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LIVRE TROISIÈME - PREMIÈRE SECTION


LE SOUFFLE CHRÉTIEN EN FAVEUR DES ISRAÉLITES

AUX XVIIe ET XVIIIe SIÈCLES




CHAPITRE PREMIER



LES ANIMADVERSIONS DES POPULATIONS

CONTRE LES JUIFS SONT DEVENUES BEAUCOUP MOINS VIVES.

CAUSES DE CET APAISEMENT




I. Un souffle d'humanité, plus véhément que par le passé, s'élève vers la fin du XVIII5 siècle, pénètre partout et englobe même les juifs. Ce souffle, sorti de l' Évangile et simple dans son essence, semble cependant, au XVIIIe siècle, venir de deux rivages opposés : du catholicisme, comme souffle bienfaisant ; du philosophisme, comme souffle de tempête. Importance de l'étude de ces deux souffles. - II. À partir du XVIIe siècle, les animadversions des populations chrétiennes contre les juifs sont devenues moins vives. Causes de cet apaisement. Il ne faut nullement l'attribuer à l'apparition du Protestantisme. - III. Première cause : l'esprit de maturité auquel le génie humain était parvenu. Plus mûres, les nations sont devenues plus indulgentes. IV. Deuxième cause : les grandes entreprises commerciales auxquelles les peuples ont pris goût avec la découverte du nouveau monde. Par là, affranchis des services des juifs, les peuples ont avec eux des conflits moins fréquents. - V. Troisième causé les grands malheurs de l'Église et de la société chrétienne qui commencent. Tableau de ces malheurs ; or le malheur rapproche.



I



Lorsque l'historien se transporte par la pensée vers le déclin du XVIIe siècle, il est incontestable que là, il sent s'élever dans le monde un souffle d'humanité qui devient de plus en plus fort, gagne et pénètre partout, parvient vers la fin du XVIIIe siècle jusqu'aux juifs eux-mêmes, et les englobe. Assez de l'esclavage, assez de l'exclusion, assez de l'inégalité telle est le sentiment qui, peu à peu, se généralise dans les esprits et dans les aspirations. Tout ce qui souffre, tout ce qui est humilié, tout ce qui ne jouit pas encore des droits civils, lève la tête et tressaille. L'indépendance américaine est le signal de ce grand mouvement d'affranchissement. « De tous les coins les plus reculés de la vieille Europe, on se sentait ému en apprenant ce que faisait le nouveau monde. Nul ne comprenait bien la cause profonde et secrète de l'émotion qu'il éprouvait ; mais tous écoutaient ce bruit lointain comme un signe : ce qu'il annonçait, on l'ignorait encore. C'était comme la voix de Jean criant du fond du désert que de nouveaux temps sont proches (1). » Bientôt la France, qui a le bonheur d'avoir pour roi Louis XVI, fait comprendre qu'elle ne cédera à personne la tête de ce mouvement généreux. Elle encourage Washington en Amérique, abolit dans son propre sein l'édit de Nantes pour permettre aux protestants de se présenter aux charges et aux honneurs, et enfin se prépare à convoquer les États généraux, vastes assises où une généreuse audace se promet de corriger les abus et de faire régner la justice. Plus de malheureux, plus d'oubliés, plus de méprisés ; des hommes libres partout, des invités, des frères tel est le programme qui semble s'imposer et devoir triompher. On dirait que le genre humain se sent arrivé à la plénitude de sa force, à la compréhension claire de ses devoirs, et qu'à ce moment, promenant un fier et noble regard autour de lui, il veuille que le globe entier soit ordonné dans la justice et l'équité sociales.

C'est ce souffle universel d'humanité qui parvient donc, à la fin du XVIIIe siècle, jusqu'au vieux peuple juif lui-même, et le fait tressaillir. Ce souffle, tout d'abord, n'arrive à lui qu'indirectement, qu'en passant : ils sont si à l'écart, les pauvres juifs, relégués an bas de l'échelle sociale ! Mais enfin ce souffle, se répandant partout, arrive forcément jusqu'à eux. Lacretelle en était pénétré lorsque, plaidant en faveur de deux clients juifs, il disait en 1767 devant la cour souveraine de Nancy : « Nous avons surchargé la balance de la justice des défauts trop réels de la nation juive ; ne peut-on pas aussi y faire entrer quelques vertus ?... Ils ont des vertus ainsi que des vices. Qui nous répondra qu'il ne tient pas à nous d'extirper les uns, d'augmenter les autres ? »

Ce souffle d'humanité, qui ne laisse aucun malheureux, aucun captif à l'écart, qui englobe tout, il est d'une importance capitale que nous l'analysions, que nous en démêlions les éléments, que nous en connaissions la provenance et la direction. Là est la clef qui donne l'intelligence des événements, non seulement à cette époque, mais de nos jours, et pour l'avenir.

Sorti de l'Évangile, né avec la prédication de l'Évangiles, travaillant, depuis lors, le monde lentement mais sûrement, ce souffle n'est pas nouveau. Au XVIIIe siècle, cependant, il vient de deux rivages à la fois : du catholicisme, comme souffle bienfaisant ; du philosophisme, comme souffle de tempête.

Il semble au premier abord que ce soit le même souffle d'humanité. Souffle chrétien, souffle philosophique ou philanthropique, ils paraissent se confondre et poursuivre la même route. Néanmoins, il s'en faut de beaucoup que le but à atteindre soit le même ; et leur œuvre finale, comme nous le verrons, est bien différente. On peut dire que c'est le dualisme de l'ancien peuple de Dieu renouvelé. D'un côté, se trouvait le royaume de Juda ; de l'autre, le royaume d'Israël ; tous deux s'appelaient, mais pas avec la même justesse, le peuple de Dieu. Pareillement, le souffle d'humanité est avec le catholicisme, il est également avec le philosophisme : il y aura cependant un abîme entre les résultats des deux souffles, particulièrement en ce qui concerne la question juive.

Étudions d'abord le souffle chrétien.



II



Nous sommes aux XVIIe et XVIIIe siècles. Qu'est-ce que le souffle chrétien produit de particulier, à cette époque, relativement aux juifs ?

Y a-t-il des procédés nouveaux à leur égard ?

Dans la conduite de l'Église, non. Elle se montre au XVIIIe siècle ce qu'elle s'est montrée dès les premiers siècles de leur aveuglement et de leurs malheurs : pleine de respect, de compassion, de miséricorde, mais aussi circonspecte et prudente. C'est dans l'attitude des populations à leur égard qu'une transformation s'opère. Les animadversions séculaires entre chrétiens et juifs sont devenues de moins en moins vives, et tendent même à disparaître. Le souffle chrétien triomphe. Ainsi les massacres de juifs, comme il s'en faisait au moyen âge, semblent devoir prendre fin pour toujours. Les accusations d'empoisonnement des fontaines, des rivières, ne paraissent plus possibles. Il y a encore, de temps en temps, des bruits sourds contre ces survivants, qui survivent pour toujours hériter ! Mais on sent qu'on touche à la fin de la tempête qui les a ballotés au milieu des Nations. Des deux côtés, si on ne s'aime pas encore, on voudrait, du moins, ne plus se haïr.

Quelles sont les causes qui out produit cet apaisement ?

Des écrivains superficiels ou mal pensants ont prétendu qu'on en était redevable à la Réforme, au libre examen qui a mis au large toutes les consciences, et à l'esprit de rationalisme qui a désarmé toutes les religions positives. Beaucoup de naïfs enfants d'Israël ont cru et croient encore à ce bienfait de la Réforme de Luther, et ils l'ont bénie. À notre avis, c'est une erreur, et une erreur capitale. Jamais le négatif ne produira le vrai et le bon, jamais le négatif ne produira l'apaisement et la charité. Aussi bien, le chapitre qui précède celui-ci dit assez qui serait advenu des restes d'Israël, si Luther et le luthéranisme avaient pu en disposer à leur gré.

Les causes de cet apaisement doivent donc être recherchées ailleurs.

Nous croyons les avoirs trouvées dans trois faits qui forment l'aurore des temps modernes :

1° L'esprit de maturité auquel le genre humain était parvenu ;

2° Les grandes entreprises commerciales dans lesquelles tous les peuples entraient à l'envi ;

3° Les malheurs de l'Église et de la société chrétienne qui commençaient.



III



La haine est un sentiment anormal dans le cœur humain et dans l'humanité ; la rigueur aussi. À mesure qu'on avance dans la vie, on sent le besoin de devenir indulgent, de pardonner, d'être miséricordieux. L'indulgence, la bonté, sont des signes de maturité. On excuse et on compatit, alors que l'expérience a appris à connaître les misères, et qu'on les a expérimentées soi-même.

Ces sentiments, qui ont cours dans la vie de l'individu, ont cours également dans le développement et les progrès de l'humanité. Il y a eu d'abord, chez les nations acquises par le Christ et devenues chrétiennes, des phases de dureté et de violences impitoyables, parce que, nonobstant leur éducation chrétienne, elles étaient jeunes et fougueuses. Cet âge est sans pitié, ce jugement doit s'appliquer aussi bien aux nations qu'aux individus. L'Église a trouvé les nations dans l'état d'enfance sauvage, et elle a eu toutes les peines du monde à empêcher ou à réprimer leurs accès de violence. Oui, vraiment, ainsi que nous l'avons remarqué plus haut, du Xe au XVe siècle, les nations chrétiennes sont à l'âge des passions fougueuses nobles enfants par leur baptême et leur foi vive, mais avec tous les instincts d'enfants du Nord sortis des forêts. Aussi quels labeurs et quelle persévérance n'a-t-il pas fallu à l'Église pour les transformer ? Que de moments pénibles pour elle au milieu de leurs progrès ! que de saillies de leur ancienne nature ! que de retours vers la barbarie ! C'est ainsi que s'expliquent tant d'écarts terribles vers la dureté, dans l'histoire des peuples au moyen âge : en particulier, les massacres de juifs.

Mais sous la discrète et sûre direction de la Providence qui ne veut pas que les soins de l'Église restent sans honneur, les peuples, eux aussi, prennent de l'expérience et de la maturité. Ils sentent alors le besoin et le prix de l'indulgence. L'apaisement se fait dans leur sang, dans leurs idées, dans leurs mœurs. De turbulentes et fougueuses qu'elles étaient, les nations de l'Europe sont devenues graduellement plus mesurées, plus indulgentes, parce qu'elles sont devenues plus mûres. De cette connexion entre la maturité et l'indulgence est sorti ce magnifique concert de l'équilibre européen et de l'arbitrage des neutres, pour terminer les différends en évitant l'effusion du sang. À mesure que le genre humain avancera dans ses destinées, plus mûr et plus pensif, il estimera encore davantage ce sentiment dc l'indulgence, ce besoin de l'accord. C'est de la sorte que pourra peut-être se réaliser d'une façon complète, nonobstant toutes les contrariétés suscitées par le génie du mal, cette belle prophétie biblique, dont l'Église a tenté déjà, avec un certain bonheur, la réalisation au moyen âge : Les peuples feront de leurs épées des socs de charrue, et de leurs lances des instruments pour remuer la terre. Un peuple ne tirera plus l'épée contre un peuple, et ils ne s'exerceront plus à combattre. Chacun s'asseoira sous sa vigne et sous son figuier. C'est ce que le Seigneur des armes a dit de sa bouche (2). Cette réalisation plus ample serait le fruit d'une grâce spéciale de Dieu, mais aussi de la maturité parfaite du genre humain.

Pour en revenir aux XVII et XVIIIe siècles, ce sont précisément cet acheminement vers la maturité et le sentiment mieux compris de l'indulgence, qui sont cause que les populations chrétiennes et les restes d'Israël commencent à se regarder, à cette époque, avec des yeux moins hostiles, moins défiants. On est las de s'entre-quereller, surtout du côté des chrétiens : car la charité chrétienne s'appelle alors saint François de Sales, saint Vincent de Paul. On est las d'une autre manière : les juifs le sont, d'avoir attendu le Messie ; les chrétiens, de n'avoir pas réussi à le leur faire comprendre et trouver en Jésus-Christ. La solution est renvoyée à la miséricorde. On pressent qu'elle seule possédera la puissance de convaincre. Sous ce pressentiment, on éprouve le besoin de préparer les voies à l'infinie miséricorde en devenant soi-même miséricordieux. Aussi les populations se montrent-elles plus tolérantes à l'égard des juifs. On ne veut plus éteindre la mèche d'Israël qui fume encore...



IV



La deuxième cause d'apaisement nous semble avoir été les grandes entreprises commerciales, dans lesquelles les peuples sont entrés.

Le régime féodal, à côté de ses avantages de famille, - car l'organisation féodale, nous l'avons reconnu plus haut, était vraiment celle d'une famille, - avait toutefois ses désavantages. Cela ne doit pas surprendre puisque le moyen âge n'était qu'une étape, qu'une floraison, et non un état définitif ; son nom du reste l'indique. Un de ses désavantages fut de très peu favoriser le commerce.

En effet, - le clergé mis à part, - de quelles personnes étaient composées les nations à cette époque ?

De seigneurs et de serfs, en majeure partie. Les premiers, livrés à la chasse et aux exploits militaires, ne pensaient pas à bonifier leur fortune par la voie du commerce ; ils l'auraient dédaignée, s'ils y avaient songé. Les seconds n'avaient pas la facilité de quitter leurs chaumières, pour faire circuler les productions de la nature. Aussi le commerce et ses ressources se trouvaient-ils naturellement entre les mains des juifs (3). Il s'ensuivait que le juif était nécessaire. Il y a du vrai dans ce pittoresque petit tableau : « Les juifs étaient nécessaires au corps social comme les chevilles et les clous qu'on emploie dans un grand édifice pour en lier toutes les parties. Était-on malade, on appelait un juif ; voulait-on acheter une pièce de drap, c'était le juif qui la vendait ; obtenir de la pluie pour labourer la terre, le juif était indispensable en sa qualité d'astrologue et de sorcier ; enfin, quand le baron lui-même voulait avoir du linge et un beau pourpoint, il était obligé d'avoir recours à un juif. Le fils d'Israël avait une autorité que les autres n'avaient pas, lorsque dans sa cabane, assis sur des guenilles, on le voyait tenir la baguette magique et les cordons de la bourse (4). »

Le juif était donc nécessaire. Il en résultait, par cela même, des conflits inévitables entre ces uniques vendeurs et les populations, toujours leurs tributaires. L'exaspération d'être obligé de recourir invariablement au juif, la jalousie de son or, mais également les représailles hébraïques par l'avidité et l'usure : que de causes de querelles !

Avec la découverte de l'Amérique et celle du cap de Bonne-Espérance, une révolution heureuse s'opère. La répugnance des peuples pour le commerce disparaît subitement. Le péril qui alors entoure les navigations lointaines donne de l'éclat au commerce et le réconcilie avec ceux qui jusque-là n'avaient vu en lui qu'un moyen de s'enrichir aux dépens des autres. De toutes parts des flottes nombreuses sillonnent les mers et apportent en Europe des richesses de toutes espèces. L'émulation, l'industrie, sont partout eu mouvement. Les anciennes méthodes s'éteignent. Le crédit public est fondé. « Un simple bourgeois de Paris peut rassembler dans sa maison plus de jouissances que n'en eurent jamais les anciens rois d'Asie à Suse ou Ecbatane (5). »

Dès lors les juifs cessent d'être nécessaires. Les populations chrétiennes sont en quelque sorte affranchies dc leurs services, et conséquemment une cause considérable de querelles et de conflits est écartée.



V



La Réforme, avons-nous dit, n'a pas été le moins du monde une cause d'apaisement dans les querelles juives et chrétiennes. Mais les malheurs engendrés par la Réforme d'abord, puis par le Jansénisme et le Philosophisme, ont amené non seulement l'apaisement, mais même un rapprochement. C'est bien différent. Le schisme et l'hérésie divisent ; le malheur rapproche.

Le malheur, en effet, n'a-t-il pas reçu la mission bénie de réconcilier, en faisant oublier, sous les larmes qui effacent, des torts réciproques ? Les mains se retrouvent et s'étreignent, quand les cœurs sont dans l'épreuve, et les foyers dans le deuil. Nous entrevoyons même, d'après les données bibliques, que lorsqu'un jour les mains du peuple d'Israël et du peuple chrétien achèveront de se réunir complètement, c'est l'épreuve qui aura préparé les voies à ce dessein de la grâce divine.

Voici donc comment, aux XVIIe et XVIIIe siècles, le rapprochement commence sous les coups du malheur.

Nonobstant les splendides découvertes des Indes et d'un nouveau monde, l'horizon de la société chrétienne s'est assombri. Les Nations s'émancipent et deviennent folles. L'Église va entrer dans un état de veuvage et de désolation.

En effet :

La morale chrétienne est comme frappée au cœur. « Dans la chambre où avait dormi saint Louis, Sardanapale était couché. Des femmes enlevées aux dernières boues du monde jouaient avec la couronne de France ; des descendants des Croisés peuplaient de leur adulation des antichambres déshonorées, et baisaient, en passant, la robe régnante d'une courtisane, rapportant du trône dans leurs maisons les vices qu'ils avaient adorés. Au lieu du soc et de l'épée, une jeunesse immonde ne savait plus manier que le sarcasme contre Dieu et l'impudeur contre l'homme. Au-dessous d'elle se traînait la bourgeoisie, plus ou moins imitatrice de cette royale corruption, et laissant à sa suite ses fils perdus, comme on voit derrière les puissants rois de la solitude, les lions et leurs pareils, des animaux plus petits et vils qui les suivent pour lécher leur part du sang répandu (6). »

Il n'y a pas exagération oratoire dans ces citations. Les documents récemment publiés sur les dernières années de l'ancien Rêgime en confirment l'exactitude (7).

Aussi est-ce à ce moment que commence à s'universaliser le mépris des saintes lois du mariage ; les familles redoutent de s'accroître, on limite le nombre des enfants : tellement que les juifs, menacés légalement d'une pareille monstruosité, en font l'objet d'un sanglant reproche à la société chrétienne, dans un mémoire adressé à Louis XVI ; nous l'avons cité dans la première partie de cet ouvrage (8).

Les mœurs pourrissent donc.

Les croyances ne sont pas mieux respectées que les mœurs. Luther et Calvin avaient déchiré le symbole et bafoué l'Église ; Voltaire et Rousseau viennent, à leur tour, déchirer l'Évangile et bafouer Jésus-Christ.

Diderot, d'Holbach, Helvétius, Lamettrie, nient l'immortalité de l'âme et se moquent de la vie future. Les salons de la société française applaudissent à leurs arguments.

Plus rien dans l'ordre intellectuel, moral, religieux, n'est respecté.

Mais ce ne sont plus seulement les mœurs et les croyances qu'on foule aux pieds, c'est la constitution même des royaumes et de la société qu'on ébranle. Un esprit de révolte universelle agite la vieille Europe. La France, jusque-là si amoureuse de l'autorité, se dispose à dépasser les révoltes religieuses de l'Allemagne et de l'Angleterre en se mettant à la tête de toutes les révoltes par la Révolution, dont le nom se prononce déjà en secret.

Jamais on n'a tant parlé de sensibilité, de bienfaisance, et jamais les cœurs n'ont été plus durs : un immense égoïsme les dessèche.

Jamais non plus on n'a été plus gracieux, plus aimable, plus frisé. Et comme du mépris à la haine il n'y a qu'un pas, on achève de le franchir à la fin du XVIIIe siècle. Une haine, inconnue jusque-là, universelle, farouche, remplit les âmes. Le jour n'est plus loin où cette haine, ne pouvant plus se contenir, éclatera. Ce sera alors l'échafaud, la guillotine !

Pauvre société si longtemps chrétienne ! Pauvres Nations ! Ô Église catholique, leur mère, que vous êtes à plaindre !

Mais ce qui nous a paru le trait final ou plutôt le cadre de toute cette lamentable décadence, et aussi le sceau de l'ingratitude, c'est le retour de la société au paganisme : retour positivement voulu, réfléchi, chanté, proclamé comme loi. En effet, la société dans les dernières années de l'ancien Régime a soif du paganisme contre l'Évangile. On le ressuscite de partout. Les bals, les fêtes, les chasses, les festins, sont pleins de souvenirs de la mythologie. La prostitution cherche son excuse et ses modèles dans les mœurs d'Athènes et de Rome antique. Diane, Vénus, Jupiter, Mercure, revivent, et inspirent la littérature et les mœurs ; Brutus inspirera la Révolution. Un grave auteur a dit avec justesse : « La rétrogradation a commencé en Europe avec la restauration du paganisme littéraire, qui a amené successivement les restaurations du paganisme philosophique, du paganisme religieux et du paganisme politique (9). » C'est la généalogie de la Révolution.

Or ce retour au paganisme a constitué, de la part de la société issue du christianisme, la plus sanglante injure, le plus poignant outrage contre Jésus-Christ. Les Nations avaient été appelées du paganisme à l'Évangile. Au XVIIIe siècle, un esprit de vertige rappelle et redemande positivement le paganisme contre l'Évangi1e.

Le paganisme antique est même dépassé. Car le paganisme, dans son fond, n'a nullement été impie (10) : tandis que dans cette société du XVIIIe siècle en délire d'apostasie on se fait un jeu de l'impiété.

Encore une fois, pauvre société, pauvres Nations ! Qui oserait prétendre qu'à cette date d'ingratitude presque universelle Dieu n'a pas été jaloux, et que dans les conseils de sa divine jalousie le rappel du peuple juif n'a pas été décidé et préparé ?... Ce qu'il y a de bien certain, c'est que l'Esprit, « qui souffle où il veut (11) », imprima précisément à cette époque une impulsion inaccoutumée du côté d'Israël. Les esprits graves, clairvoyants, ainsi que les âmes pieuses songèrent aux restes impérissables de Jacob comme à une ressource mystérieuse, comme à un secours en réserve pour l'Église de Dieu. Des documents authentiques en font foi, aussi intéressants que touchants. Nous allons les parcourir.



CHAPITRE II



LA QUESTION DE LA CONVERSION DES JUIFS A PRÉOCCUPÉ

LE XVIIe ET LE XVIIIe SIÈCLE




I. Les esprits les plus éminents de l'époque, frappés de la situation lamentable de la société chrétienne, pensent aux restes d'Israël comme à une réserve de Dieu en faveur de son Église. Réflexions le Bossuet et de Fénelon. Exagérations du savant Duguet dans ses apercus sur le peuple juif comment elles s'expliquent. Document janséniste : une conversatlon entre Bossuet et Duguet. - II. Les controverses du XVIIIe siècle sur la conversion des juifs. Deux écoles l'une qui fait coïncider cette conversion avec la fin du monde, l'autre qui la place bien avant. - III. Unanimité des deux écoles sur les événements qui semblent devoir préparer cette conversion. Résumé de leurs aperçus et observations. Touchantes aspirations des âmes pieuses pour la conversion des restes d'Israël et pour la réconciliation du juif et du gentil.



I



Ce sont d'abord Bossuet et Fénelon qui ressentent de l'épouvante de cet état d'apostasie, déjà très dessiné au temps où ils vivent, et qui laissent échapper de leurs lèvres ou de leur plume, de douloureux pressentiments : si Dieu allait retrancher certaines nations corrompues ?...

« Écoute, écoute, chrétien ; lis ta destinée dans celle des juifs, mais lis et écoutes dans le cœur... Pouvons-nous n'être pas épouvantés de la vengeance qui éclate si terriblement sur les juifs, puisque saint Paul nous avertit, de la part de Dieu, que notre ingratitude nous attirera un semblable châtiment. » Cri d'alarme de Bossuet (12).

Fénelon s'écrie à son tour : « Si Dieu, terrible dans ses conseils sur les enfants des hommes, n'a pas même épargné les branches naturelles de l'olivier franc, comment oserions-nous espérer qu'il nous épargnera, nous, branches sauvages et entées, nous branches mortes et incapables de fructifier ?... Que ferait plus longtemps la foi chez des peuples corrompus jusqu'à la racine ? Lâches et indignes chrétiens, par vous le christianisme est avili et méconnu ; par vous le nom de Dieu est blasphémé chez les gentils... Le péché abonde, la charité se refroidit, les ténèbres s'épaississent, le mystère d'iniquité se forme... Le flambeau de l'Évangile, qui doit faire le tour de l'univers, achève sa course ; le jour de la ruine est proche, et les temps se hâtent d'arriver (13). »

Tous deux, au milieu de leurs tristesses et de leurs alarmes, entrevoient le secours pour l'Église de Dieu : ils l'espèrent de la conversion d'Israël. « O Dieu, s'écriait Bossuet, l'incrédulité règne sur la terre : on n'est plus méchant par faiblesse, on l'est de dessein, on l'est par principes, par maximes. Venez, Élie, venez, prédicateur de l'Évangile, avec une céleste ferveur, remuez, ébranlez les cœurs et excitez l'esprit de pénitence (14). »

Ce grand homme dit encore en parlant des restes d'Israël : « Le Seigneur se tournera vers eux ; il effacera leurs péchés, et leur rendra l'intelligence des prophéties qu'ils avaient perdue depuis un long temps, pour passer successivement et de main en main dans toute leur postérité, et n'être puis oubliée jusqu'à la fin du monde, et autant de temps qu'il plaira à Dieu de le faire durer après ce mémorable événement...... Ainsi (conclut Bossuet) les juifs reviendront un jour et ils reviendront pour ne plus s'égarer jamais (15)»

Mais de toutes les grandes intelligences du XVIIe siècle, nulle, sans contredit, ne s'est exercée avec plus de complaisance sur le rôle du peuple juif comme réserve de Dieu, que le savant Duguet. Contemporain de Bossuet, Duguet entra chez les Oratoriens en 1667 ; mais il fut obligé de les quitter en 1686, à cause de son attachement aux opinions de Jansénius. C'était un homme d'un savoir intarissable. Saint-Simon, dans ses Mémoires, parle des entretiens qu'il eut avec lui à l'abbaye de la Trappe. « Pour M. Duguet (16), j'en fus charmé. Nous nous promenions tous les jours dans le jardin de l'abbatial ; les matières de dévotion, où il excellait, n'étaient pas les seules sur lesquelles nous y avions des entretiens ; une fleur, une plante, la première chose venue, des arts, des métiers, des étoiles, tout lui fournissait de quoi dire et instruire ; mais si naturellement, si aisément, si coulamment et avec une simplicité si éloquente et des termes si justes et si exacts, qu'on était également enlevé des grâces de sa conversation, et en même temps épouvanté de l'étendue de ses connaissances, qui lui faisaient expliquer toutes ces choses comme auraient pu faire les botanistes, les droguistes, les artisans et les marchands les plus consommés dans tous ces métiers. »


Le Père La Chaise disait de son côté au président de Ménars, qui lui demandait la permission d'avoir chez lui l'abbé Duguet : « Vous n'aurez qu'à tourner le robinet, vous verrez couler telle essence que vous voudrez. »

Pourquoi faut-il que ce vaste esprit, si profondément versé dans la connaissance des saintes Écritures et si épris d'amour pour les restes de l'ancien peuple de Dieu, se soit fourvoyé dans le Jansénisme ? Contradiction étrange et vraiment inconcevable ! D'une part, Duguet est le héraut de l'amour et de la confiance, en montrant toutes grandes ouvertes les portes de l'Église, pour accueillir les restes d'Israël ; et, d'autre part, il les rétrécit pour les chrétiens, en soutenant la sombre doctrine de Jansénius. Tant il est vrai, ainsi que le dit Pascal, que l'homme est à lui-même un chaos, un sujet de contradictions.

Mais le Jansénisme ne fut pas la seule erreur de Duguet. Ses nombreux ouvrages d'exégèse biblique, très remarquables en ce qu'ils font ressortir d'une manière saisissante l'harmonie des deux Testaments, contiennent toutefois en maints endroits des exagérations malheureuses, un abus des figures de la Bible, qualifié en théologie du nom de figurisme.

Qu'est-ce que le figurisme ?

C'est un système d'après lequel tout ce qui est arrivé aux juifs sous l'ancienne Loi, tout sans exception, aurait été figure des choses de la Loi nouvelle, non seulement leurs cérémonies et les principaux épisodes de leur histoire, mais jusqu'à leurs moindres actions : de sorte que l'Ancien Testament, dans son ensemble et dans ses derniers détails, aurait formé comme une vaste allégorie ou prophétie du Nouveau Testament. Ce système est évidemment outré et conduit à des inconvénients très graves dans l'explication de l'Écriture (17).

Chez Duguet, le figurisrne a particulièrement consisté à trouver des annonces figuratives de la conversion du peuple juif dans quantité de scènes et de prophéties de l'Ancien Testament, et à appliquer à cette conversion des passages bibliques qu'on a coutume, en théologie, de n'appliquer qu'à l'Église seule. Voulant ériger ses vues à la hauteur de principes, Duguet avait composé un petit livre intitulé : Règles pour l'intelligence des saintes Écritures, qu'on lisait avec avidité. Un rabbin converti fut un des premiers à en signaler le danger. Un professeur de Sorbonne, docteur en théologie et censeur des livres, trompé sans doute par les côtés généreux de ce livre, avait envoyé à son auteur l'approbation, avec ces lignes flatteuses un tel livre est une clef d'or, et le plus beau présent qu'on pût faire à l'Église (18). L'israélite converti répliqua « Un présent à l'Église ? Une clef d'or ? L'a-t-on bien examinée ? Dans le moment, on se serait aperçu que cette belle clef est tout au plus d'un plomb grossier ; qu'elle plie de quelque côté qu'on la prenne, et que par conséquent elle est beaucoup trop faible pour ouvrir les portes de l'Écriture, On se serait convaincu que, loin d'être le plus beau présent qu'on pût faire à l'Église, ce livre l'attaque. » Et alors, dans une savante et vigoureuse réfutation, l'athlète d'Israël met à terre le système de Duguet, terminant par ces mots : « En pervertissant ainsi l'Écriture, le Judaïsme se rétablit de plein droit, le Mahométisme s'autorise, le Païen même ne peut être désarmé (19). »

Nous nous sommes demandés comment un exégète aussi distingué que Duguet, possédant l'hébreu, les Pères de l'Église et les enseignements de la Tradition catholique, avait pu, cependant, se laisser entraîner dans une semblable exagération et une affection aussi excessive pour le peuple juif. La cause nous paraît avoir été un esprit de mécontentement dont il ne s'est peut-être pas rendu compte et qui a été la conséquence de son jansénisme. Tout janséniste était un esprit mécontent. S'étant permis de juger et de critiquer la sainte Église de Dieu, Duguet est tombé dans l'excès en s'occupant du peuple juif : il en a fait un réparateur nécessaire de l'Église au lieu d'en faire un enfant prodigue repentant.

Cet esprit de mécontentement, introduit d'une manière spécieuse sous le couvert d'un grand intérêt pour les restes d'Israël, se laisse apercevoir dans un curieux document janséniste, demeuré à peu près inconnu, une conversation, sous forme de conférence, que Bossuet et Duguet auraient eue ensemble sur les maux de la société chrétienne et sur l'unique remède qu'ils entrevoyaient comme possible et efficace.

« M. Bossuet, évêque de Meaux, et M. Duguet prenaient plaisir à s'entretenir sur la Religion. L'Église de France, au commencement de ce siècle, avait peu de Docteurs comparables à ces deux excellents théologiens ; et ils étaient l'un et l'autre bien éloignés de la piété superstitieuse de ceux qui croient honorer l'Église en dissimulant les abus et les scandales qui la défigurent. Leurs savants entretiens roulaient le plus souvent sur les maux de l'Église, sur l'horrible obscurcissement de la doctrine, de la morale et de la discipline. Après bien des réflexions de part et d'autre, où ils se communiquaient mutuellement « leurs pensées et leurs peines sur ce qui les touchait le plus vivement, M. Bossuet fut conduit à reconnaître que non seulement les maux de l'Église avaient jeté de profondes racines, mais qu'ils paraissaient sans remède dans la situation présente des choses. »

« Croiriez-vous donc, Monseigneur, reprit M. Duguet, que l'Église puisse subsister ainsi longtemps, ou que la consommation des siècles soit si prochaine ? M. de Meaux convint que le jugement dernier devait être encore éloigné, vu qu'il restait bien des choses à accomplir, toutes les nations du monde ayant été promises à Jésus-Christ. Et c'est, ajouta-t-il, ce qui augmente la difficulté : car l'Église, depuis quelques siècles, porte l'opprobre d'une espèce de stérilité : « loin d'enfanter à Jésus-Christ de nouveaux peuples, elle se voit tous les jours enlever ses propres enfants par l'hérésie et le schisme ; et d'ailleurs les travaux des prédicateurs de l'Évangile dans les pays étrangers ne paraissent guère bénis de Dieu. M. Duguet, ayant applaudi à la solidité de ces réflexions, dit à son tour : qu'il ne voyait qu'un moyen de sortir d'un aussi grand embarras, qui était d'interroger l'Écriture et la Tradition, pour savoir si l'Église n'avait point reçu la promesse d'un renouvellement ; qu'il lui semblait que la décadence de la foi et de la charité parmi les gentils avait été prédite ; mais qu'à cette prédiction était jointe la promesse d'une grande miséricorde qui serait la richesse du monde entier. Alors il pria M. Bossuet de se rappeler ce qu'il savait si bien de la mission d'Élie et de la conversion du peuple juif : et tout de suite il développa la liaison de ces deux événements avec ce qui les avait précédés et ce qui devait les suivre. Le savant Prélat, qui l'avait écouté avec la plus profonde attention, resta quelque temps en silence ; et, sortant comme d'une espèce de ravissement, il témoigna toute sa surprise et sa joie : sa surprise sur ce qu'on était communément si indifférent ou si distrait à l'égard de ce qui intéresse de si près l'Église notre sainte Mère ; sa joie sur la bonté du Seigneur qui avait préparé à ses enfants une si grande consolation dans leurs détresses, et un objet si digne de leurs vœux et de leurs désirs. »

« Ces deux hommes si respectables se séparèrent bien persuadés que plus les maux étaient grands et irrémédiables, plus nous avoisinions le temps des plus grandes miséricordes (20). »

Nous ne partageons pas le ravissement que le document janséniste prête à l'évêque de Meaux. « L'horrible obscurcissement de la doctrine, de la morale et de la discipline » au sein de l'Église « l'opprobre d'une espèce de stérilité » qui pèse sur elle : pareilles expressions, que la foi et le génie de Bossuet n'eussent jamais tolérées, sont des inventions jansénistes. L'Église catholique ne demeure-t-elle pas la cité éclatante de lumière élevée sur la montagne ? Si des peuples baptisés par elle rentrent dans les ténèbres, d'autres ne viennent-ils pas prendre leur place ? Et l'Église reste, de la sorte, sainte et catholique.

Ce document n'a de prix que parce qu'il montre, à une époque où la foi baisse et les mœurs se dépravent, les préoccupations des esprits supérieurs, leurs alarmes et leurs espérances.



II



À côté des aigles, une foule d'esprits cultivés, mais plus humbles, et des cœurs compatissants, s'occupent de la même question. Des dissertations, des livres, sont publiés ; prêtres et laïques tiennent la plume. Il y a deux écoles. L'une, dont le chef est le savant mais janséniste Duguet, exalte le rôle futur du peuple juif en cherchant à prouver, à l'aide des Écritures, qu'après l'entrée de ce peuple dans l'Église, il s'écoulera encore de longs siècles ; l'autre école réduit le rôle d'Israël converti à des proportions plus modestes, en établissant que sa conversion coïncidera presque avec la fin des temps (21). L'intérêt que certaines personnes prennent à ces nouveautés va si loin, qu'il en résulte des inconvénients graves non seulement pour leur foi, mais pour leur santé. En effet, le célèbre phénomène historique des convulsions qu'on croyait purement janséniste a eu aussi des relations avec la question juive. « Au milieu de la France, dit un auteur du temps, sept ou huit cents convulsionnaires annoncent le retour prochain des juifs et toutes ses circonstances, avec un bruit et un éclat qui ont pénétré non seulement dans toutes les parties du royaume, mais encore chez tous les peuples qui entretiennent quelque commerce avec la France (22). » L'Église, mère toujours prudente, cherche à guérir les convulsionnaires et ne fait nul cas de leurs prédictions (23).

Par contre, des âmes cachées, pénitentes au fond des monastères, vraies colombes d'amour, inaugurent l'immolation pour la guérison des Nations chrétiennes et pour le retour d'Israël. On commence à ne plus séparer ces deux grandes misères : l'incrédulité philosophique et l'aveuglement judaïque.

Nous avons voulu étudier de près ce mouvement des esprits et des cours si sympathiques à Israël. Nous avons donc lu, analysé, comparé les divers ouvrages qui en traitent à cette époque. Nous ne rapporterons rien de leurs aperçus sur le fameux litige : Si la conversion des juifs sera éloignée, ou non, de la fin du monde et du jugement dernier. Nous nous défions, pour notre part, de l'opinion qui admet un long espace de temps après ce grand événement. Il suffit que le Jansénisme ait mené cette campagne, pour que nous nous tenions en garde contre un sentiment qui n'est généralement pas celui de la Tradition catholique. Il nous a semblé plus profitable pour le lecteur de recueillir ce que les écrivains des deux camps ont pensé sur les causes secondes qui pourront contribuer à la conversion du peuple juif : il y a là une philosophie de l'histoire qui s'est inspirée de la Bible et des événements. Nous résumons leurs aperçus et leurs caractères communs, sous les observations suivantes



III



PREMIÈRE OBSERVATION. - Tous ces ouvrages ne sont plus composés, comme ceux des siècles précédents, pour être une démonstration de la vérité chrétienne aux yeux des juifs ; ils sont composés comme préface de leur retour. La discussion ou argumentation avec ces aveugles est finie, épuisée. Ainsi que nous l'avons fait remarquer plus haut, ou a renvoyé, de guerre lasse, la cause à la miséricorde, seule capable de venir à bout de leur endurcissement. Mais on s'attend à son intervention, on pressent sa victoire, on voudrait en quelque sorte deviner les voies par lesquelles elle passera. Voilà pourquoi les ouvrages qui sont publiés portent des titres comme ceux-ci : Dissertation sur le rappel des juifs (24) ; le Rappel futur des juifs (25) ; Note sur le retour des juifs (26) ; Dissertation sur le retour des juifs d l'Église et sur ce qui doit y donner occasion (27) ; Essai d'explication de l'époque assignée à la conversion des juifs (28) ; Lettre dans laquelle on prouve que le retour des juifs est proche (29) ; Dissertation sur l'époque du rappel des juifs et sur l'heureuse révolution qu'il doit opérer dans l'Église (30), etc., etc.


DEUXIÈME OBSERVATION. - Tous ces ouvrages entrevoient comme signe et aussi comme cause du rappel des juifs le blasphème proféré contre Dieu et son Christ au milieu des Nations. La Gentilité ou les Nations ont été appelées à cause de l'aveuglement et de l'ingratitude des juifs. Les juifs seront rappelés à cause de l'apostasie et dc l'ingratitude encouragées chez les Nations.

Et tous ces ouvrages disent : Nous y touchons, nous y sommes !

Quelques uns, très sombres, parce qu'ils sont jansénistes, vont jusqu'à dire : Si quelque chose doit nous étonner, c'est que la divine miséricorde n'ait pas encore rétabli Israël (31).

Dans les siècles antérieurs au XVIIIe, les exégètes avaient peu commenté un très important mais sévère passage de saint Paul la fin du fameux chapitre IX de 1' Épître aux Romains, où l'Apôtre redoute, en termes voilés par la charité, la défection ou apostasie dont pourront se rendre coupables des gentils appelés à la foi chrétienne, et leur retranchement possible de l'olivier franc (32). Les commentateurs, jusqu'alors, avaient donné fort peu d'explications sur ce terrible retranchement ; et c'était sagesse d'abord parce qu'ils écrivaient aux époques dc fidélité à Jésus-Christ ; ensuite, parce qu'il était inutile d'attrister. Mais au XVIIIe siècle, chose remarquable, c'est ce chapitre qui est mis en avant, en évidence, en terrible relief. Les écrivains des deux camps sont unanimes en lugubres commentaires. L'olivier franc, c'est-à-dire Jésus Christ, est montré par eux, blasphémé, conspué. Les branches sauvages entées, c'est-à-dire les gentils, sont montrées secouées par une horrible tempête, par des tourbillons de révolution ; aux oreilles des écrivains, les craquements des branches se font déjà entendre, le retranchement commence. Au bas de l'arbre, les branches naturelles, c'est-à-dire les restes d'Israël, leur apparaissent s'agiter, pour remonter vers l'olivier et reprendre leur place (33).


TROISIÈME OBSERVATION. - Tous ces ouvrages sont unanimes à appeler le temps où se produira la conversion du peuple juif, la grande tribulation de l'Église. L'Église sera humiliée, vilipendée, persécutée, réputée pour rien. Quelques-uns de ces auteurs ont eu des prévisions vraiment étonnantes. L'un d'eux, qui écrivait en l'an 1657, annonce la mort civile de l'Église (34). Ayant perdu ses droits par la violence, elle sera comme morte.

Plusieurs n'ont pas suffisamment distingué entre la défaillance qui pourra atteindre certaines Nations chrétiennes et l'indéfectibilité de l'Église. Quoique malheureuse, l'Église restera indéfectible, alors que sociétés et nations pourront défaillir. Dieu, dans sa sagesse et sa toute-puissance, saura faire éclater ce prodige et ce contraste.

Une des récompenses et consolations de l'Église, pour s'être montrée si divinement héroïque dans cette grande tribulation, sera précisément la conversion ou renaissance du peuple d'Israël.

Et alors bon nombre de ces auteurs font l'application à l'Église de ces deux touchantes histoires de la Bible :

L'une, l'histoire de Job, qui après son épreuve reçoit à la fin sept fois plus de bénédictions qu'au commencement : de même, l'Église sera consolée, à la fin des siècles, de ses grandes épreuves par la joie de voir rentrer dans son sein les restes d'Israël (35) ;

L'autre, l'histoire de Rachel, qui enfante dans une douleur mortelle le plus aimé des fils de Jacob, Benjamin ; il est appelé d'abord Benoni ou le fils de la douleur, puis Benjamin ou le fils de la droite. De même, l'Église enfantera dans une douleur mortelle son dernier enfant, le peuple juif, qui, converti, sera tendrement aimé (36).


QUATRIÈME OBSERVATION. - Ces ouvrages s'appliquent à montrer les consolations qui, à l'occasion du retour d'Israël, inonderont non seulement l'Église catholique, mais toutes les nations de la terre. Ils se plaisent à commenter de joyeuses prophéties de la Bible qui semblent n'avoir pas encore reçu leur entier accomplissement. Ils se plaisent surtout à appuyer cette consolante époque sur les paroles suivantes de saint Paul qui forment contrepoids au sévère avertissement de la possibilité du retranchement si la diminution des juifs (leur petit nombre) a été la richesse des gentils, combien leur plénitude enrichira-t-elle encore davantage le monde. Ce qui veut dire si au début du christianisme douze juifs fidèles, les douze apôtres - pauvre petit reste, nombre bien diminué - ont suffi cependant pour produire un si merveilleux changement parmi les Nations au point d'en avoir été la richesse, que sera-ce donc et que ne doit-on pas attendre de riche, de merveilleux, lorsque tout Israël en corps se convertira et prendra en mains la cause de la Vérité ?


CINQUIÈME OBSERVATION. - Plusieurs de ces ouvrages prennent à tâche de préparer par de sages conseils l'acceptation du peuple juif dans les rangs du peuple chrétien. Ce souci nous a beaucoup touché.

Par exemple : qu'il n'y ait plus, quand Israël reviendra, d'animadversion de la part de chrétiens trop farouches. Un auteur de 1643 fait, dans le naïf français de cette époque, un tableau délicieux des sentiments de miséricorde qu'on devra avoir. II représente un chrétien indigné qui s'oppose à ce qu'on accueille les juifs même repentants, et il l'apaise en le raisonnant de la sorte :

« Fais, je te prie, réflexion, mon frère le Gentil, sur « le procédé de Joseph, et pense bien à ce que dit ce bon patriarche lorsqu'il se fit connaître à ses frères. « Il ne leur reproche point ni leur malice, ni leur envie, ni ce qu'ils l'avaient vendu aux Ismaélites. Dieu, leur dit-il, m'a envoyé devant vous en Égypte, pour vous donner de quoi vivre en ce temps de disette et de famine. Considère que Jésus-Christ se fera reconnaître quelque jour aux juifs comme Joseph se fit reconnaître aux israélites, et que Jésus-Christ en ce temps-là ne sera pas moins miséricordieux à l'endroit des juifs que Joseph fut généreux à l'endroit des israélites. Approchez-vous, mes frères, dira Jésus-Christ aux juifs. Vous avez pensé de moi en mal, et Dieu a changé ce mal en bien. Ç'a été pour mon honneur et pour votre salut que vos pères m'ont crucifié. Il fallait que le Fils de l'homme souffrit beaucoup pour être beaucoup exalté. Je ne pouvais entrer dedans ma gloire que par ma mort. Et je ne suis mort que pour venir devant vous au ciel, et pour vous préparer un lieu dedans ma gloire qui est votre salut et votre vie éternelle. »

« Figure-toi, mon frère, qu'un homme égyptien assistant à la reconnaissance de Joseph et de ses frères, eût insulté sur les israélites de cette sorte : Méchants ! vous avez attenté sur la vie de votre frère, vous l'avez vendu aux Israélites, vous avez contristé la vieillesse de votre père, en lui rapportant que son fils votre frère était mort. Vous en mourrez, méchants, et je serai votre bourreau. En conscience ! les frères israélites n'eussent-ils pas eu raison de dire à cet homme égyptien : Ami ! de quoi t'inquiètes-tu ? Ton zèle est hors de raison. Si nous n'avions pas vendu notre frère, notre frère ne serait pas venu en Égypte. Et si notre frère n'était pas venu en Égypte, tu n'aurais pas de quoi manger. Notre frère, contre qui nous avons péché, nous pardonne. Et toi à qui il a été favorable et avantageux que nous ayons péché contre notre frère, tu nous veux faire mourir ! »

« Considère, chrétien, que tu es cet homme égyptien qui fais la même insulte sur les israélites ; et que les israélites te peuvent répondre la même chose. Ton zèle, ô chrétien ! est un zèle inconsidéré. Si nos pères n'avaient pas crucifié Jésus-Christ, Jésus-Christ ne serait pas mort pour toi. Et si Jésus-Christ n'était pas mort pour toi, tu serais mort en tes péchés, et serais mort d'une mort éternelle. Jésus-Christ, contre qui nos pères ont péché, leur a pardonné ce péché. Et toi, à qui il a été salutaire que nos pères aient péché, tu nous veux maltraiter ! (37)...»

Donc, plus d'animadversion, plus de ressouvenance du passé, quand les juifs reviendront à la foi.


SIXIÈME OBSERVATION. - Ces différents ouvrages renferment des prières touchantes à l'endroit de la conversion d'Israël. On pourrait en faire un beau recueil. Nous n'en citerons que deux, mais qui résument admirablement l'état actuel de mort du peuple juif, sa future renaissance dans la grande tribulation de l'Église, et les ressources que l'Église et le monde entier trouveront dans cette renaissance ;

« Nous le savons, ô mon Dieu, les restes d'Israël seront sauvés. Mais quand ce prodige arrivera-t-il ? O temps désirable, dans lequel Israël reconnaîtra son Dieu, sera pénétré de respect et d'un religieux tremblement en la présence de David son roi, et où les deux peuples, le juif et le gentil, n'auront qu'un même chef, ne formeront qu'un même corps, seront assis à la même table ! Quand sera-ce, ô mon Sauveur, que s'accomplira cette merveille ? N'est-ce pas assez de dix-huit cents ans d'aveuglement, de misère, d'abandon ? Rentre dans le fourreau, glaive vengeur de la colère de Dieu ; pitié pour tant de générations qui disparaissent sans avoir ouvert les yeux à la lumière, ni reçu l'effet des promesses ! O vous, qui régnez en Égypte, et que vos frères comptent pour mort depuis tant de siècles, dissipez enfin leurs ténèbres, triomphez de leur impénitence ; ne faites pas plus longtems violence à votre tendresse, laissez enfin éclater votre amour, et vos pleurs couler en liberté. Faites retentir au fond de leur cœur cette parole consolante, cette parole si longtemps attendue, si ardemment désirée : Je suis Joseph ; approchez de moi, je suis votre frère. »

« Nous ne savons plus ni vous louer ni vous aimer, ô mon Dieu ; un affreux silence règne de toutes parts dans la gentilité. Nos bouches sont muettes, et nos cœurs morts. Venez donc, peuple muet depuis tant de siècles ; sortez de vos tombeaux, enfants de Juda ; venez apprendre à toute la terre à louer, à aimer le Seigneur, comme il mérite de l'être ; à confesser comme il faut l'indignité, l'impuissance, la corruption de la créature, le besoin infini qu'elle a du Libérateur, la souveraine indépendance et la force invincible de sa grâce (38).


Seconde prière.

« Divin Sauveur, qui avez pleuré sur Jérusalem, que vos larmes et celles de vos serviteurs touchés de compassion pour cette terre désolée, cessent de trouver en elle une poussière ingrate et stérile ; qu'elles pénètrent jusqu'au cœur de son peuple, ou plutôt ôtez à ce peuple son cœur incrédule, son cœur de pierre, et mettez en lui un esprit nouveau. Venez vous-même, venez, ô Jésus-Christ, réveiller du sommeil de la mort ce Lazare, votre ancien ami, dont le sort doit attendrir tous ceux qui aiment votre Église, puisque, s'il est pour vous un frère selon la chair, il est aussi le nôtre suivant la promesse. Soyez ému, bon Sauveur, sur ce déplorable cadavre, enseveli et fétide depuis des siècles, mais qui porte encore sur lui, avec le voile qui lui couvre la face, les titres de ses pères, le dépôt des livres sacrés, gages de vos premières bontés et de sa future réconciliation. Appelez par un cri puissant les morts d'Israël ; qu'ils vous entendent du fond de leur tombeau et qu'à la voix du Fils de Dieu tous les peuples soient témoins du plus grand miracle de résurrection qui ait encore paru depuis l'origine du monde. »

« Ce sont là, ô Jésus ! les vœux que vous expriment les continuels soupirs de l'Église, votre épouse, devenue une mère de douleur, et les cris que jette au pied du trône de votre miséricorde le faible et petit reste des vrais chrétiens, qui, venus à la fin du temps des nations, n'ont d'autres appuis que vos divines promesses (39). »



Nous avons borné là nos observations sur tous ces ouvrages, parus du XVIIe au XVIIIe siècle : tâchant de dégager le vrai du faux, à la façon de cette montagne d'aimant dont parle la Fable, qui attirait à elle le fer des vaisseaux et laissait couler tout le reste. Ces observations auxquelles nous nous sommes borné, achèvent de faire comprendre le souffle chrétien parvenu, dans ses orbes toujours plus larges, jusqu'au règne de Louis XVI : souffle de bienveillance, de rapprochement entre les deux peuples, surtout s'il doit y avoir, dans leur histoire finale, visites du malheur et jours d'épreuves.




(1) STEFFENS, cité par Tocqueville, Mélanges, p. 71.

(2) MICHÉE, IV, 3, 4. - ISAÏE, II, 4

(3) « Il était dans la nature du système féodal de n'accorder aucune faveur au commerce : car, dans ce mode de gouvernement, la terre était regardée comme la base de toutes les supériorités et de toutes les richesses : on ne concevait pas que la puissance fût ailleurs ; un commerçant n'était rien, près du propriétaire foncier revêtu de toutes ses dignités et entouré de son influence. Le système féodal devait en outre redouter ces déplacements continuels qu'entraîne le commerce, et qui auraient fini par faire perdre aux vassaux l'habitude d'être toujours prêts à exécuter les ordres de leurs suzerains, » (BEUGNOT, Les Juifs d'Occident, lIe part., p. 31.)

(4) État des Juifs en France, etc., par BAIL, p. 97 - Un autre auteur dit avec même justesse et même description pittoresque : « Ici se place cette histoire merveilleuse du commerce des juifs dans le moyen âge, qui fait encore l'étonnement de notre civilisation avancée. L'Europe n'a plus de communications ; les routes sont peuplées de châteaux fortifiés où des seigneurs toujours armés exercent leur courage rapace sur les marchands et les voyageurs : rien n'arrête les juifs ; presque partout ils obtiennent le privilège du prêt à usure ; là ils achètent la ferme des péages, des tonlieux et des droits féodaux ; ils parcourent les foires, fournissent les églises et les barons de tout le luxe de l'Orient ; chaque village a son juif ; chaque cité sa synagogue ; et lorsque le zèle religieux a assez de force pour commander leur expulsion, rarement une ou deux années s'écoulent sans que le prince ou le baron les ait rappelés dans ses États. » (Histoire philosophique des juifs, par CAPEFIGUE, p. 9.10.)

(5) BAIL, p. 105.

(6) LACORDAIRE, XXIIIe conférence.

(7) L'Ancien Régime, par Taine. Lire plus spécialement les trois chapitres du IIe livre, et le deuxième chapitre du IVe livre.

(8) Chap. V, § V.

(9) DONOSO CORTÈS, lettre du 4 juin 1849.

(10) « Les législateurs de l'antiquité ne s'y méprirent point : au lieu de raisonner follement contre la religion, ils s'en servirent pour consolider l'édifice social ; ils la placèrent partout, dans la famille, près des foyers domestiques, et dans l'État, comme partie de la constitution et du gouvernement. Ils firent descendre les lois du ciel, et attachèrent, par l'opinion, quelque chose de divin à tous les événements de la vie humaine, à toutes les institutions civiles, aux objets inanimés même, aux bois, aux fleuves, aux pierres destinées séparer les héritages : et, si l'on y regarde de près, on se convaincra que le paganisme ne multiplia les dieux à l'infini qu'à cause du besoin infini que l'homme a de la Divinité. » (LAMENNAIS, Essai sur l'indifférence, t. I, ch. II).

(11) S. JEAN, III, 8.

(12) Méditations, t. I. - Disc, sur l'Hist. univ., IIe partie, § VII.

(13) Sermon pour le jour des Rois.

(14) Méditations sur la Transfiguration.

(15) Disc. sur l'Hist. univ., IIe partie.

(16) Dictionnaire universel du XIXe siècle de PIERRE LAROUSSE au mot Duguet.

(17) Consulter sur les dangers du figurisme BERGIER, Dictionnaire de théologie, aux mots : Figure, Figurisme, Figuristes.

(18) M. BRILLON. Son approbation est en tête du livre des Règles.

(19) Ceinture de douleur ou Réfutation du livre intitulé Règles pour l'intelligence des saintes Écritures ; composé par rabbi ISMAEL BEN ABRAHAM, juif converti, à Paris. Thiboust, imprimeur-libraire de l'Université, place de Cambrai, à la Renommée, 1723.

(20) Cette conférence se trouve rapportée dans une lettre de M. Soanen, évêque de Senez. Il dit : Vous pourriez iqnorer un fait d'importance que je tiens de ceux qui l'ont entendu plus d'une fois raconter à M. Duguet. Et alors il cite tout le document. - M. Soanen, évêque de Senez, soutint malheureusement le jansénisme. Senez, dans les Basses-Alpes, était autrefois un évêché. On a publié en 1759 la Vie et les Lettres de M. Soanen. Le récit de la conférence se trouve dans sa Lettre sur les erreurs avancées dans quelques nouveaux écrits. - Cette conférence se trouve également rapportée dans un livre qui a pour titre : Dissertation sur le rappel des juifs, 1778, t. 1, p. 414-417.

(21) Cette controverse a commencé avec Duguet, et elle s'est prolongée très longtemps après lui. Le lecteur qui voudrait connaître en entier ces intéressants débats les trouvera parfaitement résumés dans ces deux ouvrages : Dissertation sur le rappel des juifs, par Rondet, éditeur de la Bible d'Avignon, 2 volumes ; Dissertation sur l'époque du rappel des juifs, contre l'éditeur de la Bible d'Avignon, 1 vol.

(22) Lettre dans laquelle ou prouve que le retour des juifs est proche. 1739, p. 47, sans nom d'auteur.

(23) Le phénomène des convulsions se tâche surtout à la mémoire du fameux diacre Pâris. Après avoir vécu dans toute la rigueur de l'ascétisme janséniste, le diacre Pâris était mort en 1727. Son parti le tint pour un saint. Les hommes, mais surtout les femmes, allaient en foule vers son tombeau, dans le cimetière de Saint-Médard, à Paris. Là, on les voyait entrer en convulsions, faire mille extravagances et prophétiser, disant qu'elles étaient visitées par l'esprit divin. Un prélat de grand nom tint registre des miracles quotidiens de guérisons surprenantes. Les femmes convulsionnaires se partageaient en sauteuses, aboyeuses, miauleuses, etc. ; elles se faisaient frapper de marteaux, fendre la langue, clouer en croix, etc. Ces scènes, aussi cruelles que ridicules, attirèrent enfin l'attention de l'autorité publique, et en 1732 le gouvernement fit fermer le cimetière de Saint-Médard. Un plaisant inscrivit alors sur la porte :

De par le roi, défense à Dieu

De faire miracle en ce lieu.

(Dictionnaire de Dézobry, au mot Convulsionnaires.)

(24) Par RONDET, éditeur de la Bible d'Avignon, 178.

(25) Par DESCHAMPS, curé de Danzu, en Normandie, 1760.

(26) Par le père d'HOUBIGANT, dans ses notes sur les livres des prophètes, t. IV, 1753.

(27) Traduite de l'italien, 1775.

(28) Par l'abbé BELET, de Moutauban, 1769.

(29) Sans nom d'auteur, 1779.

(30) Sans nom d'auteur, 1779.

(31) Phrase de DUO DUGUET, répétée par tous les écrivains de son parti.

(32) Mais direz-vous, ces branches (les juifs) ont été rompues, afin que je fusse enté à leur place.

Il est vrai elles ont été rompues à cause de leur incrédulité ; et vous, c'est par la foi que vous tenez à l'arbre. N'ayez point de présomption, mais craignez.

Car si Dieu n'a point épargné les branches naturelles, il pourra bien aussi ne vous pas épargner.

Considérez donc la bonté et la sévérité de Dieu : sa sévérité envers ceux qui sont tombés, et sa bonté envers vous, si toutefois vous persévérez dans l'état où sa bonté vous a mis, autrement vous serez retranché.

Que si eux-mêmes ne persistent pas dans leur incrédulité, ils seront entés sur leur tige : car Dieu est tout-puissant pour les enter de nouveau. Épître aux ROM., chap. XI, 19-23.

(33) On peut lire, sur l'olivier et sur la menace de retranchement des branches entées ou de certaines parties de la gentilité : BOSSUET, Disc. sur l'hist. univ., lIe partie, chap. XX ; DUGUET, Explic. de l'Épître aux Romains, chap. XI ; PICQUIGNY, Épître aux Rom., chap. XI ; Dissertation sur le retour des juifs à l'Église et sur ce qui doit y donner occasion, l'abbé BELET, Essai d'explication de l'époque assignée à la conversion des juifs ; un livre sur l'Avènement d'Elie (1734), t. I, chap. IX, X, XI.

(34) L'Ancienne Nouveauté de l'Écriture sainte ou l'Église triomphante en terre, p. 231-233-234-235. L'auteur, qui écrit en 1657, dédie son livre à Jésus-Christ, et le soumet au pape Innocent X. À côté de quelques prévisions surprenantes, il énonce des hypotheses hasardées et plus que contestables.

(35) Tous les auteurs qui font à l'Église l'application de l'histoire de Job empruntent ce beau rapprochement au pape saint Grégoire le Grand. Morales de saint Grégoire sur Job, livre XXXVe, chap. XIV. Ce grand pape a, sur les derniers temps de l'Église, des aperçus vraiment célestes. On peut le nommer le Docteur des derniers événenents.

(36) Ce rapprochement est bien développé dans I'Avènement d'Elie (1374), t. II, chap. XXIV.

(37) Nous avons détaché cette page, vraiment naïve et touchante, du livre extrêmement rare, intitulé : Du Rappel des juifs (1643), 159-162. II est fâcheux que le reste du livre fasse trop belle la part du peuple d'Israël en voulant lui ramener, lors de sa conversion, toutes les Nations. C'est là une grave erreur. Jésus-Christ est le seul à qui tout le reste doit en ramené. Il est, seul, la pierre de l'ongle, et en lui Israël et les Nation doivent faire leur jonction dans l'humilité et dans la charité.

Ce livre du Rappel des juifs (1643), qui n'est pas signé, a pour auteur un gentilhomme converti du protestantisme au catholicisme, ISAAC DE LA PEYRÈRE. Né à Bordeaux, en 1594, de parents calvinistes, il entra au service du prince de Condé, auquel il plut par la singularité de son esprit. Il fut l'auteur du préadamisme, système d'après lequel des races humaines auraient existé avant Adam. Il abjura son erreur à Rome en 1656, entre les mains du pape Alexandre VII, rentra auprès du prince de Condé comme bibliothécaire, puis se retira au séminaire dc Notre-Dame des Vertus à Aubervillers prés Paris, et il y demeura jusqu'à sa mort, en 1676. Il flattait les juifs, espérant les attirer à son système du préadamisme.

Un malin poète, qui ne crut pas à la sincérité de sa rétractation du préadamisme, lui fit cette épitaphe :

La Peyrère ici-gît, ce bon israélite,

Huguenot, catholique, enfin préadamite.

Quatre religions lui plurent à la fois,

Et son indifférence était si peu commune,

Qu'après quatre-vingts ans qu'il eut à faire un choix,

Le bon homme partit, et n'en choisit pas une.

(FELLER, Dictionnaire historique ; GOSCHLER, Dictionnaire de théologie, au mot Peyrère (Isaac de la) ; RICHARD SIMON, Lettres choisies, t. II, lettre I, Amst., 1730.)

(38) Cette prière est tirée d'un ouvrage qui a pour titre : Avertissements aux fidèles sur les signes qui annoncent que tout se dispose pour le retour d'Israël, p. 79-81 (1793).

(39) Discours sur les promesses renfermées dans les Écritures et qui concernent le peuple d'Israël, p. 75-76.