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CHAPITRE III

 

LE TEMPLE NE SERA PAS RÉÉDIFIÉ
POUR SERVIR AU CULTE DE JÉHOVA

 

I. Sans redevenir capitale d'un État juif, Jérusalem ne pourra-t-elle pas voir la réédification du Temple de Salomon en faveur des Juifs, par les soins de l'Antéchrist ? Encore deux opinions : l'une répondant affirmativement, l'autre négativement. - II. En admettant même l'opinion affirmative, comment il adviendra que le Temple, s'il est rebâti, ne sera pas consacré à Jéhova, à l'encontre des espérances juives.

 

I

 

   Pour que la question qui nous occupe soit traitée d'une manière complètes il importe d'examiner encore ce qu'il adviendra du Temple à cette époque des faveurs de l'Antéchrist pour les Juifs. On peut donc se demander si, sans redevenir capitale d'un État juif, Jérusalem ne reverra pas le rétablissement de l'ancien Temple salomonien à l'usage des Juifs, par la protection et la coopération de l'Antéchrist ?
   Une réponse affirmative est encore l'opinion d'un certain nombre de Pères et d'exégètes tant anciens que modernes. Suarez, favorable à cette opinion, l'expose ainsi : « L'Antéchrist établira le principal siège de son empire à Jérusalem, afin de s'asseoir dans le Temple de Jérusalem relevé par lui et s'y faire, adorer. Telle est l’opinion de tous les Pères qui ont écrit sur l'Antéchrist. Elle se fonde sur ce texte de saint Paul aux Thessaloniciens : Il (l'Antéchrist) combat et s'élève contre tout ce qui est appelé Dieu, et qui est adoré, jusqu'à s'asseoir dans le Temple de Dieu, s'y montrant comme s'il était Dieu (1).    Car bien que des Pères entendent parfois d'une manière métaphorique cette expression temple, cependant, selon le sens vraiment propre et littéral, c'est du Temple de Jérusalem qu'il faut l'entendre, ainsi que l'exposent Irénée, Cyrille de Jérusalem, Sever, Sulpicius, etc. Cette explication est, en effet, naturelle. Car, au temps de saint Paul, c'est le Temple de Jérusalem qui était simplement appelé Temple par antonomase, comme cela ressort de saint Luc (Act., III et V) et d'autres textes. Alors il n'existait pas encore de temples chrétiens, et le seul temple de Jérusalem était appelé Temple de Dieu. Il est donc plus vraisemblable que c'est de lui qu'a parlé l'apôtre saint Paul (2). »
   À l'encontre de cette première opinion, une autre opinion prononce qu'il n'est point établi que saint Paul, en prédisant que l'Antéchrist s'assiéra dans le Temple de Dieu, ait eu en vue le Temple de Jérusalem. Saint Jérôme, en effet, expliquant ces paroles de l'Apôtre, s'exprime ainsi : « Il s'assiéra dans le Temple de Dieu, c'est-à-dire ou dans Jérusalem, comme quelques-uns le pensent, ou dans l'Église, ce qui nous paraît plus vrai : Vel Jerosolymis, ut quidam putant ; vel in Ecclesia, ut verius arbitramur (3). » Saint Jean Chrysostome dit aussi, expliquant ce texte « Il s'assiéra dans le Temple de Dieu, non dans celui de Jérusalem, mais dans le temple de l'Église (4). » Mais comment l'Antéchrist s'assiéra-t-il dans 1'Eglise, dans le temple de l'Église ? Théodoret l'explique, lorsque, interprétant ce même texte, il dit : « Ce que l'Apôtre appelle le Temple de Dieu, ce sont les églises dans lesquelles cet impie prendra le premier rang, la première place, s'efforçant de se faire reconnaître pour Dieu (5). » Théophylacte s'explique encore plus clairement en disant : « Il s'assiéra dans le Temple de Dieu, non pas spécialement dans le Temple de Jérusalem, mais simplement dans les églises, dans tout temple consacré à Dieu (6). » Œcuménius dit aussi : « Dans le Temple de Dieu, c'est-à-dire, non pas dans le Temple de Jérusalem, mais dans l'Église de Dieu (7). » Saint Augustin laisse la question indécise : « Mais quel est le Temple de Dieu où l'Antéchrist doit s'asseoir ? Sera-ce sur les ruines du Temple que Salomon avait fait bâtir ? sera-ce dans l'Église de Dieu ? cela est incertain (8). » Saint hilaire l'entendait de nos temples, et regardait même cette interprétation comme indubitable. C'est ce que l'on voit dans son écrit contre Auxence, où, exhortant les catholiques à fuir la communion des ariens, il leur dit : « Vous faites mal de tant aimer les murailles, de respecter en cette manière l'Église dans ses bâtiments, et de vous couvrir de ce prétexte pour faire valoir le nom de paix. Peut-on douter que l'Antéchrist ne doive s'asseoir dans ces mêmes lieux (9) ? » Cajétan dit : « Le nom de Temple de Dieu ne signifie point ici un certain temple déterminé ; mais en quelque temple que ce soit, qui sera consacré à Dieu, cet impie s'y assiéra, comme étant lui-même le Dieu de ce temple (10). » Estius embrasse également le même sens, et aussi Villalpand (11), etc.
   La seconde opinion, qui écarte le Temple de Jérusalem, présente donc des noms non moins autorisés que la première ; d'où il suit que la question, comme pour la ville qui sera le siège de l'empire de l'Antéchrist, reste indécise.

 

II

 

   Au reste, en admettant même que l'Antéchrist entreprenne de rebâtir le Temple de Jérusalem, il ne s'ensuivrait pas que les espérances des Juifs seraient réalisées. Ce ne serait pas, en effet, pour la gloire du nom de Jéhova, mais bien pour se faire adorer lui-même, que l'Antéchrist entreprendrait de rebâtir le Temple de Jérusalem, se posant lui-même comme Dieu, ainsi que l'annonce saint Paul. Aussi Suarez, qui admet, comme nous l'avons vu, la tentative de l'Antéchrist pour le rétablissement du Temple, n'hésite-t-il pas à reconnaître que cette tentative sera tellement imparfaite, que le Temple, à proprement parler, ne sera pas alors rétabli, etiam tunc proprie non instaurabitur. Mais les paroles du savant jésuite méritent d'être citées intégralement. Après s'être donc fait l'objection que, d'après la prophétie de Daniel, le Temple de Jérusalem ne doit jamais être rebâti, puisqu'il est annoncé que la désolation durera jusqu'à la consommation et jusqu'à la fin (12), Suarez ajoute : « Il semble que la désolation aura effectivement duré jusqu'à la fin, si avant l'Antéchrist le Temple n'a pas été rétabli ; car alors il ne sera même pas positivement rétabli, non seulement matériellement, puisque en si peu de temps (que doit durer le règne de l'Antéchrist) il ne saurait être relevé d'une manière complète et parfaite, mais même formellement, ce qui est le point capital, puisque l'entreprise aura pour objet non pas le culte du vrai Dieu. mais celui de l'Antéchrist Car bien qu'au début, l'Antéchrist, pour tromper les Juifs, simulera de vouloir rebâtir le Temple pour le culte de Dieu, en réalité et dans 1e secret de son âme il n'agira de la sorte que pour sa propre gloire et pour se faire adorer. Et ainsi l'abomination et la désolation dureront jusqu'à la fin (13). »
   De toute manière ce sera donc une tentative avortée, plus avortée même que ne le fut celle de Julien l'Apostat, puisque celui-ci avait projeté de rebâtir le Temple, non pas pour lui-même, mais pour y rétablir effectivement, selon le désir des Juifs, le culte de Jéhova.
  Quelle que soit ainsi l'opinion que l'on embrasse, on arrive à cette conclusion que les Juifs, au temps de l'Antéchrist, ne reverront pas plus la réédification de l'ancien Temple de Salomon pour servir au culte de Jéhova, qu'ils ne reverront Jérusalem redevenir leur capitale


(1) II Thessal. II, 4
(2) Suarez, Disputat., LIV, sect. V.
(3) Hieronym., ad Algasiam, quæst. II.
(4) Chrysost., in II ad Thessal. II.
(5) Theodor., in II ad Thessal. II.
(6) Theophyl., in II ad Thessal., II.
(7) Œcumen, in II ad Thessal., II.
(8) August., de Civit. Dei, lib. XX, cap. XIX.
(9) Hilar., in Auxent. n. 12.
(10) CajeL, in II ad Thessal. II.
(11) Villalpandus, t. II, Ezech., part. II, lib. V.
(12) Daniel, IX, 27.
(13) Suarez, Disputat. LIV, sect. V.