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Tableau naturel des rapports qui existent
entre Dieu, l'Homme et l'Univers.

L.C. de St Martin

par Louis-Claude de Saint-Martin

XIII 

Quelque avantageuses que soient les découvertes que l'on peut faire dans les Livres Hébreux, ils ne doivent pas être employés comme preuves démonstratives des vérités qui concernent la nature de l'homme et sa correspondance avec son Principe ; car ces vérités subsistant par elles-mêmes, le témoignage des Livres ne doit jamais leur servir que de confirmation.

D'ailleurs les Livres des Hébreux, vu leur profondeur et la fécondité de la Langue dans laquelle ils ont été écrits, se prêtent à un si grand nombre de sens, qu'ils sont comme un champ de bataille, où chaque Parti, chaque Secte trouve de quoi s'attaquer et de quoi se défendre.

Voilà pourquoi ceux qui, sans autre secours que les lumières vulgaires, plaident pour ou contre la sainteté de ces Livres, ne peuvent se convaincre ni les uns ni les autres, parce qu'ils ne donnent point à leurs opinions une base naturelle et qui leur soit commune, de façon que toutes leurs objections leur sont réciproquement insolubles.

Si les principes qui ont été exposés jusqu'ici, ne reposaient pas sur un appui solide, ce serait peu faire pour l'avancement de la science, que de leur donner pour base des Livres dont la sanction n'étant pas généralement établie, laisseraient toujours des doutes sur l'authenticité dont ils auraient besoin pour être les garants de la vérité. Mais ayant établi ces principes sur des fondements inébranlables, je me crois autorisé à mettre en usage tout ce qui peut en étendre, ou en confirmer la certitude ; et les Livres hébreux paraissent convenir à ce but.

Les traditions, tant historiques qu'allégoriques des Hébreux, nous offrent les mêmes vérités que celles des autres Peuples. Elles annoncent également la dégradation de l'homme ; les efforts qu'il doit faire pour effacer son ignominie, et les secours que l'ordre suprême lui accorde, sans relâche, afin d'accélérer son retour à la lumière.

On y trouve les mêmes signes des rapports de l'homme à la Divinité ; et de la Terre à toutes les Puissances supérieures. On y trouve la même subdivision de ces Puissances relativement à l'homme. Tout y est également, vengeance, rigueur ; tout n'y présente que la sévérité d'une Justice, qui ne relâche rien de ses droits.

Ainsi, quoique ces Traditions n'offrent que des objets sensibles et corporels, quoiqu'elles ne montrent, en quelque sorte, que des vertus terrestres, et qu'elles ne semblent promettre à l'espérance, que des biens passagers et des récompenses temporelles ; on doit croire qu'elles ont le même but, et qu'elles contiennent la même doctrine que les Traditions mythologiques.

On le pensera avec d'autant plus de fondement, que de nos jours on a découvert des rapports frappants entre plusieurs personnages de la Mythologie Egyptienne et ceux des Traditions hébraïques, dont celle-ci, par conséquent, sembleraient être la première source. Et si nous avons aperçu l'histoire de l'homme dans les principales Traditions mythologiques, à plus forte raison, devons-nous la reconnaître dans des faits qui paraissent avoir été le type et le germe des plus célèbres de ces Traditions.

D'ailleurs, on y voit réunis les faits aux dogmes, et l'action à la doctrine ; tandis que dans toutes les autres Traditions, ces deux choses sont presque toujours séparées. Les Traditions Mythologiques Egyptiennes et Grecques ne contiennent que des faits et fort peu de doctrines : les Livres théogoniques des Parsis, des Chinois, et de tous les Peuples qui, dans un sens opposé, se sont également éloignés de leur souche primitive, renferment plus de doctrine que de faits ; parce que tous ces Peuples ont négligé la véritable science de l'homme, qui doit s'égarer dans ses faits, quand il ne les règle pas par la morale et qui ne se borne à moraliser que lorsqu'il ne sait pas agir.

Mahomet, qui a été et pris naissance parmi les descendants des Hébreux, imite leurs Livres en cette partie. Dans le Coran, la doctrine et les faits historiques y paraissent alternativement : et quoique ce Livre, à quelques traits de lumière près, ne soit qu'un recueil informe, rempli de préceptes impuissants quoiqu'il ne ramène point les hommes à leur vraie nature, et qu'il avilisse les moyens par lesquels la Sagesse suprême prépare leur régénération, il laisse assez connaître qu'il est l'enfant naturel de l'enfant naturel du Judaïsme.

C'est même par son émanation du Judaïsme, qu'il nous montre plus clairement son illégitimité ; parce que les choses réelles et qui tendent à un but vrai, se perfectionnent par le temps, au lieu de se détériorer ; et plus elles avancent en âge, plus elles doivent faire éclater leur beauté, leur grandeur, leur simplicité ou pour mieux dire, leur rapport avec les lois pures et vivantes de ce type premier, que tous les Etres sont chargés de manifester chacun dans leur classe.

Loin que le mahométisme se présente sous cet aspect, et qu'il soit plus parfait que l'Ismaélisme et que le Judaïsme, il est infiniment au-dessous de l'un et de l'autre. Il n'a ni les sciences divines des Hébreux, ni les sciences naturelles d'Ismaël : et s'étant séparé de la force et de l'intelligence, il n'a pu mettre à la place que les droits du glaive et le règne des sens.

Si les Livres des Hébreux, malgré leurs expressions obscures, malgré la singularité, ou même l'atrocité de la plupart de leurs récits, nous annoncent d'autres droits, d'autres pouvoirs; s'ils réunissent les faits à des dogmes plus relatifs à notre Etre, et plus propres à nous rappeler les Vertus de notre principe ; s'ils nous présentent des tableaux plus expressifs de ce que l'homme cherche, et de ce qu'il peut obtenir : enfin, si ces Livres n'offrent pas une seule Idole matérielle parlante, et qu'ils ne mettent en action que des animaux vivants, des hommes, ou des Etres supérieurs, on doit leur donner un rang distingué parmi tous les Livres traditionnels qui nous sont connus.

Il n'est pas jusqu'au nom d'Hébreu (Ghibri) qui soit le véritable type de l'homme actuel ; il signifie passant ou passager, pour indiquer à l'homme ce qu'est son séjour sur la Terre.

On trouve en effet dans ces Livres, des rapports évidents avec les vérités les plus profondes, soit intellectuelles, soit sensibles.

Les productions universelles y sont représentées comme étant le fruit de ces facultés invisibles qui précèdent tout acte quelconque. Le mot Rosch signifiant le Principe, la tête, ou le séjour de la pensée, peut signifier la pensée même ; bereshit, qui est le premier mot du texte hébreu, peut donc se rendre aussi bien par ces mots, Dans la pensée, que par ceux-ci, Au commencement, qui ne tombent que sur le temps. Ainsi, sans rejeter cette version : Au commencement Dieu créa, etc. on pourrait lire intellectuellement, Dans la pensée Dieu créa, etc. ; et on y trouverait une vérité de plus.

Les productions universelles y sont représentées comme étant le fruit de plusieurs agents, par les expressions singulières Bara Elohim, les Dieux créa : image parlante de la vérité des choses premières, dans laquelle on voit à la fois un seul fait, et six agents concourant à le produire ; d'autant que le mot Elohim offre six lettres distinctes dans sa prononciation, et qu'il les porte en caractères dans la version grecque de Sanchoniaton, quoiqu'il n'en porte que cinq dans l'hébreu.

C'est donc une idée faible et fausse que la crainte de mettre des bornes à la toute puissance du principe universel de la vie, en lui reconnaissant des agents secondaires qui opèrent pour lui les choses périssables, et qui les tiennent en action pendant la durée qu'il leur prescrit ; car cette puissance éclate d'autant plus, en ordonnant des résultats qui sont ponctuellement exécutés, et il est des œuvres que sa grandeur et sa sublime simplicité ne lui permettent pas d'exécuter elle-même.

Ceux qui ont voulu jeter du ridicule sur ces expressions extraordinaires, les Dieux créa, n'ont fait que montrer qu'ils avaient peu de connaissance des vérités naturelles.

Ils ont affecté de traduire par il fil, le mot Bara, qui signifie également il produisit, il créa. Ne nous laissons pas tromper ; cette expression il fit, annoncerait une coéternité de la matière avec Dieu, qui n'aurait eu d'autre œuvre à faire que de la modifier, pendant que cette coéternité n'appartient qu'au Principe immatériel de la matière.

Les productions immatérielles sont représentées dans ces Livres, comme servant de base et de siège à l'esprit de Dieu, qui, selon les Traductions vulgaires, était porté sur les eaux ; c'est-à-dire, sur les germes primitifs et invisibles de l'Univers, comme nous voyons que dans l'ordre de l'Univers corporisé, l'eau est le germe primitif des formes matérielles.

Au lieu de l'Esprit de Dieu, les traductions auraient dû dire, l'action fécondante de ces Agents, Elohim, préposés à la production de ce grand œuvre ; car dans l'hébreu les noms propres sont réels et essentiellement constitutifs. Or le mot Rouach, qu'on a traduit par Esprit, n'est point de cette classe ; il ne signifie que le souffle, que l'expiration ; lors donc qu'on l'applique aux émanations et actions supérieures, ce ne peut être que par analogie au souffle des vents, à l'expiration des animaux, laquelle dans sa classe est une sorte d'émanation ; mais ni dans l'un ni dans l'autre exemple, cette sorte d'émanation ne doit porter le nom de l'Etre même qui en est le Principe ; et il ne faut point confondre l'action avec l'agent, si l'on veut marcher avec justesse.

Rassemblons donc ici les trois tableaux contenus dans ces trois mots Bereshit, Elohim, Rouach ; l'un nous présente la pensée suprême concevant la production de l'Univers ; le second, le nombre des agents, ou le plan actif de son exécution ; le troisième le moyen par lequel cette exécution se réalise ; et nous reconnaîtrons dans ces trois agents un rapport naturel avec les trois facultés intellectuelles dont j'ai ci-devant démontré l'existence dans l'homme.

Quant au développement sensible de ces productions universelles, on voit dans ces Livres qu'il s'est opéré par un moyen semblable à celui que l'homme emploie pour l'exécution de sa volonté ; puisque, s'il ne parle, de quelque manière que ce soit, à ceux qu'il veut faire agir, cette volonté demeurera nulle et sans effet.

Enfin, ces productions universelles y sont représentées comme séparant les eaux inférieures d'avec les eaux supérieures, les ténèbres d'avec la lumière ; par conséquent tel est le but de leur existence, puisque telle est leur loi ; puisque aujourd'hui même, les moindres végétations corporelles n'acquièrent la vie et ne la conservent qu'en occupant une place intermédiaire entre le ténébreux séjour de leur formation et la région d'où descend la lumière élémentaire. Tableau sensible d'une plus importante séparation, qui a été opérée par l'origine de l'Univers, qui s'est répétée sur l'homme prévaricateur, sur toute sa postérité, et qui pour disparaître n'attend rien moins que le concours et le complément de l'action de tout ce qui a reçu l'existence.

Ce grand fait est même indiqué par le mot Aretz, Terre, qui signifie également Région, Univers ; car il dérive du verbe Ratzatz, il a brisé, il a resserré, comprimé. Et l'on doit d'autant moins se défier de cette idée que le mot Aretz a conservé dans la plupart de nos Langues modernes une similitude évidente avec sa racine, tant pour la forme que pour le sens. L'Allemand appelle la terre erd, l'Anglais, heartz ; le Latin par inversion, terra, d'où le Français terre, arrêter, hart. Toutes expressions où la forme et le sens primitif sont aisés à reconnaître ; et voilà pourquoi la terre est appelée le théâtre d'expiation.

Les lois de la Physique sont exposées dans ces Livres avec une entière justesse ; et la division sénaire, sous laquelle l'Ecrivain présente symboliquement par des jours l'œuvre de la formation des choses temporelles, est conforme à la Nature. C'est cette loi manifestée dans le rapport du rayon à la circonférence, par laquelle l'Ecrivain a voulu nous apprendre que c'est un nombre de six actions réunies qui a concouru à la corporisation matérielle de l'Univers ; que ce nombre de six actions doit par conséquent diriger toutes les choses sensibles, comme il a dirigé leur origine ; qu'il doit se faire connaître non seulement dans la direction des corps universels et particuliers, mais même dans les temps qui leur sont accordés pour leur existence.

Indépendamment du rapport métaphysique sénaire du rayon à la circonférence, ces vérités sont représentées dans la partie céleste, où six astres planétaires agissent et se meuvent sous l'œil d'un septième astre qui est leur chef et leur dominateur.

Elles le sont matériellement dans les six puissances simples de la mécanique, qui servent de mobiles fondamentaux à tous les mouvements des corps.

Elles le sont temporellement et intellectuellement dans la musique, qui ne peut avoir de mouvement régulier sans que sa marche soit sénaire ; car, quoique nous n'apercevions sensiblement qu'une quinte entre la dominante et la tonique, il n'en est pas moins vrai que cette quinte renferme deux tierces très distinctes.

Enfin, elles le sont corporellement dans les six globules lymphatiques et blancs, qui, selon les Physiologistes, constituent chaque globule rouge de notre sang.

Les Peuples de l'Orient, par lesquels toutes les Sciences se sont communiquées dans l'Univers, nous offrent des faits qui viennent à l'appui du principe que nous avançons : dans toutes leurs mesures de temps, dans toutes leurs périodes, ils procèdent par le nombre six, ou par ses multiples ; et la fameuse période de six cent ans, connue de toute antiquité par ces Nations primitives, est au-dessus de toutes les périodes dont les Astronomes ont fait ensuite la découverte et l'emploi en différents lieux de la Terre.

Enfin, les Peuples de l'Amérique avaient la persuasion que l'Univers avait été formé par six hommes, qui avant qu'il y eût une terre, étaient portés dans l'air au gré des vents. D'où l'on peut inférer que des rapports aussi exacts, connus de ces Nations si éloignées et si étrangères les unes aux autres, n'auraient pas lieu, si en suivant la division sénaire de la circonférence par le rayon, elles n'avaient suivi la vraie mesure naturelle des choses créées. D'où on peut également conclure que l'Ecrivain Hébreu ne nous a rien
transmis d'imaginaire, en nous représentant la formation de l'Univers par les lois de ce même nombre.

Ce nombre de six jours, qui ne peut être que symbolique, puisque Dieu agissant au sommet de l'angle, ne connaît point de temps : puisque nos jours temporels ne se forment que par les révolutions du soleil, et que selon l'Historien même, le Soleil ne fut formé que le quatrième jour ; ce nombre, dis-je, annonce par sa division en deux ternaires, la loi d'action et de réaction nécessaire pour l'existence et la production des Etres corporels ; et ce nombre est observé par l'Ecrivain Hébreu.

Car il représente la terre, et tout ce qui tient à elle, comme le premier ternaire ; puisque c'est au troisième jour que toutes ces choses se trouvent formées ; et il représente les astres, et tout ce qui ne tient pas essentiellement à la terre, comme le second ternaire dominant et réactionnant sur le premier.

Ce n'est que dans ce second ternaire, que tout Etre ayant vie prend naissance, et il n'est pas indifférent de remarquer que le soleil et la Terre remplissent alors des fonctions semblables à celles que nous leur voyons faire aujourd'hui ; puisque c'est par la chaleur de ce Soleil agissant au quatrième jour sur la Terre formée le troisième, que tous les animaux reçurent l'existence : loi qui se répète dans la reproduction de toutes les espèces, par la jonction du mâle et de la femelle.

Ici la Physique nous arrête. Nous présentons la production de l'Univers comme s'étant faite sans temps, et le globe terrestre offre des traces apparentes d'une formation lente et successive ; nous présentons la naissance de l'Univers comme un seul fait, et la surface de la terre est couverte de nombre de substances qui semblent n'avoir pu naître et se consolider qu'à la suite de plusieurs siècles ; enfin, la chronologie des Livres hébreux donne au monde une antiquité médiocre, comparée à celle que paraissent lui attribuer les observations faites sur la Nature. Il faut examiner ces difficultés.

Les Observateurs de la Nature enseignent qu'une chaleur si extrême a accompagné l'origine des choses, que l'Univers a été longtemps inhabitable après le moment de sa naissance.

Nous leur demanderons d'abord si leur pensée ne répugne pas à cette progression tardive, à cette suspension dans l'exécution des œuvres d'une main puis, santé, qui par sa nature ne peut être un instant sans agir ; nous leur demanderons en même temps quel but, quel objet remplira cet intervalle qu'ils veulent admettre entre l'origine des choses et leur formation ; quelle destination ils supposeront à un monde sans Habitants : car nous montrer des œuvres sans but, sans objet, c'est nous peindre dans son Auteur, un Etre dépourvu de sagesse ; et ce serait abuser de la raison que de l'employer à nous annoncer un tel Etre.

Ils n'ont enfanté ces systèmes, qu'en s'appuyant sur les faits secondaires qui se trouvent sous leurs yeux, tels que la reproduction actuelle des Etres particuliers, qui ne s'opère que dans des espaces de temps proportionnels à leur classe, et tels que les sédiments et les différentes couches de substances minérales, qui ne s'accumulent plus qu'à la longueur des siècles.

Ces comparaisons les ont trompés ; ils n'ont pas distingué les faits seconds, des faits premiers, les productions inférieures et passives, des productions primordiales mues par une vivante activité.

C'est une loi constante que plus les Etres sont rapprochés du Principe primitif, plus leur force génératrice est puissante ; et cette puissance se montre non seulement dans les qualités de la production, mais aussi dans la célérité avec laquelle elle est engendrée ; parce que le Principe primitif étant indépendant du temps, les Etres ne peuvent s'élever vers lui, sans jouir, selon leur mesure et leur nombre, de ses droits et de ses vertus. Et si l'on en veut trouver la preuve dans l'homme même, il suffit de comparer la lenteur de ses mouvements sensibles et corporels, avec la promptitude de son Etre intellectuel, qui ne connaît ni temps ni espace, et qui se transporte sur le champ en pensée dans les lieux les plus éloignés.

Mais sans sortir de la classe physique, remarquons que plus la croissance des Etres est lente, plus le germe qui les produit est grossier. C'est pour cela que les germes de tous les Etres particuliers de la Nature sont corporels et visibles, attendu que leurs productions ne se forment que par une suite de temps. Mais la création générale étant le fruit d'un Principe et d'un germe qui ne sont point corporels, mais qui sont invisibles, comme les mobiles intérieurs qui nous dirigent dans tous nos actes, cette création générale doit être née sans temps.

On ne niera donc pas que les principes qui ont produit la Terre et l'Univers matériel, ne soient supérieurs aux principes terrestres qui ont engendré les animaux et les plantes. En outre, les animaux et les végétaux ont dû avoir dans l'origine une force, une vie supérieure à celles dont ils jouissent aujourd'hui, puisque la Nature s'altère, comme toutes les choses corruptibles ; par conséquent les animaux et les végétaux actuels pourraient être regardés comme des fruits secondaires relativement aux anciens, et à ceux que la terre principe a engendré par la chaleur immense de son feu central, de même que ces derniers sont secondaires par rapport aux sources invisibles et supérieures qui ont constitué la Nature universelle.

Dans l'ordre physique actuel, nous pouvons difficilement trouver des preuves de cette vérité : tout y étant secondaire, les différences entre les reproductions et leur Principe, quoique bien certaines, sont trop peu sensibles pour trouver place dans des démonstrations rigoureuses ; et d'ailleurs, quand ces reproductions arrivent à leur dernier terme, elles reprennent le sens inverse des productions primitives, parce que le cercle doit se fermer. C'est pour cela que le ver étant tombé dans l'état de chrysalide, en sort avec l'éclat du papillon, d'où doivent sortir de nouveaux vers ; et c'est pour cela que tous les mortels, en s'engloutissant dans les sombres horreurs de la terre, touchent de plus près aux rayons purs de la lumière, que lorsqu'ils erraient sur cette surface.

Mais si nous n'avons pas des preuves actuelles et actives de la différence des Principes premiers et Seconds nous en avons au moins d'analogie. Premièrement dans plusieurs expériences remises à la disposition sinon de ceux qui sachant dégager plus ou moins le feu principe, opèrent des végétations matérielles en. un temps plus court que celui qu'emploie la Nature ; pour la reproduction des siennes. Secondement dans la nubilité précoce des animaux qui habitent les climats voisins de l'Equateur ; enfin, dans l'altération que la Nature éprouve à mesure qu'elle s'éloigne de l'époque de sa formation, puisque par les os énormes, et les végétaux pétrifiés qui nous restent de ces temps, anciens, il est constant que les premières productions ont dû être beaucoup plus fortes, plus vigoureuses que celles de nos jours, et que même par l'épuisement de la Nature, plusieurs espèces, soit aquatiques, soit terrestres, se sont perdues.
S'il est évident que dans tous les genres, les Principes secondaires sont inférieurs aux Principes primitifs, pourquoi donc les assimiler ? pourquoi vouloir égaler des Agents si disproportionnés : et ceux qui  prononcent d'après de semblables calculs ne, sont-ils pas exposés à de faux résultats ?

La lenteur des reproductions journalières de la Nature ne doit donc rien faire contre l'activité des Agents qui ont dirigé l'origine des choses et toutes les productions primordiales.

Quand les Observateurs veulent considérer l'origine de ces substances calcaires qu'ils aperçoivent sur toute la surface de la terre, elles présentent deux difficultés ; l'une relative à leur énorme multitude, et l'autre aux temps qui ont été nécessaires pour les consolider et les convertir en pierres.

Mais la même doctrine de cette grande chaleur centrale, ne suffisait-elle pas pour résoudre ces questions, sans recourir à des explications qui contrarièrent l'idée naturelle que nous avons de l'activité du grand Etre, et qui ne peuvent être avouées de la raison, parce qu'elles ne lui présentent que des ouvrages sans but et sans objet ?

Sans doute, la chaleur centrale a été plus grande qu'elle ne l'est aujourd'hui ; mais il ne faut pas croire qu'elle l'ait été au point de rendre la terre inhabitable ; ce qui contredirait la sagesse de la Nature et l'objet de son existence. Il suffit qu'elle l'ait été assez pour donner subitement naissance aux productions primitives, qui à leur tour l'auront pu donner à de nombreuses productions secondaires, dans un temps plus court qu'il n'en faut aujourd'hui pour les mêmes faits.

C'est cette chaleur qui a pu promptement consolider les minéraux, vitrifier les granits, les grès, les jaspes, le porphyre, le roc vif, les quartz : en un mot, opérer toutes les vitrifications qui composent le sommet des montagnes et la plupart des rochers. C'est cette chaleur qui a pu calciner aussi rapidement cette multitude de coquillages, d'où sont résultés les marbres, les spaths, les craies, les stalactites, et toutes les productions qui peuvent se convertir en chaux. C'est cette même chaleur qui aurait pu lier à des substances argileuses, et à des terres calcaires ; ces énormes bancs de coquilles entières et parfaitement conservées, qui se rencontrent dans plusieurs lieux de la Terre.
D'ailleurs on ne peut se dispenser de reconnaître également l'action de l'eau dans ces grands événements : tout nous annonce qu'elle y a agi avec autant 'de puissance que le feu ; car elle consolide encore tous les jours des balsates, des laves, et autant de substances vitrifiables, métalliques et calcaires qu'elle en dissout, comme le feu en divise autant qu'il en consolide et qu'il en vitrifie. Enfin, si l'action du feu se démontre encore sous nos yeux, en nous offrant des volcans jusqu'au milieu des mers, celle de l'eau n'est pas moins sensible, en ce qu'elle opère journellement des décompositions et des recompositions terres Car ce ne serait pas avoir la première idée de la, turc, que de croire que le feu y puisse agir sans h et l'eau sans le feu, puisqu'ils sont toujours contes l'un dans l'autre, et que sans leur combinaison connue aux hommes, la Nature même ne serait pole et rien en elle n'aurait de forme.

Si nous sommes convaincus que le feu a agi les premiers temps de l'explosion des choses avec infiniment plus d'activité qu'il ne le fait aujourd'hui et que cette diminution de chaleur soit la cause. la stérilité actuelle des Pôles, et de la perte de plusieurs espèces d'animaux terrestres, nous devons porter de l'eau le même jugement, d'autant que nous la voyons sensiblement diminuer sur la terre, et que l'on a aussi des preuves que des espèces d'animaux aquatiques se sont détruites.

Enfin, la terre elle-même eut son action à remplir, dans ces premiers temps ; et cette action eut aussi plus d'intensité qu'elle n'en peut avoir aujourd'hui ;` car si le feu est le commencement et la fin de l'élément, si l'eau est le commencement et la fin de la corporisation, la terre est le commencement et la fin de la forme.
Les forces de ces éléments se balancent donc l'une par l'autre ; et c'est quand ils cesseront d'être en équilibre que l'Univers cessera d'exister.

Disons, en passant, que le feu étant le commencement et la fin de l'élément, tout annonce que le feu terminera l'existence de l'Univers, comme c'est lui qui l'a commencée : et voici la marche de cet agent, à la fois créateur et destructif. La terre s'affaisse depuis son origine vers son feu central pour s'y réunir ; le ciel des Planètes la suit pour s'y réunir avec elle. Nous nous en apercevons peu corporellement, parce que l'atmosphère est emporté avec toute la machine mais plus ces masses se rapprocheront du feu central, plus l'eau se dissipera ; à la fin il ne restera que la masse de sel. Alors les Principes ignés, renfermés dans cette masse de sel, fermentant sur eux-mêmes, l'embraseront et la traverseront pour rejoindre leur feu principe.
Si la puissance de l'eau et celle de la terre ont été autrefois plus grandes qu'elles ne le sont aujourd'hui, nous avons en elles un moyen de plus d'expliquer les anciens et prodigieux phénomènes terrestres, ainsi que les célèbres catastrophes de la Nature : sans compter un quatrième agent plus actif encore que le feu, l'eau et la terre, et dont nous aurons occasion de parler dans un moment, lorsque nous jetterons un coup d'œil sur la principale de ces catastrophes.

Enfin, si l'on veut réfléchir à ces consolidations subites que des substances terrestres reçoivent tous les jours par la propriété des eaux de quelques fontaines, ou même par les manipulations des Artistes qui savent diriger les forces de la Nature, on ne sera plus étonné que les éléments primitifs aient pu opérer les mêmes résultats, et il sera inutile de reculer, autant qu'on l'a fait, l'époque et l'origine du monde, pour éclaircir les difficultés qu'il nous présente.

Les Livres hébreux nous parlent d'un septième jour, ou du Sabbat, qui termina l'Œuvre de la création. Ce mot Sabbat, que l'on a traduit par Repos, annonce seulement que le nombre de l'Univers était complet ; et il indique si peu une cessation, un néant d'action dans la Divinité, qu'il est écrit qu'elle sanctifia ce même jour ; ce qui signifie qu'elle attacha à l'existence de l'Univers, des vertus supérieures à celles qui l'avaient formé, puisque celles-ci n'étaient pas saintes.

Si ce n'était point abuser des privilèges de la science étymologique, on pourrait trouver au mot hébreu Shebet ou Sabath, un sens d'une grande sublimité. Car ce mot signifie aussi dans sa racine :  il est assis, il s'est posé. Alors ce serait dire que Dieu, au septième jour, se posa, vint habiter, vint établir son siège dans tous ses ouvrages. Rapports sacrés et dignes de l'activité universelle du grand Etre, mais qui ne peuvent être présentés d'une manière positive, attendu qu'ils souffriraient quelques contestations d'après la lettre du texte, quoiqu'ils soient justifiés par les plus pures lumières de l'intelligence.

Il n'en est pas moins vrai qu'à ce septième jour la Sagesse suprême présenta à l'homme des objets plus relatifs à son Etre, que ne l'avaient été toutes les vertus sénaires ; car il est bon d'observer que l'homme reçut la naissance temporelle, après tous les Etres de la Création, et que ainsi il était plus rapproché de ces Vertus saintes et septénaires, qui devaient en consolider l'existence.

Aussi, on voit dans les Livres hébreux, la dignité de l'homme, qui a seul sur tous les Etres le droit sublime d'être produit par la Divinité même, et selon le texte, en image de Dieu, c'est-à-dire, comme en étant l'expression et le signe : rapports vivants et actifs, que les Traducteurs ont faiblement rendus par ses mots, à l'image et à la ressemblance de Dieu, mais que j'ai indiqués dans le commencement de cet Ecrit, et qui trouvent ici une heureuse confirmation.

On y voit cet homme placé dans un lieu de délices, près de la Vie même, d'où coulaient quatre fleuves et n'ayant reçu d'autre défense que celle de s'approcher de la science du bien et du mal, qui se trouvait avec lui dans cette enceinte, comme aujourd'hui elle habite encore avec nous. On le voit établi par l'Auteur des choses sur tous les ouvrages de ses mains, préposé pour les commander et les soumettre à son empire ; et l'on ne peut plus douter que l'homme dans sa dégradation même, ne manifeste cette loi glorieuse, portée exclusivement en sa faveur ; puisqu'il offre encore sur son corps la base sensible de toutes les mesures ; puisque, malgré son ignominie et sa faiblesse, il ne cesse de travailler à s'assujettir toute la Nature.

Mais on y voit aussi l'homme dépouillé ignominieusement de cet empire, et n'en conservant aujourd'hui que la figure la plus imparfaite, comme ayant fait
alliance avec l'illusion et l'erreur ; car le mot hébreu Nacash, dont est tiré celui de serpent, signifie prestige, enchantement.

« Et même le serpent, cet animal si disproportionné, cet Etre sans aucune armure corporelle, sans écailles, sans plumes, sans poil, sans pied, sans mains, sans nageoires ; ayant toute sa force dans sa gueule, force qui n'est que venin, mort, corruption ; le serpent, dis-je, porte avec lui des signes physiques et analogues à la séduction dont la pensée de l'homme est susceptible, puisque cet animal a seul, parmi les autres, la propriété de former avec son corps un cercle parfait, et de nous présenter par là, sous une apparence régulière, la forme et la base de tous les objets sensibles et composés ; c'est-à-dire, de fixer nos yeux sur la matière et l'illusion ; enfin, en formant un cercle vide, où l'on ne voit point de centre, il a la propriété de nous faire perdre de vue le Principe simple de qui tout descend, et sans lequel rien n'existe. Il n'est clone pas étonnant qu'on ait aperçu tant d'antipathie entre l'homme et le serpent, puisque l'homme, au contraire, tient au centre par la proportion de sa forme, au lieu que le serpent n'offre sur la sienne que la circonférence ou le néant. Qu'on ne prenne point ceci pour un jeu d'imagination ; des vérités importantes sont enveloppées sous ces rapports. Et c'est là que l'on trouverait à s'instruire des relations métaphysiques qui ont existé autrefois entre l'homme, la femme et le serpent ; et qui se manifestent matériellement entre eux aujourd'hui, dans toute la régularité des nombres.»

On voit dans ces Livres, les douloureuses punitions attachées à l'erreur criminelle de l'homme. En cherchant la lumière dans un autre Principe que dans celui seul qui la possède, il perdit de vue jusqu'au moindre de ses rayons, comme tous ceux qui depuis ont cherché leur instruction et leur science ailleurs que dans les principes immatériels de toutes les classes, se sont rendus étrangers à l'intelligence ; et c'est là cette nudité qui fit rougir l'homme après son crime, et qui retient de même toute sa postérité dans l'opprobe, jusqu'à ce qu'elle ait recouvré ses premiers vêtements.

« Car la nudité que les Livres hébreux lui attribuent avant son crime, et dont il est dit qu'il ne rougissait point, présente une autre vérité. Le mot gharoum, nu, vient de la racine arabe ghoram, qui signifie, un os dépouillé de chair ; or l'os est le symbole sensible du mot force, vertu, puisque l'os est la force et le soutien du corps. D'un autre côté, ce mot os remonte par le mot ossum des Latins, jusqu'à la racine hébraïque ghatzam, qui signifie une force, une vertu. Ainsi donc, nous présenter l'homme premier dans un état de nudité, c'est nous dire qu'il était un Etre immatériel, une vertu, une force, une puissance dénuée de chair, ou sans corps de matière. »

« Cela paraît d'autant plus vrai, que dans le passage suivant, l'homme est annoncé comme ne rougissant point de cette nudité ; et en effet, puisque la confusion qu'inspire la pudeur, ne tient qu'aux sens charnels, si. l'homme, quoique pur et éclairé n'éprouvait alors par sa nudité, ni la honte, ni aucune des impressions de la pudeur, c'est une preuve évidente qu'il n'avait point de sens charnels.»

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Chapitre XIV