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CHAPITRE PREMIER

 


L'ÉGLISE TRANSFORME ET REND HEUREUSE LA SOCIÉTÉ.

SON ADMIRABLE ÉQUITÉ ENVERS LES JUIFS


I. Importance d'une étude sur l'intervention de l'Église, dans le passé, entre les populations chrétiennes et les juifs. - II. Règle évangélique avec laquelle l'Église a, peu à peu, transformé le monde : Douceur envers les personnes, liberté de parvenir pour le mérite. Aperçu historique de cette progressive et magnifique transformation. - III. Dans quelle mesure l'Église a fait l'application de cette règle évangélique aux Juifs : la douceur dans les procédés à leur égard devra être parfaite ; mais la liberté de parvenir, dans une société éminemment chrétienne, ne peut être, pour eux, qu'imparfaite et limitée.



I



Lorsque nous avons fait ressortir la sagesse et la prudence contenues dans les Lettres patentes de 1784, nous avons signalé, en passant, la haute influence que les conseils de l'Église avaient exercée auprès des rois et des peuples, dans la question des juifs : conseils habituellement écoutés.

Il est capital, au moment où la situation des fils d'Israël va devenir tout autre dans les temps modernes, d'examiner directement et à fond cette intervention de l'Église dans le passé.

En quoi cette intervention a-t-elle consisté ? De quelle manière et en quelles circonstances s'exerçait-elle ? A-t-elle été heureuse pour les juifs ? L'a-t-elle été également pour les nations et les populations ? Les juifs ont-ils eu à se plaindre de l'Église ? Les populations chrétiennes lui doivent-elles de la reconnaissance ? Autant de points délicats, aujourd'hui obscurs, sur lesquels il importe d'avoir des données précises. Lorsque, dans le déroulement de cet ouvrage, on aura vu la Révolution broyer les barrières, et les juifs s'incorporer à la société sans que l'Église soit appelée désormais à s'en mêler il sera plus facile de juger, grâce aux éclaircissements acquis dans les chapitres qui vont suivre, si les juifs, et aussi les nations chrétiennes, out perdu ou gagné à se débarrasser de l'intervention de l'Église.



II



On peut dire que, quand le christianisme se manifesta au monde avec la mission de procurer son bonheur même terrestre, il entra dans la société sous la forme d'un souffle extrêmement doux et suave qui voulait atteindre son but lentement, graduellement, et par cela même sûrement. Le but à atteindre, plein de charité et d'humanité comme le souffle lui-même, était celui-ci : la douceur des mœurs à substituer, en tous lieux, aux mœurs païennes, barbares, sauvages ; et des classes ouvertes pour tous à substituer aux classes fermées, aux castes. En d'autres termes, le christianisme se proposa de refaire une humanité, digne de ce nom, par l'adoucissement des mœurs et la liberté de parvenir.

Étudions un peu ces deux labeurs du christianisme.


I. - La floraison de la douceur ou l'adoucissement progressif des mœurs sous l'action de l'Évangile, est une des plus belles choses qu'on puisse admirer dans l'histoire. On ne mettra jamais assez en relief ce bienfait de la religion chrétienne.

Or, il faut distinguer, par rapport à cet adoucissement des mœurs, quatre époques :

C'est d'abord le vieux monde, la joie suprême, les fêtes et le plaisir public se rattachent à la mort violente on se repaît de l'égorgement de l'homme par l'homme ou par la bête. Dix mille hommes dans l'empire meurent en public pour la fête de Néron. Règne satanique pur.

Puis apparaissent, avec la douce figure du Christ, les temps apostoliques, durant lesquels les semeurs, c'est-à-dire les apôtres et leurs successeurs, jettent en tous lieux les semences de bonté, de miséricorde, de bienveillance contenues dans l'Évangile : Bienheureux les doux, parce qu'ils posséderont la terre. - Il a été dit aux anciens : Tu ne tueras pas. Moi, je vous dis : Ne vous irritez pas et ne dîtes pas à votre frère un mot qui blesse. - Ne condamnez pas, et vous ne serez pas condamné ; remettez, et il vous sera remis. - Les petits, les faibles, relèvent la tête sous cette rosée de lumière ; les forts perdent de leur dureté ; les mœurs deviennent moins cruelles. « Pour nous, » disait un des apologistes des premiers siècles, nous « faisons peu de différence entre tuer un homme ou « le regarder tuer (1). »

Ensuite viennent les peuples du moyen âge, à moitié vaincus par l'Évangile, qui, pourtant, maintiennent la torture pour l'accusé, et l'atrocité des supplices pour le coupable. Règne encore barbare, mais mêlé de l'idée de justice.

Enfin, dans les temps modernes, se produit un épanouissement de bonté dans les mœurs publiques, visible, indéniable. Un éclatant caractère de douceur est venu embellir la face du genre humain, bien que ce monde soit toujours opprimé et souillé par Satan, et que « cet ignoble et stupide esprit, ce satyre homicide, y danse encore, dans le sang et les larmes, sa danse lascive, bête et féroce, qui nous souille et qui nous écrase (2). »

On formule souvent contre le christianisme le reproche de n'avoir pas transformé et adouci plus rapidement les mœurs, tellement que les juifs en tirent l'argument « que le Messie n'est pas encore venu » : attendu qu'il y a toujours des guerres, des cruautés, des atrocités !

Ce reproche est aussi injuste qu'inintelligent.

Il méconnaît, en effet, l'action pleine de tact du christianisme, en même temps que la ténacité des passions et des instincts cruels dans la nature humaine. Pour se faire accepter et parvenir à tout transformer, le christianisme a dû ne rien brusquer. Quand il s'est présenté, il a trouvé en face de lui deux immenses duretés morales : la société romaine, chez laquelle une volupté raffinée s'alliait à la cruauté la plus atroce ; et les barbares du Nord, dont les mœurs féroces faisaient frémir. Nous n'hésitons pas à reconnaìtre que le christianisme a prouvé qu'il était la religion du Messie venu, parce que mêlé à ces deux immenses duretés, à ces éléments cruels, il a produit le miracle d'une société qui, peu à peu, s'est transformée, se montrant, sous son action, d'abord de moins en moins féroce et dure, ensuite de plus en plus douce et miséricordieuse.

Divine manière d'agir et divins résultats ! Le christianisme a commencé par pratiquer ce qu'il voulait obtenir. Pour obtenir l'adoucissement des mœurs, il procéda lui-même avec douceur, ne brusquant rien, mais gagnant toujours en étendue comme fait l'huile.

C'est la seule manière loyale d'expliquer comment le monde a pu passer des époques égoïstes et des siècles de fer où la férocité et l'abus de la force écrasaient tout, à ces époques mixtes où, à côté de la torture et de supplices terribles, on rencontre avec soulagement la chevalerie, la trêve de Dieu, nulle institutions de bienfaisance ;

Et des époques mixtes, à ces temps facorables qui sont les nôtres, où il nous est donné de saluer avec bonheur l'éclosion de ces fruits de lumière et de douceur qui s'appellent :

La dignité de l'homme reconnue ;

L'obligation de le traiter avec égards, de s'adresser à son esprit par la voie de la raison plutôt qu'à soi, corps par le moyen de la violence ;

La controverse soumise à des règles fixes de bonté ;

Les régimes pénitentiaires substitués aux cachots des vieux donjons ;

Et enfin ces mille nuances de compassion et de douceur dans les rapports qui se sont faits jour « à mesure que les conditions se sont égalisées (3) », a t-on dit, « à mesure que le christianisme a égalisé les conditions et dominé les passions », dirons-nous avec plus de justesse, ce semble.

Oui, le christianisme est bien la religion du Messie venu, puisque lentement, mais sûrement, il a adouci universellement les mœurs. L'Église de Jésus-Christ a fait, seule, ce miracle, a obtenu, seule, cet honneur. Le souffle de charité et d'humanité sortant de ses lèvres était le souffle d'une vierge par sa délicatesse, d'une mère par sa miséricorde (4) !


II. - Tout ce qu'on peut dire à la louange du christianisme, à propos de l'adoucissement des mœurs, on doit le répéter, en suivant la même marche, à propos de la liberté de parvenir. Nous n'avons pas résisté à la satisfaction de recommencer la louange. Il est si doux d'être reconnaissant, surtout lorsqu'un aveuglement de dix-neuf siècles a fait, hélas ! méconnaître à tout un peuple les bienfaits de la divine religion chrétienne !

Voici, d'abord, comment s'annonça le principe chrétien : Classes ouvertes ! La pratique païenne, au contraire, avait été celle-ci : Classes fermées, castes !

Rien n'est plus opposé à l'esprit de l'Évangile que les classes fermées ou les castes. Le christianisme veut que n'importe qui, lorsqu'il en est digne et qu'il a rendu des services, puisse passer d'une classe inférieure à une classe supérieure. Cette liberté de parvenir est un souffle venu des rives de l'éternité, alors que le Christ en descendit pour ennoblir, en se faisant homme, toute la nature humaine. Depuis lors, tout homme demeure susceptible d'être de grande race. Le Christ est remonté aux cieux : à sa suite, ses frères, même les plus infimes, peuvent s'élancer dans les régions célestes, à plus forte raison dans les régions sociales. Il a été l'émancipateur universel, le régénérateur universel, l'espérance universelle, la charité universelle ! Il n'a laissé aucune porte fermée, il les a toutes ouvertes, au ciel, sur la terre, et dans les enfers ! Il a créé la liberté de monter et de parvenir.

Tel est le principe. A sa lueur, nous distinguons, comme pour l'adoucissement des mœurs, quatre époques successives.

D'abord le vieux monde, tout est divisé par castes, par catégories, où tout est muré, cantonné, inflexible : les esclaves restent les esclaves, le romain reste le romain, le juif reste le juif.

Puis vient l'époque apostolique ou de transition au monde nouveau, durant laquelle les apôtres et leurs successeurs jettent partout ces idées, ces semences : « Que toutes les âmes naissent égales ; que la personne humaine est une dignité ; que le chrétien surtout est une dignité suréminente ; que l'esclave a droit aux choses sacrées, droit à la famille, droit à la vie et à l'honneur, droit au repos ; que le travail anoblit l'homme et le fait mériter. » À ces accents nouveaux, les esclaves, les bouviers, les laboureurs baisent avec amour leurs instruments de travail, sanctifiés par le Dieu qui souffrit et travailla ; les maîtres et les puissants, fascinés par la douce vision du Christ, s'inclinent avec respect et bonté vers leurs inférieurs : les distances commencent à s'effacer.

Vient ensuite l'époque de floraison ou le moyen âge. La liberté de parvenir est loin d'être établie, son épanouissement est encore bien éloigné, néanmoins quels progrès le préparent Il y a sans doute, à cette époque, les tailles, les corvées, les dîmes, les redevances ; mais, à côté de ces imperfections sociales, n'aperçoit-on pas les corporations, les corps de métiers, les confréries, les franchises, les communes, les villes libres ? Les classes demeurent encore rigidement fermées, le seigneur est cantonné dans son château, et le vilain reste le vilain ; toutefois les classes échangent affection, se prêtent secours, appui de famille. Car la féodalité est dans son fond une véritable et vaste organisation de famille. Le seigneur aide et aime ses gens ; le château protège la cabane ; la richesse sourit à la pauvreté ; et la pauvreté, de son côté, respecte et bénit la richesse protégé et content, l'homme de la cabane multiplie son travail ; peu à peu, il vaincra et transfigurera sa pauvreté. Qui préside à ces progrès, à cette floraison ? L'Église.

Enfin, avec les temps modernes, s'épanouit dans sa magnificence la liberté de parvenir. Toutes les avenues sont libres. De même que sur l'échelle que vit Jacob, les anges montaient et descendaient ; de même, tous les échelons ou degrés de la société sont à la disposition des fils de l'humanité sans exception. Cet état de choses s'appelle l'égalité civile et la liberté politique. À qui revient l'honneur de cet épanouissement ? L'heure présente, qui est celle des ténèbres et du mensonge, répond : à la Révolution. La fin du siècle dira, il faut l'espérer : à l'Église catholique !

Ici revient se placer la même objection déjà mentionnée à propos de l'adoucissement des mœurs : Pourquoi le christianisme, puisqu'il apportait l'égalité et la liberté, a-t-il mis dix-neuf siècles à les réaliser ? La vraie religion peut-elle être si lente dans des résultats de cette importance ?

Il est facile de faire plusieurs bonnes et solides réponses. Nous invitons le lecteur, surtout s'il est israélite, à les méditer.

A. Le christianisme a été lent à faire épanouir la liberté, parce que le Dieu des chrétiens, qui est aussi le Dieu de la nature, a suivi à l'égard de la société chrétienne la même loi qu'il a posée et suivie à l'égard de la nature : la loi de germination ou de progrès, dont les applications sont si magnifiques ! Dans la nature, il y a pour les plantes, d'abord semence et germe, ensuite tige et feuilles, puis fleurs, puis fruits. Pareillement, dans la société chrétienne, il y a eu, à l'égard de la liberté, de l'égalité, d'abord semence, puis élancement, floraison, enfin épanouissement et jouissance. La force catholique a agi au sein de l'humanité exactement comme la sève au sein de la nature, la sève, cette force cachée, mais puissante, qui fait tout germer, fleurir et fructifier. L'une et l'autre travaillent dans un silence divin, silence fécond, qu'on a si bien nommé le silence des bonnes choses, et qui dans l'humanité comme dans la nature, prépare lentement, mais sûrement, les riches floraisons et les créations splendides. Dans la nature, la floraison est tourmentée, à cause des frimas et des tempêtes ; la floraison sociale ne l'est pas moins, à cause des passions. Ainsi s'expliquent les retards de la liberté, qui n'a apparu, comme le fruit sur la plante, qu'après bien des secousses et des épreuves.

B. Le christianisme a été lent à faire épanouir la liberté, parce que Dieu a voulu renouveler pour le royaume messianique, dont 1'Église est chargée, la même marche qu'il a suivie pour l'enfantement messianique, dont la Synagogue fut chargée. Depuis la

vocation d'Abraham à qui le Messie fut promis, jusqu'à la naissance du Messie à Bethléem, il ne s'est pas écoulé moins de deux mille ans : tout ce grands laps de temps employé à préparer son sang, ses ancêtres, sa venue, son enfantement ! Or, est-il étonnant que Dieu ait mis aussi deux mille années à faire épanouir et dilater le royaume messianique, dont la charité, la liberté et l'égalité sont les plus beaux fruits ? Quiconque appartient encore à l'Ancien Testament est-il bien venu à s'offusquer de cette longueur, de cette durée ? Est-ce qu'un royaume à étendre n'est pas chose plus difficile qu'une naissance à produire ? Et cependant pour produire la naissance du Messie promis à Abraham, Dieu a mis deux mille années !

C. Le christianisme a été lent à faire épanouir la liberté, parce que, pour la liberté comme pour l'adoucissement des mœurs, il a voulu ne rien brusquer, ne rien déranger au cours des causes secondes, tenant compte des milieux, des époques, des nations, des races, des intérêts, des caractères, ne les refoulant pas, mais les mettant à profit pour atteindre son grand but. « Le christianisme ne voulut pas tenter de changer le monde par un bouleversement subit ; il eut cette inspiration de se condamner à vaincre lentement, patiemment (5). » Dieu est patient, parce qu'il est éternel : le christianisme aussi. Ses œuvres devant avoir l'éternité pour couronnement, il y met le temps. On est frappé d'admiration, quand on considère avec quel tact, quels ménagements et quelle sûreté l'Église a fait naître et grandir cette double liberté la libre possession de soi-même ou liberté de la personne humaine, et la liberté de parvenir. N'est-elle pas éloquente cette transformation successive, graduée, des esclaves en serfs, des serfs en colons, des colons en propriétaires, des propriétaires en bourgeois, et des bourgeois en ce tiers état qui devait devenir un jour le maître ? Qu'on y regarde de près, l'émancipation et la perfection des peuples ont été obtenues suivant la règle énoncée dans la Bible : suavement et fortement (6), avec délicatesse et sûreté. Tel est, en lui-même et dans son parcours, le souffle d'humanité, venu à nous des rivages divins, dans les pages de l'Évangile. Ce souffle se joue depuis dix-neuf siècles en orbes bienfaisants autour des nations ; et s'insinuant par ces deux belles et saintes choses, l'adoucissement des mœurs et la liberté de parvenir, il fait passer graduellement le monde d'un état de moins en moins dur et égoïste à un état de plus en plus suave et fraternel.



III



Mais cette généreuse conduite du christianisme, « douceur dans les procédés envers les personnes, liberté de parvenir pour le mérite », a-t-elle trouvé également son application à l'égard des juifs ? Ces pauvres gens n'ont-ils pas été, an contraire, mis constamment hors la douceur dans les procédés et hors la liberté de parvenir ? Une réponse précise est importante, tant les jugements des historiens out été erronés, par mauvaise foi ou par défaut derecherches.

Eh bien, non ! le souffle d'humanité apporté par l'Évangile ne s'est pas détourné des pauvres juifs, quoique, d'eux-mêmes, ils se soient tenus à l'écart de la société chrétienne, par hostilité contre elle, et aussi pour mieux pratiquer leur loi juive. Le souffle d'humanité ne les a pas négligés. Englobant tout, il n'a pas expiré à la porte de leurs quartiers à part car, pour le christianisme, la séparation n'existe que de l'autre côté du temps ; ici-bas, partout et toujours, il s'efforce de rapprocher et de réunir !

Des précautions, toutefois, devaient être prises avec eux.

Il est évident, en effet, que l'Église catholique ne pouvait adopter à leur égard les mêmes sentiments de confiance ni la même ligne de conduite qu'à l'égard des peuples acquis par le baptême ou disposé à le recevoir. Il est évident, également, qu'elle avait le devoir de protéger contre leurs hostilités la société chrétienne qui se formait sous ses auspices. Aussi, dès que la jeune société chrétienne fut en voie de formation, la règle de conduite adoptée et décrétée par l'Église à l'égard des juifs fut celle-ci :

Procédés inspirés par la douceur, pour leurs personnes : qu'ils soient parfaits ! Pas de différence entre eux et les autres hommes.

Liberté de parvenir : elle ne peut être, pour eux, qu'imparfaite et limitée.

Cette double règle était éminemment sage.

En effet, pour ce qui concerne les procédés inspirés par la douceur, l'Église raisonnait ainsi : les juifs sont hommes ; ils sont malheureux ; ils sont toujours chers à Dieu, à cause de leurs pères (7). Comment pourrais-je, moi, la mère de miséricorde, manquer de m'apitoyer sur eux, sur leurs misères ? Et comment pourrais-je ne pas user avec eux de tous les procédés, de tous les ménagements qu'exigent leur rang d'hommes, leur situation d'infortunés, d'égarés, leur titre d'ancien peuple de Dieu ?

Ces raisonnements de miséricorde se rencontrent à chaque page de l'histoire de l'Église, toutes les fois qu'il est question des malheureux restes d'Israël.

Mais l'Église ajoutait, relativement à la liberté de parvenir : les juifs peuvent avoir du mérite et des aptitudes incomparables ; mais là n'est point la question. La question est celle-ci :

D'une part la société qui se forme, sous mes auspices, entre les diverses nations devenues des enfants, est une société éminemment chrétienne, essentiellement chrétienne, uniquement chrétienne ;

D'autre part, les juifs persistent à méconnaître Jésus-Christ le Sauveur des hommes et la mission que je tiens de lui ; ils sont les ennemis déclarés du nom chrétien, des mœurs chrétiennes, des lois chrétiennes ;

En conséquence, il ne saurait y avoir pour eux, dans une pareille société, dont j'ai la sollicitude, liberté de monter et de parvenir. Autant vaudrait-il introduire loups dans le bercail, ténèbres dans la lumière, haine dans l'amour.

Par conséquent encore, les précautions les plus attentives doivent être prises pour les arrêter à l'entrée des avenues de la société ; et la vigilance des gardiens ne saurait être trop attentive pour qu'il n'y ait ni surprise de la part des juifs, ni relâchement de la part de ceux qui ont charge de veiller.

Néanmoins :

Attendu que les juifs, dispersés partout, sont, par cela même, mêlés à tout ; que les points de contact ne sauraient être complètement évités entre les chrétiens et eux ; et que, du reste, l'échange de services est également réclamé des deux côtés :

Permission entière aux princes chrétiens et aux populations chrétiennes d'avoir recours aux juifs pour tout ce qui est services convenables, à rendre ou à recevoir. Mais défense expresse et sévère deles introduire dans tout ce qui tient à la constitution même de la société chrétienne. Qu'ils en soient les auxiliaires, puisqu'ils ne peuvent en être les éléments !

Ainsi raisonnait l'Église dans la question délicate des rapports des juifs avec la société chrétienne. Abstraction faite de l'esprit chrétien, il suffit d'avoir l'esprit sensé pour reconnaître que l'Église avait non seulement le droit, mais le devoir d'agir de la sorte. Pleine de miséricorde pour leurs personnes, elle arrêtait leurs pas à l'entrée des avenues qui conduisaient au cœur de la société. Les juifs, du reste, ne s'en plaignaient pas. Ils comprenaient qu'ils étaient inhabiles à remplir des fonctions sociales dans lesquelles la conscience chrétienne avait sans cesse à s'affirmer.

Aux yeux de l'Église, leur situation était assez semblable à celle qu'ils avaient, autrefois, faite eux-mêmes aux Gabaonites. À l'époque de la conquête de la Terre promise sur les peuples de Chanaan, Israël avait reçu de Dieu l'ordre d'exterminer tous ces peuples. Les habitants de Gabaon parvinrent, par un stratagème, à conclure une alliance avec Josué (8). Leur fourberie ayant été découverte, il leur fut fait grâce de la vie, à cause de l'alliance jurée, mais Josué et les princes d'Israël portèrent cet arrêt : « Voici comment nous les traiterons : ils vivront de telle sorte qu'ils seront employés à couper du bois et à porter de l'eau pour le service de tout le peuple. » Un traitement pareil, mais plus adouci, plus honorable - parce que le genre humain a passé sous la Loi de grâce et de miséricorde - sera, dans les vues de l'Église, appliqué aux juifs ils feront le commerce, apporteront les marchandises, seront les serviteurs du peuple chrétien ; en un mot, on leur permettra tous les offices du dehors, mais on leur interdira soigneusement ceux qui regardent l'intérieur de la société chrétienne.

Notons, toutefois, une différence essentielle, admise par l'Église, entre eux et les Gabaonites :

Les Gabaonites ne sont jamais sortis de leur rôle de coupeurs de bois et de porteurs d'eau, tandis que les fils d'Israël sortiront un jour de leur position inférieure pour reprendre le rang de leur ancienne splendeur. L'Église attend, avec une espérance pleine de joie, ce jour de miséricorde, et si elle a été contrainte de les arrêter longtemps, avec sévérité, aux portes de la société, elle leur confiera, quand ils reviendront à Jésus-Christ, son Évangile et sa propre défense.

Ainsi doit être compris, dans ses orbes bienfaisants et aussi dans ses répulsions sévères mais salutaires, le souffle d'humanité et de charité chrétiennes relativement aux juifs. Nous allons le voir maintenant inspirer les faits de l'histoire et arriver, de siècle en siècle, jusqu'au XVIIIe, objet plus spécial de notre étude.




CHAPITRE II



LES PROCÉDÉS PLEINS DE DOUCEUR

ET DE CHARITÉ DONT LES PAPES ET L'ÉGLISE ONT USÉ

À L'ÉGARD DES JUIFS



1. Premier bon procédé : Respect parfait pour leur liberté de conscience et pour l'exercice de leur culte. Preuves touchantes - II. Deuxième bon procédé : Admirable protection dont les Papes les ont environnés, toutes les fois qu'on les massacrait. Imposants et irrécusables témoignages, tirés des seuls auteurs juifs, protestants ou hostiles à l'Église. La même énergie que les Papes ont déployée à défendre le mariage chrétien, ils l'ont déployée aussi à défendre la vie des juifs. - III. Réponse à cette objection que c'étaient des chrétiens, et même des croisés, qui massacraient ainsi les juifs. - IV. Troisième bon procédé : non seulement les Papes s'interposent pour sauver leur vie, mais ils recueillent toujours avec bonté les fugitifs. Rome et Avignon, villes de refuge pour les juifs, lorqu'ils sont malheureux ailleurs.



I



Le premier procédé plein de délicatesse et de mansuétude, de la part de l'Église à leur égard, a été le respect de leur conscience et de leur culte.

Il semble que si pour sauver leurs âmes en faisant cesser leurs ténèbres, l'Église se fût parfois montrée un peu pressante, s'écartant, par tendresse, des règles de la modération, elle eût été excusable. Mais non, l'Église n'a nul besoin d'excuse, parce qu'elle n'est jamais sortie du rôle de révérence, dont Dieu lui donne l'exemple (9). Elle a su concilier et unir, dans une pondération parfaite, la sollicitude de leur salut éternel avec le respect dû à leur liberté de conscience. Puisse notre humble mais approfondi témoignage servir pour la justification de la sainte Épouse de Dieu, en attendant le jugement général !

La situation de l'Église a été d'autant plus délicate, et conséquemment sa conduite d'autant plus admirable que, tandis que les juifs lui opposaient leur obstination, sous ses propres ailes les nations converties du paganisme se montraient souvent fanatiques, empressées, dans leur jeune foi de néophytes encore sauvages, à vouloir communiquer à ces obstinés leurs lumières et leurs consolations. Dès qu'un peuple était converti, il croyait qu'il devait, à son tour, convertir les juifs : et ces têtes dures l'exaspéraient. Aussi, que d'excès commis ! Que de troupes de pèlerins, de croisés enthousiastes, ont cru plaire au ciel, et bien débuter dans leurs entreprises, en forçant les juifs à recevoir le baptême ! Mais l'Église indignée fermait le ciel, en fulminant l'excommunication, à ceux qui voulaient l'ouvrir de la sorte aux juifs. Elle arrêtait les bras armés d'eau bénite, avec autant d'indignation que s'ils eussent été armés du glaive. Et cependant, Dieu sait si elle désire ardemment la conversion et le salut des restes d'Israël !

Pour qu'on puisse facilement juger en cette question des juifs del'admirable conduite de l'Église, pleine tout à la fois de respect pour leur liberté de conscience et de zèle pour leur salut, nous avons tracé deux tableaux synoptiques ils s'éclairent et se complètent l'un l'autre.



PREMIER TABLEAU


DÉFENSES EXPRESSES

PAR LESQUELLES L'ÉGLISE PROTÈGE ET FAIT RESPECTER

LA LIBERTÉ DE CONSCIENCE DES JUIFS

ET L'EXERCICE DE LEUR CULTE.


1. Défense de les forcer à embrasser la religion chrétienne


A. « Il faut les appeler à l'unité de la foi par la douceur, en les persuadant et en leur donnant des avis charitables. La violence est propre à dégoûter ceux que la douceur et la charité attirent. » (Ordonnance de saint Grégoire le Grand.)

Tous les papes ont en soin, à l'occasion, de répéter ces magnifiques termes de saint Grégoire le Grand.

B. «... Quoiqu'ils aiment mieux persister dans l'endurcissement de leur cœur que de chercher à comprendre les secrets de leur Loi et à parvenir à la connaissance du Christ, ils n'en ont pas moins droit à notre protection. Ainsi, comme ils réclament notre secours, Nous les prenons sous l'égide de notre protection.,. Et, suivant les traces de nos prédécesseurs d'heureuse mémoire, de Calixte, d'Eugène, d'Alexandre, de Clément et de Célestin, Nous défendons à qui que ce soit de forcer un juif au baptême, car celui qui y est forcé n'est pas censé avoir la foi. » (Ordonnance d'innocent III)

C. « Nicolas III expédia en faveur des juifs une bulle qui est un rare monument de tolérance dans ces temps de haines et de persécutions religieuses (XIIIe siècle) ; aussi les juifs la conserveront-ils précieusement. On en garde au trésor des chartes, à Paris, une copie sur parchemin qui leur a appartenu. Le Pape rappelle au clergé par cette bulle que la religion chrétienne commande la mansuétude, que c'est là l'exemple qu'ont donné ses prédécesseurs, les Calixte, les Eugène, les Alexandre, les Clément, les Célestin, les Innocent, les honoré. » (DE, PPING, les juifs dans le moyen âge, p. 465.)

D. « De tous les souverains, il n'y en a presque point eu dont la domination ait été plus douce aux circoncis que celles des Papes : ils leur laissent une pleine liberté de conscience. » (BASNAGE, auteur protestant, Hist, des juifs, t. IX, 2e partie, chap. XIX.)


2. Défense de leur ôter leurs synagogues


A. « Le pape Alexandre III, malgré les, troubles qui agitèrent son règne, put protéger les juifs et affermir leurs privilèges... Il défendit qu'on leur ôtât leurs synagogues. Mais en même temps il ordonna qu'ils ne pourraient pas posséder les églises par droit de gage ou de vente. » (BASNAGE, Hist, des juifs, t. MIL chap. XII. - BEUGNOT, les juifs d'Occident, p. 150.)

Saint Grégoire le Grand avait porté la mème défense « Il condamna l'évèque de Terracine, qui avait ôté dans son diocèse une synagogue établie par les lois et qui avait chassé les juifs d'un autre lieu, où ils s'étaient retirés pour prier Dieu. » (BASNAGE, t. XII, chap. XII.)

B. L'historien Basnage, de son temps (XVIIe siècle), écrivait ceci : « Nous avons voulu entrer dans une connaissance plus exacte du nombre et de l'état présent de leurs synagogues dans l'État ecclésiastique. On en compte neuf à Rome, et dix-neuf dans la campagne, trente-six dans la Marche d'Ancêne, douze dans le Patrimoine de Saint-Pierre, onze à Bologne, et treize dans la Romandiole...Ce dénombrement fait voir qu'il y a encore un nombre considérable de synagogues dans le lieu du monde où l'Église romaine règne avec plus d'autorité. » (T. IX, 2° partie, chap. XXXII.)


3. Défense de troubler leurs sabbats et leurs fêtes.


A. « Que personne ne les trouble dans leurs jours de fête, soit en les frappant, soit en leur jetant des pierres ; et que personne ne leur impose pendant ces jours des ouvrages qu'ils peuvent faire en d'autres temps. Ceux qui contreviendraient à ces défenses seront excommuniés. » (Ordonnance d'Innocent III.)

B. « Le peuple d'Italie chargeait en divers lieux les juifs de coups de bâton, et les empêchait à coups de pierre de célébrer leurs fêtes. Ils en portèrent leurs plaintes au Pape Aloxandre III, qui leur accorda sa protection, défendant de les troubler par des insultes dans la célébration de leurs sabbats ou dans l'exercice de leur religion. » (BASNAGE, t. IX, partie, chap. XII.)


4. Défense de bouleverser ou de profaner leurs cimetières


« Urbain Il aima à se rappeler la protection charitable que plusieurs de ses prédécesseurs, les Calixte, les Eugène, les Alexandre, les Célestin, les Innocent, etc., avaient accordée aux Hébreux ; et, comme ce peuple avait invoqué son autorité pour être garanti contre le fanatisme, le Pape Urbain défendit de les maltraiter, de les dépouiller, de profaner leurs cimetières. » (DEPPING, p. 467-468.)

Nicolas III avait fait la même défense. « On accablait ces malheureux de coups de pierre ou de bâton, on déterrait leurs morts, on bouleversait leurs champs de repos. Nicolas III prononça des peines ecclésiastiques contre quiconque profanerait leurs cimetières. » (Ibid., 466.)


5. Défense de changer leurs coutumes


« Aucun chrétien ne doit se permettre de changer leurs coutumes sans jugement légal. » (Ordonnance d'innocent III.)

Presque toutes ces défenses sont accompagnées de cette sanction : sous peine d'excommunication.



SECOND TABLEAU


MESURES PLEINES DE MANSUÉTUDE

LÉGITIMEMENT EMPLOYÉES PAR L'ÉGLISE

POUR ÉCLAIRER LES TÉNÈBRES DES JUIFS ET SAUVER

LEURS AMES




1. La prière du Vendredi Saint


Le Pape et toute l'Église prient pour eux le Vendredi saint, afin que Dieu déchire le voile, passé du visage de Moïse sur leurs yeux, et les illumine. Mais on ne fléchit point le genou en priant pour eux, parce que l'Église veut témoigner l'horreur qu'elle conserve de ce que leurs ancêtres firent dans un semblable jour, en ployant le genou devant Jésus-Christ pour se moquer de Lui. (Missale Rom., fer. VI, in Parasc.)


2. Les prédications


Elles étaient de deux sortes : facultatives, imposées.

A. Prédications facultatives. Par exemple, celles de saints Vincent Ferrier. « C'était en 407 : ledit saint vint à la première métropole de l'Espagne, Tolède, et obtint en un seul jour la conversion de 4000 juifs. Leur principale synagogue fut dès lors transformée en église, et la juiverie, qui avait eu le plus d'importance peut-être dans tous les royaumes espagnols, fut réduite à un petit nombre d'incrédules... Le nombre total des convertis dans les royaumes d'Aragon, Valence, Majorque, Séville et Barcelone, de l'aveu de Rabbi Isahak Cardoso, dépasse 15000, Dans les provinces de Castille, le résultat de la prédication ne fut pas moins heureux, et il atteignit peut-être un chiffre égal. L'apparition de saint Vincent Ferrier devant le peuple juif fut un fait vraiment prodigieux. » (Bréviaire de Valence, édit. de 1533. - Les Juifs d'Espagne, par MAGNABAL, p. 89-90. - Vie de saint Vincent Ferrier, par le Père RANZAN, dans les Acta sanctorum, 5 avril.)

B. Prédications imposées. - Par exemple, celles qui leur étaient faites à Rome, comme complément de l'hospitalité accordée par les papes, « Grégoire XIII ordonna en 1584 de faire toutes les semaines un sermon pour les instruire. Un habile homme devait être choisi pour cela, et prouver que le Messie est venu ; que Jésus-Christ est ce Messie qui a aboli la Loi, et s'étendre sur la longue misère que cette nation souffre depuis dix-sept cents ans. Il obligeait le tiers des juifs de Rome d'assister tour à tour à cette prédication. » (BASNAGE, t. IX, 2e part., chap. XXXII. -BEUGNOT, les Juifs d'Occident, p. 174.)


3. Les controverses publiques


Par exemple :

A. Le fameux Congrès de Tortose en Espagne (1413). Ce furent des conférences publiques où un savant rabbin converti, Jérôme de Sainte-Foi, assisté de plusieurs théologiens chrétiens, disputa avec quatorze rabbins juifs sur la venue du Messie. Il y eut soixante-neuf séances, sous la présidence de l'antipape Benoît XIII ; saint Vincent Ferrier et une foule de prélats y assistèrent. On fit assaut d'érudition, de part et d'autre. Tous les rabbins, à l'exception de deux, reconnurent la vérité chrétienne et reçurent le baptême. Plusieurs milliers de leur coréligionnaires suivirent leur exemple (10). (RODRIG. DE CASTRO, Biblioth. espan., art. Jehosua Halorqui, p. 203-227. -MAGNABAL, les Juifs d'Espagne, p. 90-103.)

B. La lecture et l'explication de la Somme de saint Thomas d'Aquin convertit Salomon, fils de Lévi, qui prit le nom de Paul de Burgos, Il embrassa l'état ecclésiastique après la mort de sa femme. Ses talents et sa grande érudition, comme aussi son zèle pour la propagation de la vraie religion, motivèrent sa nomination à des places importantes. Il fut précepteur de Jean II, roi de Castille, puis archidiacre de Trévigno, évêque de Carthagène, et enfin évêque de Burgos. Il mourut, dit-on, patriarche d'Aquilée en 1435, à l'âge de quatre-vingt-deux ans, après avoir publié

un grand nombre d'écrits eu faveur de la religion.

Les trois fils de Paul de Burgos, baptisés avec lui, se rendirent également recommandables par leur mérite. Le premier, Alphonse, devint évéque de Burgos, siège que son père avait déjà occupé. Le second, Gonzalve, fut évêque de Placentia. Le troisième, Alvarès, resté laïque, publia une savante et belle histoire de Jean II, roi de Castille et élève de son père. (RODRIG. DE CASTRO, Biblioth. espan., art. Selomoh Halevi. - PAULUS DE SANCTA MARIA, Scrutinium Scripturarum, incunable, écrit par Paul de Burgos lui même.)


4. L'étude de l'hébreu encouragée

par les Papes dans les Académies chrétiennes

comme moyen de mieux évangéliser les juifs.



A. « Les saints et zélés vicaires du Bon Pasteur divin ont toujours recommandé aux missionnaires chargés d'évangéliser les juifs, d'étudier l'hébreu, regardant la connaissance de cette langue comme un des meilleurs moyens de ramener Israël, ce fils prodigue, dans la véritable maison de son père... »

« Le célèbre grammairien Rabbi Elie Hallévi, ou Levita, fut accueilli avec distinction, et richement entretenu dans la capitale du monde chrétien. Les plus éminents princes de l'Église se faisaient ses disciples dans la langue hébraïque, entre lesquels le cardinal Gilles se distinguait par ses progrès dans l'hébreu, et par ses générosités envers le grammairien juif, qu'il a gardé. avec sa famille, pendant dix ans dans son palais. (DRACH, Harmonies entre l'Église et la Synagogue, t. I, p. 209-15.)

B. Clement V ordonna qu'il y aurait dans toutes les académies des professeurs pour apprendre l'hébreu, et faire des élèves qui pussent disputer contre les juifs et les instruire, après avoir appris leur langue, leurs rites et la méthode nécessaire pour les convaincre. (BASNAGE, t. IX, 2e part., chap. XIX.)


5. L'établissement d'un catéchuménat



Saint Ignace commença le catéchuménat tel qu'il se voit encore à Rome. Les Papes l'entourent de la plus vive sollicitude.

« Sous Paul IV se fit l'établissement d'une maison, où tous ceux qui se convertissaient étaient nourris et logés. » (BASNAGE, t. IX, 2° part., chap. XXXII.)


6. Le respect de leurs livres mosaïques

mais la condamnation et la destruction des

exemplaires du Talmud



1. Respect des livres mosaïques.

A. Lorsque le Pape Innocent II vint à Paris, tout le peuple se pressa en foule sur ses pas il n'y eut pas jusqu'à la communauté des juifs qui ne fût l'attendre, en lui présentant les livres de la Loi recouverts d'un voile, selon l'usage ; ce qui fit dire au Pape, en s'adressant à eux : « Que Dieu enlève de vos cœurs le voile qui les couvre. » (D. BOUQUET, Rec. des hists. de France, t. XII, p. 58. - BÉDARRIDE, Hist. des juifs, p. 129.)

B. Voici une des cérémonies de l'installation des Papes. « Les juifs de Rome sont obligés de les attendre sur le chemin de Saint-Jean de Latran, et de leur présenter un exemplaire de la Loi. Le Pape leur répond : « Je vénère la Loi que vous avez reçue de Dieu par Moïse ; mais je condamne l'explication que vous lui donnez, parce que vous attendez le Messie que l'Église apostolique croit être Jésus-Christ, Notre-Seigneur qui vit et règne avec son Père et le Saint-Esprit. » (CANCELLIERI, Storia de solemni possessi. Rome, 1802, p. 223, note. - DEPPING, p 133. - BASNAGE, t. IX, 1° partie, chap. XII.)


2. Condamnation et destruction des exemplaires du Talmud.


Bien souvent les Papes, et sur leur demande les rois chrétiens, firent brûler les exemplaires du Talmud, saisis dans les synagogues ou dans les demeures des israélites. Cette mesure n'était-elle pas en contradiction avec ce que nous avons loué plus haut, le respect parfait des Papes pour l'exercice du culte israélite ?

Au premier abord on est tenté de répondre oui ; mais on donne bien vite son approbation à la mesure pontificale, si l'on réfléchit que la destruction du Talmud était dans l'intérêt du vrai Judaïsme lui-même, c'est-à-dire du Mosaïsme : les Papes faisaient disparaître, le Talmud pour procurer aux israélites la recouvrance du Mosaïsme, comme on lave de grossières peintures surajoutées à une toile, pour retrouver le chef-d'œuvre d'un maître, ou comme on enlève des scories pour retrouver les feux d'une pierre précieuse.

En effet, que renferme le Talmud dans ses douze volumes in-folio ? et quel a été son rôle au sein des communautés juives ?

Plein de questions scientifiques, cérémonielles et casuistiques. mais vide ou à peu près vide de questions dogmatiques et surtout messianiques, ce livre funeste n'a été tant vanté par l'Esprit de mensonge qu'en raison de ce seul but détourner l'attention des pauvres juifs de l'étude des vitales questions de la Bible par rapport au Messie. Sombre mais savante diversion, le Talmud eu résumé n'est pas autre chose. Aussi il n'est pas étonnant qu'à côté des catholiques, les protestants et les israélites eux-mêmes aient porté les jugements suivants


A. JUGEMENT CATHOLIQUE sur le Talmud « Au lieu de vous exposer le sens des propbéthies, disait un Père de l'Église aux israélites de son temps, vos maîtres s'abaissent à des niaiseries ils s'inquiètent beaucoup de savoir pourquoi il est parlé de chameaux mâles dans tel ou tel endroit, pourquoi telle quantité de farine ou d'huile entre au juste dans vos oblations. Ils recherchent avec un soin religieux pourquoi un alpha fut ajouté au nom primitif d'Abraham, et un rau à celui de Sara. Voilà l'objet de leurs investigations. Quant aux choses importantes et vraiment dignes d'étude, ils n'osent pas vous en parler, ils n'entreprennent pas de les expliquer ; ils vous défendent de nous écouter quand nous les interprétons. » (DIALOGUE DE SAINT JUSTIN AVEC TRYPHON.)

B. JUGEMENT PROTESTANT : « Les jeunes rabbins élevés à pareille école (de subtilités interminables et ridicules) en reçurent l'empreinte indélébile. De cet impitoyable laminoir leur esprit ressortit aplati, mais endurci, avec un tour particulier qui ne leur permettait plus de penser et de sentir comme les autres hommes. » (ALBERT RÉVILLE, le Peuple juif et le Judaïsme au temps de la formation du Talmud.)

C. JUGEMENT ISRAÉLITE : « C'est aux talmudistes que dans leur exil, les juifs doivent l'étouffement de tout esprit d'indépendance spirituelle, de toute raison philosophique... Depuis que le Talmud, ce livre de plomb, pèse sur Israël, les juifs n'ont plus d'histoire. » (ALEXANDRE WElL, Moïse et le Talmud, p. 338.)



CONCLUSION

En faisant saisir et disparaître les exemplaires du Talmud, les Papes non seulement n'ont point porté atteinte à la belle religion de Moïse, mais lui ont rendu service.

Ces deux tableaux, rapprochés l'un de l'autre, ne prouvent-ils pas d'une façon éloquente que l'Église catholique est, à la fois, la plus haute école de respect pour la liberté de conscience, et la mère la plus anxieuse pour le salut des âmes ?



II



Un second procédé plein de compatissante charité a été : l'admirable protection dont les Souverains Pontifes les ont toujours environnés, toutes les fois qu'on les massacrait.

Ah ! qu'elles ont été fréquentes, et de tous les pays, les colères des rois et des peuples contre les juifs ! Constante aussi, et dans tous les pays, apparut l'intervention des Souverains Pontifes et des Évêques. L'Église ne faillit pas à sa mission d'arc-en-ciel. Dans ces moments de colère, elle protégeait les infortunés ; elle les prenait ouvertement sous sa protection, lançait même l'anathème contre leurs bourreaux qui étaient des chrétiens et ses propres enfants, mais dont elle réprouvait les excès. Il y a un livre qu'il est impossible de lire sans verser des larmes, surtout si l'on est isaélite ; son titre est : la Vallée des pleurs (11). Toutes les souffrances des dispersés d'Israël y sont rassemblées et détaillées ; il semble qu'on entende le bruit des gouttes de sang invoquées au pied du Golgotha, que son sang retombe sur nous et sur nos enfants ! Des plaintes amères s'élèvent des pages de ce livre, contre la religion chrétienne. Mais ces plaintes se trompent dans leur direction. La religion du Christ n'a jamais commis pareilles horreurs. Elle a condamné les chrétiens qui les ont commises, et secouru avec pitié et tendresse les israélites qui en ont été les victimes.


Les témoignages de cette miséricordieuse conduite de l'Église abondent. Car ce n'est pas de sa part une intervention passagère, c'est une conduite constante, qui fait partie de sa note de sainteté. L'Église est sainte parce que, condamnant le meurtre autant que la souillure, elle a sauvé aussi les israélites. Les Papes ont été des sauveurs d'Israël.

Afin de justifier la sainte et charitable Église, et afin de renseigner en même temps avec exactitude les israélites, nous avons rassemblé des témoignages indéniables. Ils ont d'autant plus de poids, qu'ils ont été uniquement recueillis d'auteurs protestants, ou israélites, ou, encore, hostiles à l'Église.


PREMIER TÉMOIGNAGE


À PROPOS DU LUGUBRE ÉPISODE DES JUIFS

BRULÉS À STRASBOURG DANS LEUR PROPRE CIMETIÈRE.

(V. ci-dessus, Ier livre, chap. VI.)


« Le peuple les traîna à leur propre cimetière, et les y brûla... Le Pape fut le premier qui, au milieu de ces carnages, se prononça contre les insurrections populaires. Quelques souverains d'Allemagne se prononcèrent comme le Pape. L'empereur écrivit aux magistrats de Strasbourg pour se plaindre de la conduite cruelle de cette ville. » (DEPPING, auteur hostile à l'Église, les Juifs dans le moyen âge, p, 270-272.)


DEUXIÈME TÉMOIGNAGE


À PROPOS DUN MASSACRE DE JUIFS, PROJETÉ EN ESPAGNE

PAR FERDINAND, ROI DE CASTILLE.


« Ce prince, ayant déclaré la guerre aux Sarrasins, crut devoir commencer les opérations par le massacre des juifs le peuple et l'armée étaient entièrement de cet avis, mais les évèques eurent le courage de s'y opposer : ils réussirent. » (BEUGNOT, auteur hostile, les Juifs d'Occident, 1re partie, p. 200.)


TROISIÈME TÉMOIGNAGE


À PROPOS DE LA FUREUR DES CROISÉS CONTRE LES JUIFS.


1° « Les Croisades, qui dans les autres États de l'Europe furent le signal du massacre des juifs, n'eurent pas dans l'Italie des résultats aussi funestes on le doit à Alexandre II, qui les garantit de toute persécution. Ce sage pontife fit retentir sa voix en France et en Espagne, plaidant la cause des juifs opprimés, avec toute l'onction d'un sage et toute l'autorité d'un chef de l'Église. (BEUGNOT, 1re partie, p. 152.)

2° « Grégoire IX, ayant appris qu'on massacrait les circoncis en divers lieux, lorsqu'on se préparait au voyage de la Terre-Sainte, empêcha ces exécutions barbares. » (BASNAGE, auteur protestant, Hist. des juifs, t. IX, 2e partie, chap. XIX.)

3° « À Rouen, les gens qui devaient aller en croisade dirent un jour entre eux « Nous allons faire un voyage immense pour combattre dans l'Orient des ennemis de Dieu, tandis que nous avons sous les yeux les plus grands ennemis que Dieu ait jamais eus. » Ils conclurent qu'il fallait d'abord massacrer les juifs avant de partir pour la Terre-Sainte, et un faux raisonnement fut la cause des massacres effroyables qui ensanglantèrent de nouveau le sol de la France. Cette froide cruauté respire encore dans le récit des historiens du moyen âge. L'un d'eux raconte, avec un sang-froid qui fait frémir, que les croisés, avant de se mettre en route, attaquèrent les juifs, les contraignirent de croire en Jésus-Christ, égorgèrent ceux qui s'y refusaient, et les envoyèrent aux enfers ; ce qui, dans une vieille traduction française, est rendu ainsi : « Et cel qui ne voudront croire furent occis et commandez as déables. » Les excommunications, lancées par les prêtres, ne purent empêcher ces horreurs... Le Pape Alexandre écrivit à cette époque au vicomte et à l'évêque de Narbonne, pour louer l'un d'avoir empêché le massacre des juifs de la contrée, et pour rappeler à l'autre que Dieu ne se plaît point dans l'effusion du sang. Il est remarquable que ce soit dans l'histoire des juifs que plusieurs Papes se montrent sous le jour le plus chrétien.. » (DEPPING, p. 125-127.)

4° « À Spire, ils se défendirent courageusement, et surent intéresser à leur protection l'évêque, qui fit mettre à mort quelques chrétiens coupables. » (Ibid., p. 128.)

5° « Ce fut un moine, Radulphe, qui, prêchant la croisade dans les pays du Rhin, excita le peuple ou plutôt la populace contre les juifs. Ceux-ci se réfugièrent, de Cologne, Mayence, Worms, Spire et Strasbourg, dans les villes du roi de Germanie, où de pareilles horreurs n'étaient pas tolérées. Il fallut que saint Bernard, pour faire cesser les cruautés des chrétiens, exhortat les évêques de Franconie et de Bavière à s'opposer à ces exécutions sanguinaires, et qu'il se rendît en Allemagne pour engager le fanatique Radulphe à remettre le glaive dans le fourreau, à retourner dans son couvent, et à cesser d'ameuter la populace. » (Ibid., p. 120.)

« Le clergé catholique surtout, à l'exemple des Souverains Pontifes, s'est toujours comporté avec une bienveillante tolérance envers les israélites. Pendant les plus épaisses ténèbres et les fureurs du moyen âge, il s'est déclaré le protecteur des juifs persécutés. Saint Bernard, après avoir prêché la croisade, prêcha contre les croisés qui commençaient leur campagne pal' ties violences exerçées contre les ennemis de la Croix en Europe. Non content d'écrire en faveur des juifs les lettres pathétiques qu'on trouve encore dans ses Œuvres, il courut en Allemagne pour les protéger plus efficacement au moyen de l'ascendant qu'il exerçait par sa réputation, son savoir et ses éclatantes vertus. » (Le rabbin DRACH, Harmonie entre l'Église et la Synagogue, t.1, p. 235-236.)


QUATRIÈME TÉMOIGNAGE


À PROPOS DE L'APPARITION DES PASTOUREAUX

ET DE LEUR FRÉNÉSIE CONTRE LES JUIFS.


1° « Clément V fut leur protecteur contre la violence des pastoureaux, qu'il excommunia. Mais les foudres de 1'Église firent peu d'impressions sur des mutins ; et les juifs eurent l'honneur de compter un Pape au rang de leurs défenseurs, sans recueillir aucun fruit de sa protection. » (BASNAGE, t. IX, 2e partie, chap. XIX.)

2° « L'apparition des pastoureaux fut un assemblage singulier de bergers et de paysans qui, ayant quelques fanatiques à leur tête, se répandirent comme un torrent à travers la France. Les juifs devinrent les victimes de l'exaltation de ces hommes grossiers... Les massacres furent affreux dans toute la Gascogne ; à peine quelques malheureux juifs purent-ils se sauver en Espagne, où bientôt la même rage éclata. En vain le Pape, pour protéger les juifs. prononça l'anathème contre les pastoureaux ; ses foudres furent méprisées. » (DEPPING, p. 259.)

3° « Si l'on en croit un historien juif, cent vingt communautés juives furent entièrement détruites dans le midi de la France. Dans la Gascogne, à CastelSarrasin, Bordeaux. Agen, Foix, les juifs furent impitoyablement massacrés ; un grand nombre d'entre eux s'étaient réfugiés dans un château fort, sur la Garonne. Ils soutinrent un siège ; mais bientôt ils furent obligés de céder au nombre des assaillants, et ils aimèrent mieux se donner la mort les uns aux autres que de tomber vivants outre les mains de leurs persécuteurs. Cependant le Pape fit tous ses efforts pour empêcher ces désordres ; il prononça l'excommunication. » (BÉDDARIDE, auteur israélite, Hist. des juifs en France, en Italie et en Espagne, p. 204-5.)


CINQUIÈME TÉMOIGNAGE


À PROPOS DE L'ACCUSATION

D'AVOIR EMPOISONNÉ LES FONTAINES ET LES RIVIÈRES

ET DES HORRIBLES MASSACRES DE JUIFS

QUI S'ENSUIVIRENT.



1° « Clément VI les secourut d'une manière éclatante. La persécution qu'on leur faisait, était souvent un feu qui, s'allumant au bout d'un royaume, enflammait non seulement les provinces, mais les États voisins, et brûlait toujours avec une violence terrible. Le prétexte de celle-ci, qui fut presque générale, était le poison qu'ils avaient jeté dans les fontaines et dans les rivières, pour faire mourir tous ceux qui en boiraient. Ceux qui examinent la chose de sang-froid, reconnaissent qu'il est impossible d'empoisonner ainsi les rivières. Mais il n'importe. Il mourut bien des gens cette année-là ; et il fallait que les juifs fussent coupables de cette mortalité. On les massacra en Espagne, et en Allemagne, où le mal avait commencé. Il en périt douze mille dans la Bavière. Les villes impériales se firent des ponts et des tours des ruines des maisons qu'ils avaient abattues, dont le nombre devait être par conséquent considérable. Les uns, réduits au désespoir, se laissèrent écraser sous les maisons qu'on abattait, et les autres s'y brûlaient eux-mêmes, afin d'éviter de tomber entre les mains de ces impitoyables chrétiens. Clément VI, au milieu de tous leurs persécuteurs, fut leur père et leur consolateur. Il fit ce qui dépendait de lui pour arrêter le cours d'une fureur si grande. Les historiens et les écrivains de cc temps-là l'accusèrent d'avoir sauré les restes de cette nation par avarice plutôt que par charité ; mais il accusait à son tour les persécuteurs de n'agir si violemment que pour s'enrichir en pillant le bien d'autrui ; et peut-être que tout le monde avait raison. » (BASNAGE, auteur protestant, t. IX, 2e part., chap. XIX.)

2° « il était digne du Saint-Siège de s'élever contre de pareilles horreurs. Le Pape comprit sa mission ; il publia une bulle dans laquelle il s'efforçait de prouver que les juifs avaient été victimes du fléau comme les chrétiens ; mais que pouvaient des raisonnements sur un vulgaire aveuglé par le fanatisme ? » (BÉDARRIDE, auteur israélite, p. 268.)

3° « Le peuple accusa d'une voix commune et simultanée dans presque tous les pays les juifs d'avoir empoisonné les rivières et les fontaines, et même d'avoir empesté par des conjurations et des opérations magiques. Bientôt les accusations les plus extraordinaires furent accréditées. En vain, les juifs firent venir les médecins les plus habiles, pour prouver que les eaux n'étaient point empoisonnées, et que le mal était la peste : un peuple en fureur ne peut raisonner. Les souverains, et même quelques prélats, auraient voulu sauver les malheureux persécutés ; mais ils reconnurent le danger de s'opposer aux éruptions violentes du désespoir d'un peuple exaspéré. Les juifs furent égorgés. »

« Le Pape fut le premier qui au milieu de ces carnages se prononça contre les insurrections populaires, et chercha à éclairer la multitude égarée, au sujet de la prétendue conspiration des juifs contre la chrétienté : il fit voir que les juifs avaient été victimes de la peste conme les chrétiens ; il enjoignit aux archevêques, évêques, et à toutes les autorités ecclésiastiques, de contenir les furieux et de punir des peines de l'Église ceux qui désobéiraient. » (DEPPING, p. 263-264, 271.)


SIXIÈME TÉMOIGNAGE


À PROPOS DE MASSACRES DE JUIFS EN BRABANT

ET SUR LES BORDS DU RHIN.



1° « Dans le Brabant, une tourbe frénétique vint assiéger Genappe où, en 1308, le duc Jean II avait permis aux Israélites d'habiter. Ce prince eut assez de fermeté pour défendre son ouvrage. Il repoussa vigoureusement les fanatiques dont plusieurs périrent sous le glaive de ses gens d'armes. Les autres allèrent l'accuser d'être de connivence avec les juifs auprès du Pape à Avignon ; mais la cour pontificale approuva la rigueur ou plutôt la justice du duc de Brabant. » (DEPPING, p. 261.)

2° « On se remettait du désordre que les pastoureaux avaient jeté dans la société, quand un Allemand fanatique, nommé Armleder, aubergiste de village, souleva en 1437 le peuple des bords du Rhin contre les juifs. La populace immola à sa fureur aveugle les malheureux qu'elle put saisir. À Trèves, pourtant, l'archevêque et les bourgeois rivalisèrent de zèle pour protéger les juifs contre les insensés qui massacraient et pillaient dans le quartier israélite. L'archevêque fit valoir sa juridiction et restitua ce qu'on avail enlevé aux persécutés. Ces actes decourage ou, si l'on veut, de justice, sont assez rares pour que l'histoire doive les consigner avec éloge dans les fastes du moyen âge. » (DEPPING, p. 261-262.)


Au cours de ces témoignages, nous jugeons une interruption nécessaire et bien placée à cet endroit, tant pour faire admirer la magnanimité des Pontifes romains et du clergé catholique que pour répondre à une objection qui a dû certainement se présenter l'esprit du lecteur.

D'abord, l'admiration.

Ces Papes et ces évêques qui se lèvent invariablement, les uns après les autres, à plusieurs siècles de distance et sur tous les points du territoire catholique pour défendre la vie des juifs en danger, pour réprouver les égorgements et les égorgeurs, n'est-ce pas admirable ? N'est-ce pas un signe que là où se trouve une si constante et invariable charité, doit se trouver aussi la vérité ? L'erreur est-elle ainsi fidèle à la bonté et à la mansuétude ? N'est-elle pas, an contraire, implacable, se réjouissant de la disparition de ses adversaires ? Une plume ingrate a écrit : « Que si les Papes avaient conservé les juifs, c'était dans un but intéressé, pour qu'ils puissent servir de preuve vivante de la vérité du christianisme (12), » sotte méchanceté qui mesure sur son propre cœur celui des Pontifes catholiques, mais qui ne réussit qu'à mettre en relief leur ineffable charité ! Quiconque voudra être sincère s'inclinera devant cette charité et devant nos témoignages puisés à des sources non suspectes. Il y a dans l'histoire de l'Église, sur la magnanimité et l'énergie des Pontifes romains, deux attestations splendides et qui se font, en quelque sorte, pendant l'une à l'autre : leur attitude lorsqu'il s'agit de défendre le sacrement de mariage, et leur attitude lorsqu'il s'agit de défendre la vie des juifs. La pauvre épouse, injustement répudiée, et le pauvre juif, injustement menacé : deux faiblesses qu'ils couvrent de leur majesté et de leur puissance, aux époques de barbarie. À qui, en effet, la loi du ma mariage, ce palladium de la société, doit-elle de n'avoir pas été faussée, pervertie, mise en pièces au milieu de la corruption et de la violence qui dominaient partout, tant à l'époque du Bas-Empire et de l'invasion des Barbares qu'à celle des siècles de fer ; à qui le doit-elle ? Aux Pontifes romains. La doctrine catholique sur le mariage était celle-ci : un seul avec une seule et pour toujours. Ni les promesses ni les menaces ne parvenaient à ébranler le Pape. La pourpre des Césars ne l'effrayait pas plus que le regard terrible des rois chevelus. « Que serait-il arrivé, dit un éloquent apologiste, si ces rois barbares, mal déguisés sous la splendeur de la pourpre, si ces fiers seigneurs fortifiés dans leurs châteaux et environnés de vassaux timides, n'avaient trouvé une digue dans l'autorité de l'Église ; si, au premier regard jeté sur une beauté nouvelle, à la première ardeur qui se serait réveillée dans leur cœur et leur aurait inspiré le dégoût de leur légitime épouse, ils n'avaient rencontré le souvenir toujours présent d'une autorité inflexible ! Ils pouvaient bien accabler un évêque de vexations, le faire taire par crainte ou promesses, extorquer les votes d'un concile particulier, se faire un parti par les menaces ou l'intrigue ; mais dans le lointain leur apparaissait le faite du Vatican : cette vision terrassante anéantissait toutes leurs espérances. Ils sentaient que la lutte la plus acharnée ne leur aurait jamais donné la victoire. Leurs intrigues, leurs supplications, tout se serait brisé contre cette réponse : un seul avec une seule et pour toujours (13). »

Eh bien, l'ombre du Vatican s'est étendue, non moins protectrice, sur la vie des juifs. Même intrépidité de la part des Pontifes romains, même indignation, même indomptable énergie, lorsqu'ils apprennent que des massacres commencent. La peste éclate : « Les juifs sont les empoisonneurs, » crie un peuple en délire, et les juifs sont immolés par milliers. Mais une voix domine la tempête, c'est la voix du souverain Pontife. « Défense, s'écrie Clément VI, défense à tout chrétien d'imputer aux juifs des crimes dont ils ne sont pas coupables ; défense d'attenter à leur vie ; défense d'attenter à leurs biens ; défense d'exercer contre eux aucune violence sans l'ordre et la sentence des juges légitimes. » La fureur de la populace, un instant calmée, se rallume avec le fléau ; mais Clément, une seconde fois, se lève : « Non ! les coupables ne sont pas les juifs ; rien ne prouve leur crime, mais vos meurtres sont détestables. Si vous les surprenez en faute, que vos tribunaux rendent justice ; sinon, que tout évêque se dresse, et qu'au nom du Saint-Siège il lance les foudres de l'excommunication contre quiconque ose inquiéter un juif. »

Ô peuples européens, vous devez une reconnaissance éternelle aux Pontifes romains de vous avoir conservé, aux époques de barbarie, la sainteté du mariage ; et toi, ô peuple d'Israël, tu leur dois d'avoir conservé la vie de tes enfants !

Mais voici l'objection.



III



« Ceux qui massacraient les juifs étaient des chrétiens, et même des croisés. Si les Papes se sont interposés, il ne reste pas moins acquis que ce furent leurs fidèles, les disciples du christianisme, qui tenant la croix d'une main, plongèrent de l'autre le fer dans le sein de malheureux sans défense, égorgèrent jusqu'aux femmes, aux vieillards et aux enfants. »

Telle est l'objection, répétée sous cette forme ou sous une autre, par tous les historiens juifs, et avec quelle éloquence ! Cela se comprend.

Puis, passant du particulier au général, ils ajoutent : « N'est-il pas juste, alors, de conclure que la religion chrétienne s'est montrée sanglante, terrible pour les israélites, et qu'on a bien tort de tant « vanter la douceur évangélique ? »

Nous répondons :

Les Papes étaient seuls, comme souverains Pontifes, les représentants vrais de la religion chrétienne, son expression et son organe, et non pas tel ou tel moine furibond qui excitait au massacre, et que l'excommunication pontificale savait atteindre et punir. Par conséquent, la religion chrétienne doit être jugée uniquement d'après la conduite indignée et généreuse des pontifes qui volaient an secours, et non d'après les mains sanglantes de croisés indignes.

Empêcher qu'on ne continuât l'effusion du sang, qu'on ne dénaturât la religion du Christ, voilà ce qui était possible, et les Papes l'ont accompli. Mais ils n'ont pu empêcher deux choses, et le lecteur, après les avoir méditées, trouvera l'occasion, en les comprenant, d'admirer encore davantage et l'intervention miséricordieuse des pontifes et l'innocence de la religion chrétienne au milieu de ces sanglants désordres.

I. - La première chose que les Papes ne pouvaient empêcher, c'était l'apparition et l'irruption des passions humaines chez les peuples de l'Europe, alors même qu'ils étaient devenus chrétiens. Les passions sont le triste lot de notre nature humaine viciée, son infatigable et effrayant produit : effrayant, parce que là où on croit n'avoir à traiter qu'avec la vertu, on se trouve tout à coup en face de la passion qui défigure et compromet l'œuvre vertueuse. La religion qui est divine fait qu'on a des idées sublimes, et la nature humaine qui est viciée fait que des passions viennent se mêler à ces idées. De là, dans les entreprises les plus saintes, ce combat gigantesque, qui est de tous les siècles, entre les idées qui sont belles, et les passions qui souvent bouleversent et assombrissent les nobles entreprises suscitées par les idées. C'est comme une belle âme qui serait en lutte pour n'être pas unie à un corps difforme, avec lequel elle finit par accomplir des chefs-d'œuvre en se servant de lui. Cet antagonisme des idées et des passions constitue le tourment de l'humanité, mais aussi son mérite. Or, dans cet antagonisme, les papes bénissent les idées et les entreprises qu'elles font naître, mais ils condamnent les passions.

Les croisades sont un exemple très instructif de cette lutte entre les idées et les passions, et de la conduite des Papes dans cette lutte.

En effet, au point de vue religieux comme au point de vue politique et social, les croisades ont été la plus vaste entreprise des nations chrétiennes de l'Europe : un grand acte de foi et un chef-d’œuvre de politique. Qu'on vénère, ou non, le Saint-Sépulcre, on est obligé de leur reconnaître ce résultat ; la philosophie de l'histoire a porté, sur cette cause, un jugement irréformable (14).

Les juifs cependant disent : « Les croisades furent pour nous une source continuelle d'infortunes : les croisés s'essayaient, sur nos personnes, à massacrer les infidèles (15). »

Comment concilier ces deux jugements opposés.

La différence que nous avons établie entre les idées et les passions rend possible cette conciliation ; elle permet de respecter, d'admirer la grande entreprise chrétienne, et néanmoins de ne pas trouver blâmables les larmes amères des pauvres juifs, même leurs critiques amères.

Les croisades, en effet, furent une idée sainte et grande. Les massacres qui se commirent à l'occasion des croisades furent le résultat des passions, de ces tristes passions qui forment toujours un fatal cortège aux plus nobles idées.

Les Papes ont béni les croisades, favorisé la grande idée, la sainte entreprise, et ils ont stigmatisé les passions, réprouvé les égorgeurs.

N'est-ce pas ainsi qu'il faut juger ? N'est-ce pas séparer, de la sorte, le bon grain de la paille ? Cette séparation en histoire est très importante, si l'on veut voir clair et être impartial, si l'on veut rendre à la religion ce qui appartient à la religion, et aux passions ce qui appartient aux passions. Il est manifeste que les Papes ne pouvaient empêcher l'apparition et l'immixtion des passions ; mais ils pouvaient les combattre, les poursuivre, les circonscrire, en atténuer l'effet, les anathématiser : ils n'y ont pas manqué, et les israélites eux-mêmes, le reconnaissant, les ont bénis.

II. - Une seconde chose que les Papes ne pouvaient également empêcher, c'est que les hommes soit du XIIe soit du XIIIe siècles ne fussent de leur siècle. Ils ne pouvaient faire qu'on eût, au XIIe siècle, les mœurs et la civilisation du XVIIIe.

Cette remarque est aussi importante que la précédente. La plupart du temps, on juge les gens et les choses d'une époque passée avec les yeux et l'esprit de l'époque à laquelle on appartient. Nécessairement, on juge mal. Ceux que nous jugeons sont des morts qui dans leur temps ne vivaient pas comme nous, n'avaient pas nos habitudes, nos coutumes, nos progrès. Nous leur prêtons les nôtres, il faudrait, au contraire, pour les juger, s'inspirer des leurs. Il importe donc, si l'on veut que le jugement soit sain, impartial, d'abandonner son propre milieu, de s'en abstraire, pour recomposer, au moyen de recherches consciencieuses et de renseignements exacts, le milieu de l'époque que l'on veut juger. Alors on juge bien.

Essayons-le pour l'objection que nous allons achever de résoudre.

Quel était le milieu historique des époques où ont eu lieu tous ces massacres de juifs ? Quels sentiments, quelles habitudes avait-on dans ces temps-là ? Où en était-on de la civilisation et de l'adoucissement des mœurs ? À quelles sortes de peuples avait-on à faire ?

Tous les historiens s'accordent à reconnaître que les peuples de ce temps-là sont semi barbares, c'est-à-dire présentent un état social qui n'est ni la civilisation arrivée ni la barbarie, mais un mélange de l'une et de l'autre. C'est l'adoucissement des mœurs en floraison, tel que nous l'avons montré plus haut ; il y avait floraison, mais au milieu de quelles difficultés et de quelles angoisses !

Les peuples, à cette époque, sont semi-barbares, pourquoi ? Parce que l'Église catholique, les ayant trouvés barbares, complètement barbares, alors qu'ils s'appelaient Allemands, Germains, Francs, Wisigoths, Lombards, est en train de les travailler, de les élever, de leur apprendre à se dompter, de les civiliser : mais leur éducation est bien loin d'être achevée. C'est à l'âge de jeunesse fougueuse que sont les nations chrétiennes aux XIIe et XIIIe siècles nobles enfants par leur baptême et leur foi vive, mais avec tous les instincts d'enfants du Nord sortis des forêts. Aussi que de moments pénibles au milieu de leurs progrès ! Que de saillies de leur ancienne nature ! Que de retours vers la barbarie que l'Église réprime aussitôt ! Que d'actes de férocité ! Certes, bien loin d'en être responsable, l'Église est admirable de ne s'être pas laissé décourager. Nous ajouterons même une réflexion qui ne sera pas sans valeur pour des lecteurs israélites.

Ces nations que l'Église cherche ainsi à façonner et à civiliser, mais ce sont ces mêmes nations que toi, Israël, alors que tu étais le peuple de Dieu en Palestine, tu méprisais comme barbares, comme étrangères, comme indignes de toi, avec lesquelles il t'était défendu, par ta Loi, d'avoir des rapports : en un mot, les incirconcis. Eh bien, ce sont ces étrangers, ces incirconcis, ces barbares que l'Église catholique s'est mise vaillamment à raboter, à façonner, à civiliser. Est-il étonnant qu'elle éprouve des difficultés, de très grandes difficultés dans leur éducation ? J'insiste sur cette remarque, elle est importante. Comment ! Israël, toi, quand tu étais en Palestine, tu n'as rien pu en faveur des nations, il t'était même défendu de rien entreprendre, le travail étant au-dessus de tes forces : et lorsque vient pour l'Église la mission de ce grand labeur, qu'elle y met son génie, ses sueurs et ses dévouements, qu'elle est en train d'obtenir des prodiges de transformation, tu te feras une arme contre elle de scènes de sauvagerie qu'elle réprime, et tu trouveras étonnant qu'il y ait dans son sein des incirconcis de cœur, alors que toi-même tu n'as jamais rien pu sur eux ni pour eux ! Est-ce juste ? Ah ! ce ne sont pas des reproches, c'est de l'admiration que mérite cette vaillante Église : admirable d'avoir abordé les nations, innocente de leurs défauts et radieuse de leur transformation !

Tel est le milieu historique, vrai, parfaitement vrai, des Xe, XIe, XIIe, XIIIe et XIVe siècles. Un auteur a défini ces temps par cette formule aussi juste que concise : barbarie tempérée par la religion, religion défigurée par la barbarie (16).

Avec cette donnée, ne s'explique-t-on pas, sans la moindre surprise, que des massacres de juifs aient eu lieu en ces temps-là ? N'y aurait-il pas ignorance ou mauvaise foi à en accuser l'Église ? N'a-t-elle pas fait tout ce qu'elle pouvait faire en les condamnant, en les arrêtant, en les circonscrivant, en empêchant leurs retours ? Pouvait-elle, à moins d'un vrai miracle, empêcher que les mœurs des XIIe et XIIIe siècles fussent autres que les mœurs des XIIe et XIIIe siècles ?

L'auteur de la formule citée plus haut fait un discernement historique très judicieux auquel nous nous permettrons d'ajouter un trait. Il dit :

« Étudiez les guerres du XIIIe siècle. Vous entendrez proclamer la légitimité, les maximes les plus saintes. On invoque incessamment le droit, la raison, la justice ; on en appelle sans cesse au tribunal de Dieu : voilà l'influence chrétienne. Mais, en même temps, vos regards sont affligés par le spectacle d'innombrables violences, de cruautés., de pillages, de rapts, de meurtres, d'incendies : voilà la barbarie. »

« Jetez un coup d'œil sur les croisades. Vous remarquerez que des idées vraiment grandes, de vastes plans, de belles inspirations fermentent dans les têtes, que tous les cœurs débordent de sentiments généreux, qu'un saint enthousiasme, transportant toutes les âmes, les rend capables des actions les plus héroïques : voilà l'influence chrétienne. Mais examinez l'exécution. Vous verrez le désordre, l'imprévoyance, le défaut de discipline dans l'armée ; vous chercherez en vain le concert et l'harmonie entre ceux qui prennent part à la gigantesque entreprise : voilà la barbarie. »

« Une jeunesse avide d'apprendre accourt des contrées les plus éloignées aux leçons des maîtres fameux : l'Italien, l'Allemand, l'Anglais, l'Espagnol, le Français se trouvent mêlés autour des chaires d'Abeilard, d'Albert le Grand, de saint Thomas d'Aquin ; la recherche de la vérité passionne cette jeunesse ; l'ardeur du savoir la dévore ; les plus longs voyages ne sauraient l'arrêter ; l'enthousiasme pour les maîtres illustres est indescriptible : voilà l'influence chrétienne. Mais regardez cette même jeunesse qui inspire de si consolantes espérances, n'est-ce pas aussi cette tourbe licencieuse, inquiète, sans cesse ferraillant dans les rues et formant au sein des grandes cités une démocratie indocile, où l'on ne peut qu'à grand-peine maintenir l'ordre et la loi : voilà la barbarie. (17) »

Eh bien, à ce discernement historique d'une justesse parfaite, nous nous permettrons d'ajouter un trait :

Les juifs accusés d'avoir empoisonné les rivières et, sur cette accusation, massacrés par milliers ; des pastoureaux ou encore des flagellants qui s'en vont en pèlerinage à moitié nus, chargés d'instruments de pénitence et qui, sur leur passage, égorgent les juifs ; d'immenses fosses et bûchers où, sur des soupçons justifiés on faux, des familles juives entières sont jetées, sans distinction de sexe ni d'âge, comme à Chinon, à Orléans, à Spire, à Mayence, à Strasbourg ; la croisade qui s'inaugure par de longues traînées de leur sang :

Voilà la barbarie, l'atroce et détestable barbarie.

Mais :

Les Papes se levant pour réprouver avec horreur tous ces excès, se levant non pas une fois, non pas dix fois, mais toujours, et tous les Évêques avec eux, tous tendant leurs bras aux victimes qui sont des juifs, et lançant leurs foudres contre les bourreaux qui sont des chrétiens :

Voilà l'influence chrétienne, la divine influence chrétienne qui, dans la charité, ne fait acception de personne.

Nous osons mettre au défi la critique la plus hostile de contester que dans ce discernement ne soit pas la vérité !

Israélites mes frères, inclinons-nous devant les Pontifes romains ils ont sauvé bien souvent les restes d'Israël.

Veut-on comprendre, d'un seul coup, toute la beauté de cette intervention de miséricorde et de salut ? Que l'on compare ensemble ces deux Romains : Titus et un Pape.

C'est de Rome appartenant aux Césars que sont sorties les légions de Titus qui ont détruit de fond en comble Jérusalem, on sait avec quelle dureté ! et massacré quinze cent mille juifs. Titus les fit crucifier par milliers. Au rapport de l'historien Josèphe, on ne put se procurer assez de bois pour les crucifier tous.

Au contraire, de Rome appartenant aux Papes sont sorties toutes les protestations de la justice, tous les cris de miséricorde, toutes les infatigables démarches, lorsque, dans les moments de colère des rois et des peuples, les massacres recommençaient contre nos frères.

Entre ces deux Romes, celle de Titus et celle des Papes, quel éloquent contraste ! C'est que la louve était maîtresse de l'une, tandis que l'Agneau régnait dans l'autre !



IV



Après ces accents de la reconnaissance, reprenons le ton de l'historien.

Voici d'autres témoignages extrêmement précieux, non plus seulement sur la conservation de la vie que les juifs doivent aux Papes, mais sur l'existence paisible qu'ils ont toujours menée auprès d'eux à l'ombre de leur tiare. Ils sont extraits, comme les témoignages précédents, d'auteurs non catholiques.



SEPTIÈME TÉMOIGNAGE



À PROPOS DU REFUGE

QUE LES JUIFS ONT TROUVÉ À AVIGNON

AUPRÈS DES PAPES, QUAND ILS ÉTAIENT MALHEUREUX

OU PERSÉCUTÉS AILLEURS.



1° « Les commencements du quatorzième siècle furent marqués par la translation du Saint-Siège à Avignon : événement qui paraissait ne devoir influer que sur les affaires de la chrétienté, et qui, toutefois, ne fut pas sans résultats à l'égard des juifs. Aussi, dès que l'établissement des pontifes à Avignon fut décidé, on y vit affluer de l'Espagne, de la France et de l'Allemagne une nuée de juifs que le commerce autant que l'espoir du repos y attirait. Clément V les reçut à bras ouverts. » (BEUGNOT, auteur hostile, 1re partie, p. 158.)

2° « La translation du Saint-Siège à Avignon fut très utile aux juifs des autres royaumes. Avignon devint le refuge des juifs, persécutés dans toute l'Europe. » (HALÉVY, auteur israélite, Hist. des juifs, p. 30.)

« Clément VI les reçut à Avignon, pendant qu'on les brûlait ailleurs. » (BASNAGE, auteur protestant, t. IX, 2e part., chap. XIX.)



HUITIÈME TÉMOIGNAGE



À PROPOS DE LEUR EXPULSION

DE L'ESPAGNE PAR FERDINAND ET ISABELLE


ET DU TOUCHANT ACCUEIL QU'ILS TROUVÈRENT À ROME AUPRÈS

DU PAPE.


1° « Alexandre VI, au lieu de les maltraiter, les reçut avec beaucoup de charité. Chassés d'Espagne par Ferdinand le Catholique, et fugitifs en tous lieux, ils ne savaient ou reposer la plante de leurs pieds. Ceux qui abordèrent à Rome furent mal reçus par leurs frères durs et barbares, qui les auraient laissés périr de faim si Alexandre VI ne les avait secourus.

« En effet, ce Pape, quoique Espagnol de naissance, et chef de l'Église, ayant appris que les juifs, qui étaient établis depuis longtemps à Home, laissaient les exilés dans la misère sans vouloir les secourir, il les menaça de les chasser, s'ils ne changeaient de conduite, et s'ils ne donnaient à leurs frères malheureux les moyens de s'établir dans l'Etat romain. » (BASNAGE, t. IX, 2 partie, chap. XXXI.)

2° « Le Pape recevait humainement à Rome ceux que Ferdinand le Catholique chassait inhumainement de ses royaumes. » (Ibid., chap. XIX.)

3° « Les Juifs chassés d'Espagne trouvèrent aussi un refuge dans les États romains. Alexandre VI, qui occupait alors le Saint-Siège, pensa avec raison que l'affluence des juifs dans ses États ne pouvait que les rendre florissants aussi il ne se borna pas à les recevoir, mais il leur donna même des marques signalées de protection. » (BÉDARRIDE, auteur israélite, les Juifs en France, en italie et en Espagne, p. 307.)

4° « L'exil d'Espagne amena un grand nombre de juifs à Naples. De vives plaintes s'étant élevées, le vice-roi de Naples eu informa l'empereur, qui ordonna leur expulsion. Ils ne quittèrent pas l'Italie, et la plupart se rendirent à Rome. » (HALÉVY, auteur israélite, Hist. des juifs, p. 46.)



NEUVIÈME TÉMOIGNAGE


À PROPOS DE LA PROTECTION ET DE LA TRANQUILLITÉ

DONT ILS ONT TOUJOURS JOUI DANS LES ÉTATS DE L'ÉGLISE.



1° « Malgré quelques exils momentanés qui étaient venus les frapper dans certains États d'Italie, ils étaient toujours parvenus à se rétablir, et le Saint-Siège leur offrait toujours un refuge. » (BÉDARRIDE, auteur israélite, p. 363.)

2° « Pourquoi les Papes favorisent-ils les juifs préférablement aux réformés ? Réponse les Papes ont moins de chagrin et de violence contre les juifs, parce qu'ils sont plus anciens qu'eux et qu'ils ne sont pas assez puissants pour leur faire ombrage. La jalousie des princes ne s'échauffe que contre une république naissante ou contre un voisin importun qui s'agrandit, ou qui veut reprendre des provinces. On laisse vivre plus tranquillement les nations faibles, et qui ne peuvent nuire. Les Réformés attaquent de front l'autorité pontificale, ce sont des voisins redoutables ; on a donc une continuelle vigilance à les affaiblir. Il n'y a rien dans la condition des juifs qui excite la jalousie des Papes. Bien loin de gagner à les perdre, ils sont intéressés pas le soin de leurs revenus à les conserver. » (BASNAGE, auteur protestant, t. IX, 2e partie, chap. XIX.)

3° « La force de la vérité sans doute emporte Basnage lors qu'il vante l'humanité constante des Papes envers les juifs, qui les ont quelquefois payés d'ingratitude. » (Le rabbin DRACH, Harmonie, t. I, p. 236.)

4° « Il fallait aux papes de fortes sommes d'argent pour alimenter ou exciter les guerres, et ils ne pouvaient, pour les obtenir, s'adresser à d'autres qu'aux juifs ; eux seuls possédaient des capitaux toujours disponibles. Voilà comme la cour de Rome s'accoutuma à demander et à rendre des services à une nation que, d'après ses principes, elle devait détester. » (BEUGNOT, auteur hostile, les Juifs d'Occident, 2° part., p. 88.)

5° « Les souverains Pontifes protégeaient les Juifs, mais haïssaient les rabbins. Je m'explique : les Papes aimaient les juifs, comme gens actifs, industrieux, riches, qui pouvaient, par la direction de leurs travaux et l'ardeur de leur zèle, faire fleurir le commerce dans l'Italie ; mais, considérant les rabbins comme savants, c'est-à-dire comme théologiens et controversistes antichrétiens, ils devaient les craindre. » (Ibid., 3e partie. p. 190.)

Il résulte de ces témoignages que les Papes se sont non seulement montrés leurs sauveurs en les arrachant aux massacres, mais encore leurs protecteurs, leur refuge, leur providence, en leur ouvrant leurs bras, en les accueillant avec bonté quand on les chassait d'ailleurs. Le Pape n'étant pas encore reconnu par eux comme leur pasteur, la ville du Pape était, du moins, leur bercail !

Il y avait quelque chose de touchant à voir la papauté, exilée elle-méme à Avignon, accueillir et abriter auprès d'elle les exilés de Jérusalem ! La force de la vérité a obligé tous les historiens hostiles, haineux, ingrats, à reconnaître ce refuge. Ne pouvant nier l'hospitalité, ils se sont vengés en s'employant à la noircir, en la représentant intéressée ; les Papes accueillaient les juifs comme on accueille des revenus ! Pour nous, nous avons trouvé dans ce refuge une analogie touchante :

Autrefois, lorsque les israélites occupaient la Palestine, ils avaient six villes de refuge. « Dieu avait fait ordonner par Moïse qu'on marquât six villes de refuge ou d'asile, trois en deça du Jourdain et trois au-delà, à distances égales, où ceux qui avaient tué quelqu'un par mégarde et sans aucun dessein, pouvaient se retirer et étaient à couvert du ressentiment des parents du mort (18). »

Or voici l'analogie touchante :

Après la mort du Juste sur la croix, les descendants de ceux qui ont fait la Passion, pourchassés bien souvent par les chrétiens, ont toujours trouvé deux villes de refuge : Rome et Avignon. C'est auprès du Pape qui représentait ce Juste sur la terre, uniquement auprès de lui, que les pauvres fugitifs ont rencontré toujours justice et protection. Aussi ne sommes-nous pas étonné de deux dictons célèbres qui avaient cours au moyen-âge : le paysan du Rhin disait volontiers des Évêques-Électeurs : Il fait bon vivre sous la crosse ; et au bord du Tibre se répétait cette phrase proverbiale : Rome est le paradis des juifs.

Au surplus, voici un dernier témoignage qui couronne magifiquement les neuf précédents : il vient des juifs eux-mêmes, comme témoignage officiel. Ils ont tenu à le rendre dans les deux circonstances les plus solennelles de leur histoire depuis la ruine de Jérusalem : devant l'Assemblée constituante de 1789, lorsqu'il s'est agi de leur émancipation ; et dans la réunion du Grand Sanhédrin à Paris, en 1807. Ce témoignage n'est pas précisément, ici, à sa place. Il devrait faire partie d'un volume subséquent, puisque notre récit, dans ce présent volume, se rapporte au règne de Louis XVI ou aux âges antérieurs. Mais nous anticipons, afin de grouper dans un même et unique tableau tout ce qui concerne les bontés des Pontifes romains et du clergé catholique à l'égard des israélites.



DIXIÈME TÉMOIGNAGE


ÀPROPOS DU RÉSUMÉ SANGLANT DE LEUR HISTOIRE

DÉROULÉ DEVANT L'ASSEMBLÉE CONSTITUANTE DE 1789

ET DEVANT LE GRAND SANHÉDRIN DE 1807.



1° Témoignage officiel de Grégoire, prêtre constitutionnel, parlant, au nom des juifs, ses clients, à la barre de l'Assemblée :

« Les États du Pape furent toujours leur paradis terrestre. Leur Ghetto à Rome est encore le même que du temps de Juvénal ; et, comme l'observe M. de Buffon, leurs familles sont les plus anciennes familles romaines. Le zèle éclairé des successeurs de Pierre, protégea toujours les restes d'Israël. Il nous reste des épîtres de Grégoire IX à saint Louis, pour censurer ceux qui du manteau de la Religion couvraient leur avarice, afin de vexer les juifs. Je vois Innocent IV écrire pour les justifier, et se plaindre qu'ils sont plus malheureux sous les Princes chrétiens, que leurs pères sous les Rois égyptiens. Tandis que l'Europe les massacrait au XIVe siècle, Avignon devint leur asile, et Clément VI, leur consolateur et leur père, n'oublia rien pour adoucir le sort des persécutés et désarmer les persécuteurs. On lit encore avec transport une épître d'Alexandre II, adressée aux Évêques de France, qui avait condamné les violences exercées coutre les juifs Ce monument honorera constamment la mémoire du Pontife romain comme celle des Prélats fiançais, et certainement le clergé actuel rivalisera avec celui qui l'a devancé. » (Motion en faveur des juifs, par GRÉGOIRE, curé d'Emberménil, député de Nancy, p. 15-16.)

2° Témoignage officiel de l'Assemblée des notables d'Israël réunis en grand sanhédrin, à Paris, 5 février 1807.

« Les députés de l'empire de France et du royaume d'Italie au synode hébraïque, décrété le 30 mai dernier, pénétrés de gratitude pour les bienfaits successifs du clergé chrétien, dans les siècles passés, en faveur des israélites des divers États de l'Europe ;

« Pleins de reconnaissance pour l'accueil que divers Pontifes et plusieurs autres ecclésiastiques ont fait dans différents temps aux israélites de divers pays, alors que la barbarie, les préjugés et l'ignorance réunis persécutaient et expulsaient les juifs du sein des sociétés ;

« Arrêtent que l'expression de ces sentiments sera consignée dans le procès-verbal de ce jour, pour QU'ELLE DEMEURE À JAMAIS COMME UN TÉMOIGNAGE AUTHENTIQUE de la gratitude des israélites de cette assemblée pour les bienfaits que les générations qui les ont précédés ont reçus des ecclésiastiques de divers pays de l'Europe ;

« Arrêtent, en outre, que copie de ces sentiments sera envoyée à Son Exc. le Ministre des cultes. »

Cet arrêt fut adopté à la suite d'un discours fort remarquable de M. Avigdor, député à l'assemblée israélite par les Alpes-Maritimes. Ce discours, qui énumère tout au long, siècle par siècle, les bontés des Papes, se termine ainsi :

« Le peuple d'Israël, toujours malheureux et presque toujours opprimé, n'a jamais eu le moyen ni l'occasion de manifester sa reconnaissance POUR TANT DE BIENFAITS ; reconnaissance d'autant plus douce à témoigner, qu'il la choit à des hommes désintéressés et doublement respectables.

« Depuis dix-huit, siècles, la circonstance où nous nous trouvons est la seule qui se soit présentée pour faire connaître les sentiments dont nos cœurs sont pénétrés.

« Cette grande et heureuse circonstance est aussi la plus convenable, la plus belle comme la plus glorieuse pour exprimer notamment aux ecclésiastiques notre entière gratitude envers eux et envers leurs prédécesseurs.

« Empressons-nous donc, Messieurs, de profiter de cette époque mémorable, et payons-leur ce juste tribut de reconnaissance que nous leur devons ; faisons retentir dans cette enceinte l'expression de toute notre gratitude ; témoignons-leur AVEC SOLENNITÉ nos sincères remerciements pour les bienfaits successifs dont ils ont comblé les générations qui nous ont précédés. »

Le procès-verbal se termine ainsi : « L'assemblée a applaudi au discours de M. Avigdor. » (Procès-verbal des séances de l'assemblée des députés français professant la religion juive, p. 169 et suiv.)

L'ensemble de ces témoignages n'est-il pas concluant ?


Avant de les clore, nous exprimerons un regret nous n'avons pu qu'effleurer une si belle matière, en la condensant sous forme de tableaux synoptiques. Que, du moins, cette faible et rapide esquisse sur les bontés des Papes à l'égard des israélites, suggère à un de nos lecteurs (puisse-t-il être israélite !) la pensée de faire un livre complet, avec ce titre La Reconnaissance des dispersés d'Israël envers la papauté (19).


Ô chère Église catholique, comme tu as été douce et secourable aux pauvres juifs ! Merci ! Tu ne pouvais te montrer leur mère - ils ne t'acceptaient pas encore comme telle ! - Tu t'es montrée du moins leur sœur de charité.



 

 

(1) TERTULLIEN.

(2) GRATRY.

(3) TOCQUEVILLE.

(4) II est intéressant de lire, sur cette question de l'adoucissement des mœurs par le christianisme :

a) BALMÈS, Catholiscisme et Protestantisme comparés, dans le t. II chap. XXXI, De la douceur des mœurs en général ; chap. XXXII, De l'adoucissement des mœurs par l'action de l'Église.

b) OZANAM, Civilisation au cinquième siècle, dans le t. Il, treizième leçon Les moeurs chrétiennes. - Dans le vol. des Mélanges, le chap. Des devoirs littéraires des chrétiens.

c) GRATRY, Morale et Loi de l'histoire, dans le t. I, chap. VIII : L'homicide.

d) DIGBY, Ages de foi, dans le t. II, chap. III et chap. VII : Les béatitudes des doux.

e) TOCQUEVILLE, Démocratie en Amérique. dans le t. III, 2e partie, chap. I. : Comment les mœurs s'adoucissent à mesure que les conditions s'égalisent.

(5) OZANAM. Civilis., II, p. 200.

(6)La sagesse atteint avec force depuis une extrémité jusqu'à l'autre, et elle dispose tout avec douceur. (SAGESSE, VIII, 1.)

2° Voici quelques pensées d'éminents écrivains qui viennent à l'appui de la doctrine que nous avons exposée :

« L'esclavage perdit peu à peu toute signification, et cela sans luttes entre les maîtres et les esclaves, sans révolution précipitée et sanglante, par le seul cours des choses. De même que les fers d'un prisonnier s'usent avec le temps et par le frottement, et que le geôlier n'a plus besoin de les détacher quand l'heure légale de la liberté est venue ; ainsi la religion n'eut pas même besoin de secouer les chaînes de l'esclave pour les faire tomber, elles s'étaient usées par le temps et par le frottement de la doctrine. » (LACORDAIRE, 25e Conter.)

« Le christianisme, qui agissait divinement, agissait par la même raison lentement ; car toutes les opérations légitimes, de quelque genre qu'elles soient, se font toujours d'une manière insensible. Partout où se trouvent le bruit, le tracas, l'impétuosité, les destructions, etc., on peut être sûr que c'est le crime ou la folie qui agissent. La religion livra donc un combat continuel à l'esclavage, agissant tantôt ici et tantôt là, d'une manière ou d'une autre, mais sans jamais se lasser. » (DE MAISTRE, le Pape, p. 301.)

« L'Évangile pénétra dans la civilisation romaine par une influence latente qu'on n'a pas assez remarquée. Il faudrait considérer de près cette force intérieure et communicative qui s'exercait sur les infidèles mêmes ; il faudrait, pour ainsi dire, descendre dans ces catacombes morales creusées sous le sol païen pour le soulever ensuite. On suivrait les vestiges de la prédication apostolique jusqu'au palais des Césars ; ou verrait la pensée régénératrice se répandre lentement par le courant des opinions jusque dans les lois et dans les lettres. » (OZANAM, Dante, p. 13.)

(7) S. PAUL, épît. aux ROM., XI.

(8) Les habitants de Gabaon, saisis de frayeur et persuadés qu'ils ne pourraient résister aux Israélites puisque Dieu combattait pour eux, eurent recours à un stratagème. Ils feignirent de venir d'un pays éloigné. Ils mirent de vieux sacs sur leurs ânes, enfermèrent du vin dans des vaisseaux recousus, chaussèrent de vieux souliers racommodés avec des pièces pour les faire paraître encore plus vieux ; ils étaient aussi couverts de vieux habits ; et les pains qu'ils portaient pour leur nourriture durant le chemin étaient fort durs et rompus par morceaux.

Ils vinrent se présenter en cet état à Josué, et ils lui dirent : « Nous venons d'un pays très éloigné, dans le désir de faire la paix avec vous » Les enfants d'Israël leur dirent : « Peut-être demeurez-vous dans ce pays-ci qui nous a été réservé comme notre partage ; et en ce cas nous ne pourrions faire alliance avec vous. »

Mais ils dirent à Josué : « Vos serviteurs sont venus d'un pays très éloigné, au nom du Seigneur votre Dieu ; et nos anciens et tous les habitants de notre pays nous ont dit : Prenez avec vous des vivres à cause de l'extrême longueur du voyage, et allez au-devant d'eux, et leur dites : Nous sommes vos serviteurs faites alliances avec nous. »

« Voilà les pains que nous prîmes tout chauds quand nous partîmes de nos maisons pour venir vers vous ; et maintenant ils sont tout secs, et ils se rompent en pièces, tant ils sont vieux. »

« Ces vaisseaux étaient neufs quand nous les avons remplis de vin, et maintenant ils sont tous rompus et les habits dont nous sommes revêtus, et les souliers que nous avons à nos pieds se sont tout usés, à cause de la longueur extraordinaire du chemin et ils ne valent plus rien. »

Josué leur accorda la paix ; et ayant fait alliance avec eux, il leur promit qu'on leur sauverait la vie : ce que les princes du peuple leur jurèrent aussi. LIVRE DE JOSUÉ, IX, 3-15. Trois jours après que l'alliance eut été jurée, la fraude fut reconnue : on apprit qu'ils étaient du pays de Chanaan.

(9) Seigneur, vous disposez de nous avec souveraine révérence. SAGESSE, XII, 18.

(10) Cet intéressant débit, vrai congrès Christiano-rabbinique, n'est pas connu. Il mériterait, à lui seul, de former un livre à part. Le manuscrit est à la bibliothèque de l'Escurial, écrit avec luxe sur parchemin. Il contient 401 pages. Il est catalogué sous ce titre : Hieronimi de SANCTA FIDE, medici Benedicti XIII, processus rerum et tractatuum et quæstionum 401, qui in conventu Hispaniæ et Europæ rabbinorum ex una parte, ac catholicorum ex alia, ad convincendos sineendos Judæos de adventu Messiæ factus. anno 1413, Codex originalis.

(11) La Vallée des pleurs, chronique des souffrances d'IsraëI, par maître Joseph Ha-COHEN, médecin d'Avignon, 1575, publié en français par Julien SÉE, 1881.

(12) Nous ne citons pas le nom, par charité.

(13) BALMÈS, le Protestantisme comparé au Catholicisme, t.1, p. 320

(14) Lire dans BALMÈS (Catholicisme et Protestantisme) le chapitre LXII. Il renferme une belle et juste appréciation des croisades.

(15) HALÉVY, Hist. des juifs, p. 57.

(16) BALMÈS.

(17) BALMÈS, le Protestantisne comparé au Catholicisme. t. II, p. 282-283.

(18) DEUT., IV, 41-43. - JOS., XX, 7, 8. Afin que le meurtrier pût se rendre plus facilement dans les villes de refuge, il fallait que les chemins qui y conduisaient, fussent bien entretenus (DEUT., XIX, 3), et, d'après le Talmud (MACCOTH. 5, 2), on lui donnait même deux disciples des Sages pour l'accompagner, afin qu'il ne pût être assailli et tué en route par quelque parent du défunt.

(19) Il faudrait grouper les divers faits, les diverses phases de protection autour de quelques grandes figures de Papes, principaux protecteurs des juifs. Il faudrait également rechercher les documents, non plus seulement chez les auteurs hostiles, comme nous l'avons fait, mais auprès des grande historiens catholiques, et surtout dans les chroniques et archives des bibliothèques. Quel beau monument on élèverait à l'honneur de la papauté et pour la consolation future de l'Israël de Dieu Un livre italien a déjà réuni un assemblage de documents très précieux sur le travail que nous indiquons : Armatura di Forti, publié en 1794 par Francesco Rovera BONNET, recteur du catéchuménat de Rome. Gros in-folio, rare.