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UN TEMPS VIENDRA OU JÉSUS-CHRIST SERA REJETÉ

DE LA SOCIÉTÉ CIVILE,

ET ALORS TOUT L'ORDRE SOCIAL APPUYÉ SUR LUI CROULERA

 

 

I. - Nous disons : la société civile, l'ordre social ; nullement, l'ordre religieux, l'Église ! C'est qu'en effet l'Église répandue sur la surface de l'univers entier est indéfectible. Toujours elle restera attachée à Jésus-Christ, son chef et son époux ; toujours elle sera une, sainte, catholique, apostolique, romaine. Elle ne peut ni périr, ni déchoir de ces qualités essentielles, son divin Fondateur l'ayant assurée d'une protection toute spéciale : Je suis avec vous jusqu'à la fin des siècles... Les portes de l'enfer ne prévaudront pas !

 

Mais si la désunion ne saurait se produire entre l'Église et Jésus-Christ ; malheureusement il n'en est point de même par rapport aux individus, aux familles, aux États même, qui font partie de l'Église. Les individus peuvent se séparer de Jésus-Christ et périr ; les familles peuvent se séparer de Jésus-Christ et s'éteindre ; les États peuvent se séparer de Jésus-Christ et crouler. La présente prophétie nous révèle qu'en effet un temps viendra où l'ordre social périclitera partout, parce que Jésus-Christ, son soutien, aura été ébranlé, puis rejeté.

L'annonce est positive :

 

En ce jour-là, dit Jéhova des armées,

Il sera ébranlé le clou

Qui était fiché dans un lieu solide ;

Il sera arraché et tombera,

Et toute la charge qu'il supportait croulera

C'est Jéhova qui l'a dit.

 

On le voit, il doit y avoir gradation dans cette expulsion de Jésus-Christ, rejeté de la société civile. Sa croix, si bien figurée par le clou prophétique, commencera par être ébranlée, c'est-à-dire, discutée, combattue. Elle sera ensuite arrachée, c'est-à-dire rejetée violemment de la société civile. On ira même jusqu'à la précipiter à terre, à la faire tomber comme chose inutile ou méprisable.

Que ce soit de la sorte qu'il faille entendre ce passage si redoutable de la prophétie, saint Jérôme n'hésite pas à le déclarer : Comment pourra-t-il se faire, dit le grand docteur, que le clou qui avait été fiché dans un lieu solide, soit ensuite arraché, et qu’alors tombe et périsse tout ce qui tenait à lui, et que cela arrive parce que le Seigneur l'a dit ? La difficulté se dénoue si on se reporte à ce passage de l'Évangile : « qu'à la fin des temps la charité de beaucoup se refroidira (Matth., XXIV) », et à ce que le Seigneur lui-même a dit : « Pensez-vous que lorsque le Fils de l’homme reviendra, il trouve encore de la foi sur la terre (Luc, XVIII, 18) » ? Ce n’est pas le clou qui sera brisé, tombera à terre et périra, il serait impie de le dire : mais le clou sera arraché du lieu solide, c’est-à-dire de l’Église, par une impiété croissant chaque jour davantage ; et ce sont ceux qui auparavant étaient retenus à lui par la foi, qui, à cause de leur infidélité, seront ensuite rompus, tomberont et périront. Mais cela n’arrivera que dans les derniers temps, selon que le Seigneur l’a dit (1).

 

Ceux qui sont habitués au langage chrétien comprendront sans peine dans quel sens saint Jérôme  prononce qu'il serait impie de dire que le clou, c'est-à-dire Jésus-Christ, sera brisé, tombera et périra. Jésus-Christ, depuis sa résurrection, est impassible et immortel. Aucun coup ne peut plus l'atteindre directement dans son humanité désormais glorifiée. Par conséquent, ainsi que le prononce saint Jérôme, on ne pourrait sans impiété annoncer que Jésus-Christ sera brisé, tombera et périra. Le Christ ressuscité ne meurt plus ! a dit saint Paul. Mais si le Christ ressuscité ne meurt plus, si sa divine Personne est hors d'atteinte, par contre, tout ce qui le représente et le continue ici-bas, son Évangile, ses sacrements, sa croix, tout cela peut être atteint, tout cela peut être arraché, rejeté du cœur des individus, et même du sein des États. Telle est la pensée de saint Jérôme. Et si le grand docteur reconnaît qu'une pareille énormité se produira en effet dans l'Église, ce terme d'Église doit s'entendre, ainsi que nous venons de l'indiquer, dans le sens d'individus, de familles, d'États même devenus prévaricateurs, parce qu'ils se seront déchristianisés, détachés de Jésus-Christ :

 

Il sera ébranlé le clou,

Qui était fiché clans un lieu solide :

Il sera arraché et tombera.

 

Mais lorsque le clou, c'est-à-dire le Crucifix, sera ainsi arraché des États, il arrivera que tout l'ordre social dépendant de lui croulera. Ce résultat ou plutôt ce châtiment se trouve non moins positivement annoncé :

 

Et toute la charge qu'il supportait croulera.

 

Rien n'est excepté. Tout croulera, depuis les enfants jusqu'aux instruments de musique. Ceux qui auparavant étaient retenus à lui par la foi, seront ensuite rompus à cause de leur infidélité ; ils tomberont et périront (2).

Telle est la terrible annonce.

 

II - Or, à la lueur des formidables mais précises lumières qu'elle projette, qu'on veuille bien maintenant tourner ses regards vers la société civile.

Qu'y voit- on ?

Le Crucifix, si bien figuré par le clou prophétique, n'a-t-il pas été depuis longtemps ébranlé ? Cet ébranlement du Crucifix n'a-t-il pas commencé avec la Révolution ? Alors le nom sacré du Fils de Dieu, le nom de Jésus-Christ, n'a-t-il pas été remplacé par la froide abstraction de l'Être suprême ? Alors le rang d'honneur dû à Jésus-Christ dans la société civile, n'a-t-il pas été volontairement supprimé ?

Jusqu'à cette époque, c'était plutôt dans le domaine religieux que les attaques contre Jésus-Christ ou l'Église s'étaient produites. L'Arianisme, l'Eutychianisme, le Nestorianisme, le schisme de Photius, le Protestantisme, le Gallicanisme, le Jansénisme, avaient été surtout des attaques dans l'ordre religieux : toutes ces erreurs visaient Jésus-Christ dans sa Personne ou dans son œuvre divine, qui est l'Église. Mais à partir de la Révolution, c'est également dans le domaine social, dans ce rang d'honneur et cette prépondérance qui lui sont dus, que Jésus-Christ est attaqué !

Commencé avec la Révolution, l'ébranlement du crucifix, d'abord violent, s'est poursuivi ensuite dans la société civile d'une manière plus calme, plus savante, plus sûre. Peu à peu, tous les droits du Fils de Dieu, toute son ancienne prépondérance, toute son influence même, lui ont été retirés. C'est ainsi que le clou a été ébranlé.

Mais aujourd'hui, n'est ce pas à l’arracher qu'on travaille ?

 

Il sera arraché et tombera.

 

Le Radicalisme, son nom l'indique, s'est chargé de cette œuvre de concert avec la Franc-Maçonnerie.

Non seulement l'œuvre se poursuit, mais elle est avancée. Le crucifix n'a-t-il pas déjà disparu presque de partout dans la société civile en France ?

N'a-t-il pas disparu des palais et des conseils de l'État ?

N'a-t-il pas disparu des Assemblées législatives ?

N'a t-il pas disparu des monuments, des places publiques, des rues, de beaucoup d'endroits dans les campagnes ?

N'a-t-il pas disparu de toutes les écoles municipales ?

N'a-t-il pas disparu du chevet des malades, dans les hôpitaux qu'on laïcise ?

Ne le fait-on pas disparaître des berceaux et des unions ?

Ne disparaît- il pas des funérailles ?

Il disparaît du champ des morts !

Demain il aura disparu des tribunaux !

Il disparaîtra même du fronton des églises, revendiquées bientôt comme propriétés de l'État. Déjà le marteau est levé, et levé au nom de la loi ! Avant qu'il se fût dernièrement abattu sur la croix de l'église de Sainte-Geneviève, M. le Ministre de l'instruction publique et des cultes n'avait-il pas prononcé ces paroles : Nous sommes respectueux des droits de l'Église, mais nous avons le droit de reprendre un temple dédié aux grands hommes par la Révolution (3) !

Il n'y a plus moyen de se faire illusion. Celui qu'annonçait le clou prophétique, le Crucifix, est arraché de partout dans notre société civile :

 

Il sera arraché et tombera.

 

Mais aussi la charge que soutenait le clou va, à son tour, se trouver compromise :

 

Et toute la charge qu'il soutenait croulera.

 

La prophétie n'est-elle pas également, à ce point de vue, en voie de s'accomplir d'une manière effrayante ? Qu'est devenue, que devient la société civile ?

Plus de stabilité dans l'État : d'une révolution à une révolution !

Plus de paternité de la part de ceux qui gouvernent ; plus de vénération ni de fidélité de la part de ceux qui sont gouvernés !

Plus de fierté, plus d'honneur !

Plus de foyers, plus de familles : le concubinage, l'adultère et le divorce sont en train de les détruire !

Plus de respect chez les enfants et les petits-enfants !

Plus d'éducation mâle, plus de caractères virils !

Plus de garanties contre la spoliation !

Plus de corporations protectrices des droits du faible !

Plus de grandeur dans la poésie et dans les arts !

Plus d'abondance dans les champs et dans les vignes !

Plus de prospérité, plus de joie !

Presque nulle sanction contre les crimes !

Demain peut-être plus de justice !

Ce n'est point là un lugubre tableau de fantaisie.

Dans la séance du Sénat rappelée plus haut, tandis que de courageux défenseurs de Jésus-Christ luttaient en vain pour sauver Sainte-Geneviève avec sa croix qui domine Paris, cet aveu plein de courage s'est fait entendre : Tout périclite en ce moment en France, et la gloire elle-même se perd et se flétrit entre les mains de ceux qui veulent l'exploiter (4).

 

Mais la spoliation de Sainte-Geneviève consommée, et l'ordre d'en faire tomber la croix officiellement donné, S. Em. le cardinal Guibert, archevêque de Paris, a écrit dans les termes suivants à M. le Ministre de l'instruction publique et des cultes :

Dès à présent il n'est pas difficile de prévoir les conséquences de cette politique qui livre une à une les institutions les plus respectables, pour donner satisfaction aux exigences toujours croissantes de l'esprit de désordre. Tout sera emporté, la fortune publique et privée, l'ordre  de la rue, la sécurité des personnes. On aura sacrifié ce qu'il fallait défendre ; on ne sauvera pas ce qu'on voulait conserver (5).

 

Lorsque le vénérable Pontife traçait ces lignes, qui sait si, à ce moment, le vieux prophète de l'ancienne Loi, auteur de cette prophétie, ne murmurait pas à son oreille :

 

En ce jour-là, dit Jéhova des armées,

Il sera ébranlé le clou,

Qui était fiché dans un lieu solide ;

Il sera arraché et tombera,

Et toute ta charge qu'il supportait croulera.

 

Serions-nous donc voisins de ces temps redoutables annoncés par la prophétie, où le Crucifix arraché et rejeté de la société civile entraînera dans sa disparition toutes les choses qu'il soutenait ? Et qu'on n'essaie point de s'illusionner, de se rassurer par la considération que c'est de tout temps que l'antagonisme a existé contre la religion ; que ce n'est pas d'aujourd'hui seulement, mais dans tous les siècles que Jésus-Christ a rencontré des ennemis et des ennemis nombreux, acharnés... Oui, cela est vrai ! L'antagonisme contre Jésus-Christ s'est rencontré dans tous les temps, et saint Augustin l'a éloquemment montré jusqu'au siècle qui fut le sien, dans l'immortel ouvrage de la Cité de Dieu. Mais si Jésus-Christ a de tout temps été contredit, combattu, jamais cependant il n'avait été rejeté d'une manière aussi absolue, aussi radicale. C'étaient ses enseignements, ses préceptes qu'on méconnaissait ; c'était son Église qu'on persécutait, qu'on outrageait ; mais Lui, on le reconnaissait encore, on la conservait ! L'Arianisme lui-même, qui alla jusqu'à s'attaquer à sa Personne, n'osa pas la dépouiller de tout reflet divin. Aujourd'hui, au contraire, c'est à la négation absolue, au rejet total de Jésus-Christ que marche, et d'une manière rapide, la société civile. C'est à tout ce qu'il est qu'on s'attaque : Tolle, tolle ! Qu'on l'enlève, qu'il disparaisse !

 

Mais si le clou, comme tout le fait craindre, est officiellement arraché en France, entraînant dans sa chute toute la charge qu'il soutenait, demain, ne le sera-t-il pas également en Belgique et en Espagne ? Ne voyez-vous pas qu'il est même déjà ébranlé en Italie, et qu'il menace de l'être dans tous les États autrefois chrétiens ?

 

 

(1) Quod sequitur, videtur sensui nostro esse contrarium, quomodo paxillus iste, qui fixus fuerat in loco fideli, auferatur et frangatur : et cadat et pereat quod pependerat in eo, et hoc fiat quia Dominus loculus est. Quod ita solvi potest si legamus illud Evangelii, quod « in novissimis diebus refrigescat charitas multorum (Matth., XXIV) » ; et ipse Dominus dicat : « Putas filius hominis veniens inveniet  fidem super terram (Luc, XVIII, 8) » ? Non ergo paxillus frangetur et cadet et peribit, quod impium est dicere : sed paxillus auferetur de loco fideli, hoc est, de Ecclesia per impietatem quotidie subcrescentem, et qui super eum ante pependerant fide, postea iufidelitate frangentur et cadent et peribunt. Hoc autem fiet in diebus novissimis, quia Dominus locutus est. (S. Hieronymi, Comment. in Isaïam, cap. XXII.)

(2) S. Jérôme. loc. cit.

(3) Séance du Sénat, 30 mai 1885.

(4) Ces paroles sont de l'honorable M. Fresneau.

(5) Lettre de S. Em. le Cardinal Guibert à M. le Ministre de l'instruction publique et des cultes, au sujet de la désaffectation du Panthéon, Paris le 29 mai 1885.