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LA CAUSE DES RESTES D'ISRAËL
INTRODUITE AU CONCILE OECUMÉNIQUE DU VATICAN
SOUS LA BÉNÉDICTION DE S. S. LE PAPE PIE IX
ENTREPRISE ET RÉGIT DES DEUX FRÈRES
Joseph et Augustin LÉMANN
( Original téléchargeable au format PDF, ici-même )
ARCHEVECHE DE LYON
place de Fourvière Lyon, le 24 Mars 1912.
Cher Monseigneur,
Avec le frère bien-aimé trop tôt ravi à votre tendresse vous avez étudié les Saintes Ecritures dans des dispositions de loyauté et de persévérance admirables. Les patriarches et les prophètes vous ont conduits à l'étable de Bethléem à l'atelier de Nazareth aux miracles de Notre-Seigneur Jésus-Christ à la Croix du Calvaire. Vos intelligences se sont docilement ouvertes aux lumières de la vérité divine vos cœurs se sont laissés dou- cement pénétrer par la grâce de Dieu et contemplant ravis la personnalité surhumaine du Christ jésus vous vous êtes écriés avec ï Apôtre Pierre : Tu es Ghristus, Filius Dei Vivi !
Mais ce qui est également admirable dans l'histoire de votre conversion et de votre apostolat c'est que ni la vérité avec son éclat ni la grâce avec sa puissance ne vous ont fait oiihlier le peuple d'Israël, Appréciant les trésors spirituels qui venaient de vous être confiés vous vous êtes sentis pressés par la charité de Notre-Seigneur de les répandre autour de vous et votre amour pour vos frères vous a inspiré en vue de leur salut une tentative audacieuse en apparence mais infiniment touchante et noble : provoquer un témoignage solennel de sympathie de la Sainte Eglise de Jésus-Christ en faveur des restes d'Israël et réclamer partout des prières pour leur retour à cette vérité intégrale dont la possession a fait votre bonheur.
Le livre que vous nous présentez est le résumé du travail qui a été la grande préoccupation de toute votre vie. Il est difficile de le lire sans émotion : il manifeste si éloquemment votre amour filial pour la Sainte Eglise catholique à qui vous seriez si heureux de présenter de nouveaux enfants et l'affection que vous gardez au Peuple Choisi qui nous a donné le Rédempteur et sa Divine Mère ! Union admirable de sentiments et de réalités si bien exprimés par l'Apôtre saint Paul : Vos qui aliquando eratis longe, facti estis prope, in Sanguine Christi : ipse enim est pax nostra,qui fecit utraque unum (Ephes., II.l3,14).
Le référendum épiscopal publié dans votre livre est déjà ancien mais il est permis de penser et de dire que si, à l'heure actuelle,
une question semblable était posée de nouveau aux Evêques vous pourriez recueillir les mêmes témoignages de charité et d'espérance. Que l'archange Raphaël vous accompagne dans le voyage que vous allez entreprendre pour déposer votre œuvre aux pieds du Saint- Père ! Notre pensée notre cœur et nos bénédictions vous y suivront.
Recevez cher Monseigneur la nouvelle assuimnce de mon respectueux et bien paternel dévouement en Notre-Seigneur,
‡ Pierre, Card. COULLIÉ,
Archev. de Lyon et de Vienne.
Eminence,
Sur le désir qui m'en a été exprimé, j'ai lu le nouvel ouvrage si intéressant de Monseigneur Joseph Lémann, où il raconte en détail les démarches qu'il fit avec son très cher et bien regretté frère Augustin, auprès des Pères du Concile du Vatican, pour obtenir que le Concile adressât un appel miséricordieux à la nation israélite. Ne semble-t-il pas, en effet, que nous approchons du temps de la réconciliation prédite et si longtemps attendue? C'est donc à cette œuvre si belle et si grande de la conversion de leur nation que les frères Lémann ont consacré leur vie tout entière.
Ce livre en est le suprême témoignage.
Les deux frères y ont collaboré, bien qu'un seul ait pu tenir la plume. Les pages ainsi écrites en communion fraternelle respirent un amour filial pour l'Eglise et ses Pontifes, une suave piété, toute parfumée des souvenirs de l'Ancien Testament, le désir ardent de voir les frères de Jésus-Christ par le sang devenir ses frères par la grâce, en confessant qu'il est le Messie promis, le Sauveur incomparable, le Fils de Dieu et de la Vierge Marie. Enfants d'Israël, les frères Lémann font partie de cette élite de convertis qui n'ont jamais désespéré d'entraîner avec eux vers le Christ du suprême pardon leur nation tout entière : le Vénérable Père Libermann, dont la Congrégation de Missionnaires s'est unie à celle des Pères du Saint-Esprit et se trouve répandue aujourd'hui dans une grande partie du monde ; les deux frères Ratisbonne, dont l'un fut converti miraculeusement, à Rome, dans l'église de Saint-André delle Fratte, et qui se consacrèrent particulièrement aux œuvres de Terre-Sainte ; le Père Hermann, qui se sacrifia au service de nos soldats prisonniers en Allemagne, pendant la guerre franco-allemande; le Père Pie Mortara, l'enfant adoptif de Pie IX. La plupart d'entre eux ont pu connaître les frères Lémann ; ils ont entretenu avec eux les relations d'amitié les plus intimes ; et ces précieux souvenirs, qu'achève d'embellir le sourire si bienveillant et si paternel de Pie IX, le pape du Concile et de l'Immaculée Conception, brillent du commencement à la fin de ce volume comme une rivière de diamants.
Ce qui n'enchante pas moins et y règne d'un bout à l'autre, c'est la charité apostolique, infiniment variée dans ses formes, mais toujours identique au fond, avec laquelle les Pères du Concile signent le Postulatum pro Hebrœis. Cinq cent dix signatures épiscopales furent ainsi recueillies ; et tous les Pères du Concile auraient signé sans exception, si les deux frères, obéissant à un délicat sentiment de déférence, n'avaient voulu céder l'honneur du plus grand nombre de signatures au Postulatum pro infallibilitate. Rien ne pourra mieux toucher le cœur des Israélites que cette manifestation unanime de l'épiscopat catholique. Nulle part ils ne sont attendus avec plus d'estime et de charité, nulle part ils ne seront plus aimés que dans le sein de l'Eglise. Et quelle magnifique preuve leur en est donnée dans cette imposante et auguste « nuée de témoins » ! N'est- ce pas l'expression même de saint Paul, qui s'adressait lui aussi à ses frères les Hébreux?
Un autre sentiment très vif naît de la lecture de ces pages, qui, bien qu'écrites d'une manière très personnelle, gardent toute la valeur d'un témoignage sans apprêt et très fidèle. Ce sentiment, aussi profond qu'il est vif, est celui de l'unité de l'Eglise.
A l'époque où nous reporte l'histoire du Postulatum, Rome réunissait dans ses murs les évêques de toute la catholicité ; et nous les visitons, pour ainsi dire, successivement, en suivant les deux frères, qui sont accueillis par tous et consignent pieusement leurs paroles. Or, c'est bien le même esprit de foi et de charité, l'esprit de l'Evangile, qui vit sans défaillance, après dix-neuf siècles, chez tous ces pasteurs des peuples, venus de tous les points de l'univers et parlant toutes les langues. Ce sont bien là les successeurs authentiques des apôtres. Sans doute, cette unité s'affirme avec plus d'éclat au concile, où les frères Lémann nous font également pénétrer avec eux, le jour de la proclamation du dogme de l'infaillibilité ; mais j'ose dire qu'à certains égards cette unité apparaît mieux encore ici dans l'intimité de ces visites ; car elle n'y est pas plus ou moins voilée par aucun dissentiment, aucune controverse. Aussi, il n'y a pas d'exagération à dire que ce volume apporte quelque lumière nouvelle à l'histoire du Concile du Vatican. Il est semé de souvenirs charmants, parfois très significatifs et qui méritent de passer dans l'histoire. Par exemple ce trait d'humilité de Mgr Dupanloup, qui voulut expressément apposer sa signature au bas de celle de Mgr Pie, son contradicteur victorieux au Concile. Par exemple encore la soumission parfaite de Mgr Maret, qui, de retour à Paris, loin de prêter l'oreille aux récriminations d'un ancien et malheureux ami, Hyacinthe Loyson, l'engagea vivement à se soumettre comme lui de cœur et d'esprit aux enseignements de l'Eglise.
Dieu veuille que le vénérable auteur de cet ouvrage voit ses plus chers désirs se réaliser : le Concile du Vatican reprendre ses sessions, achever l'œuvre commencée et adresser à la nation israélite un appel miséricordieux et efficace ! Ce serait l'un des plus beaux triomphes de l'Eglise.
En lui présentant ce compte rendu, j'aime à me redire de Votre Eminence, le très humble et obéissant serviteur.
(Répétition : Eusèbe et Nicéphore de Chorène racontent que le roi d'Edesse en Mésopotamie, Abgar, atteint de la lèpre et instruit des miracles que Jésus accomplissait en Judée, lui écrivit une lettre pour le prier de venir le guérir. Le messager du roi essaya, sans succès, de faire le portrait du Sauveur, Jésus prit un linge de lin, l'appliqua sur son visage, y imprima la splendeur de ses traits et l'envoya au prince. Le fait se passa le Mardi Saint. Saint Jérôme et Saint Jean Damascène confirment le récit des deux historiens. )
AVANT-PROPOS
UNE PAGE DE L'HISTOIRE DE L'ÉGLISE
Une année après la tenue du Concile Œcuménique du Vatican, en 1871, nous rendions visite à l'illustre Evêque de Nîmes, Mgr Plantier. L'Evêque avait auprès de sa Personne le Très Révérend Père d'Alzon, fondateur et premier supérieur Général des religieux Augustins de l'Assomption, âme aussi contemplative que chevaleresque. Tous deux nous avaient été d'un puissant secours durant le Concile à Rome par leurs conseils et leurs relations. Dans cette visite à Nîmes, Monseigneur Plantier nous demanda de lui résumer ce que la divine Providence nous avait fait accomplir auprès de Pie IX et des Révérendissimes Pères du Concile en faveur des restes d'Israël. Quand nous eûmes terminé notre résumé. Monseigneur Plantier, avec un ton solennel, nous dit : « Messieurs, retenez bien mon dernier conseil. Le Dieu des miséricordes a daigné se servir de vous pour une grande œuvre à Rome. Vous pourrez, dans les années à venir, composer de beaux et solides ouvrages, éditer des livres remarquables, mais rien ne saurait l'emporter sur le récit que je vous conseille, que je vous commande de publier sur vos gestes à Rome en faveur des Israélites, car c'est une page de l'Histoire de l'Eglise.
Une page de l'Histoire de l'Eglise : ce mot en quelque sorte sculpté, sorti des lèvres et du cœur de l'illustre Prélat, est resté devant nos yeux et devant notre vie comme la colonne de feu qui guidait nos ancêtres dans le désert. Des circonstances absolument indépendantes de notre volonté, nous ont empêchés jusqu'ici de livrer au public cette page de l'Histoire de l'Eglise. Après 38 ans révolus, de 1871 à 1909 nous livrons aux regards de Dieu et des hommes la page de l'Histoire de l'Eglise, en faisant le serment, nos mains étendues sur l'Evangile éternel, que tout ce que nous racontons est scrupuleusement vrai.
Notre publication est susceptible d'obtenir un autre résultat confié à la Mère des Miséricordes, la toute puissante Vierge Marie. Avant de se séparer, les Révérendissimes Pères du Concile du Vatican prirent soin de rédiger, à l'adresse des restes d'Israël, une allocution d'honneur et d'amour qui doit être prononcée à la reprise du Concile œcuménique du Vatican. Cette reprise est certaine, car Dieu ne laisse pas inachevé tout ce qui concerne la beauté et le développement de sa chère Eglise. Nous, fils d'Israël, nous appelons donc de tous nos vœux la reprise du saint Concile. Eh bien, daignent les Nations chrétiennes, inspirées par la Mère de Miséricorde, s'associer à ces vœux.
En effet, les Nations ont un extrême besoin de demander que le Concile du Vatican soit repris et s' occupe d'elles : la preuve s'étale sous tous les regards. Nous donnons à cette preuve une tournure biblique, empruntée au prophète Daniel : ce phénomène social sans précédent dans l'histoire, le défilé des empires en vue du Christ qui devait venir. L'empire des Assyriens est remplacé par l'empire des Chaldéens ou de Babylone ; l'empire des Chaldéens est remplacé par l'empire des Perses ou de Cyrus ; l'empire des Perses est remplacé par celui d'Alexandre et des Grecs ; et enfin, l'empire romain les absorbe tous et disparaît à son tour, ou plutôt se transforme. On voit dit Bossuet, ces fameux empires se présenter successivement et tomber pour ainsi dire les uns sur les autres; et sur leurs ruines à tous, apparaît avec Jésus-Christ, l'empire du Fils de l'homme.
Telle a été autrefois, la succession, le défilé, des empires !
Ce défilé, on dirait qu'il a repris, depuis que la société ne s'est plus souciée du Concile du Vatican ; on assiste à une sorte de danse macabre des royaumes. Les gouvernements se succèdent. Tous les Etats, rebelles à la direction du Vicaire de Jésus-Christ, subissent une inclinaison, inclinata sunt régna. Ils déclinent, semblables à des astres fatigués, vers un coucher qui est mystérieux ; et les chefs des peuples se remplacent avec vitesse. Dieu, quel défilé ! L'autorité civile — quel que soit du reste son nom, Monarchie, République, petits Etats, grands Empires — l'autorité est en danger partout. Prise dans le tourbillon du socialisme, elle est secouée avec cette violence que saint Jean a entrevue, lorsqu'il dit dans son Apocalypse : Les étoiles du ciel tomberont sur la terre comme lorsque le figuier étant agité par un grand vent, laisse tomber ses figues vertes. Monarchies, Républiques, petits Etats, grands Empires, tous sont secoués. Ce sont les étoiles qui tombent ; c'est le défilé des empires qui a recommencé !
N'est-ce pas le cri général que, de tous côtés, on se sent vaciller, chanceler, qu'on se sent disjoindre, mourir?
Tout passe dans ce formidable chancellement ;
Tout subit cette mortelle dislocation ;
Et il ne vient pas à la pensée des législateurs endurcis des malheureuses Nations révolutionnées, de se dire les uns aux autres : Redemandons le Concile œcuménique du Vatican.
Avec des clameurs immenses, ô Nations chrétiennes, demandez toutes la reprise du saint Concile, et l'un des plus magnifiques résultats sera celui-ci, prophétisé par le Père Lacordaire : « Lorsque le temps aura fait justice des malheureuses théories qui, en asservissant l'Eglise catholique, lui ont enlevé une grande partie de son action sociale, il sera facile de savoir quel remède y apporter ; on connaîtra que l'art d'y gouverner les hommes ne consiste pas à lâcher sur eux la liberté du mal, en mettant le bien sous fidèle et sûre garde. On délivrera le bien ; on dira aux hommes fatigués d'ennuis séculaires : Vous voulez vous dévouer à Dieu? dévouez-vous. Vous voulez vous retirer de ce monde trop plein où les intelligences surabondent? retirez-vous. Vous voulez consacrer votre fortune au soulagement de vos frères souffrants? consacrez-la. Vous voulez donner votre vie à enseigner le pauvre et le petit? enseignez-les. Vous tous qui voulez le bien sous quelque forme que ce soit, qui livrez la guerre à l'orgueil et aux sens révoltés, venez et faites. Nous nous sommes usés à combiner des formes sociales, et la vie n'est jamais descendue dans nos creusets brisés. Qui a la vie la donne, qui a l'amour le répande, qui a le secret le dise à tous ! Alors commenceront des temps nouveaux avec une nouvelle effusion de richesses ; et la richesse, ce n'est ni l'or, ni l'argent, ni les vaisseaux qui rapportent des extrémités de la terre des choses précieuses, ni la vapeur et les chemins de fer, ou tout ce que le génie de l'homme peut arracher des entrailles de la nature : la richesse, il n'y en a qu'une, et c'est l'amour ! »
O Nations chrétiennes, écoutez la voix du plus éloquent de vos fils, écoutez également la voix bien humble des deux fils d'Israël; et vous aurez tracé, sous l'inspiration de la Très Sainte Vierge, une des plus belles pages de l'Histoire de l'Eglise.
Les Abbés Lémann.
Lyon, en mai 1909.
CHAPITRE PREMIER
Ce qui nous détermine à tenter une démarche en faveur des israéiites
auprès du Concile œcuménique du Vatican.
— I. Fiction pleine de grandeur, mais incomplète, du Juif-Errant écoutant avec émotion à la porte de l'Assemblée constituante du 28 septembre 1791 : il entend le décret d'émancipation du peuple juif. Cette fiction incomplète à cause du caractère rationaliste de l'Assemblée Constituante, devient une réalité irréprochable à la porte du Concile œcuménique du Vatican en 1869. Importance de remémorer la fameuse prophétie d'Ezéchiel sur « le champ des ossements « . Les gouvernements de la société civile ont accompli une première phase de résurrection en transformant des ossements secs et arides encore bien ajustés mais sans vie. Aux évêques d'un Concile œcuménique il appartient d'inspirer la vie.
— II. L'entreprise de commencer la résurrection des restes d'Israël nous est confiée par Sa Sainteté Pie IX. Composition d'un manuscrit intitulé : « La Question du Messie et le Concile du Vatican ». Notre manuscrit achevé, nous choisissons Monseigneur Dupanloup, évêque d'Orléans, pour examinateur du manuscrit et protecteur de notre sainte entreprise. Motifs prépondérants de ce choix. Vive satisfaction de l'examinateur. Rendez-vous à Rome.
— III. Envoi du manuscrit imprimé à un ^rand nombre d'évêques. Résumé substantiel de ce livre ; une première partie énumère les différentes phases de la question messianique au sein du peuple juif depuis la ruine de Jérusalem : période d'inquiétude, période de désespoir, période de rationalisme et d'indifférence. La deuxième partie énonce une dernière phase ou période de reconnaissance. Cette période, pleine de charme est appuyée sur l'histoire figurative de Joseph reconnu par ses frères. Le Concile du Vatican emprunte trois épisodes à cette histoire si touchante de Joseph. La famine, les greniers de Rome, Jésus que doivent reconnaître les Israélites ses frères.
I
Le 26 septembre 1791, un homme au costume antique écoutait à la porte d'une Assemblée française. Son visage trahissait une douleur profonde, et la neige de sa barbe descendait à longs flots sur sa poitrine. Timidement blotti dans l'angle de la porte, il écartait ses longs cheveux de son oreille, pour écouter haletant : comme si un seul mot prononcé dans la salle allait terminer sa souffrance héréditaire et, après une fatigue de près de deux mille ans, accorder enfin le repos à ses longs voyages.
Tout à coup quelque chose s'émut dans la salle, et cette parole retentit : Pour les Israélites comme pour les autres hommes, égalité et fraternité.
Cette Assemblée était l'Assemblée Constituante de 1791, et ce vieillard qui écoutait à la porte était le Juif-Errant.
C'est ainsi qu'un poète israélite a représenté l'émancipation du peuple juif en France à la fin du siècle dernier.
Il y a, sans nul doute, quelque chose de grand dans cette fiction qui recouvre un fait historique. Ce Juif-Errant écoutant et haletant d'émotion et d'espérance à la porte des Chambres françaises, c'est un tableau qui n'est pas ordinaire. Le poète (1) lui fait dire :
« Le cerf traqué par le chasseur
Succombe enfin dans sa fuite,
Lorsqu'il s'élance éperdument dans les flots,
Et s'y plonge tout couvert de sang.
Je suis la bête traquée, forcée,
Pourchassée à travers le monde ;
Dans les tempêtes du feu et de la mer
J'ai cherché en vain la mort.
Il me fallait vivre, exister
Et ne jamais voir la liberté.
Mais maintenant, je crois voir l'aurore
Qui me délivre de tous mes maux,
Qui transforme tout mon être
Qui me guérit de toutes mes souffrances (2 ».
(1) Henri Heine était israélite; il naquit à Dusseldorf, sur les rives du Rhin, en 1799, et mourut à Paris en 1856. Ses poésies lui assurèrent une place parmi les plus grands poètes de l'époque.
(2) Traduit de l'allemand.
Cette fiction, nous le répétons, ne manque pas de grandeur, mais elle a un inconvénient : celui de faire arrêter et reposer le Juif-Errant à la porte d'une Assemblée rationaliste pour qui la Révélation mosaïque n'avait pas plus de valeur que la Révélation chrétienne. Quand l'Assemblée Constituante aborda la question du peuple juif, elle ne se proposa qu'un but purement civil et sciemment rationaliste : faire tomber le manteau d'ignominie qui couvrait les épaules du Juif, sans se préoccuper du voile qui couvrait ses yeux ; effacer les taches de boue qui étaient sur sa personne, sans se préoccuper de la tache de sang qui était à son front.
La fiction qui représente le pauvre Juif anxieux, attendant sa régénération à la porte des Chambres françaises, ne manque donc pas d'une certaine grandeur. Mais elle est incomplète, la vérité religieuse ayant été bannie de cette régénération.
Eh bien, ce qui n'était qu'une fiction incomplètement heureuse à la porte de l'Assemblée Constituante, est devenu une réalité irréprochable à la porte du Concile du Vatican.
Vers la fin de l'année 1869, le Concile s'était rassemblé à Rome. Les Pères s'y étaient rendus de tous les points du globe. La salle conciliaire présentait une incomparable majesté. Deux choses saisissaient en l'apercevant : le tombeau du batelier de la Galilée à sa porte, et à son frontispice, cette inscription : Enseignez toutes les nations.
Or, au premier rang de la foule qui se pressait aux abords de la salle se trouvaient deux fils de ce peuple que symbolise le Juif-Errant. Ils écoutèrent à la porte. Et voici ce qu'ils entendirent :
« D'une extrémité de la terre jusqu'à l'autre, disaient les Pères du Concile, les croyances religieuses se perdent et les nations se meurent. La Révélation est presque oubliée ; il n'y a plus de foi, la raison est au-dessous d'elle-même; la morale n'est plus suivie ; l'injustice est devenue universelle ; ou le monde va périr, ou il faut une résurrection. »
Ainsi parlaient les Pères du Concile.
En entendant ces paroles et ce mot de résurrection, les deux fils de Jacob pensèrent aux restes de leur peuple qui, eux aussi, attendent une résurrection.
Qu'on nous permette ici de parler de nous-mêmes, nous sommes deux frères jumeaux. Un jour, le Pape Pie IX nous demanda avec ce charme que tout le monde sait : « si nous étions deux Esaü ou deux Jacob ? » Nous lui répondîmes que nous espérions bien que la grâce de Dieu daignerait faire de nous deux Jacob et que jamais l'un ne chercherait à supplanter l'autre. Nés le même jour, nous avons passé le même jour du judaïsme au catholicisme, à l'âge de dix-neuf ans ; nous avons été faits prêtres ensemble ; nous avons dit notre première messe à la même heure, dans la même église ; et maintenant nous travaillons ensemble, depuis bien des années à la même œuvre qui est l'œuvre de la conversion de notre peuple : jusqu'au jour où Dieu voudra bien, s'il regarde non pas nos mérites, mais sa miséricorde qui nous a ramenés de si loin, partager entre nous deux une seule et même couronne.
A l'ouverture du Concile du Vatican, l'Esprit de Dieu nous poussa vers Rome ; nous écoutâmes à la porte du Concile. On y parlait de la résurrection de la foi, de la résurrection de la raison, de la résurrection des sociétés. Nous pensâmes donc naturellement à la résurrection des restes de notre pauvre peuple.
Nous sommes prêtres catholiques, et à ce titre toutes les misères de la société nous sont chères. Mais comme saint Paul converti, nous restons israélites : ils sont Israélites, je le suis comme eux ; et c'est pourquoi nous ressentons un amour de préférence pour la grande misère de notre peuple. C'est la pensée de soulager cette grande misère qui nous a inspiré le dessein d'aller trouver un à un, l'un après l'autre, tous les évêques du monde réunis à Rome. Dans les difficultés de l'entreprise, l'amour de notre nation a bien souvent soutenu notre courage. Il nous en souvient, quelques jours après notre baptême, alors que tout était nouveau pour nous et nous laissait des impressions ineffaçables, nous rencontrâmes le pieux Père Hermann, lui aussi israélite converti, qui nous dit cette parole : « Pour sauver un seul de nos pauvres frères, je me traînerais sur les deux genoux jusqu'au bout du monde. » Cette parole nous est restée. Elle n'a pas peu contribué à nous faire entreprendre notre long pèlerinage à la porte de tous les Evêques.
Les Evêques restent à cette heure les seuls médecins de la société mourante. Eux seuls possèdent encore le pouvoir de ressusciter. Leur pouvoir de résurrection nous apparaissait d'autant plus réel et d'autant plus désirable que les gouvernements civils et politiques s'arrogent depuis 1789 la prétentieuse mission de raviver, sans le secours de l'Eglise, les races tombées et avilies. Il faut en convenir, ces gouvernements, en vertu d'un reste de puissance qui leur vient de leur ancien accord avec l'Eglise, ont cru pouvoir commencer à résoudre ces questions de résurrection. Mais tous leurs efforts ont abouti à une agitation chez les morts plutôt qu'à une résurrection.
Nous allons rappeler ici la fameuse prophétie d'Ezéchiel sur le champ des ossements : on y verra la part que les gouvernements ont prise à la résurrection des races avilies, et la part que nous entrevoyons pour les évêques et pour l'Eglise.
« Un jour, raconte le Prophète, le Seigneur m'emporta en esprit; et il me déposa au milieu d'un champ, et ce champ était plein d'ossements ;
« Et il me conduisit autour de ces os; et ils étaient en grand nombre sur la surface du champ, et très secs.
« Et il me dit : Prophétise sur ces os... Et je prophétisai. Et comme je prophétisais, un bruit s'entendit, et voilà qu'un grand remuement se fit parmi ces ossements, et ils s'approchèrent l'un de l'autre, et chacun se plaça dans sa jointure.
. « Et je vis tout à coup que des nerfs se formèrent sur ces os, des chairs les environnèrent, et la peau s'étendit par-dessus. Mais l'esprit n'était pas encore en eux. »
Telle est la première phase de résurrection. Voici maintenant la seconde :
« Alors le Seigneur me dit : Fils de l'homme, prophétise une seconde fois, prophétise à l'esprit, dis à l'esprit : Esprit, venez des quatre vents, et soufflez sur ces morts, afin qu'ils revivent ».
Et je prophétisais donc encore comme le Seigneur me le commandait. Et en même temps l'esprit entra dans ces os, et ils devinrent vivants, et une armée innombrable se leva sur ses pieds.
« Et le Seigneur me dit : fils de l'homme, ces os, c'est toute la maison d'Israël (1). »
(1) Ezéchiel, chap. XXXVII.
Qu'on veuille bien réfléchir : d'une part, sur les faits étonnants auxquels nous assistons depuis un siècle; d'autre part, sur le texte de cette mystérieuse prophétie d'Ezéchiel, et l'on conviendra que les faits et la vieille prophétie s'éclairent mutuellement.
En 1791, un bruit étrange s'est fait entendre. C'était la société civile qui entreprenait de ressusciter les morts de la maison d'Israël. Sous le souffle de l'émancipation décrétée en France, les ossements ont remué ; s' approchant l'un de l'autre, chacun s'est placé dans sa jointure ; des nerfs se sont formés sur ces os, des chairs les ont environnés, des traits se sont dessinés par dessus : les Juifs qui n'avaient ni forme, ni place, dans la société civile, ont maintenant une forme, et une place ; ils forment un corps.
Le même remuement s'est prolongé aussi en Angleterre, en Autriche, en Prusse, en Italie, en Espagne; qu'on prête l'oreille, il se fait entendre à cette heure en Roumanie et en Russie.
Mais tout cela, ce n'est encore qu'un remuement des ossements desséchés d'Israël, et tout au plus leur ajustement par la société civile : l'esprit n'est pas encore en eux.
La venue de l'esprit dans ces ossements appartient à la seconde phase de résurrection. « Fils de l'homme, prophétise une seconde fois, dis à l'esprit : Esprit, venez des quatre vents, et soufflez sur ces morts, afin qu'ils revivent. »
Eh bien, ce souffle de l'esprit, qui ne saurait venir des pouvoirs humains et de la société civile, c'est sur les lèvres des Evêques et de l'Eglise que nous avons espéré le rencontrer.
Venez des quatre vents, a dit aux Evêques le Pontife Romain. Et les Evêques sont arrivés des quatre vents, et ils ont formé le Concile.
Soufflez sur ces morts, afin qu'ils revivent. Que de morts devant vous, ô Evêques, dans ce champ qui s' appelle la société moderne ! Que de morts à faire revivre !
Oh ! n'oubliez point parmi eux les morts de la maison d'Israël.
II
Mais de quelle manière inviter les Evêques à répandre sur les restes d'Israël ce souffle de grâce et de résurrection? Qui nous donnera à nous-mêmes l'élan de cette grande entreprise? Dieu soit béni, cet élan nous est venu du Chef de l'Eglise. Nous venions de recevoir de Sa Sainteté Pie IX la douce mission de travailler à ce qu'il n'y ait plus qu'un seul troupeau et qu'un seul pasteur ; voici en quels termes cette mission nous était tracée :
PIE IX, PAPE
CHERS FILS, SALUT ET BÉNÉDICTION APOSTOLIQUE
« Nous vous félicitons, chers Fils, de ce que, transférés dans la lumière et le royaume de Dieu, et admis à l'héritage du Seigneur, vous consacrez la force de la charité chrétienne, déposée en vous, à procurer le salut de ceux avec lesquels, autrefois, vous viviez dans les ténèbres.
« Nous tenons pour très agréable votre dévouement envers ce Saint-Siège, sur lequel l'unité catholique trouve la solidité, et Nous demandons à Dieu que, de même que sa grâce a déjà brillé pour vous, de même, par votre zèle et par votre travail, elle éclaire l'esprit de vos frères, et qu'elle les amène tous, au plus tôt, auprès de Nous, pour qu'il n'y ait plus enfin qu'un seul troupeau et qu'un seul pasteur.
C'est pourquoi, comme gage de la faveur céleste, et comme gage de Notre tendresse paternelle, Nous vous accordons, avec la plus grande affection, la Bénédiction Apostolique.
« Donné à Rome, à Saint-Pierre, le 6 février 1867, la XXI année de Notre pontificat.
« Pie IX, Pape. »
Emus et enflammés par cette mission de confiance venue de si haut, nous nous sommes mis à l'œuvre. Attendu que la question du Messie formait l'antique muraille de séparation entre l'israélite et le chrétien, c'est sur cette question que nous concentrâmes notre labeur. Nous composâmes un manuscrit dans lequel, nous adressant aux israélites et aux chrétiens, nous leur montrions ce qu'ils avaient à renverser mutuellement de cette vieille muraille, pour arriver à se réunir : les chrétiens verraient surtout dans la seconde partie du livre ce qu'ils doivent faire tomber ; les israélites le verraient dans tout l'ouvrage. Notre manuscrit se terminait ainsi : « Puisse ce livre, écrit avec cette foi et ce courage que donne l'amour, être comme le premier coup de pioche, à ce qui reste de la vieille muraille ! »
Notre manuscrit étant terminé, il s'agissait de trouver un examinateur qui fût en même temps un protecteur. Nous nous adressâmes à Monseigneur Dupanloup, évêque d'Orléans. Plusieurs motifs justifiaient ce choix. Avec l'intrépidité et l'envergure d'un aigle, le grand évêque avait défendu et fait triompher les plus belles causes : le pouvoir temporel du Souverain Pontife aux acclamations de tout l'épiscopat, la liberté d'enseignement de concert avec les comtes de Montalembert et de Falloux. Mais des considérations d'un ordre surnaturel nous faisaient désirer encore plus vivement d'avoir ce Prélat pour examinateur et protecteur. N'était-ce pas lui qui, lors de l'apparition miraculeuse de la Très Sainte Vierge à Alphonse Ratisbonne dans l'église de SaintAndré délie Fratte, à Rome, avait été appelé à l'insigne honneur de porter la parole au moment solennel où l'heureux converti allait recevoir le saint baptême? L'éloquent prédicateur n'était encore que l'abbé Dupanloup, et voici en quels termes MarieAlphonse Ratisbonne a lui-même retracé son émotion : « Heureux ceux qui l'ont entendu avec moi ! car les échos de cette puissante parole qu'on a répétée plus tard, ne rendront jamais l'effet de la parole elle-même. L'abbé Dupanloup descendit de la chaire au milieu des pleurs par lesquels l'auditoire répondait aux cris de son âme ». Un autre motif surnaturel justifiait encore notre choix : l'évêque d'Orléans n'était-il pas l'Evêque de Jeanne d'Arc? Sa Jeanne d'Arc n'avait-elle pas une ressemblance très frappante avec nos héroïnes juives, Débora, Judith, Esther, que le ciel avait suscitées pour délivrer l'ancien peuple de Dieu, comme il suscitait plus tard la pucelle d'Orléans pour délivrer la très noble France.
Encouragés par tous ces motifs, après avoir bien prié Celle qui est l'Etoile du matin, la bonne Vierge Marie, nous adressâmes à Monseigneur Dupanloup une lettre pleine d'une douce confiance dans laquelle étaient exposées les grandes lignes de notre projet. La réponse fut exquise.
ÉVÊCHÉ D'ORLÉANS
« Mes chers Amis, « Je suis tout à vous, venez, et le plus tôt sera le meilleur.
Le rendez-vous fut fixé dans son petit séminaire de la Chapelle, près d'Orléans. Notre manuscrit fut examiné par Sa Grandeur durant trois jours. En nous le rendant, Monseigneur nous dit : « C'est une belle fleur sortie de la tige de Jessé. »
Il fut alors convenu que le manuscrit serait imprimé et envoyé à un grand nombre d'évêques. « Je plaiderai la cause de l'Israël de Dieu devant le Concile rassemblé », nous dit notre charitable protecteur. On devait se retrouver à Rome.
III
Le manuscrit devenu un imprimé de 156 pages avec ce titre : « La question du Messie et le Concile du Vatican » fut donc envoyé par nous à un grand nombre de Nosseigneurs les Evêques. Voici, en substance, le contenu de ce livre adressé aux israélites et aux chrétiens.
Dans une première partie étaient énumérées les différentes PHASES DE LA QUESTION MESSIANIQUE AU SEIN DU PEUPLE JUIF DEPUIS LA RUINE DE JÉRUSALEM.
Trois périodes :
Période d'inquiétude. — Les temps étaient venus pour la synagogue d'enfanter, parce que le fruit messianique était mûr pour être donné. Le Messie apparaît, il est méconnu et crucifié. En l'an 70, Jérusalem est prise par Titus. Avec le Temple qui brûle, disparaissent les fameuses généalogies qui, conservées dans le Temple, avec un soin jaloux, servaient à distinguer la tribu de Juda de toutes les autres tribus, et dans la tribu de Juda la famille de David de toutes les autres familles. A dater de cette perte commence pour les familles juives une situation de ténèbres, de confusion inextricable. Où est la famille de David de laquelle doit sortir le Messie : nul ne saura plus le dire ; interrogation ennuyeuse qui embarrassera les rabbins. La période d'inquiétude est à son comble ; plusieurs se demanderont tout bas : d'où vient que le dernier hosanna du peuple à un rejeton de David s'est fait entendre le jour des Rameaux? Depuis lors, de David on ne dit plus rien, on ne trouve plus rien, on ne sait plus rien.
Un épisode tout à la fois lugubre et puéril vient ajouter au relief de cette période d'inquiétude : nos pères se fatiguent à calculer la célèbre prophétie de Daniel sur les 70 semaines qui devaient précéder la venue et la mort du Christ. Leurs supputations ont étonné et étonnent encore. Ils ont, dans leurs angoisses, recommencé leurs calculs de plusieurs manières, et enfin, les calculs ordinaires étant épuisés, ils ont cherché à éclaircir les désespérantes semaines à l'aide de la science cabalistique : science abstruse, sans rives, aux combinaisons vertigineuses, de laquelle, avec de nouvelles dates, ils n'ont jamais fait sortir que de nouvelles déceptions. A ce comble d'inquiétude, en union avec l'âme angoissée de nos pères, nous avons vu comme une double vision passer devant nos regards.
C'était d'abord l'Israël de Dieu captif auprès des fleuves de Babylone. Sur son front pâle, mais calme, était une confiance impérissable; aux saules du chemin il avait suspendu sa lyre ! Tout à coup, du sein de sa tristesse et comme à travers ses voiles funèbres, le grand captif poussait un cri d'amour, fort, ardent, passionné : il avait entrevu dans ses rêves le Messie et Jérusalem ! A cette vue, il oubliait toutes ses douleurs, il ne sentait plus ses chaînes, il ne savait plus s'il errait sur les rivages de Babylone, il oubhait le joug chaldéen : Jérusalem, il y avait dans son âme l'indestructible certitude de te revoir, et de se relever par toi, ô Emmanuel !
Et à cette vision en succédait une autre.
C'était encore l'exil, c'était encore l'Israël de Dieu, mais cette fois son attitude avait changé.
Vendu comme un vil bétail sur les marchés de Gaza et de Térébinthe, que fait-il furtivement le soir, après son travail d'esclave? Il calcule.
La tige de Jessé n'est plus, le livre des généalogies n'est plus, le Temple n'est plus : il presse ses calculs.
Sur sa tristesse nous cherchions, comme dans ses autres exils, le calme et le rayon de l'avenir, mais sa tristesse était sans rayon, elle n'avait plus de beauté.
Aux saules de Babylone, il y avait des harpes ; ici nous n'apercevions que des entassements de chiffres et des caractères cabalistiques.
Là-bas, c'était l'aurore, on regardait se lever l'étoile de Jacob ; ici, c'est la fatigue et c'est la nuit.
Dans l'ombre du premier tableau apparaissait Daniel qui consolait et faisait tressaillir ses compagnons d'exil en leur racontant les révélations de l'Ange : « Moi, Daniel, « tandis que j'étais en prière, voici que l'ange de Dieu m'a parlé... » ; ici nos pères sont seuls ; nul prophète auprès d'eux pour les tirer de leurs inextricables combinaisons ; leur dos est courbé, la lassitude les accable et tandis que la plupart s'impatientent du retard, quelques-uns, le front soucieux, semblent dire : N'y a-t-il pas dans les prophéties quelque chose que nous avons mal entendu?
Période de désespoir et de silence. — C'est l'époque du moyen âge ; les jeunes nations chrétiennes en formation, et aussi les juifs jaloux de conserver au milieu d'elles leurs coutumes, veulent être à part, ne pas se mélanger : de là les ghettos ou juiveries, positivement voulues par les juifs comme par les chrétiens. Reléguée à part, chaque juiverie présente une organisation en quelque sorte crispée qui se concentre dans le rabbin.
Or le rabbinisme, redoutant l'influence des controverses catholiques, prend alors une résolution désespérée, mais
14 DÉTERMINATION d'UNE DEMARCHE
habile : celle d'interdire, d'étouffer et d'enterrer la question messianique.
Leur première mesure fut les anathèmes et les exécrations. Tous les rabbins se mirent à maudire les chercheurs du Messie. Qu'on écoute leurs funèbres souhaits, nous en avons composé une chaîne :
« Tous les termes qui étaient marqués pour la venue du Messie sont passés », dit rabbi Rava.
« Maudits soient ceux qui supputeront les temps du Messie )>, dit le Talmud de Babylone.
« Puissent leurs os se rompre », dit rabbi Jochanan.
« Périsse leur âme », dit rabbi Ephraïm. '
« Que l'enfer les engloutisse », dit rabbi Abarbanel.
« Que la géhenne les dévore », dit rabbi Matthatia.
« Que leur cœur éclate et que leurs calculs s'évanouissent », dit rabbi Maïmonide.
« Que leur esprit crève comme une tumeur », répètent à l'envi d'autres rabbins.
Quel langage ! quelle solution ! si la vérité était là, aurait-elle donc ces accents !
Une deuxième mesure rabbinique, plus radicale encore, fut de faire oublier la question messianique en substituant, à l'étude de la Bible, l'étude du Talmud. Le nom de Talmud signifie enseignement, transmission. Sous le but spécieux de compiler et de transmettre des documents scientifiques, cérémoniels et casuistiques concernant les mœurs des Hébreux, le rabbinisme parvint à détourner les esprits de l'étude de la Bible pour les parquer dans le monstrueux assemblage des douze volumes in-folio qui composent le Talmud. Oui, il vint un temps dans notre histoire où, sous la pression incessante des talmudistes, on vit le génie lit
téraire du peuple hébreu, ce beau génie qui s'était appelé Isaïe, Amos, Joël, changer tout à coup de direction, quitter, comme un grand fleuve qu'on veut tarir le lit majes
AUPRÈS DU CONCILE 15
tueux que Dieu lui avait fait, et où il coulait depuis quarante siècles, abandonner ces rives fortunées de la Bible, les collines de Gabaa et les champs de Saron, pour se perdre dans l'aridité des sables, dans les questions vétilleuses du Talmud. Plus de larges horizons, plus de nobles frémissements sur les hauteurs ! Ce peuple ne s'occupera désormais que de questions de viandes pures ou impures, de souillures contractées ou lavées, de minuties sabbatiques, et de calendrier. Les Pères de l'Eglise ont vu tout cela et leur compassion était grande. « Au lieu de vous exposer « le sens des prophéties, leur disait l'un d'eux, vos maîtres « s'abaissent à des niaiseries. »
Aussi un israélite résumant et dénonçant notre situation intellectuelle au moyen âge, a pu écrire dernièrement :
(( C'est aux talmudistes que, dans leur exil, les Juifs « doivent l'étouffement de tout esprit d'indépendance spi« rituelle; depuis que le Talmud, ce livre de plomb, pèse (( sur Israël, les Juifs n'ont plus d'histoire. »
Pour être complet, il n'aurait eu qu'à ajouter : et surtout plus de question messianique. Oui, depuis que ce livre de plomb pèse sur Israël, les Juifs n'ont plus de question messianique.
Pério de de ra tionalisme et d'ind i fférence. — Dans les temps modernes deux partis considérables se forment au sein des synagogues, adversaires tous deux du vieux parti talmudiste : l'un composé de rationalistes, regarde le Messie comme un mythe; l'autre, formé de matérialistes et d'indifférents, traite la question messianique de question oiseuse.
Qu'est-ce que ce Messie mythique? Le Messie, disent les juifs rationalistes, le Messie, mais ce n'est pas une personne ! Voilà pourquoi nos pères l'ont attendu en vain durant quatre mille ans. Le Messie, c'est une idée, le Messie,
16 DÉTERMINATION d'UNE DEMARCHE
c'est un règne : le règne universel du monothéisme ou de l'unité de Dieu et le règne universel de la fraternité et de la liberté des peuples, et, au milieu de cette double splen
deur d'un Dieuun et d'une humanitéune, l'exaltation d'Israël, du peuple martyr de ces deux unités, voilà le Messie l
La Bible dans les mains et l'indignation dans le cœur, Israélites des vieux siècles, nous nous levons pour venger les traditions de nos pères. i>
Quoi, désormais le Messie ne serait plus une individualité personnelle ! Et cette attente d'un Messie personnel n'aurait été qu'un beau rêve, mais rêve étroit, entretenu sous le ciel mystique et passionné de l'Orient! Quoi, désormais le Messie serait l'émancipation plus large de 89? Il serait la raison humaine parvenue à son état viril? Désormais on ne le distinguerait plus, ni du monothéisme, dont il serait l'épanouissement suprême ; ni de l'humanité, dont il serait l'ère de concorde et de liberté ; ni du peuple d'Israël, dont il serait l'accentuation victorieuse? vous, qui avez signé ces choses, vous n'avez donc pas vu que vous brisiez avec la tradition Israélite tout entière.
Vous brisez avec la tradition.
Avec la tradition patriarcale qui, de famille en famille, de lit de mort en lit de mort, dans les scènes fameuses de ses bénédictions, n'a jamais transmis que la promesse et la semence sacrée d'un Messie personnel !
Avec la tradition prophétique, qui n'a jamais chanté qu'un Messie personnel I
Avec la tradition talmudique elle-même, qui n'eût jamais maudit, s'il n'eût été question d'un Messie personnel !
Et enfin avec la tradition populaire qui, dans les bénédictions des patriarches, dans les chants des prophètes, dans les malédictions des talmudistes, n'a jamais reconnu qu'un Messie personnel !
AUPRÈS DU CONCILE 17
Et contre tout cet ensemble de traditions, vous venez déclarer qu'il n'y avait là qu'une fausse manière d'interpréter le Messie, et vous vous proclamez encore israélites ! Arrière ! Aussi longtemps qu'une goutte du vieux sang juif circulera dans le monde, cette goutte de sang indignée s'agitera, et, témoin indestructible de ce qui se préparait dans les flancs des patriarches, et de ce qui s'annonçait sur les
lèvres des prophètes, elle vous criera :
Non, le Messie n'est pas un mythe, Abraham a parlé de sa semence.
Il n'est pas un mythe, Jacob a parlé de sa tribu.
Il n'est pas un mythe, Isaïe a parlé de son intelligence, de sa bouche et de son visage.
Il n'est pas un mythe, Daniel a parlé de sa mort.
En regard du Messie mythique, V indifférence matérialiste est la seconde attitude et la plus générale, du judaïsme contemporain ; c'est l'apparition navrante et agrandie de la scène du désert, alors qu'ayant oublié Moïse, qu'il s'était lassé d'attendre, le peuple se rassasiait et dansait autour du veau d'or.
La seconde partie de notre livre, adressée aux israélites et aux chrétiens, avait pour titre : Espérance d'une dernière PHASE, ou PÉRIODE DE RECONNAISSANCE.
Après toutes les phases que nous avions décrites, après la période d'inquiétude, après la période de désespoir, après la période de rationahsme et d'indifférence, nous faisions espérer une dernière période pleine de charme et de consolation : la phase du Messie retrouvé, ou la période de reconnaissance.
18 DÉTERMINATION d'UNE DEMARCHE
Cette espérance nous l'avons appuyée sur l'histoire figurative et si touchante de Joseph fils de Jacob, alors que dans le cœur du vieux Jacob il y a le deuil de son fils qu'il
croit mort, et que dans les autres fils du patriarche il y a l'oubli du frère qu'ils avaient vendu. Situation qui, à cette heure de l'histoire, se retrouve identiquement la même chez les israélites : pour quelques-uns, le Messie demeure un su
jet de deuil, pour le plus grand nombre il est un objet d'oubli.
Or le Concile du Vatican s'est dressé providentiellement devant nos regards, empruntant trois épisodes à l'histoire de Joseph, ces épisodes : la famine, les greniers de Rome, Joseph reconnu par ses frères.
La famine. — Durant de longs siècles, les nations chrétiennes ont été l'agriculture de Dieu ; c'est une belle expression de saint Paul, agricultura Dei ! les nations se laissaient travailler par le Christ et son Eglise, comme un champ est travaillé par le laboureur. Aussi étaientelles couvertes de moissons luxuriantes qui s'appelaient l'honneur, la foi vive, le respect du foyer, la fraternité des peuples, les croisades : que vous étiez belles alors, ô nations chrétiennes ! Mais voici qu'un cri de révolte s'est propagé parmi vous : débarrassonsnous du Christ et de son Eglise, c'est-à-dire débarrassonsnous de l'agriculteur... Or, depuis que vous n'êtes plus l'agriculture de Dieu, une famine insolite, immense, ne se faitelle pas sentir dans le monde, étendant de plus en plus ses ravages et ses appréhensions. En effet :
Le présent n'est plus la foi. Les antiques croyances à la révélation mosaïque et chrétienne, qui firent longtemps la vie et la joie des peuples, ont disparu devant le mépris, devant le rire des débauchés et le droit au blasphème.
Le présent n'est plus même la raison. L'idée de Dieu est en péril.
AUPRÈS DU CONCILE 19
Le présent n'est plus la justice. Les nations et leurs chefs l'ont oubliée ; et la terre n'aura bientôt plus d'asile à lui offrir.
Le présent n'est plus l'honneur. On ne rencontre que des cœurs inclinés bassement vers la terre, et devenus presque semblables au froid métal pour lequel ils se sont vendus.
Le présent n'est plus la vertu. On dit que les mœurs sont infâmes, et qu'il y a un effrayant retour des hommes, par grandes masses, vers l'animalité.
Le présent n'est plus la fraternité. L'égalité civile et la division des fortunes avaient bien diminué la distance qui séparait le pauvre du riche ; mais, en se rapprochant, ils semblent avoir trouvé des raisons nouvelles de sehaïr, et jettent l'un sur l'autre des regards pleins de terreur et d'envie.
Le présent n'est plus l'ordre. La liberté veut dévorer l'autorité, l'autorité veut étouffer la liberté : on ne sait plus où marche ce grand corps de l'Europe, qui tantôt se heurtant à une démocratie sans limites, tantôt à une autocratie sans contrepoids, incertain de sa route et de son but, est plutôt semblable à un homme ivre qu'à une société.
Le présent n'est plus la paix. Jamais l'humanité n'avait entendu un tel bruit d'armes ; et l'imagination entrevoit des lacs de sang que ne pourront dessécher ni les vents avec leurs brûlantes ardeurs, ni le soleil avec tous ses feux.
nations chrétiennes, qu'êtesvous devenues ! Ah ! ne nous montrez pas vos voies ferrées, ni vos chars de feu, ni l'électricité, ni le percement des montagnes. Tout cela, ce ne sont que les chemins du champ. Montreznous le laboureur, qu'avezvous fait du laboureur : du Christ et de son Eghse ? Vous vous en êtes débarrassés, et conséquemment aux moissons qui vous couvraient a succédé l'épouvante de la famine.
1
20 DÉTERMINATION d'UNE DEMARCHE
Les greniers de Rome. — Lorsque la famine désola l'antique Egypte, la divine Providence lui suscita un sauveur, Joseph fils de Jacob, « homme sage et habile et rempli de l'esprit de Dieu », dit la Bible, qui prit soin d'amasser par
avance des réserves considérables de blé : à l'heure où les années de disette accablèrent le pays, les greniers de Pharaon s'ouvrirent et l'on vendit du pain à une multitude de personnes qui furent sauvées.
Sous la Loi d'amour et de grâce, les greniers du salut ne sont pas moins visibles, avec une supérieure abondance de secours. Où donc la Providence les a1elle placés? A Rome !
Rome, le grenier du monde : c'est bien l'aspect qu'on lui trouve, et c'est bien le caractère qui lui convient. Les au
tres capitales de la terre ont d'autres aspects ; elles rappellent le bazar, le marché, la citadelle : Rome seule a le privilège de présenter l'aspect du grenier qui conserve les bonnes choses anciennes, et qui est prêt à s'ouvrir pour recevoir les bonnes choses nouvelles. C'est là qu'habite cet
homme qui a un nom en rapport avec l'aspect de sa ville, et aussi avec les greniers du Ciel dont il a les clefs : le Pape, c'est-à-dire le Père, le bon Père de famille, qui a la garde et la puissance du froment, et à qui le Maître a fait cette recommandation d'amour : Pais mes brebis, pais mes agneaux.
Tous les Papes qui se sont succédé dans la garde des greniers de Rome, ont mérité l'éloge « d'homme sage et habile, rempli de l'esprit de Dieu » qui fut décerné à Joseph sauveur de l'Egypte, mais cet éloge prend un éclat exceptionnel dans le pontificat de Pie IX. En effet, voici que pour obvier à la famine qui s'appesantit sur les nations chrétiennes. Pie IX vient de convoquer le Concile œcuménique du Vatican.
Qu'ils sont beaux les pieds de tous ces évêques, ces fer
AUPRÈS DU CONCILE 21
miers de l'Eglise, arrivant de tous les horizons, de toutes les montagnes, de tous les rivages, et portant chacun dans leurs mains les gerbes de leur moisson ! Encore quelques journées, et tous se trouvant réunis et applaudis par le père de famille, l'amoncellement des gerbes commencera, puis, dans l'ouverture du Concile s'ouvriront tous ses greniers.
Saintes provisions du Concile, gerbes du Vatican, c'est alors que vous apparaîtrez ! saints Evêques, qui les aurez amassées, on cherchera vos mains, et on les baisera. Et le Concile donnera ainsi aux nations chrétiennes en détresse la paix, l'ordre des principes, il leur donnera la justice, et en donnant aux hommes la justice, la Papauté leur donnera du pain.
catholiques, ô nos frères en JésusChrist, laisseznous vous communiquer notre magnifique espérance. Entre tous les siècles de l'Eglise, c'est le nôtre qui a eu l'incomparable bonheur d'entendre définir le dogme de Marie Immaculée ; et dans notre siècle, c'est Rome qui, de son sein, du sein des Evêques du monde entier réunis, a jeté de la terre vers le Ciel cette éblouissante louange biblique, mystérieuse autrefois, épanouie maintenant, et définie dans tous ses termes : « Votre sein, ô Marie, est un amoncellement de « gerbes qui a une palissade de lis : Venter tuus acerçus « tritici, çallatus liliis. »
Eh bien, nous osons le prédire, la louange sera retournée sur Rome. Ce que l'Eglise a proclamé de la Vierge, la Vierge reconnaissante aura soin qu'on le proclame également de l'Eglise : O Rome, ton sein sera donc un amoncellement de gerbes ; ton Concile sera une moisson d'épis ; mais, de plus, autour de cette moisson, il y aura comme une palissade de lis. Gerbes pour la profusion des lumières, lis par la délicatesse des procédés.
22 DÉTERMINATION d'UNE DEMARCHE
Joseph reconnu par ses frères. — Cette délicatesse des procédés, nous la saluons par avance dans la manière dont le saint Concile du Vatican va accueillir la question juive. Saints Pontifes, saints Evêques, qui vous avancez vers Rome, la gerbe dans les mains et le lis dans le cœur, nous nous tenons en esprit aux portes de la basilique de SaintPierre pour célébrer l'entrée de chacun de vous et pour embrasser vos pieds. Permetteznous de vous dire que vous allez préparer le retour de notre peuple, la scène attendrissante de Joseph reconnu par ses frères, et laisseznous
vous rappeler un soupir de JésusChrist : « Jérusalem ! Jérusalem ! Que de fois j'ai voulu rassembler tes enfants comme la poule rassemble ses petits sous son aile ; et tu n'as pas voulu ! Je vous le dis en vérité, vous ne me verrez plus jusqu'à ce que vous disiez : Béni soit celui qui i^ient au nom du Seigneur. »
Depuis lors, iious ne l'avons plus revu... saints Evêques, ô Concile du Vatican, ô Pie IX, vous ferez en sorte que nous le revoyions, et que nous accourions sous ses ailes avec des larmes et des sanglots. Ah ! la douleur de notre repentir ne s'écoulera pas dans le silence d'un confessionnal, mais au grand jour, à la face de tous les peuples, comme à midi du VendrediSaint.
Le prophète a vu l'effusion de cette douleur : « Je ré« pandrai, dit le Seigneur, sur la maison de David et sur « les habitants de Jérusalem un esprit de grâce et de prière; « ils jetteront les yeux sur moi qu'ils auront percé; et ils (( pleureront avec larmes et avec soupirs, comme on pleure « un fils unique ; et ils seront pénétrés de douleur comme « on l'est à la mort d'un fils aîné. »
Ce sera alors la scène d'un solennel amour préparée par toi, ô saint Concile du Vatican : la scène de Joseph reconnu par ses frères.
CHAPITRE II
Encouragements prooidentiels.
I. Arrivée à Rome et logement au Séminaire français dans la maison du Père Libermann, providence de ce logement. — II. Réponses à l'envoi du livre « La question du Messie et le Concile du Vatican » : lettres encourageantes des évêques, des princes et hauts personnages, et de Marie-Alphonse Ratisbonne. — III. Crédit surnaturel que la prière appuyée sur la communion des saints trouve auprès de la Providence divine. Charme de cette communion des saints dans les sanctuaires de Rome. Ineffables rayons d'espérance que projettent sur notre pieuse entreprise les sanctuaires de sainte Agnès, de sainte Cécile, du Panthéon, de la basiUque Saint-Pierre. La messe papale au moment de l'élévation. — IV. Coïncidence encourageante au tombeau de saint Paul : les deux Evêques des Cafres et des Esquimaux. — V. Paroles de Pie IX qui, en différentes circonstances, encourage notre projet. Elles ressemblaient au vol de colombes qui avaient accompagné le cardinal Mastaï Ferreti d' Immola à Rome pour le Conclave.
I
Nous arrivâmes à Rome le 7 décembre, veille de la fête de l'ImmaculéeConception. Nous choisîmes pour logement le séminaire français, çia Santa Chiara. Ce logement était providentiel, attendu que le séminaire français était dirigé par la famille ecclésiastique du R. P. Libermann. Israélite de naissance, Libermann était le premier converti, devenu prêtre depuis notre affranchissement politique de 1791. Il était aussi le premier israélite converti qui eut
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fondé une Congrégation dans l'Eglise de Dieu. Il était également, depuis la ruine de Jérusalem, le premier Israélite converti dont le nom et les vertus devaient mériter d'être présentés à la Sacrée Congrégation des Rites pour obtenir l'auréole de la béatification. A tous ces titres pouvait-il, ce cher et vénéré Père, demeurer étranger, du haut des cieux, aux démarches que nous allions entreprendre en faveur de notre peuple, ce pauvre peuple juif qui fut le sien? Evidemment non. Aussi est-ce dans sa maison, c'està-dire au séminaire français, qu'allaient s'épanouir les idées inhérentes à notre grande entreprise, et les aptitudes pour les faire triompher. ''
Entre toutes ces aptitudes, reluisait une vertu souveraine que nous inculqua le serviteur de Dieu : c'était la patience, la constance. En effet, alors qu'il était élève au séminaire SaintSulpice, à Paris, Libermann avait été soumis par la Providence à une poignante anxiété : un jour il était tombé du hautmal. L'épilepsie constitue un empêchement grave, elle interdit l'entrée aux Ordres sacrés. Plein de confiance envers la Vierge Marie, Libermann mit à ses pieds son invincible patience, lui promettant, s'il était guéri, que rien ne lui coûterait pour son amour. Il répétait avec une douce sérénité : « Lorsqu'on marche à un but qui intéresse la gloire de Dieu, si l'on rencontre une muraille, il faut s'ingénier pour la franchir ; si elle est trop haute, il faut attendre qu'elle croule, et l'on passe. » La divine Bonté fit crouler l'empêchement du hautmal, et Libermann fut promu au sacerdoce.
L'angélique patience de ce frère en Israël fut pour nous une leçon dès le début de notre sainte entreprise : elle nous fut utile plus d'une fois.
En vérité toutes les coïncidences que nous rencontrions dans le pieux asile du séminaire français, nous faisaient du bien au cœur et nous encourageaient dans notre des
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sein. Les coïncidences ne constituent pas le chemin ou le sillon d'une œuvre, mais elles sont les paillettes d'or de la
Providence, les fleurs divines qui font aimer et poursuivre ce chemin.
II
Avant de quitter la France, nous avions adressé l'hommage de notre livre « La question du Messie et le Concile du Vatican )> à un grand nombre d'évêques et de personnages. Les réponses afîluèrent au séminaire français, indice d'un nouveau et précieux encouragement.
Voici d'abord les réponses épiscopales.
Le CardinalArchevêque de Besançon (Mgr Mathieu) : « Je lis avec le plus grand intérêt la communication que vous venez de me faire. Je demande à Dieu qu'il éclaire son peuple, autrefois si chéri et auquel il doit rendre toutes ses affections. Votre désir est bien légitime, votre élan bien naturel et votre confiance bien placée. »
L'Archevêque de Bourges (Prince Amable de la Tourd'Auvergne) : (( Mille remerciements. Les deux frères par la
foi et le talent occupent une place de choix dans mon estime et mes affections. »
L'Archevêque de Paris (Mgr Darboy) :« Je suis bien sensible à votre souvenir et je forme des vœux affectueux pour que Dieu vous bénisse et vous récompense de plus en plus par le succès de la mission que vous avez entreprise avec tant de zèle. »
L'évêque de Poitiers (Mgr Pie) :« Je serai très favorable à la proposition d'un vœu en faveur des Israélites. Ce n'est point sans but et sans résultat que depuis dixneuf siècles l'Eglise récite au vendredisaint l'oraison pro judaeis ».
L'évêque de Moulins (Mgr de DreuxBrézé) : « Je suis
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heureux de vous féliciter et de vous dire sincèrement qu'aucun livre ne m'a fait plus de plaisir que le vôtre. Et puis ce qui m'a rassuré, c'est que la conversion des Juifs peut se faire, sans amener pour cela la fin du monde. Ce que vous avez dit sur ce point, m'a parfaitement satisfait. »
L'évêque de SaintBrieuc (Mgr David) :« Vous êtes bien aimable de m' avoir envoyé votre bel ouvrage. Je viens d'en lire d'un trait les trente premières pages. Cela est aussi bien pensé que bien écrit. Persévérez dans cette voie ; aimez votre siècle et votre peuple. C'est l'unique moyen d'en guérir les blessures. »
L'évêque de SaintDenis, Paris (Mgr de Ségur) : « Chers Messieurs, je vous remercie cordialement de l'important travail que vous avez bien voulu m' envoyer. Espérons que le coup portera et que le bel article de M. Veuillot donnera à votre appel le retentissement qu'il mérite. Prions la Sainte Vierge d'ébranler les restes d'Israël et de hâter ainsi ce bienheureux règne du Sauveur qui fera succéder la paix à la guerre, Salomon à David. Je salue avec vous ce grand apostolat d'Israël, et suis votre serviteur bien fraternellement dévoué en l'amour de Jésus et de Marie. »
L'évêque de Nancy (Mgr Foulon) :« J'ai déjà parcouru l'ouvrage que le cœur et la foi vous ont dicté, et je veux que vous sachiez qu'il sera mon çade-mecum dans le voyage que je vais entreprendre pour Rome. »
La lettre suivante de l' Eminentissime Cardinal Bilio, un des présidents du Concile du Vatican, nous attendait à notre arrivée à Rome : « Votre excellent travail sur « La question du Messie et le Concile du Vatican » ne saurait être que très opportun de nos jours et pour les événements religieux qui se passent sous nos yeux. C'est pourquoi je vous félicite et vous souhaite le plus heureux succès auprès de vos frères égarés. ))
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A r encouragement des réponses épiscopales, viennent s'entrelacer l'encouragement d'éminents personnages. La reconnaissance nous fait un devoir de mettre en relief le nom du Prince de Lœwenstein. Résidant à Kleinhenbachsur-Mein, Bavière, il avait été très impressionné par la lecture de La question du Messie et le Concile du Vatican, avait fait traduire notre livre en langue allemande et, l'emportant à la Cour d'Autriche, l'avait offert à l'impératrice Carolina-Augusta. Dans la suite sa présence à Rome devait nous être d'un grand secours auprès des évêques venus de l'empire autrichien.
Une visite à Son Eminence le cardinal Bonaparte fut
l'occasion d'un entretien aussi agréable que piquant. Quelle
modestie, quelle douceur d'agneau étaient empreintes sur le visage de ce prince membre d'une famille de lions. Nous lui disions que nous étions heureux de pouvoir remercier en lui, devenu Prince de l'EgHse, sa famille pour les bienfaits immenses que les Napoléon avaient prodigués aux Israélites. — « Dès mon jeune âge, répliqua le prince, je les ai pris en affection, car ils ont toujours aimé ma famille. )) — (( Tellement aimé Napoléon le Grand, répondîmesnous, qu'ils ont voulu faire de lui le Messie. )> Et le prince de répliquer finement : « Depuis lors, ils ont renouvelé la tentative du côté de Pie IX, mais cette fois ils ont eu moins de chance de se tromper ». Le cardinal Bonaparte faisait allusion à l'enthousiasme des Israélites de Rome, quand Pie IX fit tomber les portes du ghetto, bienfait qui sera mentionné plus loin. Nous serrant affectueuse
ment les mains, il nous promit de procurer, en priant beaucoup, l'émancipation surnaturelle de nos pauvres frères, de concert avec sa famille qui avait contribué à leur émancipation politique.
Les encouragements de deux prêtres nous apportèrent non moins de joie et d'espérance que ceux des princes et
3
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hauts personnages, ces deux prêtres, le Rév. Père Bœx, général des Jésuites, et le Rév. Père Jeandel, général des Dominicains. N'était-ce pas le fondateur des Jésuites, saint Ignace, qui avait fondé le catéchuménat de Rome, allumant ainsi la flamme de l'apostolat en faveur des dispersés de la Maison d'Israël? Et n'était-ce pas un fils de saint Dominique, saint Vincent Ferrier, surnommé la trompette du Jugement dernier, qui, par une éloquence vraiment divine, avait fait passer toute la synagogue espagnole de Salamanque, des ténèbres de l'erreur à la lumière de la vraie foi?
Mais ce qui mit le comble à notre joie et à notre espoir devant les encouragements de la Providence, ce fut la réponse fraternelle de MarieAlphonse Ratisbonne, à qui nous avions adressé un exemplaire de La question du Messie et le Concile du Vatican, accompagné d'une lettre : « Votre chère et précieuse lettre du 24 février 1870 est un monument qui restera dans nos archives. J'en ai envoyé des copies à toutes nos maisons et à mes meilleurs amis ; et même à Vienne au GrandMaître de la Cour de Sa Majesté l'impératrice Carolina-Augusta, qui m'a beaucoup parlé de vous, et qui m'a demandé des renseignements à votre sujet.
III
La prière appuyée sur la communion des saints jouit d'un crédit inappréciable auprès de la Providence divine. Nous nous gardâmes de négliger ce crédit surnaturel.
La communion des saints se savoure dans les sanctuaires de Rome avec des charmes inexprimables. Nous en fîmes le premier essai dans les deux sanctuaires consacrés à la jeune sainte Agnès. Nous y célébrions le saint sacrifice.
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D'une auguste famille, martyre à l'âge de treize ans parce qu'elle avait choisi le Christ pour son immortel époux, la bienheureuse Agnès nous excita à demander que le peuple juif perde de vue, comme elle, les biens de la terre, et qu'il s'enivre d'amour pour JésusChrist, répétant à tous ceux qui lui parleront d'avantages terrestres les réponses si ex
tatiques, si enflammées de la jeune sainte. Elle répondait au proconsul blême de colère : « J'aime celui dont la noblesse surpasse celle des rois et des tétrarques ; celui dont la mère est vierge ; celui que servent les hiérarchies des anges, et dont le soleil et la lune contemplent la beauté ; celui au souffle duquel les morts ressuscitent, dont l'attouchement guérit les malades ; celui dont l'amour est pur, le baiser chaste, et l'union la virginité même... Il m'a passé au doigt l'anneau des noces mystiques, il a ceint mon cou d'un collier de pierres précieuses. Il m'a revêtu d'une cyclade tissue d'or, et il m'a donné pour atours des diamants sans prix. Il m'a marquée au front, pour que chacun voie bien que je suis à lui, et que je ne puis être à un autre. Son sang a teint mes joues de sa rougeur; ses tendresses sont virginales, et il m'a montré les trésors innombrables que je posséderai, si je lui suis fidèle. » La jeune martyre eut la gorge traversée du glaive. Le huitième jour après sa mort ses parents étaient venus pour veiller à la grotte de son sépulcre : tout à coup, dans le silence de la nuit, ils voient
un chœur de vierges qui, revêtues de cyclades tissues d'or, passaient au travers d'une grande lumière, et, au milieu d'elles, la bienheureuse vierge Agnès parée aussi de cette cyclade éblouissante, et à sa droite, un agneau plus blanc que le lait. A ce spectacle, ils sont frappés de stupeur, ainsi que tous ceux qui étaient avec eux. Agnès pria les vierges saintes de s'arrêter un peu, et, debout devant ses parents, elle leur dit : « Vous voyez que vous ne devez pas me pleurer comme une morte ; mais réjouissonsnous ensemble et
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félicitezmoi, parce que j'ai été reçue avec ces compagnes dans les demeures lumineuses, et que je suis unie dans les cieux à Celui que j'ai aimé sur la terre de toute ma puissance d'aimer. » Et ayant dit ces choses, elle passa. C'est en mémoire de cette vision que, tous les ans, à la fête de sainte Agnès, on bénit de petits agneaux (1).
Nous nous fîmes un devoir et une fête d'assister à la bénédiction de ces agneaux et l'attendrissement nous gagna en retrouvant nos agneaux de Galaad, mais bénis et parfumés de l'encens au lieu d'être égorgés. Angélique Agnès, jeune sainte, comme notre peuple vous aimera quand il apprendra à vous connaître !
Le sanctuaire de sainte Cécile ne fut pas moins éloquent et suave à notre égard.
Dans sa liturgie, la sainte Eglise exprime cette louange au jour de la fête de sainte Cécile : « Seigneur, Cécile votre servante travaillait à vous servir comme une industrieuse abeille, sicut argumentosa apis. » En effet, avec une
rare industrie, elle faisait passer tous ceux qu'elle aimait ou qui l'approchaient du matériel au spirituel, de l'écorce au fruit, de la lettre à l'esprit. Quand le proconsul prononça l'arrêt de mort, les assistants qui se pressaient autour du tribunal, pleuraient en voyant cette belle jeune fille qui allait mourir ; mais elle leur dit : « bons jeunes gens ! ne pleurez ni sur ma beauté, ni sur ma jeunesse, car je ne fais
que les échanger contre une beauté meilleure et une jeunesse sans déclin. C'est donner de la boue pour recevoir de l'or, c'est changer une chaumière contre une maison dorée. Tout ce que j'aurai donné à Dieu, il me le rendra au centuple. Croyezvous à ce que je vous dis là? » Ils répondirent tous : « Nous croyons que ton Christ est le vrai
(1) C'est avec leur blanche toison que se font les pallium destinés aux Evêques.
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Dieu », et devenus chrétiens, ils la suivirent au martyre. douce et intrépide vierge, renouvelez ce prodige de transformation en faveur des israélites nos frères obstinés depuis tant de siècles dans leur aveuglement, faites qu'ils goûtent quelques parcelles de ce miel divin que vous avez déposé avec tant d'abondance dans les rayons de la ruche de l'Eglise; faites, oh ! faites cela, industrieuse abeille, argumentosa apis.
Mais suivons Cécile au lieu de son martyre. Les détails en sont extrêmement touchants, nous n'en rapporterons qu'un seul plus spécialement instructif pour les israélites.
Le proconsul avait envoyé un licteur pour frapper Cécile du glaive dans sa demeure de noble patricienne ; la main mal assurée de l'exécuteur ne put, après trois coups de son glaive, détacher de sa tige cette douce fleur. Cécile vivait encore ; il la laissa étendue à terre et s'enfuit épouvanté. Une loi défendait au bourreau qui n'avait pas achevé sa victime après trois coups, de la frapper davantage. Les chrétiens la trouvèrent baignée dans son sang. Pendant trois jours elle prêcha et enseigna, comme un docteur de l'Eglise, avec une telle suavité et une telle éloquence, que quatre cents païens se convertirent. Au troisième jour, le pape saint Urbain pénétra dans cette demeure, et contempla avec des yeux pleins de larmes, sa fille bienaimée étendue comme l'agneau du sacrifice sur l'autel inondé de son sang. « Père, lui ditelle, j'ai demandé au Seigneur un délai de trois jours, pour remettre aux mains de votre béatitude mon dernier trésor : ce sont les pauvres que je nour
rissais et auxquels je vais manquer. Je vous lègue cette maison que j'habitais, afin qu'elle soit, par vous, consacrée comme église, et qu'elle devienne un temple au Seigneur à jamais. » Après ces paroles, Cécile remercia le Christ d'avoir daigné l'associer à la gloire de ses athlètes, et unir sur sa tête les roses du martyre au lis de la virginité. Au mo
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ment suprême, comme si elle eût voulu cacher pour la dernière fois aux hommes la beauté de son visage et garder le secret du dernier soupir qu'elle envoyait au divin objet de son unique amour, elle tourna contre terre sa tête sillonnée par le glaive ; en même temps ses bras s'allongèrent doucement en avant du corps, et ses mains se fermèrent, à l'exception de trois doigts à la main droite et d'un doigt à la main gauche ; rendant témoignage par là au dogme catholique de trois personnes en un seul Dieu. Les papes Urbain et Pascal, respectant l'attitude de la jeune vierge la déposèrent dans un sarcophage de marbre blanc garni d'une riche étoffe de soie . Selon son désir sa maison de patricienne avait été transformée en église : les glorieuses reliques furent déposées au centre du maîtreautel. Enfin un statuaire, inspiré par le ciel, représenta en marbre blanc sainte Cécile dans l'attitude où elle avait exhalé son dernier soupir, et que les Pontifes veillant sur la dépouille virginale avait respectée; cette statue placée et conservée depuis des siècles sous le maîtreautel, est si expressive qu'elle attendrit tous ceux qui la contemplent.
sainte Cécile, faites partager cet attendrissement par les Israélites qui visiteront votre sanctuaire ou qui liront
ces lignes. Qu'ils deviennent pensifs en considérant trois doigts ouverts à ujie main fermée, et un seul doigt ouvert à l'autre main. Ah ! le Dieu de Cécile et d'Agnès n'est point le Dieu de la nature voilé derrière ses œuvres, ni le Dieu de la raison trop souvent froid et abstrait, ni le Jéhovah du Sinaï mystérieux et terrible derrière son rideau d'éclairs, mais c'est le Dieu de la foi avec ses noms véritables, avec ses noms de famille, car la Trinité donne à Dieu des noms que nous connaissons déjà, des noms doux et familiers, des noms qui se prononcent au foyer domestique : au ciel comme chez nous, on s'appelle Père, Fils et amour. La Très Sainte Trinité, pour tout dire brièvement, c'est la famille divine
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se faisant connaître à la famille humaine par JésusChrist, l'union des deux familles !
Entrez enfin dans cette union de familles, ô restes d'Israël. Alors s'éclaircira et se complétera pour vous la célèbre vision d'Abraham, jusqu'ici incomprise de vous : lorsque, au milieu de la chaleur du jour, le patriarche assis à la porte de sa tente dans la vallée de Mambré, aperçut tout à coup le Seigneur qui venait à lui sous la forme de trois anges; il courut à leur rencontre, — et vous aussi, ô fils d'Abraham, vous courrez, l'amour en retard vous donnera des ailes ! — et se mettant aux genoux de ses sublimes visiteurs, le patriarche çit trois personnes, mais n'adora qu'un Dieu.
Poursuivant la visite des sanctuaires, nous entrâmes au Panthéon.
Le Panthéon de Rome, construit sous le règne d'Auguste, avait été dédié à toutes les divinités du paganisme : sous le règne du Christ, il devait être dédié à la Reine de tous les saints. Dans ce but, après avoir purifié cet antique et précieux monument, le Pape Boniface IV fit transporter vingthuit chariots d'ossements sacrés, provenant des catacombes, et y plaça une antique image de la Sainte Vierge.
Avec quelle émotion nous offrîmes le saint sacrifice sur l'autel de tous les saints. Par une coïncidence qui grandissait notre émotion, nous nous souvenions que notre livre intitulé La question du Messie et le Concile du Vatican por
tait ces mots à la fin de la Préface : « 1^ novembre, en la fête de tous les saints des deux Testaments ». C'est ce qui nous fit pousser vers le ciel cette exclamation : Il y a si longtemps que le peuple juif n'a plus donné de saints, rendez-nous, oh ! rendeznous nos saints î Et cette observation
consolante de l'apôtre saint Paul nous revint à la mémoire : Si radix sancta, et rami, si la racine est sainte, les rameaux
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le sont aussi, ce qui veut dire : la sainteté qui fut le partage des ancêtres de l'ancien peuple de Dieu, peut se reproduire dans les restes de ce peuple. C'est pourquoi nous répétions avec tous les transports de notre foi : rendeznous nos saints, oh ! rendeznous nos saints.
Le Panthéon présente cette particularité qu'il n'a aucune fenêtre, il reçoit la lumière par une seule ouverture circulaire de huit mètres de diamètre pratiquée dans le milieu de la voûte. Forcés de se lever en haut, nos yeux comprenaient que, du ciel seul, viendrait la rosée qui ferait refleurir et la racine et les rameaux ; et dans l'espérance de ce refleurissement, nous adressions en haut cette puissante invocation des Litanies : Regina sanctorum omnium, Reine de tous les saints, priez pour nous.
Nous nous dirigeons vers la basilique SaintPierre, le temple le plus magnifique de l'univers, ayant pour richesse à l'intérieur le tombeau du batelier de la Galilée, pour couronnement au dehors, la splendide coupole de MichelAnge, et pour avenue l'escalier monumental que Charlemagne en venant à Rome, voulut par respect, monter à genoux.
Attendu que, dans la suite de notre récit, il sera souvent question de SaintPierre et des séances du Concile œcuménique, nous nous bornerons ici à signaler dans l'insigne basilique ce qui rappelle Jérusalem.
Lorsque après avoir traversé le portique on pénètre dans l'intérieur, on aperçoit sur la droite une chapelle dite « Chapelle de la colonne » ; on y conserve une colonne en spirale,
de marbre blanc et ornée d'un feuillage finement ciselé. D'après une très ancienne tradition, cette colonne aurait fait partie du temple de Jérusalem, et, d'après la même tradition, c'est contre cette colonne que le Christ s'appuyait lorsqu'il enseignait dans l'intérieur du temple; devant elle,
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les émissaires envoyés par le sanhédrin pour épier la doctrine évangélique auraient laissé échapper ce cri d'admiration : Jamais homme n'a parlé comme cet homme.
Continuateurs de la même admiration, nous approchions nos fronts, nos lèvres, de la merveilleuse colonne ; et revoyant par la pensée Jésus appuyé contre elle pour enseigner et bénir, nous mettions à ses pieds notre dévouement, notre entreprise, notre vie.
C'était le jour de Noël. Le Souverain Pontife allait célébrer la sainte Messe sur le grand autel de la basilique SaintPierre. Donnant un dernier coup d'œil d'admiration à la colonne du Temple de Jérusalem, nous nous avançâmes le plus près possible de l'autel papal. Au moment de l'Elévation, le Pape porte la Sainte Hostie vers les quatre points cardinaux. Cette coutume aussi solennelle que touchante fit en quelque sorte jaiUir dans notre esprit cette miséricordieuse promesse que le Seigneur a déposée dans le Livre du prophète Isaïe : Je dirai à V aquilon : rends-moi mes enfants, et au midi : ne les empêche pas de i^enir (1). Quel spectacle que celui de Dieu ToutPuissant qui signifie aux quatre vents du ciel de se mettre au service de ses enfants égarés pour les ramener dans les bras de sa miséricorde ! Au moment où nous traçons ces lignes, les hommes inventeurs de la navigation aérienne sillonnent les airs et se servent de la vitesse des vents. Que sera-ce donc quand le Créateur de l'air et de l'espace s'en servira pour reprendre des enfants attendus par son amour? Quelle soirée dans l'histoire du monde!
(1) Isaïe, XLiii, 6.
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IV
La prière à Dieu appuyée sur le crédit des saints, obtient fréquemment des réponses qui sont comme des surprises de la Providence. Nous venions de prier pour nos frères les Israélites dans le sanctuaire de sainte Agnès, dans celui de sainte Cécile, auprès des martyrs rassemblés dans le Panthéon, devant la colonne du temple de Jérusalem con tre laquelle le Christ s'appuyait pour enseigner et bénir, à l'Elévation de la messe du Souverain Pontife dans la basilique SaintPierre : ce fut l'apôtre des nations, saint Paul, à qui la Providence commit le soin de nous faire réponse.
Tout est splendide, tout est royal, dans la basilique de SaintPaulhorslesMurs. Devenue la proie d'un incendie à la fin du Pontificat de Pie VII, elle avait été reconstruite plus majestueuse, par les soins de Léon XII, de Grégoire XVI, et surtout de Pie IX. Ce dernier Pontife enavaitfait la consécration solennelle le 10 décembre 1854, deux jours après la définition du dogme de l'Immaculée Conception. La première fois que nous fûmes reçus en audience par Pie IX, Sa Sainteté nous engagea vivement à faire visite au superbe monument de l'apôtre des Nations, nous disant : « Le jour de la dédicace, j'ai donné aux prêtres une médaille qui représentait SaintPaul brûlé, et aux évèques une médaille qui représentait SaintPaul reconstruit, afin d'apprendre à tous que l'Eglise, dans ses épreuves et ses désastres, est comme le phénix, et qu'elle renaît toujours de ses cendres. » Quelques années plus tard nous revenions à SaintPaul : c'était pour notre pieuse entreprise. Nous al
lons droit à l'autel majeur où repose ce souverain de la
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parole qui entraînait les peuples au martyre, et subjuguait toutes les nations. L'autel est ombragé par un baldaquin que soutiennent quatre colonnes d'albâtre oriental, et sur le frontispice duquel on lit ce titre de gloire : Tu es vas electionis, sancte Paille apostole, prœdicator veritatis in unwerso mundo, tu es un vase d'élection, apôtre saint Paul, prédicateur de la vérité dans le monde entier. Nous nous agenouillons et faisons cette prière : « Vous deviez nous prêcher, à nous d'abord, et c'est notre endurcissement qui vous a fait l'Apôtre des Nations ou des Gentils ; eh bien votre parole, dont les évêques et les missionnaires ont hérité a pénétre partout, l'Evangile a fait le tour du monde ; votre mission est accomplie chez les nations, revenez auprès de votre pauvre peuple. » Cette prière était à peine finie que deux évêques s'approchent et nous demandent qui nous étions. Nous leur racontons notre origine et la prière que nous venions de faire. Alors un des deux prélats nous dit : « Afin que vous sachiez bien que votre prière a été exaucée, que l'Evangile a été prêché partout, et que la parole de salut va retourner à votre peuple, nous sommes les deux témoins que l'Evangile a fait le tour du monde, car je suis l'évêque des Esquimaux, et mon collègue est l'évêque des Cafres, les Esquimaux et les Gafres, les deux extrémités opposées du globe ». Nous n'oublierons jamais cette coïncidence providentielle, et après avoir baisé les mains des deux évêques, nous achevâmes ainsi notre prière à saint Paul : magnanime apôtre qui avez été ravi jusqu'au troisième ciel, qui avez vu des choses que l'œil de l'homme n'a jamais vues, que son oreille n'a jamais entendues, et que son cœur n'a jamais senties, obteneznous la grâce d'entrer un jour avec les restes de notre peuple, dans ce beau ciel que vous avez contemplé de votre regard d'homme avant de le considérer de votre regard d'élu.
38 ENCOURAGEMENTS
V
Tous les encouragements de la Providence aux aspects si variés allaient se coordonner autour de la houlette du Pasteur suprême.
Pie IX était encore le seul roi de Rome. Presque chaque jour il sortait en voiture et faisait une promenade, une visite à un personnage ou à une communauté. Le carrosse papal étincelle par ses dorures, traîné par six chevaux noirs caparaçonnés de rouge et d'or. Le parcours df" la promenade est indiqué d'avance par une traînée de poussière jaune appelée la poussière d'or ; autrefois, elle était employée pour les sorties des Césars : il était digne qu'elle passât au service du Vicaire de JésusChrist.
Les acclamations du peuple romain suivaient Pie IX dans le parcours de sa visite. Petites brebis aimantes et bêlantes, nous nous plaisions à nous trouver aussi sur le passage du Pasteur suprême, et à recueillir ses bénédictions. Un jour, Sa Sainteté arrive au Séminaire français, où Mgr Plantier, évêque de Nîmes, était en danger de mort. Nous nous tenions sur le seuil de la porte, mêlés à un cortège qui attendait le Pape. Pie IX descend de Il voiture, et nous apercevant, vient à nous et nous dit : « Vos estis filii Abrahœ, et Ego... Vous êtes fils d'Abraham, et moi aussi. » C'était une suave et délicate appropriation du mot de saint Paul qui disait aux Galates : « Ceux qui sont enfants de la foi, sont les vrais enfants d'Abraham (1) ». — Un autre jour, Pie IX offrait une fête aux évêques réunis à Rome sur le mont Palatin, où sont conservées les antiquités du palais des Césars. L' évêque de Strasbourg, Mgr Rœss, nous avait gracieusement proposé de l'accom
(1) Epit. aux Galates, m, 6.
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pagner. Pie IX arrive et nous montrant du doigt dit en souriant : « Voici les antiquités de l'ancienne Loi. » En maintes autres circonstances, des paroles pleines de finesse, des encouragements providentiels, sortirent du cœur et des lèvres de Sa Sainteté ; un certain nombre seront rangés dans la suite de cet ouvrage comme dans un écrin. Il nous plaît, et il nous est doux de comparer l'aimable protection dont Pie IX couvrit, dès le début, notre sainte entreprise à un phénomène providentiel qui se produisit autour du Pontife lorsque, n'étant encore que le cardinal Mastaï Ferreti, il se rendait d' Imola à Rome pour le conclave. A Cautiono, une blanche colombe se posa sur le carrosse du serviteur de Dieu et ce fut en vain qu'on essaya de la prendre ou de la chasser. Le même phénomène se reproduisit à Fossombrone, où le cardinal était descendu pendant qu'on relayait les chevaux. Tandis que la foule s'était massée autour de lui pour admirer la jeunesse de ses traits, une couple de colombes se posa sur la voiture. On eut beau crier, frapper, elles ne bougèrent pas, jusqu'à ce que la voiture se fût ébranlée. On y vit généralement le signe de la prochaine élection du serviteur de Dieu au pontificat (1).
Pie IX, nous disons avec l'effusion de la reconnaissance que vos paroles encourageantes, qui ne cessaient d'entretenir dans nos âmes le feu sacré à l'égard des israélites nos frères, ressemblaient à ce vol de colombes qui vous conduisit d' Imola au Vatican.
(1) Documents sur la cause de Pie IX introduite auprès de la Sacrée Congrégation des Rites.
CHAPITRE III
Prélude de la démarche : Les bienfaits de Pie IX à l'égard des Israélites de Rome.
I. Le ghetto de Rome. Contraste de ces étroites ruelles avec les catacombes des premiers chrétiens. Touchant spectacle d'une pauvre famille en deuil. Inoubhable souvenir au ghetto du renversement, par Pie IX, des portes et des chaînes qui en fermaient l'entrée. — II. Autres bienfaits du Pape : « Pie IX c'est un ange », témoignage d'une sincère reconnaissance. Enumération de différentes faveurs accordées à la communauté Israélite. Députation qui nous est envoyée du ghetto pour nous engager à solliciter de Sa Sainteté les droits civils pour les Juifs de Rome et en particuHer le droit de devenir propriétaires. Cette proposition non recevable ; les motifs. — III. Preuve d'intérêt la plus touchante et la plus solennelle donnée par Pie IX à la cause d'Israël, dans l'affaire du jeune Mortara. La nourrice de l'enfant et le baptême. Déplorable attitude de tous les gouvernements de l'Europe en face de l'héroïque décision du Vicaire de Jésus-Christ. Pie IX dépouillé d'une partie de ses Etats : « Mon enfant, vous m'avez coûté bien cher ! » Un jour le peuple juif tombera à genoux, avec une reconnaissance émue, devant le vieillard du Vatican se laissant dépouiller plutôt que d'abandonner une âme juive baptisée. Prélude de cette reconnaissance dans le jeune Edgard Mortara, devenu Pie Mortara et chanoine de l'Eglise romaine de Saint-Pierre-aux-Liens. Insigne miracle de soudure entre deux chaînes qui ont Hé le Prince des Apôtres à Rome et à Jérusalem, conservées dans cette éghse de Saint-Pierre-aux-Liens : figure prophétique d'une soudure plus admirable encore qui doit se faire entre les restes d'Israël et les fidèles de l'Eglise catholique. Au Concile œcuménique du Vatican revient l'honneur d'entreprendre cette soudure.
42 BIENFAITS DE PIE IX
Notre dessein en faveur des israélites rencontrait déjà dans les paroles encourageantes de Pie IX une impulsion presque irrésistible, mais des actes de Sa Sainteté, des bienfaits publics, allaient rendre cette impulsion définitive.
De temps immémorial, Rome abritait un ghetto ou juiverie, quartier à part. Tous les soirs, jusqu'à l'avènement de Pie IX, les entrées en étaient fermées par des chaînes. Après avoir visité les catacombes des premiers chrétiens, nous nous engageâmes dans les étroites ruelles des Juifs. Quel contraste ! les catacombes, quoique sous terre, étaient
pleines de lumière ; les ruelles aériennes du ghetto, catacombes de notre nation, étaient pleines de ténèbres dans lesquelles se réalisait cette prophétie biblique du châtiment : ils marcheront à tâtons, ils se heurteront à chaque pas comme des aç^eugles, ils trembleront comme des feuilles. Un spectacle de misère frappait douloureusement nos regards. Il se trouvait au ghetto plus de deux mille pauvres. Les enfants abondaient, les familles se multipliaient, les trois ou quatre rues étaient insuffisantes : quels réduits ! Le Tibre avait quelques j ours auparavant débordé parmi eux, c'était pour nous la réalité de l'abomination de la désolation. Mais ce qui nous a particulièrement frappés, c'est la tristesse profonde, la mélancolie aux yeux ternes, les dos courbés... ils participaient à toutes les misères du pays, sans participer à ses avantages, et surtout à cette joie de l'âme qui transfigure les misères du dehors. Une famille venait de perdre une jeune fille, nous y entrâmes ; le père et la mère étaient là, avec leurs vingtquatre enfants et petitsenfants ; aux paroles de consolation, nous joignîmes quelques pièces d'argent, offertes à la pauvre mère. De
AUX ISRAÉLITES DE ROME 43
vant notre compassion, tous se jetèrent sur nous, se disputant nos mains pour les couvrir de baisers. Une émotion poignante nous saisit, tout le monde pleurait : enfants d'Israël et prêtres de JésusChrist, nous étions enfin embrassés par nos frères.
A cette visite pleine de larmes, la Bonté divine entrelaça le souvenir inoubliable au ghetto d'une scène déborda'ïite d'acclamations lorsque furent abolies les portes et les chaînes du ghetto. Un fils d'Israël était notre guide dans les ruelles de ce quartier; il se nommait Gratia Dio, et il nous raconta ce qui suit : c'était la veille de la fête de Pâques, dans la nuit même du samedi saint, 17 avril 1848. L'office du soir était terminé, et le secret de l'événement approchant avait été si bien gardé, que tous les fidèles des cinq synagogues du ghetto étaient déjà retournés dans leurs foyers domestiques pour se livrer au sommeil, lorsque retentit le premier coup de marteau. « Un beau clair de lune éclaira les ouvriers dans leur œuvre de bienfaisante destruction. Tous les Israélites du Ghetto étaient debout, comme dans la rédemption d'une autre Egypte. La joie était profondément sentie, elle se lisait en traits ineffaçables dans tous les regards. D'un bout de la péninsule jusqu'à l'autre, ce cri se propagea parmi les Israélites : A Pie IX, sauveur et régénérateur ! »
Le grand rabbin de Turin, à l'inauguration d'un monument israélite, prononça ces paroles : Que le nom de Pie IX soit gravé en caractères ineffaçables avec un ciseau d'airain, avec un diamant, sur une plaque de marbre ; qu'il soit rangé parmi les bienfaiteurs du peuple d'Israël.
Lorsque les Romains connurent que Pie IX avait aboli et fait renverser les portes du ghetto, il y eut une émeute,
la population indignée voulait mettre le feu aux maisons des israélites ; mais Pie IX tint bon, des patrouilles de ca
44 BIENFAITS DE PIE IX
Valérie continrent la population, et l'on sut que le sublime bienfaiteur voulait poursuivre la réhabilitation de ses sujets israélites.
II
Autres bienfaits sortis du Vatican.
(( Pie IX, c'est un ange ! » nous disait avec un élan sincère le bon Gratia Dio qui nous servait de guide. En effet, le Pape lui avait fait rendre justice à l' encontre d'une communauté religieuse. « Je suis fâché, avait dit Pie IX, que cet israélite ait été contraint de m' écrire deux fois ; il a le droit pour lui, on ne doit pas lui faire tort », et sortant 1,200 écus de sa cassette particulière, il paya la dette, car la communauté religieuse était trop pauvre. Mais, passant de son domaine privé à la grande famille du ghetto, ce cher Nathanaël nous fit l'énumération suivante des bienfaits de Pie IX :
Les Israélites prêtant leur serment de fidélité, à l'exaltation de chaque SouverainPontife, étaient soumis à un usage pénible. Lorsque le Pape nouvellement élu revenait de SaintJeandeLatran, les représentants de la communauté juive devaient l'attendre sous l'arc de Titus, cet artî mémorial de la destruction de Jérusalem, et là ils imploraient tolérance pour continuer de séjourner à Rome. Pie IX a fait cesser cet usage.
2° Les Israélites, considérés comme étrangers, n'avaient jamais eu part aux droits, privilèges et franchises dont jouissent à Rome les pères de douze enfants. Pie IX a ordonné que désormais ils participeraient à tous ces droits et privilèges.
3 Les Israélites pauvres du Ghetto avaient toujours
été exclus des secours officiels. Pie IX a réglé que la caisse
AUX ISRAÉLITES DE ROME 45
de bienfaisance du Gouvernement leur remettrait annuellement 300 écus.
40 Les Israélites étaient tous tenus de payer chaque année, durant le carnaval, une très forte imposition à la municipalité romaine, et de se soumettre à une humiliante cérémonie. — Pie IX a supprimé et la cérémonie et l'imposition.
Un périodique de France, les Archives Israélites , enregistrait à cette époque deux jolis traits :
Il circulait dans Rome, à l'occasion des élections municipales, une liste de candidats ne contenant que des noms d'hommes notoirement hostiles à l'Eglise, sauf un seul. C'était celui de M. Alatri, un israélite romain, homme modéré, ayant une grande connaissance des affaires et dont la réputation de probité était telle qu'on l'avait consulté souvent sur des questions d'intérêt public. Un matin, le Cardinal secrétaire d'Etat montra cette hste à Pie IX et lui demanda ce qu'il en pensait. Le Pape réfléchit un instant, puis d'un air fort sérieux dit au secrétaire d'Etat : « Voulez-vous que je vous dise mon opinion sur cette liste? Je n'y vois qu'un chrétien » (et il montra du doigt le nom de M. Alatri), « et encore il est juif )>.
L'autre trait :
Un Israélite allemand habitant la Californie avait sauvé la vie, dans une émeute populaire, à trois missionnaires cathohques. Le Pape l'ayant appris, lui avait envoyé la croix de SaintGrégoire le Grand. Lors d'un voyage à Rome, le sauveteur se fit présenter au SaintPère. « Je me rappelle vous avoir envoyé la croix, lui dit le Pape, ne l'avezvous
donc pas reçue? — « Je demande pardon à Votre Sainteté, répondit le visiteur, mais, comme israélite, je ne puis raisonnablement porter une croix. » — « Je vais vous donner un souvenir que vous puissiez porter, réphqua finement Pie IX, le Pape va prendre la place de la croix », et il lui
46 BIENFAITS DE PIE IX
remit son portrait en miniature attaché à une chaîne d'or. L'israéhte était fier de porter cette royale décoration.
Une émotion communicative agitait tout le ghetto, depuis notre promenade dans ses ruelles. Une députation en sort et vient nous trouver au Séminaire français. Elle nous dit : « Pie IX a déjà fait beaucoup pour nous ; et puisque vous avez audience facile auprès de Sa Sainteté, et que vous nous voulez du bien, demandez en notre faveur les droits, le droit d'être propriétaires à Rome. »
Nous répondîmes : « C'est difficile, pour ne pas dire impossible. »
Ils insistèrent en invoquant les principes du droit nouveau, la liberté de conscience, l'égalité, le droit commun.
Nous répondîmes : « Invoquez tout ce que vous voudrez. Nous ne conseillerons jamais de vous accorder à Rome le droit de devenir propriétaires. Nous connaissons les aptitudes de notre nation, ses bonnes comme ses mauvaises qualités ; si ce droit de propriété vous était accordé, eh bien! nous en faisons le pari, dans trente ans, dans cinquante ans au plus, Rome n'appartiendrait plus aux catholiques, Rome serait entre vos mains. »
Ils insistèrent encore en disant : « Pourquoi nous israélites, serionsnous exceptés de la règle commune? L'exception est injuste. »
Nous répondîmes : « Non, Messieurs, en ce qui concerne Rome, vous israélites, vous n'avez pas le droit de dire que l'exception soit injuste. Rappelezvous ce que vous faisiez vous-mêmes lorsque vous étiez propriétaires de Jérusalem et de la TerreSainte. Vous ne reconnaissiez à personne, à aucune nation, à aucune religion, le droit d'acquérir la moindre parcelle du territoire sacré. Jamais la loi de Moïse n'eût autorisé un enfant d'Israël à vendre son champ à un étranger. Ne vous étonnez donc pas que les cathoHques, devenus à leur tour le peuple de Dieu, sauvegardent leur
AUX ISRAÉLITES DE ROME 47
TerreSainte, qui est Rome, comme vous sauvegardiez la vôtre. Ils continuent à Rome la règle que vous aviez établie à Jérusalem. Vous pouvez être propriétaires partout ailleurs, et la catholicité est assez vaste ! partout, excepté à Rome. )) Ils n'insistèrent plus.
III
On conviendra que l'assemblage des preuves d'intérêt données par Pie IX à la cause d'Israël était déjà respectable ; mais voici la plus touchante et aussi la plus solennelle.
Dans la ville de Bologne, qui faisait partie des Etats pontificaux, un petit enfant, Edgard Mortara, avait été confié par sa famille israélite à une nourrice catholique. Il tomba si dangereusement malade que la nourrice lui donna le baptême pour qu'il devînt un ange auprès de la Très Sainte Vierge. Il fut rendu à la santé. Quand la nourrice s'éloigna de la famille, elle crut de son devoir de révéler que l'enfant était catholique. Grand tapage dans la synagogue de Bologne ; on pressa le père et la mère de quitter les Etats pontificaux. Pie IX en fut informé, et il ordonna qu'on lui amenât l'enfant et sa famille. « Cet enfant est devenu catholique, ditil au père et à la mère, et vous en êtes la première cause parce que vous l'avez confié à une nourrice catholique. En justice, je dois veiller sur un enfant qui a reçu le baptême, j'en réponds devant Dieu ; d'autre part je ne veux pas vous le dérober et vous en priver. Eh bien, pour concilier ma responsabilité et votre affection, je vous
propose d'habiter Rome ou une autre ville de mes Etats, et je pourvoirai à vos différents besoins. »
Jusqu'alors la Révolution avait jeté des fleurs à profu
48 BIENFAITS DE PIE IX
sion sur le passage du Pontife, espérant l'entraîner ou plutôt le faire tomber dans ses desseins. Mais Pie IX, comme le Christ son Maître, porté sur le pinacle du Temple, avait répondu à la Révolution : il est écrit : « Tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu. Retire-toi, Satan. )> Depuis lors, la haine révolutionnaire ne guettait plus qu'une occasion pour changer ses fleurs en épines, et pour remplacer le pinacle du Temple par le sommet du Calvaire. Le baptême du jeune Mortara servit ses desseins de haine, on parvint à entraîner le père et la mère dans le complot : ils quittèrent Rome tandis que, de son côté, Pie IX retenait l'enfantAlors il y eut dans la presse révolutionnaire une explosion de haine qui dépassa tous les récits que nous pourrions en faire. Les oreilles nous en tintent encore. Ce fut une véri
table meute autour du Pape. On hurlait : Au rapt 1 au rapt î Tous les gouvernements se laissèrent intimider, et donnèrent tort au représentant de la Vérité éternelle. Pas un n'examina la question au point de vue des intérêts de JésusChrist. Tous, sans exception, blâmèrent la décision et la conduite du Pape. Napoléon III est mort. Nous pouvons dire la vérité. Dans un entretien sur cet enfant, Pie IX nous dit un jour à nous-mêmes : « Vous ne saurez jamais tout ce que votre gouvernement a imaginé pour me faire renoncer à cet enfant. Menaces, caresses, promesses, il a tout employé. Mais était-ce à moi, un représentant de Jésus-Christ sur la terre, à abandonner devant la meute une âme baptisée? Moi le Pape, pouvaisje jeter margaritas ante porcos ! »
A cette date 1858, commencèrent donc les malheurs de Pie IX. La Croix du Calvaire avait remplacé le pinacle du Temple.
Tel est le fait historique. Et maintenant voici la philosophie que nous y découvrons par rapport à la régénération morale du peuple juif.
AUX ISRAÉLITES DE ROME 49
Les Juifs n'ont pas encore compris tout ce qu'il y a eu de magnanime dans l'attitude de ce vieillard, de ce Pontife s' exposant à tout plutôt que de se séparer d'une âme juive devenue chrétienne. Ils ne l'ont pas compris, ils ne pouvaient pas le comprendre. Les gouvernements, les princes, les sages du siècle ne l'ont pas compris davantage, parce que la même cécité qui pèse sur les restes d'Israël depuis dixneuf siècles, est devenue, à cette heure, le partage d'un grand nombre chez les nations chrétiennes : ils ont des yeux
et ils ne voient pas. Mais un jour l'histoire dira ceci : Il fut un temps où l'un des successeurs de saint Pierre fut placé dans cette alternative: ou renoncer à un enfant juif baptisé, ou s'exposer à se voir dépouillé de sa royauté temporelle. Il n'hésita pas et ses malheurs commencèrent. « mon fils, s'écriait un jour le saint vieillard en se penchant vers Edgard Mortara qui était à ses pieds, mon fils, vous m'avez coûté bien cher. »
Il n'hésita pas. Eh bien! nous osons le dire, ce fut là le plus grand acte de régénération morale qui se soit jamais fait, et qui se fera peut-être jamais en faveur du peuple juif. On pourra trouver dans l'avenir des moyens de régénération plus puissants et mieux écoutés. Mais rien ne vaudra jamais l'acte de ce Pontife se laissant dépouiller, et triste jusqu'à la mort, plutôt que de se séparer d'une âme juive baptisée.
Veuton savoir ce que vaut l'âme d'un juif ? Qu'on regarde Pie IX, dépouillé de tout, mais retenant à ses côtés, sur le Calvaire, l'enfant de ses douleurs !
Un jour, quand le peuple juif se convertira, il se mettra à genoux devant l'attitude de ce Pontife, et chaque père le montrant avec amour dira à son fils : « Que sa louange demeure éternellement non seulement dans ta bouche, mais encore dans la bouche de tes enfants, et des enfants de tes enfants, maintenant et à jamais! »
50 BIENFAITS DE PIE IX
(( Mon fils vous m'avez coûté bien cher, avait dit le Pape au jeune Mortara )>, et il avait ajouté : « Restez bien fidèle. » L'enfant en grandissant est resté fidèle. Un jour que nous nous promenions avec lui, et que nous causions des vérités de la religion, il s'écria avec transport : « Oh ! quel malheur, quel malheur, si ma nourrice ne m'avait pas baptisé! » Pie IX changeant son nom d'Edgard lui donna son propre nom, et l'heureux adolescent devint Pie Mortara. Son éducation fut confiée aux chanoines qui desservent la belle église de SaintPierreauxLiens. Dans ses procédés d'exquise délicatesse, Pie IX exigeait que, tous les mois, l'enfant écrivît une lettre à ses parents qui avaient quitté les Etats pontificaux ; alors même qu'on ne lui répondait pas, une lettre partait de Rome chaque mois. Cette persévérance de respect et de tendresse finit par amener de suaves résultats, tenus secrets. Quand Pie Mortara eut atteint l'âge d'homme, honoré du sacerdoce et devenu lui-même chanoine de SaintPierreauxLiens, il parcourut en apôtre les principales villes de l'Europe, racontant avec l'effusion de son âme les grandes grâces que Dieu lui avait faites, et bénissant le nom de Pie IX son bienfaiteur. Il a donc pris rang dans l'avantgarde des fils d'Israël convertis où brillent les noms des Drach, des Goschler, des Jarac, du très Révérend Père Hermann, des deux frères Ratisbonne. Tous ensemble nous avons confiance que nous aiderons à renouveler, en faveur des restes d'Israël, un beau miracle dont l'église de SaintPierreauxLiens conserve l'indéniable témoignage.
On gardait précieusement à Rome une chaîne de fer que le Prince des Apôtres avait portée sous Néron. L'impératrice Eudoxie, femme de l'empereur Valentinien, ayant reçu une autre chaîne qui avait également lié le Prince des apôtres à Jérusalem, en fit don au Pape saint Léon. Le Souverain Pontife ordonna alors qu'on lui apportât celle qui était
AUX ISRAÉLITES DE ROME 51
conservée à Rome. Dans ses mains vénérables, les deux chaînes se soudèrent aussitôt d'elles-mêmes pour n'en faire plus qu'une. Chaque année, le l^'' août, on célèbre cet événement par une fête solennelle dans l'église qui porte le vocable de SaintPierreauxLiens et où est déposée cette insigne relique, si éloquente pour des fils d'Israël.
Un jour viendra où, de même que la chaîne apportée de Jérusalem se noua par une soudure instantanée à l'attractive chaîne de Rome, de même les restes de l'ancien peuple de Dieu se fusionneront, dans une étreinte d'amour, avec les fidèles de l'Eglise catholique.
Le rôle de saint Léon coordonnant entre ses mains les deux chaînes de Rome et de Jérusalem vous revient de droit, ô magnanime Pie IX, ô illustrissimes évêques réunis au Concile du Vatican : à vous de rapprocher les restes d'Israël avec les brebis réunies sous vos houlettes, de telle sorte qu'il n'y ait plus qu'un unique bercail, iinum ovile; à vous de renouveler suavement le miracle de soudure abrité dans l'église de SaintPierreauxLiens par un appel d'honneur et d'amour adressé aux attardés d'Israël, selon cette annonce consolante du prophète Osée : In vinculis traham eos, in vinculis caritatis, je les attirerai par des liens, par des chaînes de charité.
CHAPITRE IV
Autre prélude de la démarche.
Notre brochure qui sort de l'imprimerie oaticane,
La dissolution de la Synagogue en face de la oitalité de l'Église,
I. Polémique pleine de courtoisie acceptée avec nous par le Rédacteur de V Univers israélite résidant à Paris. L'Imprimerie Vaticane mise à notre disposition. — IL Notre brochure « La dissolution de la Synagogue en face de la vitalité de l'Egise. » § 1^^. Le peuple juif a la durée, mais n'a point la vie. Décomposition interne, depuis 1789. § 2^. Le catholicisme est imperturbable,
alors que les nations qui vivent de lui peuvent se modifier. Ce qui est cause que l'Eglise catholique est imperturbable : Le Tu es Pierre fait pendant à cette fière déclaration de Dieu dans le buisson de l'Horeb : Je suis celui qui suis. Touchante invitation adressée au bon vieillard rédacteur de l' Univers israélite. Témoignages approbateurs donnés à notre brochure.
I
Le très honorable rédacteur à^VUnwers israélite, journal conservateur des principes et coutumes du judaïsme, avait abordé avec nous une polémique pleine de courtoisie. Le Saint-Siège, considérant l'importance de ce débat devenu public, nous autorisa à nous servir de l'imprimerie va
ticane : c'était témoigner à notre polémique une bienveillance protectrice, pour la faire aboutir à une démonstration de vérité et d'amour.
54 DISSOLUTION DE LA SYNAGOGUE
Voici donc l'écrit que nous adressâmes de Rome à M. le rédacteur de l' Unwers Israélite, ayant sa résidence à Paris; des évêques et des hommes de lettres le reçurent en même temps pour être juges du débat.
II
Son titre était :
LA DISSOLUTION DE LA SYNAGOGUE
EN FACE DE /"
LA VITALITÉ DE L'ÉGLISE
Monsieur le Rédacteur,
Votre premier article sur notre écrit La Question du Messie et le Concile du Vatican nous est parvenu à Rome. Prenant au sérieux et à honneur vos objections, nous vous adressons la réplique.
Votre affabilité, nous n'en doutons pas, ne reculera point devant son insertion dans votre journal Israélite.
Avant tout, nous tenons à vous remercier du fond de
nos cœurs pour la justice que vous n'avez pas craint de rendre, sinon aux idées, du moins à la forme de notre écrit. Vous avez bien voulu reconnaître en nous : « une extrême « courtoisie, un langage doux et affectueux... nous dirions « presque une tendresse de famille ». Vous ajoutez : « se « considérant toujours comme de notre race, s'en glorifiant « hautement, les abbés Lémann, en parlant des Juifs et du « Judaïsme, disent : nos coreligionnaires, nos frères bien« aimés, notre peuple, nos pères, notre histoire, nos « saintes Ecritures. Un pareil langage mérite une récom« pense ; nous la leur offrons en examinant seulement « leur lii^re qui, sans cela, serait resté pour nous un liç're
ET VITALITÉ DE L'ÉGLISE 55
(( scellé : nous ne r aurions jamais ouçert » Merci, Monsieur le Rédacteur, pour cette précieuse récompense ; nous voulons faire en sorte de la mériter pour tous nos autres écrits, persuadés que votre propre courtoisie nous aidera à garder la condition de votre hospitalité.
Votre premier article sur notre livre peut se résumer en ces deux grandes lignes :
Le judaïsme est florissant de santé ;
Le catholicisme est extrêmement malade ; pourquoi alors solliciter les Israélites qui se portent bien, à quitter la région de la santé, pour entrer dans la région des maladies et de la mort ?
Eh bien, souffrez que nous vous l'apprenions, c'est le contraire qui est la vérité ; nous allons l'établir. Renversons donc vos deux propositions : dissolution dans la Synagogue et santé chez l'Eglise.
§ L Est-il vrai que le Judaïsme soit florissant de santé?
L D'abord, d'une manière générale, il faut convenir que depuis ce qui s'est passé au Calvaire, notre nation n'a jamais été florissante de santé.
Vous allez sans doute vous efforcer de protester en montrant le peuple juif pourchassé, traqué, coupé en morceaux, jeté dans tous les coins du monde et, malgré cela, contre toutes les lois du temps et de la destinée humaine, ne cédant pas à la mort et, après dixneuf siècles de tourmente, se retrouvant debout sur les cendres de ses oppresseurs : mais, prenez garde, vous confondriez, comme du reste le rabbinisme l'a toujours fait, la perpétuité avec la santé, avec la vie. La perpétuité n'est pas la vie, n'est pas la santé, pas plus que dans les siècles éternels la perpétuité des réprouvés ne constituera pour eux la vie et le bonheur. Or, oui, nous le reconnaissons et le proclamons bien haut, oui
56 DISSOLUTION DE LA SYNAGOGUE
nous avons été conservés, et conservés par un vrai miracle, mais cette conservation n'a pas été pour nous la vie.
La vie avait passé ailleurs. Il y a deux grands miracles parallèles qui sont partis le même jour du Calvaire et vont se prolongeant à travers les siècles et les espaces : le miracle de la conservation du peuple juif et le miracle de la conservation de r Eglise ; les hommes du Sinaï et le rocher de Pierre. Or, c'est auprès de Pierre et dans l'EgHse seule, que s'est manifestée et s'est déployée la vie ; nous, nous avons pu durer, mais notre durée n'était pas la vie !
Etablissez donc, en effet, si vous le pouvez, que ce qui constituait essentiellement la vie dans le judaïsme ne nous a pas manqué durant ces dixneuf siècles.
Nous n'avions plus le Temple,
Nous étions sans sacerdoce.
Nous ne pouvions plus célébrer la Pâque,
Nos généalogies ayant été brûlées, nous ne pouvions
même plus nous reconnaître, Nous n'avions plus de mission. Tous les peuples nous repoussaient avec horreur, La terre et le Ciel nous manquaient à la fois. Nous étions le Juif-Errant !
Nous ne vivions donc pas, nous durions. Nous durions à la façon de ces momies que nos pères avaient pu autrefois contempler en Egypte. Car, nous aussi, nous étions enveloppés de bandelettes qui nous serraient, qui nous emprisonnaient, qui comprimaient en nous toute pensée, tout mouvement : ces bandelettes, c'est-à-dire les prescriptions rabbiniques ; ces bandelettes, c'est-à-dire les observances étroites du Talmud, véritables entraves, prescriptions cent fois plus étroites que les prescriptions de Moïse, tout cela nous tenait immobiles, tout cela nous conservait comme
ET VITALITÉ DE l' ÉGLISE 57
dans un cercueil ; et pour nous soustraire à l'action de l'air, pour nous préserver du contact de l'atmosphère chrétienne, nous avions encore le ghetto !
C'est ainsi que, prodigieux ossements, nous avons duré sans avoir la vie ; et, par conséquent, Monsieur le rédacteur, il n'est, depuis l'ère chrétienne, aucune époque de l'histoire où l'on puisse raisonnablement appliquer au Judaïsme votre superbe qualification « florissant de santé ».
II. Mais peut-être n'entendiezvous comprendre, sous cette expression, que l'époque plus particulière qui commence à l'acte d'émancipation, en 1791? Sous le règne du droit commun le judaïsme serait, d'après vous, devenu rapidement prospère et florissant de santé.
Permetteznous de vous répondre que vous vous bercez là d'une belle illusion, que partagent du reste tous vos confrères dans la presse Israélite. Vous en êtes venus en effet à vous persuader que le Judaïsme est aujourd'hui très florissant, parce que les Israélites peuvent prétendre aux charges civiles et politiques des principaux Etats de l'Europe, et parce que vos consistoires bâtissent en liberté de magnifiques synagogues. C'est là une erreur habituelle hélas ! aux yeux Israélites, qui confondent toujours le dehors
avec le dedans. Poursuivons, si vous le voulez bien, la comparaison si triste, mais si instructive, des tombeaux égyptiens.
Durant dixneuf siècles, vous étiez donc l'immobilité ; le Talmudisme vous emprisonnait dans ses entraves et le ghetto était votre asile de silence et de mort. Mais voici que, tout à coup, en 1791, votre immobilité a tressailh : vos ghettos se sont ouverts : bon gré, mal gré, vous avez dû secouer vos entraves talmudiques et, les flots de l'atmosphère vous envahissant de toutes parts, voici que vous n'êtes plus V immobilité, vous êtes la décomposition,
58 DISSOLUTION DE LA SYNAGOGUE
Oui, VOUS êtes la décomposition ;
Vous êtes la décomposition, parce qu'il s'est formé chez vous des déchirures ou des partis, des dissidences incurables sur le peu qui vous restait du mosaïsme : ce qui ne s'était jamais vu depuis la dispersion. Vous croirez peut-être nous échapper, en répliquant : Au moyen âge, nous avons eu des partis, les Caraïtes et les Rabbanites (1), et néanmoins sur l'essentiel nous avons gardé l'unité. Vous dites vrai : au moyen âge, sur l'essentiel vous avez gardé l'unité ; mais aujourd'hui, c'est justement autour de cet essentiel, c'est-à-dire autour des restes du mosaïsme, que vos partis se déchirent :
Parti des Israélites librespenseurs et rationalistes, qui sont fiers, eux aussi, de repousser toute Révélation, la mosaïque non moins que la chrétienne ;
Parti des Israélites progressistes, qui retiennent la Révélation, mais à condition de la plier aux idées modernes, en réformant à leur guise les lois, les prières et les usages qu'elle a prescrits ;
Parti des indifférents, qui ne tiennent au judaïsme que parce que la naissance les y a placés ;
Parti des conservateurs, dont les rangs se meurent ! C'est là que nous vous rencontrons, vous, Monsieur le Rédacteur, avec votre plume solitaire ; car tout l'enthousiasme, toutes les faveurs du judaïsme français vont au journal progressiste les Archives, votre rival, qui dogmatiquement vaut moins que vous.
Osez dire que cette décomposition ne se trouve pas dans votre sein? Voici vingt ans que vos consistoires et vos journaux sont pleins des batailles, des tristesses, des clameurs et du râle de ces partis.
(1) Les Rabbanites admettaient, outre le texte biblique, des traditions. Les Caraïtes repoussaient les traditions.
ET VITALITÉ DE l'ÉGLISE 59
Vous êtes la décomposition, parce que quand nous voulons chercher s'il est au moins quelque précepte respecté de vous tous, défendu par vous tous, qui vous groupe et vous constitue encore véritablement comme juifs, nous n'en trouvons plus, entendez-le bien, nous n'en trouvons plus.
Il y avait trois grands devoirs extérieurs, publics, caractéristiques, possibles malgré la dispersion, qui tranchaient visiblement votre existence de toutes les existences de ce monde, qui vous constituaient véritablement juifs aux yeux des peuples ; devoirs fidèlement remplis par vous tous jusqu'en 1791, et que vous appeliez : le respect des lois alimentaires — l'observation du sabbat — l'étude et la pratique de la langue hébraïque. Vous ne vous nourrissiez pas comme les autres ; vous ne vous reposiez pas comme les autres ; vous ne parliez pas comme les autres, vous étiez des Juifs. Or, de ces trois grands devoirs israélites, que sont devenus les deux premiers? « Nos frères d'aujour
« d'hui SONT ATTEINTS D'UNE GRAVE MALADIE : Hs SOuf
« jrent comme israélites, d'une phtisie morale. On a déjà « oublié le sabbat, les lois alimentaires... tout ce qui fait de « Visraélite un israélite. »
Qui a écrit cela?
Vous, Monsieur le Rédacteur, vous, votre feuille, 1' Univers le l^J* juillet 1869. Et comment l'avezvous oublié pour oser dire cinq mois plus tard, le 15 novembre 1869, que le judaïsme est « fort et florissant de santé» ?
Puis écoutez ce qui suit par rapport à la langue sainte : « NOUS POSONS EN FAIT quc sur dix jeunes gens de quinze (( ans, neuf ne possèdent plus les éléments de la langue hé« bràique. Et si le conseil supérieur de V Instruction publique « n'avait pas rendu obligatoire V étude de la petite histoire « sainte de M. Duruy, nos jeunes gens çiçraient dans une « sainte ignorance sur V existence de nos patriarches. Nous « n'osons parler de la Bible : on ne la lit guère. »
5
60 DISSOLUTION DE LA SYNAGOGUE
Et encore :
« On peut préi^oir le jour, bien rapproché de nous, si « DEJA il n'est arrivé, OU le rabbin sera seul dépositaire « de la science sacrée ; et ce triste monopole, ce priç^ilège « honteux pour nous, finira par l'écraser de son poids. »
Et qui a publié cela?
Votre feuille encore, Monsieur le Rédacteur, votre feuille, en 1868. Et vous avez dit vrai, et vous n'avez rien exagéré. Mais aussi, Monsieur, est-ce là être « fort et florissant de santé .)> ?
Voilà donc le Judaïsme qui se décompose et qui s'en va, dans ce qui vous différenciait et vous caractérisait aux yeux des autres peuples : vous êtes en train de vous nourrir comme tout le monde, de vous reposer comme tout le monde, de parler comme tout le monde.
Que vous reste1il alors pour être au moins juifs en secret, et dans le for intérieur?
La Circoncision et le dogme de l' Unité de Dieu.
Mais cette circoncision elle-même, êtesvous bien sûr qu'elle subsistera dans un avenir prochain? Vous avez vous-même exprimé des craintes, il y a quelques mois : (( Soixante-six médecins juifs de Vienne ont adressé à Vad« ministration de la communauté de cette i^ille un manifeste « contre le commandement divin de la Circoncision. Ce mani« feste, si, à Dieu ne plaise, il pouvait jamais être pris en con« sidération, exciterait les gouvernements à défendre le signe « de V immortelle alliance que le Seigneur a daigné accorder « à Abraham et à ses enfants. Et ce sont des Juifs qui au« raient ainsi dénoncé et fait condamner une des plus gran« des et des plus saintes lois de notre Dieu. » Votre rival des Archives, lui, l'enfant terrible, déchire le voile plus au large: ^ Beaucoup de familles israélites, ditil, ne font accom« plir la circoncision qu'avec répugnance et non avec la « conscience d'un devoir à remplir ; d'autres ne la font plus
ET VITALITÉ DE l' ÉGLISE 61
(( accomplir du tout, à moins d'être forcés par des considé« rations extérieures, des pressions de famille. ))
Et tenez, Monsieur le Rédacteur, pour achever de vous justifier à vous-même vos propres alarmes, nous écrivions ces lignes lorsque le dernier N des Ar chiites, celui du 15 déc. 1869, est venu nous apporter la grave nouvelle suivante :
Congrès rahhinique de Philadelphie.
L'assemblée déclare et adopte que :
L enfant mâle d'une femme juii^e est, lorsqu'il ne
serait pas circoncis, par le seul fait de sa naissance, membre
de la communauté fuiçe.
Que vous en semble. Monsieur? Et ce sont quinze rabbins qui portent ainsi atteinte aux sources mêmes du Judaïsme ! Et d'après vos propres correspondances, ceui de l'Allemagne ont hâte d'en venir là.
Or, la circoncision menacée.
Le sabbat méprisé.
Les lois alimentaires délaissées,
La langue hébraïque oubliée.
En définitive que vous reste1il?
Le dogme de l'Unité de Dieu.
Adonai erad, l'Eternel est un ! c'est votre croyance, mais c'est la nôtre aussi. Oh ! non, nous n'adorons pas trois Dieux depuis que nous sommes catholiques : nous le jurons, la main levée vers le Sinaï! Adonai erad, l'Eternel est un ! nous mourrions pour le soutenir. Mais alors, cher Monsieur, vous voyez bien que nous avions raison d'affirmer que le vieux mur de séparation achève de s'écrouler, que vous n'êtes plus si loin de nous, que vous n'avez plus qu'un petit espace à franchir pour nous rencontrer ; oh ! franchissez-le, nous vous en conjurons, et que Dieu vous en fasse la
62 DISSOLUTION DE LA SYNAGOGUE
grâce : nous serions si heureux d'honorer vos cheveux blancs en les introduisant nous-mêmes dans la région de la santé, de la beauté, et de la lumière !
Donc, en résumé, vous n'êtes pas la santé, vous n'êtes pas la vie, parce que vous avez été V immobilité, et que vous êtes maintenant la décomposition. Toutefois, il importe de faire une restriction, ou plutôt une distinction très importante. Vous êtes la décomposition, vous Israélites de l'Occident, mais vos frères de l'Orient sont encore l'immobilité. Comme l'observait très judicieusement le vénérable et savant Patriarche de Jérusalem dans sa lettre que nous avons publiée : « Le Talmudisme domine encore en Orient ; « c'est lui qui écrase et tient dans la servitude intellectuelle « les malheureux restes de votre nation... tandis qu'en Oc« cident le rationalisme et l'indifférence envahissent toutes (( les Synagogues ; et les descendants du Père des croyants « deviennent des incroyants. » Et ainsi, Monsieur, en dernière analyse : à votre droite la décomposition, à votre gauche l'immobilité ; nous vous mettons au défi de montrer en vous autre chose.
§ II. Est-il vrai que le catholicisme soit extrêmement malade?
I. Tandis que vous vous persuadiez que le Judaïsme était fort et florissant, vous avez décidé que le Catholicisme était au contraire extrêmement malade. Mais nous vous devons cette justice que vous ne vous en êtes pas réjoui ; ce qui est déjà la marque d'un noble cœur, et un point d'appui pour la grâce. Voici donc ce que vous avez écrit : « A Dieu ne plaise de nous réjouir des malheurs de l'Eglise: « nous en sommes consternés ; l'impiété nous attriste et « nous fait peur partout où elle se montre. Mais nous ne « saurions fermer les yeux à la lumière de la vérité ! La so« ciété chrétienne est extrêmement malade. L'Eglise est
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« comme une vieille maison qui menace ruine. Son état (( est devenu tellement grave, qu'on a reconnu l'impérieuse « nécessité d'appeler des cinq parties du monde une nom« breuse légion de docteurs en consultation ou en Gon(( cile ».
Encore cette malheureuse confusion du dehors avec le dedans ! Tout à l'heure, négligeant dans le Judaïsme la décomposition du dedans, vous disiez : « le Judaïsme est prospère )) parce qu'il vous présentait au dehors une certaine prospérité de surface ; et maintenant n'apercevant dans le catholicisme qu'une certaine décomposition du dehors, vous vous écriez : « le Catholicisme est extrêmement malade )), parce que vous ne vous rendez pas compte de l'impérissable santé qu'il possède au dedans. \
Et, en effet, le catholicisme ou l'Eglise a un dedans incorruptible. Ou plutôt le cathohcisme n'a pas un dedans, il est lui-même le dedans ; et la société avec ses nations, ses siècles et ses phases, est le dehors. Le dehors peut se modifier, le dehors peut se dégrader, les nations peuvent défaillir: quoi qu'il arrive en ce dehors, le dedans reste imperturbable, le catholicisme reste le catholicisme. Voyezvous. Monsieur, le Catholicisme est l'Arche d'alliance au bois de cèdre incorruptible; et la société est le Temple agrandi de Jérusalem. Et si un jour doit venir où la société, comme le Temple après toutes ses reconstructions et toutes ses vicissitudes, doive être la proie des flammes. Dieu ne le permettra, soyezen sûr, qu'autant qu'il aura renouvelé d'abord son miracle d'amour : qu'après avoir soustrait et recueilh dans son sein l'Arche d'Alhance incorruptible !
C'est pourquoi, faisant face à votre objection, nous disons hardiment :
Le présent n'est plus la foi, mais l'Eglise est la foi :
Le présent n'est plus même la raison, mais l'Eglise est la raison ;
64 DISSOLUTION DE LA SYNAGOGUE
Le présent n'est plus la justice, mais l'Eglise est la justice ;
Le présent n'est plus la vertu, mais l'Eglise est la vertu ;
Le présent n'est plus l'ordre, mais l'Eglise est l'ordre î
Le présent n'est plus la paix, mais l'Eglise est la paix !
Ah ! elle se porte bien, notre Eglise ; elle se porte bien dans son dogme ; elle se porte bien dans sa morale et dans son culte ; elle se porte bien dans son apostolat ; elle se porte bien dans sa catholicité, où, si l'on ne rencontre plus de gouvernements, on rencontre des foules ; elle se porte bien dans sa hiérarchie, dans ses neuf cents évêques qui, le jour du 8 décembre, ont entonné et accentué ensemble le même Credo, c'est-à-dire leurs articles de foi essentiels. Owï, elle s'est rassemblée en Concile, et, comme vous le dites très bien, en consultation ; mais c'est pour vous guérir, pour guérir tous ceux qui, comme vous, se meurent ! Venez la voir ici, Monsieur, notre Eglise, et, nous vous en répondons, vous serez étonné de sa voix, étonné de son aisance, étonné de ce visage où il n'y a pas une ride. En face de votre immobilité, vous aurez rencontré Y immutabilité ; et en face de votre décomposition, vous aurez rencontré la plénitude : la plénitude et l'immutabilité qui sont la santé à sa plus haute puissance î
II. Au point où nous en sommes, il faut que vous consentiez à ce que nous vous apprenions le secret de cette santé imperturbable.
Mais avant de vous le faire connaître, permetteznous de vous rappeler un axiome qui, dans la langue de l'école, est nommé l'axiome des axiomes, tant il est naturel ; la lumière des lumières, tant il est clair ; la force des forces, tant il est granitique ! Cet axiome, l'Ecole l'énonce ainsi : quod est, est, ee qui est, est. Vous l'avez entendu, ce qui est, est ; voilà l'axiome granitique et irréfragable ; contre lui
ET VITALITÉ DE l' ÉGLISE 65
tout raisonnement est inutile, parce que dire d'une chose qu'elle n'est pas quand elle est, c'est aller contre l'évidence ; contre lui, toute colère, toute conspiration est puérile, parce que travailler à ce qu'une chose ne soit pas, quand sa nature est d'être, et d'être essentiellement, c'est aller contre une force désespérante ; vous vous épuiserez et vous passerez, alors que ce qui est demeure ; quod est, est, ce qui est, est.
Il suit de là qu'icibas rien n'est véritablement fort: car, remarquez ceci, dans l'univers rien n'est, mais tout devient ; tout devient, c'est-à-dire que tout est dans un mouvement perpétuel, tout change, tout passe, rien n'est jamais stable
ni définitif. Tout marche et rien n'arrive ; tout s'acquiert et s'établit et rien n'est jamais établi ni acquis; tout se forme et rien n'est achevé! Nous avons beau poursuivre partout, autour de nous comme en nous, d'une poursuite pressante, infinie, désespérée, l'être des choses, partout leur être s'évanouit et nous échappe, et leur perpétuel deç^enir nous dépasse et nous emporte. En un mot, icibas rien n'est, mais tout devient et par conséquent rien n'est fort.
Ecoutez toutefois. Un jour, sous notre regard ému et avide de la vérité, deux pages inspirées se rencontrèrent, l'une racontait la genèse du peuple juif, et l'autre racontait la genèse de l'Eglise. Dans la première, nous lûmes que dans la solitude âpre et mystérieuse des grands déserts de l'Orient, au milieu d'un buisson qui brûlait sans se consumer, Dieu révéla son suprême attribut au pâtre qui fut Moïse : « Je suis celui qui suis, tu diras aux enfants d'Israël que Celui qui est t'envoie vers eux. » Dieu s'appelle Celui qui est ; Ah î sans doute, Dieu a plusieurs noms ; il s'appelle la Vérité, il s'appelle la Vie, il s'appelle V Eternel et V Immense, il s'appelle le Saint; mais au-dessus de tous ces noms, il en est un qui les domine, qui les couronne, et le voici : Dieu est. Il est, ce mot tout court est la plus belle définition de Dieu : il est, il est Celui qui est ; il est absolu
66 DISSOLUTION DE LA SYNAGOGUE
ment et il est toujours; au présent comme au futur, il est; et mille louanges ne disent pas plus que ce seul mot : il est !
Et par un sillon de lumière que la grâce nous fit, notre regard tomba ensuite sur la genèse de l'Eglise. Et la scène s'était agrandie, et elle n'embrassait plus seulement les profondeurs du Ciel, elle embrassait les profondeurs des siècles et de l'humanité. Un jour donc Celui qui est, descendu non plus dans le buisson du désert, mais dans la chair de l'homme. Celui qui est, disait avec serment à un grain de sable ramassé sur les bords d'un lac de Galilée : Moi qui suis, ego sum qui sum, Moi qui ne change pas, ego Deus et non mutor, Moi je te dis à toi : que tu es, non pas que tu seras, non pas que tu deviendras ; pour toi, oh ! pour toi il n'y aura jamais de devenir ! mais que tu es, que tu es Pierre, tu es Petrus ; toi, tu es la pierre qui est, le roc qui est sur la terre, comme Moi je suis Celui qui suis dans le Ciel ; toi et Moi immuables tous deux, éternels tous deux ; tu es, tu es Pierre, tu es Petrus.
Et voilà, voilà la magnifique alliance entre l'être de Dieu et l'être du Pape ; voilà le prodigieux retentissement de l'être indestructible de Dieu dans l'être indestructible de la Papauté; et voilà, Monsieur, ce qui fait la santé de l'Eglise et la tranquillité de Pie IX !
Qu'importe, après cela, que dans une réunion publique de Paris on ait prononcé des paroles comme celles que vous nous citez :
Réunion publique de Belleç^ille du 13 noi^embre :
Le citoyen Rochefort. — « J'ai un fils de huit ans, il n'est pas baptisé, il ne le sera jamais, ce sont mes com^ic
tions. )) (vifs applaudissements).
« Entendezvous, nous ditesvous, les cruels applaudis« sements du peuple, à la voix retentissante de la néga« tion de votre religion? Entendezvous les cris de satis
ET VITALITÉ DE l' ÉGLISE 67
« faction poussés par les fils aînés de V Eglise, aux craque« ments sinistres de votre édifice? Le coq a chanté quand (( un de vos apôtres reniait son maître ; aujourd'hui ce « sont les hommes qui chantent, c'est toute une assemblée « de chrétiens qui bat des mains à l'abjuration publique « de la foi catholique ! »
Ah ! Monsieur, celui qui avait renié son maître quand le coq chanta, parce que son maître avait permis que la faiblesse l'envahît tandis que lui-même se laissait envahir par la mort, celui-là, a depuis lors été tellement converti que, comme le Christ ressuscité ne meurt plus, Pierre converti ne tombe plus ; non, il ne tombe plus, ni dans ses actes ni par les actes d' autrui, c'est-à-dire qu'il ne peut ni faillir ni être renversé. Et c'est pourquoi le 259 successeur de ceux qui ne tombent plus, sentant, à l'ouverture du Concile du Vatican, tressaillir dans son être la force inexterminable
de ce tu es Pierre, n'a pas craint d'avoir la magnifique audace de cette parole : Il n'y a rien de plus fort que V Eglise : V Eglise est plus forte que le Ciel lui-même.
III. Il faut finir par vous. Monsieur. L'Eglise est tellement la vie que, depuis quelques années, elle vous fait vivre vous-mêmes. Au milieu de votre décomposition, et comme pour la cacher à vos propres yeux, vous faites bâtir, avonsnous dit, de superbes synagogues. Mais qu'est-ce donc qui vous désespère dans ces synagogues, vous en particulier. Monsieur le Rédacteur, vous, colonne solitaire et ébranlée du vieux parti Talmudiste : qu'est-ce donc qui vous désespère ?
C'est que dans ces Synagogues vous avez aperçu des rabbins transformés par leur habillement en véritables ecclésiastiques ; c'est que vous y rencontrez des enfants de chœur dirigés et exercés comme ceux de nos cathédrales ; c'est que nos orgues vous réveillent et produisent parmi vous un sentiment étrange ; c'est que, selon l'aveu formel
68 DISSOLUTION DE LA SYNAGOGUE
des Archives Israélites, on retrouve des pages entières de Bourdaloue et de Massillon sur les lèvres épuisées de vos prédicateurs. Ce n'est pas tout. Voici même que les noms de nos sacrements commencent à circuler et à s'habituer au foyer des familles juives : par exemple, n'estil pas de bon ton dans les salons du grand monde israélite, de désigner l'initiation religieuse sous le nom nouveau de première communion? Et ainsi, pour couvrir et colorer les derniers débris du Judaïsme, vous en êtes réduits à les christianiser, rendant par cet emprunt, que vous n'êtes plus maîtres de ne pas contracter, un éclatant hommage à la vitalité de notre riche Eglise.
Eh ! bien, oui, empruntezlui, à cette Eglise qui est si bonne ; empruntez, elle fera face à tous vos emprunts, à toutes vos détresses. Vous avez lu, Monsieur, notre commentaire de l'histoire de Joseph, voici un nouveau détail que vous y pourrez ajouter. Après que Joseph se fut découvert à ses frères, le bruit s'en répandit dans le palais de Pharaon qui en eut une grande joie, et Pharaon dit à Joseph : (( Donnez cet ordre à vos frères, et dites-leur : « chargez vos ânes de blé ; retournez au pays de Chanaan ; « amenez de là votre père avec toute votre famille, et venez « me trouver. Je vous donnerai tous les biens de l'Egypte, « vous vous nourrirez de ce qu'il y a de meilleur dans le « pays. N'ayez point de regret aux choses que cous ne pour(( rez emporter, parce que toutes les richesses de l'Egypte seront « à i^ous. ))
vous, que nous avons pressé plutôt que combattu, bon vieillard, qui dans vos cheveux blancs et dans vos vertus naturelles êtes pour nous une personnification touchante du peuple juif, le Prince qui gouverne l'Eglise nous a donné
cet ordre : « Amenez votre père avec toute votre famille, et venez me trouver. » Venez donc, oh î venez, et n'ayez point de regret aux choses que cous ne pourrez emporter. Ne re
ET VITALITÉ DE l'ÉGLISE 69
grettez pas le sabbat, ne regrettez pas vos lois alimentaires,
ni votre circoncision si dure ; n'ayez point de regret, encore une fois, à toutes ces écorces, à toutes ces observances usées que vous ne pourrez emporter : le Prince vous nourrira de ce qu'il y a de meilleur dans l'Eglise, parce que toutes les richesses de V Eglise seront à i^ous.
Les cibbés LÉ m an n.
Rome, l^" janvier 1870, en la fête de la Circoncision du Sauveur.
La publication de cet écrit nous valut bon nombre de témoignages approbateurs ; il suffira d'en citer deux :
Son Excellence le Patriarche de Jérusalem, Mgr Valerga, nous dit : « Je suis heureux de vous féliciter, c'est tout à fait bien. Continuez toujours à les traiter avec la même douceur et le même honneur. »
L'Evêque de Quimper, Mgr Sergent, écho des Evêques de France, ajoutait : « C'est de mieux en mieux, c'est presque plus saisissant que votre première brochure. »
CHAPITRE V
Supplique aux Pères du Concile rédigée aoec le concours du Patriarche de Jérusalem,
I. Douloureux sacrifice que nous demande la Providence : l'Evêque d'Orléans, qui fait échec à la définition du dogme de l'Infaillibilité, ne peut plus être le promoteur de la cause d'Israël devant le Concile. — IL Doctrine consolante : fécondité et merveilleuse stratégie du sacrifice d'après cette parole du Christ : qui perd sa vie pour Vamour de moi la retrouvera. Symbole géographique de la fécondité du sacrifice : le détroit de Gibraltar entre la Méditerranée et le grand Océan. Fait historique à l'appui : la nouvelle Jérusalem, pour avoir brisé ses limites, donne son nom à l'Eglise cathohque et au royaume des cieux. — III. Le douloureux sacrifice de l'Evêque d'Orléans que nous étions contraints d'accepter, reçoit une récompense : sur le conseil du Patriarche de Jérusalem, il nous faut passer du patronage de l'Evêque d'Orléans à celui de tous les évêques assemblés au Concile. Supphque à rédiger aux évêques, préparatoire d'un Postulatum. Pourquoi le postulatum doit être précédé d'une supplique. Difficultés dans la rédaction du Postulatum ; base pleine d'honneur que l'Esprit de Dieu nous inspire. — IV. La supphque en latin, et la traduction française. Elle porte la date du 20 janvier, jour de l'appaparition de la Vierge Marie à Alphonse Ratisbonne. Solennelle visite que nous faisons, la veille du 20 janvier, au sanctuaire de la miraculeuse apparition et à l'église de Sainte-Marie in Transtévère.
I
Un coup inattendu vint nous déconcerter. La divine Providence nous demandait le sacrifice de l'Evêque d'Orléans comme promoteur de la cause d'Israël devant le Concile. Nous avons énuméré plus haut les motifs qui avaient déterminé dans nos esprits et dans nos cœurs le
72 SUPPLIQUE ADRESSÉE
choix du glorieux Evêque d'Orléans, Mgr Dupanloup. Et maintenant il fallait faire le douloureux sacrifice du recours à sa personne dans l'Assemblée conciliaire. Pourquoi donc?
Usant de ce qui est le droit incontestable, le devoir sacré d'un Evêque : parler au Concile suivant sa conscience ; sacrifiant sa popularité à son amour pour l'Eglise; ne se méprenant que sur les moyens de la mieux servir, Mgr Dupanloup venait de se déclarer opposant — non assurément à l'infaillibilité doctrinale du Souverain Pontife — mais à l'opportunité de cette définition dogmatique.
Aux yeux d'un grand nombre, son renom et son influence en subissaient une éclipse. Dans F Evêque qui avait défendu avec une incomparable magnificence de langage le pouvoir temporel du Pape, certains prétendaient voir un adversaire de son pouvoir spirituel. Telles que nous apparaissent les choses dans le recul de l'histoire, rien dans l'attitude de l' Evêque d'Orléans n'est pour amoindrir sa grande figure. Ces divergences de vues, ces controverses entre les ardents promoteurs d'une définition dogmatique et ceux que la jugeaient inopportune ont servi l'Esprit qui préside aux destinées de l'Eglise pour préciser davantage, faire resplendir mieux la vérité.
Mais dans la mêlée des débats conciliaires et le bruit des querelles de champions célèbres, plusieurs crurent voir pâlir l'auréole qui jusque-là avait plané sur la tête de l' Evêque d'Orléans. Son prestige ainsi diminué, c'eût été compromettre la cause d'Israël que de la lui confier. Il fallait donc renoncer à Mgr Dupanloup comme promoteur de cette cause. Dure nécessité, poignant sacrifice !
II
La divine Providence, qui est une mère, nous fit comprendre, par une comparaison géographique et par un grand
AUX PÈRES DU CONCILE 73
fait historique, la fécondité du sacrifice et sa merveilleuse stratégie.
Cette fécondité, cette stratégie, s'appuyaient sur une parole du Christ : Qui perdiderit animam suam propter me, inveniet eam, celui qui aura perdu sa vie pour l'amour de moi, la retrouvera.
Qu'on observe, sur une mappemonde, ce qui se passe entre la Méditerranée et le grand Océan. La Méditerranée, sans doute, est bien belle dans sa configuration gracieuse, mais elle a ses limites. Après avoir baigné les rivages enchanteurs de l'Italie, de la France, du nord de l'Afrique et d'un côté de l'Espagne, voici qu'elle arrive au détroit de Gibraltar. Là, il semble qu'elle va disparaître et se perdre : ce détroit ne se présentet-il pas comme un étranglement? Mais la belle Méditerranée, contractant la majesté de ses eaux, y passe hardiment, et une fois de l'autre côté du détroit, elle est devenue le grand Océan. Ce détroit austère est bien le symbole du sacrifice. Le sacrifice, à certaines heures, coûte. Il contracte et étrangle la nature. Ah ! il semble, lorsqu'on s'y engage, qu'on va mourir, disparaître, on est en agonie ; grand Dieu, que vaisje devenir?... Allons, faites courage, achevez de franchir le détroit du sacrifice, et, de l'autre côté, c'est F infini, c'est le grand Océan: qui perd sa vie, la retrouvera.
Un grand. fait historique démontre non moins clairement la merveilleuse stratégie et la fécondité du sacrifice.
Sous l'action de l'EspritSaint, Simon Pierre, les Apôtres et un grand nombre de vrais Israélites commencent la nouvelle Jérusalem, que le prophète Isaïe avait saluée par avance de ces paroles joyeuses et triomphales : Lève-toi et sois éclatante de lumière, Jérusalem, parce que la gloire du Seigneur est venue sur toi. Ils ont compris que le royaume de Dieu vient se substituer au peuple de Dieu en l'agrandissant. Le peuple de Dieu sous l'ancienne Loi, con
74 SUPPLIQUE ADRESSÉE
fine dans la Palestine ; le royaume de Dieu sous la Loi nouvelle, appelant à lui toutes les nations ; tel est le progrès du plan divin. Pour avoir accepté de briser ces limites et de se transformer en royaume de Dieu, la nouvelle Jérusalem reçoit une récompense comme Dieu sait et peut la donner. Il l'appelle, en effet, à donner son nom à l'Eglise catholique tout entière. Oui l'Eglise, la grande Eglise, aura nom aussi Jérusalem. Oh ! chantons ici cette récompense :
Notre Jérusalem, cité de David, s'est évanouie, elle n'est plus qu'une ombre. Notre Temple n'élève plus ses aiguilles d'or au-dessus d'éblouissantes murailles de marbre
blanc. Des jardins délicieux que Salomon avait plantés, on ne sait plus l'endroit. Le sol de notre Terre Promise s'est durci. A ces splendeurs matérielles disparues, nous n'accordons, cependant, ni un regret ni une larme, oh ! pourquoi? Parce qu'une autre Jérusalem s'est levée, siirge illuminare, Jérusalem... De cette nouvelle cité, voici l'architecture et les magnificences. Toutes les âmes y entrent. Tous les peuples y ont leur place. Elle n'a ni portes, ni murailles. L'amour est l'air qui s'y respire. La vérité en est le soleil. L'unité romaine en est le lien. La justice y est in
défectible. Le salut, c'est-à-dire la possession du ciel, en est la préoccupation et le but. Nous y voyons des vierges, des foyers purs et hospitaliers, des œuvres pour toutes les misères, des vertus et des courages de toutes sortes ; et au-dessus de ces splendeurs spirituelles, pour les faire germer et les entretenir, ah ! nous voyons un seul sacrifice toutpuissant qui s'offre à la majesté divine depuis le lever du soleil jusqu'à son coucher: l'hostie blanche et très pure! que tout cela est beau ! Et tout cela s'appelle Jérusalem spirituelle ou l'Eglise catholique.
Ce n'est pas tout. Car les récompenses divines ont des surprises qui produisent l'extase.
AUX PERES DU CONCILE /O
Un jour, l'éternité viendra remplacer le temps, et le royaume des cieux descendra pour recueillir les justes. Eh bien ! le royaume des cieux lui-même s'appellera aussi Jérusalem. Il héritera de ce nom ; au dernier soir du monde, ce nom sera en quelque sorte, avec la charité, le legs de la terre au ciel. Oh ! durant toute l'éternité, le ciel s'appellera Jérusalem, Jérusalem des cieux.
Et ainsi ce grand fait historique justifie à son tour la merveilleuse stratégie et la fécondité du sacrifice, d'après cette promesse du Christ : qui perd sa vie pour V amour de moi, la retrouvera. Personnifiée dans Simon Pierre, dans les Apôtres et un grand nombre de vrais Israélites, la nouvelle Jérusalem n'a pas hésité à briser ses limites et à appeler tous les peuples dans son sein, c'est pourquoi, pour la récompenser, l'Eglise catholique et le royaume des cieux s'honorent de s'embellir du nom de Jérusalem.
III
S'il est permis de comparer les petites choses aux grandes, le douloureux sacrifice que nous étions contraints d'accepter relativement au glorieux Evêque d'Orléans nous semblait mériter une récompense, et guidés par le nom de Jérusalem comme par une étoile, nous allâmes trouver son Excellence Mgr Valerga, patriarche de Jérusalem.
Avec le coup d'œil du Moïse de MichelAnge que nous avions admiré dans l'église de SaintPierreauxLiens, le patriarche de Jérusalem nous dit : « Agrandissez votre horizon, et puisque le sacrifice de l' Evêque d'Orléans vous est demandé, passez de son patronage à celui de tous les Evêques réunis au Concile. »
N'était-ce pas la comparaison géographique du détroit de Gibraltar qui recevait son accomplissement? Le recours
76 SUPPLIQUE ADRESSÉE
au patronage du glorieux Evêque d'Orléans se comparait à la ceinture de la belle Méditerranée ; puis l'étranglement du détroit de Gibraltar avait symbolisé la nécessité du sacrifice, mais de l'autre côté du détroit la majesté du grand Océan devenait le miroir du splendide patronage des Evoques assemblés au Concile.
Le Patriarche de Jérusalem accompagna son conseil de ce plan rempli de sagesse : Rédigez, à l'adresse des Pères du Concile, une supplique où vous implorerez leur pitié sur les restes d'Israël, faites-la imprimer, et avisez à ce que chaque Evêque reçoive son exemplaire. Quand la lecture de ce document aura préparé leur bienveillance, on rédigera, avec l'agrément du Souverain Pontife, un postulatum qui sera soumis à leurs signatures.
Qu'était-ce qu'un postulatum? et pourquoi ne pouvaitil être rédigé qu'après la supplique de pitié aux Evêques?
Un postulatum — comme l'indique le mot latin, postulare; demander, solliciter — est un vœu écrit et motivé, par lequel on sollicite que telle ou telle question soit portée devant un Concile qui est rassemblé. Les Evêques seuls ont le droit de présenter des postulata; par conséquent un laïque qui voudrait introduire devant le Concile une question qu'il croit utile, doit recourir à l'intermédiaire d'un ou plusieurs Evêques. C'était là notre situation.
On voit par cette définition qu'un postulatum pour les Israélites n'était nullement facile à formuler, encore moins à faire présenter. Demander quelque chose pour les Israélites, le faire demander par les Evêques: mais quoi demander? Dans quel sens? dans quel ordre d'idées?
Si on eut consulté les fils d'Israël dans la rédaction de ce postulatum, ils auraient répondu à coup sûr : demandez pour nous les droits civils partout où nous ne les avons pas encore.
Si, au lieu de les consulter, on eût consulté certaines
AUX PÈRES DU CONCILE 77
populations, par exemple les populations de l'Alsace, de la Hongrie, de la Silésie, de la Roumanie, toutes ces populations auraient répondu à coup sûr : ils nous dévorent ; nous demandons contre eux des mesures restrictives.
La rédaction d'un postulatum en leur faveur présentait donc de sérieuses difficultés.
Mais la protection du Père Libermann planait sur ces difficultés.
L'idée de l'honneur nous vint à l'esprit. — L'homme est sensible à l'honneur. Quelque dégradé qu'on soit, on se surprend moins mauvais devant quelqu'un qui nous traite avec respect et nous honore. Aussi traiter les Israélites avec honneur, c'était par cela même les inviter à devenir meilleurs.
Ce n'est pas tout.
En même temps qu'elle nous semblait propre à réhabiliter l'Israélite, cette idée avait l'immense avantage de présenter une garantie et une espérance aux populations qui ont à se plaindre des Juifs. Dès là que les enfants d'Israël seraient honorés, ne deviendraientils pas honorables, et par conséquent leurs moyens ne seraientils pas aussi plus honorables ?
Tel était le raisonnement que nous faisions ; avionsnous tort? Avionsnous tort de chercher un moyen qui pût atteindre les deux extrêmes : les Juifs dans la boue, et les populations dans la détresse.
Toutefois cette idée de l'honneur n'était encore qu'une idée abstraite, dans le vague.
Cet honneur à mettre à portée des Israélites, il fallait le déterminer, le faire reposer sur quelque chose : et sur quelque chose de vrai, d'essentiel, non pas de fugitif, non pas de simple amour propre ; mais sur quelque chose qui fût vraiment à leur honneur, et dont ils pussent être fiers devant leur conscience et devant les peuples.
78 SUPPLIQUE ADRESSÉE
Voici ce quelque chose de vrai et d'essentiel que l'Esprit de Dieu nous suggéra.
Nous savions par expérience quelles difficultés il y a pour un Israélite à devenir catholique. Difficultés de conscience, difficultés de famille, difficultés de position. Mais de toutes les difficultés, celle qui nous avait toujours paru, à nous et à d'autres, la plus insurmontable, était celle-ci : celle du déshonneur.
« Un homme d'honneur ne doit jamais changer de religion. )) Cette difficulté-là dépasse et aggrave toutes les autres. La croyance au déshonneur du fait de la conversion ajoute à l'irritation de la famille contre le membre qui de
vient catholique ; et elle ferme souvent à celui-ci l'avenue
de beaucoup de carrières où l'on ne veut pas d'un converti.
« Un homme d'honneur ne doit jamais changer de religion », maxime aussi fausse que cruelle, véritable pierre d'achoppement que les philosophes du xviii® siècle ont placée au seuil de l'Eglise catholique, pour empêcher qu'on y entrât. Que de conversions cette cruelle maxime a empêchées ! Que de pauvres égarés elle a fait retourner tristement en arrière !
Or, par rapport à l'israélite qui veut devenir catholique, cette maxime est doublement fausse ; une première fois fausse, parce que pour lui, comme pour tout égaré qui revient, il n'y a nul déshonneur, et, au contraire, tout honneur à abandonner l'erreur pour revenir vers la vérité ; une deuxième fois fausse, indignement fausse, parce que l'israélite en devenant catholique, ne change pas de religion, mais achève sa religion, la complète, la couronne. L'israélite devenu catholique, c'est par excellence l'homme religieux qui a obtenu sa plénitude, comme la tige qui obtient sa fleur. Et cela est un honneur, le suprême honneur, l'honneur du couronnement.
Eh bien, à l' encontre de la maxime fausse et cruelle du
AUX PÈRES DU CONCILE 79
philosophisme, nous nous dîmes: c'est là ce quelque chose de vrai et d'essentiel que nous cherchons, c'est là qu'il faut concentrer l'honneur à procurer à nos anciens coreligionnaires. C'est sur cette base qu'il nous faudra appuyer le postulatum après que la supplique aux Evêques l'aura précédé en excitant leur pitié.
Voici la supplique préparatoire : elle fut rédigée sous l'action de l'EspritSaint.
IV
Eminentissimi et Reverendissimi Patres
Supra fores sanctae conciliaris aulae haecce Christi verha légère est : Docete omnes gentes.
Hanc autem super scriptionem cuique legenti perhibetur Vestra in varios humanae familiae ramos sollicitudo ; simulque exinde nos ipsi, Abraham filii et nunc, miser ante Deo, Christi sacerdotes, i>ires et animum hausimus ad Vos accedendi, piissimam Vestram deprecaturi misericordiam pro Hebraeorum gente nostra.
Quoties fas Ecclesiae fuit e^angelicam afferre lucem sedentibus in umbra mortis, officio divino non defuit. Et si quando populum aliquem non potuit caelestibus illuminare doctrinis, credendum est quadam quasi impossibilitate ipsius zelum infructuosum remansisse : quod ita, novemdecim per saecula, sese habuit circa infelix Israelitarum genus.
Hodie vero, aperto dii^inae Proi^identiae interventu, vetera cessasse videntur obstacula. lam ab ineunte saeculo, gentis nostrae conditio immutata omnino fuit, sive quoad civilia, sive quoad religionem.
Si enim ad ludaeorum in exteriori societate statum praesentem attenderimus, ipsos in fere qualibet Occidentis regione
80 SUPPLIQUE ADRESSÉE
immixtos indigents animadvertemus, communique degentes suh regimine politico. Murus hic separationis qui Ghetto nomen habuit, quo utique ipsi ludaei, in ^ç>o Medio, circumdari çoluerant et protegi, multis jam ah annis cecidit : in ipsa Roma magnificus noster et gloriosus PontifexRex, Pius nonus, statim ac Pétri ascendit cathedram, portam divi
sionis tolli jussit ; nec Pastorum optimus ingratos et beneficii immemores habuit ; Israelitas enim nuper auribus nostris audivimus dicentes ex gratitudine : « Vere nobis Angélus est Pius nonus ! »
Item, sub religionis respectu, ingens apud ludaeos mutatio facta est Dum enim, ex una parte, materiali muro a civili secernerentur societate, ex altéra non minus a Christianorum lege et moribus remotos tenebat eos liber ille quem TalMUD inscribunt titulo. Nunc çero, postquam societatem cum Christianis inierunt, ipso facto impelluntur ad amplectendum, relicto Talmudismo, alios mores aliudque symbolum : et reipsa, quum Occidentis populi in Rationalismum çel Indifferentismum delapsi fuerint, Israelitae, in partem eorum societatis admissi, eadem pessima progrediuntur i^ia.
Haecce quum ita se habeant, scilicet quum Israelitae in cii^ili societate magni momenti partes impleant, cumque, relicta fide patrum, abstracti et illecti, detestabiles subeant doctrinas, persuasum habuimus, Eminentissimi et ReverenDissiMi Patres, zelum salutis animarum necnon amorem gentis nostrae a nobis exiger e, ut, humillime ad Vestra proi>oluti genua, Vestram deprecemur misericordiam pro fratribus nostris, Abraham filiis.
Instanter igitur, Eminentissimi et Reverendissimi Patres, a Vestra exposcimus misericordia, ut dignemini, e sacrosancto Vestro Concilio, Hebraeos paterna quadam inçitatione praeçenire ; tali enim indulgentia, licet fortasse haud tam cito Ventura sit totalis eorum ad Christum conçersio, illum imitabimini pium patrem de quo ait Eçangelista : « Quum
AUX PÈRES DU CONCILE 81
ADHUC (filius prodigus) longe esset, vidit illum pater
IPSIUS, ET MISERICORDIA MOTUS EST, ET ACCURRENS CECIDIT SUPER COLLUM EJUS:
Utique, Eminentissimi et Reverendissimi Patres, fratrum nostrorum efficaciter miserebimini, quia ludaei semper sunt Deo carissimi propter patres, quia ex eis est Christus secundum carnem.
Miserebimini, memores potentissimae hujus adhortationis quant ad ludaeos ab apostolatus initio direxit S. Petrus, ante cujus gloriosum sepulcrum vos nunc congregamint
Miserebimini, hujus participes continui doloris quem sic diçus Paulus exhala^it : Tristitia miht magna est,
CONTINUUS DOLOR CORDI MEO ; OPTARAM EGO IPSE ANATHEMA esse a ChRISTO PRO FRATRIBUS MEIS, qui SUNT COGNATI MEI secundum CARNEM, QUI SUNT ISRAELITAE.
Miserebimini, ne, dum omnes orbis nationes Sacrosanctum Concilium Vaticanum sub alas comprehenderit, ab earum consortio absit populus ille cui gemebundus ait Christus : Ierusalem, Ierusalem, quoties volui congregare fiLIOS TUOS quemadmodum gallina congregat pullos suos SUB alas !
Miserebimini tandem, o Glementissimi Patres, ut soror nostra, quam ipsi dilectissimus Pontifex nuper Immaculatae décorant diademate, beata Virgo Maria, optatissimo sibi gaudio materna inter çiscera perfundatur, quando supremum sublimis sui cantici suspirium senserit exauditum : Suscepit Israël puerum suum, record atus misericor
DIAE SUAE, SICUT LOCUTUS EST AD PATRES NOSTROS, AbRAAbRAHAM ET SEMINI EJUS IN SAECULA.
loSEPHUS LÉMANN AUGUSTINUS LÉMANN
e clero dioecesis Liigdiinensis
Romae die XX lanuarii, MDCCCLXX, anniversaria Beatae Virginis Immaculatae Apparitionis in Ecclesia S. Andreae délie Fratte.
82 SUPPLIQUE ADRESSÉE
TRADUCTION
SUPPLIQUE AUX PÈRES DU CONCILE DU VATICAN EN FAVEUR
DES ISRAÉLITES
Éminentissimes et Révérendissimes Pères.
Au frontispice de la salle conciliaire on lit ces paroles de JésusChrist : Enseignez toutes les nations.
Pour tous ceux dont elle frappe les regards, cette inscription est une preuve évidente que Votre sollicitude s'étend à toutes les branches de la famille humaine • et c'est pourquoi nous aussi fils d'Abraham et maintenant, par la grâce de Dieu, prêtres de JésusChrist, nous nous sommes sentis la force et la confiance de venir jusqu'à vous, pour implorer votre insigne miséricorde en faveur d'une nation qui est la nôtre, celle des Israélites.
Chaque fois qu'il a été possible à l'Eglise de faire pénétrer la lumière de l'Evangile chez les peuples assis dans les ténèbres de la mort, elle n'a point failli à cette mission divine. Et s'il est arrivé qu'une nation se soit soustraite à ses célestes clartés, c'est que l'Eglise, il n'en faut pas douter, trouvait à l' encontre de son zèle des difficultés insurmontables ; ainsi en a-t-il été, durant dixneuf siècles, à l'égard de la pauvre nation Juive.
Mais aujourd'hui, par une intervention visible de la Providence, les anciens obstacles sont en train de disparaître. Depuis le commencement de ce siècle, notre nation s'est complètement modifiée, soit dans sa situation sociale, soit dans sa situation religieuse.
D'abord sa situation sociale s'est transformée ; dans presque tous les Etats de l'Occident, les Israélites se trouvent
mêlés à la société, régis, à l'égal des autres citoyens, par les mêmes lois civiles. Ces séparations matérielles, nommées Ghettos, que les Israélites eux-mêmes, durant le moyen
AUX PÈRES DU CONCILE 83
âge, avaient positivement voulues, parce qu'elles étaient des murs protecteurs, croulent depuis nombre d'années. Dans Rome même, notre magnifique et glorieux PontifeRoi, Pie IX, a inauguré son avènement à la chaire de Pierre, en faisant tomber la porte du ghetto ; et la bonté du meilleur des Pasteurs ne s'est point exercée sur des oublieux et des ingrats, car nous avons entendu naguère des Israélites de Rome faire cette exclamation touchante : « Pour nous. Pie IX, c'est un Ange ! »
Au point de vue religieux, un changement considérable s'est pareillement produit au sein du Judaïsme. En effet, en même temps qu'ils avaient été séparés de la vie sociale par le Ghetto, les Israélites se trouvaient séparés des croyances et des mœurs chrétiennes par le Talmud. Mais aujourd'hui, poussés dans la société, ils sont comme poussés également à abandonner le Talmudisme pour adopter d'autres mœurs et d'autres croyances. Et cela est si vrai que, comme malheureusement les peuples de l'Occident sont tombés dans le rationalisme et V indifférence, les Israélites, mêlés à leurs rangs, suivent à leur tour cette voie mauvaise.
Ainsi, soit parce qu'à cette heure ils deviennent une partie importante dans la société, soit parce qu'abandonnant leurs antiques croyances, ils sont séduits et entraînés par de détestables doctrines, il nous a semblé, Eminentissimes et Révèrendissimes Pères, que le zèle du salut des âmes et aussi l'amour de notre nation exigeaient de nous, qu'humblement prosternés à vos pieds, nous suppliions votre miséricorde en faveur de nos frères, les fils d'Abraham.
Daignez donc, Eminentissimes et Révérendissimes Pères, daignez, nous vous en supplions, les prévenir, dans votre affection paternelle, en leur adressant du sein de votre auguste assemblée un appel plein de tendresse. Car, lors même que leur conversion générale devrait encore être éloignée, vous auriez réalisé, en vous tournant vers eux,
84 SUPPLIQUE ADRESSÉE
cette touchante prévenance du père de l'enfant prodigue, ainsi racontée par l'Evangile : « Lorsqu'il était encore loin, « son père V aperçut, et, touché de compassion, il se hâta d'ac« courir et se jeta à son cou. »
Oui, Eminentissimes et Réi^érendissimes Pères, vous aurez pitié de nos frères les Israélites, parce qu'ils sont toujours chers à Dieu à cause de leurs pères, et parce que c'est d'eux que JésusChrist est né selon la chair.
Vous en aurez pitié, en souvenir de la première prédication si puissante de l'apôtre saint Pierre, dont le tombeau se trouve à la porte du Concile.
Vous en aurez pitié, participant à cette continuelle douleur que ressentait l'apôtre saint Paul et qu'il exhalait delà sorte : « Je suis saisi d'une tristesse prof onde, et mon cœur est « pressé d'une continuelle douleur, au point que j'eusse désiré « de devenir anathème moi-même pour le salut de mes frères, « qui sont du même sang que moi, qui sont les Israélites. «
Vous en aurez pitié, afin que sous les ailes étendues du Concile du Vatican, ne soit pas oublié ce peuple vers lequel
le Christ gémissant poussait ce cri de rassemblement : « Jérusalem, Jérusalem, que de fois j'ai ç^oulu rassembler tes enfants, comme la poule rassemble ses petits sous ses ailes ! »
Enfin vous en aurez pitié, ô pères pleins de clémence, afin que la Bienheureuse Vierge Marie, notre sœur, que son Pontife bienaimé a couronnée naguère du diadème d' immaculée, ressente au fond de ses entrailles maternelles ce dernier bonheur dont elle a manifesté le désir, dans le suprême soupir de son Magnificat : Il a repris Israël, son enfant, s' étant souvenu de sa miséricorde, selon qu'il l'avait promis à nos pères, à Abraham et à sa postérité pour toujours.
Joseph Lé MANN, Augustin Lémann, du clergé de Lyon.
Rome, 20 janvier 1870. Jour anniversaire de l'apparition de la
Vierge Immaculée dans l'église de Saint-André deïle Fratte.
AUX PÈRES DU CONCILE 85
La veille du 20 janvier nous nous rendîmes à cette église de SaintAndré délie Fratte pour faire à Marie, dans une visite solennelle, cette prière :
« Marie, vous avez en 1842 posé vous-même le premier chaînon de la conversion de notre peuple, par votre apparition dans cette église à l'un de nos frères. Eh bien, nous nous permettons en ce jour anniversaire, 20 janvier 1870, durant la tenue du Concile, d'y venir ajouter un second chaînon qui est notre acte d'appel au Concile, en faisant imprimer notre demande le jour de votre apparition. Renoué au vôtre, ô Marie, empêchez que ce chaînon ne soit brisé ou violé par personne. »
Pour doubler en quelque sorte la suave protection de la Très Sainte Vierge, nous nous rendîmes ensuite à l'église de SainteMarieinTransteçere. C'est l'endroit de Rome où la Mère de Dieu a été honorée pour la première fois ; au fond de l'abside, sont gravés ces mots en lettres d'or : prima œdes Deiparœ dicata. En outre, c'est en cet endroit qu'a jailli, quelques jours avant la naissance du Sauveur du monde, une fontaine d'huile. Aussi, agenouillés sur la dalle commémorative de la fontaine d'huile, nous adressâmes à Dieu cette fervente supplication : « mon Dieu, faites que notre lettre touche les Evêques, qu'elle soit comme une huile qui s'insinue doucement dans leurs cœurs! N'estil pas écrit dans la sainte liturgie que le nom de Jésus est une huile odoriférante répandue? »
En signe que notre prière était exaucée, nous reçûmes du très Révérend Père Péronne, savant théologien du Concile, une magnifique approbation par écrit relativement à notre lettre aux Evêques.
Le soir même un exemplaire partait à l'adresse de chaque Evêque.
Ykrga de VÂppantion miraçukusa Rome, 20 Janvier 1842
CHAPITRE VI
Hotre assistance à la Messe de Sa Sainteté Pie IX le 20 Janoier jour annioersaire de l'apparition de la Vierge Marie à Alphonse ffatisbonne. — Le Pape approuoe pleinement le Postulatum qui doit être présenté à la signature des Pères du Concile.
I. Utilité de rapporter ici l'apparition miraculeuse du 20 janvier dans l'église de Saint-André délie Fratte. — II. Notre assistance à la Messe de Pie IX et nos célestes émotions. — III. Le Postulatum aux Pères du Concile, rédigé avec le concours du Patriarche de Jérusalem, est lu très attentivement par Pie IX ; satisfaction de Sa Sainteté. — IV. Précieux autographe que Pie IX nous fait remettre : cet autographe rappelle notre assistance à sa Messe du 20 janvier, et confirme notre pieuse entreprise auprès des Pères du Concile. — Y. Deux lettres enthousiastes écrites de Jérusalem par le Père Marie-Alphonse Ratisbonne.
I
Attendu que le présent chapitre et celui qui précède mentionnent avec complaisance l'Apparition miraculeuse du 20 janvier, nous croyons utile de la rapporter succinctement, soit pour satisfaire la pieuse curiosité du lecteur qui pourrait l'ignorer, soit pour rehausser l'éclat des choses qui vont graviter autour de cette date ineffable.
Le 20 janvier 1842, Alphonse Ratisbonne, encore Israélite endurci, était entré, vers midi, dans l'église de SaintAndré délie Fratte. Il accompagnait le baron de Bussière qui venait y surveiller les derniers préparatifs des funé
88 ASSISTANCE A LA MESSE DE PIE IX
railles du comte de la Ferronnays. Durant les jours précédents, Alphonse Ratisbonne avait passé la soirée dans les salons du baron de Bussière où, sur les instances du baron et delà baronne, il avait accepté la médaille miraculé use de la Sainte Vierge que leurs gentilles petites filles avaient passée à son cou avec un ruban ; on lui avait fait promettre également de réciter le Memorare ou Souvenezi'ous à la Sainte Vierge imprimé sur une petite feuille. Quand il fut seul, la
lecture de cette prière l'impressionna et il ne pouvait se défendre d'en fredonner les suaves paroles. Il avait donc pénétré en oisif dans l'église de SaintAndré.
Le baron de Bussière lui avait demandé la permission de l'y laisser seul quelques instants, tandis qu'il était allé s'entretenir dans le cloître avec les religieux. Que se passa1il dans l'intervalle? Alphonse Ratisbonne lui-même va nous le dire :
(( L'église de SaintAndré est petite, pauvre et déserte;... je crois y avoir été à peu près seul;... aucun objet d'art n'y attirait mon attention ; je promenais machinalement mes regards autour de moi, sans m' arrêter à aucune pensée ; je me souviens seulement d'un chien noir qui sautait et bondissait devant mes pas... Bientôt ce chien disparut, l'église tout entière disparut ; je ne vis plus rien... ou plutôt, ô mon Dieu, je vis une seule chose ! ! ! Comment seraitil possible d'en parler? Oh! non, la parole humaine ne doit point essayer d'exprimer ce qui est inexprimable ; toute description, quelque sublime qu'elle puisse être, ne serait qu'une profanation de l'ineffable vérité. J'étais là, prosterné, baigné dans mes larmes, le cœur hors de moi-même, quand M. de Bussière me rappela à la vie. Je ne pouvais répondre à ses questions précipitées ; mais enfin je saisis la médaille que j'avais laissée sur ma poitrine, je baisai avec effusion l'image de la Vierge rayonnante de grâces... Oh ! c'était bien elle !
QUI APPROUVE LE POSTULATUM 89
(( Je ne savais où j'étais, je ne savais si j'étais Alphonse ou un autre, j'éprouvais un si total changement, que je me croyais un autre moi-même... je cherchais à me retrouver, et je ne me retrouvais pas... La joie la plus ardente éclata
au fond de mon âme ; je ne pus parler ; je ne voulus rien révéler ; je sentais en moi quelque chose de solennel et de sacré qui me fit demander un prêtre... on m'y conduisit, et ce n'est qu'après en avoir reçu l'ordre positif, que je parlai selon qu'il m'était possible, à genoux et le cœur tremblant. »
Ce prêtre était le Père de Villefort, de la Compagnie de Jésus. (( Je Vai çue, je rai çue ! lui dit avec transport Alphonse Ratisbonne. J'étais depuis un instant dans l'église, lorsque tout d'un coup, je me suis senti saisi d'un trouble inexprimable. J'ai levé les yeux, tout l'édifice était comme voilé à mes regards ; une seule chapelle avait, pour ainsi dire, concentré toute la lumière et, au milieu de ce rayonnement, apparut debout sur l'autel, grande, brillante, pleine de majesté et de douceur, la Vierge Marie, telle quelle est sur ma médaille ; une force irrésistible m'a poussé vers Elle. La Vierge m'a fait signe de la main de m' agenouiller. Elle a semblé me dire : c'est bien ! Elle ne m! a point parlé, mais f ai tout compris. »
Les détails qui suivent ont été consignés dans une déposition juridique : « Au moment de l'apparition, j'essayai plusieurs fois de lever les yeux vers la Sainte Vierge ; mais son éclat et le respect me les firent baisser, sans m' empêcher d'avoir la certitude de sa présence. Je fixai mes yeux sur ses mains, et je vis en elles l'expression du pardon et de la miséricorde. En sa présence, bien qu'Elle ne m'ait dit aucune parole, j'ai compris l'horreur de l'état dans lequel je me trouvais, la difformité du péché, la beauté de l'Eglise catholique : en un mot, j'ai compris tout... En entrant dans l'église j'ignorais tout, en sortant je voyais clair ; c'est
90 ASSISTANCE A LA MESSE DE PIE IX
qu'au moment du geste, le bandeau tomba de mes yeux. Non pas un seul bandeau, mais toute la multitude des bandeaux qui m'avaient enveloppé, disparurent successivement et rapidement, comme la neige, la boue et la glace, sous l'action d'un brûlant soleil. »
Tel est le grand miracle qui immortalise cette date ineffable du 20 janvier. Elle était comme une teinte et une courbe d'arcenciel sous lesquelles nous entrâmes dans l'antichambre du Souverain Pontife.
II
Hœc dies qiiem fecit Maria ! Ce jour c'est la Vierge Marie qui nous le procure, nous disionsnous l'un à l'autre dans l'antichambre pontificale. A travers les fenêtres, nous apercevions la campagne romaine dont la sérénité retraçait celle de nos cœurs.
Introduits dans la chapelle où Pie IX commença les Saints Mystères nous nous prosternâmes et sans ressentir la moindre fatigue, nous restâmes agenouillés durant l'heure bienheureuse qui nous fut accordée sur ce parvis sacré. Quand le Très SaintPère éleva le Calice, nous prédestinâmes ainsi la direction de ce Calice de salut : « Lèvetoi sur les restes d'Israël, le Christ a dit de toi aux paroles de la Consécration : Hic est enim Calix Sanguinis mei qui pro multis effundetur in remissionem peccatorum, ceci est le Calice de mon Sang qui sera répandu pour beaucoup en rémission de leurs péchés. »
A la communion, après avoir reçu la divine Hostie des mains du Souverain Pontife, nous nous disions avec délices en pensant à Alphonse Ratisbonne : Nous possédons le doux Jésus, fils de cette belle Vierge Marie que notre frère Alphonse a vue à pareil jour.
QUI APPROUVE LE POSTULATUM 91
Durant le ravissement de notre action de grâce, notre pensée et notre cœur ne se détachaient pas du Vicaire de JésusChrist. Envisageant son rôle et ses œuvres à travers les siècles, nous répétions tout bas ces quatre termes, ces quatre magnificences qui célèbrent et résument son divin prestige :
Tu ES Christus — Tu es Petrus
Tu ES Immaculata — Tu es Infallibilis.
Un intime pressentiment nous inculquait au cœur qu'un jour viendra où l'Israël de Dieu converti et illuminé comme Alphonse Ratisbonne, sera le propagateur de ces quatre vérités, de ces quatre irradiations sur la consommation des siècles.
III
De la chapelle papale nous passâmes, sur l'invitation de Sa Sainteté, dans la salle d'audience.
Ainsi que nous l'avait recommandé Son Excellence le
Patriarche de Jérusalem, nous tenions prêt le Postulatum aux évoques, rédigé avec son concours.
Notre Très SaintPère Pie IX l'accueillit avec un gracieux sourire ; nous étions très émus. D'un regard attentif, Sa Sainteté le lisait, le méditait, donnant plusieurs fois des signes d'approbation. Il était rédigé en latin, tel qu'il est reproduit ici :
SACRO CONCILIO VATICANO
A Sacra œcumenica Synode Vaticana, infrascripti Patres humillima instantique postulant prece, ut et miserrimam Hebrœorum gentem paterna quadam invitatione dignetur praevenire : scilicet votum expri
92 ASSISTANCE A LA MESSE DE PIE IX
mère, ut tandem longissima inutilique expectatione lassati, ad Messiam salvatorem nostrum, vere promis sum Abrahse et à Mose prsenunciatum, festinent accedere : sic perficientes coronantesque religionem mosaïcam, non mutantes.
POSTULATI RATIONES
Ex una parte, infrascripti Patres firmissimam tenent fiduciam prœ ut sacrosancta Synodus Israelitarum misereatur, quia semper sunt Deo carissimi propter patres et quia ex eis est Christus secundum carnem.
Ex altéra parte, iisdem Patribus dulcis inest et intima spes hoc votum honoris necnon dilectionis, adjuvante Spiritu Sancto, Hbenter acceptum iri a pluribus Abrahse fihis : quia vetera, quibus detinebantur, obstacula videntur nunc evanescere, jam diruto antiquo divisionis muro.
Utinam igitur citius acclament Christum, dicentes : Hosanna Filio Dai>id ! Benedictus qui venit in nomine Domini !
Utinam ad brachia ad volent Immaculatse Marise quœ, jam ipsorum soror secundum carnem vult ipsis esse sicut et nobis Mater secundum gratiam !
TRADUCTION
A u Saint Concile œcuménique du Vatican.
« Les Pères soussignés demandent au saint Concile œcu« ménique du Vatican, dans une humble et pressante
« prière, qu'il daigne aussi prévenir par une invitation « toute paternelle la très infortunée nation d'Israël ; c'est
QUI APPROUVE LE POSTULATUM 93
« àdire qu'il exprime le vœu que, fatigués enfin d'une at« tente non moins vaine que longue, les Israélites s'em« pressent de reconnaître le Messie, notre Sauveur Jésusce Christ, véritablement promis à Abraham et annoncé par « Moïse : achevant et couronnant ainsi la religion mosaï« que, sans la changer.
Motifs du Postulatum.
« D'une part, les Pères soussignés ont la très ferme con(( fiance que le saint Concile aura compassion des israé(( lites, parce qu'ils sont toujours très chers à Dieu à cause « de leurs pères, et parce que c'est d'eux qu'est né le Christ (( selon la chair.
« D'autre part, les mêmes Pères partagent la douce et « intime espérance que ce vœu de tendresse et d'honneur « sera, avec l'aide de l'EspritSaint, bien accueilli par « plusieurs des fils d'Abraham, parce que les obstacles (( qui les arrêtaient jusqu'à ce jour semblent de plus en « plus disparaître depuis qu'est tombé l'antique mur de « séparation.
« Fasse donc le Ciel qu'au plus tôt ils acclament le Christ, (( lui disant : « Hosanna au Fils de Dai^id ! Béni soit Celui « qui vient au nom du Seigneur /
« Fasse le Ciel qu'ils accourent se jeter entre les bras de « l'Immaculée Vierge Marie, qui, déjà leur sœur selon « la chair, veut être encore leur mère selon la grâce, comme « elle est la nôtre ! » '
Quand Sa Sainteté eut terminé la lecture, Elle nous pressa sur son cœur : c'était dire au Postulatum va au large auprès des Pères du Concile, duc in altum.
94 ASSISTAÎNCE A LA MESSE DE PIE IX
IV
Au sortir de l'audience, nous rencontrons dans les antichambres Mgr Mercurelli, secrétaire de Sa Sainteté. Il nous aborde avec une affectueuse sympathie, et nous demande : (( Etesvous contents? — Si contents, Monseigneur, que nous osons vous adresser, à vous-même, une supplique. — Et laquelle? — Que cette matinée, si encourageante pour nous, soit consignée dans un témoignage où se trouve l'écriture de Pie IX ». Nous avisâmes alors une grande et belle photographie qui représentait Pie IX en habits sacerdotaux. Avec une exquise bonté, le Pape nous fit dire par Mgr Mercurelli de rédiger nous-mêmes sur l'image ce que nous désirions qu'il signât. Revenus au séminaire français, nous rédigeons ce pieux témoignage :
Très Saint-Père,
Aidant de présenter au Sacré Concile œcuménique du Vatican la demande de quelques paroles de miséricorde en faiseur
de leur nation chérie, la nation d'Israël, les deux frères Joseph et Augustin Lémann, prêtres de Lyon, ont eu le bonheur d'être admis, le 20 janvier, à la messe de Votre Sainteté, pour y recevoir de sa main la divine Eucharistie. Ils supplient Votre Sainteté de vouloir bien consacrer ce précieux souvenir en leur accordant pour eux-mêmes et pour leur entreprise sa
sainte bénédiction.
Rome, 20 janvier 1870.
Transmise à Sa Sainteté par l'excellent Mgr Mercurelli, l'image nous revenait, quelques semaines après, avec ce précieux autographe :
BENEDICET VOS DEUS ET CŒPTUM VESTRUM Plus P. P. IX
QUI APPROUVE LE POSTULATUM 95
Petit détail, mais plein d'une suavité providentielle à notre égard : le précieux autographe nous arriva pour le seizième anniversaire de notre baptême. Oh ! nous n'oublierons jamais que, le jour anniversaire de notre baptême, Pie IX a consacré notre mission.
La Vierge Marie se plaisait à échelonner sur notre route des signes d'approbation. Après celui du Vatican, nul ne pouvait nous être plus délicieux que deux lettres nous arrivant et de Jérusalem et du prédestiné fils d'Israël au miracle du 20 janvier, le Père MarieAlphonse Ratisbonne.
Première lettre (à propos de La supplique aux Pères du Concile).
jérusalem, Monastère de l'Ecce Homo.
Jérusalem, 21 avril 1870.
Chérissimes Frères,
Votre Epître circulaire au Concile a été déposée sur le SaintSépulcre, selon vos désirs ; et elle repose maintenant et à tout jamais dans l'intérieur de l'autel expiatoire de VEcce Homo sous le saint Tabernacle même.
Vous ne sauriez croire combien vous remuez nos cœurs, chers et aimés frères. Soyez bénis, et que la Vierge, votre Sœur Immaculée, vous protège et vous guide. Bien cordialement avec vous, in unitate spiritus sancti.
P. Marie.
96 ASSISTANCE A LA MESSE DE PIE IX
Deuxième lettre (à propos du Postulatiim) .
'Ui, a Jérusalem, 20 janvier 1872.
'^ Chérissimes Frères,
Comment mon cœur nejrayonnerait-il pas vers vous en ce grand jour, trentième anniversaire de ma conversion et l'anniversaire aussi de la Messe que l'immortel Pie IX a dite pour la conversion des Juifs, et que vous avez eu l'immense consolation de servir. Ce souvenir encore récent s'entremêle et s'harmonise admirablement au souvenir du passé ; et ces laits sont providentiellement enchaînés comme les préludes d'un même événement.
Mon âme reste rivée à vos deux âmes. Rien ne pourra jamais séparer mon cœur de vos deux cœurs. J'aime à vous dire cela, et à vous le redire le 20 janvier. Restons à jamais unis, étroitement et chaudement unis dans le cœur très pur de Marie, et prionsla bien les uns pour les autres, afin qu'Elle ^e montre de plus en plus notre Mère et notre Etoile, la brillante étoile de Jacob.
Votre très attaché et affectionné frère,
P. Marie A. Ratisbonne.
CHAPITRE VII
Recueil des signatures. — Le dernier tour du monde du Juif-Errant,
J. Les courses du Juif-Errant, personnification du peuple juif coupable à travers le monde. Nous nous identifions, par pitié et par repentir, avec notre pauvre peuple et nous prenons la résolution d'accomplir, dans nos courses auprès des Pères du Concile, le dernier tour du monde du Juif-Errant. Cette résolution portée sur les marches de V Escalier-Saint du haut duquel Jésus, montré par Pilate, fut accueilli par les vociférations des Juifs qui exigèrent son crucifiement. Les sanglots de nos cœurs. Après avoir gravi ce saint escalier, nous commençons à gravir les escaliers des Pères du Concile qui accueillent avec bonté et font asseoir le Juif-Errant. — IL Motifs que nous faisons valoir auprès de Nosseigneurs les évoques pour obtenir leurs signatures. 1^ motif :La situation politique et sociale des Israélites au miheu des nations n'est plus celle des siècles précédents. Deuxième motif : La situation religieuse du peuple juif invite même les ouvriers du royaume de Dieu à tenter un grand effort du côté de ce peuple. Troisième motif : Le mal des nations chrétiennes, qui est le rationalisme et l'indifférence, ravage aussi les restes de la nation juive. Magnifique œuvre de réparation qui s'offre au Concile. Quatrième motif : Les Israélites restent très chers à Dieu, à cause de leurs pères.
I
Au moment d'entreprendre le recueil des signatures, la réparatrice et touchante pensée nous vint de représenter les courses du Juif-Errant, personnification du peuple juif coupable.
98 RECUEIL DE SIGNATURES
On connaît la légende populaire du Juif-Errant. Ahasvérus, né douze ans avant JésusChrist d'un charpentier de la tribu deNephtali et professant l'état de cordonnier, était allé dénoncer à Hérode la naissance de JésusChrist. Lorsque le Sauveur montant au Calvaire et portant sa croix, s'arrêta devant son échoppe pour se reposer, Ahasvérus le repoussa durement. Alors Jésus lui dit : « Je me reposerai ici, et toi tu ne cesseras de marcher jusqu'à ce que je vienne. » Depuis ce temps, Ahasvérus marche, marche toujours, sans pouvoir mettre un terme ni à son voyage, ni à sa vie.
Ce mystérieux personnage a exprimé, dans l'imagination de tous les peuples, la marche pénible et perpétuelle du peuple juif à travers les espaces et les siècles, faisant sans cesse le tour du monde sans pouvoir se reposer. C'est pourquoi nous identifiant, par pitié et par repentir, avec notre
pauvre peuple faisant sans cesse le tour du monde, nous nous dîmes : dans nos courses auprès de tous les évoques de la catholicité assemblés au Concile du Vatican, accomplissons le dernier tour du monde du Juif-Errant.
Voilà la pensée d'identification. Comment l'avonsnous réalisée ?
Nous nous rendîmes tout d'abord au sanctuaire de VEscalier saint (la Scala Santa). Là, personnifiant le Juif-Errant qui revenait, après dixneuf siècles de marche, abreuvé d'outrages et de remords, au pied du saint Escalier, nous le gravîmes à genoux en demandant pardon. A nos oreilles retentissait l'interrogation de Ponce Pilate : Ecce Homo, voici l'Homme, que fautil en faire? interrogation à laquelle répondait la féroce clameur d'un peuple en délire : crucifigatur, qu'il soit crucifié, et que son sang retombe sur nous et sur nos enfants. Avec des sanglots dans le cœur, nous gravissions ce Saint Escalier, disant à notre tour : Ecce gens nostra, voici notre nation, voici le pauvre Juif
DERNIER TOUR DU MONDE DU JUIF-ERRANT 99
Errant; que le sang du Juste retombe cette fois sur nous et sur nos enfants en rosée de pardon et d'amour î
Après cela, nous nous mîmes à gravir les escaliers des Pères du Concile.
Depuis dixneuf siècles que nous parcourions le monde, nous avions pénétré partout, nous étions entrés dans les châteaux et dans les chaumières. On nous avait vus à la suite des camps, nous avions passé par la hutte du sauvage et la cabane du nègre, nous avions monté les escaliers des rois, nous étions entrés partout; partout, excepté dans un Concile œcuménique, c'est-à-dire dans l'Eglise mystérieusement rassemblée. Et partout où nous nous présentions, c'était pour trafiquer, pour proposer notre or, pour accuser ou pour nous défendre, jamais pour supplier. Mais cette fois c'était pour supplier que nous entrions chez les Evêques, pour supplier qu'on eût pitié de nos os humiliés, de notre tête appesantie, de nos pieds fatigués, pour supplier qu'on nous aidât à effacer de notre front la tache de sang, pour supplier enfin qu'on nous introduisit dans l'Eglise, véritable Jérusalem retrouvée. Et les Evêques nous ont bien accueillis. Ils nous ont fait asseoir, et ils nous ont tendu la main.
II
Alors, le Postulatum en mains, nous entreprîmes la plaidoirie en faveur des restes d'Israël, trop heureux d'être les pauvres petits avocats de cette cause solennelle. Nous demandions à chaque évêque sa signature, suppliant que le Postulatum devînt le livre de vie pour les morts de la maison d'Israël.
Le bon Dieu nous inspirait ce qu'il fallait dire. Nous allons grouper dans ce chapitre les principaux motifs que
100 RECUEIL DE SIGNATURES
nous fîmes valoir dans les nombreuses conversations avec nos Seigneurs les Evêques, et qui les déterminèrent à signer : ces motifs étaient le commentaire du Postulatam approuvé et béni par Pie IX.
Premier motif : La situation politique et sociale des Israélites au milieu des nations n'est plus celle des
SIÈCLES précédents.
Leur vie errante, non moins que leur exclusion sociale et politique cessent partout. Ils ont fait leur entrée au foyer de presque toutes les nations et législations.
Aux Evêques français, nous avons dit : Voyez, Nos Seigneurs, ils sont affranchis depuis 1791.
Aux Evêques hollandais : ils sont affranchis depuis 1830;
Aux Evêques d'Autriche : depuis 1860 ;
Aux Evêques de Prusse : depuis 1866 ;
Aux Evêques anglais : depuis 1858 ;
Aux Evêques d'Amérique : depuis 1849.
De cet affranchissement bientôt universel, avonsnous ajouté, est sorti un double résultat visible à tous les regards :
La réhabilitation des Israélites et leur influence.
Leur réhabilitation : ils ne sont plus méprisés.
Leur influence : citoyens aujourd'hui, maîtres demain.
Or, 1 cette réhabilitation sociale n' annonce1elle pas, en la précédant logiquement, une réhabilitation religieuse? car la Providence n'a-t-elle pas permis que les Juifs redevinssent des hommes avant de devenir des chrétiens? Hommes d'abord, en reprenant leur place dans la société ; chrétiens plus tard, en prenant leur place dans l'Eglise.
2 Leur influence sociale qui menace de devenir dangereuse si elle n'est pas tournée à bien, ne doitelle pas faire désirer et hâter cette réhabilitation religieuse ou conversion?
DERNIER TOUR DU MONDE DU JUIF-ERRANT 101
Car enfin, il y a dans cette influence des Juifs un péril pour la société et pour l'Eglise: péril grave et prochain.
Or, comment le conjurer?
Par des mesures de coercition? Les législations modernes étant ce qu'elles sont, il n'est guère probable que les gouvernements recourent jamais à des moyens de rigueur, sous prétexte que ce sont des Juifs qui sont maîtres de la fortune publique. Il n'y a guère que la Révolution qui pourrait tout à coup se retourner contre la fortune des Juifs, comme elle s'est retournée contre le trône des rois. Non, parce qu'ils sont Juifs, mais parce qu'ils sont riches. Dieu nous garde de désirer les excursions des révolutionnaires chez les banquiers Israélites. Mais, si un jour elles s'accomplissent, ne seraice pas une application de la peine du talion? Car enfin que d'encouragements donnés à la Révolution par l'or des Juifs, surtout dans l'empire d'Autriche et dans les Etats du Pape !
Mais supposons que la Révolution les épargne. Les voici maîtres de la fortune publique. Il n'est guère probable, avonsnous dit, que les gouvernements recourent contre eux à des mesures de coercition.
Mais alors, par quel moyen empêcher que leur influence ne devienne désastreuse dans les pays de foi catholique ? Un
seul s'impose : l'apostolat de la charité et de la vérité.
La charité, en allant à eux ; la vérité en faisant un suprême effort pour les amener à JésusChrist.
La société chrétienne se trouve vis-à-vis d'eux exactement dans la même situation où elle se trouvait à l'époque de la venue des Barbares. Il y a aujourd'hui l'invasion des Juifs, comme il y a eu autrefois l'invasion des barbares. Seulement, au lieu de fer, c'est l'or qui est la menace.
Eh bien, quand les Barbares se présentèrent, les Evêques et les grands chrétiens allèrent droit à eux. Les Evêques n'avaient pas peur. Ils changèrent le mal en bien, l'inva
102 RECUEIL DE SIGNATURES
sion en conversion. Des Barbares baptisés, ils firent sortir les nations néo-latines.
Pourquoi l'apostolat de la charité et de la vérité n'userait-il pas, dans le même péril, qui reparait, de la même audace vis-à-vis des Juifs? Les Juifs ont conquis la société ; à l'Eglise de conquérir les Juifs ! Conquête beaucoup plus difficile, sans doute, que celle des Barbares, mais digne de cet apostolat des derniers temps, dont l'intrépidité doit aboutir à cet heureux résultat annoncé par JésusChrist : un seul bercail sous un seul pasteur : iinum onle et unus pastor.
r
Deuxième motif : La situation religieuse du peuple JUIF invite même les ouvriers du royaume de dieu a
TENTER un GRAND EFFORT DU COTE DE CE PEUPLE.
Jusqu'ici, c'est-à-dire durant dixneuf siècles, on n'a réussi qu'imparfaitement à convertir les Juifs. De loin en loin quelques conversions. Souvent même elles n'étaient pas durables.
A quoi donc tenait cette difficulté insurmontable de faire arriver lumière et vérité jusqu'au cœur de ce peuple?
Il y avait deux causes.
La première était V endurcissement. L'endurcissement, sorte de péché originel contracté au Calvaire : que son sang retombe sur nous et sur nos enfants. Cet endurcissement se transmet de génération en génération. Chaque juif vient au monde les yeux littéralement remplis des ténèbres du VendrediSaint. Leurs yeux sont ouverts, mais sans regard ; ils ne voient pas, ils ne comprennent pas.
A cette cause interne et qui s'empare de chaque Juif à sa naissance, se joignait une cause externe. Durant de longs siècles une institution satanique a pour ainsi dire abrité, entretenu et prolongé l'endurcissement : cette institution,
DERNIER TOUR DU MONDE DU Juif-Errant 103
le Talmiidisme. Le Talmudisme était comme un mur épais, élevé par les rabbins, entre les pauvres Juifs et la lumière bienfaisante de l'Evangile. Les rayons de lumière ne pouvaient percer ce mur de mensonges et de faussetés accumulées : ciment infernal où le saint nom d'Abraham, de Moïse et des Prophètes était mêlé aux fables les plus absurdes, aux interprétations les plus bizarres des prophéties, aux calomnies les plus perfides contre le christianisme.
L'endurcissement ou leurs yeux pleins de ténèbres ; le Talmudisme ou l'obstacle à toute lumière venant du dehors : nuit profonde ! Voilà pourquoi il a été si difficile de convertir des Juifs.
Or, il arrive qu'aujourd'hui l'un des deux obstacles, le dernier, est en partie supprimé.
La loi civile, en effet, en reconnaissant les Juifs comme citoyens, les a soustraits par cela même à la domination du Talmud et des rabbins. Sujets du droit commun, ils ne le sont plus du despotisme rabbinique. L'Israélite n'est plus exposé à rencontrer comme autrefois le rabbin à chaque pas de sa demeure, de sa vie, de ses usages ; il ne le rencontre plus qu'à la Synagogue. Le Talmud ou l'ancien régime des Juifs ressemble à un donjon ruiné et abandonné ; la vieille prison se lézarde et croule de toutes parts. C'est un grand résultat obtenu. Les Juifs, sans doute, ont encore les yeux fermés, ils vont toujours à tâtons comme des aveugles, mais ils sont libres, ils sont au grand air. Le cruel mur n'est pas là pour empêcher les rayons de lumière de visiter et d'éclairer leurs visages.
Eh bien, puisque l'obstacle externe a disparu, puisque la bienfaisante lumière de l'Evangile peut rencontrer libre
ment ces visages si longtemps prisonniers et flétris, oh! qu'elle daigne tomber sur eux ! Le dernier obstacle qui reste, ce sont leurs yeux pleins de ténèbres. Mais, en les inondant, la lumière divine est de force à créer un regard
104 RECUEIL DE SIGNATURES
dans ces yeux éteints. Concile du Vatican, plénitude de la lumière, ô Eglise catholique réunie à Rome, laissenous donc te supplier de chercher à créer un regard dans les yeux de nos frères ; allume dans leurs orbites cette flamme,
ce regard dont il est écrit : ils regarderont i^ers moi qu'ils auront percé, et ils seront pénétrés de douleur comme on l'est à la mort d' un fils aîné.
Troisième motif : Le mal des nations chrétiennes,
QUI EST LE RATIONALISME ET l'iNDIFFÉRENCE, RAVAGE AUSSI LES RESTES DE LA NATION JUIVE. MAGNIFIQUE ŒUVRE DE RÉPARATION QUI S' OFFRE AU CONCILE.
Voici donc les Juifs mêlés, depuis un certain nombre d'années, à la vie commune, et, par conséquent accessibles à toutes les influences. Que s' estil passé depuis lors?
Depuis lors, une situation sans précédent s'est peu à peu imposée à eux: le rationalisme et l'indifférence les ont envahis.
Nous soulignons ce mot : situation sans précédent
Depuis leur dispersion, en effet, c'est-à-dire durant un laps de près de deux mille ans, les croyances qu'ils avaient
emportées de Jérusalem, avaient résisté à toute influence. Rien n'avait été capable de les leur faire oublier ou modifier : ni les prédications de la vérité chrétienne, ni les séductions des hérésies et des erreurs de tous les siècles, ni l'islamisme, ni le protestantisme, ni les coups, ni l'abjection, ni les infortunes de toutes sortes ; en un mot, rien n'avait réussi à les entamer, à les altérer ; elles s'étaient en quelque sorte endurcies et comme pétrifiées.
Eh bien, maintenant voici que le rationalisme et l'indifférence sont en train de dissoudre ces croyances. C'est étrange.
N'est-il pas étrange que le vieux peuple que Dieu conservait jusqu'à ce jour pour qu'il fût le témoin non suspect
DERNIER TOUR DU MONDE DU JUIF-ERRANT 105
de la Révélation et le gardien incorruptible des Livres Saints, soit envahi par le rationalisme? Les descendants d'Abraham ou du père des Croyants, devenir des incroyants cela ne s'était jamais vu. L'obstination fut leur défaut ; l'incrédulité, jamais. Ces ravages du rationalisme et de l'indifférence parmi eux sont donc un grand malheur. Beaucoup d'âmes droites et honnêtes dans le judaïsme en gémissent. Même au point de vue du christianisme, c'est aussi un malheur. Car, dans la propagation de la vérité et dans l'œuvre du salut des âmes, il vaut mille fois mieux avoir à faire à un Israélite de bonne foi et instruit dans sa religion qu'à un rationaliste ou un indifférent.
Tel est donc ce fait incontestable de l'apparition et des ravages du rationalisme parmi les Israélites.
Mais maintenant, à qui doiton imputer ce désastre des croyances juives, cette perte de tant d'âmes israélites entraînées dans les voies détestables de la libre pensée? A qui?... Aux nations chrétiennes.
Oui, une grande et redoutable responsabilité pèse sur les nations chrétiennes. Si la conversion des juifs a été retardée ou du moins est si peu avancée, aux nations de baisser la tête et de se frapper la poitrine.
En effet, lorsque s'est accomplie l'émancipation civile et politique des Israélites, lorsqu'ils ont été invités à entrer dans la société moderne, quel est le milieu social qu'ils ont rencontré en entrant? Un milieu rationaliste et presque athée. C'était en 1789-1791. Les Israélites ont été introduits et accueillis au bruit de la déclaration des Droits
de V Homme, c'est vrai, mais qui avait pour écho et contraste la suppression des droits de Dieu. Introduits dans la société, ils ont considéré comme on vivait, et ils ont remarqué qu'on vivait sans plus s'occuper du ciel ; ils ont regardé comment
il fallait faire, et ils ont vu que, pour réussir, il fallait mettre de côté sa religion ; ils ont écouté comment il fallait
106 RECUEIL DE SIGNATURES
parler, et ils ont entendu des rires, des sarcasmes, des blas
phèmes. Alors beaucoup d'entre eux ont plié leurs vieux parchemins bibliques ou talmudiques, et mis de côté leurs pratiques religieuses. On était rationaliste ou indifférent autour d'eux, ils se sont faits rationalistes et indifférents.
Nous sommes convaincus que si, au moment de leur entrée dans la société, le milieu social qu'ils trouvèrent, avait été catholique et religieux au lieu d'être rationaliste et athée, la conversion des Juifs eut fait un grand pas. Ils étaient si enthousiastes à ce moment, si heureux de la liberté qu'on leur rendait !
Sans doute, il reste toujours le problème de l'obstination juive. Mais si cette obstination, quelque jour, doit céder, n'est-ce point devant une société qui ouvrirait ses bras aux Israélites, pour les conduire à JésusChrist?
Or, au lieu de cela, les Juifs n'ont rencontré qu'une société pervertie. Comment s'étonner qu'ils se soient pervertis à leur tour?
La responsabilité des nations chrétiennes n'estelle pas terrible et indiscutable?
Eh bien, puisque le Concile est appelé à refaire l'œuvre manquée et meurtrière de 1789, qu'il daigne, oh ! qu'il daigne réparer le tort causé aux Israélites eux-mêmes dans le domaine de l'âme et des intérêts spirituels par les doctrines détestables du rationalisme et de la librepensée. Qu'à rencontre de ces mauvaises doctrines qui ont nié l'inspiration sacrée, le Concile daigne rappeler aux Israélites l'inspiration sublime de Moïse, de David et de leurs prophètes ! Qu'à l' encontre de ces mauvaises doctrines qui ont rejeté la Tradition et toute tradition, le saint Concile
daigne rappeler aux Israélites qu'ils sont porteurs des annales du monde les plus anciennes et les plus précieuses ! En un mot, par ce mal détestable du rationalisme, les nations chrétiennes, bien loin de convertir les Israélites, leur
DERNIER TOUR DU MONDE DU JUIF-ERRANT 107
ont fait perdre même le Mosdisme. Au Concile il appartient de le leur rendre, et de préparer leur complète régénération.
Quatrième motif : Les Israélites restent très chers A Dieu a cause de leurs pères.
Nous ne pouvions manquer de faire valoir en faveur des Israélites cette parole si touchante de S. Paul : carissimi propter patres, ils lui sont toujours chers à cause de leurs
pères. '
Il est impossible, en effet, d'exprimer combien Dieu a aimé leurs pères. C'est une amitié qui remonte à l'enfance du monde. Elle fut si pure, si enthousiaste des deux côtés, si pleine de sacrifices et de promesses ! A cause de cette amitié si ancienne et si étroite, Dieu n'a jamais pu se résigner à oublier les fils coupables de ces pères tant aimés. Voilà pourquoi il les conserve. Il veut un jour leur rendre toute sa tendresse.
Sans doute Dieu les conserve pour qu'ils soient les témoins de sa justice : ils portent le châtiment du déicide. Il les conserve aussi pour qu'ils soient les témoins de sa sagesse : ils sont les dépositaires incorruptibles des Livres Saints. Mais il les conserve également pour qu'ils soient dans la péroraison des siècles les témoins de sa miséricorde et de son amour. Il viendra un temps où, se rappelant l'ancienne amitié qu'il avait pour leurs pères, son amour n'y tiendra plus et il criera à l'aquilon: rendsmoi mes enfants ; et au couchant : ne les empêche pas de venir.
Que cette tendresse de Dieu est touchante, adorable, et comme elle incline à la compassion envers ce pauvre peuple !
Or, ne seraitil pas dans le rôle et les attributions de ce Concile d'avoir spécialement en vue la tendresse de Dieu? Ne sommesnous pas, en effet, dans le siècle du Sacré
108 RECUEIL DE SIGNATURES
Cœur, de ce Cœur qui a tant aimé les hommes, et qui déclare aimer toujours les Israélites, ils lui sont toujours chers à cause de leurs pères !
Concile du Vatican, sois le concile de la miséricorde et de l'amour.
Beaucoup de Conciles tenus dans les siècles précédents se sont occupés des Juifs, mais pour les réglementer, pour les réprimer, pour les punir. C'était le temps de la justice. Avec le Sacré Cœur, c'est le temps de l'amour. Saint Concile, à l'exemple de JésusChrist, aimeles aussi à cause de leurs pères.
Tels sont, en substance et en résumé, les divers points de vue que nous osâmes présenter et développer dans les conversations particulières avec NN. SS. les Evêques pour les engager à signer le Postulatum. Tous ces motifs les frappèrent. Cependant, nous sommes heureux de le proclamer, ce fut le dernier qui nous gagna le plus grand nombre de signatures : le carissimi propter patres, le motif de l'amour î A cette pensée de la tendresse persistante de Dieu pour les pauvres Juifs, combien les Evêques se sont montrés tendres eux-mêmes. Que de tressaillements nous avons souvent contemplés sur ces visages vénérables ! Que de larmes nous avons vu couler ! Que de mains tremblèrent d'émotion en signant notre Postulatum ! Nous réservons pour la suite de ce travail les réponses admirables des augustes signataires. Toutefois il nous sera bien permis, à cause de la reconnaissance, de mettre en relief, à la fin de
ce chapitre, les paroles du saint évêque de Bayonne, cette ville de France une des plus anciennes colonies juives.
Bon vieillard ! Lorsque nous lui eûmes exposé l'objet de notre visite, il nous dit : « Nous autres, descendants de la Gentilité, nous étions l'arbre sauvage, mais vos pères, eux, étaient la douceur de l'olive. Entés sur l'olivier qui est
DERNIER TOUR DU MONDE DU JUIF-ERRANT 109
NotreSeigneur JésusChrist, comment ne nous pencherions-nous pas, branches bienfaisantes, vers les pauvres Juifs, pour leur rendre la douceur de l'olive? Oh ! oui, mes enfants, je vais signer votre postulatum. »
Cherchant avec empressement son encrier, comme il ne le rencontrait pas de suite, il s'écria avec un accent que nous n'oublierons pas : « Si je n'avais point d'encre, je trouverais pour signer, du sang dans mes veines. « L'émotion le saisit et il se prit à pleurer.
Après qu'il eut signé, il ajouta : « Vous avez fait souscrire les Evêques, faites souscrire aussi les saints du Ciel.
Dites-leur : vous tous, inscrivezvous. Faites souscrire également les anges gardiens ; chaque nation a ses anges. La nation juive a les siens. Ah ! qu'ils vous accompagnent, mes enfants, et qu'ils marchent devant vous i »
CHAPITRE VIII
Les réponses de Nosseigneurs les Eoêques, chaîne d'amour, chaîne d'or. L'argument irrésistible.
I. La réponse de Nosseigneurs les évêques, chaîne d'amour qui nous entraîne vers deux endroits : devant la Table eucharistique de la première Gène conservée dans la basilique de Saint-Jean-de-Latran, et à la porte de l'Assemblée du Concile dans la basilique Saint-Pierre. — IL Sous un autre aspect, les réponses de Nosseigneurs les Evêques forment une chaîne d'or. De quelle manière nous l'avons composée, recueillant soigneusement leurs précieuses paroles comme des perles et des rubis : ce recueil en est l'écrin. Israël, il est digne de ton examen. — III. Certaines résistances à vaincre : l'antique débat de Moïse avec le Seigneur soutient notre élan. L'objection qui nous est faite de l'indignité de beaucoup de Juifs : comment nous y répondons. Une autre objection : on refuse de signer notre Postulatum pour n'être pas soimême en contradiction avec le refus de signatures qu'on a opposé au Postulatum pour l'Infaillibilité. Comment l'amour l'emporte sur la logique : un argument irrésistible nous fait triompher des résistances. Emouvantes conversations avec l'Evêque d'Alexandrie en Piémont, qui capitule devant l'argument irrésistible.
I
Nous nous plaisons à placer, comme épigraphe, en tête des réponses de Nosseigneurs les Evêques, deux textes des divines Ecritures.
112 LA RÉPONSE DES ÉVEQUES
Le premier : Je les attirerai à moi par des attraits qui gagnent les hommes, par des chaînes d'amour. T ôterai moimême le joug qui leur serre la bouche, et je leur présenterai de quoi manger (1).
Oui vraiment les réponses des Evêques assemblés au Concile du Vatican se présentent comme des chaînes d'amour. Quels attraits dans leurs paroles capables de faire fondre l'endurcissement des cœurs en Israël ! Jamais la prophétie d'Osée n'aura trouvé une plus saisissante application.
Mais quel est donc ce manger mystérieux que le Sei
gneur lui-même doit leur présenter, après avoir ôté le joug qui leur serre la bouche? Un autre Prophète nous l'apprend.
Ils reviendront vers le soir, et ils seront affamés comme des chiens, et ils tourneront autour de la ville (2).
Dans cette peinture du Prophète royal, plusieurs Pères de l'Eglise reconnaissent les représentants du déicide qui, sur le soir des siècles, se convertiront après avoir recherché avec inquiétude dans le monde les biens temporels et avoir souffert la faim du pain de vie.
Eh bien, attendu que nous avions accepté d'être la personnification du pauvre Juif-Errant, nous nous laissâmes attirer par les paroles des Evêques, comme par des chaînes d'amour, vers deux endroits: vers la Table Eucharistique conservée dans la basilique de SaintJeandeLatran, et vers la porte de l'Assemblée du Concile œcuménique.
Dans la basilique de SaintJeandeLatran on aperçoit derrière des grilles de fer et sous de larges feuilles de cristal, la Table sur laquelle NotreSeigneur célébra la dernière Cène et institua la Très Sainte Eucharistie. C'est sur ce bois
(1) Osée, chap. xi.
(2) Ps. Lviii, 7.
l'argument irrésistible 113
vénéré que le divin Sauveur s'est appuyé pour prononcer ces paroles d'amour : Ceci est mon corps, ceci est le calice de mon sang, le sang de la nouvelle et éternelle alliance, qui sera répandu pour cous et pour beaucoup en rémission des péchés. C'est encore à cette même Table qu'ont été prononcées ces sublimes paroles : Je suis la çigne, et vous en êtes les branches. Si vous demeurez en moi et moi en vous, vous porterez des fruits abondants, et sans moi vous ne pouvez rien faire.
Attirés vers cette chapelle où se conserve le trésor de la Table Eucharistique, nous fîmes devant Elle cette prière: « Père très clément, ô Dieu des miséricordes, nous vous supplions d'admettre enfin le pauvre peuple juif à ce festin
d'amour. » Et nous ajoutâmes, en les appliquant à ce peuple qui souffre de la faim du pain de vie, ces paroles de la chananéenne à Jésus, paroles si touchantes : « Seigneur, les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leur maître. » Seigneur, permettez que le peuple en retard mange les miettes de la belle Table Eucharistique qui s'est dressée à travers les espaces depuis bientôt vingt siècles.
Le texte du Prophète royal ajoutait cette particularité : Ils se convertiront sur le soir et ils tourneront autour de la ville.
Inlassables comme le Juif-Errant, semblables aux chiens rôdeurs du texte biblique, nous sommes allés bien des fois tourner dans la basilique SaintPierre, autour de la salle conciliaire, demandant tout bas au Dieu des miséricordes de faire entrer dans l'auguste Assemblée le Postulatum qui commençait à se couvrir de signatures, et même d'y faire entrer, par quelque porte secrète, nos humbles personnes. Nous raconterons ultérieurement de quelle manière le Ciel exauça miséricordieusement non seulement notre
114 LA RÉPONSE DES ÉVÊQUES
première demande, mais aussi la seconde. Oh ! quelles surprises célestes ont accompagné chacun de nos pas.
Merci à vous, saints Evêques, d'avoir, par votre accueil plein de tendresse, dirigé nos courses vers ces deux endroits : vers la Table Eucharistique et vers la porte de l'Assemblée conciliaire. C'était bien la chaîne d'amour qui nous attirait, in funiculis traham eos, in vinculis charitatis.
II
Sous un autre aspect, les réponses de Nosseigneurs les Evêques formaient une chaîne d'or.
Nous voudrions pouvoir présenter ce paragraphe et le suivant comme un écrin où serait contenue une chaîne d'or qui retiendrait des rubis et des émeraudes.
Les Evêques signaient donc ; mais émus et attendris, ils prononçaient en signant des paroles sublimes de tendresse, ou encore nous développaient sur le peuple juif des aperçus pleins de grandeur, de finesse et de nouveauté. Nous avions garde d'oublier ce que nous entendions. A mesure que nous prenions congé de chaque évêque, nous nous hâtions, dans les escaliers mêmes, de recueillir par écrit les précieuses pensées, et le soir nous les mettions en ordre. Voilà comment nous avons pu former un écrin. Les perles et les rubis sont les paroles épiscopales ; et la
chaîne d'or résulte de leur union et de leur ensemble.
Aujourd'hui que de graves événements ont forcé le SaintSiège d'interrompre le Concile, chaque évêque est retourné dans son diocèse respectif. La plupart sont loin, et même un très grand nombre sont morts; nous ne les reverrons plus ! Mais ce livre leur parviendra peut-être. Lorsque les survivants ou les successeurs sur les sièges épiscopaux retrouveront les paroles que l'Esprit de charité avait fait
l'argument irrésistible 115
prononcer, paroles qui ont dû être oubliées, mais que nous, nous n'avons pas oubliées, puissentelles, en reparaissant sous leurs yeux et en faisant tressaillir leurs cœurs, leur procurer une première et bien douce récompense î Merci, ô saints et bons évêques, de les avoir prononcées. Un jour, si les deux frères ont le bonheur de compter, eux aussi, parmi les élus, ils vous les rappelleront au ciel. Ils les rediront dans l'assemblée des justes, leurs mains voudront servir de pupitre à la page d'amour que vous avez signée : ce sera votre deuxième et éternelle récompense.
Et toi, ô peuple juif, quand tu liras ce recueil, ne dis plus que tu es bafoué et que l'Eglise catholique te méprise. Jamais personne ne t'a traité avec un honneur égal à celui qui est contenu dans ce livre, aux paroles des Evêques. C'est comme une grande nuée de témoins qui, se plaçant devant toi, viennent te dire : « Il te serait si facile, ô Israël, de redevenir le premier des peuples, le premier parmi nous, et l'ornement de l'Eglise de Dieu! »
nos frères en Abraham, hsez ce recueil, méditezle, et laissezvous gagner par la douceur des réponses épiscopales semblables, avonsnous dit, a une chaîne d'amour qui voudrait vous attirer à JésusChrist.
III
Les consolations que nous recueillîmes dans nos visites à tous les Evêques, furent immenses ; mais nous rencontrâmes aussi des difficultés et des tristesses. Nous avons raconté les consolations, nous dirons les tristesses surmontées de cette suave pensée de Joubert : « Bien loin de se plaindre que les roses aient des épines, il faut se féliciter que les épines portent des roses. »
Au début de notre entreprise, quand nous commencions
116 LA RÉPONSE DES ÉVEQUES
à recueillir les signatures, un Evêque nous dit : « Je vous admire et vous loue. Il y a dans votre entreprise des côtés qui répugnent presque ; mais continuez ; je serais à votre place, je ferais ce que vous faites. » Nous avons dû entendre plus d'une fois des reproches bien pénibles à l'égard de notre peuple, essuyer même des rebuts : reproches et rebuts qui furent d'autant plus sensibles à nos cœurs, qu'ils étaient malheureusement trop bien fondés. Rien néanmoins n'eût été capable de faire tomber notre élan. Tout le temps que durèrent nos démarches, le bon Dieu nous fit la grâce d'avoir toujours présente devant nos yeux cette scène biblique si touchante où Moïse débat avec le Seigneur et défend contre lui les intérêts du peuple qu'il lui a confié. « Je vous en conjure, Seigneur, pardonnez-leur cette faute ; ou, si vous ne le faites pas, effacezmoi de votre livre des vivants que vous avez écrit. » Pleins de ce grand souvenir, nous ne craignîmes pas, nous aussi, de débattre la cause de nos frères, et de discuter, mais en suppliant, avec nos sei
gneurs les Evèques. Qu'on nous permette de présenter ici ce débat.
L'objection la plus poignante fut celle de V indignité.
« Ce que les Juifs commettent actuellement en Autri
che, peutil donc nous incliner à des sentiments de miséricorde? » Telle fut l'impression première que plus d'un evêque allemand nous manifesta. Et en effet, à quelles extrémités les Juifs ne se portentils pas dans l'empire d'Autriche? Mêlés à la francmaçonnerie, extrêmement puissants, ce sont eux qui emploient l'or et la presse à anéantir dans ces pays toutes les institutions catholiques, et à ruiner la foi dans les populations. Un évêque de Bohême nous faisait cette juste remarque : « En Allemagne, les Israélites sont donc maintenant émancipés des catholiques. Mais les catholiques ont besoin, à leur tour, d'être émancipés des Juifs. Les Juifs nous font beaucoup de mal. Oui, je
l'argument irrésistible 117
leur reconnais immensément de génie. Mais à cette heure, c'est un génie déç^astateiir. »
Ces plaintes étaient pour nous comme du fiel et du vinaigre. Nous avons accepté cette amertume en réparation du breuvage amer que nous avions nous-mêmes, dans la personne de nos ancêtres, fait boire au Messie. Un jour, à SaintPierre, dans un cercle d'Evêques qui daignaient nous parler de notre entreprise, un prélat de Hongrie nous dit avec un accent indigné à l'adresse de nos anciens coreligionnaires : pessimi, pessimi, ils sont tout ce qu'il y a de pire. Nous baissâmes la tête. Il n'avait que trop raison. Longtemps au milieu de nos difficultés, cette parole nous poursuivit : pessimi, pessimi. Mais nous nous rappelions le débat de Moïse avec Dieu.
Le débat resta à notre avantage par cette humble observation présentée aux Evêques qui résistaient : Hélas, oui, les Juifs ont beaucoup de défauts, ils se montrent ingrats, persécuteurs. Mais saint Paul, lui aussi, avant sa conversion, était persécuteur ; il fut converti dans l'acte même de sa persécution. Et de Madeleine, fille d'Israël, avant qu'elle fût attirée aux pieds de JésusChrist, quelles n'étaient pas les fautes? C'est pourtant de cette femme que l'Eglise chante avec admiration.
Amissa drachma regio
Recondita est œrario ;
Et gemma deterso luto,
Nitore vincit sidéra. Pareille transformation doit, un jour, arriver au peuple juif. Les écailles tomberont, les scories seront enlevées, et la foi de ses pères, en lui, brillera de nouveau ! Ils feront oublier leurs torts à force d'amour. Ne vous estimerezvous
pas heureux alors, ô Evêques, du sein de la gloire où vous serez, d'avoir travaillé dès ce Concile à débarrasser le diamant de la poussière qui l'entourait, d'avoir contribué à
118 LA RÉPONSE DES ÉVEQUES
lui restituer ses feux? Nous vous en conjurons, passez, passez sur cette objection de l'indignité.
Les hésitations et l'objection que nous rencontrâmes et que nous venons d'exposer, étaient en quelque sorte inhérentes à la question dont nous nous faisions les fauteurs. Demander qu'on s'occupât du peuple juif, c'était naturellement s'exposer à des objections. Mais nous rencontrâmes certaines résistances qui nous vinrent par un côté étranger à notre question : à l'occasion de la lutte sur l'infaillibilité.
Voici comment.
Tout le monde sait que durant plusieurs mois du Concile, les Evêques de la majorité firent circuler un postulatum pour recueillir les adhésions épiscopales au projet de la définition du dogme de l'infaillibilité. Les évêques du sentiment contraire repoussèrent le postiilatum. Ce mode d'introduire la question ne leur parut pas acceptable. Or, plusieurs d'entre eux généralisèrent leur désapprobation. Désapprouvant le postulatum pour l'infaillibilité, ils désapprouvèrent in globo tous les autres postulata, et forcément le nôtre. Ayant refusé leur signature à la page pour le Pontife romain, ils crurent qu'il était de la logique de la refuser également à la page pour le peuple juif. Voilà comment nous rencontrâmes certaines résistances très sérieuses.
Heureusement que la logique s'oublie devant l'amour!
Avant de commencer nos pérégrinations, nous étions allés, tremblants pèlerins, dans l'église de SainteMarieinTranstevere où jaillit la fontaine d'huile miraculeuse dont nous avons parlé plus haut. Nous y retournâmes, suppliant la Très Sainte Vierge de nous fournir un argument irrésistible, semblable à une huile qui coulerait jusqu'aux cœurs de ceux qui voulaient s'abstenir de signer.
Notre confiance ne fut pas trompée. Dans ces circons
l'argument irrésistible 119
tances délicates que nous venons de rapporter où des Evoques s'étaient en quelque sorte imposé des chaînes à euxmêmes pour ne signer aucun postulatum, l'huile de l'amour leur fit ouvrir leurs doigts et retrouver leur douce liberté.
Nous nommerons un Evêque, il est au ciel aujourd'hui : Mgr Antoine Colli, évêque d'Alexandrie dans le Piémont. La conversation que nous allons rapporter, sera une fleur sur son tombeau.
Il nous accueillit avec cette exquise urbanité qui le distinguait nous disant combien il aimait notre nation. Il ajouta qu'il connaissait l'hébreu et trouvait ses plus douces jouissances dans les études bibliques.
— Alors, Monseigneur, nous empressâmesnous de dire, Votre Grandeur nous donnera volontiers sa signature en faveur de notre pauvre peuple.
L' Evêque répondit : « Je vais vous attrister, Messieurs, j'en suis triste moi-même, mais je ne puis pas signer votre postulatum.
Nous répliquâmes vivement : « O Monseigneur, qui donc pourrait vous empêcher d'accomplir cet acte de charité?»
Il reprit alors avec bonté, mais avec une graMe gravité : « Permettez que je reste fidèle à la règle que je me suis tracée. Je me suis fait une loi de ne signer aucun postulatum. » Et comme nous manifestions notre surprise et notre peine : « Si j'en avais signé un, ajouta-t-il, je signerais le vôtre. Mais vous ne trouverez ma signature nulle part. »
— Monseigneur, une exception pour nous.
— Toutes mes sympathies pour vous et votre œuvre, mais pas ma signature. »
Nous étions désespérés de rencontrer tant de bonté pour nos personnes avec un refus si inflexible pour nos pauvres frères. Nous fîmes appel à toute notre éloquence, aux raisons les plus touchantes et les plus pressantes. « Monsei
120 LA RÉPONSE DES ÉVEQUES
gneur, vous dites que vous aimez notre nation, et vous lui refusez un acte de miséricorde. » Inutile.
« Au nom des bons patriarches ! au nom du sein d'Abraham qui un jour s'ouvrira pour vous ! » Inutile.
Nous avions les larmes aux yeux, et lui-même était très ému. Enfin, joignant les mains, nous lui dîmes : « Refuserezvous, Monseigneur, de donner votre nom pour le peuple qui vous a donné Jésus et Marie. »
A ces mots, sa tête se pencha, des larmes mouillèrent ses yeux, et il nous dit : « Je ne puis plus refuser. »
Pour le peuple qui cous a donné Jésus et Marie ! Bien dés fois, dans le cours de nos visites, cette réponse vint sur nos lèvres, et toujours elle obtint son efîet, elle désarmait les résistances. C'était l'argument irrésistible, ou plutôt la goutte d'huile puisée à la fontaine miraculeuse, à la fontaine d'amour. Le passant ne refuse pas son aumône au pauvre enfant qui demande en tenant par la main sa vieille mère aveugle. Et, nous aussi, nous tenions par la main notre
vieille mère aveugle, la Synagogue. Nous disions : « C'est elle qui vous a donné Jésus et Marie. Aurezvous le courage de nous refuser? »
Personne ne nous a refusé.
CHAPITRE IX Une objection solennelle. — Hous tâchons de la résoudre.
I. Est-il prudent de travailler à la conversion des Juifs, puisque un sentiment populaire établit une connexion entre leur conversion générale et la fin du monde. Réponses que nous opposons à cette crainte. — II. Il faut reconnaître toutefois que les réflexions d'illustres observateurs et l'acte de miséricorde sollicité par nous en faveur des restes d'Israël donnent le pressentiment que le genre humain est entré dans la phase de la consommation des siècles. — III. Transition de l'année 1870 à l'année 1910 : le pressentiment de la consommation des siècles se corroboré de trois faits considérables. Le premier est le mouvement de célérité imprimé à toutes choses, comme pour une péroraison. Le deuxième est la réapparition de tous les peuples, y compris le vieux peuple hébreu, pour s'acheminer ensemble vers un but irrésistible. Le
troisième est l'oppression des bons par les méchants, que la Providence permet en vue de la consommation des siècles ou d'un
Libérateur ardemment désiré. — IV. Toutefois la consommation des siècles ne sera point une époque écourtée ; en harmonie avec les jours de la création qui ont été non des jours ordinaires, mais des époques, elle sera aussi une époque où les restes d'Israël auront un rôle superbe de réparation.
I
On nous fit assez souvent une objection solennelle : celle de la connexion de la fin du monde avec la conversion des Juifs. Conséquemment, « travailler à la conversion des Juifs, n'est-ce point travailler à faire arriver la fin du
122 UNE OBJECTION SOLENNELLE
monde?» Objection qui, au fond n'en était pas une pour la foi robuste et dirigeante des Evêques ; mais enfin, elle ne laissait pas que de venir à l'esprit et de faire réfléchir. Elle nous fut toujours présentée avec finesse et accompagnée des plus bienveillants sourires.
Nous fîmes, nous aussi, en souriant, plusieurs réponses.
Première réponse. — Le langage d'Isaïe, de Jérémie et des autres prophètes, autorise à placer la conversion des Juifs bien avant la fin du monde, et à ne pas la limiter à un espace court de quelques années avant le dernier jugement. En effet, par la bouche de ses prophètes, Dieu promet aux Juifs de ne plus les abandonner, de ne plus souffrir qu'ils l'abandonnent eux-mêmes, lorsqu' enfin il .les aura rappelés à lui (1). Or, cette promesse de ne plus les abandonner, de ne plus les déplacer, de les établir pour toujours dans leur ancien héritage, de conserver parmi eux et parmi leurs descendants le dépôt de la vérité, serait absolument inutile, si leur conversion n'était qu'un événement rapide, et pour ainsi dire, de quelques heures.
Deuxième réponse. — La conversion des Juifs, bien loin de coïncider avec la fin du monde, coïncidera, au contraire, avec la résurrection du monde. Ils se convertiront, non point pour annoncer que tout va finir, mais pour annoncer que tout va rajeunir et s'épanouir. N'est-ce pas, en effet, le sens catégorique et naturel de ces paroles de saint Paul : (( Si la ruine des Juifs a été la richesse du monde, combien leur résurrection enrichira1elle le monde encore davantage ; et si la perte des Juifs a été le salut du monde, que sera leur retour, sinon un retour de la mort à la ne. )> En vérité, si la conversion des Juifs devait amener la fin, l'apôtre aurait-il fait cette promesse : que leur retour sera pour le monde un retour de la mort à la vie (2)? Le court espace
(1) Voir Jérémie, chap. xxxii, 39-49.
(2) Ep. aux Romains, chap. xi.
NOUS TACHONS DE LA RESOUDRE 123
d'un petit nombre d'années après leur conversion, remplirait-il la magnificence et l'énergie d'une telle promesse? Le spectacle merveilleux de tant de morts ressuscites (résurrection du peuple juif résurrection de la société chrétienne) ne serait donc qu'un événement passager, qu'une révolution de quelques jours? Les paroles de saint Paul permettent de croire fermement le contraire.
Troisième réponse. — Non seulement la conversion des Juifs n'amènera pas la fin du monde, mais même son effet direct, immédiat, consistera à retarder, à reculer la fin du monde.
Au dernier chapitre des prophètes de l'Ancien Testament, Dieu, las des crimes de la terre, décrit le jour du jugement, qui doit venir « comme un jour de feu, semblable à une fournaise ardente «. Et tout à coup Dieu retient ses foudres et s'écrie : « Avant que le grand et épouvantable jour arrive, il y aura la réconciliation des cœurs des pères avec les enfants, et des cœurs des enfants avec leurs pères : de peur qu'en venant je ne frappe la terre d'anathème (1). »
Ces paroles ne sontelles pas infiniment consolantes? Elles annoncent que, sur le déclin des siècles, Dieu sera sur le point de frapper la terre d'anathème, mais qu'il se retiendra parce qu'il aura sous les yeux la réconciliation des cœurs des pères avec les enfants, c'est-à-dire le retour des fils des patriarches. Cette réconciliation du peuple juif avec JésusChrist et le peuple chrétien sera si agréable à Dieu qu'à cause d'elle, il ne frappera pas encore la terre. Ce sera la fin du monde retardée.
Quatrième réponse. — C'est en vue de cet immense service « la fin du monde différée » que Tertullien faisait déjà de son temps cette belle recommandation : Il faut que le chrétien, bien loin de s'affliger du retour des Juifs, s'en ré
(1) Malach.. iv, 5-6.
124 UNE OBJECTION SOLENNELLE
jouisse ; puisque toutes nos espérances sont intimement liées à V attente des restes d'Israël (1).
Cinquième réponse. — N'est-ce pas en vue de cette magnifique résurrection du monde, que NotreSeigneur JésusChrist lui-même a fait cette promesse infaillible : « Elie doit venir auparavant, et il rétablira toutes choses, Elias quidem çenturus est, et restituet omnia. »
Elie viendra donc auparavant ; et dans quel but ? Pour rétablir toutes choses ; à sa venue, toutes choses toucheront à leur décadence, à leur fin, et Elie les rétablira.
En conséquence de tous ces témoignages, nous repoussons toute connexion entre la conversion des Juifs et la fin du monde. Ce ne sera point en messagers de mort que nous entrerons dans l'Eglise, mais en messagers de vie. Nos mains tiendront les palmes du jour des Rameaux, et non des cyprès.
Sixième réponse. — Et enfin, lorsque arrivera la fin du monde, qui devra1on en rendre responsables? Les Juifs? Nullement, puisque par leur conversion ils l'auront, au contraire, retardée. Qui alors? Les peuples redevenus impies. Les crimes des hommes amèneront et rendront nécessaire cette fin du monde. Mais alors, dans cette suprême et dernière catastrophe, nos frères seront innocents.
Tels furent donc les arguments que nous fîmes valoir en réponse à cette objection populaire dont Nosseigneurs les Evêques se faisaient, en souriant, les interprètes. Ils satisfirent les uns, contentèrent à moitié les autres. Plus d'un Evêque également chercha à dissiper ses alarmes, en disant : « Après tout, ne demandonsnous pas nous-mêmes tous les jours à Dieu la fin du monde, quand nous lui disons : adi^eniat regnum tuum, que votre règne arrive. )> L'exclamation la plus fine et la plus gracieuse fut celle de
(1) TertuL De judicio, ch. viii.
NOUS TACHONS DE LA RESOUDRE 125
Mgr de DreuxBrézé, évêque de Moulins. Nous lui avions développé plusieurs de nos arguments. Il semblait satisfait et rassuré. Mais tout à coup, pendant qu'il était en train de signer, il se tourna vers nous et nous dit avec l'accent du remords, du doute et de l'amabilité : « Vous direz tout ce que vous voudrez, mais i^ous nous faites signer nos passeports pour le ciel. »
II
Sous le voile de ces fines reparties, au fond de ces doutes recouverts d'amabilité et de charité, perçait ce sentiment général, ce soupçon : que ce que nous demandions aux Evoques, n'était pas un acte quelconque et médiocre. On avait raison de penser ainsi. Le peuple juif, ce peuple qui a un rôle à remplir d'un bout des siècles à l'autre, est si grand, que tout acte qui touche à ses destinées, acquiert des proportions inattendues. Il n'est pas douteux que le jour où il cessera d'être le témoin de la justice pour devenir, par le pardon du déicide, le témoin de la miséricorde, le genre humain entrera avec lui dans une phase grave et solennelle. Nous repoussions l'objection de la coïncidence avec la fin du monde et de la responsabilité qui en reviendrait aux Juifs. Mais nous étions les premiers à admettre qu'avec la conversion du vieux peuple hébreu commencera la phase de la consommation ou le chapitre de la péroraison dans le grand livre du monde. Or solliciter des Evêques et de l'Eglise rassemblée au Concile du Vatican un acte de miséricorde en faveur des restes du peuple juif, c'était naturellement leur
demander d'entrer avec nous dans cette phase pleine de majesté, de mystère et d'inconnu. Un vénérable évêque, dont les noms nous rappelaient, par une douce coïncidence, les gloires de notre passé, Mgr JosephEzéchiel Moreyra, évêque
126 UNE OBJECTION SOLENNELLE
de Guamanga au Pérou, ne s'y trompa point. Profondément ému à la pensée de cet acte de miséricorde en faveur du peuple juif et des conséquences qu'il entrevoyait, il avait incliné sa tête entre ses mains. Après quelques instants de réflexion il nous dit : « Nous touchons à la plus grande époque du monde, nous ne sommes plus loin des derniers temps. )) — « Monseigneur, lui répondîmes-nous en souriant, seriezvous alors, vous aussi, de cet avis : que nous vous faisons signer la fin du monde. » — « Je ne sais, répliqua1il en nous serrant les mains, mais ce qu'il y a
de certain, c'est que vous nous faites accomplir un acte sans précédent dans r Eglise. »
L' Evêque de Guamanga disait vrai. Mais aussi les temps où le genre humain est entré ne sontils pas sans précédent? Et n'est-ce point le cas de rappeler ici la réflexion du comte de Maistre : « Il n'y a peut-être pas un homme véritablement religieux en Europe qui n'attende en ce moment quelque chose d'extraordinaire... «Plus que jamais, il faut nous tenir prêts pour un événement immense dans l'ordre divin, vers lequel nous marchons avec une vitesse accélérée qui doit frapper tous les observateurs.
III
Ce qui précède était écrit en 1870. A quarante années de distance, en 1910, le pressentiment de la consommation des siècles se corrobore de trois faits considérables.
Le premier est le mouvement de célérité qui emporte tous les êtres, peuples, hommes, choses, vers un but mystérieux et irrésistible. La vapeur emporte les navires. Les automobiles font dévorer l'espace. Les aéroplanes font la conquête de l'air. Le monde obéit à cette heure à une loi de prodigieuse célérité. Or tout cela inculque le pressenti
NOUS TACHONS DE LA RÉSOUDRE 127
ment d'une péroraison des siècles. Si l'on y prend garde, la perfection ou la beauté d'un livre, d'un poème, d'une tragédie, dépend de la rapidité de la péroraison. Il ne faut pas qu'une péroraison languisse, autrement l'ouvrage est faible et perd en considération. Eh bien, Dieu qui est l'artiste par excellence, ne doit pas permettre que son œuvre manque de beauté finale. Voilà pourquoi l'histoire du genre humain présente à cette heure la rapidité d'une péroraison ou phase de la consommation.
Un autre fait considérable, c'est la rencontre de tous les peuples à la fois ou leur marche commune vers un but qui les attire d'une façon irrésistible comme l'aimant attire le fer. Si l'on y prend garde encore, à l'épilogue d'un livre, d'un poème, d'une scène de théâtre, on a coutume de faire reparaître tous les personnages qui ont eu un rôle important. Or, pour l'épilogue de l'histoire du monde, n'estil pas saisissant que tous les peuples reparaissent simultanément ;
aucun n'est laissé à l'écart : les événements historiques et les découvertes modernes obligent l'île perdue sur la vaste étendue des mers à se rendre ostensible, non moins qu'un grand peuple du continent. Or le vieux peuple hébreu, obéissant lui aussi à cette loi de la réapparition pour l'épilogue du monde, dit : Me voici ; et nous, ses représentants,
nous sollicitons par cet écrit la réouverture du Concile du Vatican, afin que tous les peuples viennent ensemble aux pieds du Vicaire de JésusChrist.
Troisième fait considérable : l'oppression des bons par les méchants.
Elle est lamentable, savante, perfide, cette oppression, chez les nations catholiques, en France, en Italie, en Espagne et ailleurs. On se demande avec étonnement pourquoi la Providence la permet. Toujours la même réponse : en vue de la consommation des siècles.
Par révérence pour JésusChrist, il a été décrété, et ins
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crit dans la Bible, que non seulement il serait question de lui en tête du livre du monde, en ce sens qu'il serait la grande idée qui remplirait le monde, in capite libri scriptum est de me (1) ; mais encore qu'il serait désiré, le Désiré/ depuis la première page de ce livre du monde jusqu'à la dernière. En effet, JésusChrist a été le désiré des nations (2) ; les nations l'ont attendu, ont soupiré après sa venue ; ce fut la première page. Mais il doit être encore, comme dit la Bible, le désiré des collines éternelles (3).: les justes souhaiteront que, remonté aux cieux, il descende de nouveau ; ce sera la dernière page.
Or, saiton de quel moyen la divine Sagesse se sert p'our exciter les justes au désir du retour de JésusChrist? Elle se sert de deux moyens : de l'amour et de l'injustice.
L'amour, ah ! comme il appelle JésusChrist ! comme il le redemande ! Si vous pouviez entendre les soupirs des cœurs dans les monastères, les appels enflammés des vierges, vous constateriez que JésusChrist est bien le désiré des collines éternelles. Saint Jean a décrit par avance ces soupirs dans une page qui forme précisément la clôture de la Bible : « Venez, Seigneur Jésus, venez, ne tardez plus. )> Et l'Epoux répond : « Oui, je viens bientôt (4). » C'est comme un combat entre le précepte de la patience et l'amour impatient ; et, pour concilier le précepte de la patience et les impatiences de l'amour, Jésus est obligé de promettre qu'il vient bientôt : « Oui, je viens avec ma récompense (5). )>
Mais, outre l'amour, la divine Sagesse se sert d'un second moyen pour exciter les justes au désir du retour de JésusChrist, elle se sert de l'injustice, de l'oppression. On nous opprime, on nous accuse, on nous calomnie, on viole nos
(1) Psaume xxxix, 8.
(2) Genèse, xlix, 26.
(3) Aggée, I, 8.
(4) Apocalypse, xxii.
(5) Ibid.
NOUS TACHONS DE LA RESOUDRE 129
droits : oh î que c'est dur, nos cœurs sont broyés, mais voyez le bien qui en résulte : JésusChrist est désiré ! Peutêtre que sans cela, nous n'aurions pas la flamme de son retour. Oui, Dieu laisse commettre l'oppression et durer l'iniquité, afin que nous pensions à son Fils : le Désiré des collines éternelles ! Et plus le monde avancera vers sa fin,
plus l'injustice s'amoncellera énorme, révoltante, afin que le Réparateur, JésusChrist, soit désiré, que les opprimés tendent leurs mains vers lui, et qu'à la fin, lorsqu'il descendra des collines éternelles sur les nuées, les justes s'écrient : C'est Lui, notre libérateur ! Et les vierges diront : C'est Lui, notre bienaimé !
Voilà ce que Dieu permet, par révérence pour son Fils : le Désiré des collines éternelles.
IV
Fautil conclure que la période de la consommation des siècles constatée par la loi de célérité qui emporte toutes choses, par l'acte de présence de tous les peuples en marche vers un but mystérieux, par l'oppression des méchants sur les justes qui soupirent après un Libérateur, fautil conclure, disonsnous, que cette période de la consommation des siècles n'aura qu'une étendue mesquine, écourtée, sans fête ni consolation? On aurait grand tort de tirer une pareille conclusion.
Dans cette période finale doivent trouver place la conversion des restes d'Israël, la réjouissance qui s'en fera dans l'Eglise catholique, la venue du saint prophète Elie qui doit restaurer toutes choses, l'unique bercail sous l'unique Pasteur annoncé par le Christ, le combat gigantesque contre l'antéchrist, et enfin, dans la nature et le soleil les signes précurseurs de la fin du monde. Or pour la réalisation de
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ce retour grandiose des restes d'Israël, de ce refleurissement universel, de ces combats, de ces terreurs, ne fautil pas un laps de temps convenable et majestueux?
Il est admis aujourd'hui par la science et l'exégèse que les six jours de la création n'ont pas été des jours de 24 heures, mais des époques. Or Dieu, en Souverain Artiste, est jaloux de donner à son œuvre des proportions harmonieuses. Conséquemment, la période de consommation des siècles, en harmonie avec les époques de la création, présentera une étendue de durée large, un crépuscule magnifique où s'entremêleront les teintes vives de l'amour et les teintes assombries de la justice, annonçant, sur le soir des siècles, le Juge des vivants et des morts. Nous saluons par avance, dans cette beauté crépusculaire, la teinte de pourpre des restes d'Israël qui feront oublier, par l'héroïsme et le sacrifice de leurs vies, le déicide du Golgotha.
CHAPITRE X
Signatures et paroles des Archeoêques et Eoêques de France.
La première signature en tête du Postulatiiin, humble et charmante anticipation faite par un Evêque disciple du Père Libermann. — II. Piquants détails donnés par l'archevêque de Tours sur Tisraélite Crémieux, alors ministre de la Justice du Gouvernement provisoire en France. — III. Touchantes réflexions des Evêques de Dijon, Amiens, Annecy. Grâce prévenante du Cardinal-Archevêque de Bordeaux. Emouvant récit de l'Evêque de Quimper sur la célèbre tragédienne juive Mademoiselle Rachel. — IV. Gracieux enseignement tiré de l'antiquité par l'Evêque de Carcassonne. Attendrissement des Evêques de Perpignan, Saint-Jeande-Maurienne, Périgueux. Réflexions consolantes des Evêques de Saint-Dié, Vannes, Bayonne, Séez, du Cardinal de Rouen. Heureux augure que l'Evêque de Blois tire de la fête de saint Pierre de Vérone au 29 avril, jour où nous avons reçu l'insigne grâce du baptême. — V. Notre reconnaissance envers l'Evêque de Beauvais. Ses procédés délicats pour nous soulager dans nos courses. Sa supplique aux Pères du Concile pour demander que
saint Joseph soit déclaré protecteur de l'Eglise universelle en occurrence avec notre supphque relative aux restes d'Israël. Miséricordieux rapports entre saint Joseph ramenant Jésus et Marie vers la Palestine, et ce bon Patriarche ramenant son divin trésor vers les restes d'Israël ; son industrieuse stratégie figurée par le char d'Ezéchiel. Le Protectorat de saint Joseph prononcé par Léon XIII s'étend, à cette heure, comme un voile de pourpre et d'or sur l'Eghse universelle. Heureux Evêque de Beauvais, qui
vous en réjouissez dans la gloire avec saint Joseph, abaissez maintenant avec lui, vos regards protecteurs sur la supplique de Joseph et d'Augustin.
132 ARCHEVÊQUES ET ÉVÊQUES
Nous groupons, dans ce chapitre et les suivants, les signatures et les paroles de Nosseigneurs les Evêques, signatures et paroles que nous avons comparées à une chaîne d'or et d'amour. Elles sont groupées dans autant de chapitres qu'il y a de nations réparties sur la surface du globe.
Le premier anneau de la chaîne d'or et d'amour est la France.
C'était à l'Evêque de Nîmes, l'illustre Mgr Plantier, que nous avions réservé l'honneur de figurer en premier sur le Postulatum pour les Israélites. Cela lui était dû. Il était lyonnais, notre compatriote. Il avait connu et encouragé notre conversion. Il était presque notre évêque à cette époque du Concile, puisque la mort du Cardinal de Bonald nous avait laissés sans pasteur. Il avait toujours été notre père et notre ami. Enfin il aimait notre nation, diligit gentem nostram. A tous ces titres, nous lui avions demandé de vouloir bien être l'Evêque qui figurerait le premier sur l'acte en faveur d'Israël. Il avait gracieusement accepté.
Nous venions d'achever la rédaction du Postulatum et nous nous empressions de le porter à Sa Grandeur, lorsque, chemin faisant, nous rencontrâmes Mgr Kobès, évêque de la Sénégambie.
Comme évêque de la Sénégambie, Mgr Kobès n'avait rien qui pût nous le faire préférer aux autres Evêques du Concile. Mais il avait en cette circonstance une qualité qui le distinguait à nos yeux : il était le seul Evêque faisant partie de la Congrégation ou famille du P. Libermann.
Il nous demanda ce que nous portions. Nous lui répon
DE FRANCE 133
dîmes : « Monseigneur, c'est le Postulatum pour les Israélites, en tête duquel l'Evêque de Nîmes a bien voulu accepter de paraître le premier. »
Alors il nous dit : « Personne ne paraîtra avant F Evêque de Nîmes, mais c'est moi qui signerai le premier. J'aurai soin de réserver la place d'honneur pour l'Evêque de Nîmes. Vous ne pouvez pas, ajouta-t-il, refuser cette première signature que je vous offre : car je veux la donner au nom du P. Libermann, notre saint fondateur en JésusChrist, et votre frère en Abraham. »
Nous ouvrîmes le Postulatum, et il signa. La première signature fut ainsi donnée au nom du P. Libermann. Le saint Evêque et nous, nous nous embrassâmes en pleurant. L'Angélus sonnait à ce moment, sur cette première signature, comme une annonce de joie. Ce que nous racontons n'est pas amplifié. Dieu nous est témoin que nous disons la vérité.
Quand nous présentâmes à Mgr l'Evêque de Nîmes le Postulatum revêtu de cette première signature, mais placée assez bas pour réserver la place d'honneur, il admira la délicatesse de r Evêque qui avait tout à la fois sauvé les droits de l'Ancien Testament, et pratiqué l'humilité du Nouveau.
Le Postulatum porte donc en tête le nom de Mgr Plantier, evêque de Nîmes. Mais c'est Mgr Kobès, disciple du P. Libermann, qui a signé le premier.
II
CONVERSATION AVEC MONSEIGNEUR GUIBERT, ALORS ARCHEVEQUE DE TOURS, ET DANS LA SUITE CARDINAL-ARCHEVEQUE DE PARIS
« La nation Israélite, nous dit Sa Grandeur, est une belle nation ; quand nous récitons notre bréviaire, c'est toujours d'elle qu'il est question. Mes sympathies pour vos anciens
134 ARCHEVÊQUES ET ÉVÊQUES
coreligionnaires se rattachent à un jeune magistrat, israélite très honnête et très loyal, qui vint un jour me trouver, alors que j'étais évêque de Viviers, pour me demander comment il fallait faire pour épouser une jeune fille catho
lique ; elle consentait à devenir sa femme, pourvu qu'il arrangeât tout avec l' Evêque. Je l'avertis que la dispense à obtenir de Rome était assez difficile. Mais voyons, lui dis-je, croyez-vous sincèrement aux enseignements de la Synagogue actuelle? Il me répondit: Je ne me suis jamais sérieusement occupé du judaïsme : l'honneur, le devoir, telle a été ma règle de conduite ; je n'ai jamais réfléchi sur autre chose. — Eh bien, réfléchissez sur le catholicisme. » Et je lui remis les études philosophiques d'Auguste Nicolas sur le christianime. Un mois plus tard, il revenait me trouver en me disant : « Monseigneur, mais ce sont des horizons nouveaux pour moi, et magnifiques ! Je veux étudier plus à fond, j'attendrai pour mon mariage, l'amour de Dieu avant l'amour de ma jeune fiancée ! » Je le mis à l'épreuve durant six mois, et aujourd'hui il est un excellent catholique et un très heureux mari.
J'ai eu également des rapports avec un autre de vos anciens coreligionnaires, M. Crémieux, membre du Gouvernement provisoire à Tours. Je puis dire qu'il m'aime et me témoigne publiquement beaucoup de déférence. Un jour je causais familièrement avec lui, au coin de mon feu. Je lui dis : « Si je ne me trompe. Monsieur Crémieux, vous êtes avocat. — Oui, Monseigneur. — Eh bien, vous devez savoir que quand il y a deux testaments en présence, c'est le dernier qui vaut et qui l'emporte. » M. Crémieux sourit et fit l'éloge du christianisme.
Tous ces souvenirs sont cause que je vais signer avec bonheur votre Postulatum.
DE FRANCE 135
III
L'Evêque de F ré jus (Mgr Jordany). — « Vous n'êtes pas, vous, enfants d'Israël, comme les protestants qui sont des enfants infidèles et égarés ; vous, vous avez fait les trois quarts du chemin. Il me semble que vos pauvres frères n'ont qu'à se débarrasser de la charge talmudique qui embarrasse leurs épaules et gêne leur démarche ; avancez donc, avancez avec promptitude, restes d'Israël î »
L'Evêque de Dijon (Mgr Rivet). — « Je ne puis jamais réciter, sans être ému jusqu'aux larmes, l'oraison du Vendredi-Saint. J'ai beau, chaque année, me faire violence d'avance, c'est impossible. »
L'Evêque d'Amiens (Mgr Boudinet) nous embrassant à plusieurs reprises, nous dit : « J'ai en quelque sorte la dévotion du ghetto. Quand je sors pour quelque course, je fais exprès d'y passer souvent, au risque d'ennuyer mon secrétaire. — Vous me le pardonnez, n'est-ce pas, ditil, en se tournant vers lui. — Mais j'aime ces rues tortueuses, ces débris d'une grande nation, ces survivants de nos pères dans la foi. Je les contemple, je les respecte, oui j'ai la dévotion du ghetto. Dès mon jeune âge, j'ai eu cet attrait vers les pauvres Juifs. Dans la ville où je suis né, il y avait une synagogue qui, fermée à mes regards, m' apparaissait mystérieuse. Ces visages tristes, ces dos courbés m'impressionnaient vivement ; jusqu'à leur abattoir, où j'allais voir en frémissant égorger leurs animaux selon le rit mosaïque ; tout cela a laissé dans mon esprit des traces ineffaçables, et toujours palpitantes d'affection. Un de mes premiers ministères comme évêque a été le baptême de plusieurs Israélites ; j'ai confessé une fois une Juive: je n'oubHerai jamais mon attendrissement devant cette conscience d'un peuple
136 ARCHEVÊQUES ET ÉVÊQUES
qui, si longtemps ulcérée, s'ouvrait devant moi pour la première fois, dans la conscience de cette pauvre Juive. »
L'Evêque d'Annecy (Mgr Magnin). — « Je vais signer au nom de saint François de Sales, qui a eu une âme si tendre pour tous les égarés. Et puis, je vais écrire aux Sœurs de la Visitation d'Annecy, afin qu'elles obtiennent à force de ferveur et de prières, la réussite d'une double œuvre précieuse qui se poursuit: le titre de Docteur de l'Eglise pour leur bienheureux père : et le succès du vœu des Evêques auprès des chers Israélites. »
Le Cardinal Archevêque de Bordeaux (Mgr Donnet). — Il nous fit appeler de lui-même avec notre Postulatum et nous dit : « J'ai appris votre projet et vos démarches; de moi-même, je vous demande à signer. Dans mon diocèse, les Israélites m'aiment et je les aime. J'ai toujours devant les yeux une si noble et si douce réponse de mon prédécesseur à Bordeaux, Mgr de Cheverus. On lui reprochait de se trouver trop fréquemment avec les Israélites. « Ah ! réponditil, si un jour nous ne devons pas nous rencontrer au ciel, laissezmoi du moins le bonheur de les rencontrer sur la terre. » Je vais donc signer et apposer mes armes et ma devise à côté : ad jinem fortiter omnia siiaHter. Puisse cette devise vous porter bonheur et être réalisée par vousmêmes, dans votre projet en faveur de vos frères. «
L'Archevêque de Reims (Mgr Landriot). — « J'ai livré à la publicité un livre intitulé : Le Christ de la Tradition, permettezmoi de vous en lire quelques passages? » Et alors, des lèvres et du cœur du savant Archevêque, sortirent des choses ravissantes sur le caractère d'enfant du peuple juif, alors que, sous les tentes des patriarches, il était le noble enfant de Dieu.
L'Evêque de Valence (Mgr Gueullette). — « Votre demande est un acte magnifique et très important. Car aujourd'hui il n'est plus permis de passer devant les Israé
DE FRANCE 137
lites comme devant des morts, ce sont des vivants. Ils ne pensent évidemment plus à rebâtir le Temple de Jérusalem, mais à bâtir celui de la société moderne, le temple de la puissance. La presse, les banques, les administrations, les conseils des rois subissent leur influence. C'est donc sagesse et charité que de chercher à les christianiser. »
L'Evêque de Tulle (Mgr Berteaud). — « Deux frères, frères par la naissance, frères par la conversion, frères par le cœur, frère par la même œuvre! Le bon Dieu vous attendait, mes enfants, comme il attendait Ruth la Moabite. Combien votre apostolat me réjouit. Devenez un pont par lequel, traversant plus que la mer Rouge, traversant les terribles abîmes de notre époque, les Israélites puissent aborder ad ripam auream paradisL »
L'Evèque de Montpellier (Mgr Le Courtier). — « Ce que vous faites pour vos frères, c'est le in exitu Israël de Egypto. »
L'Evêque de Quimper (Mgr Sergent). — Il nous raconta un entretien de Mgr Pèlerin, évêque de Byblos, avec W^ Rachel, la fameuse tragédienne. Mgr Pèlerin en personne lui en avait fait le récit. C'était durant un long voyage en mer, alors que la célèbre cantatrice juive revenait d'Amérique. Avec les sentiments de la grâce prévenante, r Evêque lui dit un jour : « Chère enfant d'Israël, lorsque vous jouez au théâtre la tragédie de Polyeucte et que vous y remplissez le rôle de Pauline, est-ce que les actes de foi chrétienne qui font explosion sur vos lèvres, n'ont pas correspondance dans votre cœur? » — « Oui, Monseigneur, réponditelle, je me sens remuée, car j'admire la religion chrétienne ». — « Eh bien, mon enfant, reprit l' Evêque, consentez à ce qu'on vous instruise des vérités de notre belle religion ». — « Monseigneur, réponditelle avec un sanglot, je ne suis pas digne de la miséricorde de Dieu. »Et Rachel versant des larmes cacha sa tête entre ses mains.
Quelques années plus tard, Rachel se mourait à Cannes,
138 ARCHEVÊQUES ET ÉVEQUES
OÙ elle avait espéré réparer ses forces épuisées. Les Juifs
qui l'entouraient la trouvaient rêveuse, absorbée. Etait-ce le souvenir de la conversation avec l'Evêque de Byblos qui remuait son âme? Toujours estil que son entourage craignant une parole, un regard vers le christianisme, fit venir de Paris une superbe cassette remplie de diamants, de perles, de saphirs prodigués à la tragédienne par ses admirateurs. Et pour être sûrs d'une diversion dans son esprit, on aidait sa main déjà glacée par la mort à se promener au milieu de ces richesses étincelantes. Daigne un rayon de divine miséricorde avoir prévalu sur elles !
En nous donnant sa signature, le bon Evêque de Quim
per ajouta les larmes aux yeux : « Puisse la lumière entrevue et goûtée un instant par Rachel, se faire grande et victorieuse dans le cœur de beaucoup de vos frères! »
IV
L'Evêque de Carcassonne (Mgr de la Bouillerie). — « Les deux Testaments sont comme ces deux harpes éolienne et ionienne qui s'entendaient et se répondaient. Lorsque l'une gémissait sous l'action des vents, la Fable dit que l'autre s'animait et lui répondait. Eh bien, c'est la même entente, la même harmonie entre les deux Testaments. Ils parlent tous deux du même Dieu, ils lui rendent les mêmes actions de grâces, ils chantent le même cantique, et tous deux produisent dans le cœur de l'homme un frémissement harmonieux et consolateur. »
L'Evêque de Perpignan (Mgr Ramadié). — Lorsque nous présentâmes le Postulatum à Sa Grandeur, il y avait déjà quatre cents signatures. « Déjà quatre cents signatures, s'écria le bon Evêque attendri ; eh bien, moi, si je pouvais je signerais quatre cents fois de mes deux mains, et surtout
DE FRANCE 139
du cœur. Ah ! puisse chacune des lettres que je vais former, être une prière pour le retour de votre peuple. »
L'Evêque de Saint-Jean-de-Maurienne (Mgr Vibert). — « Les promesses de Dieu sont sans repentance. La grande nation reviendra. C'est un événement immense qui se prépare. » Et il nous embrassa quatre fois chacun.
L'Evêque de Périgueux (Mgr Dabert). — « Vous voulez un gémissement de l'Eglise, vous l'aurez. Et laissez-moi vous embrasser dans le cœur de NotreSeigneur. »
L'Evêque de Saint-Dié (Mgr Gaverot). — « J'ai fait mes études avec le Père Libermann, il est question de le béatifier. )) — « Oui, Monseigneur, et ce sera enfin le premier saint Israélite élevé sur les autels. » — « Allons, ne vous plaignez pas, vous avez, de votre nation, sur les autels la Sainte Vierge ; et vous avez NotreSeigneur. »
L'Evêque de Vannes (Mgr Bécel). — « Vos coreligionnaires cherchent l'or ; puissent vos efforts et les nôtres leur procurer l'or de la foi et de la charité. »
L'Evêque de Bayonne. — « Quel peuple prodigieux! quand on l'étudié s' étendant d'un bout des siècles à l'autre, et d'un bout de la terre à l'autre, on est frappé de stupeur. Il porte les promesses, les deux Testaments, Jésus, Marie, et tous les Apôtres : toujours un et identique à lui-même, après bientôt six mille ans, comme au premier siècle ; dur comme le tronc de la religion attaché à la terre par ses racines. Ils empêchent que les Ecritures soient niées ou mutilées par nos mauvais chrétiens ; comme disait saint Augustin, ils sont à la fois et nos libraires et nos pupitres : nous lisons la Bible dans leurs mains. «
L'Evêque de Séez. — « Vous avez bien fait de mettre dans le Postulatum : religionem coronantes, non mutantes, c'est une floraison à achever, c'est un peuple en retard. » « Nous vous remercions, Monseigneur, lui dîmesnous en le quittant, nous vous remercions au nom des douze tribus
10
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d'Israël; nous espérons qu'à force d'amour, notre nation quand elle reviendra, fera oublier son retard. » — « mes amis, il y a dans ce que vous venez de dire, de quoi convertir vingtquatre tribus. »
Le Cardinal Archevêque de Rouen (Mgr de Bonnechose).
— « Ah ! Messieurs Lémann, j'ai lu votre livre, La question du Messie et le Concile du Vatican : il dénote des chercheurs, des penseurs, et dans ces penseurs l'esprit oriental de la nation qui est la vôtre ! Lorsque le Postulatum que vous me présentez sera introduit au Concile, je veillerai à ce qu'il aboutisse à un favorable résultat. »
L'Evêque de Blois (Mgr Fallu du Parc). — « Mes chers enfants, vous m'avez dit que vous aviez reçu le saint baptême le 29 avril : j'en tire un heureux augure en faveur du peuple que vous cherchez à ramener dans les voies du salut. Au jour du 29 avril l'Eghse catholique célèbre la fête de saint Pierre de Vérone. A l'âge de sept ans, l'enfant qui fréquentait secrètement une école catholique, fut abordé par son oncle qui, étant hérétique, lui demanda avec fureur ce qu'il apprenait dans cette école ; le Credo, répond ingénument l'enfant. Chassé de la demeure de ses parents, le jeune Pierre se réfugie dans un monastère des FrèresPrêcheurs, y reçoit les saints Ordres, et devient un apôtre. Dans son âge mûr, il est suivi par un sicaire qui le frappe de deux coups d'épée. Près d'expirer, il prononce le Credo : cette formule sacrée qu'il avait, dans son enfance, proclamée avec le courage d'un homme, se retrouva encore sur ses lèvres à son dernier soupir. Eh bien, mes chers enfants, puisque vous avez reçu le baptême sous le vocable de ce jeune et héroïque saint, je souhaite que le peuple d'Israël, pour le salut duquel vous travaillez avec tant d'ardeur, reçoive un jour en héritage le Credo de saint Pierre de Vérone, et que Dieu lui fasse la grâce de réchauffer la foi et la charité de beaucoup par l'effusion de son sang. »
DE FRANCE 141
V
La reconnaissance nous commande de mettre en spécial relief ce qui concerne Mgr Gignoux, évêque de Beauvais. Touché des fatigues que nous rencontrions dans les visites journalières aux Pères du Concile, il nous emmenait souvent dans sa voiture pour nous procurer du soulagement et abréger nos courses. Mais le charitable évêque avait encore dans nos cœurs, et avec notre entreprise un lien plus sacré. En même temps que nous soumettions aux signatures des Révérendissimes Pères du Concile notre Postulatum pro Hebrœis, l' Evêque de Beauvais faisait circuler au milieu d'eux un Postulatum demandant que saint Joseph, chef de la Sainte Famille de Nazareth, fût déclaré par le Concile œcuménique protecteur de V Eglise unwer selle. Or, saint Joseph n'avaitil point, par un côté de son histoire, des rapports prophétiques de miséricorde avec les restes d' Israël ? En effet, à son retour de l' Egypte, où il avait soustrait l' Enfant Jésus à la fureur d'Hérode, ne l' avait-il pas ramené avec Marie sa Mère en la terre d'Israël, sa patrie? figure prophétique de ce que fera le bon Patriarche, au temps de la consommation des siècles, à l'égard des Israélites: il leur ramènera Jésus et Marie. Les Pères de l' Eglise ont célébré cette stratégie du bon saint Joseph sous de riantes couleurs. Qu'on se représente saint Joseph sur les chemins que la Providence et le devoir lui ont fait parcourir de Nazareth à Bethléem, pour apporter son inscription au registre impérial ; sur le chemin de Bethléem en Egypte, pour soustraire son trésor aux fureurs d'Hérode; sur le chemin d'Egypte vers les côtes de Phénicie et du Carmel, pour ramener le Messie dans la terre d'Israël; il connaissait la fa
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meuse vision du chariot de la gloire de Dieu relatée chez les prophètes ; ce chariot, qui était conduit par des chérubins et dont les quatre roues étaient parsemées d'yeux ; il y avait des yeux dans leur contour et dans toute leur configuration mystérieuse, totum corpus oculis plénum in circuitu ipsarum quatuor. Ce chariot de gloire conduit par les chérubins, ah ! que de fois Joseph ne l'a-t-il pas souhaité, dans les routes souvent pénibles; souhaité pour l'auguste Fils de l'Eternel confié à ses soins; hélas! dans sa pauvreté, il n'avait eu qu'une humble monture à lui offrir. Mais là où il aurait pu défier le chariot de gloire d'entrer en lutte avec lui, c'était dans la multiplicité et l'application des yeux, symbole de vigilance. Ses yeux interrogeaient sans cesse l'horizon, pour y discerner péril ou sûreté.
Eh bien, à l'heure solennelle où la miséricorde divine décrétera que Jésus et Marie doivent être rendus aux restes d'Israël, l'œil interrogateur de saint Joseph ne veillera-t-il pas, comme jadis, aux moindres détails de cette rentrée, et le char mystérieux d'Ezéchiel ne reviendrat-il pas à sa pensée pour apporter plus vite le divin trésor au peuple qui l'appréciera cette fois avec des transports d'amour.
Toutes ces considérations nous faisaient bénir l'entreprise de Mgr l'Evêque de Beauvais demandant, par son Postulatum, qui circulait à côté du nôtre, que saint Joseph fût déclaré par le Concile œcuménique du Vatican protecteur de l'Eglise Universelle.
A l'heure où nous composons notre livre ce protectorat de saint Joseph s'étend, comme un voile de pourpre et d'or, sur l'Eglise catholique. Le Pape Léon XIII, recueillant et écoutant les soupirs exprimés dans la supplique de l'Evêque de Beauvais, a prononcé cet auguste Protectorat. Les peuples, les familles, les âmes en ressentent les multiples et suaves effets. Heureux évêque de Beauvais, vous devez, dans la gloire des cieux, vous en réjouir avec saint Joseph.
D'ITALIE 143
Abaissez maintenant vos regards protecteurs sur la supplique des deux fils d'Israël, de Joseph et d'Augustin, pour qui vous avez été si charitable durant le Concile du Vatican.
CHAPITRE XI Signatures et paroles des Archeoêques et Eoêques d'Italie.
I. Étals pontificaux. — Accueil extrêmement gracieux des Eminentissimes Cardinaux Barnabo et Bilio. Pittoresques et consolantes réflexions des Evêques d'Imola, Montalto, Lorette, Pesaro, Bagnorea, Terni, Civita-Vecchia, Cervia, Fossombrone, Bertinoro, San-Angelo, Fano, Narni, Alatri. — IL Royaume des Deux
Siciles. — Réponse naïve d'une jeune actrice juive instruite et convertie par l'Archevêque de Naples. L'Evêque de Cosenza étudiait passionnément dans sa jeunesse l'Ancien Testament comme étant la racine de la religion, et la tige où s'épanouit le catholicisme. Charmante réflexion de l'Evêque de Castellamare sur les degrés de l'échelle de Jacob et les degrés de l'autel eucharistique. Emotion touchante de l'Evêque d'Ischia paralysé, devant notre Postulatum. Multiples et touchants souhaits de bienvenue dans l'EgHse de Dieu adressés aux restes d'Israël par les archevêques et Evêques de Salerne, Cava, Ascoli, Ruvo, Squillace, Cosenzo, Chieti, Reggio, Larino, Couza, Rossano, Calvi, Catane, Qatti. — III. États Sardes, — Héroïque attitude d'une jeune juive de quatorze ans, devenue catholique dans le diocèse de l'Evêque d'Alexandrie. Profonde humilité du vieil Evêque de Vintimille. Témoignage d'allégresse des Archevêques et Evêques de Venise, Pignerol, Iglesias, Mondovi, Aies. — IV. Duché de Parme et de Modène. — Encouragements évangéliques qui nous viennent des Evêques de ces deux principautés.
Etats Pontificaux.
Son Eminence le Cardinal Barnabo. — L'accueil qu'il nous fait est extrêmement favorable. « Si le Concile, qui
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s'occupe de toutes les nations, laissait les Juifs de côté, ce serait de la dureté. Vous faites bien de demander quelque chose. J'ai dit un jour à un Juif rationaliste: « Si vous ne croyez plus au Messie personnel, alors renoncez au livre dont vous êtes les porteurs et les gardiens. » Dès ce soir, je prierai spécialement pour la conversion des Juifs ; et je vous demande de ne me priver d'aucun des ouvrages que vous pourrez publier sur la question d'Israël.
Son Eminence le Cardinal Bilio. — « Vous me deviez un peu cette visite, nous ditil gracieusement, car je suis le premier supérieur du catéchuménat. » Il nous annonce que, par une suave coïncidence, on allait y donner le baptême à un fils d'Israël et nous invite à y assister. « Montrezvous toujours très doux à l'égard de vos anciens coreligionnaires, ce sont des malades, et comme malades ils ont besoin d'être traités avec bonté. »
L'Evêque d'Imola (Mgr Moretti). — Joyeux, bon, entraînant comme le successeur de Pie IX à Imola, « Signer, oh ! bien volontiers, avec grand cœur. Poçretti ! multa speramus. — Espérons 100 pour obtenir 50, lui dit un prêtre de son entourage. — « Non ! espérons 100 pour 100, oratio obtinet totum, et ultra. »
L'Evêque de Montalto (Mgr Aronne). — Une double émotion : la nôtre d'abord, en voyant que ce vénérable Evêque ressemblait à notre vieux grandpère paternel qui mourut à l'âge de 104 ans. Mais lui aussi était très ému, il nous dit son attendrissement à propos de cette parole contenue dans notre lettre aux Pères du Concile : soror nostra, Marie notre sœur. Il ajouta en nous pressant les mains : « Sum çester totus. »
L'Evêque de Lorette (Mgr Gallucci). — « Je signerai avec beaucoup de tendresse. J'ai la maison de votre payse dans mon diocèse. Je vais écrire de suite pour qu'on y prie d'une manière toute spéciale pour la conversion de votre peuple. »
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L'Evêque de Pesaro (Mgr Fares). — « Je signerai avec la plus grande consolation de mon esprit, et mes prières accompagneront ma signature. Les familles israélites de Pesaro sont très respectueuses ; plusieurs font appel, pour l'instruction de leurs enfants, à des prêtres catholiques qui sont extrêmement édifiés de l'intérieur de ces familles. Il y a également, dans le Conseil municipal de Pesaro, un Israélite qui fait beaucoup de bien aux catholiques par les sages décisions qu'il fait prendre. »
L'Evêque de Bagnorea (Mgr Corradi). — « Je suis évêque de l'Ordre des Carmes : vous préparez l'œuvre d'Elie. Je vais signer.
L'Evêque de San Angelo (Mgr Boscarini). — « Je vous félicite d'être montés à la cime de la véritable Jérusalem, et de ce sommet, de regarder vos frères attardés au bas, et de les encourager à monter. »
L'Evêque de Terni (Mgr Severa). — Dans une première visite, il nous avait ajourné à quinze jours, et maintenant il nous accueillait par ces mots : Finis optimus et nohilissimus ! ,
L'Evêque de Ciçita-Vecchia (Mgr Gandolfi). — La veille du jour où il nous > donnait sa signature, l'heureux Evêque avait conféré le saint baptême à deux jeunes Prussiennes israélites de 21 et 22 ans, dans l'église de SaintAndrédelle-Fratte, et sa signature nous fut comme un nouveau sourire de la Madone miraculeuse sur notre entreprise.
L'Evêque de Cerçia (Mgr Monetti). — « Nous avons signé, et maintenant prions. Oh ! faisons prier. Nous sommes puissants, mais Dieu est toutpuissant. Oui, je vous promets de prier. »
L'Evêque de Fossomhrone (Mgr Fratellini). — Bon vieillard, avec quelle cordialité il nous accueille ! « Je rends grâce à Dieu de ce qu'il vous a posés pour la résurrection
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de votre peuple. Je suis attendri. Permettez que je vous embrasse ; fructifiez toujours en NotreSeigneur JésusChrist. »
L'Evêque de Bertinoro (Mgr Buffetti). — Saint et doux vieillard ! « Bons frères, que je suis donc heureux de vous voir, laissezmoi presser vos mains. Déjà, j'avais pris note en mon particulier de votre lettre si touchante, et je voulais proposer quelque chose à faire. Je signe avec une joie extraordinaire : que Dieu exauce les désirs et bénisse les pas des deux apôtres du peuple choisi. » Lorsqu'il était curé, sa domestique baptisa une jeune Juive; elles firent cela entre elles. « Le baptême était valide, nous dit en souriant le saint Evêque, je n'y ajoutai que mes exhortations et mes bénédictions. »
L'Evêque de Fano (Mgr Vespasiani). — « Signer votre Postulatum? oh, avec empressement ! Vous demandez par cet acte une grâce extraordinaire, je répète le mot : extraordinaire. Mais espérons avec fermeté. Vous plantez, les Evêques arrosent, et c'est de bon cœur ; et Dieu donnera l'accroissement. »
L'Evêque de Narni (Mgr Luzi). — « Vous êtes recommandés par saint Paul, je signe. »
L'Evêque d'Alatri (Mgr Rodilossi). — « Oui, un jour ils se frapperont la poitrine, et ils pleureront sur JésusChrist qu'ils ont percé, comme on pleure sur la mort d'un fils uni
que. Quelles larmes, et quel jour d'attendrissement pour le monde ! «
Royaume des Deux-Siciles.
L'Evêque de Salerne (Mgr Salomone). — « Je vais signer, afin que vos frères, que tout votre peuple suivent l'exemple des deux jumeaux Lémann, et des frères Ratisbonne. Soyez fidèles jusqu'à la mort. «
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L'Evêque de Ca^^a (Mgr Fertitta). — « Nous faisons des vœux pour qu'en venant dans l'Eglise ils augmentent les fils de Marie. »
L'Archevêque de Naples (Mgr Riario Sforza). — Jovial caractère, très bon. Il a converti une jeune actrice Israélite, venue de France ou d'Allemagne, et malade de la poitrine, accompagnée de sa mère, toujours très honnête, très simple. Quand il l'instruisait, il lui enseigna, un jour, le mystère de la Sainte Trinité : « Il y a d'abord le Père. » — « C'est assez, lui ditelle vivement, c'est assez du Père; le Père me suffit. » Elle ne voulait pas mourir. « Et pourquoi, ma fille? Vous ne voulez donc pas faire la volonté de Dieu? » — « Je veux vivre encore, pour faire pénitence de mon retard. »
L'Evêque d'AscoU (Mgr Todisco Grande). — Venerabilis senex. — Il nous dit avec énergie : « Oh ! les pauvres Juifs, nous les accueillerons et nous les étreindrons dans les embrassements de notre cœur. »
L'Evêque de Ruço (Mgr Materozzi). — « Ad^eniat regnum tuum, pro illis sicut et nohis. »
L'Evêque de Squillace (Mgr Morisciano). — Signer, oh! oui, c'est mon devoir comme chrétien, comme évêque, comme votre frère. Le sang de JésusChrist qui vient d'eux, doit retourner à eux !
L'Evêque de Cosenza (Mgr Pontillo). — « Je vous félicite bien sincèrement, j'ai lu avec une immense joie la lettre que vous nous avez adressée à tous. Dans ma jeunesse, j'étudiais de préférence l'Ancien Testament comme étant la racine de la religion, et la tige où s'épanouit le catholicisme ; j'aimais beaucoup à me rendre compte de cette racine, de la marche de la tige; les patriarches, l'enfant de la promesse, le peuple du Testament. J'ai toujours prié et je prierai toujours pour les descendants de ce peuple. Que le Dieu des consolations leur accorde la grâce, cette grâce
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sans laquelle on ne peut marcher, et avec laquelle la plante, quand on la croit sèche et morte, peut refleurh\ »
L'Evêque de Castellemare (Mgr Petagna). — « En montant tous ces escaliers des Evêques vous devez avoir une grande dévotion en ce moment à l'échelle de Jacob : chaque petit degré à monter vous fait trouver un petit mérite, courage ! — Ne me remerciez pas, c'est moi qui vous remercie : je vous aiderai par la prière à la sainte Messe, en montant les degrés de l'autel, c'est le grand moyen. »
L'Evêque d'Ischia (Mgr Romano). — Vieillard peut-être à la veille de mourir, paralysé, ne pouvant plus parler; assis à sa table, nous le voyons encore, quand on lui lisait
le Postulatum il ne pouvait qu'étendre en frémissant les mains ; de grosses larmes roulaient dans ses yeux. Et lorsque nous le remercions au nom de JésusChrist, fils d'Abraham et de David, il s'est mis à sangloter.
L'Archevêque de Chieti (Mgr Luigi Maria de Marinis). — Deus sanabiles fecit nationes — sanahilem nationem çestram Hebraïcam.
L'Evêque de Reggio (Mgr Ricciardi). — « Priez pour le triomphe de l'Eglise, et l'Eglise vous le rendra en donnant une place à votre peuple dans son triomphe ! ^)
L'Evêque de Larino (Mgr Gianpaolo). — « Votre Postulatum, cogitatio optima, data a Deo ! »
L'Archevêque de Couza (Mgr Grégoire de Luca). — « C'est une œuvre de charité. Ah ! comment tous n'y contribuerions-nous pas ! Que la bénédiction du Père, du Fils et du Saint-Esprit produise son effet. «
L'Archevêque de Rossano (Mgr Cilento). — Nous lui disons : « Nous sommes bien contents de recevoir votre signature. )) — « Et moi, je suis bien plus content encore de vous la donner. »
L'Evêque de Cahi (Mgr d'Avanzo). — « In nomine Jesu Christi fiât, fiât ! »
D'ITALIE 151
L'Evêque de Patti (Mgr Célésia). — « Oui, la voix du
Concile viendra en aide à votre zèle, Dieu vous prépare des victoires. «
III
Etats Sardes.
L'Evêque de Pignerol (Mgr Renaldi). — « La conversion des Juifs ! elle doit venir tôt ou tard ; mais il vaut mieux commencer à présent. »
L'Evêque à' Iglesias (Mgr Montixi). — Après avoir signé il prononça cette finale du Magnificat : Abraham et semini ejus in sœcula. »
L'Evêque d'Alexandrie (Mgr Golli) était ce prélat dont nous avons parlé plus haut, dans le chapitre : r argument irrésistible; il refusait de signer parce que son nom ne figurait dans aucun postulatum, mais sa résistance fut vaincue par ce cri de nos cœurs : « Refuserezvous de donner votre signature pour le retour du peuple qui vous a donné Jésus et Marie. )) Il aimait, du reste, beaucoup notre nation et se complaisait dans les études hébraïques. Il nous raconta la conversion admirable d'une jeune Juive de quatorze ans, dans son diocèse. Le bruit s'était répandu qu'elle avait demandé et reçu le baptême : alors rumeurs, appel à la justice, et devant les juges, réponses sublimes de l'héroïque enfant ; on lui dit : « Vous ne saviez pas ce que vous faisiez, vous n'étiez pas libre. » — « Oh! si, réponditelle avec vivacité, je suis libre, bien libre, et je sais bien ce que je fais. » — « Mais tu ne nous aimes donc plus, lui dit son père. » — (( C'est parce que je vous aime, que je voudrais vous voir tous comme moi. » L'enfant est aujourd'hui à Acqui, entourée d'une stricte surveillance de la part de sa famille. La flamme un jour retrouvera sa liberté et jaillira
plus vive.
152 ARCHEVÊQUES ET ÉVÊQUES d'ITALIE
Le Patriarche de Venise (Mgr Régnier). — « Nous avons admiré dans vos lettres votre patriotisme. Oui, aimez la cité de David, aimez votre peuple. »
L'Evêque de Mondoi>i (Mgr Ghilardi). — Savant dominicain, plein de vivacité et d'urbanité, qui nous dit : « Oh ! les pauvres Juifs, nous les avons trop négligés. Il faut leur adresser une invitation, une apostrophe vive où il y ait de la flamme : Venez, pourquoi restezvous en arrière, arrivez
donc dans nos bras. »
L'Evêque de VintimiUe (Mgr Biale). — « J'ai 85 ans. » — « Ce sera. Monseigneur, un des actes les plus consolants de votre belle vieillesse ! » — « Oh ! oui, puisse til me por, ter bonheur ! je suis un pauvre Evêque, j'ai fait peu de bien. Ah ! pour contenter les hommes, peu de chose, peu de bien, en apparence suffit. Mais pour contenter Dieu ! »
L'Evêque à' Aies (Mgr Casula). — « Votre apostolat est un acte de révérence de la part de Dieu vis-à-vis de votre nation : Dieu veut que chaque nation se régénère autant que possible par ses propres membres ; c'est admirable de la part de ce grand Dieu qui nous traite tous avec un souverain respect. ))
IV
Duché de Parme et de Modène.
L'Evêque de Parme (Mgr Cantimori). — « Il y a quelques années, j'ai eu la consolation de conférer le baptême à huit Israélites. Que Dieu bénisse votre œuvre, je ne l'oublierai pas au saint sacrifice de la Messe. »
L'Evêque de Reggio (Mgr Macchi). — Après avoir signé, le charitable Evêque emprunta cette exclamation au saint Evangile : fiât cor unum et anima una, unum oi^ile et iinus pastor !
CHAPITRE XII Signatures et paroles des Archeoêques et Eoêques d'Espagne,
Début de nos démarches auprès des Archevêques et Evêques espagnols : véritable assaut livré par l'amour. Deux évêques se défendent de signer notre Postulatum à cause de l'indigne conduite des Juifs du Moyen Age dans la péninsule espagnole. Plaidoirie que nous inspire la Vierge de Saint-André délie Fratte. Tendresse avec laquelle les deux Evêques nous donnent, quelques semaines plus tard, leurs signatures. — II. L'Archevêque de Valence souhaite l'entrée des Israélites dans l'arche de l'Eglise avant le grand déluge qui nous menace. L'Evêque d'Avila et sa prière à la grande Thérèse. Le Benedictus de l'Evêque de Jaën. L'Evêque de Salamanque sauve de la fureur marocaine une jeune fille juive et lui procure le salut éternel. Suaves propos des Evêques d'AHcante, Burgos, Minorque. Le bataillon carré de l'Eglise d'après l'archevêque de Tarragone. — III. Les mercis du patriarche des Indes et de l'Evêque de Barcelone. Touchante assistance de charité prodiguée par l'Evêque de Gibraltar à 250 israélites fuyant le glaive des Marocains. Après la prise de Grenade en 1492, les juifs soupçonnés d'avoir conspiré avec les Maures avaient été chassés de l'Espagne : dans notre visite à l'Archevêque de Grenade en 1870 pour lui présenter le Postulatum, c'est ce prélat qui nous promet tous ses efforts pour faire entrer les pauvres exilés dans l'Eghse de Dieu et dans le cœur des chrétiens. Récit de TEvêque de Guença sur la courageuse controverse d'un jeuno israélite de Gonstantinople avec un rabbin.
Le début de nos démarches auprès des Archevêques et Evêques espagnols fut un véritable assaut livré par l'amour. Nous dûmes monter à l'assaut de certaines signa
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tures qui se cantonnaient dans des arguments abrupts et se défendaient comme derrière des tranchées. Mais la Vierge miraculeuse de SaintAndrédélieFratte nous inspira des réponses stratégiques, de même qu'autrefois Notre-Dame de Cavadonga anima, dans la noble Espagne, l'ardeur des compagnons de Pelage.
Voici les faits :
Les Juifs n'habitent plus l'Espagne depuis 1492. Jusqu'à cette date, l'Espagne avait été pour eux la terre hospitalière par excellence ; si hospitalière qu'ils l'avaient surnommée avec Rome le paradis des Juifs. Mais, en 1492, ils furent surpris conspirant avec les Maures ; ils devaient livrer aux Maures la foi et les intérêts de ce noble pays. L'indignation fut immense. Tous les Juifs furent chassés, avec défense de pouvoir jamais habiter en Espagne. Nous voici à la fin du xix® siècle. Il y aura bientôt quatre siècles écoulés, depuis que les Juifs ont quitté l'Espagne. Néanmoins l'impression pénible que leur perfidie y a laissée, fut telle, qu'elle n'est pas encore effacée. Aussi lorsque nous nous présentâmes devant deux vieux évêques espagnols qui habitaient ensemble à Rome, avec notre Postulatum déjà couvert de signatures, leur premier mouvement fut de le repousser avec énergie.
Racontons en détail cet incident, pour la gloire de Dieu et aussi l'honneur de la vieille foi espagnole.
Ce jour-là, l'un de nous deux, malade de la fièvre, n'avait pu accompagner son frère. Cela expliquera pourquoi la conversation se fit au singulier.
A peine avaisje commencé à exposer aux deux Evêques (espagnols) l'objet de ma visite que l'un d'eux me dit d'une voix encore forte et brève :
« Du moment que j'ai su que vous travailliez pour le
peuple juif, je me suis promis de vous aider de mes prières,
j'ai prié et je prierai; mais quant à vous donner ma si
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gnature pour les Juifs, afin que le Concile fasse quelque chose pour eux?... jamais.
— Mais, Monseigneur, répliquaije, voyez donc : que d'Evêques qui ont signé ! N'est-ce pas un attrait et une garantie pour votre propre signature?
— Ils ont signé, réponditil avec feu, mais moi je ne signerai pas ; et quand tous signeraient, eh bien, je m'abstiendrais encore.
— Monseigneur, permettezmoi d'insister.
— Non, répliqua-t-il avec plus de véhémence ; pour les Juifs, il n'y a rien à faire.
Alors, après un moment de silence, maître de mon émotion, mais profondément ému, j'élevai la voix et me permis de dire : « Monseigneur, lorsque l'Eglise naissante n'était encore composée que de Juifs qui avaient suivi JésusChrist, s'ils avaient raisonné par rapport aux nations de la gentilité de la même manière que Votre Grandeur raisonne par rapport à la nation juive, s'ils avaient dit : il n'y a rien à faire ; eh bien, jamais la ge utilité, dont la noble Espagne fait partie, ne se serait convertie. »
Blessé par cette repartie, le fier évêque espagnol me dit : « Vous ne devez pas venir ici pour nous faire la leçon. »
— Oh ! non. Monseigneur, mais pour plaider la cause de notre peuple ; et permettez que j'aie pitié des miens.
— Je prierai, vous aije dit, mais rien de plus. Enhardi par le ton de bonté avec lequel il prononça ces
paroles, j'ajoutai : « Pourquoi ne voulezvous pas, Monseigneur, qu'on fasse pour mes frères les Israélites ce qu'on a fait pour les protestants et les schismatiques ? Pie IX leur a tendrement écrit, l'Eglise leur a fait un appel. »
Monseigneur répondit : « Les protestants et les schismatiques, l'Eghse a eu raison de les appeler, parce qu'ils ne lui sont pas complètement étrangers ; ils ont un lien avec elle, ils ont le baptême ; ils sont dignes d'être appelés. »
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— « Eh bien, répliquaije, les Israélites mes frères sont dignes aussi d'être appelés par l'Eglise ; parce que d'abord ils sont toujours chers à Dieu à cause de leurs pères, et parce que c'est d'eux qu'est né le Christ selon la chair. »
A ces mots, le deuxième Evêque qui jusque-là avait gardé le silence, murmura lentement : « C'est vrai. »
L'antique rudesse espagnole, personnifiée dans le premier Evêque, rudesse admirable au fond, parce qu'elle s'inspire de la défense de la foi et qu'elle a raison de se tenir en garde au souvenir de la perfidie des Juifs, cette rudesse fut émue. Le noble Evêque me dit : « Ecoutez, je suis un des plus jeunes parmi les évêques espagnols, il ne conviendrait pas que mon nom paraisse en premier. Recueillez les signatures des autres évêques espagnols, et quand vous les aurez, je vous donnerai la mienne. La hiérarchie demande
ce retard. ))
Je répondis à Monseigneur « que je respectais et approuvais de toute mon âme sa décision, parce que néophyte dans l'Eglise catholique, mon plus grand bonheur était de contempler tous les jours avec ravissement la beauté de sa hiérarchie. » Et avec effusion j'embrassai les mains des deux Evêques.
Quelques semaines après, nous revînmes, mon frère et moi, à leur demeure, avec notre cahier couvert de signatures espagnoles. Dès qu'ils nous aperçurent, les deux Evêques nous dirent : « Comme saint Paul, ne voudriezvous pas être anathème pour vos frères qui sont du même sang que vous? » — «Oh! oui, nous empressâmesnous de répondre, si de notre sang pouvaient sortir la lumière et le salut de quelques-uns de nos frères, nous le donnerions avec toute l'allégresse de notre cœur. » — « Deo gratias, s'écrièrent-ils, nous avons retrouvé les frères de saint Paul. » Et ils nous entourèrent de caresses, de prévenances, de tendresse. Ils signèrent leurs deux noms que le ciel connaît.
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bons Espagnols, après avoir été rudes un instant, vous étiez devenus tendres comme des mères. Nous osons dire que vous nous considériez avec un attendrissement respectueux, avec un contentement sans partage. Ce fut pour nous comme un pressentiment et un avantgoût de la manière dont seront traités dans l'Eglise tous les pauvres Juifs nos frères, lorsqu'un jour ils se convertiront.
II
L'Archevêque de Valence (Mgr Mariano Barrio y Fernandez). — Nous le remercions de sa signature au nom d'Abraham, d'Isaac et de Jacob ; — « et au nom de JésusChrist )) acheva-t-il, pour montrer qu'Abraham, Isaac et Jacob n'étaient que les préparateurs de la bonne nouvelle. Il ajouta gravement : « Puissentils entrer bientôt dans l'Eglise, Arche de Noé, car c'est là seulement qu'ils trouveront le salut dans le grand déluge qui nous menace. »
L'Evêque d'Ai^ila (Mgr Blanco). — « Reliquiœ salvaa fient ! Je prierai pour eux ma grande Thérèse qui aimait à prier pour la diffusion de la sainte Eglise dans tout l'univers. ))
L'Evêque de Jaèn (Mgr Monescillo). — Après avoir signé, le visage radieux, et avec des gestes magnifiques, il entonna le Benedictus, commençant par ces mots : per viscera misericordiœ ; puis il reprit en entier ce chant triomphal de la miséricorde. — Tout ému, nous lui dîmes : « Les paroles de Votre Excellence sont une prophétie, nous ne les oublierons jamais.
L'Evêque de Salamanque (Mgr Lluch). — Déjà avant la Révolution de 1835, les Israélites pouvaient venir en Espagne. Dans la persécution au Maroc contre eux et les chrétiens, car les Marocains les confondirent tous comme espa
158 ARCHEVÊQUES ET ÉVEQUES
gnols, un certain nombre d'entre eux se réfugièrent en Espagne. Les enfants des deux Testaments se retrouvèrent dans le malheur. L'Evêque actuel de Salamanque, qui était alors évêque aux îles Canaries, accueillit une pauvre fille de dixneuf ans qui aborda, un jour, dans une barque à une des îles. Il la confia aux Sœurs de SaintVincent de Paul, et après huit années d'instruction et d'épreuve, il la baptisa. Elle est aujourd'hui fervente chrétienne. — A ce récit que r Evêque de Salamanque voulut bien nous faire, nous nous empressâmes de répondre : « Merci mille et mille fois. Monseigneur, d'avoir si paternellement accueilH l'enfant d'Israël. » Et r Evêque de répliquer : « Je les accueillerai toujours avec tendresse ; et vous, continuez vos luttes avec eux dans la douceur et dans l'honneur, la bénédiction de Dieu est sur vous. Je serai heureux de vous bien recevoir à Sala
manque. »
L'Evêque d'Alicante (Mgr Cuber o y Lopez de Padilla). — « Pour les Israélites, notre signature est préférable à une amphore de vin d'Alicante. Plaise au ciel qu'ils goûtent bientôt le vin qui fait fleurir les vierges, çinum germinans ifirgines ! »
L'Evêque de Burgos (Mgr Rodrigo Yusto). — « Jadis, deux Israélites, le père et le fils, se convertirent : l'un devint Evêque de Burgos, le second fut placé sur un autre siège épiscopal ; ils firent tant de bien que leur mémoire est toujours en vénération à Burgos.
L'Evêque de M inorque (Mgr Jaume y Garau). — Quelle tendresse il nous a témoignée ! « Oh ! que votre peuple m'est cher!... peuple miraculeux, inexterminable. Avec leurs mains ils montrent le Christ : le voilà, et ils ne le voient pas. Que je suis heureux de vous avoir connus, après vous avoir lus. Je suis malade, j'ai la tête bien fatiguée, je suis venu au Concile par obéissance, je n'y fais que deux choses : audio et oro. Et j'écouterai toujours avec attendrissement
159
tout ce qui me viendra de vous et de votre peuple, et je prierai : audiam et orabo. Gens prœdilecta a Deo : cette prédilection m'a toujours été au cœur. Soyez bénis d'être venus me voir. »
L'Archevêque de Tarragona (Mgr Fleix y Solans). — « Un Evêque espagnol a signé, tous les Evêques espagnols signeront. Nous sommes un bataillon. Nous sommes pauvres, nous sommes dépouillés, mais nous avons la richesse de l'unité, nous avons sur toutes les questions l'unité de principe. » Ces Espagnols sont admirables ; c'est le bataillon carré de l'Eglise, comme le disait l'archevêque de Tarragone.
III
Le Patriarche des Indes (Mgr Iglesias y Darcones). —
« Je vous remercie de m' avoir fait contribuer à cette œuvre touchante. Nous tous Espagnols, c'est avec bonheur que nous vous avons donné nos signatures. »
L' Evêque de Barcelone (Mgr Monserrat y Navarro). — « Je suis bien heureux de contribuer à cette régénération. J'ai donné autrefois le baptême à une jeune Juive venue de Paris. A Barcelone il y a plusieurs familles israélites devenues catholiques depuis bien des années, elles gardent précieusement leurs noms de l'Ancien Testament, ce qui est très respectable. »
L' Evêque de Gibraltar (Mgr Scondella). — « Il y a dans ma ville 1500 Juifs venus du Maroc, ils se montrent très reconnaissants envers l' Evêque. Un soir 250 d'entre eux, menacés de mort au Maroc, abordèrent éplorés dans notre port ; ils disaient : Oh ! si, au moins, nous rencontrions un Evêque, il nous sauverait î Je les abritai tous, les logeai et nourris durant trois jours et fis pour eux une quête qui rapporta 15.000 fr. L'amiral Romain des Fossés re
160 ARCHEVÊQUES ET ÉVÊQUES
cueillit pour sa part 6.000 fr. parmi sa flotte. Moi qui les ai nourris et protégés, comment ne signeraije pas un appel pour eux au festin de la vérité, de l'unité et de l'amour? »
L'Archevêque de Grenade (Mgr Monzon y Martins). — « Leur conversion sera, comme dit saint Paul, résurrection de la mort à la vie pour l'univers ; nouveaux cieux, nouvelle terre... Je me charge, quand le Postulatum sera déposé, de faire avec quelques autres Evêques un nouveau Postulatum, c'est-à-dire de présenter la formule de vœu, et je l'appuierai de toutes les forces de mon cœur. » — A ces mots, nous nous écriâmes: « Ohî merci. Monseigneur, vos paroles sont providentielles; c'est après la prise de Grenade en 1492 que nos pauvres frères furent chassés de l'Espagne, et aujourd'hui c'est l'Archevêque de Grenade, l'homme dont le nom rappelle ce souvenir, qui vient lui-même nous dire : Je ferai tout pour être utile à votre nation. Oh l merci. Monseigneur, que le Dieu des magnifiques coïncidences vous récompense. » — « Oui, nous avons dû leur fermer notre Espagne, mais nous saurons, dans un autre temps, leur ouvrir notre Eglise et tous nos cœurs. «
L'Evêque de Cuença (Mgr Paya'y Rico). — « J'ai participé un peu à la régénération d'un enfant d'Israël, et je veux faire pour tous ce que j'ai fait pour un . » Sa Grandeur
nous fit le récit suivant : « Un jeune Juif fils d'une famille espagnole établie à Constantinople avait été envoyé à l'école d'un Rabbin. Celui-ci lui donne la Bible en lecture.
Le livre des Rois frappe les regards du jeune étudiant. Il pose cette question au Rabbin : « Les Juifs ontils un royaume quelque part dans le monde? » Le Rabbin répond : (( C'est pas ici le lieu de discuter, qu'il vous suffise d'apprendre à lire. » — L'étudiant riposte : « Mais ne suisje pas venu ici pour m' instruire? » Le Rabbin est forcé de répondre : « Non, il n'y a pas de royaume juif quelque part. )) — « En ce cas, reprend le jeune adversaire, le sceptre
161
est sorti de Juda, et comme le sceptre ne doit sortir que lorsque celui qui doit venir sera venu, il faut conclure que Celui qui doit venir est venu. » — Outré de dépit, le Rabbin accable de punitions son élève, puis le reconduit chez son père en disant : votre fils est un impie. Alors commence pour le pauvre enfant un véritable supplice. Le père l'a jeté en réclusion, mais le petit prisonnier a pu se procurer une Bible, et, dans le silence de son cachot, il l'étudié passionnément ; Isaïe attire plus particulièrement son attention au Liii chapitre : L Homme de douleurs, et il se dit au fond de son cœur : Ce Jésus que les chrétiens disent le Messie pourrait bien l'être. Rendu à la liberté et au sein de la famille, il se tait par prudence. Le père, riche négociant, donnait tous les samedis une petite somme d'argent à chacun de ses enfants. Le jeune aspirant à la vérité biblique conserve soigneusement son trésor matériel, et, lorsqu'il le juge suffisamment grossi, il part et s'embarque. Arrivé en Espagne, après différentes péripéties, il est recueilh par de saintes femmes, et il leur confie son secret. Grâce à leur entremise, il a le bonheur d'être présenté à un chanoine de la cathédrale qui le presse sur son cœur, et qui, devenu quelques semaines plus tard Evêque de Cuença, lui donne le baptême et en fait le plus heureux enfant de Marie. »
Après ce récit, la signature de F Evêque de Cuença ne clôturaitelle pas d'une façon touchante l'ensemble des signatures espagnoles.
CHAPITRE XIII
Signatures et paroles des Eoêques du Portugal.
I. L'épisode du cap des Tempêtes transformé en cap de Bonne-Espérance par les Portugais ; même transformation dans l'histoire
des israélites ; ils étaient secoués comme dans un crible au milieu des nations, et maintenant les nations représentées dans le Concile œcuménique du Vatican leur tendent les mains par leurs Evêques. Le Portugal non moins charitable que la France, l'Italie, l'Espagne. — IL Le cœur de TEvêque de Lamego. Témoignage de l'Evêque de Bragance sur l'option de familles israélites qui, au moyen âge, durent choisir entre le baptême ou l'expulsion : comment elles surent concilier les beaux restes du mosaïsme avec une vive foi chrétienne. Sentiments pleins de bonté des Evêques de Faro et du Cap-Vert.
I
Lorsque ce fut le tour des évêques du Portugal de prendre connaissance de notre Postulatum, instinctivement nous nous rappelâmes les hauts faits du fameux navigateur portugais, Vasco de Gama ; avec les matelots de son équipage, il avait doublé le cap qui forme la pointe de l'Afrique : avant lui, ce cap était nommé le Cap des Tourmentes ou des tempêtes ; il l'avait transformé en cap de BonneEspérance.
Hélas ! l'histoire des Israélites dispersés, durant de longs siècles, n'avait présenté que trop d'analogie avec le Cap des tourmentes et des tempêtes : chez toutes les nations, ils avaient été secoués comme dans un crible. Dieu soit béni,
164 ÉVÊQUES DU PORTUGAL
le saint Concile œcuménique du Vatican semblait suscité pour faire luire à leurs yeux le cap de BonneEspérance. En fait, la France, l'Italie, l'Espagne, leur tendaient les mains par leurs évêques; le Portugal, à son tour, ne devait pas tromper leur attente.
Saints évêques du Portugal, soyez remerciés de vos charitables paroles et de vos signatures.
II
Lisbonne. L'Evêque de Lamego (Mgr Antonio de Vasconcellos) — « Bons frères, si jamais vous venez en Portugal, vous ne trouverez pas à Lamego une grande opulence, mais un cœur d'évêque qui fera tout pour vous. »
L'évêque de Bragance (Mgr Giovanni d'Aguiar) — « A Bragance et dans le reste du Portugal habitent beaucoup de familles Israélites qui autrefois durent opter entre le bap
tême ou l'expulsion. Dieu leur fit la grâce de choisir le baptême. On les appela les nouveaux catholiques. Par amour pour leur nation, par une piété bien permise et pour se conserver, ils ont gardé et se transmettent de père en fils des noms juifs : Moïse, Salomon, Ezéchiel, Rachel. Et ce sont des chrétiens parfaits. Boni israelitœ in sanguine et boni christiani in fide. »
L'évêque de Faro (Mgr Cardoso) et l'évêque du CapVert (Jacobi de Cuba) — « Nous sommes heureux d'avoir pour votre peuple et de vous exprimer, à vous-mêmes, les mêmes sentiments que les évêques de Lamego et de Bragance. »
CHAPITRE XIV
Signatures et paroles des Eoêques de Belgique et de Hollande.
I. On sait que sainte Julienne de Liège fut suscitée de Dieu pour faire établir dans l'Eglise catholique la fête du Très Saint Sacrement ; cette fête nous ramène à Fesprit un des plus touchants souvenirs de notre enfance : bonne augure pour notre Postulatum auprès
des Evêques belges. — IL La Belgique sera-t-elle absente de notre Postulatum? Refus catégorique d'un Evêque de le signer ; ce refus n'a pas de durée ; triomphal assentiment de l'Evêque de Gand ; la main paralysée d'un autre Evêque fait sienne cette précieuse signature. — IIL Un éloge de l'Evêque de Bois-leDuc. Brillantes carrière et conversion de l'avocat Lipman racontées par l'archevêque d'Utrecht.
I
Quand nous dûmes présenter notre Postulatum aux évoques de Belgique et de Hollande, la ravissante dévotion envers sainte Julienne enflamma notre zèle, raviva notre courage, parce qu'elle s'entrelaçait à un souvenir de notre enfance. On sait que cette jeune sainte, passionnée d'amour pour la divine Eucharistie, fut suscitée de Dieu pour faire établir dans la catholicité les processions du Très Saint Sacrement.
Eh bien, quand nous étions tout jeunes enfants, alors que la France était gouvernée par des princes chrétiens, de magnifiques processions se déroulaient dans les rues de Lyon, au jour de la fête du Très Saint Sacrement, Notre bonne était une pieuse cathoHque au sein de notre famille
166 ÉVÊQUES
Israélite. Lorsque la procession avec ses bannières, ses fleurs, ses encensoirs, s'avançait dans la rue SaintDominique où nous habitions, elle nous faisait mettre à genoux, et, nous montrant le dais et l'ostensoir d'or, elle nous disait : « Mes petits, voici le bon Dieu qui passe, demandezlui de vous bénir. » C'est au passage du Très Saint Sacrement que se rattache la première étincelle de catholicisme qui vint animer nos jeunes cœurs. Nous nous sentions pénétrés, et nous nous disions tout bas l'un à l'autre : quand nous serons grands, nous nous ferons catholiques.
Nous nous permettons de tracer ici ces détails intimes, parce que nous alhons aborder les évêques de cette Belgique privilégiée où fut instituée la première fête du Très Saint Sacrement.
Puissent les israélites qui liront ces lignes, imiter les deux petits et s'agenouiller sur le passage de la divine Eucharistie, sacrement d'amour.
II
L'évêque de Gand (Mgr Enrico Bracq); l'évêque de Bruges (Mgr Giovanni Faiez) ; l'évêque de Namur (Mgr Giuseppe Gravez). — Au collège belge, où nous nous rendons, ces trois évêques se présentent ensemble. L'un d'eux refuse catégoriquement de signer, et engage les autres à refuser, en nous disant : « Vous avez suffisamment de signatures, et les nôtres ont été déjà souvent données. » — Nous répliquâmes : « Monseigneur, les juifs sont dispersés partout, dans toutes les nations, il faut donc que pour ce vœu toutes les nations y prennent part. Voulezvous que la Belgique en soit absente? » — « Les choses essentielles avant les secondaires, et pour les essentielles nos signatures n'abondent pas ». — « Moi, je signerai », dit fermement l'évê
DE BELGIQUE ET DE HOLLANDE 167
que de Gand, qui avait lu en silence le Postulatum. L'évêque contradicteur sortit, mais pour nous revenir quelques jours après, avec une extrême bienveillance. Quant au troisième évêque, sa main paralysée depuis longtemps, ne pouvait plus écrire. Il fit donc sienne la signature de F évêque de Gand. Celui-ci, en nous rendant le Postulatum nous dit : (( Continuez avec courage, c'est une entreprise qui sera bé
nie de Dieu ! »
III
HOLLANDE
L' Evêque de Bois-leDuc (Mgr Jean Zwisca). — Après un gracieux accueil. Sa Grandeur prononça cet éloge : « En Hollande, les Juifs sont meilleurs pour les catholiques que ne le sont les protestants. »
L'archevêque à'Utrecht (Mgr Schaepman). — « Votre Postulatum me fait souvenir que le grand avocat de la Hollande, Lipman, s'est fait cathoHque. Sa femme s' étant indignée et retirée, le SaintPère considérant le mariage comme nul a permis à Lipman de nouer une union nouvelle. Il a épousé une veuve allemande, très pieuse. Abandonnant sa brillante carrière d'avocat, il s'est fixé à Hilversum, près Utrecht, pour écrire et publier de très belles lettres sur la rehgion catholique. Il sera heureux d'apprendre que j'ai signé votre Postulatum. »
CHAPITRE XV
Signatures et paroles des Archeoêques et Eoêques de la Grande-Bretagne Angleterre, Irlande, Ecosse.
I. Paroles prophétiques du comte de Maistre sur Tancienne Ile des saints, qui est l'Angleterre, voguant vers la chaire de Pierre ; puissent des barques, ramenant les dispersés d'Israël, lui faire cortège. — II. Inoubhable charité de Mgr Edouard Manning, archevêque de Westminster, qui ne célèbre jamais la sainte Messe sans y prier pour le retour des restes d'Israël. Témoignages de grande sympathie des Evêques de Birmingham, de Salford, d'Hamilton,de Raphoe, de l'Archevêque de Tuam. Favorable augure tiré par l'Evêque de Plymouth à propos d'une horloge aimablement offerte par un boutiquier israélite aux Petites Sœurs des pauvres. Contraste établi par l'Evêque de Down entre la dispersion des Irlandais et celle des Israélites. — III. Honneur séculaire rendu au nom du roi saint Edouard. L'épisode d'un anneau de grand prix donné en aumône par Edouard à l'apôtre saint Jean déguisé en mendiant ; emblème prophétique de l'anneau de leur antique alliance à faire recouvrer par l'Ile des Saints et par le peuple des patriarches.
I
L'Angleterre, île des saints : c'est le surnom qui lui était donné dans les siècles de foi du moyen âge. La divine bonté qui a fait les nations guérissables (1) lui restituera cette
suave et consolante appellation. Au xix® siècle, le grand comte de Maistre écrivait cette phrase prophétique : « L'Angleterre, cette ancienne île des saints, s'agite sur ses chaînes, et elle les brisera pour voguer vers la chaire de Pierre. »
(1) Livre de la Sagesse, i, 14.
170 ARCHEVÊQUES ET ÉVÊQUES
Nous sommes les témoins de ces secousses pour briser les chaînes. Quand viendra l'heure providentielle où l'île des saints voguera vers la chaire de Pierre, puissent beaucoup de barques, ramenant aussi les enfants d'Israël dispersés, former cortège d'honneur à cette flottille admirée des anges.
II
L'archevêque de Westminster (Mgr Edoardo Manning). — En nous apercevant : « Je sais pourquoi vous venez, je suis avec vous. Il y a trentecinq ans que je pense continuellement à votre peuple. Je suis très ami avec plusieurs Israélites. Je dirai plus : je ne suis jamais monté à l'autel sans avoir un mémento spécial pour la conversion du peuple juif. » Au bas de sa signature il a écrit : Fax super Israël.
L'évêque de Birmingham (Mgr Bernardo Ullathorne). — (( En Angleterre les juifs ont un très grand nombre d'écoles et ils se montrent très charitables ; dans les quêtes, ce sont eux qui assistent le plus les évêques. Comme ils connaissent ce que c'est que l'oppression, ils sympathisent volontiers avec les catholiques opprimés depuis plusieurs siècles dans ce grand pays. »
L'évêque de Saljord (Mgr Guglielmo Turner). — Grand Anglais, calme et grave : « J'ai écrit au Times que je ne donne ma signature pour aucune demande. Mais pour vous, je veux faire exception. »
L'évêque de Plymouth(Mgr Vaughan). — « Dans mon diocèse, il y a plusieurs centaines de juifs boutiquiers, très charitables. Les PetitesSœurs des pauvres font leur éloge; c'est une chose importante et salutaire que d'être loué par les PetitesSœurs des pauvres ! Un jour, elles quêtaient une horloge, elles le dirent en passant devant une boutique
DE LA GRANDE BRETAGNE 171
juive ; « N'allez pas plus loin, leur dit l'enfant d'Abraham, et revenez demain. » Le lendemain il leur donnait l'horloge. Puisse1elle, ajouta le bon évêque, sonner bientôt dans mon diocèse, l'heure de leur conversion. »
L'archevêque de Tuam en Irlande (Mgr Mac Haie). — A propos de dignetur prœçenire du Postulatum, « en effet, ditil, melius est prœi^enire quant prœveniri, il faut les respecter comme les débris d'un grand peuple. »
L' évêque à'Hamilton en Ecosse (Mgr Farrel). — « Vous êtes enfants d'Abraham, venez que je vous embrasse. Nous les avons supplantés, les pauvres Juifs, mais quand ils reviendront, nous leur rendrons leurs droits. »
L' évêque de Raphoe, en Irlande (Mgr Mac Gettingan). — « Ce Postulatum a touché mon cœur. Je me le rappellerai toujours. »
L' évêque de Down, en Irlande (Mgr Dorrian). — Nous disons à l' évêque de Down : « La nation irlandaise est malheureuse et dispersée comme la nôtre. » — « Oui, nous répond-il, elle a renouvelé la dispersion d'Israël, mais c'est pour porter la foi. Elle n'est pas aussi malheureuse que la protestante Angleterre qui a chassé les enfants de sa sœur catholique. Dieu tire le bien du mal, Irlandais errants, nous avons évangélisé un monde, l'Amérique. »
L'archevêque irlandais de Cashel (Mgr Patrizio Leahy). Ce prélat avait écouté en silence notre conversation avec r évêque de Down, il ajouta : « Nation malheureuse mais catholique, nous portons compassion à la vôtre, et nous sommes heureux de signer ; miseri amant succurrere miseris. »
III
Comment finir ce chapitre sans recourir au roi saint Edouard, honneur de la Grande-Bretagne, d'autant que
12
172 ARCHEVÊQUES ET ÉVEQUES
l'un de nous deux, avant notre conversion au catholicisme, portait ce nom tutélaire. Les annales ecclésiastiques relatent qu'Edouard avait une tendre dévotion pour l'apôtre saint Jean. Durant un règne de vingt et un ans il avait eu l'habitude de ne jamais rien refuser de ce qu'on lui demandait au nom de saint Jean. Vers la fin de sa vie, un pauvre s'approche de lui et sollicite une aumône au nom de saint Jean : c'était le saint lui-même déguisé sous des haillons. L'aumônier du roi n'était point là. De crainte de faire trop attendre ce pauvre, Edouard retire de sa main un riche anneau et le lui donne. Du haut du ciel, la Vierge Marie contemplait la munificence de son serviteur. Quelques mois plus tard, deux pèlerins anglais qui s'étaient fourvoyés, par une nuit sombre, dans une vallée de la Palestine, furent remis sur leur chemin par un vieillard qui leur dit : « J'aime le roi Edouard. Vous lui remettrez cet anneau que le roi lui-même m'a donné : c'est à l'apôtre de Jésus qu'il a fait l'aumône. Vous lui annoncerez que dans six mois je le visiterai encore pour l'emmener auprès de la Vierge très pure. » L'anneau rendu fut le gage d'une extase où saint Jean se montra aux yeux ravis du roi qui émigra avec lui au pays de la béatitude.
Ce touchant récit, à la suite des paroles pleines de charité des évêques sur la conversion de l'Angleterre et sur le retour des restes d'Israël, nous comble d'espérance. Daignent l'apôtre saint Jean et le Roi saint Edouard s'employer devant le trône des miséricordes pour faire rendre à l'Angleterre et à la nation juive l'anneau de leur antique alhance. Puissent alors l'île des saints et le peuple des pa
triarches voguer dans une extase de foi et d'amour, vers la chaire de Pierre et dans les bras de la Vierge Marie.
CHAPITRE XVI
Signatures et paroles des Eoèques de Suisse.
Harmonies entre la Suisse et la Judée. Le lion de Lucerne et le lion de la tribu de Juda : bonds suprêmes dans la fidélité et Tliéroïsme. — IL Ces harmonies se retrouvent dans les noms de TEvêque d'Hébronet de l'Evêque de Bethléem. Empressement deTEvêque de Lausanne et Genève à signer le Postulatum pour qu'il n'y ait bientôt qu'un seul troupeau et un seul pasteur. Piquante réflexion de l'Evêque de Sion à Sa Sainteté Pie IX. Contraste douloureux exprimé par l'Evêque de Bâle entre les .luifs favorisés et les jésuites expulsés.
I
Les voyageurs qui après avoir vu la Judée visitent la Suisse sont frappés d'une certaine ressemblance entre ces deux belles et curieuses contrées du monde. Chez l'une et chez l'autre, fertilité des vallées et gracieuseté des lacs. Mais ce qui nous a enchanté nous-mêmes, c'est la vue du lion de Lucerne qui a fait naître dans nos cœurs de palpitantes espérances. On sait que des soldats suisses se firent tuer sur le seuil des appartements de la famille royale de France le 10 août 1792 : aussi, ce lion de grandeur colossale estil représenté percé d'une lance; il expire en couvrant de son corps un bouclier fleurdelisé, qu'il ne peut plus défendre et qu'il soutient dans ses pattes. Au-dessus du lion est gravée cette inscription : Heli>etioriim fidei ac çirtuti, à la fidélité et au courage des Suisses ; et plus loin cette autre inscription : Inçictis pax, aux invincibles la paix !
174 ÉVÊQUES
En contemplant ce superbe et expressif monument, notre regard plongeait dans l'avenir; il nous semblait apercevoir le lion de la tribu de Juda, représentant les restes d'Israël, se dresser dans un dernier bond d'amour pour la défense de la sainte Eglise et expirer dans une sublime réparation de fidélité.
La paix souhaitée aux invincibles Suisses, étendit alors un reflet sur notre Postulatum.
II
Les harmonies suisses et palestiniennes que nous venons de décrire se retrouvaient jusque dans les noms de deux évêques dont la courtoisie à notre égard restera gravée dans nos cœurs : l'évêque d'Hébron, titre épiscopal donné à Mgr Mermillod, et l'évêque de Bethléem, in pârtibus, titre épiscopal donné à Mgr Ragnoud. Il nous souvient avoir entendu sur l'évêque d'Hébron, ce mot caractéristique : « C'est l'abeille du Concile. » Eloge bien mérité, soit par ses infatigables démarches en faveur de la cause de l'Infaillibilité pontificale, soit par l'exquise parole qui,
comme un miel palestinien, découlait des lèvres de l'éminent évêque.
A la suite de ces deux noms, la reconnaissance nous fait inscrire des signatures et des paroles qui honorent la Suisse :
L'évêque de Lausanne et Genèi^e (Mgr Marilley): — «Je donne ma signature de toute mon âme, car Je désire qu'au plus tôt il n'y ait plus qu'un seul troupeau et qu'un seul pasteur. »
L'évêque de S ion (Mgr Joseph de Preux) — « Je vais tâcher, en signant, de réaliser en faveur des Juifs quelque chose de mon nom. Je ne suis cependant, ainsi que je le di
DE SUISSE 175
sais un jour au SaintPère, d'aucune des deux Sion, ni de la céleste, ni même de la terrestre (Jérusalem). »
L'évêque de Bâle (Mgr Lâchât). — « La France n'a con
senti à un traité de commerce avec la Suisse, qu'à la condition qu'on ôterait de la législation helvétique l'exclusion provenant de la différence de culte, clause prise autrefois contre les Juifs. Contraste affligeant : alors qu'on a fait ce traité de commerce en faveur des Juifs, les Jésuites sont toujours persécutés et expulsés. » Emus de ce douloureux contraste, nous adressions tout bas cette prière au Dieu des miséricordes : Seigneur, avancez le temps où les Juifs, frères de Jésus, mettront leurs mains dans celles des Jésuites, compagnons de Jésus.
CHAPITRE XVII
Signatures et paroles des Archeoêques et Eoêques d' Autriche-Hongrie.
I. L'hommage de notre brochure La question du Messie et le Concile du Vatican à sa Majesté l'Empereur et à son auguste famille nous concilie la bienveillance des Evêques de l'Empire, et favorise notre quête de signatures. — II. Charmant accueil du Cardinal de Schwartzenberg et du Comte de Schônborn ; la laine des brebis du Cardinal. Un piquant récit de l'Archevêque primat de Hongrie sur un Congrès tenu à Pesth par les Juifs rationalistes, et sur la répugnance de l'Empereur à signer les décisions du Congrès. Témoignage flatteur de l'Evêque de Cattaro sur la vertu des femmes juives. Cordialité charmante des Evêques de la Dalmatie à notre égard : le nectar de cette cordialité. — III. Pénible révélation de l'Archevêque de Transylvanie qui se termine par un transport d'admiration envers notre entreprise. — IV. L'Evêque de Cassovia constate que les femmes juives ont plus de propension au catholicisme que leurs époux. Amusant souhait de l'Evêque de Szathmar. L'attente de l'argent plus tenace que l'attente du Messie, selon l'Evêque de Giavarino. — V. Charmante bataille de gestes entre l'Evêque de Trieste, le général des Camaldules et nos humbles personnes.
I
Nous avions adressé notre brochure La question du, Messie et le concile du Vatican à Sa Majesté l'Empereur, à Sa Majesté l'impératrice CarolineAuguste, et à l'archiduchesse Sophie. Cet hommage aux souverains, connu des archevêques et évoques de l'Empire, nous concilia de suite leur bienveillance.
Les dispositions du Dieu des miséricordes pour nous fa
178 ARCHEVÊQUES ET ÉVÊQUES
ciliter notre quête de signatures étaient admirables, et nous touchaient profondément. Elles variaient avec la diversité des pays représentés par les évêques. En AutricheHongrie, où les habitants souffraient et se plaignaient de l'oppression mercantile des Juifs, c'est la bienveillance impériale qui vient au secours des deux petits quêteurs de signatures.
II
Le cardinalarchevêque de Prague (Mgr de Schwartzenberg). — (( Mon père et moi, nous nous servions, pour nos affaires, de l'entremise d'un juif qui avait toute notre confiance : quel homme honnête ! Je lui vendais la laine, non pas de mes ouailles, mais de mes brebis, car, dans la Bohême, on élève de grands troupeaux de moutons.
Ce Prince aux manières distinguées nous fît cette observation d'une grande justesse : « Il faut, quand on veut les rendre chrétiens, commencer par respecter leur mosaïsme. Moi, Schawrtzenberg, si on me disait d'oublier mes traditions de famille, les hauts faits de mes ancêtres, leurs exemples, leurs conseils, je ne le pourrais, ce serait m' arracher le cœur. Eh bien, pour eux c'est la même chose, il faut leur dire que l'Eglise veut qu'ils conservent leurs belles traditions de famille. »
La visite à ce Prince d'une exquise affabilité nous avait été ménagée par les soins du comte de Schônborn, son secrétaire et notre ami. Plus tard, ce Schônborn qui faisait alors ses études ecclésiastiques, lui succéda comme archevêque de Prague, puis comme cardinal. Il nous écrivit alors cette touchante demande : « Mes chers amis, priez pour que je sois bien humble sous la pourpre. »
L'archevêque primat de Hongrie. — Il nous raconta ce piquant épisode à propos de l'antagonisme entre les juifs
d'autriche-hongrie 179
lettrés qui sont rationalistes et les juifs du commun qui restent talmudistes : « Un Congrès tenu à Pesth était formé de rationalistes. On nomma dixhuit commissaires qui portèrent les décisions du congrès à l'empereur. Et l'empereur, stupéfait des décisions, ne pouvait se résoudre à signer; c'était l'abrogation de la loi de Moïse, le rationalisme, le nihilisme à signer. Enfin, il le fit avec répugnance, influencé par le ministre des cultes. Les commissaires se présentèrent dans les diverses communautés pour appliquer les décisions. Ils furent chassés à coups de pierre et frappés à coups de bâtons.
L'évêque de Cattaro (Mgr Marchich), en Dalmatie, et l'évêque de Spalatro (Mgr Marco Galogera). — « Parmi les Israélites de nos localités, il y en a qui nous émeuvent véritablement par leur bienfaisance. A Spalatro, nous dit Mgr Galogera, pas une femme juive corrompue, et cependant, chose remarquable, elles sont obligées de travailler, pour gagner leur vie, chez les familles chrétiennes ; et de plus, à côté du ghetto, où les juifs continuent à résider, se trouvent les maisons de prostitution. La corruption n'a pu entrer dans le ghetto ». Cette haute vie morale a toujours frappé l'évêque, et lui fait bien augurer du dessein miséricordieux de la Providence. « L'éducation privée est chez eux très touchante ; leur défaut, c'est toujours la déchéance dans leur vertu commerciale ». Ces bons évêques nous offrent une pipe ; sur notre refus : « Vous ne refuserez pas au moins, direntils, de goûter le vin de la Dalmatie. » Et alors l'évêque de Spalatro nous dit : « Quand vous viendrez en Dalmatie, je désire vous offrir l'hospitalité, vous viendrez alors expérimenter le cœur de l'évêque. » L'évêque de Cattaro ajouta : « Et aussi le mien ». Nous répondîmes : cor episcopi Dalmatœ, necnon i>inum illius sunt iitraque valde bona. Ils nous conduisirent ensuite chez leur archevêque de Zara qui fut très bon.
180 ARCHEVÊQUES ET ÉVÊQUES
III
L'archevêque d'Alba Giulia en Transylvanie (Mgr Gio
vanni Vanesa). — « Vos anciens coreligionnnaires sont très nombreux en Transylvanie. Depuis que la liberté de conscience y a été proclamée, quelques centaines de Juifs à Bozodiyfaln, qui avaient judaïsé en silence, ont profité de cette liberté pour retourner publiquement ad vomitum suum ; les jeunes comme les vieux se sont fait circoncire ; on les appelle sabatarii. Ce scandale a fait beaucoup de mal » . Affecté d'abord par ce souvenir, le vénérable Evêque reprit courage quand nous lui eûmes exposé nos labeurs et notre but. « Elle est admirable, votre entreprise, s'écriat-il, elle me fait du bien. »
IV
L' Evêque de Cassoi>ia (Mgr Giovanni Perger). — Cet evêque, comme la plupart de ses collègues de Hongrie, se plaint
du joug que les Juifs font peser, principalement par leurs mauvais journaux. Mais il reconnaît que les femmes juives ont plus de propension au catholicisme que leurs époux, et la raison en est que la femme chrétienne est plus honorée que la femme juive par leurs époux respectifs. Dans plusieurs écoles normales et même dans des écoles tenues par les Ursulines, les jeunes filles israélites se mêlent volontiers aux jeunes chrétiennes. La conclusion de cet état de choses est qu'il faut entreprendre la conversion des Juifs par la femme, ad feminam causa rei^ertitur. Et làdessus, le perspicace prélat nous engage à composer pour la femme israélite un traité aimable, court et vif.
L' evêque de Szathmar (Mgr Biro de Kezdi-Polany). —
d'autriche-hongrie 181
« Puissionsnous les baptiser bientôt, et être contraints de les baptiser par aspersion. »
L'évêque de Giavarino (Mgr Giovanni Zalka). — « Dans mon diocèse, il y a de nombreuses agglomérations de juifs, beaucoup sont pauvres et très pauvres, ils sont également tenaces » — « Attendentils le Messie? » — « Ils attendent de l'argent. »
Le Tyrol, aux mœurs si chrétiennes, ne pouvait manquer de figurer dans l'aréopage de bienveillance.
L'évêque de Tr teste (Mgr Bartholomeo* Légat). — Son accueil fut des plus affables ; il nous parla avec tristesse de la colonie juive de sa ville, qui possède cinq synagogues, mais qui est composée de juifs caraïtes, secte qui s'attache uniquement à l'Ecriture et rejette la Tradition.
L'affabilité du prélat se fit propagatrice. Comme il logeait dans le couvent des Camaldules, il s'empressa de nous amener le général de ce saint Ordre. Le Pape Grégoire XVI, prédécesseur de Sa Sainteté Pie IX, en était sorti. Le général, abbé mitre, rivalisa avec l'évêque de bienveillance à notre égard et d'encouragement.
Il y eut alors une charmante bataille de gestes. Dans son humilité, le Général des Camaldules ne voulut-il pas baiser nos mains ; confus, nous l'arrêtâmes, et nos mains prenant les siennes vinrent se réunir ensemble dans celles de l'évêqui qui nous fit baiser son anneau avec attendrissement. Cette petite scène nous rappela le Psaume délectable de David consacré à l'union fraternelle : Ah ! que c'est une chose bonne et agréable que les frères soient unis ensemble... c'est comme la rosée du mont Hermon qui descend sur la montagne de Sion. Ils étaient la rosée de l' Hermon, et nous étions la montagne de Sion.
CHAPITRE XVIII
Signatures et paroles des Archeoêques et Eoèques de la Confédération germanique.
I. L'Evêque de Ratisbonne qui eut le bonheur d'être diacre au baptême du Père Marie Ratisbonne, retrouve le même bonheur à signer notre Postulatum. L'Evêque de Wurtzbourg assiste à l'émotion et à l'étonnement du Père Adler, dominicain, devant notre entreprise. Juif converti, le Père Adler craignait de s'occuper des juifs ; ses objections que nous n'avons pas de peine à résoudre : il repasse de la loi de crainte à la loi d'amour à l'égard de ses anciens coreligionnaires. — II. L'Evêque de Mayence nous apprend l'existence, avant la venue de Notre-Seigneur, d'une colonie juive à Worms. Son affectueux souhait, uni à celui de l'Evêque d'Eichstatt, pour la conversion de notre peuple. Rude législation concernant les juifs, d'après les Archevêques de Salzbourg et de Munich. Charmante adhésion de l'Archevêque de Cologne au Postulatum.
I
Dans les Etats de la Confédération germanique représentés par leurs évêques, nous attendaient des émotions parfois pénibles, le plus souvent pleines d'admiration et de
reconnaissance.
L'évêque de Ratisbonne (Ignazio de Senestrey). — Avec quelle effusion de cœur nous sommes accueillis par ce saint évêque, au visage d'une attrayante cordialité. Séminariste à Rome, il avait servi comme diacre au baptême d'Al
184 ARCHEVÊQUES ET ÉVÊQUES
phonse Ratisbonne, après l'insigne miracle survenu dans l'église de SaintAndré délie Fratte. La joie profonde qu'il ressentit quand le nom de Marie fut donné à l'heureux néophyte, se renouvelle dans la signature qu'il appose sur notre Postulatum.
L'évêque de Wurtzbourg (Mgr GeorgesAntoine de Stahl). — Son affabilité ne fut pas moins grande que celle de l'évêque de Ratisbonne. Il avait conféré de ses propres mains le saint baptême au Père Adler, dont l'histoire et sa conversation avec nous-mêmes doivent se placer ici.
Afin de pouvoir devenir catholique, il s'était sauvé à l'âge de dixhuit ans de la maison de son père, était entré au séminaire de Wurtzbourg puis s'était donné à l'Ordre des Dominicains.
Son attendrissement est inénarrable, lorsque nous sommes introduits auprès de lui, il nous embrassait, il pleurait, il nous entourait de ses bras, il nous passait sa main sur le visage : nous étions de la même origine, mais voici la cause principale de son attendrissement. En Hongrie, on craint de s'occuper des Juifs et de se révéler comme juif si on l'a été. Quand il est venu comme religieux de Bavière en Hongrie, on lui a dit : ne dites pas que vous avez été juif. Il y a ce préjugé qui empêche de s'occuper des Juifs: Un Juif lavé jamais ne vaut rien. Ce funeste adage s'était étabh à la suite de conversions qui n'avaient pas été sincères. De ces tristes épisodes était résulté, pour le pauvre Père Ad1er, un état d'esprit où il avait rétrogradé, en quelque sorte, de la loi d'amour sous la loi de crainte ; il craignait de s'occuper de nos anciens coreligionnaires. Il nous fit deux objections.
«L'émancipation des juifs n'est-elle pas un danger pour la société, et fautil y contribuer? »
Nous lui répondîmes: L'émancipation est un fait qui se généralise, les Israélites obtiennent partout les droits ci
DE LA CONFÉDÉRATION GERMANIQUE 185
vils. Nous qui leur appartenons par le sang, nous devons avoir un but unique : travailler à ce que leur émancipation ne devienne pas dangereuse. En cela, nous imiterons la conduite de la Sainte Eglise qui, à l'époque de l'irruption des Barbares, pour les empêcher de nuire, mit tout son zèle à les convertir, à en faire des serviteurs de la vérité chrétienne. A son exemple, nous, fils d'Israël devenus prêtres de JésusChrist, nous devons rendre le même service à nos frères et à la sainte Eglise.
Au surplus, est-ce que l'émancipation des Israélites n'a pas un bon côté, puisqu'elle nous a permis, à nous, de fréquenter les écoles chrétiennes, et de parvenir, par cette douce et providentielle fréquentation, à la connaissance de l'Evangile et de la vérité totale. Nous sommes, vous Père Adler, et nous deux jumeaux Lémann, un triple exemple de ce bon résultat.
Une autre objection hantait l'esprit du bon Père : il se disait à lui-même que le rôle des Juifs dispersés était de publier sur tous les points du globe le châtiment du déicide.
Nous n'eûmes pas de peine à lui démontrer que ce rôle de punition n'était qu'une partie de la destinée des Juifs ; que cette destinée embrassait une triple phase : témoins de la sagesse divine lorsqu'ils étaient le peuple de Dieu dans la Palestine ; témoins de la justice, lorsqu'ils ont été dispersés après leur déicide ; témoins enfin de la miséricorde dans la consommation des siècles, selon les promesses formelles des divines Ecritures. Sous ce dernier point de vue, nous ajoutâmes : Est-ce qu'en devenant tous des vases d'élection, ils ne serviront pas mieux la cause du christianisme qu'en restant toujours des vases de colère? Un peuple de saint Paul, que ne fera-t-il pas? Des millions de témoins de la miséricorde seront plus utiles au bien général que des millions de témoins de la justice. Ce n'est qu'aux enfers
186 ARCHEVÊQUES ET ÉVEQUES
que la justice est sans appel, mais sur la terre le dernier mot doit appartenir à la miséricorde.
Le Père Adler, très ému, nous promit alors de s'occuper des Israélites : il était converti pour la deuxième fois, et repassait, de la loi de crainte, à la loi d'amour. L'excellent évêque de Wurtzbourg applaudit à notre victoire.
II
L' évêque de Eichsttàt (Mgr Francesco Barone de Leonrad). — « Puisse l'acte de miséricorde que fera le Concile contribuer à retirer le voile qui couvre encore leurs yeux. »
L' évêque de Mayence (Mgr de Ketteler). — « Dans mon diocèse, se trouve la ville de Worms qui fut la plus ancienne communauté juive de l'Allemagne : elle aurait existé avant la venue de NotreSeigneur, c'était alors une colonie juive
chargée de préparer à la vérité les Gentils du nord ». Son accueil fut des plus affectueux, il ajouta : « Oh ! que je souhaite que les grâces que NotreSeigneur vous a faites, il les continue à tout votre peuple. »
L'archevêque de Salzbourg. — « Salzbourg a toujours été inaccessible aux Juifs comme résidence fixe. Lorsque quelqu'un d'entre eux voulait y faire un séjour de passage il devait payer un impôt. D'autres villes de l'Allemagne avaient adopté contre eux cette législation exclusive et rude. Daigne la douceur de l'Evangile toucher leurs cœurs et faire adopter à leur égard des procédés de conciliation. »
L'archevêque de Cologne (Mgr Paolo Melchers). — « Plusieurs familles Israélites très riches qui habitent Cologne, s'y montrent très bienfaisantes. » — « Alors votre signature, Monseigneur? » — « Libentissime, vous avez de trop illustres ancêtres pour ne pas leur faire honneur en s' occu
pant de leurs enfants. »
DE LA CONFÉDÉRATION GERMANIQUE 187
L'archevêque de Munich (Mgr Gregorio de Scherr). — « Les Israélites n'ont pris séjour à Munich que depuis huit ans ; auparavant il leur était interdit d'y résider. Puisse le bon Dieu vous ramener tout votre peuple. »
13
CHAPITRE XIX
Signatures et paroles des Eoêques des Prooinces danubiennes et de la Turquie d'Europe.
I. Les pleurs des Juifs à Jérusalem rappelés par l'Evêque de Nicopoli suscitent sa signature et celle de l'Evêque de Lésina. Tracasserie dont les pauvres juifs sont en butte réprouvés par TEvêque de Philippopoli. — IL Empressement des doigts de l'Evêque de Gallipoli, et conseil de publicité mondiale par l'Evêque de Croatie relativement au vœu que formulera le Concile du Vatican. Refus rébarbatif de l'Evêque d'Albanie, il entre en discussion avec nous, et il finit par la douceur de l'agneau.
I
La majesté et la pente rapide du Danube exprimaient
bien l'importance et la marche accélérée de notre sainte entreprise.
L'évêque de Nicopoli, en Bulgarie (Mgr Mac Donald). — « J'ai vu pleurer les Juifs à Jérusalem sur les ruines du temple, durant dix minutes j'ai entendu leurs sanglots : je vais signer, et je ferai signer tous ceux d'ici. »
L'évêque de Lésina, en Dalmatie (Mgr Dubocowich). — « Avec attendrissement, je joins ma signature à celle de l'évêque de Nicopoli. »
L'évêque de Philippopoli « Les Turcs, mais surtout les schismatiques tracassent les Juifs. Ils ne méritent pas tous
ces mauvais traitements. Depuis trente ans que je suis évêque, je n'ai jamais eu à m'en plaindre. »
190 ÉVÊQUES DES PROVINCES DANUBIENNES
II
L'évêque de Gallipoli. — Quand nous lui demandons de donner sa signature, il nous répond : « Oh ! de tout mon cœur, non pas une, mais deux, mais trois, mais quatre. J'admire l'entreprise et l'écrit des deux frères. »
L'évêque de Crisio en Croatie (Mgr Smiciklas) : « Nous lui disons : nous sommes sortis de la famille Israélite. L'évêque nous répond : « Natio semper electa Dei ! Si le Concile fait un vœu, qu'il soit exprimé dans toutes les langues, faitesle connaître, afin que tous les ossements d'Israël dispersés sur le grand champ du monde, les ossements qu'a vus Ezéchiel, tressaillent, en tout lieu. » Et puis il nous embrassa avec attendrissement.
L'évêque de Sappa en Albanie (Mgr Severin ). — D'abord rébarbatif, l'évêque entre en discussion avec nous : « Qu'y a-t-il à faire pour les Juifs? Quoi qu'on fasse, ils restent perfides ». — « Nous étions Juifs, Monseigneur, et nous avons quitté cette perfidie ». — « L'Eglise ne faitelle pas ici à Rome des efforts pour les convertir, repli qua-til, prédications, mains du Christ étendues tout le long du jour, ils restent ce qu'ils sont ». — « Nous aussi, repartîmesnous, nous serions restés ce que nous étions, si d'autres n'avaient pas essayé des efforts auprès de nous ; eh bien, ces efforts qu'on a faits sur nous, nous les renouvelons sur nos frères. » — « Vous avez raison, réponditil enfin, vaincu par une visible émotion, votre argument me touche, je vais signer, et puisse ma signature devenir une prière. »
CHAPITRE XX
Signatures et paroles des Archeoêques et Eoêques de la Grèce.
I. L'Evangile de l'épître saint Mathieu traduit de la langue hébraïque en grec a aidé la Grèce à prendre rang parmi les nations chrétiennes : en retour, saints Evêques de la Grèce, priez pour que la compréhension de F Evangile de saint Mathieu aide les restes d'Israël à prendre rang dans l'Eglise de Dieu. — II. Charitable intervention de l'Evêque de Santorin pour nous procurer des signatures de plusieurs de ses collègues ; sa prière pour que les restes d'Israël deviennent un ferment de rajeunissement dans le monde. Récit de l'Archevêque de Gorfou relatif à l'harmonieuse et courageuse conversion d'une j eune fille israélite qui s'est terminée comme l'épisode de Ruth et de Booz. Signature émouvante de l'Archevêque de Naxos ; reconnaissance, non moins émouvante, d'une femme juive à l'égard d'un Evêque de l'Archipel grec.
I
Mathieu appelé aussi Lévi, fut le premier d'entre les Juifs qui écrivit l'Evangile de JésusChrist dans la langue hébraïque. Son Evangile, selon l'opinion la plus probable, fut composé huit ans après l'Ascension ; l'original n'existe plus ; il n'y a qu'une version grecque faite sous les yeux des apôtres.
Grèce, ne semble1il pas que la divine Providence ait pensé à toi, à tes enfants, dans cette traduction grecque : eh bien à ton tour, pense aux enfants d'Israël et implore pour eux la compréhension de l'Evangile de saint Mathieu, cet
192 ARCHEVÊQUES ET ÉVEQUES
Evangile qui a aidé à te placer au rang des nations chrétiennes.
II
L'évêque de Santorin (Mgr Fedele Abbati). — Quel dévouement, quelle charité il met à nous recevoir et à courir lui-même dans les corridors du couvent des Franciscains à SaintPierreinMont orio, pour m'obtenir les si
gnatures des autres évêques, ne permettant pas que nous le suivions, pour ménager nos pas. En entrant, il nous avait
présentés à deux évêques, ses confrères : « Voici les abbés Lémann qui font honneur au christianisme ». J'aime votre nation, parce qu'en Orient, le long des côtes de l'Asie Mineure où j'ai séjourné, ils m'ont toujours frappé par leurs vertus morales, par leur esprit de famille, soit à Smyrne, soit à Constantinople. Ils ont toujours été très bons pour moi. Quelles belles vertus naturelles, il y a encore dans votre peuple, et qui sont d'autant plus frappantes, qu'elles disparaissent ailleurs. Puisse la divine Providence se servir bientôt de ces beaux restes, laver dans le sang de JésusChrist ce qu'il y a en eux de sordide et d'impur, et jeter dans le monde, pour le rajeunir, ce ferment surnaturalisé. Oh ! jusqu'à mon dernier jour, je prierai pour vous et pour votre peuple. »
L'archevêque de Naxos (Mgr Bergeretti). — « Oui, oui, je vais signer : il faut par reconnaissance leur rendre la religion qu'ils nous ont donnée. »
L'archevêque de Corfou (Mgr Spiridione Madalena). — « Je viens d'apprendre la conversion d'une jeune fille israélite de Corfou de dixneuf ans. La maison de son père était en face de celle des Sœurs. L'harmonie des chants pénétra son âme. Elle sortait la nuit, pour aller se faire instruire chez les Sœurs. Baptisée, son père l'a chassée. Une famille
DE LA GRÈCE 193
chrétienne l'a accueillie. Et maintenant elle va se marier avec le fils de cette famille. C'est l'alliance des deux Testaments, c'est l'épisode renouvelé de Ruth et de Booz. » Un évêque de V Archipel grec. — « La veille de mon départ pour le Concile, une femme juive vint me demander l'aumône, elle s'était adressée en vain à ses coreligionnaires : je lui remis deux francs, m'excusant de donner si peu à cause de mes nombreuses charges. Il y a quelques jours, j'ai reçu une lettre de cette femme qui me confie ses deux enfants pour en faire des chrétiennes. La charité l'a conduite à la vérité. »
CHAPITRE XXI
Signatures et paroles des Eoêques et Vicaires apostoliques de l'Asie.
I. Obstacles à la vérité évangélique dans la vaste contrée de l'Asie. L'Asie, contrée du pêle-mêle des religions, mais où abondent les diamants et les perles. Les paroles de ses Evêques forment un écrin de perles pour notre Postulatum. — IL Le Vicaire apostolique de Nankin en Chine caractérise avec émotion notre apostolat sous la figure biblique de Rebecca qui portait deux peuples dans son sein. D'autres Vicaires apostoliques de la Chine nous apprennent qu'il y a dans ce vaste empire des peuplades qui ont des usages exceptionnels, se rapprochant des coutumes juives et qui ne s'alHent jamais avec d'autres peuplades. Le Vicaire apostolique de Bombay dans les Indes nous intéresse par ses appréciations sur les huit millions de brahmes qui proviendraient des anciennes tribus d'Israël ou de groupes israélites émigrés dans les Indes. Les juifs blancs et les juifs noirs, d'après le Vicaire apostoHque de Malabar. Le Vicaire apostolique du Tonkin vient à nous comme la douce étoile du matin et nous appelle les précurseurs du retour d'Israël. — III. Le Vicaire apostolique de Jafnapatam au Japon associe le souvenir des deux fils d'Abraham au beau ciel d'Orient parsemé d'étoiles. Un autre Vicaire apostolique de Miriofide également au Japon, frappé de l'avènement de la puissance Israélite dans tous les pays, la compare à un levain qui peut devenir providentiel, à condition d'y souffler un ferment catholique. Aimable accueil de l'Evêque d'Erzeroum en Arménie : son récit sur l'Arche de Noé ; tradition légendaire sur une petite croix miraculeuse faite avec du bois de l'Arche et apportée par un ange à un de ses prédécesseurs dans l'Episcopat Arménien.
I
Quels obstacles à la Vérité évangélique, cette vaste contrée de l'Asie ne présente-elle pas? Il s'y trouve un pèle
196 ÉVÊQUES ET VICAIRES APOSTOLIQUES
mêle de religions : islamisme, sectes protestantes, brahmanisme, culte de Bouddha, judaïsme. Mais si cette contrée présente des difficultés par le pêle-mêle des religions, elle offre à notre imagination un éclat de vives espérances : n'abonde-t-elle pas en pierres précieuses, en diamants et en
perles? Les paroles de ces archevêques et évêques allaient fournir un écrin de perles à notre Postulatum.
II
Le Vicaire apostolique de Nankin en Chine (Mgr Adrien Languillat). — « A ce titre que vous avez donné à la Sainte Vierge : soror nostra, mes yeux se sont remplis de larmes. Vous, vous portez deux peuples dans votre sein ; nous, nous ne cherchons à enfanter à la grâce que la gentilité devenant le peuple chrétien ; mais vous, vous poursuivez deux peuples, les chrétiens et les enfants d'Israël, en ressemblance de Rébecca qui portait deux peuples dans son sein... Oui, je prierai pour votre apostolat, je pourrai quelquefois n'y point penser d'une manière réfléchie, mais j'en prends aujourd'hui l'intention formelle jusqu'à mon dernier soupir. » bon évêque, digne fils de saint Ignace et de saint François Xavier, que vous nous avez fait du bien !
L' évêque de Danoba, vicaire apostolique du Tchékiang en Chine (Mgr Edmond Guierry). — L' évêque de Colombica, vicaire apostolique du Léo Tung en Chine (Mgr Emmanuel Verolly). — Allègre adhésion à notre Postulatum. « En Chine, les musulmans se distinguent uniquement des Juifs, aux yeux des Chinois, par la couleur du turban. Les Chinois disent que les premiers sont des musulmans au turban bleu. — H y a des peuplades qui ont des usages exceptionnels, se rapprochant des coutumes juives, et qui ne s'allient jamais avec d'autres peuplades.
DE l'asie 197
L'évêque d'Ascalon, vicaire apostolique de Bombay, aux Indes (Mgr Léon Meurin). — « Les brahmes, cette célèbre tribu sacerdotale, pourraient fort bien descendre des anciennes tribus d'Israël ou de groupes d'Israélites venus, le long du golfe Persique, dans les Indes. Ce qui le prouverait : 1 c'est la plus belle race de ces plages de l'Orient, race magnifique, un esprit pétillant, réunissant tous les dons de la beauté et de l'esprit ; 2 soin jaloux d'alliance entre eux seulement ; 3 leurs continuelles ablutions, leurs prescriptions multiples, comme les prescriptions multipliées du Pentateuque ; 4< ils disent qu'ils viennent du NordOuest, c'est-à-dire du côté de la Judée ; 5 leurs emplois qui sont d'être les précepteurs des rois et des peuples. Ils sont huit millions de brahmes dans les Indes.
L'évêque d'Olympie, vicaire apostolique de Vérapoly ou Malabar (Mgr Léonard Melano). — « A Cochin habitent 1300 Juifs, distingués en Juifs blancs et Juifs noirs. D'après une légende, les Juifs blancs seraient ceux qui,venus après la dispersion d'Adrien, seraient fidèles à la loi de Moïse ; les Juifs noirs seraient des Samaritains qui, infidèles, au
raient contracté des mariages avec des femmes du pays.
L'évêque de Paphos, vicaire apostoHque du Tonkin ( Mgr Hilaire Alcazar ) . — C était de grand matin, il daigna sortir de son lit pour venir à nous, rappelant la prévenance de Celle qui est l'étoile du matin, Stella matutina. Oh ! qu'il
fut bon, il nous dit : « Je les aime, les Israélites, parce qu'ils sont les ancêtres de JésusChrist et les frères de la Sainte Vierge. Je prierai toujours pour vous, car vous êtes les précurseurs du retour de votre peuple. »
III
L'évêque de Médée, vicaire apostolique de Jafnapatam (Mgr Christophe Bonjean). — « Notre beau ciel d'Orient
198 ÉVÊQUES ET VICAIRES APOSTOLIQUES DE l'ASIE
parsemé d'étoiles me fera penser souvent aux deux fils d'Abraham. »
L'évêque de Miriofide, vicaire apostolique du Japon (Mgr Petitjean). — « Les Israélites commencent à venir au Japon. Aussi bien, avec la vapeur des navires et des chemins de fer, ils vont se présenter en tous lieux. C'est un levain qui se dépose partout, il faut s'attendre à une fermentation providentielle. Vous faites bien d'imprimer à ce réveil d'Israël et la puissance qui l'accompagne une direction catholique: Dieu vous bénira; qu'il y ait entre nous échange de prières pour nos deux missions. »
L'évêque d'Erzeroum en Arménie (Mgr Melchisedchian). — En nous donnant sa signature, l'aimable évêque nous dit : « J'ai l'arche de Noé dans mon diocèse >^, et il nous fit, sur l'arche, ce récit légendaire. Dans les siècles passés, un évêque du pays avait mis tout en œuvre pour combattre les incrédules. Dans son chagrin de ne pas réussir, il se jeta au pied de son crucifix et demanda au divin Maître de lui venir en aide. Un ange lui apporta un morceau de l'arche sous la forme d'une petite croix rayonnante, et les incrédules s'agenouillèrent devant elle. Conservée jusqu'au siècle dernier, elle disparut dans les rapines d'une invasion, mais la tradition de ce fait miraculeux demeure ferme dans les montagnes d'Arménie.
CHAPITRE XXII
Signatures et paroles des Patriarches, Archeoêques et Eoêques qui occupent les régions oisitées par l'ancien peuple de Dieu.
I. Légitimité de notre émotion en abordant les prélats qui occupent les régions visitées par l'ancien peuple de Dieu. — II. Accueil inoubliable de l'Archevêque syrien de Mossoul. La maison d'A
braham à Hur transformée en mosquée : fontaine qui lui est adjacente, respect obligatoire pour les poissons qui y pullulent. Savante dissertation sur le fruit défendu du paradis terrestre. Courtoisie syrienne pour notre belle cause. Coutume touchante des juifs de Bagdad. — III. Le droit légitime des Israélites d'être conviés les premiers par le Concile œcuménique du Vatican, d'après l'Archevêque de Seert. Pourquoi l'Evêque de Diarbékir a grande compassion des restes d'Israël. De quelle manière beaucoup de juifs orientaux excusent leur ignorance. Magnanime pensée de l'Archevêque d'Edesse. Irréfutable conclusion que l'Archevêque de Salmas en Perse tire de notre Postulatum couvert de signatures. Rigorisme des juifs de Téhéran. — IV. Touchant accueil du Patriarche Chaldéen : il nous rappelle notre grandpère paternel qui vécut jusqu'à l'âge de 104 ans, de bonne foi dans la religion juive. Un angélique interprète auprès du Patriarche. Le tombeau du prophète Nahum et les restes des dix tribus dans le Kourdistan. Préjugés tyranniques des castes qui empêchent les conversions. Surprises de l'Evêque Chaldéen de Mossoul devant notre propre conversion et à la lecture de notre Postulatum.
I
Ce n'est pas sans émotion que nous avons abordé les prélats qui résident dans les territoires où Israël, lorsqu'il était le peuple de Dieu, recevait les bénédictions du ciel en même temps qu'il était, pour le reste de la terre, le porteur
200 ÉVÊQUES OCCUPANT LES REGIONS
de la vraie religion. Ces régions se dénomment : les pays parcourus par les patriarches Abraham, Isaac et Jacob ; le territoire palestinien proprement dit ; les contrées où furent emmenées captives les dix tribus.
Qu'on nous pardonne notre émotion : il nous semblait, en entrant dans les demeures de ces prélats et en recevant leur bienveillant accueil, respirer un parfum apporté des pays de nos ancêtres, du pays natal !
II
L'archevêque de Mossoul, Babylone, Alep, également patriarche d'Antioche pour le rite syrien (Mgr BenhamBenni). — Nous n'oublierons jamais son paternel et précieux accueil et avec quelle patience il nous a fourni les renseignements suivants : La maison d'Abraham à Hur Chaldaeorum, c'est-à-dire à Orpha à côté d'Haran, est aujourd'hui une mosquée. Abraham avait placé sa maison au bord d'une fontaine ou cours d'eau pour abreuver ses troupeaux. La fontaine est toujours là, coulante, vive, où se meuvent des poissons qui se sont multipliés, diton, depuis
le temps d'Abraham. Les habitants et les visiteurs vont leur jeter du pain en l'honneur du Patriarche. Il n'est pas permis de les toucher, encore moins de les prendre. Des infractions sont commises par les voyageurs. Prenez garde, leur diton, si les Turcs vous voyaient ils vous feraient payer cher cette profanation, à coups de bâton.
Il nous a semblé intéressant de rapporter l'appréciation du digne archevêque sur le fruit du paradis terrestre. « C'est bien la pomme qui devait être le fruit défendu du paradis terrestre et non la pêche. Les pommes sont exceptionnellement belles et suaves en Orient : elles sont attrayantes à voir sur l'arbre, d'un côté un rouge incarnat, de l'autre, un
VISITÉES PAR l'ancien ISRAËL 201
jaune comme de For, et d'une odeur exquise, en sorte que tous les sens, la vue, l'odorat, le goût sont satisfaits. Le fruit de l'épreuve devait, assurément, contenter tous les sens. La pêche, assez belle à voir, n'a aucune odeur. l'Ecriture ne dit point qu'Eve sépara en deux l'un des fruits, mais simplement qu'elle en donna. Enfin le mot pomme n'est pas générique dans les langues orientales, comme dans la langue latine, ou dans les langues occidentales, il n'indique que la pomme.
Le prélat accompagna sa savante dissertation de cette courtoisie : « Quand vous viendrez à Bagdad, veuillez ne descendre nulle part qu'à l'archevêché syrien ; bien plus, dès que vous mettrez le pied sur la terre de l'Orient, tous les évêchés syriens seront votre demeure ; ne promettez à aucun autre rite. Nous vous offrons cette hospitalité en l'honneur de votre belle cause. »
Le bon archevêque termina sa conversation si intéressante par le récit d'une coutume touchante des Juifs de Babylone ou Bagdad. Ils attendent, hélas! toujours le Messie. Tous ceux qui ont de la fortune, ordonnent à leurs enfants de transporter leurs restes dans la vallée de Josaphat, où le Messie viendra juger les vivants et les morts. C'est pour eux le plus grand bonheur que de pouvoir reposer à l'ombre de la muraille du Temple, ruines eux-mêmes à côté de la grande ruine.
III
L'archevêque de Seert, en Mésopotamie (Mgr Michel Bartatar). — Il nous dit avec animation: «Les Israélites sont les premiers à avoir le droit d'être appelés par le Concile. Oui, il faut aller à ces pauvres brebis, avant toutes celles
qui se sont perdues dans d'autres montagnes, parce que Jésus-Christ a pensé : ite potius ad oi^es, quœ perierunt domus
202 ÉVÊQUES OCCUPANT LES REGIONS
Israël, et puis saint Paul: aux Juifs d' abord, puis seulement après aux Grecs, aux Samaritains. Oh ! ce retour, quand il s'acomplira, ce sera l'acte le plus fortuné pour l'Eglise de
Dieu. Il la consolera de toutes les tristesses de mort qui nous accablent... Ne nous remerciez pas, mes amis, c'est à nous à vous remercier. »
L'évêque de Diarbékir, en Mésopotamie (Mgr Jacques Bathiarian). — « Je donne ma signature avec d'autant plus d'empressement que je possède proprement le pays d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, l'ancienne Mésopotamie ». Il ajouta : « Les Israélites me regardent comme leur grand ami, parce que je les protège contre les Turcs. Elles sont rares les conversions parmi eux, et la cause en est l'ignorance dont ils se font une arme. « Nous ne pouvons rien te répondre, disent-ils aux missionnaires catholiques, car nous sommes ignorants ; mais si nous étions instruits, nous te répondrions, car nous savons que notre religion est vraie. »
L'archevêque d'Edesse, en Mésopotamie, résidant à Rome (Mgr Cardoni). — « Je m' applaudis de pouvoir vous donner ma signature. Lors même qu'une seule âme de ce peuple se convertirait à JésusChrist, nous aurions obtenu un grand résultat. Vous êtes Israélites et Français, deux titres que je vénère : la France est le cœur de l'Europe; on aura beau presser sur ce cœur, il restera catholique. »
L'archevêque de Salmas en Perse (Mgr Agostino Barshino). — (( Votre livre de signatures est le plus beau témoignage que le catholicisme est la vraie religion, car c'est l'univers entier, représenté dans les évêques de toutes les parties du monde, qui vient affirmer que le Messie est venu. Nous n'aurions pas fait mille lieues pour venir dire un mensonge. )) Sa Grandeur nous fournit les renseignements suivants : « Le Juifs sont surtout nombreux à Téhéran et assez riches ; ils vont de village en village vendre des étoffes,
VISITÉES PAR l'ancien ISRAËL 203
portant leur charge sur le dos. Ils professent un tel rigorisme qu'ils se garderaient bien de manger du pain cuit par les chrétiens. »
IV
Le Patriarche des Chaldéens (Mgr Audu), sa résidence est à Mossoul. Bagdad et Babylone dépendent de sa juridiction.
Quelle belle figure, quel air de sainteté calme et profonde ! il était assis à l'orientale; par son visage et ses manières, il nous a rappelé notre grandpère paternel, le père Lévi, qui a vécu jusqu'à 104 ans, de très bonne foi dans la religion juive. Nous le lui avons dit, il était ému et nous aussi. Lorsque notre interprète lui a exposé pourquoi nous venions à Rome, notre origine jumelle, nos travaux, notre désir d'obtenir un vœu du Concile, et sa propre signature, un épanouissement de bonheur et de tendresse s'exprima sur son beau visage et il nous fit dire : « Je prierai toujours pour vous et pour votre sainte entreprise. . » Quel moment ! avec quelle effusion nous avons embrassé ses mains! Quand nous lui dîmes adieu, il fît cette exclamation à notre interprète : « Je désire que vous me les rapportiez plusieurs fois », charmante expression chaldéenne, que nous n'oublierons jamais.
Notre interprète auprès du vénérable Patriarche, était le bon Père Ligier, dominicain. Avec sa robe blanche, il fut vraiment notre ange auprès des évêques chaldéens. De notre conversation avec le Patriarche, il retint et nous dicta les détails suivants : le Patriarche est née à Alkoche, village peu distant de Mossoul, où se trouve le tombeau du prophète Nahum. C'est là que sont les restes des dix tribus. Ce tombeau en est une preuve ; en outre la tradition, conservée pieusement parmi ces Juifs en est un témoignage ;
14
204 ÉVÊQUES OCCUPANT LES REGIONS
enfin, une dernière preuve est comme incrustée dans les noms qu'ils adoptent. En effet, ils ne se nomment pas, comme dans les pays palestiniens et occidentaux Lévi, David, Salomon, mais Aser, Naftali qui est une provenance de Nephtali. Chose singulière, le bon Patriarche Audu prétend descendre de la famille de Nahum, d'être d'origine juive ; il se nomme avec complaisance le fils des patriarches.
L'évêque chaldéen de Mossoul (Mgr Raja). — Nous rencontrâmes auprès de cet évêque le Père Lemé qui nous fournit des détails curieux sur les Juifs du Kourdistan, pays où le régime des castes est si tenace qu'il n'est pas permis de
passer d'une caste à l'autre ; un mahométan doit rester mahométan, un grec doit rester grec ; un juif doit rester juif; un nestorien rester nestorien, un syrien rester syrien. La conséquence de cette tyrannie est qu'un dominicain d'origine juive, et précédemment nommé Lévy, cache soigneusement son origine juive; ses confrères mêmes l'ignorent.
Ce qui précède explique l'étonnement de Mgr Raja et son émotion lorsque admis en sa présence avec le Père Ligier, il apprit qui nous étions et pourquoi nous venions. « Des Juifs vraiment convertis ! ditil au Père Ligier, je ne m'attendais pas en venant à Rome, trouver des Juifs semblablement convertis et une question semblable. Quelle surprise! que n'avonsnous pas à espérer de la Providence! Oh ! oui. Messieurs, je vous donnerai avec bonheur ma signature. ))
« Vous êtes un phénomène pour eux », nous dit en sortant le Père Ligier.
CHAPITRE XXIII Faisant suite au précédent.
Joie de l'Archevêque de Tyr et de Sidon de donner sa signature, parce qu'il a sous sa juridiction la plus grande partie du territoire israélite. Pressentiment chez tous les Orientaux d'un événement extraordinaire. Méchant conseil d'un fonctionnaire d'origine juive pour empêcher ses coreligionnaires de devenir chrétiens. — IL L'Evêque de Balbeck nous parle des ruines magnifiques de sa ville, les plus curieuses de l'Orient. Son enthousiasme en rapprochant notre sainte entreprise du psaume 68 ; il le commente avec des couleurs orientales, et à la suite de son commentaire tous les Evêques melchites donnent leur signature. Le Concile du Vatican sera, pour les restes d'Israël, le Concile du retour. — IIL Le délégué apostoHque de l'Egypte et de l'Arabie, après avoir déploré l'âpreté au gain des juifs d'Alexandrie oublieux de l'antique science de leurs ancêtres, verse des larmes sur les vices des Européens, mille fois plus coupables, car ils ont profané l'Egypte et tout l'Orient. Sa signature, gage d'amour pour notre nation. L'Evêque de Cérame partage cet amour. L'Evêque de Sinope, résidant à Rome et membre de la S. Congrégation du Saint-Office, nous demande notre pensée sur les mariages mixtes ; nous tombons d'accord sur la conclusion. — IV. Félicitations célestes de l'Evêque de Milet. L'Archevêque de Tarse signe au nom de l'apôtre saint Paul, dont il possède la ville natale.
I
L'archevêque de Tyr et de Sidon, rite maronite (Mgr Pierre Bostani). — « J'ai dans mon diocèse presque tout l'ancien royaume d'Israël, la partie septentrionale de la
206 SUITE DU
Judée, entre autres villes Sapha, remarquable par le tombeau de Simon Macchabée, qui est toujours en grande vénération, Tibériade, jalouse de son ancienne célébrité et presque entièrement composée de familles juives. J'éprouve une grande joie à l'annonce du vœu que vous allez présenter au Concile, et je donne volontiers ma signature puisque c'est moi qui ai en partie, dans ma juridiction, l'ancien royaume d'Israël. »
Sa Grandeur nous mit au courant d'une attente qui passionne l'Orient. Tous les Orientaux, à n'importe quelle secte qu'ils appartiennent, attendent quelque chose d'extraordinaire. Chez les Juifs se perpétue cette tradition : que le monde ne doit durer que six mille ans ; attendu que nous ne sommes plus loin du terme, les uns, parmi les Orientaux, attendent le Messie ou quelques grands prophètes ; les autres, l'Antéchrist ; mais tous ont le pressentiment d'un événement extraordinaire.
Sous cette impression, un grand nombre de Juifs concluant que le Messie avait dû venir, se rendirent auprès du ministre du pacha à Tripoli près de Tyr pour lui soumettre leur perplexité. Lui-même était d'origine juive, mais perfide et sans conscience. Après les avoir écoutés, il leur dit : (( Puisque, d'après votre croyance au Messie venu, vous voulez devenir chrétiens, quels chrétiens voulezvous devenir? Est-ce chrétiens maronites? Est-ce chrétiens protestants? Est-ce chrétiens arméniens? Est-ce chrétiens catholiques? Est-ce chrétiens grecs? » Désorientés par ce discours cauteleux, les pauvres Juifs ne donnèrent pas suite
à 1 ur dessein de devenir chrétiens. Méchant conseiller, tu as été une pierre d'achoppement, et le Christ que nos pères ont nommé la pierre fondamentale de la Maison d'Israël, t'écrasera de tout son poids.
CHAPITRE PRÉCÉDENT 207
II
L'évêque d'Elio polis ou Balbeck (Mgr Giovanni Hagg), du rite melchite. — Sa ville de Balbeck offre des ruines magnifiques, les plus curieuses de l'Orient. Monseigneur nous cita le temple du Soleil, que Salomon aurait élevé au dieu d'une de ses femmes. Les pierres architecturales, d'une seule pièce, ont une dimension étonnante, la quatrième en importance, mais qui est la plus longue, a 37 mètres de long sur 7 de large.
Lorsque cet évêque, très affable, eut pris connaissance de notre Lettre circulaire, il comprit pour la première fois, nous ditil, toute l'économie splendide du psaume 68. Làdessus, il courut le dire aux autres évèques du rite melchite qui habitaient avec lui au couvent de Saint -Ghrysogone, et en leur présence et la nôtre, il relut et commenta avec des couleurs orientales ce psaume où il est parlé de dos courbés et d'yeux obscurcis par les ténèbres, c'est l'état du peuple juif sous le poids du châtiment ; et le psaume se termine par des bénédictions sur S ion et les villes de Juda, c'est l'avenir de miséricorde qui attend les restes d'Israël. A cette terminaison, l'évêque s'écria avec un saint enthousiasme : « Oui, il faut faire quelque chose pour ce peuple qui doit être l'o
méga, après avoir été l'alpha du plan divin. »
Et les signatures se multiplièrent sur notre registre.
On se félicitait de l'acte accompli. On remarquait que le Concile du Vatican serait le seul qui aurait fait pour eux une œuvre de tendresse et d'honneur ; tous les Conciles provinciaux ont pris contre eux des mesures de rigueur et d'exclusion ; le milieu social d'alors l'exigeait, les nations chrétiennes étant en voie de formation. Mais aujourd'hui, le milieu social a changé, la miséricorde est la clef qui ouvre aux restes d'Israël l'entrée de la société, et ce Concile sera, pour eux, le Concile du retour.
208 SUITE DU
III
L'archevêque d' Ireno polis, délégué apostolique pour V Egypte et V Arabie (Mgr Louis Ciurcia). — « Vos ex-coreligionnaires sont assez nombreux à Alexandrie, le renom de leur antique science dans cette ville n'est plus qu'une ombre, et le gain est leur seule préoccupation. Mais le blâme ne les atteint pas seuls, il doit s'étendre à tous les Européens, voici pourquoi : l'Egypte, si longtemps le grenier de l'Europe, est devenue la sentine des vices européens. Il n'y a que les Maltais qui y montrent un peu de foi, ce sont les gendarmes des églises. Les Européens ont profané l'Orient.
« Je suis l'administrateur apostolique de l'Afrique centrale ; des villages entiers où l'on va trafiquer des dents d'ivoire, des peaux de tigres, ont été détruits par la contagion de vices apportés de l'Europe. La profanation européenne me fait verser des larmes.
Après ces paroles d'une éloquence émue, le saint évêque signa notre Postulatum, et comme nous le remerciions de sa signature, il s'écria : « Oh ! non, ne me remerciez pas, c'est moi plutôt qui vous remercie, j'aime tant votre nation ! »
L' évêque de Cérame (Mgr Jacques Jeancard). — « Jusqu'ici, on les tenait éloignés par des paroles dures ; mais des temps providentiels sont arrivés où des procédés de sympathie les engageront à se rapprocher de nous. »
L' évêque de Sinope, résidant à Rome et de la Sacrée Congrégation du SaintOffice. — « Quel bonheur de vous connaître et quelle joie de vous lire! nous dit le gracieux évêque en nous pressant les mains. Comme membre de la Congrégation du SaintOffice, je désire vivement votre pensée sur les mariages mixtes. Comme le mariage civil tend à primer le mariage religieux, que faire ? »
CHAPITRE PRÉCÉDENT 209
Nous tombâmes d'accord sur cette conclusion : il faut raisonner par rapport au mariage civil comme par rapport au fait de l'émancipation. Des circonstances indépendantes de nous ont introduit ce nouvel ordre de chose dans la société ; la sagesse consistera à éviter tout le mal possible, et à tirer de cette situation non pas un bien absolu mais un bien relatif, car le bien absolu n'est plus guère réalisable. Si donc un grand nombre de mariages mixtes produisent plus d'heureux résultats que de mauvais, incliner vers la facilité.
L'avenir a justifié cette sentence de facilité si l'on prête l'oreille aux gémissements des rabbins et au cri d'alarme de
la presse juive. Les mariages mixtes peuplent l'Eglise et dépeuplent la synagogue.
IV
L'évêque de Milet, en Asie Mineure sur la côte de Carie. — « Courage, Messieurs, je vous félicite de votre zèle admirable pour le salut de vos frères. Espérons que tous ceux qui restent régneront avec nous dans l'éternel royaume des cieux. »
L'archevêque de Tarse en Cilicie, rite arménien (Mgr Ausar-Wartan). — « Je vais signer au nom de saint Paul dont je possède la ville de naissance. Le grand apôtre a fait cette prophétie qui illumine votre Postulatum : « Si la ruine des Juifs a été le salut de la Gentilité qui les a remplacés, que sera leur rappel, sinon, pour le monde encore, un retour de la mort à la vie ? »
CHAPITRE XXIV
Signatures et paroles d'un Archeoêque et des Eoêques de l'Afrique.
Fasse le ciel que les restes d'Israël entraînés vers le Christ par l'appel du Concile du Vatican, contribuent à ce que la pauvre Afrique brille comme une perle noire dans la couronne du Christ Rédempteur. — II. Déhcat langage et délicate pensée de l'Evêque de la Réunion. Langage contraire, mais déhcat souhait de l'Evêque d'Akra. Gracieux échange d'hospitalité Israélite et catholique raconté par l'Evêque de Natal. — III. L'Archevêque d'Alger nous fait un tableau pittoresque des résultats de la conquête d'Alger par la France : jusqu'ici elle n'a profité qu'aux fils d'Abraham. Leur bruyante splendeur. L'Archevêque heurte leur puissance financière partout où il veut acquérir un terrain. Mais sous le rapport de la fidéhté il fait l'éloge de son serviteur juif que, depuis 34 ans, les Archevêques d'Alger se sont transmis comme un meuble de l'Archevêché. L'Evêque d'Oran n'oubliera jamais la messe qu'il a dite le 20 janvier dans l'église de SaintAndré-delle-Fratte.
Gt I
Lorsque notre sainte entreprise nous mit en contact avec les évêques de l'Afrique, envisageant la population de cette troisième partie du monde qui est la descendance de Gham, nous nous rappelâmes l'épisode biblique où Noé maudit Gham : celui-ci s'était moqué de la nudité de son père survenue dans la mystérieuse ivresse occasionnée par la plantation de la vigne. Nous, fils d'Israël, nous appartenions à la descendance de Sem, et devenus prêtres catholiques,
212 ARCHEVÊQUES ET ÉVÊQUES
nous nous disions dans un élan de charité : Ah ! si les restes d'Israël entraînés dans l'Eglise de Dieu par l'appel du Concile du Vatican communiquaient leur entrain aux populations noires de la descendance de Cham, quel superbe résultat dans la péroraison de l'histoire du monde. Ce n'était pas un rêve de notre imagination, mais la conclusion que notre cœur tirait d'un aperçu historique et prophétique du comte de Maistre : « Un temps viendra où la pauvre Afrique brillera comme une perle noire dans la couronne du Christ Rédempteur. » Jésus, ô Marie, faites qu'en réparation de la couronne d'épines, les fils d'Israël contribuent à l'éclat de la perle noire dans la couronne définitive du Roi éternel des siècles.
II
L'évêque de Vîle de la Réunion (Mgr Amando Maupoint). — « Quand j'ai à faire à eux, je ne prononce jamais le nom de juif de peur de les attrister, je les appelle israélites. Puisque je suis l'évêque de la Réunion, puisse ma signature contribuer à les réunir à nous dans l'Eglise de Dieu. »
L'évêque d'Akra, en Guinée, rit chaldéen (Jean-Elie Mellus). — A Akra, il y a quatre à cinq mille Juifs, l'influence se partage entre eux et les musulmans, celle des chrétiens est presque nulle. Je suis contraint de vous dire qu'ils sont fourbes et rusés. Mais ayons la ferme espérance que lorsque les écailles tomberont de leurs yeux, la fourberie s'effacera de leurs actes. »
Le vicaire apostolique du Cap de BonneEspérance :
« Avec la plus expressive bonne volonté, je donne ma signature. Au Cap, où ils sont une centaine, ils vivent en très bons rapports avec les catholiques. Deux enfants d'une excellente famille d'Israélites viennent à nos écoles, de préférence aux écoles protestantes. »
DE L'AFRIQUE 213
Le vicaire apostolique de Natal (Mgr François Allard). — (( Dans l'intérieur de l'Afrique, près de la rivière Orange, dans la petite ville de Blom-Fontein (République hollandaise) vivent un certain nombre d'Israélites récemment arrivés de la Hollande et de l'Allemagne. Comme j'étais mal logé, l'un d'eux est venu gracieusement m' inviter à loger chez lui. Puisse, par ma signature et celles des autres évêques, l'Eglise de Dieu leur offrir une prochaine et large hospitalité. »
III
L'archevêque à' Alger (Mgr Lavigerie) — « Je signe avec empressement ; tout ce que je connais et tout ce que j'ai lu de vous me témoignent assez que votre entreprise est pour le bien des âmes. »
Sa Grandeur nous fit un tableau pittoresque des résultats religieux de la conquête de l'Algérie par la France. Dans le rayon d'Alger sont agglomérés 14.000 Juifs: à eux seuls a profité la conquête. Les Turcs sont partis, les Français jusqu'à ce jour n'ont presque rien gagné. Mais les fils d'Israël se sont enrichis. Dans les taudis et sous les haillons où ils vivaient, ils ont passé de la plus crasse pauvreté apparente à la splendeur la plus bruyante ; leurs femmes sortent couvertes de diamants. Partout où l'archevêque achète un terrain pour y bâtir soit un hospice, soit une école, soit une église, à gauche, à droite, devant, derrière, il confine à des enfants d'Abraham, il est enveloppé dans les filets d'Israël.
« Du reste, nous dit en souriant Mgr Lavigerie, je suis en très bons rapports avec eux. Mon plus fidèle serviteur, celui à qui je confie ma caisse les yeux fermés est un juif, Antonio. Mes deux prédécesseurs, entre autres Mgr Pavy, s'en sont servi. On se l'est transmis comme un meuble de
214 ARCHEVÊQUES ET ÉVEQUES DE l'AFRIQUE
l'évêché. A mon arrivée, je voulus m'en défaire, craignan d'être servi par un juif : tous les prêtres, toutes les reli gieuses vinrent supplier pour lui, car ils n'ont jamais ei qu'à se louer de lui. Marié, père de famille, il y a trente quatre ans qu'il sert à l'évêché. De feu pour rendre ser vice, il devient comme un marbre quand on lui parle d( religion, il ne répond rien, absolument rien. Daigne ce Pos tulatum substituer, chez les fils d'Israël, le feu de la cha rite au marbre de l'endurcissement. »
L'évêque d'Or an (Mgr JeanBaptiste Callot). — « L( jour du 20 janvier où vous entendiez la messe du Saint Père, et où vous datiez votre supplique au Concile, j'allaii dire la messe pour mes Israélites d'Oran à SaintAndré délieFratte ; je ne l'oublierai jamais. »
CHAPITRE XXV
Signatures et paroles des Archeoêques et Eoêques de l'Amérique.
I. Le premier or apporté d'Amérique, ornement de la voûte de SainteMarie-Majeure, nous est un langage d'encourageante charité. — IL L'Archevêque de Cincinnati nous fait asseoir à un festin qui réunissait un certain nombre d'Evêques américains, et ceux-ci signent avec cordialité le retour des fils d'Israël au festin d'Abraham, d'Isaac et de Jacob. Témoignages affectueux donnés par les Archevêques de Saint-Louis, de l'Orégon, et par les Evêques d' Hartford et de Cleveland. Un hôpital israélite et protestant confié aux Sœurs de Saint-Vincent de Paul. Larmes de tristesse, larmes de joie de l'Evêque de Marysville. — II I. Auprès de l'Evêque de Port-Louis, têtes dures et amour têtu. Joyeux remerciements des juifs et des juives de l'Ile Dominique à l'Evêque de Roseau, parce que dans un sermon il les avait appelés
« nos aînés ». Mariage secondaire autorisé par la législation mosaïque : l'Evêque a fait de tous leurs enfants des chrétiens fidèles. Agréable surprise chez l'Evêque de Porto-Rico : son secrétaire est un fds d'Abraham devenu, comme nous, catholique et prêtre. Embrassade pleine d'effusion. L'Evêque de Mérida aime à dire aux israélites qu'ils n'ont pas à changer de religion, mais qu'en déchirant un voile sur leurs yeux ils apercevront le judaïsme agrandi en religion catholique. — IV. L'Archevêque de Mexico, sur la route de l'exil depuis bien des années, mêle ses soupirs à nos soupirs pour le double retour de son peuple et de notre peuple. L'Evêque de Tulacingo et d'autres Evêques mexicains nous accueillent avec attendrissement. L'Evêque de Galveston nous dit l'admiration du Concile sur notre entreprise ; les 101 coups de canon du gouverneur du Texas ; le rôle prépondérant du peuple américain et les pas de géant du peuple d'Israël. — V. Baptême d'israélites donné par l'Archevêque de Québec. Aide admirable de l'Evêque du Nouveau-Brunsvick. Curieuses étapes de
216 ARCHEVÊQUES ET ÉVEQUES
renrichissement d'Israël d'après l'Evêque des Montagnes-Rocheuses. Largeur de vue de l'Evêque des 1 rois-Rivières etde l'Evêque de Natchitoches à propos des ravages causés dans la Synagogue par le rationalisme ; il sert les desseins de la Providence. L'Archevêque d'Hahfax souhaite aux israélites lapidaires en pierres précieuses de trouver et de posséder la véritable pierre précieuse qui est le Christ. — VL Les Evêques de Guatemala et de Venezuela nous accueillent avec la plus touchante effusion. Une charmante réminiscence du Cantique des cantiques sur les
lèvres de l'Evêque de Rio-Bamba. Embrassements fraternels des Evêques de Bélem, de Para et de Rio-Grande. — VIL Suave accueil auprès des Evêques de Pufio, de Guaranga et de Guamanga ; ce dernier se dépouille de précieux ouvrages sur les juifs pour nous les offrir ; impressionnante appréciation de notre démarche en rapport avec le dernier âge du monde. Superbe aperçu de l'Evêque de Huanugo sur les duodecim millia signati et sur la splendeur d'une religion unique à travers les espaces et les siècles. Siège de l'Archevêque de lago pour obtenir sa signature. L'évêque de la ' Conception, personnifiant l'olivier sauvage, s'incline devant Israël qui fut et doit redevenir le plan délectable. L'Archevêque deBuenos-Ayres invoque, avec des accents véritablement argentins, les plus célestes bénédictions sur notre entreprise.
I
La basilique de SainteMarie-Majeure appelée aussi
SainteMariedesNeiges, SainteMarie à la Crèche, nous était chère à tous ces titres, nous aimions à y aller prier. Quand l'heure vint de soumettre notre sainte entreprise aux evêques de l'Amérique, nous levâmes les yeux vers la voûte de la tutélaire basilique : les caissons qui en forment l'ornement sont revêtus d'une dorure historique, car c'est le premier or apporté d'Amérique, à la suite de sa découverte par Christophe Colomb. Les souverains espagnols en firent don au Pape qui en embellit la voûte de SainteMarieMajeure. Cet or, au moment de notre labeur apostolique, eut pour nous un langage de bon augure, en nous exprimant l'or de la charité. evêques de l'Amérique, ayez
DE L'AMÉRIQUE 217
pour les restes d'Israël l'or de la charité; et toi, pauvre Israël, comprends enfin que Dieu, parce qu'il est charité, nous a donné son divin Fils dans le Messie promis à nos pères.
II
ETATS-UNIS
L'archevêque de Cincinnati (Mgr Giovanni Battista Purcell). — Avec une bienveillance exquise, Sa Grandeur nous introduit auprès d'autres évêques des Etats-Unis qui dînaient ensemble. Nous leur disons avec notre plus aimable sourire : « Nosseigneurs, nous venons vous demander de faire un acte en correspondance avec celui qui vous réunit en ce moment et qui nous est d'un heureux augure. Veuillez donner des signatures afin que le Concile, par un vœu d'amour, ramène les pauvres enfants de notre nation au festin d'Abraham, d'Isaac et de Jacob. » Notre petite harangue leur plut : « Bravo, bravo ! nous répondirentils, oui, nous allons signer, mais vous, asseyezvous à notre festin. )) Et nous rompîmes avec eux le pain de F affection. Le Postulatum passait de main en main, et les signatures s'y apposaient joyeuses.
A Cincinnati, les Israélites venus surtout de l'Allemagne ont élevé trois synagogues avec un luxe magnifique. « Sontils talmudistes ou rationalistes »? demandâmesnous à l'un des évêques : « Ils sont commercialistes », répondit l'évêque avec un fin sourire.
L'évêque à' Hartford, dans le Connecticut (Mgr Francesco Mac Farland). — « Or are et laborare, voilà ce que nous devons faire pour les ramener ; puisse l'acte conciliaire être un solennel labeur ! »
L'archevêque de SaintLouis (Mgr Pierre Ricard Ken
218 ARCHEVÊQUES ET ÉVEQUES
rick). — « Les familles juives de SaintLouis sont en très bons rapports avec nous. J'ai une profonde vénération pour cette grande nation hébraïque. »
L'évêque de Cleveland (Mgr Amédée Rappe). — « La population juive, assez nombreuse, s'est entendue avec la population protestante pour construire un hôpital qui a été confié aux Sœurs de SaintVincent de Paul, à l'honneur de notre sainte religion. Les familles juives sont bien tenues : je respecte des gens qui se respectent.
L'archevêque d'Orégon (Mgr FrançoisNorbert Blanchet). — (( Il y a plusieurs familles israélites dans l'Orégon, voyageant là où il y a des chances. Leurs membres viennent volontiers aux fêtes des églises catholiques, préférablement aux fêtes de leur synagogue. Que Dieu bénisse tous vos désirs et toutes vos démarches. L'Orégon pensera toujours à Jérusalem. »
L'évêque de Marysnlle (Mgr Eugenio O'Connell). — « Je trouve parmi eux de la ruse parfois, mais généralement de la franchise. Ils viennent volontiers dans nos églises, et sont heureux lorsqu'ils] entendent parler d'Abraham, d'Isaac et de Jacob. J'ai souvent versé des larmes de tristesse sur les restes dispersés de ce grand peuple ; et je verse maintenant des larmes de joie sur votre œuvre de réunion.
III
LES ANTILLES
L'évêque de Port-Louis (Mgr Michèle Hankinson). — « Ceri^ice dura ». — « C'est vrai, Monseigneur, répliquâmesnous, mais quand ils reviendront, ce sera amore duro ». — « Oui, vous avez raison, à cette heure nous en avons bien besoin, de cette dureté dans l'amour; voici ma signature. »
L'évêque de Roseau, Ile Dominique (Mgr Carlo Poirier).
DE L'AMÉRIQUE 219
— « A SaintThomas réside un grand nombre d'Israélites venus de Portugal. Je suis très bien avec eux parce qu'un jour, dans mes conférences à la cathédrale, je parlais des Juifs en les appelant nos aînés, racontant avec honneur les origines de ce grand peuple, la vocation d'Abraham, etc. Le lendemain, quand je passais dans la rue, toutes les Juives, tous les Juifs sur leurs portes : « Bonjour, Monseigneur, merci, Monseigneur. »
Ce qu'il y a de plus remarquable, c'est que beaucoup de ces Israélites, outre leur femme Israélite, ont une femme de second rang (comme l'autorise la législation mosaïque) ; or, tous les enfants qui naissent de ce mariage secondaire sont baptisés avec le consentement des pères et élevés dans les écoles chrétiennes. « Depuis onze ans que je suis évêque, nous dit Monseigneur, j'ai donné le baptême à une centaine de ces enfants ; aucun n'a dévié, et dans nos écoles ils sont les plus sages et les plus intelligents. »
L'évèque de PortoRico (Mgr Paolo Carrion). — Beau vieillard, dont la barbe majestueuse nous fait penser à celle d'Aaron. Une agréable surprise, outre son bienveillant accueil, nous attendait: son secrétaire était, comme nous, un fils d'Abraham devenu catholique. Eugène Netter, alsacien, était venu à l'âge de vingt ans à PortoRico en compagnie de sa sœur mariée à un catholique. L'évèque lui avait conféré le baptême dans la solennité du SamediSaint. Tombé malade et changeant de climat, il était allé faire ses études à Salamanque où, ordonné prêtre, il avait pris ses grades de docteur à vingtquatre ans. Revenu à PortoRicco, il avait été accueiUi par l'évèque auprès duquel il se dévouait comme secrétaire. Nous nous embrassâmes en pays de connaissance, et la signature de Monseigneur fut comme un cachet sur notre pacte d'amitié.
L'évèque de Merida (Mgr Leandro de La Gala). — « Dans l'île de Curaçao il y a environ mille Israéhtes. J'aime à leur
15
220 ARCHEVÊQUES ET ÉVÊQUES
dire qu'ils n'ont pas à changer de religion, mais à déchirer un voile pour apercevoir l'agrandissement du judaïsme en religion catholique. »
IV
MEXIQUE ET TEXAS
L'archevêque de Mexico (Mgr de Lavastida y Davalos).
— « Je suis évêque depuis quinze ans et n'ai pu séjourner que trois ans dans mon diocèse : tout le reste du temps sur le chemin de l'exil! Le peuple mexicain est bon. L'empire a été renversé par ceux-là même qui l'avaient fondé, parce qu'ils avaient voulu le fonder sans mettre la religion à sa base. Puisse Dieu me ramener mon peuple, comme il vous ramènera le vôtre. A Mexico, la maison Davidson, une des principales maisons Israélites, est très honnête et obligeante. »
Plusieurs heques du Mexique réunis : « Nous n'oublierons jamais au Mexique les deux frères ».
L' évêque de Tulacingo (Mgr JeanBaptiste Ormaechea).
— Son accueil plein d'attendrissement fut tel qu'il pressait nos deux têtes sur son cœur, en nous bénissant.
L' évêque de Galveston au Texas (Mgr Dubuy). — D'origine lyonnaise, il nous accueille à bras ouverts et nous dit
en nous donnant sa signature : « Tous les évêques sont édifiés de ce que vous faites, ils parlent de vous avec admira
tion. » Passant ensuite à la préparation du dogme de l'Infaillibilité, son langage devient comme un torrent de flammes : « J'ai envoyé au Texas la lettre qui expose l'Infaillibilité pontificale, et le gouverneur de Galveston enthousiasmé de ce qui se prépare, m'a répondu : « Je vous recevrai à votre retour avec 101 coups de canon. » Mgr Dubuy termine sa conversation par un brillant tableau des pro
DE l' AMÉRIQUE 221
grès de l'Amérique qui, la plus jeune entre les nations, est devenue subitement la première par ses découvertes industrielles et la largeur de sa législation libérale, et qui, dans l'ordre spirituel, apporte à la victoire du dogme de l'Infaillibilité l'appoint de ses légions d'évêques et vicaires apostoliques. Et le saint Evêque, nous pressant les mains, s'écrie : (( Puisse le peuple d'Israël, quand il reviendra, faire des pas de géant dans les voies de l'aniour divin et de la fraternité catholique ! »
CANADA, MONTAGNESROCHEUSES, TROISRIVIERES, NOUVELLE-ECOSSE, LOUISIANE.
L'archevêque de Québec (Mgr Baillargeon). — « J'ai baptisé à Québec un Israélite venu d'Allemagne d'une famille de rabbin. Son fils est actuellement zouave pontifical. J'ai donné également le baptême à un autre fils d'Abraham qui est l'imprimeur du séminaire. »
L'évêque de Saint-Jean-de-Chatam, NouveauBrunswick.
— Avec l'empressement le plus chaleureux, cet évêque nous dit : « Si nous pouvions faire davantage pour vous aider, nous le ferions avec bonheur ». Nous lui répondîmes : « Oh ! merci de votre charité qui embrasse les morts comme les vivants, les retardataires et ceux qui sont très pressés, le bercail et les brebis égarées dans la montagne. Merci au Brunswick, merci au Canada ! »
L'évêque des MontagnesRocheuses (Mgr Taddeo Amat).
— « C'est très curieux, nous dit l'évêque avec une bonhomie pleine de finesse, d'assister à la manière dont les Juifs s'enrichissent dans ces montagnes et en Californie : toujours par le négoce. Mais voici les étapes de l'enrichissement. D'abord vous rencontrez un colporteur avec un ballot sur le dos ; puis, quelques mois plus tard, vous le ren
222 ARCHEVÊQUES ET ÉVÊQUES
contrez sur les grands chemins avec un cheval, un ballot pendant de chaque côté ; puis vous le revoyez quelque temps après, avec une voiture ; puis il disparait. Vous ne le rencontrez plus. Mais un jour, dans une ville où vous aviez déjà passé, un magasm que vous n'aviez pas encore aperçu attire vos regards, c'est votre juif. Et quinze ans après il quitte et magasin et MontagnesRocheuses, il est millionnaire, il va jouir dans sa .patrie. » Nous dîmes alors à l'évèque : « Monseigneur, daignez unir vos prières aux nôtres pour que notre cher peuple, après des étapes et des transformations surnaturelles, vienne jouir des véritables biens dans le royaume de Dieu qui est la sainte Eglise. »
L'évèque coadjuteur des TroisRwièr es (Mgr Louis La Flèche). — (( Dans notre pays, il y a plusieurs familles dont quelques membres sont devenus catholiques : ils sont bien considérés dans le reste de la famille, parce qu'on reconnaît à chacun en Amérique la hberté de servir Dieu comme il l'entend. »
Monseigneur nous exposa ensuite ses vues sur le rationalisme : « Il ne faut pas s' effrayer des ravages que le rationalisme cause dans la synagogue, il sert les desseins de Dieu qui çincit in bono malum. C'est une grande chose quand le terrain est déblayé. Quand un terrain est embarrassé de broussailles, et souvent de broussailles qui ont de fortes racines, il est difficile, pour ne pas dire impossible, de chercher à construire en cet endroit. Mais quand le débarras est fait, que les vieux préjugés, les vieilles pratiques ont été emportés, déracinés, l'architecte divin est à l'aise, il peut bâtir. ))
L'archevêque d'Halifax, NouvelleEcosse (Mgr Louis Connolly). — « Votre supplique aux évèques est digne d'un accueil exceptionnel... A H ah fax il y a une centaine d'Israélites, lapidaires en pierres précieuses : puissentils trouver la pierre précieuse qui est le christianisme. »
DE L'AMÉRIQUE 223
L'évêque de Natchitoches, Louisiane (Mgr AugusteMarie Martin). — « Il y a dans la Louisiane 1500 à 1800 familles juives, bien disposées. Le rationalisme les y ravage, comme ailleurs, c'est ce qui donne des espérances, car salutem ex inimicis nostris : quand il n'y aura plus rien à détruire, il sera plus facile d'édifier. Les Israélites en devenant catholiques, n'ont pas à changer, mais les protestants doivent changer, parce qu'ils ont inventé, tandis que les Israélites ont reçu. »
VI
GUATEMALA, VENEZUELA, EQUATEUR, BRESIL
L'archevêque de Guatemala (Mgr Bernard Pinol). — « Multum diligo i>os. Deus vos benedicat, et gentem vestram ! »
L'archevêque de Venezuela (Mgr Silvestre Guevara). — « Puissent les prières, les soupirs, les veilles et le sang de JésusChrist introduire enfin les pauvres Israélites dans le sein de F Eglise. »
L'évêque de Rio-Bamba, Equateur, (Mgr Ignace Ordonez). — Ce cher seigneur qui avait été notre confrère au séminaire de SaintSulpice, nous fait cette charmante description de sa contrée : « Notre pays, l'Equateur, est un printemps et un été continuels ; les arbres ne se dépouillent jamais de fleurs et de fruits ; quand il pleut nous disons que c'est l'hiver ; quand il fait beau, nous disons que c'est l'été. Puisse le printemps avec ses fleurs, et l'été avec ses fruits, revenir aussi pour votre nation ! )) Nous lui répondons : « Monseigneur, dans votre description, il nous semble entendre la voix d'un ange nous paraphrasant ce passage si plein d'espérance du Cantique des cantiques : « Le figuier a commencé ses premières figues ; les vignes sont en fleurs, et elles répandent leur odeur. »
224 ARCHEVÊQUES ET ÉVEQUES
L'évêque de Bélem de Para, Brésil (Mgr de Macédo) et l'évêque de RioGrande (Mgr Dias Larangeira). — Monseigneur de Macedo avait été, comme Mgr Ordonnez, notre condisciple au séminaire de Saint-Sulpice; aussi avec quelle
effusion il nous embrassait et nous serrait dans ses bras, et il nous passait aux embrassements de l'évêque de RioGrande. L'Europe a envoyé au Brésil un certain nombre de familles israélites ; notre affectueux condisciple de Saint-Sulpice nous dit : « J'ai eu la consolation de conférer plusieurs baptêmes, Monseigneur de RioGrande a eu la même consolation, ensemble nous sommes pleins d'affection pour les restes d'Israël et pleins d'estime pour votre sainte entreprise. »
VII
PÉROU, CHILI, BUÉNOS-AYRES
L'évêque de Puno (Mgr JeanMarie Huerta). — « J'ai lu votre touchante insinuation et je m'y incline. »
L'évêque de Guaranga au Pérou (Mgr Ezéchiel). — « J'ai, ditil, une magnifique bibliothèque, et beaucoup de choses sur les Israélites. » — « Monseigneur, pourriezvous nous envoyer votre catalogue? » — «Oh! avec bonheur, je veux faire plus : tout ce qui est dans ma bibliothèque sur votre peuple est à vous, tous ces livres vous appartiennent, je vous les enverrai. » — « Oh î merci. Monseigneur, vous avez un cœur royal à l'égard des enfants d'Israël, vous êtes David « — « Oui, David, réponditil, mais David pour Jonathas. »
Après quelques moments de réflexion. Monseigneur nous dit : (( Nous touchons à la plus grande époque du monde, nous ne sommes pas loin des derniers temps ». — « En ce cas, répHquâmes-nous, nous vous faisons signer à tous la fm du monde ». — « Oui, s' écria1il, vivement, en nous
DE L'AMÉRIQUE 225
pressant les mains vous nous faites accomplir un acte sans précédent dans l'Eglise ».
L'évêque de Guamanga au Pérou (Mgr Francisco Moreyra). — « J'abaisse avec respect mes yeux sur votre Postulatum ». Monseigneur ajoute : « Après avoir lu votre travail La question du Messie et le Concile du Vatican, j'ai fait l'achat à Rome de deux magnifiques ouvrages sur les Juifs; prenez ces livres, ils vous profiteront plus qu'à moi, rece
vez-les comme un témoignage de mon admiration pour la Providence qui se sert de vous, je serai trop heureux si par eux je puis vous fournir quelques pensées. Jamais je n'oublierai ni vos personnes, ni votre œuvre, ni votre peuple. »
L'évêque de Huanuco, Pérou (Mgr Emmanuel Del Valle).
— {( La prophétie des duodecim millia signati doit s'accomplir chez votre peuple. Comme l'explique saint Augustin, ces duodecim millia expriment une grande multitude et, en devenant catholiques, vos frères ne changeront pas de religion. La religion a été jetée en germe par Dieu au paradis terrestre; durant la loi de nature, elle a poussé et grandi; sous la loi mosaïque, elle a donné sa fleur, admirablement exprimée dans les Ecritures par la rose de Jéricho, le lis de la vallée, la fleur de Jessé ; puis sous la loi chrétienne, la voilà qui donne son fruit : le Christ, les œuvres chrétiennes ; et enfin dans le ciel, le fruit sera mangé, car, ainsi que parle saint Augustin, le ciel est le lieu où l'on voit, où l'on aime, où l'on jouit. C'est toujours ainsi la même religion, admirablement soumise au progrès qui est la grande loi du temps. »
L'archevêque de lago Chili, (Mgr Raphaël Valdivieso).
— Nous avons dû le déraciner, tant il était implanté dans son refus ! Originaire de l'Espagne, où les Juifs avaient été nuisibles dans leur alHance avec les Maures, l'évêque avait emporté au Chili ces néfastes souvenirs. Nous fîmes alors, de
226 ARCHEVÊQUES ET ÉVÊQUES DE l' AMÉRIQUE
son cœur, un véritable siège ; nos arguments empreints de supplication et de charité commencèrent à l'ébranler. Mais il chercha encore à se retrancher dans la lecture du Postulatum ; il lut, l'un après l'autre, les quatre à cinq cents noms qui y étaient consignés, et poussa cette exclamation : « C'est un grand acte, voici ma signature. »
L'évêque de La Conception (Mgr Joseph Salas). — « Nous sommes Voleaster ou l'olivier sauvage, vous êtes le plan délectable, vous avez été les branches naturelles, vous avez été le fruit : Jésus, Marie, les patriarches, les apôtres, vous redeviendrez encore le fruit ; c'est bien naturel que la greffe reconnaisse le plan délectable, et se réjouisse de le revoir et de lui faire place. »
L'archevêque de BuenosAyr es, République Argentine (Mgr Mariano Escalava). — Avec son grand air, son noble cœur et sa voix véritablement argentine, Monseigneur nous dit : « Je demande au ciel, pour votre entreprise, ses plus efficaces et plus tendres bénédictions. »
CHAPITRE XXVI Signatures et paroles des Eoêques de l'Océanie.
I. Réminiscences bibliques qui nous font entreprendre avec entrain la visite des Evêques de l'Océanie. — IL Appel de TEvêque de Brisbane en Australie à tous les efforts de notre zèle pour convaincre les Israélites et exciter les catholiques. L'Evêque de PortoVittoria, en Australie, nous fait le récit d'un baptême extraordinaire où les biens de la grâce compensent les revers de la fortune, et où le dernier mot d'une lutte intime appartient au chapelet de Marie. D'après l'Evêque des îles Marquises, les indigènes de ces îles ont dû avoir des ancêtres juifs parce qu'ils ont conservé un grand nombre de pratiques juives. Fatigues inouïes endurées par l'Evêque de Vellington et ses Missionnaires pour évangéliser la Nouvelle-Zélande ; scène touchante d'un missionnaire Mariste en revoyant, à bord d'un navire européen, du pain qu'il n'avait pas goûté depuis douze ans : dialogue d'amour où nous souhaitons que les restes d'Israël retrouvent, eux aussi, le vrai pain de vie ou pain du ciel distribué pour la première fois dans leur pays.
I
L'Océanie, monde éparpillé dans la mer, nous remit en mémoire des textes du prophète Isaïe, où transpirent le zèle et la joie : Les îles m'attendent... Chantez au Seigneur un cantique noui^eau ; publiez ses louanges d'un bout de la terre à Vautre, vous qui allez sur la mer et sur toute V étendue de ses eaux, vous îles, et vous tous qui les habitez. Animés par ces réminiscences bibliques, nous entreprenons avec entrain la visite des évêques de l'Océanie.
228 ÉVÊQUES
II
L'évêque de Brisbane, en Australie (Mgr Jacques Quinu).
— Avec l'empressement le plus gracieux, Monseigneur nous dit : « J'avais l'intention d'aller vous chercher par tout Rome, pour vous offrir mes services pour l'Australie. Il ne faut pas borner votre mission à l'Europe, mais diriger et vos écrits et vos pas vers toutes les régions, l'Orient, l'Amérique, l'Austrahe. Votre présence fera beaucoup pour nous exciter, nous, et pour les convaincre, eux. Je serai heureux de me tenir en rapport avec vous. » Sa Grandeur nous apprit que l'Australie compte des Israélites dans tous ses grands centres, des groupes qui se dénomment chambres synagoguales plutôt que synagogues ; ils tiennent les bazars, ils sont avides, mais charitables, très bien avec les évêques, et Monseigneur ajoute : « Je les traite avec honneur ; ils n'aiment pas les protestants, ils comprennent que toute la discussion est entre eux et nous. »
L'évêque de PortoVittoria, Australie (Mgr Diego Mariano Alguacil). — « J'ai baptisé un Israélite. Quelque chose d'extraordinaire a signalé cette conversion. Il était de Sydney, très riche; il perdit tout, vint à Vittoria et se mit à mon service. Durant trois ans je n'eus qu'à me louer de ses vertus; je ne lui parlais de rien toutefois. Il me demanda un jour de le rendre chrétien. Je le félicitai, mais je temporisai. Il s'était instruit en écoutant à l'église. Je le confiai au curé qui acheva son instruction, je temporisai
encore. Un matin, je donnai l'extrêmeonction à un malade. Il me dit : « Monseigneur, donnez-moi le baptême. »
— (( Dans quelques jours, répondisje ». — « Mais qui vous dit, répliquat-il, si ce sera temps encore? » Cette réponse me fit impression. «Eh bien, demain, » dis-je après quelques
DE l'océanie 229
moments de réflexion. « Demain, réponditil hautement, oh ! qui vous dit que ce sera temps encore ». Impression plus grande; je lui dis: « Ce sera maintenant ». J'envoyai tout préparer, et le soir même je le baptisai. Le lendemain il perdait la tête, ébranlée depuis longtemps par ses revers de fortune. Il la recouvra le surlendemain. « Savezvous ce que vous avez fait hier? » — « Oui, réponditil, avec un doux sourire, et je suis bien heureux. » Un jour après, sa raison s'égara de nouveau et pour toujours. Depuis qu'il avait eu le secret désir de se faire catholique, il n'avait jamais oublié de terminer chaque jour ses longues courses dont je le chargeais, sans rentrer tout d'abord à l'église pour y réciter son chapelet. »
Le vicaire apostolique des Iles Marquises et des Iles Sandwich (Mgr Luigi Maigret). — « Les habitants de ces îles, surtout des îles Marquises, ont eu certainement des ancêtres juifs, car ils ont conservé des pratiques juives. : la circoncision, les ablutions, la prohibition de certaines viandes, le droit d'aînesse, et la nécessité pour la femme veuve d'abandonner la fortune de son époux et de rentrer dans sa famille, quand elle n'a point d'enfants. »
L'évêque de Wellington (Mgr PhilippeJoseph Viard). — Le courageux évêque nous raconta l'évangélisation pleine de difficultés de cette île ; le christianisme fut introduit en 1813 parmi les naturels du pays ; ils étaient forts,
intelligents, audacieux, adonnés à l'anthropophagie ; on eut toutes les peines du monde à les en détourner, des scènes horribles nous furent énumérées. A côté de ces horreurs, une scène touchante nous fut narrée par un religieux Mariste qui contribua beaucoup à la transformation morale des indigènes. Il s'était enfoncé dans leurs forêts profondes et, durant douze ans, avait vécu de leurs chasses, de
patates et d'ignames. Au bout de ce laps de temps, un navire européen jeta l'ancre dans une baie de l'île ; le Père
230 ÉVÊQUES DE l'OCÉANIE
Mariste monta à bord, le capitaine lui offrit des provisions et du pain. Quand le religieux vit le pain, il se mit à verser des larmes, oh ! des larmes de reconnaissance et de joie, car il y avait douze ans qu'il n'avait plus goûté de pain. Le dialogue entre lui et nous se termina par cette espérance
non moins émouvante : daigne le Dieu de toute bonté faire retrouver aux restes d'Israël le pain de vie, le pain du ciel consacré et distribué pour la première fois dans leur pays.
CHAPITRE XXVII
Le Postulatum « pro Hebrœis » couoert de toutes les signatures épiscopales est porté par nous sur le glorieux tombeau du Prince des apôtres. — Promenade émouvante du Pape sur le Mont Palatin. — Le coucher du soleil sur les ruines du palais des Césars et sur les restes du peuple d'Israël.
I. Le Postulatum pour les Israélites arrêté par nous au chiffre de 510 signatures, afin de laisser la prééminence du nombre au Postulatum pour l'infaillibilité. Récapitulation, dans le journal L'Univers, de toutes les régions du globe, favorables, par les signatures de leurs Evêques, à notre sainte entreprise. — II. Quelle fut la dernière signature apposée à notre Postulatum : prévenance de délicatesse et d'amour qui l'a caractérisée. — III. Ineffable faveur qui nous est accordée de célébrer la Messe sur le glorieux sépulcre où repose le corps de saint Pierre : le cahier de toutes les signatures épiscopales était sur nos poitrines durant le Saint Sacrifice. — IV. Le Prince des Apôtres insinue, en quelque sorte, une réponse à nos espérances dans une promenade que Pie IX, son immortel successeur, vient faire sur le Mont Palatin. — V. Le
coucher du soleil sur les ruines du palais des Césars et sur les restes du peuple d'Israël ; le rôle touchant du crucifix dans le coucher de soleil relatif à l'ancien peuple de Dieu.
I
Notre Postulatum pro Hebrœis avait réuni 510 signatures. Nous aurions pu accroître le nombre, mais une déférence révérencielle nous fit rester à ce chiffre. Un Postulatum
232 AU TOMBEAU DE SAINT PIERRE
pour la définition de V Infaillibilité avait circulé parmi les évêques, il avait réuni 518 signatures. N'avionsnous pas dans l'Evangile un exemple admirable de cette déférence? Au jour de la Résurrection du Sauveur, les Apôtres prévenus par les saintes femmes avaient couru au Saint Sépulcre : Jean y arriva le premier, mais, par révérence, il s'arrêta à l'entrée pour laisser Pierre pénétrer avant lui. Conduits par cet aimable esprit de subordination, nous laissâmes la prééminence du nombre au Postulatum pour l'Infaillibilité, et nous arrêtâmes le Postulatum pro Hehreeis au chiffre de 510.
Un journal catholique, V Univers, récapitule, ainsi qu'il suit, les régions représentées par les signatures épiscopales en faveur des IsraéUtes ; il fait précéder cette récapitulation d'un petit prologue très flatteur pour l'entreprise des
deux frères.
Ce Postulatum, tout empreint de charité et de tendresse, ia été signé par 510 évêques.
Il eût suffi de quelques signatures pour introduire cette cause au Concile. Mais parce que le peuple juif est dispersé
à travers toutes les régions, dans toutes les îles, dans tous les coins du monde, les deux frères ont tenu à ce que tous les paVs, personnifiés dans leurs évêques, formassent comme une grande voix pour demander, après deux mille ans, la conversion des restes de Jacob. Dans la liste suivante, toutes les nations du globe sont donc représentées, excepté la Pologne, parce qu'on retient emprisonnés ses évêques.
Europe.
Italie 140 évêques
France 73 —
Autriche 29 —
Etats allemands 14 —
Espagne 33 —
COUCHER DE SOLEIL 233
Portugal 2 évêques
Grande-Bretagne 21 —
Hollande 4 —
Belgique 3 —
Suisse 8 —
Grèce 5 —
Turquie d'Europe 10 —
Asie.
Turquie d'Asie 35 évêques
Perse 1 —
Hindoustan et IndoChine 19 —
Chine et Japon 14 —
Afrique.
Afrique (Nord) 8 évêques
Afrique (Sud) 5 —
Amérique.
Etats-Unis 30 évêques ,
Canada 6 —
NouvelleEcosse 5 —
Mexique .5 —
Guatemala 3 —
Antilles 3 —
Brésil 4 —
Confédération Argentine 3 —
Chili 3 —
Equateur 4 —
Pérou 3 —
Venezuela 2 —
Guyane 1 —
234 AU TOMBEAU DE SAINT PIERRE
Océanie.
Manille 1 évêque
Australie 7 —
Nouvelle-Zélande 1 —
Archipels divers 5 —
II
Dans cette récapitulation des signatures, il en est 'une qu'il convient de mettre en un relief d'amour, parce qu'elle fut donnée la dernière, avec une suave énergie : c'est la signature qui tomba du cœur et de la main de Son Eminence le CardinalArchevêque de Bordeaux, Mgr Donnet.
Le vénéré prélat était d'origine lyonnaise. Le diocèse de Bordeaux doit, à son administration, une quantité de jolis clochers d'église. Son arrivée, sur le tard, au Concile, fut presque un événement; des affaires urgentes l'avaient retenu en France. A peine installé à Rome, il nous envoie chercher avec notre Postulatum, et nous dit : « Je veux signer, et quand même personne ne l'aurait fait, je signerais tout seul. J'aime les Israélites, et ils m'aiment. J'ai toujours devant mes yeux cette réponse de mon prédécesseur, Monseigneur de Cheverus. On lui reprochait d'être souvent avec les Juifs. « Ah î réponditil, si nous ne devons pas un jour nous rencontrer au ciel, laissezmoi le bonheur de les rencontrer sur la terre. » Je vais donc signer, et ma signature accompagnée de mes armes, sera providentiellement la dernière, ad finem fortiter, omnia suaçiter. Cette prévenance du vénéré Cardinal coïncida avec la fête de saint Joseph, patron de l'un de nous deux.
COUCHER DE SOLEIL
III
235
Une faveur ineffable nous fut accordée : celle de célébrer la Sainte Messe sur le corps même de saint Pierre, prince des Apôtres. Nous voulions obtenir l'appui fondamental de saint Pierre dans la réussite de la demande solennelle exprimée par les évêques dans le Postulatum pro Hebrœis. Descendus dans la crypte, nous portions sur notre poitrine, durant le Saint Sacrifice, le cahier des signatures. C'était
la première fois que saint Pierre recevait et lisait sur la poitrine d'enfants d'Israël devenus prêtres catholiques, la demande d'une réhabilitation du peuple juif, signée par tout l'épiscopat. Moment solennel ! démarche incomparable. Mieux que le grand prêtre Aaron qui portait, gravé sur le rational, les noms des douze tribus d'Israël, nous portions sur nos poitrines les noms de toutes les tribus catholiques venant redemander les tribus d'Israël, pour les embrasser et ne former ensemble qu'un seul peuple.
Avec quel frémissement aussi avonsnous prononcé, en croisant les mains sur le calice, ces paroles qui font partie de la consécration du Précieux Sang, qui pro vohis et pro multis effundetur in remissionem peccatorum ; ô bon Jésus, ô bon Sauveur, l'effusion de votre Précieux Sang nous a été apphquée à tous deux pour la rémission de nos péchés; mais que maintenant ce Précieux Sang se répande sur beaucoup d'enfants d'Israël, sur tous, comme le fait espérer la toute puissante prière de la consécration, pro multis effundetur. saint Pierre, que notre supplication d'amour et de pardon ne s'évanouisse jamais de la crypte où vous reposez, pas plus que le feu sacré ne s'éteignait dans l'ancien Temple de Jérusalem.
16
236 AU TOMBEAU DE SAINT PIERRE
IV
A quelques jours de là, notre prière dans la crypte au tombeau du Prince des Apôtres reçut, en quelque sorte, sa réponse dans une promenade que le Pape Pie IX vint faire sur le mont Palatin.
C'est sur cette colline fameuse de Rome que sont entassées les ruines des palais des Césars. De même que la géologie est arrivée à compter les siècles du monde par les débris des animaux fossiles qu'elle trouve dans les couches terrestres, de même l'archéologie compte ici les siècles des Césars par les débris superposés de leur splendeur: il y a le palais d'Auguste, la maison d'or de Néron, le palais de Caligula, le palais de Domitien, le palais de Tibère, antiquités somptueuses, colonnettes de marbre, vases de jaspe, fragments de porphyre.
Le Pape arrive : quel coup d'œil saisissant, et quel contraste dans ces vieilles antiquités retrouvées, ces palais des Césars sortant de leur tombe en présence du pêcheur immortel de la Galilée qui vient les visiter, lui toujours vi
vant dans son successeur ! C'était le printemps, la verdure naissante faisait fête à la robe blanche du Pape, et ces ruines se ranimaient pour le saluer. Tout à coup. Pie IX passe devant nous et, nous donnant sa main à baiser, il s'écrie avec son angélique sourire : « Voici aussi les antiquités de l'ancienne loi. » En effet, nous aussi, nous étions les antiquités de la loi mosaïque faisant pendant aux antiquités de la gentilité païenne pour acclamer le représentant de JésusChrist, et nous aussi nous revivions sur son passage et sous sa bénédiction.
COUCHER DE SOLEIL 237
V
Un autre gage de la réponse du Prince des Apôtres nous fut donné dans le coucher du soleil sur ces ruines du Palatin.
A la fin d'une journée, lorsque le soleil est sur le point d'abandonner l'horizon, le charme des ruines devient magique. A cet instant du crépuscule où, de la part de la nature et de la part du soleil, semble s'exprimer comme un regret mutuel de se quitter, si les derniers rayons de lumière
rencontrent des ruines, il en résulte un effet de beauté presque indescriptible. Sous cet adieu de la lumière, elles prennent une teinte rose, elles oublient un instant leurs aspects austères et mélancoliques : il se livre une sorte de combat entre la mélancohe de ces ruines et la sérénité de la lumière, et la sérénité devient plus belle au contact de la mélancolie ! Ce moment dans la campagne est sublime, on n'en perd jamais le souvenir. Si au dernier instant de la journée, les ruines fournissent ainsi à la lumière ses effets les plus émouvants, nous en dirons autant des âmes qui ont péché, qui se sont repenties, mais qui, n'ayant plus le temps de réparer leurs ruines, s'adressent à la charité ou à l'amour pour obtenir d'être illuminées et transfigurées à leur dernier soir. Car la charité ou l'amour, voilà le moyen qui répare avec célérité, et néanmoins avec perfection.
Mais cet amour a, comme le soleil, une forme sensible et des rayons. Quels sontils?
Une pauvre femme allait mourir. Un prêtre, à ses côtés, cherchait à consoler et à bénir sa dernière heure. Mais il n'y parvenait pas, car cette femme avait beaucoup péché. Comme il ne cessait de la conjurer d'avoir pitié de son âme et de se confier à la miséricorde, la pauvre femme se soulève éplorée, et, étendant ses mains : « Comment voulez
*238 AU TOMBEAU DE SAINT PIERRE
VOUS, s' écrie1elle, que je me présente avec confiance devant Dieu? Regardez... mes mains sont vides, je n'ai rien à lui offrir. »
Et, en même temps, par un mouvement convulsif de désespoir, elle écartait tous ses doigts les uns des autres, pour bien faire comprendre le vide de ses œuvres. L'amour a des éclairs, autant et mieux que le génie. Avec un geste rapide, le bon prêtre s'est empressé de placer un crucifix entre ces doigts crispés. « C'est vrai, ditil à la mourante, vos mains étaient vides ; mais vous pouvez mourir avec confiance, car maintenant elles sont pleines de NotreSeigneur JésusChrist. » Le visage de la pauvre femme s'illumina, elle confessa ses fautes et expira avec un remerciement. C'était le coucher de soleil sur les ruines !
Dans cette soirée inoubliable où le soleil jetait ses derniers feux sur les ruines du Palatin, alors que la robe blanche du Pape s'éloignait dans le crépuscule, le souvenir de cette pauvre femme nous revint à la mémoire, et la manière touchante dont elle finit sa vie, le crucifix entre ses mains, nous fit demander au Dieu d'amour un semblable coucher de soleil sur les restes d'Israël. Un jour viendra où les yeux de notre pauvre peuple se rempliront de larmes en considérant le crucifix, il le pressera sur son cœur, il lui demandera pardon en le couvrant de baisers : ce sera le plus beau coucher de soleil sur les ruines de l'ancien peuple de Dieu bénies au Palatin par Sa Sainteté Pie IX.
CHAPITRE XXVIII
La procession du jour des Rameaux dans la basilique Saint-Pierre.
Prélude à l'Hosanna des restes d'Israël. — IL Tous les journaux, sur notre pressante demande, publient la récapitulation des signatures épiscopales que nous avons obtenues : c'est comme un frémissement de palmes autour de notre sainte entreprise. Rencontre de la célèbre voie Appienne qui servait de passage aux légions pour porter les ordres de Rome jusqu'aux extrémités de l'Empire : les voies ferrées, avec leurs chars de feu, substituées à la voie Appienne et aux légions, ne servir onteUes pas à ramener vers Rome et Jérusalem les groupes des fils d'Israël agitant des palmes avec unhosanna indescriptible? — III. Magnifique procession des Evêques dans la basilique Saint-Pierre ; l'agitation de nos palmes, avec l'hosanna de nos cœurs, sur le passage de Pie IX ; quand le chant de la Passion s'est fait entendre, un gémissement de pardon est sorti de nos poitrines à ce poignant rappel : Sanguis ejus super nos. — IV. Analogie d'exultation et d'allégresse : nos âmes inondées de joie et nos yeux remplis de larmes au chant de l'ovation faite à Jésus par Jérusalem, au jour des Rameaux. Daigne le Ciel renouveler cette ovation.
I
C'est minuit, la première minute de la journée des Rameaux; nous tombons à genoux dans notre chambre du séminaire. Préluder ensemble au royal hosanna d'Israël repentant, quelle émotion, quel bonheur ! « Hosanna, hosanna au Fils de David ! )> Béni soit celui qui revient vers nous au nom du Seigneur, hosanna, à jamais hosanna.
240 LE JOUR DES RAMEAUX
Après bientôt deux mille ans, nous venons vous le dire, Seigneur Jésus, au nom de notre peuple. Le pauvre Juif-Errant a assez marché, assez cherché, assez souffert. Hosanna, nous vous le disons de nos lèvres tremblantes, oh ! que tout Israël le répète après nous et le fasse retentir avec tous les transports d'un amour en retard. Seigneur, vous aviez dit aux habitants de Jérusalem qui avaient refusé de se rassembler entre vos bras et d'imiter le rassemblement des petits de la poule sous ses ailes : « Vous ne me reverrez plus désormais, jusqu'à ce que vous disiez : Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur. )> Eh bien, ô divin Messie, devant le prélude de notre plaintif hosanna, vous pouvez maintenant vous montrer à vos frères en leur disant: « Je suis Joseph que vous avez vendu et qui vous aime encore. ))
II
A l'aurore, toute la presse européenne faisait écho à notre hosanna de minuit. Nous avions pris soin d'écrire par avance aux principaux journaux, surtout ceux de France et d'Italie, les supphant de venir en aide à notre sainte entreprise en insérant au jour des Rameaux la récapitulation faite par le journal VUnwers des signatures épiscopales ; ces signatures représentaient toutes les régions du globe où l'on rencontre des Israélites. Le lecteur n'a qu'à remonter au précédent chapitre, paragraphe 1^^, pour se remémorer cette récapitulation. Nous demandions aux journaux de publier cette liste éloquente au jour des Rameaux parce que c'était la journée triomphale où notre peuple avait solennellement reconnu le Messie. Nous disions aux journaux que leur acte de complaisance serait, en quelque sorte, le renouvellement de la lettre de saint Pierre écri
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DANS SAINT-PIERRE 241
vant, en ces termes, aux chrétiens de l'AsieMineure sortis du judaïsme : « Pierre, apôtre de Jésus-Christ, aux fidèles qui sont étrangers et dispersés dans les provinces du Pont, de la Galatie, de la Cappadoce, de l'Asie et de la Bithynie, qui sont élus pour recevoir la sanctification du Saint-Esprit et obéir à JésusChrist. »
Tous les journaux, faisant acte de complaisance, s'étaient empressés de publier, au jour des Rameaux, la récapitulation des signatures épiscopales: c'était comme un frémissement de palmes agitées autour de notre hosanna et de notre Postulatum.
Notre imagination guidée par notre cœur ajouta un complément à l'acte de complaisance des journaux. Nous avions, dans nos visites aux évêques, rencontré à diverses reprises la célèbre voie Appienne. Reine des routes, comme elle est appelée, la voie Appienne compte aujourd'hui au-delà de deux mille ans d'existence ; elle avait été commencée l'an 312 avant Jésus-Christ, elle traversait l'Italie jusqu'à Brindes, présentant une étendue de 558 kilomètres avec vingt mètres de largeur ; sa construction avait exigé des efforts surhumains, elle était formée d'énormes quartiers de laves. Sur les deux côtés, des mausolées, des temples, des arcs de triomphe la décoraient. A quoi servait cette reine des routes? au passage des légions romaines qui allaient porter jusqu'aux extrémités les plus reculées de l'empire les ordres de Rome ; et, chose remarquable, la voie Appienne se continuait sous une forme ou sous une autre, mais toujours avec des blocs de pierre indéracinables, dans tous les pays où devaient passer les légions romaines. La divine Providence préparait, sans que Rome païenne s' en doutât, le chemin à l'Evangile ; et Dieu qui traite les peuples avec une souveraine révérence devait, par un sublime anagramme ou transposition de lettre, faire de Roma, en retournant le mot, Amor, et récompenser ainsi la ville des Césars d'à
242 LE JOUR DES RAMEAUX
voir, par sa voie Appienne et ses légions, préparé la propagation et le règne de l'Evangile.
Eh bien, notre imagination guidée par notre cœur, substituait, à la voie Appienne, les voies ferrées qui sillonnent, à cette heure, toutes les régions de la catholicité et sur lesquelles circulent, à toute vitesse, des chars de feu en voyage, et nous rappelant les termes de la promesse de miséricorde que le Seigneur se plut à faire aux restes d'Israël par le prophète Isaïe : Je dirai à V aquilon : Donnez-moi mes enfants ; et au midi : ne les empêchez point de çenir. Nous apercevions des chars de feu ramenant par groupes les enfants d'Israël avec des palmes dans leurs mains ; et dans quelle direction couraient-ils? Vers deux villes qui appartiennent à Jésus dans un domaine inaliénable, Rome et Jérusalem. Et nous entendions dans ces deux villes un frémissement de palmes ininterrompu avec un hosanna indescriptible.
III
Des espérances bibliques, passons à la réalité historique.
C'était donc le jour des Rameaux; nous venions d'entrer dans la basilique SaintPierre, avec des palmes dans nos mains et nous nous plaçâmes sur le passage de la superbe procession des évêques. Le directeur du journal parisien, V Autorité, nous ayant aperçus, fit paraître cette note dans son journal : « Ce matin, pendant que la procession épiscopale se déroulait sous les voûtes de SaintPierre, il me semblait voir les statues des fondateurs d'Ordres, qui ornent les murs de la basilique, se mettre elles-mêmes en mouvement et se mêler aux rangs de nos évêques avec leurs bataillons monastiques. Eh bien ! il faut espérer que, grâce à l'initiative des abbés Lémann, la nation juive elle-même
¥
DANS SAINT-PIERRE 243
va se mettre en marche vers JésusChrist, dans les rangs de cette immortelle procession qu'on appelle l'Eglise catholique, apostoUque, romaine. » (Léon Gautier.)
A la fm du magnifique cortège, marchait le Souverain Pontife. Lorsque Pie IX passa devant nous, comme il représentait NotreSeigneur JésusChrist, nous agitâmes nos palmes, répétant plusieurs fois avec délices au nom du peuple juif : Hosanna filio David, benedictus qui çenit in nomine Domini. Nous aurions voulu le crier tout haut, avec toutes les tribus d'Israël.
Mais voici le chant de la Passion devant les évêques de tout l'univers. A ces paroles : Sanguis ejus super nos et super filios nostros, nous avons courbé la tête, accablés par dixneuf siècles de souffrances, et au nom du peuple juif nous avons demandé pardon à tous ces évêques, c'est-àdire à tout l'univers. Oh ! pitié sur nous, et exultabunt ossa humiliata, et nos os humiliés exulteront d'allégresse.
IV
Cette exultation, nous l'avions ressentie au moment de la bénédiction des Rameaux, lorsqu'un diacre montant à l'ambon avait lu dans le saint Evangile l'entrée triomphante
de Jésus dans Jérusalem. Il avait commencé à évoquer les souvenirs de Noé à qui la branche d'olivier, apportée par une colombe, annonça la fin du déluge, et de Moïse dont le peuple, à sa sortie d'Egypte, vint camper à l'ombre de soixantedix palmiers. Ensuite avait retenti à nos oreilles, la joyeuse et suave prophétie de Zacharie : Tressaille d'al
légresse, fille de S ion ; livretoi aux transports de la joie, fille de Jérusalem ; voici ton Roi qui vient vers toi ; il est le Juste et le Sauveur. Il est pauvre, et il s'avance monté sur
Vânesse et sur le petit de Vânesse. Enfin, le récit de l'ovation
244 LE JOUR DES RAMEAUX DANS SAINT-PIERRE
faite à Jésus par tout Jérusalem fit couler les larmes de nos yeux : « Le peuple en foule étendait ses vêtements le long de la route ; d'autres coupaient des branches d'arbres et les jetaient sur le chemin ; et toute cette multitude, tant ceux qui précédaient que ceux qui suivaient, criaient et disaient: Hosanna au fils de David! béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! » Comment la branche d'olivier apportée par la colombe, le bosquet des soixantedix palmiers, la joyeuse annonce du prophète Zacharie à la fille de Sion, le foules étendant leurs vêtements et jetant des rameaux à l'entrée de Jésus dans Jérusalem, comment tous ces souvenirs n'auraient-ils pas suscité en nos âmes l'exultation de l'allégresse? Nous apercevions comme réels, tous ces spectacles, nous en demandions le renouvellement au Dieu des miséricordes, et tout notre cœur passa, en quelque sorte, dans cette oraison chantée par le prêtre : « Dieu toutpuissant et éternel, qui avez envoyé la foule du peuple au devant de JésusChrist NotreSeigneur monté sur l'ânesse, et leur avez inspiré d'étendre leurs vêtements, de jeter des branches sur son passage, et de chanter hosanna à sa louange ; faites-nous la grâce d'imiter leur innocence, et
d'avoir part à leur mérite. »
CHAPITRE XXIX
li/ous présentons à Sa Sainteté Pie IX la supplique qui a réuni 510 signatures.
I. Notre audience le 26 mars 1870. Dialogue paternel et filial. Pie IX accepte notre Postulatum, avec cette ineffable promesse : qu'il le remettra lui-même au Concile. C'est, en effet, le seul postulatum que le Pape ait accepté comme sien. — II. Coutume f estivale : La première pierre des édifices a toujours été placée avec pompe et allégresse ; la journée de notre audience est équivalente à la pose de la pierre fondamentale du retour d'Israël. — III. Portrait de Pie IX notre insigne bienfaiteur. Sa sensibilité exquise. Deux actes de cette sensibilité où s'enchâsse la cause d'Israël : l'un concernant Jésus dans son Tabernacle eucharistique ; l'autre, la Vierge Marie notre sœur immaculée.
I
Après avoir recueilli toutes les signatures épiscopales, nous sollicitâmes l'honneur de les présenter à Sa Sainteté. Il était nécessaire que, sur ce recueil, le regard du successeur de Pierre fût une confirmation et une bénédiction.
Notre audience eut lieu le 26 mars, octave de la fête de saint Joseph, à quatre heures du soir.
Nous étions seuls auprès de Pie IX. En nous apercevant, Sa Sainteté daigna nous dire en souriant : « Voilà les deux « frères israélites, les deux prêtres qui ont beaucoup de
246 NOUS PRÉSENTONS A PIE IX
« zèle pour le salut de leur peuple. Oui, mes enfants, vous « êtes fils d'Abraham, et moi aussi. Ah! pour recueillir tou« tes ces signatures, vous avez dû bien marcher, bien vous « fatiguer. »
Nous répondîmes : « Oui, Très SaintPère, nous avons bien marché ; personnifiant en nous tout notre peuple, nous étions le juif errant, et le juif errant a terminé ses courses en montant les escaliers de tous les évêques du monde réunis à Rome. A Rome, nous avons fait une dernière fois le tour du monde. »
Et Pie IX reprit avec tendresse :
« Mes enfants, j'accepte votre Postulatum. Je le remettrai moi-même au secrétaire du Concile. Oui, il convient, oui, il est bon d'adresser aux Israélites quelques paroles d'exhortation et d'encouragement. Votre nation a dans les Ecritures des promesses certaines de retour. Si la vendange ne peut pas se faire encore tout entière, que le Ciel nous accorde au moins quelques grappes. »
Et alors prenant notre Postulatum, il dit à un camérier : « On le remettra de ma part au secrétaire du Concile. » Le ciel à ce moment s'était comme ouvert sur nos têtes; on le remettra de ma part au secrétaire du Concile ! Pie IX approuvait nos travaux. Pie IX se chargeait lui-même de la cause de notre peuple : oh ! quel moment, quelle parole. C'est le seul Postulatum qu'il ait lui-même envoyé î
Nous étions tombés à genoux. « Mes enfants, nous dit Pie IX, vous travaillez pour vos frères, c'est une vocation. » Nous couvrions ses mains de baisers, nous nous écriâmes : « Merci, ô Très Saint Père, merci ! oh ! donneznous à présent une bénédiction pour notre peuple, et surtout une bénédiction spéciale pour notre chère famille qui est toujours juive. Et le Pape nous bénissant tendrement, nous dit ces dernières paroles : « C'est bien, mes enfants, vous voulez faire pour eux ce qu'a fait Moïse : les délivrer. »
LA SUPPLIQUE DES SIGNATURES 247
II
Une des plus belles coutumes de l'humanité a été de fêter toujours la pose des premières pierres. Les anciens pla
çaient la pierre fondamentale des édifices au milieu des chants, des cris de joie, et du son des instruments. Job représente même les anges qui avaient été créés avant les hommes, comme poussant des cris de joie au moment où Dieu s'apprête à poser les fondements de la terre. Cette coutume est pleine d'espérance : parce qu'on a posé la pierre fondamentale, on voit déjà en espérance tout l'édifice.
Eh bien, au sortir de notre délicieuse et inoubliable audience auprès de Pie IX, nous nous disions, l'un à l'autre, avec des transports d'allégresse : Mon frère, soyons pleins d'espoir en la cause de notre peuple, car nous avons baisé ces mains qui, depuis cinquante ans n'ont pas cessé de bénir, nous avons embrassé ces pieds qui affermissent partout où ils se posent,' nous avons bu ces paroles de vie qui
font palpiter les cœurs, et nous avons pu lui dire : « Vicaire de JésusChrist, nous entrevoyons déjà l'entrée des restes d'Israël dans l'Eglise de Dieu, parce que vous avez pris en mains la cause de notre peuple avec une amoureuse révérence. »
III
La reconnaissance nous fait placer ici le portrait de notre insigne bienfaiteur.
On a donné de la sensibilité humaine, cette belle définition : « qu'elle est en quelque sorte l'âme de notre âme, et en anime toutes les facultés. » Jamais définition n'a mieux trouvé son application qu'en celui qui devait être Pie IX.
248 NOUS PRÉSENTONS A PIE IX
La sensibilité était vraiment F âme de sa belle âme. Toutes ses autres facultés étaient incontestablement merveilleuses: intelligence vive, regard pénétrant, tact exquis, cœur aimant, mémoire qui prenait sa source dans son cœur. Mais la sensibilité dominait ce riche fond, pénétrait tout, agrandissait tout, attendrissait tout, elle était vraiment l'âme de son âme et animait, en les rehaussant, ses autres facultés.
En preuve de cette riche et bienfaisante sensibilité, il nous suffirait de prendre à témoin les paroles et le geste protecteur de l'auguste Pontife sur notre Postulatum. Mais il nous plaît de greffer la cause d'Israël sur deux actes de sensibihté concernant, l'un, Jésus en son Tabernacle eucharistique, l'autre, la Vierge Marie notre sœur immaculée.
Pie IX, admettant un jour en sa présence quelques religieuses, les conduisit dans sa chapelle privée où l'on conservait le Très Saint Sacrement. Il leur dit alors avec une grâce exquise : « Le pauvre Pape a besoin, lui aussi, d'être un peu seul avec Jésus ; j'ai tant de choses à lui dire, tant de lumières à lui demander, tant de conseils, tant de grâces ! )) Puis s' étant mis à genoux avec elles et ayant prié un instant, il se releva, ouvrit le tabernacle, leur fît voir, sur la partie interne de la petite porte, un monogramme du nom de Jésus en diamants et ajouta : « Je mets là tout ce que j'ai de plus beau et de plus précieux ; tout pour lui, c'est le grand Seigneur et Maître. » Ces paroles, il les prononça avec une telle onction, tant de piété et d'amour, que les religieuses en furent émues et édifiées.
restes d'Israël, quand la miséricorde divine vous accordera la grâce de l'illumination, emparezvous de l'affirmation de Pie IX sur le Christ présent au Tabernacle eucharistique : « C'est le grand Seigneur et Maître », et à votre tour mettez à ses pieds ce que vous aurez de plus beau et de plus précieux.
LA SUPPLIQUE DES SIGNATURES 249
L'autre acte de sensibilité concernant la Vierge Marie, notre sœur immaculée, s'est produit dans la solennelle journée où Pie IX décréta le dogme de l'Immaculée Conception. Les personnes qui, ce jourlà, se trouvaient dans la basilique vaticane attestent avoir vu le Souverain Pontife comme transformé et transfiguré, pendant la lecture du décret : sa voix était extraordinairement sonore et vibrante malgré l'émotion qui le secouait : son visage était radieux, baigné de douces larmes et tout empourpré par l'ardeur de son amour.
On remarqua, comme une merveille, ce fait qu'au moment où Pie IX lisait la définition dogmatique, le ciel nuageux s'éclaircit et qu'un rayon de soleil pénétrant la nue vint, à travers la fenêtre de la coupole, le frapper en plein visage et irradier toute sa tête.
Une personne pieuse, de ses intimes, lui ayant un jour parlé de cet incident, il lui dit : « Ce que j'ai éprouvé, ce que j'ai appris, en définissant ce dogme, nulle langue humaine ne saurait l'exprimer. Tandis que, par les lèvres de son Vicaire, Dieu lui-même proclamait le dogme, il mit dans mon esprit une connaissance si lumineuse et si large de la pureté incomparable de Marie, que mon âme, perdue dans l'abîme de cette connaissance, demeura inondée d'ineffables délices, délices qui n'étaient pas de la terre et qu'on ne peut éprouver qu'au ciel... Je ne crains pas d'affirmer que le Vicaire de Dieu eut alors besoin d'une grâce particulière pour ne pas mourir de bonheur, sous l'impression de cette connaissance et de ce sentiment de la beauté incomparable de Marie Immaculée. »
restes d'Israël, daigne la même grâce d'illumination, qui vous fera tomber à genoux devant le Tabernacle eucharistique, vous inonder de joie et de tendresse devant la beauté sans tache de la Vierge Marie, et vous faire dire,
à la suite de Pie IX : « On voudrait mourir de bonheur.
250 NOUS PRÉSENTONS A PIE IX
SOUS Fimpression de cette connaissance et de ce sentiment de la beauté incomparable de Marie Immaculée. » Au bas de ce portrait, nous apposons avec délices une parole que nous a dite à nous-mêmes, Son Eminence le Cardinal Franchi, un des présidents du Concile œcuménique du Vatican :
Pie IX, c'est le Pape de l'amour.
CHAPITRE XXX
Les cinq cent dix signatures. Touc fiante humilité de Mgr Dupanloup, éoêque d'Orléans.
I. La liste des signatures épiscopales en faveur des restes d'Israël est un monument. — IL Acte de touchante humilité de Monseigneur Dupanloup, évêque d'Orléans, apposant sa signature audessous de la signature de Monseigneur Pie, évêque de Poitiers.
SACRO CONCILIO VATIGANO.
A Sacra Œcumenica Synodo Vaticana infra scripti Patres humillima instantique postulant prece ut et miserrimam Hebrseorum gentem paterna quadam invitatione dignetur prœvenire : scilicet votum exprimere, ut tandem lon
gissima inutilique expectatione lassati, ad Messiam Salvatorem nostrum vere promissum Abrahae et à Mose praenuntiatum festinent accedere : sic perficientes coronantesque religionem Mosaicam, non mutantes.
Postulati rationes
Ex una parte, infra scripti Patres firmissimam tenent fiduciam fore ut Sacrosancta Synodus Israelitarum mise
17
252 LES CINQ CENT DIX
reatur, quia semper sunt Deo carissimi propter patres, et quia ex eis est Christus secundum carnem.
Ex altéra parte, iisdem Patribus dulcis est interna spes hoc votum honoris necnon dilectionis, adjuvante Spiritu Sancto, hbenter accepturum iri a pluribus Abrahse fiUis : quia vetera, quibus detinebantur, obstacula videntur nunc evanescere, jam diruto antiquœ divisionis muro.
Utinam igitur citius acclament Christum, dicentes : Hosanna Filio David ! Benedictus qui venit in nomine Domini !
Utinam ad Brachia advolent Immaculatse Marise, quse, jam ipsorum Soror secundum carnem, vult ipsis esse sicut et nobis Mater secundum gratiam !
t Henricus, episcopus Nemausensis.
t Aloysius Kobès, episc. Methonensis, vie. apost. Sene
gambise. t Jos. ar. episc. Bellovacensis, Nov. et Syl' t Renatus Corisopit. epûs. t Ludovicus Theophilus, episcopus Blesiensis. t R. F. Archiep. Cameracensis. t Joseph Audu, Patriarche des Chaldéens. t Georgius Ebedyesus Khayath. Archiep. Amadiensis. Ritus Chaldaici. Elia giov. Vescovo d'Akra. t Timothseus Attar, Archiepiscopus Chaldaeus Amidse seu
Diarbekir. t loannes épis. Lingonensis. t C A. Archiep. Bituricensis. t J. A. Maria episc. Mimatensis. t Fr. Gard. Schwarzenberg, archiepis. Prag. t Ludovicus, episc. Ruthenensis. t Andréas, ep. Argentinus.
SIGNATURES 253
t Plav. Archiepis. Tolosensis.
t Fredericus Archiep. Olomûs.
t Theodorus episc. Leodiensis.
t Gaspar, episc. Hebron, aux. Genevensis.
t Aloisius, épis. Veronensis.
t Fr. Emmanuel, Archiepiscopus Cœsaraugustanus.
t Fr. Joseph Sadoc, o. p. archiepiscopus S. Francisci.
t Vinc. Spaccapietra, Archiepiscopus Smyrnensis, Asiae
minoris, qui enixis precibus id postulat, cum innumeri
sint in sua disecesi et apostolico vicariatu ludsei.
t Cayetanus Rossini, Archiepiscopus Episcopus Melphicti,
Juvenacen et Terltianus. t Innocentius Sannibale epûs Eugubinus. t Edmundus Franciscus Guierry, ep. Danabensis. t Thaddœus, C. M. Episcopus Montereyensis et Ange
lorum. t Petrus Paulus, episcopus Foroliviensis. t Franc. Xav. Archiepis. Surrentinus. t Joseph, epûs Tran^ et Nazarenus. t Augustus, ep. Meldensis. t Ignatius, epûs Ratisbonensis. t G. Antonius, epûs Herbipolensis. t Vincentius, episcopus Brixinensis. t Adrianus Languillat S. J. epûs Sergiopolitanus. vie.
apost. Nankinensis. t Eduardus Dubar S. J. Epûs Canathensis, vie. Apost.
Tcheli merid. orientalis. t Joseph Maria episcopus Faliscodunensis. t lanuarius M episcopus Anglonensis et Tursiensis. t Antonius, episcopus Placentinus. t Lud.-Eugenius, épis. Carnutensis. t Car. Frid., episcopus Sagiensis. t Stephanus, episcopus Bethleemensis. t Garolus , epûs Astensis.
254 LES CINQ CENT DIX
t Carolus Joannes Greith, episc. Sangallensis in Helvetia.
t Eugenius episcopus Basieensis.
t Frûs Archiepûs Barensis.
t Henricus, Episcop. Gandaven.
t Petrus, epûs Carolinopolitanus.
t C. F. epûs Arichatensis.
t Joannes epûs Nicopolitanus.
t Joannes epûs Abilensis.
t Stephanus, Episcopus Lausannensis et Genevensis.
t Petrus Joseph, episcopus Sedunensis.
t Petrus, episcopus Aniciensis.
t Conceptus Epûs Lystrensis. ,.
t Joseph Giagia, Archiepiscopus Maronitarum Cipri.
^r'J Jj ^ Cr' J'.
t Joseph Matar, Archiepiscopus Maronitarum Aleppi.
t Petrus Bostani, Archi. Tyri et Sidonis.
t Timotheus O'Mahony, epûs Armidalensis, Austraha.
t Daniel Murphy, ep. Hobartoniensis, Austraha.
t Fehx, ep. Lemovicensis.
t Henricus Eduardus Archiepûs Westmonasteriensis.
Tu autem fide stas : Noli altum sapere, sed time.
Rom. XI, 20. Pax super Israël. t Conradus Martin, episcopus Paderbornensis.
t Marianus, Archiep. Valentinus, Hisp^®.
t Armandus Renatus, épis. S. Dionysii Réunion.
t Joannes Maria, episcopus Montis Albani.
t Fr. Ferdinandus, episcopus Abulensis.
t Ludovicus, episcopus Pictaviensis.
t Félix episcopus Aurelianensis.
t Robertus, episc. Beverlacensis.
t Gulielmus Bern ardus episc. Birminghamiensis.
SIGNATURES 255
t Gulielmus episc. Plymouthensis.
t Gulielmus episc. Salfordiensis.
t Jacobus, episc. Salopiensis.
t Walter Steins S. J. Archiep. Bostrensis, Vie apost.
Calcuttensis. t Alexius Canoz S. J. ep. Tamassensis, Vie. apost. Madu
rensis. t Fridericus Maria Zinelli, episcopus Tarvisinus. t Salvator Ep. Bolin. Vie. Cap. Gemiensis. t Raphaël Popoff, episc. administr. Bulg. unit. t Beniamino vecovo greco cattolico di Naplouse. t Aug. M Aloysius epûs Natchitochensis. t Léo Meurin, S. J. ep. Ascalonensis Vie. apostol. Bom
bayensis. t J. B. Miège, épis. Messen., Vie. apost. Kansas.
t Jacobus Etheridge episc. Toronensis, Vie. apost Guianee
Britannic. t Alexander Angeloni archiepiscopus Urbinatensis. t Antonius episcopus Belemensis de Para. t Aloisius episcopus Fortalixiensis. t Petrus episcopus S. Sebastiani Fluminis Januarii. t Sebastianus, episcopus S* Pétri Fluminis Grandensis
Australis. t Alexander Arehiepûs Taurinensis. t Jacobus Ant. ep. Ambian. t Petrus Maria, epûs Casalensis. t Aloisius Archiepiscopus Mediolanensis. t Eleonorus episcopus Montis Alti. t Antonius Arehiepûs Salernitanus. t Leonardus, episcopus Aseulan. et Cereniolensis. t Salvator episcopus Cavensis et Sarnensis. t Joannes epûs Derthonensis. t Laurentius episcopus Pineroliensis. t Joannes Baptista, episcopus Sulcitan ecclesiensis.
256 LES CINQ CENT DIX
t Carolus episcopus Regiensis in .^milia. t Joannes Petrus, episcopus Bugellensis. t Antonius, episcopus Alexandrin. t Laurentius, episcopus Salutiarum. t Joannes, episcopus Feicoviensis. t Franciscus Leopoldus Eps Eystettensis. t Joannes Archiepûs Strigoniae et primas Hungariae. t Ludovicus Anna, Archiep. Avenionensis. t John B. Purcell, Archevêque de Cincinnati. t Jacobus Wood episc. Philadelphiensis. t Maurice de St. -Palais évêque de Vincennes. t Joannes Quinlan, epûs Mobiliensis.
t Gulielmus 0' H ara, ep. Scrantonensis. t Eduardus Fitzgerald ep. Petriculanus. t J. Shanahan epûs Marisburgensis. t Augustinus Verot, épis. Savanensis. t Gulielmus Henricus Elder, episc. Natchsezensis. t P. N. Lynch, episcop. Carolopolitanus. t John Williamus ep. Bostoniensis. t Joannes Longhlin ep. Brooklyniensis. t Ricardus Whelan, ep. Whelingensis. t JRooswelt Bayley ep. Novarcensis. t T. MuUen ep. Eriensis. t Joannes Comroy epûs Albanensis.
t Jacobus Gibbons epûs Adramyttensis, vie. apost. Caroline Septentrionalis. t Guilelmus Emmanuel, epûs Moguntinus. t Andréas Casasola Archiepiscopus Utinensis. t Georgius Butler episcopus Limericensis. t Nicolaus Conaty, epûs Kilmorensis. t Joannes Brady epûs Perthensis. t Nicolaus Porver epûs Sareptensis. t Joannes Archiepiscopus Tuamensis. t Valerius epûs Gallipolitanus.
SIGNATURES 257
t F. G. Archiepiscopus Melitensis.
t Antonius epûs Gaudisiensis.
t Joseph epûs Lunen et Sarzanensis.
t Joseph epûs SenogalHensis.
t E. J. Moran epûs Kingstoniensis.
t Fr. Joseph Novella epûs Patarensis.
t Fr. Raphaël de Ambrosio Archiepûs Dyrrachiensis.
t Fr. Gabriel Capaccio episcopus Mellipotamensis.
t Fr. Eustachius Zanoli episcopus Eleutheropolitanus vie.
apost. de Hupé in Sinis. t Fr. Fidelis Abbati episcopus Sanctorinensis. t Laurentius Bergeretti Archiepûs Naxiensis. t Petrus Apolian Archiepiscopus Marascencis. t Ignatius Calibgian Archiepiscopus Amasise. t Antoninus episcopus Giennensis (in Hispania Jaen). t Fr. Hilarius Alcazar epûs PophensiS; vie. apost. Tun
quini Orientalis. t Jacobus Bahtiarian Archiepiscopus Amidae. t Stephanus Melchisedech episcopus Erzerumiensis. t Léo Korkoruni Archiepiscopus Melitenensis. t Antonius Halaii episcopus Artuinensis. t Petrus Tiltrian epûs Brassensis Bithyniae. t Stephano Israelon, ves. di Karpath. t Antonius Petrus IX Massun Patriarcha Ciliciensis Arme
norum. t Jean Hagian arciv. di Cesarea in Cappadocia. t Gregorius Balition, Archiepiscopus Alepi. t Anselmus Fauli, episcopus Grossetanus. t J. Raphaël Corradi epûs Balneoregiensis. t Michaël Adrianus Hankinson epûs Portus Ludovici. t Gregorius Jussef Patriarca Antiochenus Graeco Catholicus. t Ignatius Accani Arch. di Bosra et Hauran.
t Agabius Doumani Vesc. di Acri.
258 ' LES CINQ CENT DIX
t Basilio Nasser Vesc. di Balbek.
t Carolus Archiepiscopus Algeriensis.
t Fr. Aloisius Ciurcia Archipûs Irenopolitanus Vie. et de
legat. apost. Aegypti et Arabise. t Fr. Darius Bucciarelli Archiepûs Scopiensis. t Fr. Angélus Kralyevic episcopus Metellopolis et Vica
rius apostolicus in Hergovina. t Fr. Paschalis Vuicié epûs Antiphellensis, Vie. apost.
in Bosnia. t Fr. Aloysius Moccagatta, ord. min. epûs Zenopolitanus
Vie. apost. in Ghiantun. t Fr. Eligius Cosi, ep. Prienensis, coad. de Scianton. t Paolo Hatem Arcives. d'Aleppo e Seleucia et Cyrus greco
unit.
t Ambrosius Abdo epûs Zahlehensis.
r^\l^\ 'îX^^^jiy^\ ^J\J i^y:-.J^M t Claudius Maria Dubuis epûs Galvestonensis prov. Texas
in Statibus Fœderatis. t Joannes Farrell epûs Hamiltonensis. t J. Hippolytus Archiepiscopus Turonensis. t Jacobus episcop. Cersemensis. t Pelagius A. Archiepûs Mexicanus. t Carolus Maria episcopus Angelopolitanus. t Augustinus epûs Nivernensis. t Victor Félix, archi. Sen*^. t M. Julianus, epûs Diniensis. t Fr. Mac-Farland epûs Hartfordiensis. t Daniel Mac-Gettingan epûs Rapotensis. t Paulus Angélus Ballerini Patriarcha Alexandrinus Latini
ritus. t Joannes Petrus episcopus Constantiensis et Abrincensis.
SIGNATURES 259
t P. Marie Charles Poirier, év. de Roseau et des Iles Danoises.
t Joseph Archiep? Tarent?
t Joannes Baptista epûs Verulan.
t Thomas Grimley episc. Antigonensis Vie. apost Promontorii Bonse Spei.
t Clemens episcopus Pisauren.
t Hyacinthus Vera episcopus Megarensis Vicarius Apostolicus de Montevideo.
t Andr. Ign. Schaeppman Archiep. Ultrai.
t Gérard. P. Wilmer, epus Harlemen.
t J. B. Irenseus episcopus Oranensis.
t Augustinus episc. Briocensis.
t Ludovicus Elloy, episc. Tipasitanus.
t Laurentius Gillooly epûs Elphinensis.
t Patritius ep. Dunensis et Connorensis.
t O'Mea epûs Rossensis.
t Guillelmus Keane epûs Kloynensis.
t Cornélius Mac-Cabe epûs Ardaghadensis.
t Patricius Leohy archiep. Casseliensis.
t Franciscus Nicolaus episcopus Valentinensis in Galliis.
t Cyrille Behnam-Benni Archevêque Syrien de Mossoul.
t Dionigio Georgio Scelhot arcô Siro di Aleppo.
t Athanase Rafaël Ciarchi Archevêque Syrien de Babylone.
t Johannes Elia Casetme évêque de la Celle patriarchale.
t J. B. P. Leonardus, ep. Tutel.
t Fr. Thomas Michaël Salzano episc. Tanensis.
t Maximilianus Josephus Archiepûs Salisburg. Germanise
Primas. t Paulus Archiepûs Coloniensis.
260 LES CINQ CENT DIX
t Benedictus episcopus Tridentinus.
t Joannes Baptista Josephus episcopus Atrebatensis, Bolo
niensis et Audomarensis. t Joannes Julius episcopus Suessionensis et Laudunen
sis. t Jacobus M. A. Epûs Gratianop. t Georgius Markich, episcopus Catharensis in Dalmatia. t Marcus epûs Spalatensis et Macarensis. t Ludovicus Anna episcopus Sancti Claudii. t Petrus Domnius Maupas, Archiepiscopus Jadertinus,
Zara in Dalmatia. t Ildefonsus Renatus Dordillon epûs Cambyropolitanus,
Vie. apost. insularum Marchionum. t Ludovicus Maigret, ep. Urathensis, Vie. ap. insularum
Sandwichianorum. t Dominicus episcopus Dianensis. t Vincentius Ruben. et Bituntin, episcopus. t Aloysius epûs Thelesinus seu Cerretanensis. t Fr. Bernardinus episcopus Tarracinensis, Setinensis et
Privernensis. t Fr. Joannes de Jesu epûs de Comayagua. t Fr. Thomas epûs Trojanus.
t St. Charbonneaux, Vie apûs Jassensis V. A. Mayssurii. t Eug. Joan. Claud. Joseph Desf lèches epûs Siniten. Vie.
Aplicus Sutchuen Orient, in Sinis. t Joannes Th. Pinchon episcopus Polemoniensis Vie.
apost. Sutchuen Septentrio. Occidentalis in Sinis. t Josephus Hyac. Sohier episc. Gadarensis et Vie. t P. I. M. I. Pichon epûs Helenopolitanus Vie. ap. Sutchuen. Merid. in Sinis. t C. M. Dépommier év. Vie. ap. de Coimbatam. t Louis Faurie, év. d'Apollonie Vie. ap. de Kouy-Tchéou
(Chine). t Ives M. Croc, év. de Laranda Coadi. du Tongking mér.
SIGNATURES 261
t Franciscus Laouënan epûs Flaviopolitanus. Vie. ap.
Pudicherianus t Petrus Maria Vancker, episc. Colophoniensis vicarius
apost Bataviensis in India orientali Neerlandica. t Ignatius Mrak epus Marianopolitanus et Marquettensis. t Carolus Pooten Archiepiscopus Antibarensis et Scodren
sis. t Thomas episcopus Recinetensis et Lauretanus. t Raphaël episcopus Squillacensis. t Remigius epûs Gonchensis.
t Joseph Ignatius Ordonen, episcopus Riobambensis. t Joseph M Papardo eps Synopensis. t Andréas episcopus Almeriensis (Hispanus). t Ferdinandus episcop. Pacensis (Hispanus). t Paulus Bigandet, ep. Ramathensis V. ap. Birmaniœ. t A. A. Dupont episc. Azothensis V. ap. Siamensis. t Bernard PetitJean év. de Myriophite Vie. ap. du Japon. t Jacobus MaximiUanus episcopus Lavantinus. t Valentinus Wiery episc. Gurcensis. t Gregorius Archiepi. Monacensis et Frising. t Pancratius eps August. Vindel. t Henricus epûs Wratislaviensis. t Joannes Maria epùo Venetensis. t EHas Ant" episcopus Asculanus. t Fr. Salvator Angélus Maria episcopus Galtellinen. et
Nuorcensis. t Gonstantinus episcopus Gerundensis in Hispania. t Ignatius Philippus Harcus Patriacha Antiochae-Syrorum.
t Petrus episcopus Molinensis.
t Fr. Joachim episcopus Salamantinus et administrator
apost. Givitatensis. D. S. B. t Vincentius episcopus Imolensis. t Vincentius Episc. " Thermularum.
262 LES CINQ CENT DIX
t Aloysius, eps. Neritonensis.
t Laurentius epûs Cusentinus.
t Raphaël episcopus Catacensis.
t Joseph Eugenhis epûs Ottavensis.
t Aloysius episcopus Signius.
t Petrus Ricardus, Kenrick, Archiep S. Ludovici in sta
tibus Fœderatis Americse. t Franciscus, epûs Baionensis. t Franciscus, episcopus Divionensis in Galliis. t Carolus, episcopus Lucionensis. t Joannes epûs S** Joannis N. Brunswick. t Jacobus Rogers epûs Chathamensis.
t Georgius Smiciklas episcop. ep. Cath. Crisiensis. t Raphaël Valentinus arch. S. Jacobi Chilensis. t Joseph Hippolytus episcopus Conceptionis. t Joseph epûs Augustanus. t Petrus Dufal episcopus Delconensis. t Franciscus Xaverius episcopus Castrimaris. t Franciscus epûs Laquedoniensis. t Carolus, ep. Cenomanensis. t Thomas epûs Southwarcensis. t Joseph Maria episcopus Canariensis. t Stephanus Josephus, episcopus Malacitanus. t Marianus episcopus Guadixensis et Bastitanus. t Spiridion Maddalena Archiepûs Corcyrensis. t Christophorus Bonjean epûs Medensis Vie. apûs Jafna
patenis (Ceylan). t Petrus Henricus episcopus Bellicensis. t Georgius Dobrila, epûs Parentinus et Polensis. t Petrus Archiepûs de Guadalaxara. t Germanus, episcopus de Chiapas. t Pierre évêque de Versailles. t Joseph Maria Benedictus epus Dauliensis. t Josephus epûs Nolanus.
SIGNATURES 263
t Emmanuel Atmar Archevêque de Zako.
t Taie eppure il mio sentimento. Mich. Pietro Bar-Tatar
Arciv. di Seerd ec. t Augustinus Bar Scinu Àrchieps. Salmasinsis et adminis
trator Aderbegian. t Gabriel Jarso Vescovo Galdeo di Mardin Mesopota
mia. t Joann. Tamrez, Archiepiscopus Kerkoubiensis. t Joseph Cardoni, Archiep. Edessenus. t Franciscus Mazzuoli épis. Septempedanus S.-Severini
in Piceno. t Nicolaus Pace episcopus Amerinus. t Alexius, epûs Vallis Guidonis. t Fr. Hyacinthus M Barberi epûs Neocastren. t Philippus epûs Miletensis. t Jacobus Quiun episcopus Brisbanensis. t G. Lanigan epûs Gaulburnensis. t Flavianus episcopus Bajocensis et Lexoviensis. t Amatus Victor f. ep. Vapincensis. t Georges Hurmuz archevêque de Siunia, t Eduardus Hurmuz archiep. Siracensis. t Fr. Paulinus Benignus episcopus Portoricensis. t Philippus Krementz, episcopus Varmiensis. t Jacobus Chadwick episcopus Hagulstadensis et Novi
castrensis in Anglia. t Franciscus episcopus Carthaginensis. t Franciscus a Paula episcopus Segundinus. t Petrus Maria episcopus Oriolensis seu Aloniensis, Hisp. t Petrus epûs Cadurcensis. t Josephus Emmanuel episcopus de Serena. t Antonius Maria episcopus Fabrianensis et Maliticensis.
M. P. t Joannes Vanesa Archiepiscopus et Metropolita Albae
Juliensis.
264 LES CINQ CENT DIX
t Josephus Papp-Szilagyi episcopus Magnovaradinensis
Ritus graeco romeni in Hungaria. t Nicolaus episcopus Goncordiensis. t Greg Archiepûs de Manila. t Anastasius Archiepûs Burgensis. t Thomas Ludovicus Archiepiscopus Hahfaxiensis. t Ignatius Persico episcopus GratianopoKtanus. t Joannes Archiep. Neo-Eboracensis. t Raphaël Bachetoni episcopus Nursinus. t Ludovicus I. d'Herbomez epûs MiletopoUs V. A. Colom
biae Britanniae. t M. I. Franciscus Allard episc. Samariensis 0. M. J. et
Vicarius apostol. à Natahs Nuncupatus. t Bernardus, episcopus Zamorensis. t Léo ep. Rupellensis et Santonensis. t Placidus Casaugian archiep. Antiochenus, Abbas generahs
Ordinis S* Antonii. t Fr. Joan Thom. Ghilardi ofd. prsed. epûs Monregalensis. t Claudius Maria Magnin Episcopus Anneceiensis. t Josephus Henricus Jordany epûs ForoJuHensis ac
Tolonensis. t Fehx, episcopus Isclanus. t Emygdius epûs Civitatis plebis. t Joannes épis Calatanisidensis. t Antonius epûs Urbanicensis et Vadensis. t Antonius Galletti, episcopus Albsepompeiensis. t Joseph Maria Severa, epûs Interamnensis. t Laurentius Biale, episcopus VintimilUensis. t Joannes Franciscus Archiepûs Remensis. t Aloisius M Archiepûs Theatmus. t Joannes Ambroisus Huerta episcopus Puniensis. t Joseph Maria Alberti, episcopus Syrensis in Mari ^Egeo,
delegatus apostohcus Grsecise. t Godefridus, Archiep. Rhedonensis.
SIGNATURES 265
t Franciscus épis. Montispessulani. t Alexander Archiepûs Thessaloniensis. t Joachim Archiepiscopus Florentinus. t TobJa Aun Beriti archiepiscopus.
t Agapius Bsciai, epûs Carilopolibanus et Vie. aplicus Coptorum ^gypti.
t Raymundus, episcopus Tudensis.
t C. F. Archiepiscopus Quebecensis.
t Augustus ep. Appamiensis.
t Petrus Jam eps. Imœ Telluris.
t Franciscus epûs Corneti et Centum Cellarum.
t Joannes Pergem episcopus Cassoviensis in Hungaria.
t Ladislaus Biri episcopus Szatmariensis in Hungaria.
t Franciscus, episcopus Carcassonensis.
t Ludovicus Card de la Lastra y Cuesta, archiepiscopus Hispalensis.
t Joannes Paulus Archiepiscopus Albiensis.
t Josephus, epûs Volaterranus.
t Joannes episcopus Jaurinensis.
t Cajetanus epûs Alatrinus.
t Guillelmus epûs Catalaunensis.
t Marianus Josephus Archiepiscopus Donaerensis (id est Bonaërensis).
t Ludovicus Maria ep. Aturen. et Aquen.
t Stephanus, episcopus Magnovaradinensis latini ritus.
t Sigismundus Kovaes episcopus Quinque Ecclesiensis.
t Joannes episcopus Ebroicensis.
t Alexander Bonnaz episcopus Ganadiensis.
t Antonius Carolus eps Engolismensis.
t Ambrosius episcopus de Chilapa.
266 LES CINQ CENT DIX
t Hyacinthus episcopus Narniensis et administrator
apostolicus Mandelinensis. t H. L. C. Episcopus Surensis. t Stephanus ^milius, ep. Elnensis. t Amedaeus, epûs Clevelandensis. t Ludovicus ep. Burlington. Vermont. t Bernardus Archiepiscopus de Guatemala. t Carolus Josephus ep. Hotte mburgensis. t Marianus archiepûs Reginensis. t Franciscus, episcopus Abellinensis. t Ludovicus Gabriel epûs Adrianopolitanus, vie. ap. Pe
kinensis. t Emmanuel Theodorus, Eps. Huanucensis. t Franciscus episcopus Larinensis. t Mathias epûs Trevirensis. t Vincentius epûs Pennen. et Atrien. t Anselmus, epûs de Costarica. t Joannes episcopus Pisciensis. t Hannibal, epûs Miniaten. t Cajetanus epûs Maceraten. et Tolentin. t Philippus epûs Tripolit. et adm' aplicûs ab. Subiacensis. t Henricus episc. Pistoriensis et Pratensis. t Joannes Valerianus eps Budviecensis. t Eduard Jacob episc. Hildesiensis. t Joannes Ant. epûs Vicentinus. t Ludovicus epûs Castabalensis Vie. ap. Idahensis. t Franciscus epicopus Calliensis et Pergulanus. t Franciscus Maria Vibert episcopus Maurianensis. t Franciscus Xaverius Archiepûs Leopolinensis Latini
Ritus. t Josephus Aloysius epûs Tarn. lat. Ritus. t Emmanuel Verrolles, epûs Colombicensis Vie. apost Mand
churiae. t Petrus Cyrillus episcopus Pampilonensis et Tudelensis.
SIGNATURES 267
t Gosmas episcopus Tirasonensis.
t Ludovicus Maria eps. S. Deoda.
t Petrus Archiepiscopus Sardianus.
t Ludovicus Delcusy episcopus Vivariensis.
t Joannes , epûs S* G^ de Rimonski.
t L. F. La Flèche, epûs Anthedonensis.
t Mathseus, episcopus Minoricensis.
t Joannes Baptista epûs Savonen. Naulen.
t Salvator ep. Bolin. Vie. Gap. Genuensis.
t Mathias Augustinus epûs Givitatis Gastellanse, Horten.
et Gallesin. t Joannes Marango, episc. Tenen. et Myconen. t J. Petrus episcopus Ganiriensis. t Ignatus M epûs Meplh. et Rapollen. t Andréas, episcopus Guneensis. t Joannes Maria Tissot ep. Miboii et Vie. ap. Vizagapa
tam. t Joannes Balma epûs Ptolemaidensis. t Aloysius epûs Galatinus. t Aloysius epûs Feretranus. t Joannes Josephus epûs Veglensis. t Georgius Dubocowich epûs Pharensis (Vulgo Lésina
Lissa). t Ignatius episcopus Pharsenensis. t Antonius, ep. Lamacensis. t Josephus episcopus Gapitis Viridis. t Joannes Monetti Gerviae Episcopus. t Franciscus arch. Tarraconensis, Hispanus. t Ferdinandus episcopus Asturicensis. t Thomas, Indiarum Patriarcha. t Josephus Ignatius, Archiepiscopus Quitensis. t Joannes Baptista Episcopus Tulancinguensis.
Quia in Ghristo sunt prophétise impletse Unica et vera Religio.
18
268 LES CINQ CENT DIX
t Aloysius Episcopus Berissensis.
t Fr. N. Blanchet, Archiepûs Oregonopolitanus.
t Modestus epûs Vancouveriensis.
t Josephus epûs S. Angeli Lomb" et Bisacensis.
t Josephus episcopus Oppidensis.
t Joannes Archiepisc. Buscoducensis.
t Philippus Josephus Viard, episcopus Welhngtonensis.
t Joseph episcopus Nanceiensis et Tullensis.
t Fredericus episcopus Augustodunensis, Cabillon. et
Matiscon. t Paulus Ep. Metensis. t Ludovicus episcopus LeontopoHtanus et vicarius Apos
tolicus in regno Saxoniae. t Joannes episcopus Palentinus. t Josephus episcopus Santanderiensis. t Petrus de Villanova Castellani. Archip. Petrse. t Pantaleon ep. Barcinonensis. t Josephus Angehni Archiep. Corinth. Viceg'*. t Sebastianus, episcopus Calagurritanus et Calceatensis. t Joseph, episcopus Auriensis. t Silvester Archiepiscopus de Venezuela. t Gregorius Archiepûs Compsanus admin. Compavien. t Joannes Baptista Episcopus Aquipendien. t S. Fenelly ,ep. Thermopylensis Vie. ap. Madraspelan. t Joseph Franciscus Ezechiel episcopus Ayacuquensis. t Jo. B. epûs Antinoensis. t Antonius Archiepiscopus Trajanopolitanus. t Joannes episcopus Feltrensis et Bellunensis. t Eugenius O'Connell episcopus Marysvillensis. t Fr. Fidelis Suter, Episcopus Rosaliensis, Vicarius. apos
tolicus Tuneti. t David Moriarty epûs Kerriensis. t Fr. Franciscus Dom^^ epûs Ageensis ac Vie. aplicûs
Sophise et PhiUppopolis.
SIGNATURES 269
t Fr. M. A. Jacopi évëque de Pentacomia et Vie. apost.
d'Agra. t Fr. Paulus Tosi ep. Rhodiapolitanus Vie. apost. Patnen
sis. t Fr. Antonius Maria Fania de Arignano episcopus Marci
cen. et Potentinus. t Petrus Archiepùs Rossanen. t Joseph episcopus Thyatiren.
t Joa nnes Hilarius Boset, episcopus Emerit ? de Maracaïbo. t Joseph, ep. Aretin.
t Jacobus AHpius Goold epûs Melbournensis. t Andréas Archieppûs Goritiensis. t Fr. Bartholomseus epûs Calven. ac Theanen. admin^str.
apost. Castellaneten. t Fr. Franciscus Xaverius episcopus Muranus. t Joseph Benedictus archiep. Gatanien. t P. H. Michael Angélus episcopus Pacten. t Casparus, eps Antipatren. t Rudesindus episcopus Portus Victorise. t Fr. Petrus Severini episcopus Sappensis. t Fr. FeHx episc. Parmensis.
t Franciscus, episcopus Uzellensis et Terralbensis. t Salvator Archiepùs Auxin^ et Cingal" t Phihppus, episcopus Fanensis. t Phihppus episcopus Forosemproniensis. t Raphaël, évêque d'Albenga. t Petrus episcopus Guastallensis. t Fr. Armandus ep. Sozopolitanus M. E. t Nicolaus Adames epûs Halicarnassensis Vie. apost.
Luxemburgensis. t Benvenutus Archiepùs Granatensis. t Michael episcopus Conchensis in Hispania. t Victor Augustus Arch. MechUniensis, Primas Belgii. t Fr. Aloysius epûs Triventin.
270
LES CINQ CENT DIX
t Fr. Maria Ephrem C. exe. episcopus Nemesinus Vie. ap.
Quilonensis. t F. Léonard Mellana C. D. Evêque d'Olympio, Vie. apost.
du Malabar. t D. Artemius Archiepiscopus Tarci in Cilicia. t Petrus Buffetti episc. Brictinoriensis et administrator
apostolicus Sarsinen. t José Maria, Obispo del Parané. t N. Josephus epûs Petroc. et Sari. t Franciscus episcopus Tarentasiensis. t Salvator Ep. Bolin Vie. Gap. Genuensis.
Ad finem fortiter, omnia suaviter. t Ferdinandus Gardinalis Donnet Arehiep. Burdigalensis. In fidem, quod hoc exemplar transeriptum ad verbum concordat cum Originali, quod asservatur in Actis SS. Goncilii Œcumenici Vaticani.
Datum in Secretaria Goncilii Vaticani, d. 31 Martii 1870.
t Josephus
Epûs S. Hippolyti.
Secretar. Goncilii Vatic.
II
Nous avons raconté dès le début de cet ouvrage (chapitre 1®^, paragraphe 2®) pour quels motifs nous avions choisi Mgr Dupanloup, évêque d'Orléans, comme protecteur et promoteur de la cause des restes d'Israël auprès du
Goncile du Vatican; puis (au chapitre 5, paragraphe 1^^) par quel coup inattendu la Providence nous avait demandé le douloureux sacrifice du grand Evêque d'Orléans comme promoteur de la cause d'Israël devant le Goncile, vu que
SIGNATURES 271
Mgr Dupanloup faisait échec à la définition du dogme de l'Infaillibilité.
Depuis lors, sans revoir ce prélat qui s'était montré bon pour notre sainte entreprise, nous avions visité succes
sivement tous les Pères du Concile, et présenté à Sa Sainteté Pie IX le Postulatum contenant 510 signatures.
Le lendemain de cette présentation, nous nous rendîmes à la résidence de Mgr Dupanloup qui habitait à la Villa Grazioli al Macao S. Maria in Via, 40. L'accueil que nous y trouvâmes fut des plus affables. Après avoir jeté un coup d'œil de satisfaction sur l'ensemble de notre Postulatum, l'Evêque d'Orléans nous dit: « Où est la signature de l'Evêque de Poitiers? » Il est important de rappeler ici que Mgr Pie, évêque de Poitiers, avait été l'adversaire déclaré de la campagne menée par l'Evêque d'Orléans contre le dogme de l'Infaillibilité. C'est lui, qui, à l'occasion du dogme de l'Immaculée Conception, premier magnifique candélabre allumé par Pie IX, avait écrit à l'auguste Pontife : « Pie, inter pios pissime ». L'Evêque de Poitiers était donc l'antagoniste de l' évêque d'Orléans dans la lutte entre l'infaillibilité et antiinfaillibilité.
Sur la demande de Mgr Dupanloup, nous cherchâmes dans notre Postulatum l'endroit où se trouvait la signature de Mgr Pie. Dès que nous l'eûmes indiquée, l'Evêque d'Orléans prononça ces paroles touchantes : « Je vais mettre ma signature sous la signature de l'Evêque de Poitiers. »
Nous tombâmes à genoux devant ce grand acte d'humilité, couvrant ses mains de baisers. Lui aussi était très ému.
cher Postulatum en faveur des restes d' Israël, tu as été le premier gage discret de la réconciliation des cœurs.
CHAPITRE XXXI
Seroiable inieruention de Mgr Manning, archeoêque de Westminster; de Mgr Fessier, archeoêque de Thessalonique et secrétaire du Concile; de Mgr Guibert, archeoêque de Tours, en faoeur de la
cause des restes d'Israël.
I. Figure biblique d'un triple lien protecteur autour du Postulatum pro Hehrœis. Monseigneur Manning surajoute à son premier accueil sympathique. Il expose à Pie IX un magnifique plan d'allocution enlacé à la fête de la Pentecôte. — IL Monseigneur Fessier, secrétaire du Concile, ayant reçu des mains de Pie IX notre Postulatum nous propose gracieusement d'en relever un double. La transcription une fois accomplie, Monseigneur y appose le sceau du Concile : précieux cachet d'authenticité. Coïncidence encourageante : Pie IX fait l'éloge de notre sainte entreprise au' supérieur général de la Congrégation du Saint-Esprit et du Saint-Coeur de Marie, fondée par le Père Libermann, fils d'un rabbin. — III. Le but de la commission des Postulata : examiner les supphques adressées au Concile. Monseigneur Guibert, qui
en est membre, nous promet son appui, quand notre supplique sera examinée. Sa belle parole : Il faut, dans cette sainte entreprise, un évêque français, et je le serai. Cette parole, véritable perle, est digne d'appartenir à l'écrin de France.
I
A côté de l'humilité spontanée et touchante de l' Evêque d'Orléans, vint se placer la serviable intervention de trois
illustres prélats exécuteurs de l'insigne bonté de Pie IX à notre égard. A eux trois, ils allaient enlacer autour du Postulatum pro Hebrœïs ce triple lien protecteur dont parle le Livre de l' Ecclésiaste : F uniculus triplex difficile rumpitur, un triple cordon se rompt difficilement.
274 SERVIABLE INTERVENTION DE NOSSEIGNEURS
Le premier dans la formation du nœud tutélaire fut Monseigneur Manning. archevêque de Westminster.
Lorsqu'il s'était agi de recueillir les signatures des Archevêques et Evêques de la Grande-Bretagne (voir chapitre xv) Monseigneur Edouard Manning nous avait ouvert ses bras et son cœur par cette inoubliable confidence : « Il y a trentecinq ans que je pense continuellement à votre peu
ple, et je ne monte jamais au saint autel sans y avoir une intention spéciale pour la conversion des Israélites ». Encouragés par le souvenir de cet accueil, nous nous rendons à la résidence anglaise. Dès que nous nous trouvons en présence du sympathique prélat, nous lui disons : « Monseigneur, nous avons conservé dans nos cœurs ce que vous nous avez dit de si bon à l'égard des Israélites, et nous venons vous mettre au courant du recueil des signatures. » Monseigneur Manning réplique avec vivacité : « C'est magnifique ! 500 signatures pour l'Infaillibitlité et 500 signatures pour le peuple juif, quelle coïncidence ! » Ensuite, la conversation s'engage sur la manière la plus favorable de présenter au Concile la supplique des Evêques pour les restes d' Israël. « Ecoutez, nous dit Monseigneur, voici, je crois, la manière la plus magnifique : prier le Souverain Pontife de prendre lui-même les devants d'une allocution. Puisque les Evêques lui ont présenté ce Postulatum, en prononçant une allocution Sa Sainteté répondrait à l'acte des Evêques. Et cette réponse se ferait en la fête de la Pentecôte, dans l'allocution de ce jour-là. Les Evêques ont prié, le Pontife répondrait à la prière des Evêques, ce serait l'assentiment de l'Eglise universelle, et cela le jour où saint Pierre a parlé lui-même aux israélites et en a converti cinq mille. Quelle grandeur alors pour ce Postulatum. C'est je crois, le meilleur conseil. Ecoutez, je me charge de présenter ces vues au
Souverain Pontife, je vais demander une audience.
L'audience ne se fit pas attendre, et Monseigneur nous
MANNING, FESSLER, GUIBERT '275
confia ce bon résultat : « J'ai vu île SaintPère, je lui ai exposé mes idées. Il a paru très content. Il m'a répondu : « Je ferai quelque chose. » Il faut maintenant traiter l'affaire avec les Cardinaux présidents. Je leur parlerai. » Monseigneur Manning ajouta : Je suis satisfait de m' être occupé de votre peuple : il y a deux peuples que j'aime: le peuple anglais, mon peuple, et le peuple juif; et tous deux feront des merveilles un jour quand ils seront catholiques : l'un par son bon sens pratique, l'autre par son ardeur et sa persévérance, tous deux grands peuples missionnaires, répandus partout.
II
La réception que nous trouvâmes auprès de Monseigneur Fessier, archevêque de Thessalonique et secrétaire du Concile du Vatican, ne fut pas moins gracieuse que la précédente. Il nous dit : « Le Pape m'a remis lui-même votre Postulatum, son but et ses 510 signatures, c'est un grand résultat. J'en aurai soin. Que le Seigneur bénisse vos intentions et vos travaux. Si je puis vous être utile, disposez de moi. »
Le Ciel permit que le jour même où Pie IX remettait notre Postulatum à Monseigneur Fessier, Sa Sainteté reçût en audience le Supérieur général des Pères du SaintEsprit et du SaintCœur de Marie, qui venait l'entretenir de l'introduction de la cause de béatification du Père Libermann, fils d'un rabbin et leur fondateur. Après l'avoir écouté, Pie IX lui dit : « Quelle espérance ! Il y a les deux frères Lémann et les deux frères Ratisbonne qui s'occupent des Israélites. Les deux frères Lémann m'ont présenté un Postulatum signé par beaucoup d'Evêques en faveur de leur peuple, c'est une bonne chose. C'est difficile de rame
276 SERVIABLE INTERVENTION DE NOSSEIGNEURS
ner ce peuple trop retenu par le mercantilisme, mais la circonstance d'un Concile œcuménique est favorable, il faut prier, c'est une bonne chose qu'ils ont faite. »
Sur le conseil de Monseigneur Fessier, nous nous occupâmes à faire transcrire en double le Postulatum. Un diacre de la sainte Eglise romaine, l'abbé Charbonnel, notre vieil ami, nous prêta sa plume. Le double du Postulatum fut pris sur belles pages et porté à Monseigneur le secrétaire du Concile. L'aimable Archevêque eut l'inoubliable bonté de parcourir lui-même la copie authentique du Postulatum, en constata l'exactitude et la revêtit de l'attestation que nous
avons rapportée à la fin du chapitre précédent : Quod hoc exemplar transcriptum ad çerbum concordat cum Originali, quod asserç^atur in actis SS. Concilii œcumenici Vaticani.
D. in secretaria Concilii Vaticani die 31 Martii 1870.
Puis, après avoir apposé sa signature. Monseigneur Fesseler imprima sur la copie du Po^^wtoi^m le sceau du Concile. Quel magnifique et précieux cachet d'authenticité!
III
Parmi les différentes Commissions instituées au sein du Concile, il y avait la Commission des Postulata. Elle avait pour objet d'examiner, d'approfondir les Po^^wtoa ou suppliques adressées aux Pères du Concile et d'en référer au Souverain Pontife. Or, Monseigneur Joseph Guibert, archevêque de Tours, était membre de cette Commission. Nous nous rendîmes auprès de cet éminent archevêque, attendu que notre Postulatum allait être examiné par ladite Commission, qui l'avait reçu de Pie IX, par l'entremise de Monseigneur Fessier.
Nous ne pouvions rencontrer un examinateur plus indulgent pour notre Postulatum : ne s' étaitil pas montré extrê
MANNING, FESSLER. GUIBERT 277
mement favorable à la cause des restes d'Israël, lorsque nous avions recueilli les signatures des Archevêques et Evêques de France ; au chapitre dixième de cet ouvrage, se trouvent consignés deux traits charmants de sa courtoise bienveillance.
Dans cette seconde visite, il nous accueillait donc eomme membre de la Commission des Postulata. Il nous dit : « Lorsque votre Postulatum sera discuté à la Commission, je vous promets de faire deux choses : 1 pour le fond, développer cette idée du couronnement de religion et non du changement quand un israélite devient catholique ; 2 pour la forme, que cette belle idée pratique devienne l'objet d'une allocution spéciale de Pie IX. C'est essentiel, et je m'en charge, je fais cette affaire mienne. Il faut, dans cette sainte entreprise, un évêque français et je le serai. »
Cette dernière parole « il faut un évêque français et je le serai « nous sembla une perle destinée à l'écrin de France. Ah ! l'écrin de France ne contenaitil pas les plus riches trésors de l'ordre moral. N'était-ce pas la France qui, la première, décrétant l'émancipation des israélites, avait dit au pauvre Juif-Errant fatigué de sa marche séculaire : Assieds-toi à mon foyer. Et maintenant que la cause des restes d'Israël allait trouver son complément surnaturel dans un grave et bienveillant examen au Concile du Vatican, le souffle héréditaire de la générosité de la France, s'insinuant dans la poitrine de l'Archevêque de Tours, lui faisait prononcer cette parole digne d'être recueillie, comme
une perle, dans l'écrin de France : « Il faut, dans cette entreprise, un évêque français, et je le serai. «
CHAPITRE XXXII
Préparation d'une allocution d'honneur et d'amour à l'adresse
des restes d'Israël, laquelle allocution sera prononcée dans une autre
session du Concile du Vatican.
I. Notre supplique est admise à runanimité par la Commission des Postulata ; Pie IX bénit officiellement son admission. Nous apprenons cette bonne nouvelle quand nous suivons la procession de la Fête-Dieu à SaintJean-de-Latran. Splendide horizon de la campagne de Saint-Jean-de-Latran à la soirée tombante : doux présage de la venue du peuple d'Israël qui doit se mêler à la procession des peuples sur le soir. — II. Nuage qui voile momentanément cet horizon enchanteur : à cause des entraves accumulées par les Evêques de l'opposition et les gouvernements contre la définition du dogme de l'Infaillibilité, le Saint-Siège vient de décider que,, lors de l'imminente définition de ce dogme, aucune autre question étrangère ne sera traitée, afin que l'infaillibilité, étant solitaire, soit mieux appréciée dans son importance. Dialogue échangé avec un des évêques de l'opposition, auteur du nuage. — III. Dans leur sollicitude pour les restes d'Israël, Pie IX et les cardinaux présidents du Concile décident que l'allocution d'honneur et d'amour leur sera adressée dans une autre session du Concile ; et pour que cette espérance ne soit pas trompée, le Patriarche de Jérusalem est chargé de la rédaction pour être ensuite placée dans le schéma de Missionihus. Monseigneur Valerga daigne nous communiquer, sous le secret, cette ineffable allocution.
I
La Commission des Postulata s'est réunie; l'Archevêque de Tours, Monseigneur Guibert, a parlé avec les accents favorables qu'il nous a promis : la Commission reçoit notre Postulatum pro Hebrœis et l'accepte à l'unanimité.
280 PRÉPARATION d'uNE ALLOCUTION
En la fête de saint Louis de Gonzague, qui était en même temps le 25 anniversaire du couronnement de Pie IX, le cardinal Franchi se présente en audience auprès de Sa Sainteté et lui annonce officiellement l'admission de notre Postulatum par la Commission ; Pie IX confirme et bénit son admission. Cette bonne nouvelle nous est joyeusement annoncée, à nous-mêmes, par le cardinal Barili, au moment où nous allions suivre à SaintJeandeLatraii la procession du Très Saint Sacrement. Quelle coïncidence pleine d'émotion! L'horizon de SaintJeandeLatran est incomparable avec ses collines, ses vergers, ses aqueducs, surtout à la soirée tombante, doux présage de la venue du peuple d'Israël qui doit se mêler à la procession des peuples sur le soir. (( On voit au loin, écrivait une feuille catholique, Tibur dans la montagne, et l'œil se repose sur cette campagne romaine, dont la beauté sérieuse et auguste ne peut être comparée qu'à celle du visage maternel. )> Doux présage, avonsnous dit, qui deviendra une réalité sous les auspices du visage maternel de la Vierge Marie faisant reprendre à Dieu Israël son enfant, selon les promesses de sa miséricorde : alors la procession sur le soir sera magnifique et reposante ; ne sera-ce pas la phase de rafraîchissement après la grande chaleur de la journée du monde, chacun se reposant à l'ombre de sa vigne et de son figuier, et dans
des groupes pleins de fraternité.
II
Un nuage vint, pour un instant, voiler cet horizon enchanteur.
Son Eminence le Cardinal de Angelis, le premier entre les cinq cardinaux présidents du Concile, nous faisait appeler, le surlendemain de la belle procession. (( Mes chers amis,
d'honneur et d'amour 281
nous ditil, mes collègues et moi avons examiné dans un entretien avec le Souverain Pontife si la question des restes d'Israël devait recevoir sa solution présentement. On a conclu que ce serait difficile. Vous avez assisté à toutes les entraves que les Evêques de l'opposition et les gouvernements ont accumulées contre la définition du dogme de r Infaillibilité. Cette définition, grâce à Dieu, ne tardera plus. Eh bien, il importe que ce grand dogme, quand il sera défini, soit solitaire, afin que l'on remarque bien sa majesté et son importance. En conséquence, nulle autre question ne doit être traitée à côté de celle-là. Mais ne perdez pas courage et ne vous attristez pas ; nous allons, avec le Très Saint Père et mes collègues, assurer ce qui concerne les pauvres juifs et préparer sa place dans une autre session du Concile. Oh ! mes chers amis, je vous félicite d'avoir fait introduire au Concile du Vatican cette question de charité. »
Au lendemain de cette rassurante conversation, la Providence nous mettait en rapport avec un des auteurs du nuage, un Evêque de l'opposition; nous taisons son nom par déférence. Voici le dialogue qui s'échangea :
Lui. — « Vous n'auriez pas dû venir à Rome, ce séjour vous aura été nuisible ».
Nous. — « Nuisible, que ditesvous là! notre foi s'y est agrandie ; nous avons compris à découvert que l' Eglise était divine parce qu'elle résiste à l'épouvantable tourmente qui lui vient de l'intérieur. »
Lui. — « Je n'en puis pas dire autant, mon sommeil y a toujours été inquiet. »
Nous. — « Le nôtre y a toujours été paisible, parce que nous avions pour oreiller le rocher de Pierre. »
Lui. — « Vous êtes des néophytes, il ne faut pas vous étonner que nous cherchions à préserver votre foi. »
Nous. — « Néophytes, Monseigneur, permettez une explication définitive sur ce mot, car ce n'est pas la pre
282 PRÉPARATION D'UNE ALLOCUTION
mière fois que vous nous le jetez comme un reproche ; néophytes, oui, nous le sommes toujours en ce sens que nous sommes venus de loin, après dixhuit ans de ténèbres dans le judaïsme; oui néophytes toujours en présence de la hiérarchie catholique et de l'antiquité de cet Eglise qui nous attend depuis dixneuf siècles; mais nous ne sommes plus néophytes dans la tourmente actuelle ; il y a quinze ans que nous avons reçu le baptême, dix ans que nous sommes prêtres, cinq ans que nous enseignons dans les principales chaires de France, et que nous luttons publiquement avec la synagogue ; et si vous persistez dans ce reproche de néophyte, vous me permettrez alors de vous dire que la foi des néophytes est aujourd'hui plus enracinée que la foi des vieillards. Du reste, cela ne vous étonne pas, saint Paul l'a annoncé : vous, nations chrétiennes, vous devez défaillir. »
Lui. — « Vous voyez bien que vous avez un langage de néophytes, voilà que vous croyez à la défectibilité de l'Eglise. »
Nous. — « Vous faites erreur et confusion. Monseigneur, parce que si les nations peuvent défaillir, l'Eglise pour cela ne faillira pas ; quand certaines nations s'en iront, d'autres viendront les remplacer, l'Eglise est indéfectible, tandis que les nations ne le sont pas ; mais alors, quand un peuple se retire. Dieu en appelle un autre et c'est ainsi que nous seront rappelés. »
Lui. — « C'est cela, voilà que vous parlez déjà de nous remplacer. »
Nous. — « Oui, si vous faites défection, nous sommes à vos portes pour cela. Mais rassurezvous, Monseigneur, saint Paul a fait cette belle et touchante prophétie : Conclusit Deus omnes in incredulitate ut omnium misereatur, Dieu a renfermé tous les peuples dans l'incrédulité afin d'exercer sa miséricorde envers tous. »
d'honneur et d'amour 283
Lui. — « Allons, soyez contents, nous appelons bien Monseigneur Manning un néophyte. »
Nous. — « N'est-ce pas une faute sur vos lèvres? Monseigneur Manning mérite, comme vous, Monseigneur, tous les égards et toutes les affections. »
Et après des serrements de mains, nous nous quittâmes bons amis.
III
Le Cardinal de Angelis, en nous annonçant que nulle
question ne serait traitée à côté de celle qui concernait la définition du dogme de l'Infaillibilité, avait ajouté : « Ne perdez pas courage, ne vous attristez pas; nous allons, avec le Très Saint Père et mes collègues, assurer ce qui concerne les pauvres juifs et préparer sa place dans une autre session du Concile. »
En effet, dans leur sollicitude, que nous n'oublierons jamais. Pie IX et les cardinaux présidents s'entendirent avec le Patriarche de Jérusalem, Monseigneur Valerga, pour que Son Excellence rédigeât l'appel d'honneur et d'amour aux restes d'Israël, appel qui serait placé dans le schéma de Missionibus, g' estkdire dans le chapitre concernant les Missions catholiques.
Monseigneur Valerga nous fit la gracieuseté de nous
mander auprès de lui et nous dit : « On a décidé que l'appel de miséricorde aux restes d'Israël sera placé dans le schéma de Missionibus ; il est sous presse, je vous communiquerai prochainement le passage relatif à votre question, sub secreto poniificali ». La communication eut lieu. Quel privilège, quelle faveur ! nous serons ainsi des instruments de tendresse et d'honneur dans les paroles qui seront adressées
à notre peuple, à l'heure marquée par la Providence.
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CHAPITRE XXXIII
La grande séance où. se définit le dogme de l'InfaUUblUté et la place toute miséricordieuse qu'on nous permet d'y occuper.
I. Le 18 juillet 1870, journée que le Seigneur a spécialement faite pour lui-même. Description de la salle conciliaire. Célébration de la messe par le Cardinal Barili : le Saint-Père nous avait accordé le privilège de la servir pour représenter les oracles exprimés par les successeurs d'Aaron avec le concours de l'Arche d'alliance. — II. Entrée de Pie IX. L'Evêque de Fabriano donne lecture de la constitution apostolique sur le magistère infaillible du Pontife romain. — III. Le recueil des votes par l'appel nominal des membres de l'assemblée : les placet et les abest. Episode du non placet d'un évêque du royaume de Naples ; semblable épisode de la part d'un évêque de l'Amérique. Addition des suffrages : 533 pour, 2 contre. — IV. Le Souverain Pontife confirme de son autorité suprême la lecture des canons et décrets. Longue acclamation au dedans et au dehors de la basilique. La nature physique ellemême s'associe à la manifestation : tonnerre, éclairs, ténèbres. Comparaison avec le Sinaï. — V. Allocution de Pie IX qui révèle les trésors d'amour renfermés dans son cœur. Conduite touchante des deux évêques protestataires, les larmes coulent de bien des yeux. — VI. Le soir même de cette journée, la nouvelle de la déclaration de guerre entre la Prusse et la France émeut Rome et les Evêques. L'extension du bienfait du dogme de l'Infaillibilité jusque dans les troubles de la société civile nous est prophétisée par une parole magnifique de Monseigneur Manning. Un Evêque de l'opposition nous explique comment il s'est fait que deux non placet ont été prononcés dans l'assemblée conciHaire en face de l'auguste Pontife ; entente des opposants déjouée par un coup de Providence. — VIL Dernier entretien avec Pie IX, son magistère infaillible accepté par nous au nom des restes d'Israël. Une liaison entre ce dernier entretien et le tout premier que nous avions eu avec Pie IX peu après notre conversion au cathohcisme.
286 LA SÉANCE OU SE DEFINIT
Comparaison du phénix employée par l'auguste Pontife, à propos de la basilique de Saint-Paul-hors-les-murs. Beauté miséricordieuse de cette comparaison. Pie IX, consentez à ce qu'elle s'applique aux restes d'Israël.
Rarement l'adage biblique : « Hœc est dies quant fecit Dominus ; exultemus, et lœtemur in ea, c'est ici le jour qu'a fait le Seigneur, réjouissonsnous, et soyons pleins d'allégresse ». trouva une plus saisissante application que le 18 juillet 1870.
Dès le point du jour, la basilique vaticane se remplit de monde. Tout ce que Rome compte d'étrangers est là, brûlant du désir d'assister à l'un des actes les plus solennels et les plus graves de ce siècle ; les Romains inoccupés sont là aussi, car il s'agit pour eux d'entendre proclamer un titre d'honneur qui se reflète sur eux.
Pénétrons dans la salle conciliaire :
Cette salle comprenait tout le bras gauche de la croix latine qui forme l'immense basilique de SaintPierre. Au fond, s'élevait une estrade demicirculaire, et au centre de cette estrade était le trône du SaintPère. De là il dominera tout et apparaîtra comme le Christ enseignant. A droite et à gauche étaient les places des Cardinaux, puis les places destinées aux Patriarches. — De l'estrade partaient les rangs de stalles, disposées en amphithéâtre de chaque côté de la salle. Dans ces stalles vont siéger les Primats, les Archevêques, les Evèques, les Abbés et les Supérieurs des Instituts religieux. Au devant de la porte et par conséquent en face du trône pontifical, était placé l'autel et à gauche de l'autel on avait disposé la chaire ou ambon.
Depuis deux jours on avait fait tomber les portes de la
LE DOGME DE l'INFAILLIBILITÉ 287
salle conciliaire ; l'heure du secret était passée ; l'Eglise disait à tous ses enfants d'entrer.
Tous les Pères sont à leur place sur les bancs du Concile. Nous ne verrons jamais rien de plus imposant que cette salle immense au moment ou commença la messe. Les 535 Evêques s'étageaient les uns au-dessus des autres, à la droite et à la gauche du trône pontifical. C'était une forêt de mitres blanches que va dominer la mitre d'or du Souverain Pontife.
La messe commence, célébrée par Son Eminence le Cardinal Barili, et servie par les deux frères jumeaux Joseph et Augustin Lémann en simples surplis.
Petite plante d'hysope apparaissant à la fente d'une muraille de Judée, nous avions obtenu du Souverain Pontife l'insigne privilège de servir la messe conciliaire. Le Pape nous avait accordé cette faveur pour représenter l'ancienne synagogue chez laquelle le Grand Prêtre, successeur d'Aaron, jouissait de l'assistance divine, lorsqu'il décidait les questions relatives à la religion après avoir consulté l'Arche d'Alliance.
Après la messe, nous nous assîmes sur les degrés de l'autel et alors, si bien placés au centre même de la salle du Concile, nous fumes témoins oculaires et auriculaires des gestes et épisodes que nous rapportons ici en toute vérité et simplicité.
II
Le saint Sacrifice n'était pas complètement achevé quand le Saint Père, revêtu de ses habits pontificaux, fait son entrée par la chapelle Grégorienne, entouré de sa noble antichambre et des principaux personnages de sa cour. A un signal du maître des cérémonies, l'assemblée entière se prosterne à genoux, et le Pape invoque avec elle l'assistance
288 LA SÉANCE OU SE DEFINIT
du Saint-Esprit et des célestes protecteurs énumérés dans les Litanies des Saints.
Monseigneur Valenziani, évêque de Fabriano, monte ensuite à la tribune et donne lecture, à haute et intelligible voix, de la constitution apostolique sur la primauté de Pierre et de ses successeurs et sur le magistère infaillible
du Pontife romain. Nous ne relatons ici que ce qui concerne le magistère infaillible, et ce qui a été prononcé en latin, nous le rapportons en français, d'après une traduction empruntée au journal V Univers.
DU MAGISTERE INFAILLIBLE DU SOUVERAIN PONTIFE
« Ce Saint-Siège a constamment enseigné, et les Conciles « œcuméniques eux-mêmes, ceux-là surtout où l'Orient « se réunissait à l'Occident dans l'union de la foi et de la « charité, ont déclaré que le pouvoir suprême du Magis« tère est compris dans la primauté apostolique que le Pon« tife romain possède sur l'Eglise universelle en sa qualité « de successeur de Pierre, prince des Apôtres. C'est ainsi « que les Pères du quatrième Concile de Constantinople, « marchant sur les traces de leurs prédécesseurs, ont émis « cette solennelle profession de foi : « Le salut est avant « tout de garder la règle de la vraie foi. Et comme la parole « de NotreSeigneur JésusChrist disant : Tu es Pierre, « et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, ne peut être vaine, « elle a été vérifiée par les faits, car, dans le Siège apostoli« que, la Religion catholique a toujours été conservée « immaculée et la sainte doctrine toujours enseignée. Dé« sirant donc ne nous séparer en rien de sa foi et de sa « doctrine, nous espérons mériter d'être dans l'unique (( communion que prêche le Siège apostolique, en qui se « trouve l'entière et vraie solidité de la Religion chrétienne.
LE DOGME DE l'INFAILLIBILITÉ 289
« Avec l'approbation du deuxième Concile de Lyon, les « Grecs ont professé : « Que la sainte Eglise romaine a la (( Souveraine et la pleine primauté et principauté sur (( l'Eglise catholique universelle, principauté qu'elle re(( connaît en toute vérité et humilité avoir reçue, avec la « plénitude de la puissance, du Seigneur lui-même dans « la personne du bienheureux Pierre, prince ou chef des (( Apôtres, dont le Pontife romain est le successeur : et, « de même qu'elle est tenue plus que toutes les autres de (( défendre la vérité de la foi, de même lorsque s'élèvent « des questions relativement à la foi, ces questions doivent (( être définies par son jugement. Enfin, le Concile de Flo(( rence a défini : Que « le Pontife Romain est le vrai Vi« caire du Christ, la tête de toute l'Eglise, et le père et (( docteur de tous les chrétiens, et qu'à lui, dans la per(( sonne du bienheureux Pierre, a été remis, par Notre« Seigneur JésusChrist, le plein pouvoir de paître, de con« duire et de gouverner l'Eglise universelle.
« Pour remplir les devoirs de cette charge pastorale, nos « prédécesseurs ont toujours ardemment travaillé à pro(( pager la doctrine salutaire du Christ parmi tous les peu« pies de la terre, et ont veillé avec une égale sollicitude à « la conserver pure et sans altération partout où elle a été « reçue. C'est pourquoi les Evêques de tout l'univers, tance tôt dispersés, tantôt assemblés en synodes, suivant la (( longue coutume des Eglises et la forme de l'antique (( règle, ont toujours eu soin de signaler à ce Siège aposto« lique les dangers qui se présentaient surtout dans les « choses de foi, afin que les dommages portés à la foi trouée vassent leur souverain remède là où la foi ne peut éprou(( ver de défaillance. De leur côté, les pontifes romains, « selon que leur conseillait la condition des temps et des cho« ses, tantôt en convoquant des Conciles œcuméniques, « tantôt en consultant l'Eglise dispersée dans l'univers,
290 LA SÉANCE OU SE DEFINIT
« tantôt par des synodes particuliers, tantôt par d'autres « moyens que la Providence leur fournissait, ont défini « qu'il fallait tenir tout ce que, avec l'aide de Dieu, ils « avaient reconnu conforme aux saintes Ecritures et aux (( traditions apostoliques. Le Saint-Esprit n'a pas, en effet, « été promis aux successeurs de Pierre pour qu'ils publias(( sent, d'après ses révélations, une doctrine nouvelle, (( mais pour que, avec son assistance, ils gardassent saince tement, et exposassent fidèlement les révélations trans(( mises par les Apôtres, c'est-à-dire le dépôt de la foi. « Tous les vénérables Pères ont embrassé, et tous les (( saints Docteurs orthodoxes ont vénéré et suivi leur « doctrine apostolique, sachant parfaitement que ce Siège « de Pierre reste toujours exempt de toute erreur, selon « cette divine promesse du Seigneur notre Sauveur, faite « au prince de ses disciples « J'ai prié pour toi, afin que ta « foi ne défaille pas ; et toi, lorsque tu seras converti, confirme (( tes frères. »
« Ce don de la vérité et de la foi qui ne faillit pas, a donc « été divinement accordé à Pierre et à ses successeurs dans « cette chaire, afin qu'ils s'acquittassent de leur charge (( éminente pour le salut de tous ; afin que tout le troupeau (( du Christ, éloigné par eux du pâturage empoisonné de « l'erreur, fût nourri de la céleste doctrine ; afin que, toute « cause de schisme étant enlevée, l'Eglise fût conservée « tout entière dans l'unité, et qu'appuyée sur son f ondece ment, elle se maintînt inébranlable contre les portes de « l'enfer. Or, puisque, à cette époque où l'on a besoin plus « que jamais de la salutaire efficacité de la charge aposto« lique, tant d'hommes se rencontrent qui cherchent à (( rabaisser son autorité. Nous jugeons qu'il est tout à « fait nécessaire d'affirmer solennellement la prérogative « que le Fils unique de Dieu a daigné joindre au suprême (( office pastoral.
LE DOGME DE l' INFAILLIBILITE 291
« C'est pourquoi, Nous attachant fidèlement à la tradi« tion qui remonte au commencement de la foi chrétienne, « pour la gloire de Dieu notre Sauveur, pour l'exaltation « de la religion catholique et le salut des peuples chrétiens, « Nous enseignons et définissons, sacro approbante Concilio, « que c'est un dogme divinement révélé : Que le Pontife « romain, lorsqu'il parle ex cathedra, c'est-à-dire lorsque « remplissant la charge de pasteur et docteur de tous les « chrétiens, en vertu de sa suprême autorité apostolique, « il définit qu'une doctrine sur la foi ou les mœurs doit (( être tenue par l'Eglise universelle, jouit pleinement, « par l'assistance divine qui lui a été promise dans la perce sonne du bienheureux Pierre, de cette infaillibilité dont
« le divin Rédempteur a voulu que son Eglise fût pourvue, « en définissant sa doctrine touchant la foi ou les mœurs ; « et, par conséquent, que de telles définitions du Pontife Ro« main sont irréformables par elles-mêmes, et non en vertu « du consentement de l'Eglise.
« Que si quelqu'un, ce qu'à Dieu ne plaise, avait la té(( mérité de contredire notre définition, qu'il soit ana« thème. »
III
Après avoir achevé sa lecture. Monseigneur Valenziani se lève et interpelle le Concile en ces termes : « Très Révérends Pères, agréezvous les décrets et les canons renfermés dans cette constitution ? »
Aussitôt, on procède à l'appel nominal de tous les membres de l'assemblée en commençant par les cardinaux et les patriarches, suivant l'ordre de hiérarchie et d'ancienneté dans la promotion. Puis vient l'appel des Archevêques et Evêques.
292 LA SÉANCE OU SE DEFINIT
A mesure qu'un prélat est appelé, il prononce son vote par le mot placet, qui veut dire « j'adhère». Le vote est répercuté, aux quatre points cardinaux de la salle conciliaire, par quatre questeurs ou commissaires placés dans les hauteurs de la salle, afin que ni confusion ni surprise ne troublent le recueil des votes. Lorsque le prélat appelé ne répond point parce qu'il est absent, les questeurs remplacent, à haute voix, le mot placet par celui d'abest, qui veut dire : il est absent.
Depuis un laps de temps assez considérable, la salle conciliaire ne retentissait que de ces deux mots inflexibles : placet, ahest. Soudain, une variante se produit sur l'estrade qui était à notre droite, un évêque du royaume de Naples est appelé, il répond : non placet Les questeurs étaient tellement habitués à la ritournelle de placet et ahest, qu'attentifs à demi, ils répètent placet au lieu de non placet De rechef, r évêque du royaume de Naples se lève et prononce d'une voix retentissante : non placet Grand émoi dans la salle conciliaire, puis le calme se rétablit.
Le même incident se reproduit peu après, sur l'estrade qui était à notre gauche, un évêque d'Amérique est appelé, il prononce : non placet Cette fois, les questeurs mieux attentifs à l'audition répètent non placet La salle conciliaire est encore émue, mais l'émoi s'apaise plus vite.
Les suffrages recueillis sont additionnés : 533 Pères ont adhéré, 2 évêques seulement sont protestataires.
IV
Les prélats qui avaient recueilli les suffrages, accompagnés de Monseigneur Fessier, évêque de SaintHippolyte, secrétaire du Concile, s'approchent alors du trône et présentent
LE DOGME DE l'INFAILLIBILITÉ 293
le résultat du vote au SaintPère, qui donne la sanction de son autorité suprême aux décrets et aux canons, en prononçant solennellement cette formule :
Décréta et Canones, qui in Constitiitione modo lecta continentur, placuerunt omnibus Patribus, duobus exceptis, Nosque, sacro approbante Concilio, illa et illos, ita ut lecta sunt, definimus, et Apostolica Auctoritate confirmamus.
L'acte de la promulgation est à peine terminé, qu'une vive acclamation des Pères, accompagnée d'applaudissements, éclate dans la salle conciliaire et est répétée au dehors par la foule.
La nature physique elle-même manifeste qu'elle n'était pas insensible à ce qui se passait. Tandis que Pie IX prononce la formule de sanction, un des plus furieux orages dont Rome ait gardé le souvenir se déchaîne sur la basilique. Des éclairs formidables accompagnés de coups de tonnerre, comme on n'en avait jamais entendu, sillonnent les airs et jettent dans l'immensité du temple de MichelAnge des lueurs blafardes qui glacent d'effroi. La foudre tombe sur la coupole et brise quelques vitraux de la chapelle des SS. Procès et Martinien à laquelle était adossé le trône du Pape. Evidemment l'enfer exprimait sa colère. La foi de la multitude prononçait le nom de Sinaï. En effet, les Evêques autour de nous, se disaient les uns aux autres : (( Nous sommes au Sinaï. La tempête éclate au dehors, dans la société civile, tandis que le calme et la paix s'établissent dans la société religieuse par la promulgation de l'Infaillibilité. Quand Pie IX prononça la formule de sanction, les ténèbres étaient tellement épaisses qu'on dut apporter des flambeaux auprès de son auguste personne, pour que ses yeux pussent apercevoir sur le papier les mots de la formule que sa bouche prononçait.
294 LA SÉAIsCE OU SE DEFINIT
Après avoir laissé se calmer l'élan des acclamations, Pie IX adressa à l'assemblée une allocution latine, dont voici la traduction dans ses principaux passages. Elle révèle les trésors d'amour renfermés dans le cœur de l'immortel Pontife :
« Vénérables frères,
« Cette autorité suprême du Pontife romain n'est pas oppressive, mais auxiliatrice, elle ne détruit pas, elle édifie, et le plus souvent, elle confirme dans la dignité, unit dans
la charité, assure et défend les droits des évêques. C'est pourquoi, que ceux qui jugent maintenant dans le trouble sachent que le Seigneur ne se manifeste pas dans cet état. Que Dieu donc illumine les sentiments et les cœurs, et puisque lui seul opère les grands miracles, qu'il illumine les sentiments et les cœurs, afin que tous puissent se presser sur le cœur du Père, du Vicaire indigne du Christ icibas, qui les aime, les chérit et désire ne faire qu'un avec eux. Qu'ainsi unis par les liens de la charité, nous puissions combattre les combats du Seigneur ; que nos ennemis, au lieu de se rire de nous, nous redoutent au contraire, et qu'un jour ils laissent tomber leurs armes iniques au pied de la Vérité, et qu'ainsi tout le monde puisse dire avec saint Augustin : Tu m'as appelé à ton admirable lumière et voici que je vois. »
A peine ces graves et majestueuses paroles de Pie IX, plusieurs fois interrompues par les acclamations, étaientelles achevées, qu'un touchant épisode émut l'assemblée conciliaire. Les deux évêques qui avaient dit : non placet, l'un du royaume de Naples, l'autre de l'Amérique, l'un siégeant sur l'estrade de droite, l'autre sur l'estrade de gauche, se lèvent, descendent les degrés, se rejoignent dans
LE DOGME DE l'INFAILLIBILITÉ 295
le milieu de la salle conciliaire, et s' avançant jusqu'au pied du trône du Souverain Pontife, se prosternent à genoux et disent à très haute voix : « Très Saint Père, nous avons donné notre vote en conscience, mais maintenant que la définition est portée, nous sommes prêts à donner notre sang pour le privilège de Pierre et de ses successeurs ». Un frémissement d'admiration courut dans l'assemblée. Bien des larmes coulèrent.
VI
Au moment de la scène du Sinaï et des éclats de tonnerre au dehors de la basilique, les Evêque s'étaient écrié : « Tandis que la paix et l'unité s'établissent dans la société religieuse par la définition du magistère infaillible de Pierre, la tempête et le désordre éclatent dans la société civile. » Hélas ! ce pronostic ne mit guère de temps à se réaliser : le soir même, on apprenait à Rome la déclaration du terrible conflit entre l'Allemagne et la France.
L'extension du bienfait du dogme de l'Infaillibilité jusque dans les troubles et tempêtes de la société civile nous fut prophétisée par une parole magnifique de Monseigneur Manning. A l'issue de la grande séance et à travers l'écoulement de la foule, nous rencontrons le prélat anglais auprès du tombeau de saint Pierre, nous lui disons : « Monseigneur, permetteznous de vous féliciter, car personne n'a contribué mieux que vous au succès de cette grande journée ». Et le Prélat de nous répondre avec un air où la satisfaction se mêlait à la majesté : « Le monde maintenant peut crouler, nous avons la pierre pour le reconstruire. » De fait, dans les écroulements de nations et de dynasties qui vont se produire, la charitable et robuste pierre angulaire les retiendra sur la pente, ce sera la réalisation en Europe de cette vision du Prophète royal : conturbatœ siint gentes, et
296 LA SÉANCE OU SE DEFINIT
inclinata sont régna, les nations ont été remplies de troubles, et les royaumes se sont inclinés vers la ruine, mais la pierre exaltée au Concile du Vatican les a redressés dans la conservation et dans l'honneur.
Un autre épisode mérite d'être rapporté. Les Evêques européens, émus de la déclaration de guerre entre la Prusse et la France s'empressent, comme de juste, de hâter leurs préparatifs de départ et de quitter Rome pour se rendre dans leurs diocèses respectifs. Chemin faisant, nous rencontrons un évêque de France qui avait appartenu à l'opposition, mais qui nous honorait de sa franchise et de son amitié. Nous lui disons : « Monseigneur, pardonnez à notre curiosité ; comment se fait-il que deux Evêques, appartenant comme vous à l'opposition, l'un du royaume de Naples, l'autre de l'Amérique, aient été les seuls à dire non placet. » Il sourit et nous répond : « Ah ! quelle déception ! Nous étions soixantetreize de l'opposition et, dans un dernier conseil tenu autour de nos chefs, on avait décidé qu'on s'abstiendrait d'être présents à la séance de la définition, parce que le respect dû à la personne du Souverain Pontife arrêterait l'expression du non placet sur les lèvres des opposants, et dénoterait que la liberté s'est sentie entravée au Concile du Vatican. Or, qu' est-il advenu : tous les Evêques de l'opposition ont été avertis, chacun dans son domicile particulier, de n'avoir pas à se rendre à la séance de la définition. On croyait que tous avaient reçu le mot d'ordre, mais par une malchance les deux Evêques du royaume de Naples et de l'Amérique ont été oubliés. Voilà comment deux non placet ont été prononcés. »
Nous répondîmes au Prélat notre ami : « Monseigneur, ce que vous appelez une déception a été un coup de la Providence. Les deux non placet prononcés ont prouvé que la liberté n'a été nullement entravée en présence de l'auguste Pontife, et en même temps ils ont été l'occasion d'un
LE DOGME DE l'INFAILLIBILITÉ 297
magnifique et touchant acte de foi des deux Evêques protestataires.
VII
Nous retournons sur nos pas pour rentrer dans la basilique vaticane. La bonne Providence nous fait rencontrer le Très Saint Père. Nous nous précipitons, nous couvrons ses mains de baisers, et nous lui disons : « Très aimé Père, au moment de la définition, nous avons accepté votre magistère infaillible au nom des restes d'Israël », et il nous bénit avec une exquise bonté... C'était pour la dernière fois que nous entretenions celui qui avait constamment encouragé notre sainte entreprise.
Il nous plaît d'établir un trait d'union entre ce dernier entretien et le tout premier que nous avons eu avec Pie IX, peu d'années après notre conversion au catholicisme.
Après nous avoir fait raconter comment la grâce de Dieu nous avait fait passer de la synagogue à l'Eglise, Pie IX nous dit : « Mes fils, allez visiter la basilique de SaintPaul hors les murs, où repose le grand Apôtre des nations qui a gardé aussi dans son cœur l'amour du peuple d'Israël. En 1823, cette basilique brûla et le monde catholique se cotisa pour la reconstruire. Au jour de la dédicace, qui se célébra le dimanche de l'octave de la définition du dogme de l'ImmaculéeConception, je donnai aux prêtres une médaille où l'on voyait la basilique de SaintPaul brûlée, et aux Evêques une médaille qui présentait SaintPaul reconstruit, afin d'apprendre à tous que l'Eglise est comme le
phénix et qu'elle renaît toujours de ses cendres. »
Or, cette comparaison du phénix a été le trait d'union entre notre premier et notre dernier entretien avec l'immortel Pie IX. La comparaison du phénix est une comparaison si noble que le langage catholique n'a pas cru déroger en
298 LA SÉANCE OU SE DEFINIT
l'empruntant à la Fable. D'après la Fable, quand cet oiseau merveilleux, qui avait une huppe de pourpre sur la tête, les plumes couleur de pourpre et d'or, et les yeux étincelants comme des étoiles, sentait approcher sa fin, il se formait lui-même un bûcher de bois et de gommes aromatiques, sur lequel il se consumait au contact des rayons brûlants d'un soleil d'Arabie ; de la moelle de ses os se formait un autre phénix. C'était là un très beau symbole de l'immortalité de l'âme.
Eh bien, auguste Pie IX, puisque vous avez dit, à propos de SaintPaul brûlé et de SaintPaul reconstruit, que l'Eglise catholique est comme le phénix, et qu'elle renaît toujours de ses cendres, consentez à ce que ce beau et miséricordieux rapprochement s'étende jusqu'aux restes d'Israël. Le jour où l'ancien peuple de Dieu se conformera au magistère infailli
ble de la Papauté, il en renaîtra, selon les promesses divines, pour l'Eglise et la société tout entière, un avenir plus merveilleux que les couleurs de pourpre et d'or du phénix de la Fable.
CHAPITRE XXXIV
Le lendemain du Concile.
La soumission entière des dissidents à la faveur de la fumée des batailles. — IL Notre conversation à Rome avec Monseigneur Maret, « FEvêque vaut mieux que le livre )>. Sa conversation à Paris avec Tex-Père Hyacinthe Loyson. Il est nommé archevêque par le Pape. — III. L'acte de l'Evêque de Luçon appelant son imprimeur le soir même de son retour de Rome. Magnifique lettre pastorale de l'Archevêque de Munich à ses diocésains. — IV. Coup d'œil d'aigle du grand Archevêque de Westminster entrevoyant, dans la définition du dogme de l'infaillibilité, une force préservatrice destinée dans l'avenir à soutenir l'arche de l'Eghse sur les flots agités. — V. Une lettre du Père Marie Ratisbonne, précieux témoignage qui nous arrive de Jérusalem.
I
« Dieu tire le bien du mal », adage biblique qui s'est justifié au lendemain du Concile du Vatican. La guerre entre la Prusse et la France allait être un mal, une calamité ; mais à la faveur de la fumée des batailles, la soumission entière des dissidents s'accomplira sans bruit, sans humiliation pour eux. Il y aura bien encore quelques résistances
partielles ressemblant à ces coups de canons isolés qui retentissent encore de ci de là quand la bataille est finie, mais la grande lutte autour du dogme de l'Infaillibilité est finie, bien finie : le Dieu des miséricordes s'est servi de la fumée
20
300 LE LENDEMAIN
des batailles pour couvrir, comme d'une ombre tutélaire, la soumission des Evêques en retard.
Son Eminence le cardinal Capalti, un des cinq présidents du Concile, énumérant les obstacles et le péril amoncelés par les opposants, nous avait dit à nous-mêmes, dans une conversation intime : « on les a laissé se déployer comme une tempête, et maintenant les obstacles et le péril sont tels que pour en finir, saint Pierre et saint Paul seraient comme forcés de descendre parmi nous pour pratiquer une issue, saint Pierre pour ouvrir cette issue avec ses clefs, et saint Paul avec son glaive. »
Or, à l'issue de violence entrevue par le cardinal Capalti et réalisée dans la terrible lutte entre la Prusse et la France, la divine miséricorde fit succéder une issue de paix, semblable à l'apparition de l'arcenciel après l'orage. En effet, les Evêques dissidents allaient rentrer dans l'unité avec le Pape comme sous la courbe triomphale d'un brillant arcenciel.
II
Le premier qui passa sous Parc de triomphe fut Monseigneur Maret, évêque de Sura in partibus.
Nos relations avec l'aimable et savant prélat dataient de Paris. Hélas! il avait pris rang parmi les opposants ; bien plus, il était le scribe de l'opposition, son théologien : son livre (( du Concile général et de la paix religieuse, le Pape et les Evêques » était dans toutes les mains.
Il nous savait à Rome, et un jour, durant les luttes auxquelles nous assistions, il nous rencontra et nous demanda : « Mes amis, qu'entendezvous dire de mon livre? » La réponse à quelqu'un qui nous honorait de son amitié était assez embarrassante; nous lui répondîmes : « Monseigneur'
DU CONCILE 301
on pense généralement que l'Evêque vaut mieux que le livre )). L'étreinte de son embrassement nous prouva que notre franchise entourée de délicatesse ne lui avait pas déplu. Nous retrouvâmes Monseigneur Maret à Paris quelques mois après la fin du Concile. Nous lui rendîmes visite, il nous ouvrit ses bras et son cœur. Prenant le premier la parole, il nous dit : « Mes chers amis, hier, à la place où vous êtes assis, dialoguait avec moi l' exconférencier de Notre-Dame, le Père Hyacinthe Loyson. Ce fut, de sa part, un long et pénible réquisitoire contre le dogme de l'infaillibilité. Quand il eut fini, je répliquai : s'il y a un évêque dont l'amourpropre a dû souffrir au Concile du Vatican, c'est bien moi, dont le livre a été comme le champ clos de la lutte; mais maintenant que le dogme de l'Infaillibilité a été défini, j'aimerai mieux qu'on m'arrachât les deux yeux de la tète plutôt que de désobéir à JésusChrist et à son Eglise. » Avec un frémissement d'admiration, nous embrassâmes le pieux Evèque.
Cet épisode du domaine privé, n'a jamais été connu. Mais voici ce qui a été non moins admiré dans le domaine public :
En 1871, parut un écrit de Monseigneur Maret par lequel il réprouvait et retirait le livre qu'il avait publié à la veille du Concile. Cet écrit où reluisait la belle âme de l' Evèque, disait: « Renouvelant l'adhésion pure et simple que j'ai déjà donnée à la Constitution dogmatique proclamée dans la session publique du Concile du Vatican du 18 juillet de l'année dernière, et confirmée par le Souverain Pontife, je rejette absolument tout ce qui, dans mon ouvrage « du Concile général et de la paix religieuse, le Pape et les Eçêques » est contraire à cette Constitution et aux définitions et décrets des Conciles précédents et des Pontifes Romains. Je déclare, en outre, que mon ouvrage cesse d'être en vente. »
Pie IX fit exprimer sa satisfaction à Mgr Maret, qui avait si noblement rempli son devoir ; et comme gage de la
302 LE LENDEMAIN
satisfaction papale, Monseigneur Marret fut élevé au rang d'Archevêque.
III
Sous la courbe du brillant arcenciel, voyons passer deux autres opposants, l'un de France, l'autre de Bavière.
Le premier est Monseigneur Collet, évêque de Luçon. Nous le rencontrons chez l'Archevêque de Tours, il nous dit : « J'ai pu vous attrister par mon opposition, mais écoutez ce que j'ai fait pour réparer un peu. Le soir même de mon retour à Luçon, j'ai mandé mon imprimeur, et ouvrant le catéchisme du diocèse, je lui ai dicté un carton qu'il devait imprimer et insérer dans le chapitre concernant le Souverain Pontife, et sur ce carton était décrite fermement et largement la prérogative de l'Infaillibilité. Je n'ai pas voulu me livrer au repos du sommeil avant d'avoir donné à ma conscience le repos du devoir accomph. »
L'autre opposant était l'Archevêque de Munich. Dès la rentrée dans son diocèse, il adresse à ses diocésains cette magnifique lettre pastorale :
(( Dans notre opposition, nous jugions d'après nos vues et nos convictions personnelles, mais nous étions bien loin de croire que notre jugement fût nécessairement le seul vrai et le seul juste. Un Evêque particulier n'est jamais en état d'apprécier les besoins de toute l'Eglise. Il voit le présent, il ne voit pas l'avenir; seul l'EspritSaint connaît ce qui est véritablement nécessaire ou utile à l'Eglise. C'est pourquoi, lorsqu'il parle par le Concile, n'hésitons pas un ins
tant à nous soumettre à son jugement et à faire ce que la prudence et la foi exigent de tout catholique. Dans le domaine de la foi, toute opinion personnelle doit céder, toute
théorie si séduisante qu'elle soit, doit disparaître ; la soumission et l'obéissance ne sont pas des marques de faiblesse,
DU CONCILE 303
de versatilité, encore moins d'un esprit servile, mais la condition nécessaire de l'union avec l'Eglise et du salut éternel. Comme Evêque catholique, durant les délibérations du Concile, j'ai nettement exprimé mes idées, estimant que tel était notre devoir. Gomme évêque catholique, aussitôt après la sentence du Concile, j'ai dû me soumettre publiquement et sincèrement. Comme Evêque catholique, je dois maintenant réclamer de vous la même soumission. » En réalité, sur ces prélats et bien d'autres encore, la courbe de F arcenciel irradiait ses couleurs de sérénité et de triomphe.
IV
Si le lendemain du Concile brillait par le retour des opposants au bonheur de l'unité, de quelles satisfactions indes
criptibles les évêques de la majorité n'étaientils par inondés? Bornonsnous à rapporter le coup d'oeil d'aigle du grand archevêque de Westminster, Monseigneur Manning entrevoyant dans la définition de l'Infaillibilité une force préservatrice destinée, dans l'avenir, à soutenir l'arche de l'Eglise sur les flots agités. Son beau livre « Histoire du Concile œcuménique du Vatican » s'exprime ainsi :
« L'Eglise peut souffrir, mais elle ne peut mourir. Les dynasties et les sociétés civiles de l'Europe peuvent, non seulement souffrir, mais encore être détruites. En quelque lieu qu'il se trouve, à Rome ou en exil, libre ou en captivité, le Chef de l'Eglise sera tout ce que le Concile du Vatican a déclaré qu'il est, suprême dans sa définition, infaillible dans sa foi. En quelque endroit qu'il aille, les fidèles du monde entier verront en lui la ressemblance de son divin Maître, et pour l'autorité et pour la doctrine. Le Concile a ainsi fait des provisions pour l'Eglise dans son temps
304 LE LENDEMAIN
d'épreuve ; alors, cela est possible, que non seulement les Conciles œcuméniques ne pourront se réunir, mais que même l'administration ordinaire du gouvernement et du conseil ecclésiastique sera à peine praticable.
« La barque de Pierre est prête à affronter la tourmente. Tout ce qui est nécessaire se trouve déjà sur son bord. Les âges passés étaient violents et pleins de périls ; mais les âges futurs peuvent bien les surpasser en violence, comme l'ouragan surpasse une tempête ordinaire. Les temps du Concile de Trente étaient orageux ; mais depuis trois cents ans la licence et la violence de la libre pensée, de la libre parole et d'une presse sans frein, qui n'épargne rien d'humain ou de divin, se sont accumulées et ont grandi en étendue et en intensité. Tout cela s'est précipité sur le Concile du Vatican. Et au milieu de tout cela, le Vicaire de JésusChrist, condamné par toutes les puissances du monde autrefois chrétien, reste seul debout, faible mais invincible, et le juge suprême, le docteur infaillible des hommes.
« L'Eglise est donc pourvue de tout ce qui lui est nécessaire pour la foi et pour la vérité, pour l'unité et pour l'ordre. L'inondation peut venir, la pluie peut tomber, les vents peuvent souffler, et se précipiter sur elle ; elle ne sera pas renversée, parce qu'elle est fondée sur Pierre... Que les pouvoirs civils, les uns après les autres ou tous ensemble, prétendent faire du Vicaire de Jésus-Christ leur sujet, jamais il ne sera sujet. Le non possumus est non seulement immuable, mais invincible. Le Chef infailhble d'une Eglise infaillible ne peut être soumis à la souveraineté d'un homme. Le Concile du Vatican a fait éclater cette vérité avec l'évidence de la lumière. Le monde peut la mépriser et la combattre, mais l'Eglise de Dieu ne cessera de croire et d'agir d'après cette loi de foi divine. ))
DU CONCILE 305
On nous pardonnera de clore ces détails sur le Concile du Vatican par un témoignage qui nous vint de Jérusalem. A propos de la question des restes d'Israël, motif de notre participation à ce cher et inoubliable Concile, le Père Marie Ratisbonne nous écrivait, en date du 2 janvier 1871 :
(( Bien chers et aimés frères,
(( L'œuvre capitale du Concile, terminée tout juste à l'instant où les catastrophes qui allaient éclater à l' improviste, rendaient cette œuvre si indispensable à l'Eglise et au monde, nous est une lumière consolante à travers les ténèbres où nous sommes plongés. Le Patriarche de Jérusalem, qui est de retour depuis une quinzaine, voit l'avenir sous les couleurs les plus sombres, à cause de l'apostasie de tous les gouvernements chrétiens, et de l'affaissement politique et moral de l'Europe. Toutefois, bien entendu. Son Excellence ne doute pas du triomphe de l' Eglise ; et ce triomphe sera d'autant plus important et plus éclatant que le déchaînement de l'enfer aura été plus formidable. La divinité de l'Eglise brillera d'une nouvelle auréole ; et alors sonnera l'heure de la conversion des Juifs. Oui, je pressens que les cataclysmes actuels prépareront cette étonnante résurrection. Je remuerai le ciel et la terre, dit le Seigneur.
« Vous aussi, chers frères, guidés par l'EspritSaint au Concile du Vatican, vous avez préparé le grand événement et par vos écrits, et par vos démarches, et par les résultats extraordinaires que vous avez obtenus ; vous ne perdrez pas de vue, au milieu des préoccupations actuelles, la sublime mission que vous avez reçue d'en haut ; les grandes eaux des tribulations ne ralentiront pas votre zèle, et n'éteindront pas votre charité ! »
306 LE LENDEMAIN
Oh ! non, bon Père Marie, grâce à vos prières et à celles de votre vénéré frère Théodore, rien n'a pu éteindre notre charité pour les restes d'Israël : nous sentons que vous nous assistez du haut du ciel.
CHAPITRE XXXV
Suprêmes supplications adressée à Sa Sainteté le Pape Léon XIII,
à Sa Sainteté le Pape Pie X
et à Nosseigneurs les Archeoêques et Eoêques.
I. Appels de tendresse par lesquels Léon XIII engage différents peuples à rentrer dans l'unité de l'Eglise catholique. Notre supplique pour que les dispersés d'Israël ne soient pas oubliés dans ces appels de compassion. Le cœur de Léon XIII nous répond par un bref d'un prix inestimable. A l'occasion des Noces d'or de Sa Sainteté, nous lui offrons un précieux calice artistique, et Léon XIII nous promet de prier pour notre peuple toutes les fois qu'il s'en servira. Cette promesse fut une rosée de bénédiction. — IL En 1904, à l'occasion du cinquantenaire de la proclamation du dogme de l'Immaculée-Conception, Pie X, continuateur des bienfaits de Pie IX, nous permet de lui présenter les burettes d'or à la messe solennelle qu'il célèbre dans la basilique SaintPierre. Notre prière à notre blanche sœur la Vierge Marie, quand Pie X pose sur sa très belle statue une couronne de douze étoiles de diamants. Cette ineffable journée se termine par une visite à la basilique de Sainte-Croix-de-Jérusalem, où sont conservées les saintes reliques de la Passion : usage toujours existant des pauvres juifs se faisant inhumer avec des petits sachets de terre de Jérusalem sur le cœur ; notre prière pour qu'à ces petits sachets soient substitués bientôt de petits crucifix. — III. Labeur entrepris avec douce espérance pour éclairer nos frères en retard : les publications de livres. Publications d'Augustin, celles de Joseph. Appréciation élogieuse de Mgr Dadolle et de l'Eminentissime Cardinal Coullié. — IV Une brochure composée en commun par les deux frères : Valeur de V Assemblée qui prononça la peine de mort contre Jésus-Christ. Péroraison attendrissante ou larmes de repentir et d'amour que versera le peuple juif converti. Prélude de ces larmes dans les yeux du Père Marie Ratisbonne, à la lecture de cette péroraison. Larmes continuées à la mort d'Augustin, par
308 SUPRÊMES SUPPLICATIONS
son frère jumeau Joseph, qui reste seul comme le passereau solitaire sur le toit dont parle le Prophète royal. Lettre compatissante de Sa Sainteté Pie X. — V. Réconforté, Joseph recourt à trois moyens pour avancer la conversion des restes d'Israël. Le premier est une vive participation à tout ce qui concerne la divine Eucharistie. Pressentiment que la reconnaissance par ses frères de Joseph fils de Jacob à l'occasion du froment d'Egypte est
une figure prophétique de Jésus devant être reconnu par ses frères les Israélites à propos du froment du ciel, la très sainte Eucharistie. Transport d'allégresse : ce sera dans le monde entier la matinée d'un jour de Pâques. Le second moyen est l'amour et le port du crucifix et la pratique du Chemin de la croix. Fondation, sous les auspices de Sa Sainteté Pie X de « La Pieuse Union du Crucifix du pardon » qui, à cette date de 1911, a étendu ses développements dans toutes les directions du globe. La pratique du Chemin de la Croix prépare non moins efficacement la conversion des restes d'Israël. Autre pressentiment que la réconcihation du peuple juif avec le peuple chrétien doit s'accomplir sur un chemin de douleurs ; saisissante figure prophétique d'Esaû se jetant au cou de Jacob sur un chemin. Le troisième moyen concerne Nosseigneurs les Archevêques et Evêques auxquels ce livre des deux frères jumeaux est adressé en hommage. Tous les signataires de notre Postulatum au Concile du Vatican dorment leur dernier sommeil, ce sont donc leurs successeurs sur les sièges épiscopaux qui vont recevoir notre hommage ; fasse le ciel qu'ils soient aussi les héritiers de leurs témoignages de bonté envers les restes d'Israël. Suprême regard de supplication levé vers deux montagnes secourables : l'une est la montagne de Dieu ou la Jérusalem céleste, l'autre est la colline vaticane où se dresse majestueusement la basilique Saint-Pierre. Neuvième anniversaire du couronnement de Pie X, Sa Sainteté me bénit avec tout son cœur. Cette suave bénédiction me fait entrevoir l'impressionnante bénédiction Urbi et Orhi qui manque depuis 41 ans à la catholicité. Malaises de cette privation, nonobstant la superbe civilisation de notre époque. La bénédiction au balcon de la basihque Saint-Pierre nous sera rendue, on en sera redevable à la Très Sainte Vierge. Superbe figure prophétique de ce pouvoir de Marie dans la fin d'une sécheresse qui désolait la Palestine au temps du prophète Elie : la Vierge est alors le petit nuage qui fait pleuvoir la fécondité sur la Palestine renaissante, et qui fera pleuvoir sur les catholiques et les Israélites, des grâces ruisselantes par la main du souverain Pontife bénissant au balcon de la Basilique SaintPierre.
A LÉON XIII ET A PIE X 309
I
De 1871 à 1909, c'est-à-dire durant trente-huit années où la divine Providence nous a conservés l'un à l'autre, notre charité pour les restes d'Israël s'est efforcée d'être laborieuse en plusieurs manières.
D'abord, à l'occasion d'un sublime appel adressé par Sa Sainteté Léon XIII aux égarés d'un pôle à l'autre, nous déposâmes aux pieds du Très Saint Père la supplique suivante :
« Très Saint Père,
(( Parmi les gloires si variées et si multiples du Pontificat de Votre Sainteté, une des plus belles et des plus consolantes consiste dans les appels de tendresse que Votre Sainteté a daigné adresser à différents peuples pour les engager à rentrer dans l'unité de l'Eglise catholique. Nul peuple égaré n'a été oublié, ni en Occident, ni en Orient, qu'ils fussent protestants, schismatiques ou infidèles. Aussi ce ne sont pas seulement les vastes espaces de l'Océan que Votre Sainteté a traversés par le cœur et par la pensée, ainsi qu'Elle le disait naguère dans sa lettre aux Etats-Unis de l'Amérique du Nord, ce sont tous les océans, tous les continents, tous les fleuves, toutes les montagnes, toutes les régions, même celles où gisent encore « dans les ténèbres de l'idolâtrie les Indiens et les nègres ». Oui, il est vrai de dire avec le psalmiste qu'aucun peuple n'a pu se dérober à la charité du cœur de Votre Sainteté : Nec est qui se abscondat a calore ejus.
« Très Saint Père, au milieu de ces innombrables régions que la pensée et le cœur de Votre Sainteté ont ainsi traversées, il reste encore les Dispersés d'Israël. Que Votre Sainteté daigne jeter sur eux aussi un regard de compas
310 SUPRÊMES SUPPLICATIONS
sion, afin que s'accomplisse cette touchante parole du Prophète : dispersiones Israelis congregabit Cette gloire et cette tendresse doivent appartenir également au Pontificat de Léon XIII. Alors, la miséricorde sera entièrement satisfaite. »
L'oreille et le cœur du Pontife s'inclinèrent vers notre supplique. Profitant de l'hommage que l'un de nous deux lui adressait, dans le livre « Napoléon I^ et les Israélites » qui faisait suite à « Ventrée des Israélites dans la société française )) et à (( La Prépondérance juiçe », Léon XIII nous honora du Bref suivant :
« Cher Fils, salut et bénédiction apostolique, «Nous avons reçu le nouvel ouvrage que votre esprit si fertile a mis au jour, et auquel votre lettre, empreinte du respect le plus profond pour Notre Personne, ajoutait un prix inestimable. Pour ce double hommage. Nous vous adressons le témoignage de Notre bienveillance et le tribut d'éloges que vous méritez. Puissiezvous obtenir par vos écrits les nobles résultats que vous en attendez. C'est là notre vœu le plus ardent. Ce but, vous l'atteindrez. Nous l'es
pérons ; car, dans l'œuvre que vous fournissez avec un si persévérant labeur, vous savez unir à une exacte et scrupuleuse information des faits, l'appréciation la plus bienveillante et la plus équitable. A un vrai savant, animé, comme vous, d'un grand amour pour ses frères, il convient, en effet, de se faire, dans une égale mesure, le serviteur de la vérité et de la charité, de telle sorte que non seulement l'une ne perde rien au contact de l'autre, mais qu'elles se prêtent
mutuellement un surcroit d'autorité et de crédit. Persévérez donc, cher Fils, dans cette voie et cette méthode. Nous vous y engageons ; et, pour que le succès réponde plus heureusement à vos vœux, Nous vous accordons volontiers la bénédiction apostolique et, selon vos désirs, Nous la ré
A LÉON XIII ET A PIE X 311
pandons avec une égale affection sur ce frère qui n'a qu'un même cœur avec vous.
« Donné à Rome, près SaintPierre, le 24 juin de l'année 1894, de notre Pontificat la dixseptième.
« LÉON XIII, PAPE. ))
Quelques mois plus tard, à l'occasion des Noces d'or de Léon XIII, nous offrîmes à Sa Sainteté le « calice de l'alliance catholique », merveilleux travail d'orfèvrerie, sur le pied duquel étaient échelonnés sur des émaux les saints qui ont suscité les croisades. Après l'avoir admiré. Il nous dit : « De tous les calices que j'ai reçus, celui-là est le plus artistique ; je le garde pour ma chapelle et lorsque je m'en servirai je prierai pour le retour de votre peuple. »
Ces paroles ont été comme une rosée sur les restes d'Israël ; plusieurs de nos anciens coreligionnaires sont venus à nous et nous ont tendu la main, c'était comme le prélude de la gracieuse réflexion de Pie IX : « Si la vendange tout entière ne peut encore se faire, nous aurons du moins quelques grappes. »
II
Nous voici sous le Pontificat de Sa Sainteté Pie X ; ses bienfaits nous feront avancer de clarté en clarté dans notre sainte entreprise.
Le 8 décembre 1904, se célèbre à Rome et dans la catholicité le cinquantenaire de la proclamation du dogme de l'Immaculée Conception. La basilique SaintPierre est splendidement décorée. Sa Sainteté Pie X offre le Saint Sacrifice entouré de tout le Sacré Collège, des patriarches, et d'environ deux cent cinquante Evêques en mitres et chapes blanches. Attendu que, trentequatre années auparavant, nous avions
312 SUPRÊMES SUPPLICATIONS
eu l'insigne privilège de servir la Messe du Concile où fut défini le dogme de l'Infaillibilité, Pie X, continuateur des bontés de Pie IX, nous permettait de lui présenter les burettes d'or à la messe qu'il célébrait le 8 décembre 1904. Oh ! quelles émotions ! après avoir béni les burettes. Pie X nous bénissait avec une paternelle tendresse.
Le couronnement d'une très belle statue de la Très Sainte Vierge avait précédé le Saint Sacrifice. Le Pape posa sur le front de la Vierge une couronne étincelante de douze étoiles de diamants. Nous adressâmes à notre blanche sœur cette invocation : « Marie, notre divine Mère et notre blanche sœur, daignez rattacher, de votre main miséricordieuse, les pauvres branches d'Israël au cep divin qui est JésusChrist votre fils. )>
Peu après, nous nous rendons en pèlerinage à la basilique de SainteCroixdeJérusalem, où sont rassemblées les saintes reliques de la Passion. Cette basilique fut édifiée par les soins de l'Impératrice sainte Hélène, qui se fit accompagner, dans son retour de Jérusalem à Rome, par un navire chargé de la terre du Calvaire : en sorte que, dans leur déplacement, les saintes reliques de la Passion, déposées dans la basilique construite sur la terre du Calvaire, retrouvaient Jérusalem dans Rome. Ce souvenir historique nous fit songer à un usage toujours existant chez les pauvres juifs. Beaucoup d'entre eux, en prévision de leur fin, se font venir des petits sachets remplis de terre de Jérusalem, ils ordonnent à leurs enfants de les ensevelir avec cette terre de Jérusalem sur le cœur. Assurément, cette piété est touchante, mais elle est incomplète : la terre de Jérusalem n'est qu'une base, une base où fut érigée la Croix du salut, et nous demandâmes à la Très Sainte Vierge et à sainte Hélène d'obtenir de la divine miséricorde que les pauvres juifs substituent bientôt, aux petits sachets de terre de Jérusalem, des petites croix, des crucifix, qui leur procurent le salut éternel.
A LÉON XIII ET A PIE X 313
III
Le labeur de charité pour nos frères en retard nous dirige vers une nouvelle clarté : celle des publications.
L'un de nous, Augustin, fait paraître deux ouvrages : « La Vierge et l'Emmanuel », puis « L'Histoire complète de l'idée messianique chez le peuple d'Israël. »
Monseigneur Dadolle, recteur des Facultés catholiques de Lyon, apprécie en ces termes le premier ouvrage : « Cher collègue, vous avez été attiré, vous deviez l'être, par la lumière d'aurore dont l'Ancien Testament a commencé de nimber le front de la Vierge. Et, de cette lumière, vous avez cherché à démêler et à fixer les rayons, précisément au point où ils brillent du plus vif éclat, dans ce Livre de V Emmanuel qui est le chef-d'œuvre et le centre de la prophétie antique. Oh ! comme vous vous complaisez à illustrer la Vierge sous le nom « dJ Almah », dans ce vieil oracle du viii siècle avant le Christ, et comme vous applau
dissez à son enfantement merveilleux, dont le fruit est Emmanuel ». L'autre ouvrage d'Augustin présente, entre autres chapitres fouillés avec un art scripturaire exquis, une étude du plus haut intérêt sur le peuple juif revenu de ses ténèbres : « Certitude de la conversion à venir du peuple juif ; le bandeau de ses yeux enlevé — A quand l'entrée d'Israël dans l'Eglise, Jérusalem spirituelle — Les deux fils de Joseph, Ephraïm et Manassé, aux pieds du patriarche Jacob, ou les deux peuples Gentil et Juif aux pieds de JésusChrist ; l'unique bercail sous l'unique Pasteur ». L' Eminentissime cardinal Coullié, archevêque de Lyon, a résumé en ces termes sa haute satisfaction sur cette brillante étude scripturaire : « J'ai trouvé, dans ce volume, les mêmes qualités qui distinguent les autres écrits du vénéré professeur, le même accent de piété, le même respect des divines Ecritures,
314 SUPRÊMES SUPPLICATIONS
le même amour de l'Eglise, le même zèle apostolique. Que Dieu couronne ses travaux de toutes ses bénédictions. »
De son côté, Joseph, son frère, entreprenait et publiait une série de volumes sur la Très Sainte Vierge dont voici rénumération : « La Vierge Marie présentée à l'amour du xx siècle. » — « La mère des chrétiens et la Reine de l'Eglise. » — (( La Vierge Marie dans l'histoire de l'Orient chrétien. » — « La dame des Nations dans l'Europe catholique ». Non moins paternel pour Joseph que pour Augustin, l'Eminentissime cardinal Archevêque de Lyon se plaisait à déverser sur cette publication mariale les éloges et les bénédictions : « Daigne la Vierge Immaculée permettre que vos ouvrages fassent comprendre aux catholiques, aux chrétiens non catholiques, aux israélites, qu'ils ont dans le ciel une mère infiniment bonne, infiniment miséricordieuse, infiniment puissante, toujours prête à les recevoir dans ses bras et à les réconcilier avec son divin Fils : Omnipotentia
supplex / Vos beaux livres traverseront les nuages de
notre horizon comme un arcenciel bienfaisant. Tous ceux qui voudront les lire y puiseront des consolations pour le présent, des espérances pour l'avenir, et une confiance indicible dans la miséricordieuse puissance de Marie, Reine
du monde et Mère des âmes A personne ne peut mieux
être appliquée qu'à votre plume, mon cher chanoine, cette parole du poète : Même quand l'oiseau marche on sent qu'il a des ailes. Que vous nous parliez des grands faits de l'histoire, ou des bienfaits répandus sur le monde par Marie, ou de la reconnaissance des peuples envers Elle, c'est toujours avec une phrase ailée, qui monte en même temps qu'elle avance et qui mspire à l'âme un doux sursum corda. ))
Sous le patronage si princier de notre Eminentissime Archevêque, nos ouvrages ont pu faire un peu de bien.
A LÉON XIII ET A PIE X 315
IV
Nous avions composé en commun une brochure assez volumineuse intitulée « Valeur de rassemblée qui prononça (( la peine de mort contre JésusChrist ou l'assemblée déicide. » Notre péroraison était celle-ci, appuyée sur le texte du prophète Zacharie : Ils regarderont i^ers moi qu' ils ont percé et ils pleureront.
« Au jour à venir, mille fois désiré, de la conversion des restes d'Israël, les enfants de ce peuple diront au Seigneur : (( D'où tiennent ces plaies que vous avez au milieu des mains? Et il répondra : Tai été percé de ces plaies dans la maison de ceux qui m'aimaient. Ils m'appelleront par mon nom et je les exaucerai. Je leur dirai : Vous êtes mon peuple ; et chacun d'eux me dira : Seigneur, mon Dieu ! »
« A cette description, à ce dialogue, à ces plaies aux mains et aux pieds, qui de vous, ô Israélites ! ne reconnaîtra, s'il est de bonne foi et si la grâce daigne le toucher, l'HommeDieu condamné par le sanhédrin? Car l'Ecriture vous dit son nom : Il était le Messie, le Seigneur ! Et nos pères, hélas, ne l'ont point connu. Mais leurs fils le reconnaîtront un jour ; chacun d'eux lui dira : Seigneur, mon Dieu ! Et, le reconnaissant, ils lui demanderont à contempler les plaies de ses mains et de ses pieds ; et de ces plaies ils approcheront leurs lèvres ; et sur ces plaies, ils laisseront couler des torrents de larmes. Et la terre s'attendrira à ce
spectacle ; tous les hommes pleureront avec eux, une famille à part, et une autre part. »
Ce jour d'émouvante et sublime reconnaissance, à nous qui écrivons ces pages, il ne sera pas donné de le contempler sur cette terre : depuis longtemps nous l'aurons quittée. Mais, du haut du ciel, où Dieu, nous l'espérons,
21
316 SUPRÊMES SUPPLICATIONS
nous fera la grâce de nous recevoir, nous nous unirons à notre peuple converti et repentant. Au ciel, il n'y a plus de larmes ; et c'est pourquoi nous emprunterons, pour les offrir à Dieu, les larmes de nos frères ;
Maison de David,
Maison de Nathan,
Maison de Lévi,
Maison de Sémei, lorsque luira le jour de ce sanglot : Uoii {tiennent ces plaies que vous avez au milieu des mains? en ce jour, ah ! souvenezvous des deux fils d'Israël, prêtres de Jésus-Christ, qui ont écrit ces pages. Et en échange des heures qu'ils ont consacrées à ce travail, versez comme hommage quelquesunes de vos larmes, versez-les, en leur nom, aux pieds du condamné du sanhédrin.
A la réception de notre brochure, le Père Marie Ratisbonne voulut bien nous écrire de Jérusalem : « Je viens de dévorer votre dernière publication sur le sanhédrin, c'est admirable. Recherches, éruditions, documents, lucidité, l'intérêt est soutenu d'un bout à l'autre, et c'est à peine si j'ai pu lire la dernière page, tellement mes yeux se remplissaient de larmes ».
C'était dans les yeux du vénéré Père Marie Ratisbonne, des larmes touchantes, prélude des larmes qui tomberont un jour des yeux de notre peuple. Depuis lors, mes larmes ont continué celles du Père Marie, car mon bienaimé frère jumeau, qui ne faisait avec moi qu'un cœur et qu'une âme, m'a dit son dernier adieu, après avoir usé sa vie dans le service de la Sainte Eglise catholique : Factus sum sicut passer solitarius in tecto, je suis devenu comme le passereau solitaire sur un toit : c'est le gémissement d'un des psaumes, et c'est aussi mon gémissement. Plein de compassion pour ma grande douleur. Notre Très Saint Père Pie X a daigné l'adoucir par la lettre suivante, entièrement écrite
A LÉON XIÏI ET A PIE X 317
de sa main paternelle. Puisse le cher lecteur s' unissant à cette auguste compassion, diriger deux petites prières secourables, l'une, vers la tombe du frère tendrement aimé, l'autre vers le pauvre solitaire pour soutenir son courage et son entier abandon à la sainte volonté de Dieu.
Lettre de Sa Sainteté Pie X. « Très cher fils,
« Ma douleur s' associe profondément à votre douleur, très cher fils, à cause de la mort de votre frère bienaimé ; mais aussi, en conformité avec la volonté divine, je sollicite du Seigneur pour vous les consolations qui viennent de la foi. Certes, beaucoup de consolations se présentent à vous, rien qu'en considérant la vie du cher Augustin ; appelé à la récompense, il répandra ses prières devant Dieu pour que, non seulement vous obteniez les grâces que vous désirez, mais surtout pour que ceux qui n'ont jamais été séparés sur la terre ne soient pas séparés dans la céleste gloire.
« PIE X, PAPE. »
Jour du 28 juin 1909.
Réconforté par cette espérance ferme de jouir avec mon frère de la gloire céleste, je travaille courageusement à obtenir du cœur de Jésus une nouvelle clarté, un nouveau progrès dans le retour de notre cher peuple d'Israël. Recours à trois moyens. Le premier est une vive participation à tout ce qui concerne la divine Eucharistie : applaudissement au sublime décret Quant singulari, aux communions des petits enfants, à l'augmentation des légions d'anges, aux Congrès eucharistiques. J'ai le pressentiment que le touchant épisode de Joseph, fils de Jacob, se faisant reconnaître à ses frères à propos du froment d'Egypte, se renouvellera dans la miséricorde de Jésus se faisant reconnaître à ses frères
318 SUPRÊMES SUPPLICATIONS
les Israélites à propos du froment du ciel, la très sainte Eucharistie. Quelle merveille d'amour alors !
Nous ne dirons rien des tendresses de JésusChrist pour ses frères, laissons à Celui dont Joseph est la figure le secret de son pardon et de son amour ! Mais nous dirons nos tendresses et notre dévouement pour Lui.
Entre toutes les qualités qui forment le génie de notre nation, il en est deux plus remarquables que toutes les autres, c'est la vivacité de sentiments et c'est la ténacité. La vivacité de sentiments : notre nation né hait rien ou n'aime rien faiblement; dans son amour comme dans sa haine, elle va jusqu'à l'extrême. Et la ténacité : car voici quarante siècles que nous attendons celui que nous devons aimer ! Or, lorsque l'esprit de grâce se mettra enfin dans cette vivacité et dans cette ténacité ; lorsque nos yeux s'ouvriront ; lorsque nous nous apercevrons en masse que celui que nous attendons depuis quarante siècles est déjà passé, que lui-même depuis vingt siècles nous attend les bras étendus ; lorsque nous verrons avec la clarté du soleil que nous avons eu le malheur de le crucifier, et qu'enfin les nations chrétiennes qui auraient dû nous le faire connaître ne le connaissent presque plus, et ne l'aiment plus à leur tour : à ce moment, grand Dieu ! ce sera parmi nous l'explosion d'un amour qui s'en voudra de sa méprise, et qui, se retournant irrité, s'en prendra à tout l'univers. Et nous nous lèverons, et alors recommenceront nos courses à travers les espaces, et là où avait passé le Juif errant, repassera le juif devenu apôtre. Nous avons vu au livre de l'Apocalypse cet irrésistible apostolat de notre peuple, et il était cet Ange revêtu d'une nuée, de cette nuée qui autrefois avait ombragé et protégé ses pères : angelum amictum nub e ;
Et sur sa tête, il y avait un arcenciel, l'arcenciel ou le signe du pardon et le signe des beaux jours : et iris in capite ejus ;
A LÉON XIII ET A PIE X 319
Et son visage était comme le soleil, c'était ce même éclat, ces deux cornes de lumière qui autrefois avaient illuminé le visage de Moïse : et fades ejus erat ut sol ;
Et ses pieds étaient comme des colonnes de feu : comme des colonnes de feu pour broyer les obstacles au royaume catholique : et pedes ejus tanquam columnse ignis ;
Et il tenait à la main un petit livre ouvert, ce petit livre ouvert, c'est-à-dire l'Evangile fermé pour ce peuple tout seul durant dixneuf siècles : et habebat in manu sua libellum apertum ;
Et alors, ajoute l'Apocalypse, mettant le pied droit sur la mer et le pied gauche sur la terre, parce que ce peuple géant était dispersé et sur la terre et sur la mer, il fit entendre sa voix, et sa voix était comme celle d'un lion qui rugit : et clamaidt quemadmodum quum leo rugit. saints rugissements de notre peuple, ô lion de la tribu de Juda, quand tu rugiras, le monde en sera comme ébranlé ! Aux accents de ton rugissement d'amour, à ce grand cri: « Je l'ai trouvé, celui que j'aime, » ce sera le grand réveil, ce sera la résurrection de la mort à la vie, ce sera l'allégresse et l'alléluia, une sorte de matinée de Pâques !
La matinée de Pâques, ou la réconciliation de tous les peuples, la communion universelle : voilà dixneuf siècles que l'Eglise l'essaie chaque année à pareil jour, qu'elle la prépare et qu'elle l'attend ! Eglise, dresse tes tables, et revêts tes plus beaux habits de fête : lorsque sur la poitrine de Joseph le peuple juif aura penché sa tête, à côté, le peuple chrétien penchera de nouveau la sienne ; et ce sera ce spectacle ravissant annoncé dans le dernier verset des vieux prophètes : la réconciliation des cœurs des pères avec les enfants, et des cœurs des enfants avec leurs pères : cor patrum ad filios, et cor filiorum ad patres eorum.
Sur la poitrine du Vicaire de Jésus-Christ, latête du juif et du gentil, leurs mains entrelacées, toutes les haines étant
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finies, le mur de séparation étant tombé, ce sera l'unique troupeau et l'unique pasteur, UNUM OVILE ET UN US PASTOR.
Le deuxième moyen d'obtenir du Cœur de Jésus une nouvelle clarté, un progrès dans le retour de notre cher peuple, est l'amour et le port du crucifix, et la pratique du chemin de la croix. Le signe auguste de la Rédemption doit avoir un rôle prépondérant dans la conversion des restes d'Israël. Voilà pourquoi l'inénarrable condescendance de Sa Sainteté Pie X a permis que, sous mon humble direction, s'établisse la Pieuse Union du Crucifix du pardon. Les
membres de cette Pieuse Union sont invités à posséder un crucifix que rehausse l'inscription tracée sur l'écriteau qui surmonte la tète du Christ. La royauté de Jésus y apparaît exprimée en toutes lettres :
Jésus Nazarenus Rex Judaeorum. Elle est contenue aussi dans les quatre lettres initiales J. N. R. J., qui constituent l'inscription abrégée et usuelle. Cette inscription intégrale ou abrégée, est le signe sacré au moyen duquel les membres de la Pieuse Union proclament et s'efforcent de faire reconnaître partout Jésus comme le Roi non plus d'un seul peuple, mais de toutes les nations, de tous les hommes, de tous les cœurs.
Que Notre Très Saint Père Pie X soit à jamais remercié, car à cette date de 1911 la Pieuse Union du Crucifix du pardon a étendu ses développements dans toutes les directions du globe (1).
(1) Le centre de la Pieuse Union du Crucifix du pardon est à Lyon, la ville de la Propagation de la Foi; et dans Lyon, l'église de l'Annonciation, d'après l'ordonnance de Mgr l'archevêque. Un registre contient les noms des associés. Quiconque veut en devenir membre doit envoyer son nom pour qu'il soit inscrit sur le registre, et en même temps se faire bénir un crucifix quelconque par un prêtre qui, avec un simple signe de croix, l'enrichit des très précieuses indulgences conférées par Sa Sainteté Pie X.
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La pratique du Chemin de la Croix préparera non moins efficacement la conversion des restes d'Israël. J'ai encore le
pressentiment qu'un chemin de douleurs mettra fin à l'antagonisme séculaire du peuple juif et des autres peuples : il est appuyé sur une page de la Bible :
On sait comment Esaû avait vendu son droit d'aînesse à Jacob, et comment Isaac leur père, devenu aveugle, avait béni Jacob comme l'aîné, croyant bénir Esati. Depuis cette bénédiction, Esati, dit le livre sacré, haïssait mortellement Jacob.
Un certain nombre d'années s'écoule. Les deux frères s'étaient séparés. Jacob était allé au loin épouser Rachel ; Esaû était devenu riche et puissant au pays
d'Edom.
Or, après sa longue absence, l'époux de Rachel s'était mis en chemin pour revenir en Palestine, avec sa nombreuse famille.
Lorsqu'il approche de la Terre Promise, on lui apprend qu' Esati s'avance à sa rencontre avec une troupe armée. Jacob est saisi d'une grande peur, et, dans sa frayeur, il prend des dispositions pour sauver au moins une partie de sa famille.
Esati apparaît sur le chemin ; mais, soudain, l'Esprit de Dieu change et bouleverse ses sentiments. Il court au-devant de son frère, et alors l'Ecriture décrit avec complaisance la réconciliation : il l'embrassait, le serrait étroitement, il le baisait en versant des larmes ; et ils pleurè
rent !
Voilà le récit de la Bible où il importe de remarquer ce détail : ce fut sur un chemin que se fit la réconciliation des deux frères.
Je passe maintenant à la réalisation de cette figure prophétique :
Esati figurait le peuple juif qui a vendu, lui aussi, son
322 SUPRÊMES SUPPLICATIONS
droit d'aînesse en cédant le Christ; Jésus n'a-t-ilpas été vendu, hélas ! par nous, trente pièces d'argent?
Jacob figurait le peuple chrétien qui, en accueillant le Christ, a été béni, couvert de bénédictions. Oh ! dites, dites, familles et nations chrétiennes, les bénédictions ne vous ontelles pas été prodiguées?
A cause de ces bénédictions, le peuple juif, comme Esaii, n'a cessé de haïr mortellement son frère le peuple chrétien.
Durant dixneuf siècles, grâce à la forte organisation des Etats catholiques, le peuple chrétien a été protégé contre la haine de son frère ; mais à présent, cette organisation ayant croulé, le peuple juif est devenu puissant et audacieux, il s'avance, s'avance ; et le peuple chrétien, semblable à Jacob effrayé en apprenant la marche d' Esaii, a peur, lui doux et bon comme Jacob ! et il a raison d'avoir peur.
Voilà où nous en sommes de l'accomplissement de la prophétie : l'un qui s'avance, l'autre qui a peur !
Qui procurera le dénouement ? Qui changera soudainement les dispositions du peuple haineux, comme il advint pour Esaû? C'est sur un chemin qu'autrefois la transformation s'est opérée : où est le nouveau chemin? Où estil?
Serait-ce le chemin de la fortune où accourent aujourd'hui de concert les Israélites et les chrétiens. ? Je ne le crois pas ; sur un pareil chemin, on se presse, on se heurte, on se renverse : on ne se tend pas les bras.
Serait-ce alors le chemin des honneurs, où les Israélites sont avides de se rencontrer à côté des chrétiens? Je ne l'espère pas, non plus ; au chemin des honneurs, on ressent l'envie, le dépit, on ne s'y réconcilie jamais.
Apparais donc, et salut à toi, unique chemin où l'on se réconcilie, ô chemin du Calvaire, chemin de la croix ; à ton sommet, Jésus n'a-t-il pas ouvert ses bras, pour apprendre aux hommes à se les ouvrir les uns aux autres !
Salut à toi ! salut !
A LÉON XIII ET A PIE X 323
Mais sous quelle forme la Providence dessinera1elle le chemin des douleurs, où les israélites et les chrétiens tomberont dans les bras les uns des autres? Quels événements composeront son tracé solennel? Et où sera-ce? Dieu n'a encore dit son secret à personne !
Toutefois, en attendant, bienheureux ceux qui auront préparé par avance le tracé de ce chemin, en se parlant ainsi à eux-mêmes : « Aujourd'hui, je vais faire mon chemin de la croix pour la conversion des Israélites et pour leur réconciliation avec le peuple chrétien. » Bienheureux ceux-là : pacifiques et fils de la Colombe (c'est le plus beau nom de l'Eglise), ils auront préparé le Chemin de la réconciliation des cœurs I
Préparez ce chemin, ô belles et saintes âmes qui me lirez ; commencez la route où le peuple d'Israël doit se recncontrer en pleurant avec le peuple chrétien ! Préparez le chemin où Israël repentant doit verser des larmes et demander pardon à Jésus de l'avoir crucifié, pardon à la Vierge Marie de l'avoir tant fait souffrir, et pardon au peuple chrétien de l'avoir aimé si tard ! Préparez ce chemin, ô saintes âmes ! Auprès de vous, qu'il me soit permis d'être suppliant, d'être mendiant : je mendie vos chemins de la croix ! bienheureux les pacifiques ! bienheureux les fils de la Colombe ! bienheureux ceux qui réconcilient ! Bienheureux serezvous à l'heure de votre mort, d'avoir contribué à ramener les deux peuples frères entre les bras de NotreSeigneur JésusChrist ! Ce sera le chemin assuré de votre entrée au ciel !
Le troisième moyen d'obtenir du Cœur de Jésus une suprême clarté, un progrès définitif dans le retour de notre cher peuple, concerne Nosseigneurs les Archevêques et Evêques auxquels ce livre des deux frères jumeaux va être adressé en hommage.
En 1870 au Concile du Vatican, 510 Archevêques et Evê
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324 SUPRÊMES SUPPLICATIONS
ques, les uns dans des diocèses délimités, les autres dans des vicariats apostoliques, ont signé le Postulatiim pro He
braeis. Depuis lors, à la date de 1911 où nous finissons notre récit, c'est-à-dire après quarante et un ans accomplis, tous les prélats signataires dorment leur dernier sommeil. Ce sont donc leurs successeurs dans les archevêchés, évêchés et vicariats apostoliques, qui vont recevoir l'hommage de notre livre.
Successeurs dans leur dignité épiscopale, fasse le ciel qu'ils soient aussi les héritiers de leurs témoignages de bonté envers les restes d'Israël! Saints Prélats, chacun de vous trouvera au chapitre concernant son diocèse ou son vicariat apostolique, des paroles de son prédécesseur précieusement recueillies par nous avec sa signature. Ces paroles suaves, ces renseignements illuminateurs, faitesles vôtres, car c'est votre héritage. Et alors, me rappelant qu'il y a quarante et un ans mon frère et moi, nous baisions avec reconnaissance les mains de vos prédécesseurs qui signaient notre Postiilatum, permettezmoi de baiser avec un pieux respect votre main qui agrée l'hommage de notre livre; le baiser de mes lèvres est accompagné de celui de mon frère se penchant du haut du ciel.
Il ne me reste plus qu'à dire avec le prophète royal : Levavi oculos meos in montes unde çeniet auxilium mihi, j'ai levé mes yeux vers les montagnes, d'où doit me venir du secours. Une de ces montagnes, d'après les interprètes sacrés, est la Jérusalem céleste, la montagne de Dieu. Du haut de vos collines éternelles, ô Jésus, ô Marie, daignez étendre vos mains secourables vers le dernier des deux jumeaux qui s'efforce de vous ramener les restes d'Israël; avant que ses yeux se ferment, vous lui accorderez, comme au saint vieillard Siméon, la consolation de voir une conquête de retardataires entrer dans la voie du salut.
A LÉON XIII ET A PIE X 325
L'autre montagne d'où descend toujours le secours, n'estelle pas l'antique colline vaticane où se dresse aujourd'hui
la basilique SaintPierre. O Pie X, Père bienaimé, vous avez été à notre égard le continuateur des bontés de Pie IX. Naguère en réponse à mes filiales félicitations pour le neuvième anniversaire de son couronnement. Votre Sainteté me disait dans un télégramme « qu' Elle me bénissait avec son cœur ». Cette suave bénédiction m'en a fait entrevoir une autre, qiù doit s'étendre à toute la terre, la bénédiction Urhi et Orhi.
On sait, ou plutôt on ne sait plus depuis quarante et un ans, que cette bénédiction à la ville de Rome et au monde se donnait du haut du balcon tendu de pourpre et d'or pour la circonstance, balcon qu'on aperçoit sur la façade de la basilique SaintPierre. De ses bras étendus, le Souverain Pontife embrassait l'immensité des espaces, il semblait
ramener la catholicité sur son cœur et sa main traçait le signe de la croix sur des multitudes haletantes, tandis que sa voix enflée par l'amour prononçait la bénédiction dont les paroles exprimaient une rosée de pardon et de paix.
Hélas, dans la guerre fatale de 1870, l'épée de la France, qui, depuis Charlemagne, demeurait étendue sur le Souverain Pontile pour le protéger dans son pouvoir temporel, se releva et rentra dans le fourreau, comme lassée de sa séculaire et noble protection. Alors l'armée piémontaise envahit la ville de Rome, et tandis qu'un prince étranger se couronnait d'un diadème usurpé, le Souverain Pontife s'enferma dans le Vatican qui avoisine la basilique SaintPierre. Dès lors, la bénédiction papale cessa au balcon de la basilique.
Avec la douloureuse privation de la bénédiction papale au balcon de la basilique SaintPierre, les catastrophes n'ont cessé de se multiplier. On ne saurait le nier, le siècle qui est le nôtre est un grand siècle, grand par les prodi
326 SUPRÊMES SUPPLICATIONS
gieuses découvertes de la science, grand par la complète possession du globe, grand par les efforts de fraternité universelle. Et néanmoins, inquiétude générale : il y a des malaises indéfinissables, la détresse, la peur du lendemain. Des catastrophes soudaines semblent dire à la science : Ce n'est pas toi qui auras le dernier mot... Eruptions de volcans, tremblements de terre, incendies de villes et de forêts, explosions épouvantables de dynamite ou de feu grisou, déraillements terribles sur les voies ferrées, déconcertent les précautions les plus minutieuses. Avec cela, des secousses sociales produites par les grèves. Avec cela encore, des fléaux, choléra, épidémies, qui guettent la pauvre humanité. Et puis, si la guerre éclate, ce seront des lacs de sang. La
France qui était si glorieuse et si heureuse, la France, selon une touchante expression biblique, a désappris le bonheur, et l'Italie également a désappris le bonheur, et les autres nations aussi. Bref, au sein de notre superbe civilisation moderne, on sent qu'il manque quelque chose. Il manque l'essentiel : la bénédiction du Vicaire de JésusChrist.
Levons tous ensemble nos yeux suppliants vers la montagne de Dieu qui est la Jérusalem céleste, et la toute-puissante Vierge Marie nous rendra le bonheur de la bénédiction Urbi et Orbi.
Lorsqu' Israël était le peuple de Dieu, une sécheresse de trois années désola la Palestine. Tout languissait, tout périssait. Alors le prophète Elie monta sur la montagne du Carmel. Il venait de confondre le faux dieu Baal, que le peuple désillusionné avait précipité dans le torrent de Cison. Après cette victoire en l'honneur du vrai Dieu, le prophète monta donc sur le Carmel pour implorer la cessation de la sécheresse. Soudain, un petit nuage se montre à l'horizon. Ce nuage — selon le texte hébreu de la Bible, — avait la forme de la paume de la main, du creux de la main ;
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et voici que, par dessus le nuage, la vision anticipée de la Vierge Marie se découvre aux yeux ravis du prophète. Il se prosterne la face contre terre. Dans ce petit nuage expressif comme la paume, le creux de la main, les Saints Docteurs se sont plu à reconnaître la main ouverte, libérale, de la bonne Vierge, qui ne demande qu'à donner, qu'à répandre. En effet, le soir même, des torrents de pluie bienfaisante mettaient fin à la sécheresse. Ce fut pour la Palestine comme une résurrection.
Catholiques, israélites, une sécheresse autrement grave et prolongée désole le monde, et plus particulièrement le coin de terre sacré du Vatican. Il y a là un Pontife dont le cœur ardent comme la flamme aspire à bénir au large. Des bornes aussi mystérieuses qu'impitoyables arrêtent depuis quarante et un ans la liberté aérienne des bénédictions. Il en résulte une aridité insolite, un malaise général. Adressonsnous à la Vierge toutepuissante pour que des événements heureux fassent éclater les bornes de la captivité, et que le Pontife romain, appelé au dehors par les cris de la terre entière, reparaisse au balcon de la basilique SaintPierre. Ah ! je le salue déjà, embrassant de ses deux bras l'immensité des espaces: la paume de sa main s'ouvrira avec le signe de la croix, et sa bénédiction, plus pénétrante que les torrents de pluie amenés par le petit nuage, fera descendre sur tous les peuples le pardon, la paix et la prospérité.
restes d'Israël, vous ne sauriez manquer à cette distribution de bienfaits extraordinaires, et si le ciel me fait la grâce d'être encore de ce monde, je vous exciterai avec les derniers feux de mon cœur à tomber à genoux pour remercier ensemble Jésus et Marie, qui sont l'honneur de notre peuple, et remercier aussi Pie X le magnanime et les Archevêques et Evêques de la catholicité.
Les abbés LÉMANN
TABLE DES CHAPITRES
Avant-propos : Une page de l'Histoire de l'église i
Chapitre premier. — Ce qui nous détermine à tenter une démarche en faveur des Israélites auprès du Concile œcuménique du Vatican.
Chapitre II. — Encouragements providentiels.
Chapitre III, — Prélude de la démarche : les bienfaits de Pie IX à l'égard des Israélites de Rome.
Chapitre IV. — Autre prélude de la démarche : Notre brochure qui sort de l'imprimerie vaticane « La dissolution de la synagogue en face de la vitalité de l'Eglise » 53
Chapitre V. — Supplique aux Pères du Concile rédigée avec le concours du Patriarche de Jérusalem 71
Chapitre VI. — Notre assistance à la Messe de Sa Sainteté Pie IX le 20 janvier, jour anniversaire de l'apparition de la Vierge Marie à Alphonse Ratisbonne. Le Pape approuve pleinement le Postulatum qui doit être présenté à la signature des Pères du Concile. 87
Chapitre VII. — Recueil des signatures. Le dernier tour du monde du Juif-Errant 97
Chapitre VIII. — Les réponses de Nosseigneurs les Evoques, chaîne d'amour, chaîne d'or. L'argument irrésistible 111
Chapitre IX. — Une objection solennelle. Nous tâchons de la résoudre 121
Chapitre X. — Signatures et paroles des Archevêques et Evêques de France 131
Chapitre XI. — Signatures et paroles des Archevêques et Evêques d'Italie 145
Chapitre XII. — Signatures et paroles des Archevêques et Evêques d'Espagne 153
Chapitre XIII. — Signatures et paroles des Evêques du Portugal. 163
Chapitre XIV. — Signatures et paroles des Evêques de Belgique et de Hollande , 165
Chapitre XV. — Signatures et paroles des Archevêques et Evêques de la Grande-Bretagne, Angleterre, Irlande, Ecosse 169
Chapitre XVI. — Signatures et paroles des Evêques de Suisse. . . 173
Chapitre XVII. — Signatures et paroles des Archevêques et Evêques d'Autriche-Hongrie 177
Chapitre XVIII. — Signatures et paroles des Archevêques et Evêques de la Confédération germanique 183
Chapitre XIX. — Signatures et paroles des Evêques des Provinces danubiennes et de la Turquie d'Europe 189
Chapitre XX. — Signatures et paroles des Archevêques et Evêques de la Grèce 191
Chapitre XXI. — Signatures et paroles des Evêques et Vicaires apostoliques de l'Asie 195
Chapitre XXII. — Signatures et paroles des Patriarches, Archevêques et Evêques qui occupent les régions visitées par l'ancien peuple de Dieu 199
Chapitre XXIII. — Faisant suite au précédent 205
Chapitre XXIV. — Signatures et paroles d'un archevêque et des Evêques de l'Afrique 211
Chapitre XXV. — Signatures et paroles des Archevêques et Evêques de l'Amérique 215
Chapitre XXVI. — Signatures et paroles des Evêques de l'Océanie. 227
Chapitre XXVII. — Le Postulatum pro Hehrœis couvert de toutes les signatures épiscopales est porté par nous sur le glorieux tombeau du Prince des Apôtres. Promenade émouvante du Pape sur le Mont-Palatin. Le coucher du soleil sur les ruines du Palais des Césars et sur les restes du peuple d'Israël 231
Chapitre XXVIII. — La procession du jour des Rameaux dans la basilique Saint-Pierre 239
Chapitre XXIX. — Nous présentons à Sa Sainteté Pie IX la supplique qui a réuni 510 signatures 245
Chapitre XXX. — Les cinq cent dix signatures. Touchante humilité de Monseigneur Dupanloup, Evêque d'Orléans 251
Chapitre XXXI. — Serviable intervention de Monseigneur Manning, archevêque de Westminster, de Monseigneur Fessier, archevêque de Thessalonique et secrétaire du Concile, de Monseigneur Guibert, Archevêque de Tours, en faveur de la cause des restes d'Israël 273
Chapitre XXXII. — Préparation d'une allocution d'honneur et d'amour à l'adresse des restes d' Israël qui sera prononcée dans une autre session du Concile du Vatican 279
Chapitre XXXIII. — La grande séance où se définit le dogme de l'Infaillibilité et la place toute miséricordieuse qu'on nous permet d'y occuper 285
Chapitre XXXIV. — Le lendemain du Concile 299
Chapitre XXXV. — Suprême supplication adressée à Sa Sainteté le Pape Léon XIII, à Sa Sainteté le Pape Pie X et à Nosseigneurs les Archevêques et Evêques 307
Lyon, Imprimerie Emmanuel VITTE, 18, rue de la Quarantaine.
Printed In Franco