhomme, cÕest celui par lequel il dsigne ses affections de plaisir et de douleur ; ce qui annonce en lui une sorte de sons appropris cet usage.
Mais il est bien clair que ce langage, si cÕen est un, nÕa que les sensations corporelles pour guide et pour objet ; et la preuve la plus convaincante que nous en ayons, cÕest quÕil se trouve galement dans les btes, dont la plupart manifestent au-dehors leurs sensations par des mouvements et mme par des sons caractriss.
Toutefois cette espce de langage doit peu nous tonner dans lÕanimal, si nous nous rappelions les principes tablis ci-dessus. Le Principe corporel de lÕanimal nÕest-il pas immatriel, puisquÕil ne peut y avoir aucun Principe qui ne le soit ? Comme tel, ne doit-il pas avoir des facults, et sÕil a des facults, ne doit-il pas avoir des moyens de les manifester ? Mais aussi, les moyens dont chaque Etre en particulier peut avoir lÕusage, doivent toujours tre en raison de ses facults ; car, sÕil nÕy avait pas l une mesure comme dans tout le reste, ce serait une irrgularit, et dans les Lois des Etres nous ne saurions jamais en admettre.
CÕest donc par cette mesure que lÕon doit valuer lÕespce de langage par lequel les btes dmontrent leurs facults ; puisque tant bornes sentir, il ne leur a fallu que les moyens de faire connatre quÕelles sentaient, et elles les ont. Les Etres qui nÕont dÕautres facults que celles de la vgtation, dmontrent aussi clairement cette facult de vgtation par le fait mme, mais ils ne dmontrent que cela.
Ainsi, quoique la bte ait des sensations, et quÕelle les exprime ; quoique dans lÕtat actuel des choses ces sensations soient de deux sortes, lÕune bonne et lÕautre mauvaise, et que la bte les dsigne toutes deux en montrant quand elle a de la joie, ou quand elle souffre, on ne peut se dispenser de borner ce seul objet son langage et tous les signes dmonstratifs qui en font partie ; et jamais on en pourra regarder cette manire de sÕexprimer comme une vraie langue, puisquÕune langue a pour but dÕexprimer les penses, que les penses sont le propre des Principes intellectuels, et que jÕai assez clairement dmontr que le Principe de la bte nÕest point intellectuel, quoiquÕil soit immatriel.
Si nous sommes fonds ne point regarder comme une langue relle les dmonstrations par lesquelles la bte fait connatre ses sensations ; alors, quoique lÕhomme, comme animal, ait aussi ces sensations et les moyens de les manifester, nous nÕadmettrons jamais la moindre comparaison, entre ce langage born et obscur, et celui dont la Nature intellectuelle des hommes les rend susceptibles.
Rapport du langage aux facults
Ce serait sans doute une tude intressante et instructive, que dÕobserver dans toute la Nature, cette mesure qui se trouve entre les facults des Etres et les moyens qui leur ont t accords pour les exprimer. Nous y verrions, quÕ proportion quÕils sont loigns par leur nature, du premier anneau de la chane, leurs facults sont moins tendues. Nous verrions en mme temps que les moyens quÕils ont de les faire connatre, suivent avec exactitude cette progression, et dans ce sens nous pourrions accorder une sorte de langage jusquÕaux moindres des Etres crs, puisque ce langage ne serait autre chose que lÕexpression de leurs facults, et cette uniformit sans laquelle il ne pourrait y avoir ni commerce, ni correspondance, ni affinit entre les Etres de la mme classe.
Il faudrait nanmoins dans cet examen avoir la plus grande attention de prendre tous les Etres chacun dans leur classe, et de ne pas attribuer lÕune ce qui nÕappartient quÕ lÕautre ; il ne faudrait pas attribuer au minral toutes les facults des plantes, ni la mme manire de les manifester ; non plus quÕattribuer la plante ce que lÕon aurait observ dans lÕanimal ; bien moins encore faudrait-il attribuer ces tres infrieurs, et qui nÕont quÕune action passagre, tout ce que nous venons de dcouvrir dans lÕhomme. Sans cela, ce serait retomber dans cette horrible confusion des langues, le principe de toutes nos Erreurs et la vraie cause de notre ignorance, en ce que ds lors la nature de tous les Etres serait dfigure pour nous.
Mais, comme ce point serait peut-tre dÕune trop grande tendue pour mon Ouvrage, je me contente de lÕindiquer, et je le laisse traiter ceux qui auront la modestie de se borner des sujets isols, et moins vastes que celui qui mÕoccupe.
De la langue universelle
Je reviens donc cette langue vritable et originelle, la ressource la plus prcieuse de lÕhomme. JÕannonce de nouveau, que comme Etre immatriel et intellectuel, il a d recevoir avec sa premire existence, des facults dÕun ordre suprieur, et par consquent les attributs ncessaires pour les manifester ; que ces attributs ne sont autre chose que la connaissance dÕune langue commune tous les Etres pensants ; que cette langue universelle devait leur tre dicte par un seul et mme Principe, dont elle est le vritable signe ; que lÕhomme nÕayant plus en entier ces premires facults, puisque nous avons vu quÕil nÕavait pas mme la pense lui, les attributs qui les accompagnaient, lui ont aussi t enlevs, et que cÕest pour cela que nous ne lui voyons plus cette langue fixe et invariable.
Mais nous devons rpter aussi quÕil nÕa pas perdu lÕesprance de la recouvrer, et quÕavec du courage et des efforts, il peut toujours prtendre rentrer dans ses premiers droits.
SÕil mÕtait permis dÕen citer des preuves, je ferais voir que la terre en est remplie, et que depuis que le monde existe, il y a une langue qui ne sÕest jamais perdue, et qui ne se perdra pas mme aprs le monde, quoique alors elle doive tre simplifie ; je ferais voir que des hommes de toutes Nations en ont eu connaissance ; que quelques-uns spars par des sicles, de mme que des contemporains, quoique des distances considrables, se sont entendus par le moyen de cette langue universelle et imprissable.
On apprendrait par cette langue comment les vrais Lgislateurs se sont instruits des Lois et des principes, par lesquels se sont conduits dans tous les temps les hommes qui ont possd la Justice, et comment en rglant leur marche sur ces modles, ils ont eu la certitude que leurs pas taient rguliers. On y verrait aussi les vrais principes militaires dont les grands Gnraux ont acquis la connaissance, et quÕils ont employe avec tant de succs dans les combats.
Elle donnerait la clef de tous les calculs, la connaissance de la construction et de la dcomposition des Etres, de mme que de leur rintgration. Elle ferait connatre les vertus du Nord, la cause de la dviation de la boussole, la terre vierge, objet du dsir des aspirants la Philosophie occulte. Enfin, sans entrer ici dans un plus grand dtail de ses avantages, je ne crains point dÕassurer que ceux quÕelle peut procurer sont sans nombre, et quÕil nÕest pas un Etre sur lequel son pouvoir et son flambeau ne sÕtendent.
Mais, outre que je ne pourrais mÕouvrir davantage sur cet objet, sans manquer ma promesse et mes devoirs, il serait trs inutile que jÕen parlasse plus clairement, parce que mes paroles seraient perdues pour ceux qui nÕont pas tourn leur vue de ce ct, et le nombre en est comme infini.
Quant ceux qui sont dans le chemin de la science, ce que jÕai dit leur suffira, sans quÕil soit ncessaire de lever pour eux un autre coin du voile.
Tout ce que je puis donc faire pour montrer la correspondance universelle des principes que jÕai tablis, cÕest de prier mes Lecteurs de se ressouvenir de ce livre de dix feuilles, donn lÕhomme dans sa premire origine, et quÕil a gard mme depuis sa seconde naissance, mais dont on lui a t lÕintelligence et la vritable Clef ; je les prie encore dÕexaminer les rapports quÕils pourront apercevoir entre les proprits de ce livre et celles de la langue fixe et unique, de voir sÕil nÕy a pas entre elles une trs grande affinit, et de tcher de les expliquer les unes par les autres ; car cÕest effectivement l o se trouverait la clef de la science, et si le livre en question renferme toutes les connaissances, ainsi quÕon lÕa vue dans son lieu, la langue dont nous parlons en est le vritable Alphabet.
De lÕcriture et de la parole
CÕest avec la mme prcaution que je dois parler dÕun autre point qui tient essentiellement celui que je viens de traiter, savoir, des moyens par lesquels cette langue se manifeste. Ce nÕest sans doute que de deux manires, comme toutes les langues, savoir, par lÕexpression verbale et par les caractres ou lÕcriture ; lÕune venant notre connaissance par le sens de lÕoue, et lÕautre par le sens de la vue, les seuls de nos sens qui soient attachs des actes intellectuels : mais dans lÕhomme seulement ; car, quoique la bte ait aussi ces deux sens, ils ne peuvent avoir dans elle quÕune destination et une fin matrielle et sensible, puisquÕelle nÕa point dÕintelligence ; aussi, lÕoue et la vue dans lÕanimal nÕont pour objet, comme tous ses autres sens, que la conservation de lÕindividu corporel ; ce qui fait que les btes nÕont ni parole, ni criture.
Il est donc vrai que cÕest par ces deux moyens que lÕhomme parvient la connaissance de tant de choses leves, et cette langue emploie rellement le secours des sens de lÕhomme pour lui faire concevoir sa prcision, sa force et sa justesse.
Et comment cela pourrait-il tre autrement, puisquÕil ne peut rien recevoir que par ses sens, puisque mme dans son premier tat, lÕhomme avait des sens par o tout sÕoprait comme aujourdÕhui, avec cette diffrence quÕils nÕtaient pas susceptibles de varier dans leurs effets, comme les sens corporels de sa Matire, qui ne lui offrent quÕincertitude, et sont les principaux instruments de ses erreurs ?
DÕailleurs, comment pourrait-il parvenir entendre les hommes qui lÕauraient prcds, ou qui vivraient loigns de lui, si ce nÕest par le secours de lÕEcriture ? II faut convenir cependant que ces mmes hommes, ou passs, ou loigns, peuvent avoir des Interprtes ou des Commentateurs, qui instruits comme eux des vrais principes de la langue dont nous parlons, en fassent usage dans la conversation, et rapprochent par-l et les temps et les distances.
CÕest mme l une des plus grandes satisfactions que la langue vraie puisse procurer, parce que cette voix est infiniment plus instructive ; mais cÕest aussi la plus rare, et parmi les hommes le talent de lÕcriture est beaucoup plus commun que celui de la parole.
La raison de ceci, cÕest que dans la condition actuelle, nous ne pouvons monter que par gradation ; et en effet, par rapport toutes les langues ; le sens de la vue est au-dessous de celui de lÕoue, parce que cÕest par lÕoue que lÕhomme reoit en nature, au moyen de la parole, lÕexplication vivante, ou lÕintellectuel dÕune langue, au lieu que lÕcriture ne fait que lÕindiquer, en nÕoffrant aux yeux quÕune expression morte et des objets matriels.
Quoi quÕil en soit, par le moyen de la parole et de lÕcriture, qui sont propres la vraie langue, lÕhomme peut sÕinstruire de tout ce qui a rapport aux choses les plus anciennes ; car personne nÕa parl, ni crit autant que les premiers hommes, quoique aujourdÕhui il se fasse infiniment plus de Livres quÕautrefois. Il est vrai que parmi les Anciens et les Modernes, il y en a plusieurs qui ont dfigur cette criture et ce langage, mais, lÕhomme peut connatre ceux qui ont fait ces funestes mprises, et par l il verrait clairement lÕorigine de toutes ces langues de la Terre, comment elles se sont cartes de la langue premire, et la liaison que ces carts ont eu avec les tnbres et lÕignorance des Nations, ce qui les a prcipites dans des abmes de misres dont elles ont murmur, au lieu de se les attribuer.
Il apprendrait aussi comment la main qui frappait ainsi ces Nations, nÕavait en vue que de les punir et non de les livrer jamais au dsespoir ; puisque sa justice tant satisfaite, elle leur a rendu leur premire langue, et mme avec plus dÕtendue quÕauparavant, afin que non seulement elles pussent rparer leurs dsordres, mais quÕelles eussent mme les moyens de sÕen prserver lÕavenir.
Je ne tarirais point sÕil mÕtait permis dÕtendre plus loin le tableau des avantages infinis renferms dans les diffrents moyens que cette langue emploie, soit pour lÕoreille, soit pour les yeux. Nanmoins, si lÕon conoit quÕelle demande pour prix le sacrifice entier de la volont de lÕhomme ; si elle nÕest intelligible quÕ ceux qui se sont oublis eux-mmes pour laisser agir pleinement sur eux la Loi de la Cause active et intelligente qui doit gouverner lÕhomme comme tout lÕUnivers ; on doit voir si elle peut tre connue dÕun grand nombre.
Cependant, cette langue nÕest pas un instant sans agir, soit par le discours, soit par lÕcriture ; mais lÕhomme ne sÕoccupe quÕ se fermer lÕoreille, et il cherche de lÕcriture dans les Livres ; comment la vraie langue serait-elle donc intelligible pour lui ?
De lÕuniformit des langues
Un attribut tel que celui dont je viens de donner le tableau, ne peut sans doute souffrir de comparaison avec aucun autre. CÕest pour cela que je me suis cru fond lÕannoncer comme seul et unique, et indpendant de toutes les variations auxquelles les hommes peuvent sÕabandonner sur cet objet.
Mais il ne suffit pas dÕavoir prouv la ncessit dÕun pareil langage dans les Etres intellectuels pour lÕexpression de leurs facults ; il ne suffit pas mme dÕen avoir assur lÕexistence, en annonant que cÕtait l o tous les vrais Lgislateurs et autres hommes clbres avaient puis leurs principes, leurs Lois et les ressorts de toutes leurs grandes actions ; il faut encore en prouver la ralit dans lÕhomme mme, afin quÕil nÕait plus aucun doute sur ce point ; il faut lui montrer que la multitude des langues qui sont en usage parmi ses semblables, nÕont vari que sur lÕexpression sensible, tant dans le langage que dans lÕcriture, mais que quant au Principe, il nÕy en a pas une qui sÕen soit carte, quÕelles suivent toutes la mme marche, quÕil leur est absolument impossible dÕen tenir une autre ; en un mot, que toutes les Nations de la Terre nÕont quÕune mme langue, quoiquÕil y en ait peine deux qui sÕentendent.
De la grammaire
On ne peut nier, en effet, quÕune langue quelque imparfaite quÕelle puisse tre, ne soit dirige par une Grammaire. Or, cette Grammaire nÕtant autre chose quÕun rsultat de lÕordre inhrent nos facults intellectuelles, tient de si prs leur langue intrieure, quÕon peut les regarder comme insparables.
CÕest donc cette Grammaire qui est la rgie invariable du langage parmi toutes les Nations. CÕest l cette Loi laquelle elles sont ncessairement soumises, lors mme quÕelles font le plus mauvais usage de leurs facults intellectuelles, ou de leur langue intrieure et secrte ; car cette Grammaire ne servant quÕ diriger lÕexpression de nos ides, ne juge point si elles sont ou non conformes au seul Principe qui doit les vivifier ; sa fonction nÕest que de rendre cette expression rgulire ; et cÕest ce qui ne peut jamais manquer dÕarriver, puisque, lorsque la Grammaire agit, elle est toujours juste, ou elle ne dit rien.
Je nÕemploierai pour preuve, que ce qui entre dans la composition du discours, ou ce qui est connu vulgairement sous le nom de parties dÕoraison. Parmi ces parties du discours, les unes sont fixes, fondamentales et indispensables pour complter lÕexpression dÕune pense, et elles sont au nombre de trois. Les autres ne sont que des accessoires ; aussi le nombre nÕen est-il pas gnralement dtermin.
Les trois parties fondamentales du discours, et sans lesquelles il est de toute impossibilit de rendre une pense, sont le nom ou le pronom actifs, le verbe qui exprime la manire dÕexister, ainsi que les actions des Etres, enfin le nom ou le pronom passif qui est le sujet ou le produit de lÕaction. Que tout homme examine cette proposition avec la rigueur quÕil jugera propos dÕy employer, il verra toujours quÕun discours quelconque ne peut avoir lieu sans reprsenter une action, quÕune action ne peut se concevoir si elle nÕest conduite par un agent qui lÕopre, et suivie de lÕeffet qui en est, en doit, ou en peut tre le rsultat ; que si lÕon supprime lÕune ou lÕautre de ces trois parties, nous ne pouvons prendre de la pense une notion complte, et quÕalors nous sentons quÕil manque quelque chose lÕordre quÕexige notre intelligence.
En effet, un nom ou un substantif seul, ne dit absolument rien sÕil nÕest accompagn dÕun agent qui opre sur lui et dÕun verbe qui dsigne de quelle manire cet agent opre sur ce nom et en dispose. Retranchez lÕun ou lÕautre de ces trois signes, le discours nÕoffrira plus quÕune ide tronque et dont notre intelligence attendra toujours le complment, au lieu quÕavec ces trois signes seuls nous pouvons complter une pense, parce que nous pouvons y reprsenter lÕagent, lÕaction, et le produit ou le sujet. Il est donc certain que cette Loi de la Grammaire est invariable, et que dans quelque langue que lÕon choisisse un exemple, on le trouvera conforme au principe que je viens de poser, puisque cÕest celui de la Nature mme, et des Lois tablies par essence dans les facults intellectuelles de lÕhomme.
QuÕon rflchisse prsent sur tout ce que jÕai dit du poids, du nombre et de la mesure ; quÕon voie si ces Lois ne comprennent pas lÕhomme dans leur empire avec tout ce qui est en lui, et tout ce qui provient de lui ; quÕon se rappelle encore ce que jÕai dit de ce fameux Ternaire dont jÕai annonc lÕuniversalit ; quÕon examine sÕil y a quelque objet quÕil nÕembrasse pas, et quÕon apprenne alors prendre une ide plus noble quÕon ne lÕa fait jusquÕ prsent, de lÕEtre qui malgr sa dgradation, peut porter sa vue jusque l ; qui peut rapprocher de lui de pareilles connaissances, et saisir un ensemble aussi tendu.
On pourrait cependant mÕopposer quÕil est des cas o les trois parties que je reconnais comme fondamentales dans le discours, ne sont pas toutes exprimes ; que souvent il nÕy en a que deux, quelquefois quÕune, et mme quelquefois point du tout, comme dans une ngation ou affirmation. Mais cette objection tombe dÕelle-mme, quand on observera que dans tous ces cas, le nombre des trois parties fondamentales conserve toujours son pouvoir, et que sa Loi y subsiste toujours, parce que celles des parties du discours qui ne seront pas exprimes, ne seront que sous-entendues, quÕelles tiendront toujours leur rang, et que mme ce ne sera que par leur liaison tacite avec elles, que les autres produiront leur effet.
Et vritablement, quand je ne rpondrais une question que par une monosyllabe, ce monosyllabe offrirait toujours lÕimage du Principe ternaire, car il annoncerait toujours de ma part une action quelconque relative lÕobjet quÕon mÕa prsent, et cÕest dans la question mme que se trouveraient exprimes les parties du discours qui seraient sous-entendues dans ma rponse. Je nÕen donnerai point dÕexemple, chacun pouvant sÕen former aisment.
Ainsi, je vois donc partout avec la plus grande vidence les trois signes de lÕagent, de lÕaction et du produit ; et cet ordre tant commun tous les Etres pensants, je ne crains point de dire que quand ils le voudraient, ils ne pourraient sÕen carter.
Je ne parle point de lÕordre dans lequel ces trois signes devraient tre arrangs pour tre en conformit avec lÕordre des facults quÕils reprsentent ; cet ordre a t sans doute interverti, en passant par la main des hommes, et presque toutes les langues des Nations varient l-dessus. Mais la vraie langue tant unique, lÕarrangement de ces signes nÕet pas t sujet tous ces contrastes, si lÕhomme et su la conserver.
Il ne faut pas croire cependant que mme dans la vraie langue, ces trois signes eussent toujours t disposs dans le mme ordre o ils le sont dans nos facults intellectuelles ; car ces signes nÕen sont que lÕexpression sensible, et je suis convenu que le sensible ne pouvait jamais avoir la mme marche que lÕintellectuel ; cÕest--dire, que la production ne pouvait jamais tre susceptible des mmes lois que son Principe gnrateur.
Mais la supriorit quÕelle et eu sur toutes les autres langues, cÕest que son expression sensible nÕaurait jamais vari, et que cette expression et suivi, sans la moindre altration, lÕordre et les Lois qui sont propres et particulires son essence. Cette langue et eu de plus, ainsi quÕon lÕa dj vu, lÕavantage dÕtre couvert de toute quivoque, et dÕavoir toujours la mme signification, parce quÕelle tient la nature des choses, et que la nature des choses est invariable.
Du Verbe
Parmi les trois signes fondamentaux auxquels toute expression de nos penses est assujettie, il en est un qui mrite par prfrence notre attention, et sur lequel nous allons jeter un moment les yeux ; cÕest celui qui lie les deux autres, qui est lÕimage de lÕaction parmi nos facults intellectuelles, et lÕimage du Mercure parmi les principes corporels ; en un mot, cÕest celui quÕon nomme le Verbe parmi les Grammairiens.
Il ne faut donc pas oublier que sÕil est lÕimage de lÕaction, cÕest sur lui que tout lÕÏuvre sensible est appuy ; et que puisque la proprit de lÕaction est de tout faire, celle de son signe ou de son image est de reprsenter et dÕindiquer tout ce qui se fait.
Aussi, quÕon rflchisse sur les proprits de ce signe dans la composition du discours ; quÕon voie que plus il est fort et expressif, plus les rsultats qui en proviennent sont sensibles et marqus ; quÕon suive cette exprience facile faire, que mme dans toutes les choses soumises au pouvoir ou aux conventions de lÕhomme, lÕeffet en est rgl, dtermin, anim principalement par le Verbe. Enfin, que les Observateurs examinent si ce nÕest pas par ce signe appel Verbe, que se manifeste tout ce que nous connaissons de plus intellectuel et de plus actif en nous ; sÕil nÕest pas le seul des trois signes qui soit susceptible de fortifier ou dÕaffaiblir lÕexpression, tandis que les noms de lÕagent et du sujet une fois fixs, demeurent toujours les mmes ; cÕest par l quÕon jugera si nous avons t fonds lui attribuer lÕaction, puisquÕil en est vraiment dpositaire, et quÕil faut absolument son secours pour que quelque chose se fasse, ou sÕexprime mme tacitement.
CÕest ici le lieu de remarquer, pourquoi les Observateurs oisifs et les Kabbalistes spculatifs, ne trouvent rien, cÕest quÕils parlent toujours, et quÕils ne VERBENT jamais.
Je ne mÕtendrai pas davantage sur les proprits du Verbe ; des yeux intelligents pourront, dÕaprs ce que jÕai dit, faire les plus importantes dcouvertes, et se convaincre eux-mmes quÕ tous les instants de sa vie, lÕhomme reprsente lÕimage sensible des moyens par lesquels tout a pris naissance, tout agit, et tout est gouvern.
Voil donc encore une des Lois auxquelles tous les Etres qui ont le privilge de la parole, sont obligs de se soumettre, et voil pourquoi jÕai dit que toutes les Nations de la Terre nÕavaient quÕune langue, quoique la manire dont elles sÕexpriment ft universellement diffrente.
Des parties accessoires du discours
Je nÕai point parl des autres parties qui entrent dans la composition du discours ; je les ai annonces simplement comme accessoires, ne servant quÕ aider lÕexpression, suppler la faiblesse des mots, et dtailler quelques rapports de lÕaction ; ou si lÕon veut, comme des images et des rptitions des trois parties que nous avons reconnues comme seules essentielles pour complter le tableau dÕune pense quelconque.
En effet, on doit savoir que les Articles, ainsi que les terminaisons des noms dans les langues qui nÕont point dÕArticles, servent exprimer le nombre et le genre des noms, et dterminer les rapports essentiels qui sont entre lÕagent, lÕaction et le sujet ; que les Adjectifs expriment les qualits des noms, que les Adverbes sont les adjectifs du verbe ou de lÕaction ; enfin, que les autres parties de lÕoraison forment la liaison du discours, et en rendent le sens plus ou moins expressif, ou les priodes plus harmonieuses ; mais comme lÕusage de ces diffrents signes nÕest pas uniformment commun toutes les langues; quÕil tient beaucoup aux mÏurs et aux habitudes des Nations, toutes choses qui tant lies au sensible doivent en suivre les variations, on ne peut les admettre au rang des parties fixes et immuables du discours ; ainsi nous ne les emploierons point dans les preuves que nous apportons de lÕunit de la langue de lÕhomme.
Rapports universels de la grammaire
JÕengage nanmoins les Grammairiens considrer leur Science avec un peu plus dÕattention quÕils ne lÕont fait sans doute jusquÕ prsent. Ils avouent bien que les langues viennent dÕune source suprieure lÕhomme, et que toutes les Lois en sont dictes par la Nature ; mais ce sentiment obscur a produit chez eux peu dÕeffets, et ils sont bien loigns de souponner dans les langues tout ce quÕils y pourraient trouver.
Veut-on en savoir la raison, cÕest quÕils font sur la Grammaire ce que les Observateurs font sur toutes les sciences ; cÕest--dire, quÕils jettent en passant un coup dÕÏil sur le Principe, mais que nÕayant pas le courage de sÕy fixer longtemps, ils se rabaissent sur des dtails dÕordre sensible et mcanique, qui absorbent toutes leurs facults, et laissent sÕobscurcir en eux la plus essentielle, celle de lÕintelligence. Que les Grammairiens se persuadent donc que les Lois de leur Science tenant au Principe comme tous les autres, ils y peuvent dcouvrir une source inpuisable de lumires et de Vrits, dont peine ont-ils la moindre ide.
Le petit nombre qui leur en a t offert, doit leur paratre suffisant pour les mettre sur la voie ; sÕils y ont vu clairement les signes reprsentatifs des facults des Etres intellectuels, ils y pourront voir la mme chose par rapport aux Etres qui ne le sont pas. Ils y pourront prendre une ide nette des Principes qui ont t tablis sur la Matire, en considrant simplement la diffrence quÕil y a entre le substantif et lÕadjectif ; lÕun est lÕEtre ou le Principe inn ; lÕadjectif exprime les facults de tous genres qui peuvent tre supposes dans ce Principe ; mais ce quÕil faut observer avec soin, cÕest que lÕadjectif ne peut de lui-mme se joindre au substantif, de mme que le substantif seul est dans lÕimpuissance de produire lÕadjectif ; lÕun et lÕautre sont dans lÕattente dÕune action suprieure qui les rapproche et qui les lie selon son gr ; ce nÕest quÕen vertu de cette action quÕils peuvent recevoir leur union et manifester des proprits.
Remarquons aussi que cÕest lÕouvrage de la pense mme et de lÕintelligence, dÕemployer propos les adjectifs ; que cÕest elle qui les aperoit ou qui les cre et les communique en quelque sorte aux sujets quÕelle veut en revtir ; reconnaissons ds lors la proprit immense de cette action universelle que nous avons fait observer ci-devant, puisquÕil est certain que nous la trouvons partout.
Bien plus, cette mme action, aprs avoir ainsi communiqu des facults ou des adjectifs aux Principes inns ou aux substantifs, peut son gr les tendre, les diminuer, et mme les retirer tout fait, et faire ainsi rentrer lÕEtre dans son premier tat dÕinaction, image assez sensible de ce quÕelle opre en ralit sur la Nature.
Mais dans cette dissolution, les Grammairiens pourront voir aussi, sans crainte de se tromper. que lÕadjectif qui nÕest que la qualit de lÕEtre, ne peut pas subsister sans un Principe, un sujet ou substantif, au lieu que le substantif peut trs bien tre indiqu dans le discours, sans ses qualits ou ses adjectifs ; dÕo ils pourront voir un rapport avec ce qui a t expos sur lÕexistence des Etres immatriels corporels indpendante de leurs facults sensibles ; dÕo ils pourront comprendre aussi ce qui a t dit de lÕternit des Principes de la Matire, quoique la Matire mme ne puisse pas tre ternelle, attendu que nÕtant que lÕeffet dÕune runion, elle nÕest rien de plus quÕun adjectif.
CÕest par l ensuite quÕils pourront concevoir comment il est possible que lÕhomme soit priv de ses premiers attributs, puisque cÕest par une main suprieure quÕil en avait t revtu ; mais en mme temps reconnaissant avec encore plus de certitude sa propre insuffisance, ils avoueront que pour tre rtabli dans ces mmes droits, il lui faut absolument le secours de cette mme main qui lÕen a dpouill, et qui ne lui demande, comme je lÕai dit plus haut, que le sacrifice de sa volont pour les lui rendre.
Ils pourront encore trouver dans les six Cas, les six principales modifications de la Matire, de mme que le dtail des actes de sa formation et de toutes les rvolutions quÕelle subit. Les genres seront pour eux lÕimage des Principes opposs et qui sont irrconciliables ; en un mot, ils pourront faire une multitude dÕobservations de cette espce, qui sans tre le fruit de lÕimagination, ni des Systmes, les convaincront de lÕuniversalit du Principe, et que cÕest la mme main qui conduit tout.
De la vraie langue
Mais aprs avoir tabli, comme je lÕai fait, cette langue unique, universelle, offerte lÕhomme, mme dans lÕtat de privation auquel il est rduit, je dois mÕattendre la curiosit de mes Lecteurs sur le nom et lÕespce de cette mme langue.
Quant au nom, je ne pourrai les satisfaire, mÕtant promis de ne rien nommer : mais quant lÕespce, je leur avouerai que cÕest cette langue dont je leur ai dj dit que chaque mot portait avec soi-mme la vraie signification des choses, et les dsignait si bien, quÕil les faisait clairement apercevoir. JÕajouterait que cÕest celle qui fait lÕobjet des vÏux de toutes les hommes dans toutes leurs institutions, que chacun dÕeux cultive en particulier et avec soin sans le savoir, et quÕils tchent tous dÕexprimer dans tous les ouvrages quÕils enfantent ; car elle est si bien grave en eux, quÕils ne peuvent rien produire qui nÕen porte le caractre.
Je ne peux donc rien faire de mieux pour en indiquer la connaissance mes semblables, que de les assurer quÕelle tient leur Essence mme, et que cÕest en vertu de cette langue seule quÕils sont des hommes. Alors donc, quÕils voient si jÕai eu tort de leur dire quÕelle tait universelle, et si malgr les faux usages quÕils en font, il leur sera jamais possible de lÕoublier entirement, puisque pour y parvenir, il faudrait quÕils pussent se donner une autre Nature ; cÕest l tout ce que je puis rpondre la question prsente ; poursuivons.
Des ouvrages de lÕHomme
JÕai dit que cette langue se manifestait de deux manires, comme toutes les autres langues, savoir par lÕexpression verbale et par lÕcriture ; et comme je viens de dire il nÕy a quÕun instant, que tous les ouvrages des hommes portaient son empreinte, il est ncessaire que nous en parcourions quelques-uns, afin de mieux voir, tout faux quÕils sont, le rapport quÕils ont avec leur source.
Considrons dÕabord ceux de leurs ouvrages qui comme image de lÕexpression verbale de la langue dont il sÕagit, doivent nous en offrir lÕide la plus juste et la plus leve ; nous considrerons ensuite ceux qui ont du rapport avec les caractres ou lÕcriture de cette langue.
La premire espce de ces ouvrages comprend gnralement tout ce qui est regard parmi les hommes comme le fruit du gnie, de lÕimagination, du raisonnement et de lÕintelligence, ou en gnral ce qui fait lÕobjet de tous les genres possibles de la Littrature et des Beaux-Arts.
Dans cette espce de productions de lÕhomme, qui toutes semblent faire classe part, nous voyons cependant rgner le mme dessein, nous les voyons toutes animes du mme motif, qui est celui de peindre, de prouver leur objet, et dÕen persuader la ralit, ou au moins de lui en donner les apparences.
Des productions intellectuelles
Si les partisans de lÕun ou de lÕautre de ces genres de productions se laissent quelquefois surprendre par la jalousie, et sÕils tchent dÕtablir leur crdit, en rpandant du mpris sur les autres branches quÕils nÕont pas cultives, cÕest un tort vident quÕils font la science, et lÕon ne peut douter que parmi les fruits des facults intellectuelles de lÕhomme, ceux-l nÕaient la prfrence, qui sans rien enlever aux autres, sÕtayeront au contraire de leur secours, et offriront par l un got plus solide et des beauts moins quivoques.
Cette ide est certainement celle de tous les hommes judicieux et dous dÕun got et vrai ; ils savent que ce ne sera jamais que dans une union intime et universelle, que leurs productions pourront trouver plus de force et plus de consistance, et depuis longtemps il est reu que toutes les parties de la Science sont lies et se communiquent rciproquement des secours.
Et en effet, cÕest un sentiment si naturel lÕhomme, quÕil le porte partout avec lui, lors mme quÕil tient une marche que ce Principe dsavoue. Si un Orateur voulait condamner les Sciences, il faudrait quÕil se montrt savant ; si un Artiste voulait dprimer lÕloquence, il ne serait pas cout, sÕil nÕen employait le langage.
Cependant cette utile observation, toute juste quÕelle soit, ayant t faite vaguement, nÕa presque produit aucun fruit ; et les hommes se sont accoutums dans cela comme dans tout le reste, faire des distinctions absolues, et considrer chacune des ces diffrentes parties comme autant dÕobjets trangers les uns aux autres.
Ce nÕest pas que dans ces ouvrages des facults intellectuelles de lÕhomme, nous ne devions discerner diffrents genres, et que tout doive nÕy reprsenter que le mme sujet. Au contraire, puisque ces facults sont elles-mmes diffrentes entre elles, et que nous y pouvons remarquer des distinctions frappantes, il est naturel de penser que leurs fruits doivent indiquer cette diffrence, et quÕils ne peuvent pas se ressembler ; mais en mme temps, comme ces facults sont essentiellement lies, et quÕil est de toute impossibilit que lÕune agisse sans le secours des autres, nous voyons par l quÕil est ncessaire que la mme liaison rgne entre leurs diffrentes sortes de productions, et quÕelles annoncent toutes la mme origine.
Mais jÕen ai dj trop dit sur un objet qui nÕest quÕaccessoire mon plan ; je reviens lÕexamen que jÕai commenc sur les rapports qui se trouvent entre la langue unique et universelle, et les diffrentes productions intellectuelles de lÕhomme.
De quelque espce que soient ces productions, nous pouvons les rduire deux classes auxquelles toutes les autres ressortiront, parce que dans tout ce qui existe, ne pouvant y avoir que de lÕintellectuel et du sensible, tout ce que lÕhomme saurait produire, nÕaura jamais que lÕune ou lÕautre de ces deux parties pour objet. Et en effet, tout ce que les hommes imaginent et produisent journellement en ce genre, se borne instruire ou mouvoir, raisonner ou toucher ; il leur est absolument impossible de dire et de manifester quelque chose hors dÕeux-mmes qui nÕait pour but lÕun ou lÕautre de ces deux points ; et quelques divisions que lÕon fasse des productions intellectuelles des hommes, lÕon verra toujours quÕils se proposent ou dÕclairer, et dÕamener la connaissance de Vrits quelconques, ou de subjuguer lÕhomme intellectuel par le sensible, et de lui faire prouver des situations, dans lesquelles nÕtant plus le matre de lui-mme, il sait au pouvoir de la voix qui lui parle, et suive aveuglment le charme bon ou mauvais, qui lÕentrane.
Nous attribuerons la premire Classe tous les ouvrages de raisonnement, ou en gnral tout ce qui ne devrait procder que par axiomes, et tout ce qui se borne tablir des faits.
Nous attribuerons la seconde tout ce qui a pour but de faire sur le cÏur de lÕhomme des impressions de quelque genre que ce soit, et de lÕagiter nÕimporte dans quel sens.
Or, dans lÕune ou lÕautre de ces classes, quel est lÕobjet du dsir des Compositeur ? NÕest-ce pas de montrer leur sujet sous des faces si lumineuses ou si sduisantes, que celui qui les contemple ne puisse en contester la vrit, ni rsister la force et aux attraits des moyens dont on fait usage pour le charmer ? Quelles ressources emploient-ils pour cela ? Ne mettent-ils pas tous leurs soins se rapprocher de la nature mme de lÕobjet qui les occupe ? Ne tchent-ils pas de remonter jusquÕ sa source, de pntrer jusques dans son essence ? En un mot, tous leurs efforts ne tendent-ils pas si bien faire accorder lÕexpression avec ce quÕils conoivent, et la rendre si naturelle et si vraie, quÕils soient assurs de faire effet sur leurs semblables, comme si lÕobjet mme tait en leur prsence ? Ne sentons-nous pas nous-mmes plus ou moins ce violent effet sur nous, selon que le Compositeur approche plus ou moins de son but ? Cet effet nÕest-il pas gnral, et nÕy a-t-il pas en ce genre des beauts qui sont telles par toute la Terre ?
CÕest donc l pour nous lÕimage des facults de cette vritable langue dont nous traitons, et cÕest dans les Ïuvres mmes des hommes et dans leurs efforts, que nous trouvons les traces de tout ce qui a t dit sur la justesse et la force de son expression, ainsi que sur son universalit.
Il ne faut point sÕarrter cette ingalit dÕimpressions qui rsulte de la diffrence des idiomes et des langues conventionnelles tablies parmi les diffrents Peuples ; comme cette diffrence de langage nÕest quÕune dfectuosit accidentelle, et non pas de nature ; que dÕailleurs lÕhomme peut parvenir lÕeffacer en se familiarisant avec les idiomes qui lui sont trangers, elle ne pourrait rien faire contre le principe, et je ne crains point de dire que toutes les langues de la Terre sont autant de tmoignages qui le confirment.
De la posie
Quoique jÕaie rduit deux classes les productions verbales des facults intellectuelles de lÕhomme, je ne perds pas de vue nanmoins la multitude de branches et de subdivisions dont elles sont susceptibles, tant par le nombre des objets diffrents qui sont du ressort de notre raisonnement, que par lÕinfinit de nuances que nos affections sensibles peuvent recevoir.
Sans en faire lÕnumration, ni les examiner chacune en particulier, on peut seulement dans chaque classe en considrer une principale et qui tienne le premier rang, telles que la Mathmatique parmi les objets de raisonnement, et la Posie parmi ceux qui sont relatifs la facult sensible de lÕhomme. Mais ayant trait prcdemment de la partie Mathmatique, jÕy renverrai le Lecteur, afin quÕil sÕy confirme de nouveau de la ralit et de lÕuniversalit des principes que je lui expose.
Ce sera donc sur la Posie que jÕarrterai en ce moment ma vue, la regardant comme la plus sublime des productions des facults de lÕhomme, celle qui le rapproche le plus de son Principe, et qui par les transports quÕelle lui fait sentir, lui prouve le mieux la dignit de son origine. Mais autant ce langage sacr sÕennoblit encore en sÕlevant vers son vritable objet, autant il perd de sa dignit en se rabaissant des sujets factices ou mprisables, auxquels il ne peut toucher sans se souiller comme par une prostitution.
Ceux mmes qui sÕy sont consacrs, nous lÕont toujours annonc comme le langage des Hros et des Etres bienfaisants quÕils ont peint veillants la sret et la conservation des hommes ? Ils en ont tellement senti la noblesse, quÕils nÕont pas craint de lÕattribuer mme celui quÕils regardent comme lÕAuteur de tout; et cÕest le langage quÕils ont choisi par prfrence lorsquÕils en ont annonc les oracles, ou quÕils ont voulu lui adresser des hommages.
Ce langage, toutefois, dois-je avertir quÕil est indpendant de cette forme triviale dans laquelle les hommes sont convenus chez les diffrentes Nations, de renfermer leurs penses ? Ne sait-on pas que cÕest une suite de leur aveuglement dÕavoir cru par l multiplier les beauts, pendant quÕils nÕont fait que surcharger leur travail, et que cette attention superflue laquelle ils nous asservissent, ayant pour but dÕaffecter notre facult sensible corporelle, ne peut manquer de prendre dÕautant sur notre vraie sensibilit.
Mais ce langage est lÕexpression et la voix de ces hommes privilgis, qui nourris par la prsence continuelle de la Vrit, lÕont peinte avec le mme feu qui lui sert de substance, feu vivant par soi et ds lors ennemi dÕune froide uniformit, parce quÕil se commande dans tous ses actes, quÕil se cre lui-mme sans cesse, et quÕil est par consquent toujours neuf.
CÕest dans une telle Posie que nous pouvons voir lÕimage la plus parfaite de cette langue universelle que nous essayons de faire connatre, puisque quand elle atteint vraiment son objet, il nÕest rien qui ne doive plier devant elle ; puisquÕelle a, comme son Principe, un feu dvorant qui lÕaccompagne tous ses pas, qui doit tout amollir, tout dissoudre, tout embraser, et que mme cÕest la premire loi des Potes de ne pas chanter quand ils nÕen sentent pas la chaleur.
Ce nÕest pas que ce feu doive produire partout les mmes effets : comme tous les genres sont de son ressort, il se plie leur diffrente nature, mais il ne doit jamais paratre sans remplir son but, qui est dÕentraner tout aprs lui.
Que lÕon voie prsent si une telle Posie aurait jamais pu prendre naissance dans une source frivole ou corrompue ; si la pense qui lÕenfante ne doit pas tre au plus haut degr dÕlvation, et sÕil ne serait pas vrai de dire que le premier des hommes a d tre le premier des Potes ?
Que lÕon voie aussi, si la Posie humaine peut elle-mme tre cette langue vraie et unique que nous savons appartenir notre espce ? Non, sans doute ; elle nÕen est quÕune faible imitation ; mais comme parmi les fruits des travaux de lÕhomme, cÕest celui qui tient de plus prs son Principe, je lÕai choisi pour en donner lÕide qui lui convient le mieux.
Aussi, peut-on dire que ces mesures conventionnelles que les hommes emploient dans la Posie quÕils ont invente, tout imparfaites quÕelles paraissent, ne doivent pas moins nous offrir la preuve de la prcision et de la justesse de la vraie langue dont le poids, le nombre et la mesure son invariables.
Nous pourrions galement reconnatre que cette Posie sÕappliquant tous les objets, la vraie langue dont elle nÕest que lÕimage, doit plus forte raison tre universelle et pouvoir embrasser tout ce qui existe. Enfin ce serait par un examen plus dtaill des proprits attaches ce langage sublime, que nous pourrions nous rapprocher de plus prs de son modle, et lire jusques dans sa source.
CÕest l ou nous verrions pourquoi la Posie a eu tant dÕempire sur les hommes de tous les temps, pourquoi elle a opr tant de prodiges, et dÕo vient cette admiration gnrale que toutes les Nations de la Terre conservent pour ceux qui sÕy sont distingus, ce qui tendrait encore nos ides sur le Principe qui lui a donn la naissance.
Nous y verrions aussi que lÕusage que les hommes en font souvent, lÕavilit et la dfigure au point de la rendre mconnaissable, ce qui nous prouverait que chez eux elle nÕest pas toujours le fruit de cette langue vraie que nous occupe, que cÕest une profanation de lÕemployer la louange des hommes ; une idoltrie de la consacrer la passion, et quÕelle ne devrait jamais avoir dÕautre objet que de montrer aux hommes lÕasile dÕo elle est descendue avec eux, pour leur faire natre le vertueux dsir de suivre ses traces, et dÕy retourner.
Des caractres de lÕcriture
Mais il me suffit dÕavoir mis sur la voie, pour que ceux qui auront quelque dsir, puissent pntrer beaucoup plus loin dans la carrire. Passons la seconde manire dont nous avons vu que la vraie langue devait se manifester, cÕest--dire, aux caractres de lÕcriture.
Je ne crains point dÕassurer que ces caractres sont aussi varis et aussi multiplis que tout ce qui est renferm dans la Nature, quÕil nÕy a pas un seul Etre qui ne puisse y trouver sa place et y servir de signe, et que tous y trouvent leur image et leur reprsentation vritable, ce qui porte ces caractres un nombre si immense, quÕil est impossible un homme de les conserver tous dans sa mmoire, non seulement par leur multitude inconcevable, mais aussi par leur diffrence et leur bizarrerie.
Quand on supposerait en outre quÕun homme pt retenir tous ceux dont il aurait eu connaissance, il ne pourrait pas se flatter de nÕavoir plus rien apprendre l-dessus ; car tous les jours la Nature produit de nouveaux objets, ce qui tout en nous montrant lÕinfinit des choses, nous montre aussi la borne et la privation de notre espce qui ne peut jamais parvenir les embrasser toutes, puisque ici-bas elle ne peut pas seulement parvenir connatre toutes les lettres de son Alphabet.
La varit de ces objets renferms dans la Nature, sÕtend non seulement sur leur forme, ainsi quÕon peut aisment sÕen convaincre, mais encore sur leur couleur et sur la place quÕils occupent dans lÕordre des choses ; ce qui fait que lÕcriture de la langue vraie varie autant que la multitude des nuances quÕon peut voir sur les corps matriels, car chacune de ces nuances porte autant de diffrentes significations.
Enfin, les caractres quÕelle emploie sont aussi nombreux que les points de lÕhorizon ; et comme chacun de ces points occupe une place qui nÕest quÕ lui, chacune des lettres de la vraie langue a aussi un sens et une explication qui lui sont propres.
Mais je mÕarrte, Vrit sainte, ce serait usurper tes droits que de publier mme obscurment tes secrets, cÕest toi seul les dcouvrir qui il te plat, et comme il te plat. Pour moi, je dois me borner les respecter en silence, et rassembler tous mes dsirs pour que mes semblables puissent ouvrir les yeux ta lumire, et que dsabuss des illusions qui les sduisent, ils soient assez sages et assez heureux pour se prosterner tous tes pieds.
Prenant donc toujours la prudence pour guide, je dirai que cÕest cette multitude infinie des caractres de la langue vraie, et leur norme varit qui a introduit dans les langues humaines une diversit si grande, que peu dÕentre elles se servent des mmes signes, et que celles qui sÕaccordent sur ce point, varient encore sur leur quantit, en admettant ou en rejetant quelques signes, chacune selon son idiome et son gnie particulier.
Mais, de mme que les caractres de la vraie langue sont aussi multiplis que les Etres renferms dans la Nature, de mme il est aussi certain que nul de ces caractres ne peut prendre son origine que dans cette mme Nature, et que cÕest dans elle o ils puisent tout ce qui sert les distinguer, puisque hors dÕelle, il nÕy a rien de sensible. CÕest ce qui fait aussi que malgr la varit des caractres que les langues humaines emploient, elles ne peuvent jamais sortir de ces mmes bornes, et que cÕest toujours dans des lignes et dans des figures, quÕelles sont obliges de prendre tous les signes de leur convention ; ce qui prouve dÕune manire vidente que les hommes ne peuvent rien inventer.
De la peinture
Nous nous convaincrons de tout ceci par quelques observations sur lÕart de la Peinture, que lÕon peut regarder comme ayant pris naissance dans les caractres de la langue en question, ainsi que la Posie humaine lÕavait prise dans son expression verbale.
SÕil est certain que cette langue est unique, et aussi ancienne que le temps, on ne peut douter que les caractres quÕelle emploie, nÕaient t les premiers modles. Les hommes qui se sont attachs lÕtudier, ont eu souvent besoin de soulager leur mmoire par des notes et par des copies. Or, cÕest dans ces copies quÕil fallait la plus grande prcision, puisque dans cette multitude de caractres qui ne sont distingus quelquefois que par la plus lgre diffrence, il est constant que la moindre altration pouvait les dnaturer et les confondre. On doit sentir que si les hommes eussent t sages, ils nÕauraient pas fait dÕautre usage de la peinture, et mme pour lÕintrt de cet Art, ils eussent t heureux de sÕen tenir lÕimitation et la copie de ces premiers caractres ; car sÕils sont avec raison si dlicats sur le choix des modles, o pouvaient-ils en trouver de plus vrais et de plus rguliers que ceux qui exprimaient la nature mme des choses ? SÕils sont si recherchs sur la qualit et lÕemploi des couleurs, o pouvaient-ils mieux sÕadresser quÕ des formes qui portaient chacune leur couleur propre ? Enfin, sÕils dsirent des tableaux durables, comment pouvaient-ils y mieux russir quÕen les copiant dÕaprs des objets toujours neufs, et dont ils peuvent tout moment faire comparaison avec leurs productions ?
Mais la mme imprudence qui avait loign lÕhomme de son Principe, lÕa encore loign des moyens qui lui sont accords pour y retourner ; il a perdu sa confiance dans ces guides vrais et lumineux, qui secondant son intention pure, lÕauraient srement ramen son but. Il nÕa plus cherch ses modles dans des objets utiles et salutaires, et dont il et pu continuellement recevoir les secours, mais dans des formes passagres et trompeuses, qui ne lui offrant que des traits incertains et des couleurs changeantes, lÕexposent tous les jours varier sur ses propres principes et mpriser ses ouvrages.
CÕest ce qui lui arrive journellement, en se proposant, comme il fait, dÕimiter des quadrupdes, des reptiles et autres animaux, de mme que tous les autres Etres dont il est environn ; parce que cette occupation, tout innocente et tout agrable quÕelle soit en elle-mme, accoutume lÕhomme fixer les yeux sur ce qui lui est tranger, et lui fait perdre non seulement la vue, mais lÕide mme de ce qui lui est propre ; cÕest--dire, que les objets que lÕhomme sÕoccupe reprsenter aujourdÕhui, ne sont que lÕapparence de ceux quÕil devrait tudier tous les jours ; et la copie quÕil en fait devant, selon tous les Principes tablis, tre encore infrieure ses modles, il en rsulte que la Peinture actuellement en usage, nÕest autre chose que lÕapparence de lÕapparence.
Nanmoins cÕest mme par cette peinture grossire que nous pourrons nous convaincre parfaitement de cette vrit incontestable, annonce plus haut, savoir, que les hommes nÕinventent rien. NÕest-ce pas toujours en effet dÕaprs les Etres corporels quÕils composent leurs tableaux ? Peuvent-ils prendre leurs sujets ailleurs, puisque la peinture nÕtant que la science des yeux, elle ne peut sÕoccuper que du sensible, et par consquent ne se trouver que dans le sensible ?
Dira-t-on que le Peinture peut non seulement se passer de voir des objets sensibles, mais mme que sÕlevant au-dessus dÕeux, il ne prendra des sujets que dans son imagination ? Cette objection serait facile dtruire ; car laissons lÕimagination la carrire la plus libre, permettons-lui tous les carts auxquels elle pourra se porter, je demande si elle enfantera jamais rien qui soit hors de la Nature, et si jamais on sera dans le cas de dire quÕelle ait rien cr. Sans doute quÕelle aura la facult de se reprsenter des Etres bizarres et des assemblages monstrueux, dont cette Nature, la vrit, nÕoffrira pas dÕexemples ; mais ces Etres chimriques eux-mmes ne seront-ils pas le produit de pices rapportes ? Et de toutes ces pices, y en aura-t-il jamais une qui ne se trouve pas parmi les choses sensibles de la Nature ?
Il est donc certain que dans la Peinture ainsi que dans tout autre Art, les inventions et les ouvrages de lÕhomme ne sont rien de plus que des transpositions, et que loin de rien produire de lui-mme, toutes ses Ïuvres se bornent donner aux choses une autre place.
Alors lÕhomme peut apprendre valuer le prix de ses productions dans la Peinture comme dans les autres Arts, et tout en se livrant cette charmante occupation, il cessera de croire la ralit de ses ouvrages, puisque cette ralit ne se trouve pas mme dans les modles quÕil se choisit.
Il est inutile, je pense, de dire que cette Peinture grossire ne porte pas moins avec elle des signes frappants, quÕelle descend dÕun Art plus parfait, et que dans ce sens elle est pour nous une nouvelle preuve de cette criture suprieure, appartenante la langue unique et universelle, dont nous avons montr les proprits.
En effet, elle exige la ressemblance de la Nature sensible dans tout ce quÕelle reprsente, elle ne veut rien qui choque ni les yeux, ni le jugement, elle embrasse tous les Etres de lÕUnivers, elle a mme port sa main hardie jusques sur des Etres suprieurs.
Mais cÕest alors quÕelle est vraiment rprhensible, parce que premirement ne pouvant les faire connatre que par des traits sensibles et corporels, ds lors elle a raval ces Etres aux yeux de lÕhomme, qui ne peut les connatre que par la facult sensible de son intelligence, et jamais par le sensible de son intelligence, et jamais par le sensible matriel, puisque ces Etres ne sont pas dans la Rgion des corps.
En second lieu, lorsque la Peinture a pris sur elle de vouloir les reprsenter, o a-t-elle trouv le modle des corps quÕils nÕavaient point, et quÕelle voulait cependant leur donner ? Ce nÕa pu tre sans doute que parmi les objets matriels de la Nature, ou ce qui est la mme chose, dans une imagination peu rgle, mais qui dans son dsordre mme, ne pouvait jamais employer que les Etres corporels qui environnent lÕhomme dÕaujourdÕhui.
Quel rapport pouvait-il donc exister alors entre le modle et lÕimage qui y avait t substitue, et quelle ide ces sortes dÕimages ont-elles d faire natre ? NÕest-il pas clair que cÕest l une des plus funestes suites de lÕignorance de lÕhomme, celle qui lÕa le plus expos lÕidoltrie, et qui contribue sans cesse lÕensevelir dans les tnbres ?
Et vraiment, que peut produire une Matire morte et des traits figurs selon lÕimagination du Peintre, sinon lÕoubli de la simplicit des Etres, dont la connaissance est si ncessaire lÕhomme, et sans laquelle toute son espce est livre la plus effrayante superstition ? Et nÕest-ce pas ainsi que les pas de lÕhomme, tout indiffrents quÕils sont en apparence, lÕgarent insensiblement, et le jettent dans des prcipices dont il nÕaperoit bientt plus les bords ?
Du blason
LÕhomme ne sÕest donc pas content de confondre la Peinture grossire et lÕouvrage de ses mains avec les caractres vrais copis sur la Nature mme, il a encore mconnu le Principe dÕo ces caractres vrais tirent leur origine ; voyant, dis-je, quÕil tait le matre dÕemployer son gr tous les diffrents traits de cette Nature corporelle pour en composer ses tableaux, il a eu la faiblesse de se reposer avec complaisance sur son ouvrage, et dÕoublier la fois la supriorit des modles quÕil aurait d choisir et la source qui pouvait les produire ; ou plutt les ayant perdu de vue, il nÕa plus mme souponn leur existence.
On en doit dire autant du Blason, qui tire galement son origine des caractres de la vraie langue. LÕhomme vulgaire sÕenorgueillit de la noblesse de ses Armes, comme si les signes en taient rels, et quÕils portassent vraiment avec eux-mmes les droits que le prjug leur attribue ; et se laissant aveugler par les puriles distinctions quÕil attache lui-mme ces signes, il a oubli quÕils nÕtaient que les tristes images des armes naturelles accordes physiquement chaque homme pour lui servir de dfense, et tre en mme temps le sceau de ses vertus, de sa force et de sa grandeur.
Erreurs sur la vraie langue
Enfin il a fait la mme chose sur lÕexpression verbale de cette langue sublime dont on a vu quÕtait provenue la Posie. Les mots arbitraires et les langues de sa convention ont pris dans sa pense la place de la vraie langue, cÕest--dire, que ces langues conventionnelles nÕayant aucune uniformit, ni aucune marche fixe ses yeux, quant lÕexpression, aux signes, et gnralement leurs rapports universels avec la langue des facults intellectuelles dont elles taient une imitation dfigure. Ds lors lÕide du Principe de cette langue unique et universelle qui seule pourrait lÕclairer, sÕtant efface dans lui, il nÕa plus distingu cette langue dÕavec celles quÕil avait tablies.
Or, si lÕhomme est assez born pour placer ses ouvrages ct de ceux des Principes vrais et invariables, si sa main audacieuse croit pouvoir tre gale celle de la Nature, si mme il a presque toujours confondu les ouvrages de cette Nature avec le Principe soit gnral soit particulier qui les manifeste, il ne faut plus tre surpris que toutes ses notions soient si confuses et si tnbreuses, et quÕil ait non seulement perdu la connaissance et lÕintelligence de la vraie langue, mais mme quÕil ne soit plus persuad quÕil en existe une.
Moyens de recouvrer la vraie langue
En mme temps, si cette vraie langue est la seule qui puisse le remettre dans ses droits, lui rendre la jouissance de ses attributs, lui faire connatre les principes de la Justice, et le conduire dans lÕintelligence de tout ce qui existe, il est ais de voir combien il perd en sÕen loignant, et sÕil a dÕautres ressources que dÕemployer tous les moments de sa vie aux soins dÕen recouvrer la connaissance.
Mais, quelque immense, quelque effrayante que soit cette carrire, il nÕest aucun homme qui doive se livrer au dsespoir et au dcouragement, puisque jÕai toujours annonc que cette langue mme tait le vritable domaine de lÕhomme ; quÕil nÕen a t priv que pour un temps ; que loin dÕen tre jamais dpouill, on lui tend au contraire sans cesse la main pour lÕy amener ; et vraiment le prix attach cette grce est si modique et si naturel, quÕil est une nouvelle preuve de la bont du Principe qui lÕexige, puisque cela se borne demander lÕhomme de ne pas assimiler les deux Etres distincts qui le composent ; de reconnatre la diffrence des Principes de la Nature entre eux et celle quÕils ont avec la Cause temporelle suprieure cette mme Nature : cÕest--dire, de croire que lÕhomme nÕest point matire, et que la Nature ne va pas toute seule.
De la musique
Nous avons encore examiner une des productions de cette langue vraie dont je tche de rappeler lÕide aux hommes, cÕest celle qui se joint son expression verbale, qui en rgle la force et en mesure la prononciation, cÕest enfin cet Art que nous nommons la Musique, mais qui parmi les hommes nÕest encore que la figure de la vritable harmonie.
Cette expression verbale ne peut employer des mots sans faire entendre des sons ; or, cÕest lÕintime rapport des uns aux autres qui forme les Lois fondamentales de la vraie Musique ; cÕest ce que nous imitons, autant quÕil est en nous, dans notre Musique artificielle, par les soins que nous nous donnons de peindre avec des sons le sens de nos paroles conventionnelles ; mais, avant de montrer les principales dfectuosits de cette Musique artificielle, nous allons parcourir une partie des vrais principes quÕelle nous offre ; par-l on pourra dcouvrir des rapports assez frappants avec tout ce qui a t tabli, pour se convaincre quÕelle tient toujours la mme source, et que ds lors elle est du ressort de lÕhomme ; cÕest aussi dans cet examen o lÕon pourra voir que quelque admirables que soient nos talents dans lÕimitation musicale, nous restons toujours infiniment au-dessous de notre modle ; ce qui fera comprendre lÕhomme, si cet instrument puissant ne lui fut donn que pour contribuer des amusements puriles, et si dans son origine il nÕtait pas destin un plus noble emploi.
De lÕaccord parfait
Premirement, ce que nous connaissons dans la Musique sous le nom dÕaccord parfait, est pour nous lÕimage de cette Unit premire qui renferme tout en elle et de qui tout provient, en ce que cet accord est seul et unique, quÕil est entirement rempli de lui-mme, sans avoir besoin du secours dÕaucun autre son que des siens propres ;en un mot en ce quÕil est inaltrable dans sa valeur intrinsque, comme lÕUnit ; car il ne faut point compter pour une altration la transposition de quelques-uns de ses sons, dÕo rsultent des accords de diffrentes dnominations, attendu que cette transposition nÕintroduit aucun nouveau son dans lÕaccord, et par consquent ne peut en changer la vritable Essence.
Secondement, cet accord parfait est le plus harmonieux de tous, celui qui convient seul lÕoreille de lÕhomme, et qui ne lui laisse rien dsirer. Les trois premiers sons qui le composent sont spars par deux intervalles de tierce qui sont distincts, mais qui sont lis lÕun avec lÕautre. CÕest l la rptition de tout ce qui se passe dans les choses sensibles, o nul Etre corporel ne peut recevoir ni conserver lÕexistence sans le secours et lÕappui dÕun autre Etre corporel comme lui, qui ranime ses forces et qui lÕentretienne.
Enfin, ces deux tierces se trouvent surmontes dÕun intervalle de quarte, dont le son qui le termine se nomme Octave. Quoique cette octave ne soit que la rptition du son fondamental, cÕest elle nanmoins qui dsigne compltement lÕaccord parfait ; car elle y tient essentiellement, en ce quÕelle est comprise dans les sons primitifs que le corps sonore fait entendre au dessus du sien propre.
Ainsi, cet intervalle quaternaire est alors lÕagent principal de lÕaccord ; il se trouve plac au-dessus des deux intervalles ternaires, pour y prsider et en diriger toute lÕaction, comme cette Cause active et intelligente que nous avons vue dominer et prsider la double Loi de tous les Etres corporiss. Il ne peut, ainsi quÕelle, souffrir aucun mlange, et quand il agit seul, comme cette Cause universelle du temps, il est sr que tous ses rsultats sont rguliers.
Je sais cependant que cette octave nÕtant la vrit, quÕune rptition du son fondamental, peut la rigueur se supprimer, et ne point entrer dans lÕnumration des sons qui composent lÕaccord parfait. Mais, premirement, cÕest elle qui termine essentiellement la gamme ; en outre il est indispensable dÕadmettre cette octave, si nous voulons savoir ce que cÕest que lÕalpha et lÕomga, et avoir une preuve vidente de lÕunit de notre accord, le tout par une raison de calcul, que je ne puis exposer autrement, quÕen disant que lÕoctave est le premier agent, ou le premier organe par lequel dix a pu venir notre connaissance.
Il ne faut pas non plus exiger, dans le tableau sensible que je prsente, une uniformit entire avec le Principe dont il nÕest que lÕimage, parce quÕalors la copie serait gale au modle. Mais aussi, quoique ce tableau sensible soit infrieur, et quÕen outre il puisse tre sujet varier, il nÕen existe pas moins dÕune manire complte, il nÕen reprsente pas moins le Principe, parce que lÕinstinct des sens supple au reste.
CÕest par cette raison quÕayant prsent les deux tierces comme lies lÕune lÕautre, nous ne disons point quÕil soit indispensable de les faire entendre toutes les deux ; on sait que chacune dÕelles peut tre annonce sparment, sans que lÕoreille souffre, mais la Loi nÕen sera pas moins vraie pour cela, parce que cet intervalle ainsi annonc conserve toujours sa correspondance secrte avec les autres sons de lÕaccord auquel il appartient ; ainsi cÕest toujours le mme tableau, mais dont on ne voit plus quÕune partie.
On en peut dire autant, lorsquÕon veut supprimer lÕoctave, ou mme tous les autres sons de lÕaccord, et nÕen conserver quÕun quel quÕil soit, parce quÕun son entendu seul nÕest point charge lÕoreille, et que dÕailleurs il pourrait lui-mme se considrer comme le son gnrateur dÕun nouvel accord parfait.
Nous avons vu que la quarte dominait sur les deux tierces infrieures, et que ces deux tierces infrieures taient lÕimage de la double Loi qui dirigeait les Etres lmentaires. NÕest-ce pas l alors o la Nature elle-mme nous indique la diffrence quÕil y a entre un corps et son Principe, en nous faisant voir lÕun dans la sujtion et la dpendance, tandis que lÕautre en est le chef et le soutien ?
Ces deux tierces nous reprsentent en effet par leur diffrence lÕtat des choses prissables de la Nature corporelle, qui ne subsiste pas de la Nature corporelle, qui ne subsiste pas par des runions dÕactions diverses ; et le dernier son, form par un seul intervalle quaternaire, est une nouvelle image du premier Principe ; car il nous en rappelle la simplicit, la grandeur et lÕimmutabilit, tant par son rang que par son nombre.
Ce nÕest pas que cette quarte harmonique soit plus permanente que toutes les autres choses cres ; ds quÕelle est sensible, elle doit passer ; mais cela nÕempche pas que mme dans son action passagre, elle ne peigne lÕintelligence lÕessence et la stabilit de sa source.
On trouve donc dans lÕassemblage des intervalles de lÕaccord parfait, tout ce qui est passif et tout ce qui est actif, cÕest--dire, tout ce qui existe et tout ce que lÕhomme peut concevoir.
Mais ce nÕest pas assez que nous ayons vu dans lÕaccord parfait la reprsentation de toutes choses en gnral et en particulier, nous y pouvons voir encore par de nouvelles observations la source de ces mmes choses et lÕorigine de cette distinction, qui sÕest faite avant le temps entre les deux Principes, et qui se manifeste tous les jours dans le temps.
Pour cet effet, ne perdons pas de vue la beaut et la perfection de cet accord parfait qui tire de lui seul tous ses avantages ; nous jugerons aisment que sÕil ft toujours demeur dans sa nature, lÕordre et une juste harmonie auraient subsist perptuellement, et le mal serait inconnu, parce quÕil ne serait pas n, cÕest--dire, quÕil nÕy aurait jamais eu que lÕaction des facults du Principe bon qui se ft manifeste, parce quÕil est le seul rel et le seul vritable.
De lÕaccord de septime
Comment est-ce donc que le second Principe a pu devenir mauvais ? Comment se peut-il que le mal ait pris naissance et quÕil ait paru ? NÕest-ce pas lorsque le son suprieur et dominant de lÕaccord parfait, lÕoctave enfin, a t supprime, et quÕun autre son a t introduit sa place ? Or, quel est ce son qui a t introduit la place de lÕoctave ? CÕest celui qui la prcde immdiatement, et lÕon sait que le nouvel accord qui est rsult de ce changement, se nomme accord de septime ? LÕon sait aussi que cet accord de septime fatigue lÕoreille, la tient en suspens, et demande tre sauv, en terme de lÕArt.
CÕest donc par lÕopposition de cet accord dissonant et de tous ceux qui en drivent, lÕaccord parfait, que naissent toutes les productions musicales, lesquelles ne sont autre chose quÕun jeu continuel, pour ne pas dire un combat entre lÕaccord parfait ou consonant et lÕaccord de septime, ou gnralement tous les accords dissonants.
Pourquoi cette Loi, ainsi indique par la Nature, ne serait-elle pas pour nous lÕimage de la production universelle des choses ? Pourquoi nÕen trouverions-nous pas ici le Principe, comme nous en avons trouv plus haut lÕassemblage et la constitution dans lÕordre des intervalles de lÕaccord parfait ? Pourquoi, dis-je, ne toucherions-nous pas au doigt et lÕÏil la cause, la naissance et les suites de la confusion universelle temporelle, puisque nous savons que dans cette Nature corporelle, il y a deux Principes qui sont sans cesse opposs, et puisquÕelle ne peut se soutenir que par le secours de deux actions contraires, dÕo proviennent le combat et la violence que nous y apercevons : mlange de rgularit et de dsordre que lÕharmonie nous reprsente fidlement par lÕassemblage des consonances et des dissonances, qui constitue toutes les productions musicales ?
Je me flatte nanmoins que mes Lecteurs seront assez intelligents pour ne voir ici que des images des faits levs que je leur indique. Ils sentiront, sans doute, lÕallgorie, lorsque je leur annonce que si lÕaccord parfait tait demeur dans sa vraie nature, le mal serait encore natre ; car, selon le principe tabli, il est impossible que lÕordre musical dans sa Loi particulire soit gal lÕordre suprieur quÕil reprsente.
Aussi lÕordre musical tant fond sur le sensible, et le sensible nÕtant que le produit de plusieurs actions, si lÕon nÕoffrait lÕoreille quÕune continuit dÕaccords parfaits, elle ne serait pas choque, la vrit ; mais outre la monotonie ennuyeuse qui en rsulterait, nous ne trouverions l aucune expression, aucune ide ; enfin, ce ne serait point pour nous une Musique, parce que la Musique, est gnralement tout ce qui est sensible, est incompatible avec lÕunit dÕaction, comme avec lÕunit dÕagents.
En admettant donc toutes les lois ncessaires pour la constitution des ouvrages de Musique, nous pouvons nanmoins faire lÕapplication de ces mmes lois des vrits dÕun autre rang. CÕest pour cela que je vais continuer mes observations sur lÕaccord de septime.
De la seconde
En mettant cette septime la place de lÕoctave, nous avons vu que cÕtait placer un principe ct dÕun autre principe, dÕo, selon toutes les lumires de la plus saine raison, il ne peut rsulter que du dsordre. Nous avons vu ceci encore plus videmment, en remarquant que cette septime qui produit la dissonance, tait en mme temps le son qui prcde immdiatement lÕoctave.
Mais cette septime qui est telle par rapport au son fondamental, peut donc se regarder aussi comme une seconde, par rapport lÕoctave qui en est la rptition ; alors nous reconnatrons que la septime nÕest point du tout la seule dissonance, mais que la seconde a aussi cette proprit ; quÕainsi toute liaison diatonique est condamne par la nature de notre oreille, et que partout o elle sentira deux notes voisines sonner ensemble, elle sera blesse.
Alors, comme il nÕy a absolument dans toute la gamme, que la seconde et la septime qui puissent se trouver dans ce rapport avec le son grave ou avec son octave, cela nous fait voir clairement que tout rsultat et tout produit, en fait de Musique, est fond sur deux dissonances, dÕo provient toute raction musicale.
Des dissonances et des consonances
Portant ensuite cette observation sur les choses sensibles, nous verrons avec la mme vidence, quÕelles nÕont jamais pu, et quÕelles ne peuvent jamais natre que par deux dissonances, et quelques efforts que nous fassions, nous ne trouverons jamais dÕautre source au dsordre que le nombre attach ces deux sortes de dissonances.
Bien plus, si lÕon observe que ce quÕon appelle communment septime, est en effet une neuvime, attendu que cÕest lÕassemblage de trois tierces trs distinctes ; on verra si jÕai abus mes Lecteurs, en leur disant prcdemment que le nombre neuf tait le vrai nombre de lÕtendue et de la Matire.
Veut-on, au contraire, jeter la vue sur le nombre des consonances ou des sons qui sÕaccordent avec le son fondamental, nous verrons quÕelles sont au nombre de quatre, savoir, la tierce, la quarte, la quinte juste et la sixte ; car ici il ne faut point parler de lÕoctave comme octave, parce quÕil sÕagit des divisions particulires de la gamme, dans lesquelles cette octave nÕa pas dÕautre caractre que le son fondamental mme dont elle est lÕimage, si ce nÕest quÕon veuille la regarder comme la quarte du second Ttracorde ; ce qui ne change rien au nombre des quatre consonances que nous tablissons.
Je ne pourrai jamais mÕtendre, autant que je le voudrais, sur les proprits infinies de ces quatre consonances, et jÕen suis vraiment afflig, parce quÕil me serait ais de faire voir avec une clart frappante leur rapport direct avec lÕUnit, de montrer comment lÕharmonie universelle est attache cette consonance quaternaire, et pourquoi sans elle il est impossible quÕaucun Etre subsiste en bon tat.
Mais tous les pas, la prudence et le devoir mÕarrtent, parce que dans ces matires un seul point mne tous les autres, et que je nÕeusse mme jamais entrepris dÕen traiter aucun, si les Erreurs dont les Sciences humaines empoisonnent mon espce, ne mÕeussent entran prendre sa dfense.
Je me suis engag nanmoins ne pas terminer ce trait, sans donner quelques explications plus dtailles sur les proprits universelles du quaternaire ; je nÕoublie point ma promesse, et je me propose de la remplir autant quÕil me sera permis de le faire ; mais, pour le prsent, revenons encore la septime, et remarquons que si cÕest elle qui fait diversion avec lÕaccord parfait, cÕest aussi par elle que se fait la crise et la rvolution, dÕo doit sortir lÕordre et renatre la tranquillit de lÕoreille, puisquÕ la suite de cette septime on est indispensablement oblig de rentrer dans lÕaccord parfait. Je ne regarde point comme contraire ce principe, ce quÕon nomme en Musique une suite de septimes ; qui nÕest autre chose quÕune continuit de dissonances, et quÕon ne peut absolument se dispenser de terminer toujours par lÕaccord parfait ou ses drivs.
Ce sera donc encore cette mme dissonance qui nous rptera ce qui se passe dans la Nature corporelle, dont le cours nÕest quÕune suite de drangements et de rhabilitations. Or, si cette mme observation nous a indiqu prcdemment la vritable origine des choses corporelles, si elle nous fait voir aujourdÕhui que tous les Etres de la Nature sont assujettis cette loi violente qui prside leur origine, leur existence et leur fin, pourquoi ne pourrons-nous pas appliquer la mme loi lÕunivers entier, et reconnatre que si cÕest la violence qui lÕa fait natre et qui lÕentretient, ce doit tre aussi la violence qui en opre la destruction ?
CÕest ainsi que nous voyons quÕau moment de terminer un morceau de Musique, il se fait ordinairement un battement confus, un trille, entre une des notes de lÕaccord parfait et la seconde ou la septime de lÕaccord dissonant, lequel accord dissonant est indiqu par la basse qui en tient communment la note fondamentale, pour ramener ensuite le total lÕaccord parfait ou lÕunit.
On doit voir encore, que puisque aprs cette cadence musicale, on rentre ncessairement dans lÕaccord parfait qui remet tout en paix et en ordre, il est certain quÕaprs la crise des Elments, les Principes qui en sont combattus doivent aussi retrouver leur tranquillit, dÕo faisant la mme application lÕhomme, lÕon doit apprendre combien la vraie connaissance de la Musique pourrait le prserver de la crainte de la mort, puisque cette mort nÕest que le trille qui termine son tat de confusion, et le ramne ses quatre consonances.
JÕen dis assez pour lÕintelligence de mes Lecteurs, cÕest eux tendre les bornes que je me suis prescrites. Je peux prsumer par consquent quÕils ne considreront pas les dissonances comme des vices par rapport la Musique, puisque cÕest de l quÕelle tire ses plus grandes beauts, mais seulement comme lÕindice de lÕopposition qui rgne en toutes choses.
Ils concevront mme que dans lÕharmonie, dont la Musique des sens nÕest que la figure, il doit se trouver la mme opposition des dissonances aux consonances ; mais que loin dÕy causer le moindre dfaut, elles en sont lÕaliment et la vie, et que lÕintelligence nÕy voit que lÕaction de plusieurs facults diffrentes qui se soutiennent mutuellement, plutt quÕelles ne se combattent, et qui par leur runion font natre une multitude de rsultats toujours neufs et toujours frappants.
Ce nÕest donc l quÕun extrait trs abrg de toutes les observations que je pourrais faire en ce genre sur la Musique, et des rapports qui se trouvent entre elle et des Vrits importantes; mais ce que jÕen ai dit est suffisant pour faire apercevoir la raison des choses, et pour apprendre aux hommes ne pas isoler leurs diffrentes connaissances, puisque nous leur montrons quÕelles ne sont toutes que les diffrents rameaux du mme arbre, et que la mme empreinte est partout.
Du diapason
Faut-il parler prsent de lÕobscurit o est encore la science de la Musique ? Nous pourrions commencer par demander aux Musiciens quelle est leur rgle pour prendre le ton ; cÕest--dire, quel est leur a-mi-la ou leur Diapason ; et si nÕen ayant point, et tant obligs de sÕen faire un, ils peuvent croire avoir quelque chose de fixe en ce genre ? Alors sÕils nÕont point de Diapason fixe, il en rsulte que les rapports numriques que lÕon peut tirer de leur Diapason factice, avec les sons qui lui doivent tre corrlatifs, ne sont pas non plus les vritables, et que les principes que les Musiciens nous donnent pour vrais sous les nombres quÕils ont admis, peuvent galement lÕtre sous dÕautres nombres, selon que lÕa-mi-la sera plus ou moins bas ; ce qui rend absolument incertaines la plupart de leurs opinions sur les valeurs numriques quÕils attribuent aux diffrents sons.
Je ne parle ici toutefois que de ceux qui ont voulu valuer ces diffrents sons par le nombre des vibrations des cordes ou autres corps sonores ; car cÕest alors quÕil faut ncessairement un Diapason fixe pour que lÕexprience soit juste ; il faudrait par consquent des corps sonores qui fussent essentiellement les mmes, pour quÕon pt statuer sur leurs rsultats ; mais ces deux moyens nÕtant point accords lÕhomme, vu que la Matire nÕest que relative, il est vident que tout ce quÕil tablirait sur une pareille base, serait susceptible de beaucoup dÕerreurs.
Principes de lÕharmonie
Ce nÕtait donc point dans la Matire, quÕon aurait d chercher les principes de lÕharmonie, puisque, selon tout ce quÕon a vu, la Matire nÕtant jamais fixe, ne peut offrir le principe de rien. Mais cÕtait dans la Nature mme des choses o tout tant stable et toujours le mme, il ne faut que des yeux pour y lire la vrit. Enfin, lÕhomme et vu quÕil nÕavait pas dÕautre rgle suivre que celle qui se trouve dans le rapport double de lÕoctave, ou dans cette fameuse raison double qui est crite sur tous les Etres, et dÕo la raison triple est descendue ; ce qui lui et retrac de nouveau la double action de la Nature, et cette troisime Cause temporelle tablie universellement sur les deux autres.
De la musique artificielle
Je bornerai l mes observations sur la dfectuosit des Lois que lÕimagination de lÕhomme a pu introduire dans la Musique ; car tout ce que jÕy pourrais ajouter tiendrait toujours cette premire erreur, et elle est assez sensible pour que je ne mÕy attache pas davantage. JÕavertirai seulement les Inventeurs, de bien rflchir sur la nature de nos sens, et dÕobserver que celui de lÕoue, comme tous les autres, est susceptible dÕhabitude ; quÕainsi ils ont pu y tre tromps de bonne foi, et se faire des rgles de choses hasardes, et de suppositions que le temps seul leur aura fait paratre vraies et rgulires.
Il me reste nanmoins examiner lÕemploi que lÕhomme a fait de cette Musique laquelle il sÕoccupe presque universellement, et observer sÕil en a jamais souponn la vritable application.
Indpendamment des beauts innombrables dont elle est susceptible, on lui connat une Loi stricte, cÕest cette mesure rigoureuse dont elle ne peut absolument sÕcarter. Cela seul nÕannonce-t-il pas quÕelle a un Principe vrai, et que la main qui la dirige est au-dessus du pouvoir des sens, puisque ceux-ci nÕont rien de fixe ?
Mais si elle tient des principes de cette nature, il est donc certain quÕelle ne devait jamais avoir dÕautre guide, et quÕelle tait faite pour tre toujours unie sa source. Or, sa source tant, comme nous lÕavons vu, cette langue premire et universelle qui indique et reprsente les choses au naturel, on ne peut douter que la Musique nÕet t la vraie mesure des choses, comme lÕcriture et la parole en exprimaient la signification.
CÕtait donc uniquement en sÕattachant ce principe fcond et invariable, que la Musique pouvait conserver les droits de son origine, et remplir son vritable emploi ; cÕest l quÕelle et pu peindre des tableaux ressemblants, et que toutes les facults de ceux qui elle se ft fait entendre, eussent t pleinement satisfaites. En un mot, cÕest par l que la Musique aurait opr les prodiges dont elle est capable, et qui lui ont t attribus dans tous les temps.
Par consquent, en la sparant de sa source, en ne lui cherchant des sujets que dans des sentiments factices, ou dans des ides vagues, on lÕa prive de son premier appui, et on lui a t les moyens de se montrer dans tout son clat.
Aussi, quelles impressions, quels effets produit-elle entre les mains des hommes ? Quelles ides, quels sens nous offre-t-elle ? Except celui qui compose, est-il beaucoup dÕoreilles qui puissent avoir lÕintelligence de ce quÕelles entendent exprimer la Musique reue ? Et encore le compositeur lui-mme, aprs sÕtre livr son imagination, ne perd-il jamais le sens de ce quÕil a peint, et de ce quÕil a voulu rendre ?
Rien nÕest donc plus informe, ni plus dfectueux que lÕusage que les hommes ont fait de cet Art, et cela uniquement parce que sÕtant peu occups de son Principe, ils nÕont pas cherch les tayer lÕun par lÕautre, et quÕils ont cru pouvoir faire des copies sans avoir leur modle devant les yeux.
Ce nÕest point que je blme mes semblables de chercher dans les ressources infinies de la Musique factice, les agrments et les dlassements quÕelle peut offrir, ni que je veuille les priver des secours que malgr sa dfectuosit, cet Art peut leur procurer tous les jours. Il peut, je le sais, aider quelquefois faire revivre en eux, plusieurs de ces ides obscurcies, qui tant mieux pures, devraient tre leur unique aliment, et qui peuvent seules leur faire trouver un point dÕappui. Mais pour cet effet, je les engagerai toujours porter leur intelligence au dessus de ce que leurs sens entendent, parce que lÕlment de lÕhomme nÕest point dans les sens : je les engagerai croire que quelques parfaites que soient leurs productions musicales, il en est dÕun autre ordre et de plus rgulires ; que ce nÕest mme quÕen raison du plus ou moins de conformit avec elles, que la Musique artificielle nous attache et nous cause plus ou moins dÕmotion.
De la mesure
Lorsque jÕai appuy sur la prcision de la mesure laquelle la Musique est assujettie, je nÕai pas perdu de vue lÕuniversalit de cette Loi ; je me suis propos au contraire dÕy revenir, pour montrer quÕen mme temps quÕelle embrasse tout, elle a partout des caractres distincts. Et il nÕy a rien ici qui ne soit conforme tout ce qui a t tabli ; on a vu la mesure tenir sa place parmi les facults intellectuelles de lÕhomme, et entrer au nombre des Lois qui le dirigent ; on a pu juger par l que ces facults intellectuelles tant elles-mmes la ressemblance des facults du Principe suprieur dÕo lÕhomme tient tout, ce Principe doit avoir aussi sa mesure et ses Lois particulires.
Ds lors, si les choses suprieures ont leur mesure, nous ne devons plus trouver tonnant que les choses infrieures et sensibles quÕelles ont cres y soient soumises ; et par consquent, que nous trouvions dans cette mesure, un guide svre de la Musique.
Mais pour peu que nous rflchissions sur la nature de cette mesure sensible, nous en verrons bientt la diffrence avec la mesure qui rgle les choses dÕun autre ordre.
Dans la Musique, nous voyons que la mesure est toujours gale ; que le mouvement une fois donn se perptue et se rpte sous la mme forme, et dans le mme nombre de temps ; tout enfin, nous y parait si rgl et si exact, quÕil est impossible de nÕen pas sentir la Loi, et de ne pas en avouer la ncessit. Aussi cette mesure gale est-elle si bien affecte aux choses sensibles, que nous voyons les hommes lÕappliquer toutes celles de leurs productions qui nÕont lieu que dans une continuit dÕaction ; nous voyons que cette Loi est pour eux comme un point dÕappui sur lequel ils se reposent avec plaisir ; nous les voyons mme sÕen servir dans leurs travaux les plus rudes, et cÕest alors que nous pouvons juger quel est lÕavantage et lÕutilit de ce puissant secours, puisque avec lui, le manÏuvre semble adoucir des fatigues qui sans cela, lui paratraient insupportables.
De la mesure sensible
Mais aussi cÕest l ce qui peut aider encore nous instruire sur la nature des choses sensibles; car, nous offrir une telle galit dans lÕaction, et je puis le dire, une telle servitude, cÕest nous annoncer clairement que le Principe qui est en elles, nÕest pas le matre de cette mme action, mais que dans lui tout est contraint et forc, ce qui revient ce quÕon a pu voir dans les diffrentes parties de cet Ouvrage, sur lÕinfriorit de la Matire. CÕest par consquent ne nous offrir quÕune dpendance marque, et tous les signes dÕune vie que nous ne pouvons reconnatre que comme passive ; cÕest--dire, qui nÕayant pas son action elle, est oblige de lÕattendre et de la recevoir dÕune Loi suprieure qui en dispose et qui lui commande.
Nous pouvons remarquer en second lieu, que cette Loi qui rgle la marche de la Musique, se manifeste de deux manires, ou par deux sortes de mesures connues sous le nom de mesure deux temps et de mesure trois temps. Nous ne comptons point la mesure quatre temps, ni toutes les autres subdivisions quÕon a pu faire, et qui ne sont que des multiples des deux premires mesures. Bien moins encore pouvons nous admettre de mesure un temps, par cette raison que les choses sensibles ne sont pas le rsultat, ni lÕeffet dÕune seule action, mais quÕelles nÕont pris naissance et quÕelles ne subsistent que par le moyen de plusieurs actions runies.
Or, cÕest le nombre et la qualit de ces actions que nous trouvons dcouvert dans les deux diffrentes sortes de mesures affectes la Musique, ainsi que dans le nombre de temps que ces deux sortes de mesures renferment. Et certes, rien ne serait plus instructif que dÕobserver cette combinaison de deux et de trois temps par rapport tout ce qui existe corporellement ; ce serait l de nouveau o nous verrions clairement la raison double, et la raison triple diriger le cours universel des choses.
Mais ces points nÕont t que trop dtaills, je dois seulement engager les hommes valuer ce qui les environne, et nullement leur communiquer des connaissances qui ne peuvent tre que le prix de leurs dsirs et de leurs efforts. Dans cette vue, je terminerai promptement ce que jÕai dire sur les deux mesures sensibles de la Musique.
Pour savoir laquelle de ces deux mesures est employe dans un morceau de Musique quelconque, il faut attendre ncessairement que la premire mesure soit remplie ; ou ce qui est la mme chose, que la seconde mesure soit commence ; ce nÕest quÕalors que lÕoreille est fixe, et quÕelle sent sur quel nombre elle peut sÕappuyer. Car, tant quÕune mesure nÕest pas complte de cette manire, on ne peut jamais savoir quel sera son nombre, puisquÕil est possible de toujours ajouter des temps ceux qui ont prcd.
NÕest-ce pas alors nous montrer dans la Nature mme, cette vrit si rebattue, que les proprits des choses sensibles ne sont pas fixes, mais seulement relatives, et quÕelles ne se soutiennent que les unes par les autres. Car sans cela, une seule de leurs actions en se manifestant, porterait son vrai caractre avec elle, et nÕattendrait pas, pour se faire connatre, quÕon la compart.
De la mesure intellectuelle
Telle est donc lÕinfriorit de la Musique artificielle et de toutes les choses sensibles, quÕelles ne renferment que des actions passives, et que leur mesure, quoique dtermine en elle-mme, ne peut nous tre connue que relativement aux autres mesures avec lesquelles on en fait la comparaison.
Parmi les choses dÕun ordre plus lev et absolument hors du sensible, cette mesure sÕannonce sous des traits plus nobles ; l, chaque Etre ayant son action lui, possde aussi dans ses Lois une mesure proportionne cette action, mais en mme temps comme chacune de ces actions est toujours nouvelle, et toujours diffrente de celle qui la prcde et de celle qui la suit, il est ais de voir que la mesure qui les accompagne ne peut jamais tre la mme, et quÕainsi ce nÕest pas dans cette classe quÕil faut chercher cette uniformit de mesur qui rgne dans la Musique et dans les choses sensibles.
Dans la Nature prissable, tout est dans la dpendance, et nÕannonce quÕune excution aveugle, qui nÕest autre chose que lÕassemblage forc de plusieurs agents soumis la mme loi, lesquels concourant toujours au mme but et de la mme manire, ne peuvent produire quÕun rsultat uniforme, quand ils nÕprouvent point de drangement ni dÕobstacles lÕaccomplissement de leur action.
Des Ïuvres de lÕHomme
Dans la Nature imprissable, au contraire, tout est vivant, tout est simple, et ds lors chaque action porte toutes ses Lois avec elle. CÕest--dire, que lÕaction suprieure rgle elle-mme sa mesure, au lieu que cÕest la mesure qui rgle lÕaction infrieure, ou celle de la Matire et de toute la Nature passive.
Il ne faut rien de plus pour sentir la diffrence infinie quÕil doit y avoir entre la Musique artificielle, et lÕexpression vivante de cette Langue vraie que nous annonons aux hommes comme le plus puissant des moyens destins les rtablir dans leurs droits.
QuÕils apprennent donc ici distinguer cette Langue unique et invariable, de toutes les productions factices quÕils mettent continuellement sa place : lÕune portant ses Lois avec elle-mme, nÕen a jamais que de justes et de conformes au Principe qui les emploie ; les autres sont enfantes par lÕhomme pendant quÕil est dans les tnbres, et quÕil ne sait si ce quÕil fait convient ou non ce Principe suprieur dont il est spar et quÕil ne connat plus.
Alors quand il verra varier les ouvrages de ses mains, et se multiplier lÕinfini les abus quÕil fait des Langues, tant dans lÕusage de la Parole que dans celui de lÕcriture et de la Musique ; quand il verra natre et prir successivement toutes les Langues humaines ; quand il verra quÕici-bas nous ne connaissons que le nombre des choses, et que nous mourons presque tous sans en avoir jamais su les noms, il ne croira pas pour cela que le Principe, dÕaprs lequel il donne le jour ses productions, soit sujet la mme vicissitude et la mme obscurit.
Au contraire, il avouera que ne pouvant rien faire aujourdÕhui que par imitation, ses ouvrages nÕauront jamais la mme solidit que des ouvrages rels. Observant ensuite sÕil est possible que chacun envisage le modle de la mme place, il reconnatra pourquoi les copies en sont toutes diffrentes ; mais il nÕen sentira pas moins que ce modle tant au centre, demeure toujours le mme, comme le Principe dont il exprime les Lois et la Volont, et que si les hommes taient assez courageux pour sÕen rapprocher davantage, ils verraient vanouir toutes ces diffrences qui nÕont lieu que parce quÕils en sont loigns.
Il nÕattribuera donc plus les proprits du germe inapprciable qui est en lui-mme, des habitudes et lÕexemple ; mais il conviendra au contraire que ce sont les habitudes et lÕexemple qui dgradent et obscurcissent les proprits de ce germe vrai, simple et indestructible ; en un mot, que si lÕhomme avait su prvenir tous ces obstacles, ou quÕil et eu assez de force pour les surmonter, il aurait une Langue commune tous ses semblables comme lÕessence qui les constitue et qui tablie entre eux une ressemblance universelle.
Droits de la vraie langue
CÕest, en effet, lÕunit du Principe et de lÕessence des hommes qui fait le mieux sentir la possibilit de lÕunit de leur langage, puisque si par les droits de leur nature, ils peuvent avoir tous les mmes notions sur les Lois des Etres, sur les vritables rgles de la justice, sur leur Religion et sur leur Culte ; sÕils peuvent, dis-je, esprer de recouvrer lÕusage de toutes leurs facults intellectuelles, enfin sÕils tendent tous au mme but, sÕils ont tous le mme Ïuvre faire, et que cependant ils ne puissent y parvenir sans le secours des Langues, il faut que cet attribut puisse agir par une Loi uniforme, analogue lÕuniversalit, et lÕintime unit de toutes leurs connaissances.
Aussi, sans rappeler tout ce que nous avons dit de la supriorit de cette Langue vraie, nous croirons faire concevoir assez clairement combien elle doit tre une et puissante, en rptant que cÕest la seule voie qui peut conduire lÕhomme lÕUnit, et la source de toutes les Puissances ; cÕest--dire, la racine de ce carr dont lÕhomme a pour tche de parcourir tous les cts, et dont je vais ici, selon ma professe, exposer les proprits et les vertus.
Proprits du chiffre universel
On a vu prcdemment des dtails assez amples sur les rapports de ce carr, ou de ce nombre quaternaire, avec les causes extrieures lÕhomme et avec les Lois qui rglent le cours de tous les Etres de la Nature ; mais on est assez instruit par tout ce qui a prcd, pour ne pouvoir plus douter que cet emblme universel doit avoir des rapports encore plus intressants pour lÕhomme, en ce quÕils sont plus directs avec lui-mme, et quÕils le concernent personnellement.
Il nÕy a donc personne qui nÕy puisse reconnatre une trs grande affinit avec la quatrime des dix feuilles de ce Livre, qui avant la rprobation de lÕhomme, tait toujours ouvert et intelligible pour lui, mais quÕil ne peut plus aujourdÕhui ni lire, ni comprendre, que par la succession du temps. On y verra mme avec autant de facilit, une similitude frappante avec cette arme puissante dont lÕhomme avait t mis en possession lors de sa premire naissance, et dont la recherche pnible est le seul objet de son cours temporel, et la premire loi de sa condamnation.
Bien plus encore y trouvera-t-on de lÕanalogie avec ce centre fcond que lÕhomme occupait pendant sa gloire, et quÕil ne connatra jamais pleinement sans y rentrer.
Et vraiment, qui peut mieux que ce carr nous rappeler le rang minent o lÕhomme fut plac dans son origine ? Ce carr est seul et unique, ainsi que la racine dont il est le produit et lÕimage ; le lieu que lÕhomme a habit est tel quÕon ne pourra jamais lui en comparer aucun autre. Ce carr mesure toute la circonfrence ; lÕhomme au sein de son empire embrassait toutes les rgions de lÕUnivers. Ce carr est form de quatre lignes ; le poste de lÕhomme tait marqu par quatre lignes de communication qui sÕtendaient jusquÕaux quatre points cardinaux de lÕhorizon. Ce carr provient du centre et nous est clairement indiqu par les quatre consonances musicales qui occupent prcisment le milieu de la gamme, et sont les principaux agents de toutes les beauts de lÕharmonie ; le trne de lÕhomme tait au centre mme des Pays de sa domination, et de l il gouvernait les sept instruments de sa gloire, que jÕai dsigns prcdemment sous le nom de sept arbres, et quÕun grand nombre sera tent de prendre pour les sept plantes, mais qui cependant ne sont ni des arbres, ni des plantes.
On ne peut donc plus douter que le carr en question en soit le vrai signe de ce lieu de dlices, connu dans nos Rgions sous le nom de Paradis terrestre ; cÕest--dire, de ce lieu dont toutes les Nations ont eu lÕide, quÕelles ont reprsent chacune sous des fables et sous des allgories diffrentes, selon leur sagesse, leurs lumires, ou leur aveuglement ; et que les ingnus Gographes ont cherch bonnement sur la Terre.
Il ne faut donc plus tre tonn de lÕimmensit des privilges, que nous lui avons attribus dans les diffrents endroits de cet Ouvrage o nous en avons parl ; il ne faut plus tre tonn, dis-je, que si cÕest dÕun seul Principe que descendent toutes les Vrits et toutes les lumires, et que lÕemblme quaternaire en soit la plus parfaite image, cet emblme puisse clairer lÕhomme sur la science de toutes les Natures, cÕest--dire, sur les Lois de lÕordre immatriel, de lÕordre temporel, de lÕordre corporel et de lÕordre mixte, qui sont les quatre colonnes de lÕdifice ; en un mot, il faut convenir que celui qui pourra possder la clef de ce chiffre universel, ne trouvera plus rien de cach pour lui dans tout ce qui existe, puisque ce chiffre est celui mme de lÕEtre qui produit tout, qui opre tout et qui embrasse tout.
Mais quelque innombrables que soient les avantages qui y sont attachs, et quelque puissante que soit cette langue vraie et unique qui y conduit, tel est, on le sait, lÕtat malheureux de lÕhomme actuel, quÕil ne peut, non seulement arriver au terme, mais mme faire un seul pas dans cette voie, sans quÕune autre main que la sienne lui en ouvre lÕentre, et le soutienne dans toute lÕtendue de la carrire.
On sait aussi que cette main puissante est cette mme Cause physique, la fois intelligente et active, dont lÕÏil voit tout, et dont le pouvoir soutient tout dans le temps ; or, si ses droits sont exclusifs, comment lÕhomme dans sa faiblesse et dans la privation la plus absolue, pourrait-il, dans la Nature, se passer seul dÕun pareil appui ?
Il faut donc quÕil reconnaisse ici de nouveau et lÕexistence de cette Cause, et le besoin indispensable quÕil a de son secours pour se rtablir dans ses droits. Il sera galement oblig dÕavouer que si elle peut seule satisfaire pleinement ses dsirs sur les difficults qui lÕinquitent, le premier et le plus utile de ses devoirs est dÕabjurer sa fragile volont, ainsi que les fausses lueurs dont il cherche en colorer les abus, et de ne se reposer absolument que sur cette Cause puissante, qui aujourdÕhui est lÕunique guide quÕil ait prendre.
Et vraiment cÕest celle qui est prpose pour rparer non seulement les maux que lÕhomme a laiss faire, mais encore ceux quÕil sÕest fait lui-mme ; cÕest celle qui a continuellement les yeux ouverts sur lui, comme sur tous les autres Etres de lÕUnivers, mais pour laquelle cet homme est infiniment plus prcieux, puisquÕil est de la mme Essence quÕelle, et galement indestructible ; puisquÕen un mot, de tous les Etres qui sont en correspondance avec le carr, ils sont seuls revtus du privilge de la pense, pendant que cette Nature prissable est leurs yeux, comme un nant et comme un songe.
Combien sa confiance nÕaugmentera-t-elle pas dans cette Cause, en qui rsident tous les pouvoirs, quand il apprendra quÕelle possde minemment cette langue vraie et unique quÕil a oubli, et quÕil est oblig aujourdÕhui de rappeler pniblement sa mmoire ; quand il saura quÕil ne peut sans cette Cause en connatre le premier lment, et surtout quand il verra quÕelle habite et gouverne souverainement ce carr fcond, hors duquel lÕhomme ne trouvera jamais ni le repos ni la Vrit.
Alors il ne doutera plus quÕen sÕapprochant dÕelle, il ne sÕapproche de la seule et vraie lumire quÕil ait attendre, et quÕil ne trouve avec elle non seulement toutes les connaissances dont nous avons trait, mais bien plus encore la science de lui-mme, puisque cette Cause, quoique tenant la source de tous les nombres, sÕannonce nanmoins partout spcialement par le nombre de ce carr, qui est en mme temps le nombre de lÕhomme.
Que ne puis-je dposer ici le voile dont je me couvre, et prononcer le Nom de cette Cause bienfaisante, la force et lÕexcellence mme, sur laquelle je voudrais pouvoir fixer les yeux de tout lÕUnivers ! mais, quoique cet Etre ineffable, la clef de la Nature, lÕamour et la joie des simples, le flambeau des Sages, et mme le secret appui des aveugles, ne cesse de soutenir lÕhomme dans tous ses pas, comme il soutient et dirige tous les actes de lÕUnivers, cependant le Nom qui le ferait le mieux connatre, suffirait, si je le profrais, pour que le plus grand nombre ddaignt dÕajouter foi ses vertus et se dfit de toute ma doctrine ; ainsi le dsigner plus clairement, ce serait loigner le but que jÕaurais de le faire honorer.
Je prfre donc de mÕen reposer sur la pntration de mes Lecteurs. Trs persuad que malgr les enveloppes dont jÕai couvert la Vrit, les hommes intelligents pourront la comprendre, que les hommes vrais pourront la goter, et mme que les hommes corrompus ne pourront au moins sÕempcher de la sentir, parce que tous les hommes sont des C-H-R.
Conclusion
Tel est le prcis des rflexions que je me suis propos de prsenter aux hommes. Si mes engagements ne mÕeussent retenu, jÕaurais pu sans doute parcourir un champ bien plus tendu. Nanmoins, dans le peu que jÕai os leur dire, je me flatte de ne leur avoir offert que ce quÕils sentiront tous en eux-mmes, lorsquÕils voudront y chercher avec courage, et se dfendre la fois dÕune crdulit aveugle et de la prcipitation dans leurs jugements, deux vices qui mnent galement lÕignorance et lÕerreur.
Ds lors, quand je nÕaurais pas ma propre conviction pour preuve, je croirais toujours les avoir rappel leur Principe et la Vrit.
En effet, ce ne sera jamais tromper lÕhomme, que de lui reprsenter avec force, quelle est sa privation et sa misre, tant quÕil est li aux choses passagres et sensibles ; et de lui montrer que parmi cette multitude dÕEtres qui lÕenvironnent, il nÕy a que lui et son guide qui jouissent du privilge de la pense.
SÕil veut sÕen convaincre, quÕil consulte dans cette classe sensible, tout ce quÕil aperoit autour de lui ; quÕil demande aux Elments pourquoi, tout ennemis quÕils sont, ils se trouvent ainsi rassembls pour la formation et lÕexistence des Corps ; quÕil demande la Plante pourquoi elle vgte ; et lÕAnimal, pourquoi il erre sur cette surface ; quÕil demande mme aux Astres pourquoi ils clairent et pourquoi, depuis leur existence, ils nÕont pas cess un seul instant de suivre leur cours.
Tous ces Etres sourds la voix qui les interrogera, continueront de faire chacun leur Ïuvre en silence, mais ils ne rendront aucune satisfaction aux dsirs de lÕhomme, parce que leurs faits muets ne parlant quÕ ses yeux corporels, nÕapprendront rien son intelligence.
Bien plus, que lÕhomme demande ce qui est infiniment plus voisin de lui-mme, je veux dire, cette enveloppe corporelle quÕil porte pniblement avec lui ; quÕil lui demande, dis-je, pourquoi elle se trouve jointe un Etre avec lequel, suivant les Lois qui le constituent, elle est si incompatible. Cette aveugle forme nÕclaircira pas mieux ce nouveau doute ; et laissera encore lÕhomme dans lÕincertitude.
Est-il donc un tat plus charge, et en mme temps plus humiliant, que dÕtre relgu dans une Rgion o tous les Etres qui lÕhabitent, sont autant dÕtrangers pour nous ? O le langage que nous leur parlons ne peut pas en tre entendu ; o enfin, lÕhomme tant enchan malgr lui un corps qui nÕa rien de plus que toutes les autres productions de la Nature, trane partout un Etre avec lequel il ne peut pas converser ?
Ainsi, malgr la grandeur et la beaut de tous ces ouvrages de la Nature, parmi lesquels nous sommes placs, ds quÕils ne peuvent ni nous comprendre, ni nous parler, il est certain que nous sommes au milieu dÕeux comme dans un dsert.
Si les Observateurs eussent t persuads de ces vrits, ils nÕauraient donc pas cherch dans cette Nature corporelle, des explications et des solutions quÕelle ne peut jamais leur donner ; ils nÕauraient pas non plus cherch dans lÕhomme actuel le vrai modle de ce quÕil devrait tre, puisquÕil est si horriblement dfigur ; ni expliquer lÕauteur des choses par ses productions matrielles dont lÕexistence et les Lois tant dpendantes, ne peuvent rien faire connatre de celui qui a tout en soi.
Leur annoncer alors que la voie quÕils ont prise met elle-mme le premier obstacle leurs progrs, et les loigne entirement de la route des dcouvertes, cÕest leur dire une vrit dont ils conviendront facilement, quand ils voudront la considrer.
En mme temps, puisquÕils ne peuvent nier quÕils nÕaient une facult intelligente, nÕest-ce pas leur parler le langage de leur raison mme, que de leur dire quÕils sont faits pour tout connatre et tout embrasser ; puisquÕune facult de cette classe ne serait pas aussi noble que nous le sentons, si parmi les choses passagres, il y en avait qui fussent au-dessus dÕelle ; et puisque les efforts continuels des hommes tendent comme par un mouvement naturel, les dlivrer des entraves importunes de lÕignorance, et les rapprocher de la Science, comme dÕun domaine qui leur est propre.
SÕils ont si peu sÕapplaudir de leurs succs, ce nÕest donc plus la faiblesse de leur nature, ni la borne de leurs facults quÕils doivent lÕattribuer, mais uniquement la fausse route quÕils prennent pour arriver au but, et parce quÕils nÕobservent pas avec assez dÕattention que chaque classe ayant sa mesure et sa Loi, cÕest aux sens juger des choses sensibles, parce que tant quÕelles ne se font pas sentir au corps, elles ne sont rien ; mais que cÕest lÕintelligence juger des choses intellectuelles auxquelles les sens ne peuvent rien connatre ; et que vouloir ainsi appliquer lÕune de ces classes, les Lois, et la mesure de lÕautre, cÕest aller videmment contre lÕordre dict par la nature mme des choses, et par consquent sÕcarter du seul moyen quÕil y et pour en discerner la vrit.
JÕai donc pu croire nÕoffrir mes semblables que des Vrits faciles apercevoir, en leur disant que ce quÕils cherchent nÕest que dans le centre, que par cette raison, tant quÕils ne feront que parcourir la circonfrence, ils ne trouveront rien, et que ce centre qui doit tre unique dans chaque Etre, nous tait indiqu par ce carr universel qui se montre dans tout ce qui existe, et se trouve crit partout en caractres ineffaables.
Si je ne leur ai fait connatre que quelques-uns des moyens de lire dans ce centre fcond, qui est le seul Principe de la lumire, cÕest quÕindpendamment de mes obligations, cÕet t leur nuire que de me dvoiler davantage ; car trs certainement ils ne mÕauraient pas cru ; cÕest donc, comme je me le suis promis, leur propre exprience que je les rappelle, et jamais, comme homme, je nÕai prtendu avoir dÕautres droits.
Mais quelque peu nombreux que soient les moyens dont je leur ai donn des ides, et les pas que je leur ai fait faire dans la carrire, ils ne pourront manquer dÕy prendre quelque confiance, en voyant lÕtendue quÕelle a dcouvert leurs yeux, et lÕapplication que nous en avons faite sur un si grand nombre dÕobjets diffrents.
Car je ne prsume pas que ce champ, par cette raison quÕil est infiniment vaste, puisse leur paratre impraticable, et il serait contraire toutes les Lois de la Vrit, de prtendre que ce ft la multitude et la diversit des objets qui ft interdite la connaissance de lÕhomme. Non, si lÕhomme est n dans le centre, il nÕest rien quÕil ne puisse voir, rien quÕil ne puisse embrasser ; au contraire, la seule faute quÕil puisse commettre, cÕest dÕisoler et de dmembrer quelques parties de la science, parce quÕalors cÕest attaquer directement son Principe, en ce que cÕest diviser lÕUnit.
Et dans ce sens, que mes Lecteurs dcident entre cette marche et la mienne ; puisque, malgr la varit prodigieuse des points qui mÕont occups, jÕunis tout et ne fais quÕune Science, au lieu que les Observateurs en font mille, et que chaque question parmi eux devient lÕobjet dÕune doctrine et dÕune tude part.
Je nÕai pas besoin non plus de leur faire remarquer quÕaprs toutes les observations que je leur ai prsentes sur les diffrentes sciences humaines, ils doivent mÕen supposer au moins les premires notions ; ils peuvent en outre, dÕaprs la rserve marque qui rgne dans cet crit, et dÕaprs les voiles qui y sont rpandus, prsumer que probablement jÕaurais plus leur dire que ce quÕils y ont vu, et plus que ce qui est connu gnralement parmi eux.
Cependant, loin de les mpriser, en considrant lÕobscurit o ils sont encore, tous mes vÏux tendent les en voir sortir pour porter leurs pas vers des sentiers plus lumineux que ceux o ils rampent.
De mme aussi, quoique jÕaie eu le bonheur dÕavoir t conduit plus loin quÕeux, dans la carrire de la vrit ; loin de mÕen enorgueillir, et de croire que je sache quelque chose, je leur avoue hautement mon ignorance, et pour prvenir leurs soupons sur la sincrit de cet aveu, jÕajouterai quÕil me serait impossible de mÕabuser moi-mme l-dessus, car jÕai la preuve que je ne sais rien.
Voil pourquoi je me suis annonc si souvent, comme ne prtendant pas les mener jusquÕau terme ; cÕest assez pour moi de les avoir en quelque sorte forcs de convenir que la marche aveugle des sciences humaines les approche bien moins encore du but auquel ils tendent, puisquÕelle les conduit douter mme quÕil y en ait un.
Je les oblige par-l sÕavouer quÕen destituant les sciences, du seul Principe qui les dirige, et dont par elles-mmes elles sont insparables, loin de sÕclairer, ils ne font que sÕenfoncer dans la plus affreuse ignorance, et que cÕest uniquement pour avoir loign ce Principe, que les Observateurs cherchent partout laborieusement, et quÕils ne sont presque jamais dÕaccord.
CÕest donc assez, je le rpte, de leur avoir dcouvert aujourdÕhui le nÏud des difficults qui les arrtent : dans lÕavenir la Vrit rpandra plus abondamment ses rayons, et elle reprendra dans son temps, lÕempire que les vaines sciences lui disputent aujourdÕhui.
Pour moi, trop peu digne de la contempler, jÕai d borner mes efforts faire sentir quÕelle existe, et que lÕhomme, malgr sa misre, pourrait sÕen convaincre tous les jours de sa vie, sÕil rglait mieux sa volont. Je croirais donc jouir de la rcompense la plus dlicieuse, si chacun, aprs mÕavoir lu, se disait dans le secret de son cÏur, il y a une Vrit, mais je peux mÕadresser mieux quÕ des hommes, pour la connatre.
Fin
Table des chapitres du Tome 2 et dernier volume.
Chapitre 5
Incertitude des politiques
De lÕassociation force
De lÕassociation volontaire
Fausse conclusion des politiques
De la sociabilit de lÕhomme
Source des erreurs politiques
Du premier empire de lÕhomme
Du nouvel empire de lÕhomme
Du pouvoir souverain
De la dignit des rois
De la science des rois
De la lgitimit des souverains
Des gouvernements lgitimes
De lÕinstitution militaire
De lÕingalit des hommes
Du flambeau des gouvernements
De la soumission aux souverains
Des obligations des rois
De lÕinstabilit des gouvernements
Des gouvernements stables
De la diffrence des gouvernements
Du gouvernement dÕun seul
De la rivalit des gouvernements
Du droit de la guerre
Des vrais ennemis de lÕhomme
Des trois vices des gouvernements
De lÕadministration
Du droit public
Des changes et des usurpations
De la loi civile
De la prescription
De lÕadultre
Des espces dÕhommes irrgulires
De la pudeur
Des deux lois naturelles
Des deux adultres
De lÕadministration criminelle
Du droit de punir
Du droit de vie et de mort
Source du droit de punir
Des tmoins
Du pouvoir humain
Du droit dÕexcution
Du rapport des peines aux crimes
|
Des codes criminels
|
Des tortures
|
Aveuglement des lgislateurs
|
Des faux jugements
|
Droits des vrais souverains
|
De la gurison des maladies
|
Trois lments, trois maladies
|
Maladies de la peau
|
Maladies des os et du sang
|
De la pharmacie
|
Des privilges des souverains
|
Chapitre 6
|
Des principes mathmatiques
|
Des axiomes
|
De lÕtendue
|
De la mesure de lÕtendue
|
Nature de la circonfrence
|
Des deux sortes de lignes
|
Nombre de chaque sorte de lignes
|
Du calcul de lÕinfini
|
Des mesures conventionnelles
|
De la vraie mesure
|
Du mouvement
|
Des deux sortes de mouvements
|
Du mouvement immatriel
|
Du nombre du mouvement
|
Du nombre de lÕtendue
|
De la ligne circulaire
|
De la ligne droite
|
De la quadrature du cercle
|
De la longitude
|
Du calcul solaire et lunaire
|
Des systmes astronomiques
|
De la Terre
|
De la pluralit des mondes
|
Du nombre neuvaire
|
De la division du cercle
|
Du cercle artificiel
|
Du cercle naturel
|
Du nombre quaternaire
|
De la racine carre
|
Des dcimales
|
Du carr intellectuel
|
Effets de la circonfrence
|
Supriorit du carr
|
Mesure de la circonfrence
|
De la mesure du temps
|
Des rvolutions de la nature
Cours temporel des tres
Epoque de lÕunivers
Des cts du carr
Du carr temporel
Ressources de lÕHomme
Chapitre 7
Attributs de lÕhomme
Des langues factices
De lÕunit des langues
De la langue intellectuelle
De la langue sensible
De lÕorigine des langues
Expriences sur des enfants
Du langage des tres sensibles
Rapport du langage aux facults
De la langue universelle
De lÕcriture et de la parole
De lÕuniformit des langues
De la grammaire
Du Verbe
Des parties accessoires du discours
Rapports universels de la grammaire
De la vraie langue
Des ouvrages de lÕHomme
Des productions intellectuelles
De la posie
Des caractres de lÕcriture
De la peinture
Du blason
Erreurs sur la vraie langue
Moyens de recouvrer la vraie langue
De la musique
De lÕaccord parfait
De lÕaccord de septime
De la seconde
Des dissonances et des consonances
Du diapason
Principes de lÕharmonie
De la musique artificielle
De la mesure
De la mesure sensible
De la mesure intellectuelle
Des Ïuvres de lÕhomme
Droits de la vraie langue
Proprits du chiffre universel
Conclusion