CHAPITRE PREMIER

  
Trois portraits de l'Antéchrist tracés prophétiquement dans la Bible.

PORTRAIT DANS LE LIVRE DE DANIEL  :  La petite corne grandissante.


      « Je regardais dans une vision nocturne, et voici, il y avait une quatrième bête, terrible, et étonnante, et extraordinairement forte ; elle avait de grandes dents de fer ; elle dévorait, mettait en pièces..., et elle avait dix cornes (1) . Je considérai les cornes, et voici, une autre corne, petite, s'éleva au milieu d'elles ; et trois des premières cornes furent arrachées de devant elle : et voici, des yeux comme des yeux d'un homme étaient dans cette corne, et une bouche qui proférait de grandes choses... Mon esprit fut épouvanté : moi, Daniel, je fus effrayé par ceschoses, et les visions de mon esprit me troublèrent. Je m'approchai d'un de ceux qui étaient là (2) , et je lui demandai la vérité sur toutes ces choses... Je désirai vivement savoir... ce qu'étaient les dix cornes.., et cette autre corne qui avait surgi et devant laquelle trois des cornes étaient tombées, cette corne qui avait des yeux et une bouche proférant de grandes choses, et son apparence était plus grande que celle de ses compagnes. Je regardais : et voici que cette corne faisait la guerre aux saints ; et elle l'emportait sur eux... Et (l'ange) me parla ainsi :... Les dix cornes, ce sont dix rois : et un autre s'élèvera après eux : et il différera des premiers ; et il abattra trois rois. Il proférera des paroles contre le Très-Haut, il opprimera les saints du Très-Haut, et il pensera qu'il pourra changer les temps et les lois ; et ils seront livrés entre ses mains pendant un temps et des temps, et la moitié d'un temps. Et le jugement se tiendra, afin que la puissance lui soit enlevée, qu'il soit détruit et qu'il disparaisse à jamais. »
(Daniel, VII, 7,8, 15, 16, 19,20,21,23, 24, 25, 26.) 
 

     Dans cette petite corne grandissante les Pères, notamment saint Irénée, Théodoret, Lactance, saint Jérôme, les commentateurs modernes, Maldonat, Cornelius a Lapide, Calmet, etc., et de nombreux exégètes contemporains, soit catholiques, soit protestants, ont vu à bon droit la figure de l'Antéchrist. La corne est le symbole de la force et de la puissance. Chez certains animaux elle est la grande arme offensive et défensive. Avant les découvertes assyriologiques, il était assez difficile de s'expliquer pourquoi Daniel avait, de préférence, employé ce symbole pour décrire l'Antéchrist. Aujourd'hui rien ne paraît plus naturel. Dans le milieu chaldéen où vivait ce prophète, les statues des dieux et des rois babyloniens portaient des cornes à leurs tiares. Disposées avec grâce à la base de ces tiares et superposées les unes aux autres, elles constituaient de véritables ornements (3) . Il est donc tout naturel que l'inspiration divine voulant caractériser les développements et la puissance de la domination de l'Antéchrist, ait porté Daniel vivant et écrivant à Babylone à le représenter sous le symbole d'une petite corne grandissante.


PORTRAIT DANS L'APOCALYPSE : La Bête.

     Je vis monter de la mer une bête qui avait sept têtes et dix cornes, et sur ses cornes dix diadèmes, et sur ses têtes des noms de blasphèmes. Et la bête que je vis était semblable à un léopard, et ses pieds étaient comme les pieds d'un ours, et sa gueule comme la gueule d'un lion ; et le dragon lui donna sa force et une grande puissance. Et je vis une de ses têtes comme blessée à mort, mais cette blessure mortelle fut guérie, et la terre entière fut dans l'admiration, à la suite de la bête. Et ils adorèrent le dragon qui avait donné la puissance à la bête ; et ils adorèrent la bête, en disant. Qui est semblable à la bête ? Et qui pourra combattre contre elle ? Et il lui fut donné une bouche qui proférait de grandes choses et des blasphèmes ; et le pouvoir lui fut donné d'agir pendant quarante-deux mois. Et elle ouvrit la bouche pour blasphémer contre Dieu, pour blasphémer son nom, et son tabernacle, et ceux qui habitent dans le ciel. Et il lui fut donné le pouvoir de faire la guerre aux saints, et de les vaincre ; et la puissance lui fut donnée sur toute tribu, sur tout peuple, sur toute langue et toute nation. Et tous les habitants de la terre l'adorèrent, ceux dont les noms n'ont pas été inscrits, depuis la création du monde, dans le livre de l'Agneau qui a été immolé. »

(Apocalypse, XIII, 1.8.) 
 

     Dans ce second portrait, c'est à une Bête monstrueuse que l'Antéchrist est comparé. On ne peut guère douter, en effet, que cette bête, munie de toute la puissance de Satan et adorée avec lui, ne soit la figure de l'Antéchrist. Tel a été le sentiment commun des commentateurs chrétiens, depuis les temps anciens jusqu'à nos jours. L'emploi de cette expression « la bête, montre que, dans l'être en question, le caractère bestial dominera, à la place des sentiments
humains. La robe du léopard, les pieds de l'ours et la gueule du lion indiquent aussi qu'il réunira la ruse, la férocité et la force.

     C'est avec raison que les exégètes reconnaissent également dans la Bête de l'Apocalypse le symbole de la Cité du mal avec les grands empires païens qui s'y sont succédé. Mais tous ces empires païens de la Cité du mal viendront aboutir et se résumer dans la personne de l'Antéchrist. Les prophètes présentent et comprennent souvent sous une seule figure plusieurs choses qui arriveront en divers temps, lorsqu'elles ont quelque rapport entre elles. On le constate par cette explication qui fut donnée à saint Jean dans une autre vision de la Bête, symbole, cette fois, de la Cité du mal (4) « L'ange me dit : Les sept têtes sont sept montagnes sur lesquelles la femme est assise : ce sont aussi sept rois (ou sept empires), dont cinq sont tombés ; l'un existe encore, et l'autre n'est pas encore venu ; et, quand il sera venu, il faut qu'il
demeure peu (5) . Toute la malice et toute la puissance de ces différents empires, qui se sont succédé dans la Cité du mal, figurée par la Bête et ses accessoires, viendront se personnifier et se récapituler dans un individu : l'Antéchrist. C'est donc avec raison que ce nom « la Bête » lui est aussi attribué.
 


PORTRAIT DANS LA II° ÉPITRE AUX THESSALONICIENS :
L'homme de péché.

     « Il faut que l'apostasie arrive auparavant, et qu'on ait vu paraître l'homme de péché, le fils de la perdition, l'adversaire qui s'élève au-dessus de tout ce qui est appelé Dieu, ou qui est adoré, jusqu'à s'asseoir dans le temple de Dieu, se faisant lui-même passer pour Dieu... Et alors se manifestera cet impie que le Seigneur Jésus tuera par un souffle de sa bouche, et qu'il détruira par la lueur de son avènement.
L'avènement (de cet impie) aura lieu selon la puissance de Satan, avec toutes sortes de miracles, de signes et de prodiges trompeurs, et avec toutes les séductions de l'iniquité pour ceux qui périssent, parce qu'ils n'ont pas reçu l'amour de la vérité pour être sauvés. C'est pourquoi Dieu leur enverra une puissance d'égarement, pour qu'ils croient au mensonge, afin que tous ceux qui n'auront pas cru à la vérité, mais qui auront consenti à l'iniquité, soient condamnés. »
(II° Ép. aux Thessaloniciens, II, 3, 4, 8, 9, 10, 11.) 
 

     Cette fois, c'est l'homme qui apparaît, avec des traits nettement dessinés, mais l'homme Adversaire du Christ et de l'Église, l'homme de péché, le fils de la perdition. « Nul doute, dit saint Augustin, que l'Apôtre ne parle ici de l'Antéchrist. (6)

     De ces trois portraits prophétiques, rapprochés les uns des autres, il est possible de tirer des renseignements par rapport à la personne, au règne, à la persécution et à la fin de l'Antéchrist. Ces renseignements, il conviendra de les classer sous quatre chefs, les suivants :

Choses certaines,
Choses probables,
Choses indécises,
Choses fantaisistes.

(1) Cet animal extraordinaire, si terrible que Daniel peut à peine trouver des paroles pour le décrire, représente, dans la vision, l'Empire romain. Il succède au lion (Empire chaldéen), à l'ours (Empire médo-perse), au léopard (Empire d'Alexandre) (Daniel, VII.1-7) - Les dix cornes, chiffre rond, représentent des rois ou des royaumes puissants qui se sont formés du démembrement de l'Empire romain par les Barbares. De ces multiples États surgira la petite corne grandissante ou l'Antéchrist.
(2) L'un des esprits célestes

(3) M. de Longpérier, décrivant un dieu assyrien, dit « Les cornes du taureau qui décorent la tiare de cette figure sont un signe de puissance et de gloire... La manière dans les cornes sont rangées à la base de la tiare nous explique de quelle façon le prophète Daniel concevait la disposition des dix cornes du quatrième animal symbolique qu'il vit en songe. (Notice des antiquités assyriennes, p. 30).

(4) Apoc., XVII, 1-18.
(5) Id., XVII, 9-10
(6) S. Augustin, Cité de Dieu, liv. XX, n° 19.