Tableau naturel des rapports qui existent entre Dieu, l'Homme et l'Univers.
par Louis-Claude de Saint-Martin
II
Pourrions-nous contempler sans admiration le spectacle de l'Univers ? Le cours régulier de ces flambeaux errants, qui sont comme les âmes visibles de la Nature ; cette espace de création journalière que leur présence opère sur toutes les Régions de la Terre, et qui se renouvelle dans les mêmes climats à des époques constantes ; les lois inaltérables de la pesanteur et du mouvement, rigoureusement observées dans les chocs les plus confus et dans les révolutions les plus orageuses. Voilà sans doute des merveilles qui sembleraient donner à l'Univers des droits aux hommages de l'homme.
Mais en nous offrant ce spectacle majestueux d'ordre et d'harmonie, il nous manifeste encore plus évidement les signes de la confusion, et nous sommes obligés de lui donner, dans notre pensée, le rang le plus inférieur : car il ne peut influer sur les facultés actives et créatrices auxquelles il doit l'existence, et il n'a pas de rapport plus direct et plus nécessaire avec Dieu, à qui appartiennent ces facultés, que nos uvres matérielles n'en ont avec nous. L'Univers est, pour ainsi dire, un être à part ; il est étranger a la Divinité, quoiqu'il ne lui soit ni inconnu, ni même indifférent. Enfin, il ne tient point a l'essence divine, quoique Dieu s'occupe du soin de l'entretenir et de le gouverner. Ainsi il ne participe point à la perfection, que nous savons appartenir a la Divinité ; il ne forme point unité avec elle ; par conséquent il n'est pas compris dans la simplicité des lois essentielles et particulières à la Nature Divine. Aussi aperçoit-on partout dans l'Univers des caractères de désordre et de difformité ; ce n'est qu'un assemblage violent de sympathies et d'antipathies, de similitudes et de différences, qui forcent les Etres à vivre dans une continuelle agitation, pour se rapprocher de ce qui leur est contraire : ils tendent sans cesse à un état plus tranquille Les corps généraux et particuliers n'existent que par la subdivision et le mélange de leurs principes constitutifs ; et la mort de ces corps n'arrive que lorsque les émanations de ces principes, qui étaient mutuellement combinées, se dégagent et rentrent dans leur unité particulière. Enfin, pourquoi tout se dévore-t-il dans la création, si ce n'est parce que tout tend a l'unité d'où tout est sorti ? "Nous voyons même un Type frappant de la confusion et de la violence où est toute la Nature, par cette loi physique qui, quatre fois pas jour, agite le bassin des mers et ne leur a pas laissé un instant de calme depuis l'origine des choses ; image caractéristique par laquelle l'homme peut, au premier coup d'il, expliquer l'énigme de l'Univers." Comment s'est-il donc trouvé des hommes assez peu attentifs pour assimiler à Dieu cet Univers physique, cet être sans pensée, sans volonté, à qui l'action même qu'il manifeste est étrangère ; cet être, enfin, qui n'existe que par des divisions et par le désordre ? Les mélanges dont la Nature physique est formée, ont-ils quelques rapports avec le caractère constitutif de l'Unité universelle ? et l'existence de cet être mixte et borné, sujet a tant de vicissitudes, peut-elle jamais se confondre avec le Principe UN, éternel et immuable, source de la vie, et dont l'action indépendante s'étend sur tous les Etres et les a tous précédés ? L'imperfection attachée aux choses temporelles, prouve qu'elles ne sont ni égales ni coéternelles à Dieu, et démontre en même temps qu'elles ne peuvent être permanentes comme lui : car leur nature imparfaite ne tenant point de l'essence de Dieu, à laquelle seule appartient la perfection et la Vie, doit pouvoir perdre la vie ou le mouvement qu'elle a pu recevoir: parce que le véritable droit que Dieu ait de ne pas cesser d'être, c'est de n'avoir pas commencé. Et, en effet, si la vie ou le mouvement était essentiel a la matière, il n'aurait pas fallu, comme l'ont fait les plus fameux Philosophes, demander, pour former un Monde, de la matière et du mouvement; puisque d'après ce principe, en obtenant l'une, ils auraient eu nécessairement l'autre. Si les hommes ont erré sur ces objets, c'est qu'ils ont fermé les yeux sur les grandes lois des Etres, et qu'ils ont méconnu jusqu'aux caractères essentiels qui doivent, dans la pensée de l'homme, séparer l'Univers et Dieu. Dans l'ordre intellectuel, c'est le supérieur qui nourrit l'inférieur ; c'est le Principe de toute existence qui entretient dans tous les Etres la vie qu'il leur a donnée ; c'est de la source première de la vérité, que l'homme intellectuel reçoit journellement ses pensées et la la lumière qui l'éclaire. Or ce principe supérieur n'attendant sa vie, ni son soutien, d'aucune de ses productions, recevant tout de lui-même, est a jamais a l'abri de la privation, de la disette et de la mort. Au contraire, dans toutes les classes de l'ordre physique, c'est l'inférieur qui nourrit et alimente le supérieur ; le végétal, l'animal, le corps matériel de l'homme nous en fournissent les preuves les plus évidentes. La Terre elle-même n'entretient-elle pas son existence par le secours de ses propres productions ? N'est-ce pas de leurs débris qu'elle reçoit ses engrais et ses aliments ? Et les pluies, les rosées, les neiges qui la fertilisent, sont-elles autre chose que ses propres exhalaisons, qui retombent sur sa surface, après avoir reçu dans l'atmosphère les Vertus nécessaires pour opérer sa fécondation. C'est donc la l'image la plus frappante de son impuissance et la preuve la plus certaine de la nécessité de sa destruction ; car ne pouvant conserver sa vertu génératrice et son existence, que par le secours de ses propres productions, on ne saurait la croire impérissable, sans lui reconnaître, comme dans Dieu, la faculté essentielle et sans limites d'engendrer ; et alors on ne verrait jamais, en elle et sur sa surface, ni stérilité, ni sécheresse. Mais la Terre donne journellement des témoignages qu'elle peut devenir stérile, puisque des contrées entières se trouvent dénuées des plantes et des productions qu'elles ont possédées autrefois avec abondance. Or la terre pouvant tomber dans la stérilité et cependant ne pouvant être alimentée que par ses propres fruits, de quoi se nourrira-t-elle lorsqu'elle cessera d'en produire? et comment conservera-t-elle alors ses vertus et son existence, si l'existence d'aucun être ne peut se conserver sans aliments ? Pouvons-nous donc concevoir rien de plus difforme, qu'un être dont la vie est fondée sur les vicissitudes, la destruction et la mort ; qu'un être qui, comme la Matière, comme le temps, comme le Saturne de la Fable, n'existe qu'en se nourrissant de ses propres enfants ; qui ne peut en conserver une partie, sans sacrifier l'autre ; en un mot, qui ne peut maintenir leur existence, qu'en leur faisant dévorer leurs propres frères ? C'est ici le lieu d'observer les résultats de toutes les recherches qui ont été faites sur Dieu et sur la matière. Dans tous les temps on a cherché a savoir ce que c'est que la matière, et on n'a pu le concevoir encore : il y a même des langues très savantes qui n'ont point de mots pour l'exprimer. Au contraire, parmi ceux qui ont pris Dieu pour objet de leurs réflexions, il n'en est aucun qui ait pu dire ce qu'il n'était pas ; car il n'y a pas de dénominations positives, exprimant un attribut réel ou une perfection, qui ne conviennent a cet Etre universel, puisqu'il est la première base de tout ce qui est. Et si les hommes lui donnent quelquefois des dénominations négatives, telles qu'Immortel, Infini, Indépendant, nous verrons, en examinant leur véritable sens, qu'elles expriment des attributs très positifs, puisqu'en effet ces dénominations ne servent qu'à annoncer qu'il est exempt des sujétions et des bornes de la matière. Dans le principe suprême, qui a ordonné la production de cet Univers, et qui en maintient l'existence, tout est essentiellement ordre, paix, harmonie ; ainsi on ne doit pas lui attribuer la confusion qui règne dans toutes les parties de notre ténébreuse demeure ; et ce désordre ne peut être que l'effet d'une cause inférieure et corrompue qui ne peut agir que séparément et hors du Principe du bien : car il est encore plus certain qu'elle est nulle et impuissante, relativement a la Cause première, qu'il ne l'est qu'elle ne peut rien sur l'essence même de l'Univers matériel. Il est impossible que ces deux Causes existent ensemble hors de la classe des choses temporelles. Dès que la Cause inférieure a cessé d'être conforme a la loi de la cause supérieure, elle a perdu toute union et toute communication avec elle ; parce qu'alors la cause supérieure, Principe éternel de l'ordre et de l'harmonie, a laissé la cause inférieure, opposée a son unité, tomber d'elle-même dans l'obscurité de sa corruption, comme elle nous laisse tous les jours perdre volontairement de l'étendue de nos facultés, et les resserrer, par nos propres actes, dans les bornes des affections les plus viles, au point de nous éloigner absolument des objets qui conviennent a notre nature. Ainsi, loin que la naissance du mal et la création de l'enceinte, dans laquelle il a été renfermé, aient produit, dans l'ordre vrai, un plus grand ensemble de choses et ajouté a l'immensité, elles n'ont fait que particulariser ce qui par essence devait être général ; que diviser des actions qui devaient être unies ; que contenir dans un point ce qui avait été séparé de l'universalité, et devait circuler sans cesse dans toute l'économie des Etres ; que sensibiliser enfin sous des formes matérielles ce qui existait déjà en principe immatériel : car, si nous pouvions anatomiser l'Univers et écarter ses enveloppes grossières, nous en trouverions les germes et les fibres principes disposés dans le même ordre où nous voyons que sont leurs fruits et leurs productions ; et cet Univers invisible serait aussi distinct à notre intelligence que l'Univers matériel l'est aux yeux de notre corps. C'est là où les Observateurs se sont égarés, en confondant l'Univers invisible avec l'Univers visible, et en annonçant le dernier, comme étant fixe et vrai, ce qui n'appartient qu'à l'Univers invisible et principe, C'est ainsi que la cause inférieure eut pour limites le rempart sensible et insurmontable de l'action invisible vivifiante et pure du grand Principe, devant laquelle toute corruption voit anéantir ses efforts ; et si la connaissance des véritables lois des Etres a été quelquefois le prix des études de ceux qui me lisent en ce moment, ils verront ici pourquoi la révolution solaire forme une période annuelle d'environ 365 jours ; car ils auraient droit de se méfier des principes que je leur expose, si les preuves ne pouvaient en être sensiblement écrites sous leurs yeux. Cette cause inférieure, exerçant son action dans l'espace ténébreux ou elle est réduite, tout ce qui y est contenu avec elle sans exception, doit être exposé à ses attaques : et quoi qu'elle ne puisse rien ni sur la cause première ni sur l'essence de l'Univers, elle peut en combattre les Agents, mettre obstacle au résultat de leurs actes, et insinuer son action déréglée dans les moindres dérangements des êtres particuliers, pour en augmenter encore le désordre. Enfin, si nous voulons prendre une idée des choses temporelles, considérons notre atmosphère ; elle présente des phénomènes qui peuvent nous en retracer l'origine. Souvent, pendant une matinée entière, de sombres brouillards, ou une seule masse de vapeur, également étendue dans les airs, semble s'élever contre la lumière de l'astre du jour, et s'opposer a sa clarté; mais bientôt le soleil jouissant de toute sa force, rompt cette barrière, dissipe l'obscurité, et sépare ces vapeurs en mille nuages, dont les plus purs et les plus légers sont attirés par la chaleur, tandis que les plus grossiers et les plus malsains se précipitent sur la surface terrestre, pour s'y rattacher, et s'y mélanger avec diverses substances matérielles et confuses : ce tableau physique est propre a nous instruire. Il est essentiel d'examiner ici comment la Cause inférieure peut être opposée a la Cause supérieure ? et comment il se peut que le mal existe en présence des phénomènes matériels peut nous aider dans cette recherche. Observons d'abord la différence qui est entre ces êtres matériels et les productions intellectuelles de l'infini. L'Etre créateur produit sans cesse des êtres hors de lui, comme les principes des corps produisent sans cesse hors d'eux leur action. Il ne produit point des assemblages puisqu'il est UN, simple dans son essence. Par conséquent, si, parmi les productions de ce premier Principe, il en est qui puissent se corrompre, elles ne peuvent au moins se dissoudre ni s'anéantir, comme les productions corporelles et composées. Voilà déjà une grande différence, quant a la nature de ces deux sortes d'Etre. Nous en trouverons une plus grande encore dans le genre de corruption dont ils sont susceptibles. La corruption, le dérangement, le mal enfin des productions matérielles, est de cesser d'être sous l'apparence de la forme qui leur est propre. La corruption des productions immatérielles est de cesser d'être dans la loi qui les constitue. Cependant la destruction des productions matérielles, lorsqu'elle arrive dans son temps et naturellement, n'est point un mal ; elle n'est désordre que dans les cas où elle est prématurée : et même le mal est moins alors dans les êtres livrés a la destruction, que dans l'action déréglée qui l'occasionne. Les Etres immatériels, au contraire, n'étant pas des assemblages, ne peuvent jamais être pénétrés par aucune action étrangère ; ils ne peuvent en être décomposés, ni anéantis. Ainsi, la corruption de ces Etres ne saurait provenir de la même source que celle des productions matérielles puisque la loi contraire, qui agit sur elles, ne peut agir sur des Etres simples. A qui cette corruption doit-elle donc être attribuée ? Car les productions, soit matérielles, soit immatérielles, puisant la vie dans une source pare, chacune selon sa classe, ce serait injurier le Principe, que d'admettre la moindre souillure dans leur essence. De la différence extrême qui existe entre les productions immatérielles et les productions matérielles, il résulte que celles-ci étant passives, puisqu'elles sont composées, ne sont point les agents de leur corruption ; elles n'en peuvent donc être que le sujet, puisque ce désordre leur vient nécessairement du dehors. Au contraire, les productions immatérielles, en qualité d'Etres simples, et dans leur état primitif et pur, ne peuvent recevoir ni dérangement, ni mutilation, par aucune force étrangère ; puisque rien d'elles n'est exposé et qu'elles renferment toute leur existence et tout leur être en elles-mêmes, comme formant chacune leur unité : d'où il résulte que s'il en est qui ont pu se corrompre, non seulement elles ont été le sujet de leur corruption, mais encore elles en ont du être l'organe et les agents : car il était de toute impossibilité que la corruption leur vint d'ailleurs ; puisqu'aucun être ne pouvait avoir prise sur elles ; ni déranger leur loi. Il y a des Observateurs qui ne considérant l'homme que dans son état naturel de dégradation, esclave des préjugés et de l'habitude, dominé par ses penchants, livré aux impressions sensibles, en ont conclu qu'il était également nécessité dans toutes ses actions intellectuelles ou animales, d'où ils se sont crus autorisés a dire que le mal provient en lui, ou de l'imperfection de son essence, ou de Dieu, ou de la Nature, en sorte que ses actes en eux-mêmes seraient indifférents. Appliquant ensuite a tous les Etres, la fausse opinion qu'ils se sont formés de la liberté de l'homme, ils ont nié l'existence d'aucun Etre libre, et de leur système il résulte que le mal existe essentiellement. Sans nous arrêter a combattre ces erreurs, il nous suffira de faire remarquer qu'elles ne viennent que de ce qu'on a confondu dans les actes de l'Etre libre, les motifs, la détermination et l'objet : or, en reconnaissant que le principe du mal n'a pu employer sa liberté que sur un objet quelconque, il n'en serait pas moins certain qu'il fût l'auteur du motif de sa détermination ; car l'objet ou le sujet sur lequel nous exerçons notre détermination peut être vrai, et nos motifs ne l'être pas ; chaque jour, par rapport aux meilleurs choses, nous nous formons des motifs faux et corrompus ; il ne faut donc pas confondre l'objet avec le motif ; l'un est externe, l'autre naît en nous. Ces observations nous conduisent a découvrir la vraie source du mal. En effet, un Etre qui approche et qui jouit de la vue des Vertus du souverain Principe, peut-il y trouver un motif prépondérant opposé aux délices de ce sublime spectacle ? S'il détourne les yeux de ce grand objet, ou si les portant sur ces productions pures de l'infini, il cherche, en les contemplant, un motif faux et contraire a leurs lois, peut-il le trouver hors de soi-même, puisque ce motif est le mal, et que ce mal n'existait nulle part pour lui avant que cette pensée criminelle l'eût fait naître, comme nulle production n'existe avant son Principe générateur. Voilà comment l'état primitif, simple et pur de tout Etre intellectuel et libre, prouve que la corruption ne peut naître dans lui-même, sans que lui-même en produise volontairement le germe et la source. Voilà comment il est clair que le Principe divin ne contribue point au mal et au désordre qui peuvent naître parmi ses productions, puisqu'il est la pureté même. Voilà, enfin, comment il n'y participe point : puisqu'étant simple, comme ses productions, et de plus, étant lui-même la loi de sa propre essence et de toutes ses uvres, il est, a plus forte raison, impassible, comme elles, a tout action étrangère. Eh ! par quels moyens le désordre et la corruption parviendraient-ils jusqu'à lui, tandis que, dans l'ordre physique même, les pouvoirs des Etres libres et corrompus, ainsi que tous les droits de leur corruption, ne s'étendent que sur les objets secondaires, et non sur les Principes premiers ? Les plus grands dérangements qu'ils peuvent opérer sur la Nature physique, n'altèrent que ses fruits et ses productions, et n'atteignent point jusqu'à ses colonnes fondamentales, qui ne recevront jamais d'ébranlement que par la main qui les a posées. La volonté de l'homme dispose de quelques uns des mouvements de son corps ; mais il ne peut rien sur les actions premières de sa vie animale, dont il lui est impossible d'étouffer les besoins. S'il porte son action plus loin, en attaquant la base même de son existence vitale, il peut, il est vrai, en terminer le cours apparent, mais il ne pourra jamais anéantir, ni le principe particulier qui avait produit cette existence, ni la loi innée de ce principe, par laquelle il devait agir pendant un temps hors de sa source. Elevons-nous d'un degré : contemplons les lois qui s'opèrent en grand dans la Nature universelle, nous y verrons la même marche. Les influences du soleil varient sans cesse dans notre atmosphère: tantôt les vapeurs de la région terrestre nous les dérobent, tantôt la fraîcheur des vents les tempère et les arrête : l'homme même peut augmenter ou diminuer localement l'action de cet astre, en rassemblant ou en interceptant ses rayons. Cependant l'action du soleil est toujours la même : il projette sans cesse autour de lui la même lumière ; et sa vertu active se répand toujours, avec la même force, avec la même abondance, quoique, dans notre région inférieure, nous en éprouvions si diversement les effets. Tel est le vrai tableau de ce qui se passe dans l'ordre immatériel, Quoique les Etres libres distincts du grand Principe, puissent écarter les influences intellectuelles, qui descendent continuellement sur eux ; quoique ces influences intellectuelles reçoivent peut-être dans leur cours quelque contraction qui en détourne les effets, celui qui leur envoie ces présents salutaires ne ferme jamais sa main bienfaisante. I1 a toujours la même activité. Il est toujours également fort, également puissant, également pur, également impassible aux égarements de ses productions libres, qui peuvent se plonger d'elles-mêmes dans le crime, et enfanter le mal par les seuls droits de leur volonté. I1 serait donc absurde d'admettre aucune participation de l'Etre divin aux désordres des Etres libres, et a ceux qui en résultent dans l'Univers ; en un mot, Dieu et le mal ne peuvent jamais avoir le moindre rapport. Ce serait avec aussi peu de fondement qu'on attribuerait le mal aux êtres matériels, puisqu'ils ne peuvent rien par eux-mêmes, et que toute leur action vient de leur principe individuel, lequel est toujours dirigé ou réactionné par une force séparée de lui. Or, s'il n'y a que trois classes d'êtres : Dieu, les Etres intellectuels et la Nature physique : si l'on ne peut trouver l'origine du mal dans la première qui est exclusivement la source de tout bien ; ni dans la dernière, qui n'est ni libre, ni pensante ; et que cependant l'existence du mal soit incontestable ; on est nécessairement forcé de l'attribuer à l'homme, ou à tout autre Etre, tenant comme lui un rang intermédiaire. En effet l'on ne peut nier que la Nature physique ne soit aveugle et ignorante, et cependant qu'elle n'agisse régulièrement et dans un certain ordre : ce qui est une nouvelle preuve qu'elle agit sous les yeux d'une Intelligence, sans laquelle elle n'aurait qu'une démarche désordonnée On ne peut nier aussi que l'homme ne fasse tantôt bien, tantôt mal ; c'est-à-dire, que tantôt il ne suive les lois fondamentales de son être, et que tantôt il ne s'en écarte. Quand il fait bien, il marche par la lumière et le secours de l'intelligence ; et quand il fait mal, on ne peut l'attribuer qu'à lui seul, et non à l'intelligence, qui est la seule voie, le seul guide du bien, et par laquelle seule l'homme et tous les êtres peuvent bien faire. Quant au mal, pris en lui-même, nous essaierons en vain de faire connaître sa nature essentielle. Pour que le mal pût se comprendre, il faudrait qu'il fût vrai, et alors il cesserait d'être mal, puisque le vrai et le bien sont la même chose ; or, nous l'avons dit, comprendre c'est apercevoir le rapport d'un objet avec l'ordre et l'harmonie dont nous avons la règle en nous-mêmes. Mais, si le mal n'a aucun rapport avec cet ordre, et qu'il en soit précisément l'opposé comment pourrions-nous apercevoir entre eux quelque analogie ; comment par conséquent pourrions-nous le comprendre ? Le mal a cependant son poids, son nombre et sa mesure, comme le bien : et l'on peut même savoir en quel rapport sont ici-bas le poids, le nombre et la mesure du bien, avec le poids, le nombre et la mesure du mal, et cela en quantité, en intensité, et en durée. Car le rapport du mal au bien en quantité est de neuf a un, en intensité de zéro à un, et en durée de sept à un. Si ces expressions paraissaient embarrassantes au lecteur, et qu'il en désira l'explication, je le prierai de ne pas la demander aux calculateurs de la matière, ils ne connaissent pas les rapports positifs des choses. Nous avons assez indiqué comment l'homme aurait pu se convaincre de l'existence immatérielle de son Etre ; et de celle du Principe suprême ; et ce qu'il devait observer pour ne pas confondre ce Principe avec la matière et la corruption, ni attribuer aux choses visibles cette Vie impérissable, qui est le plus beau privilège de l'Etre qui n'a point commencé, et auquel ses productions immédiates seules, participent par le droit de leur origine. Par la marche simple de ces observations, nous développerons bientôt des idées satisfaisantes sur la destination de l'homme, et sur celle des autres Etres.
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