Texte long ! Patientez un instant S.V.P

Les Gloires de Marie
Par Saint Alphonse-Marie de Liguori

(suite)

 CHAPITRE VI

Eia ergo advocata nostra
Montrez donc que vous êtes notre avocate.

                           MARIE, NOTRE AVOCATE

- I. Marie est une Avocate assez puissante pour nous sauver tous

L'autorité des mères sur leurs fils est si grande, qu'elles ne peuvent jamais devenir leurs sujettes, alors même qu'ils seraient rois et disposeraient d'un pouvoir absolu sur toutes les personnes vivant dans leurs états. Aujourd'hui que Jésus-Christ est assis dans les cieux, son humanité sainte y tient la première place à la droite du Père, en vertu de son union hypostatique avec la personne du Verbe ; même en tant qu'homme, il a le souverain domaine de tout le créé, sans en excepter Marie ; tel est l'enseignement de saint Thomas ; néanmoins, il reste toujours vrai que notre Rédempteur fut un certain temps soumis à l'autorité de Marie. L'Évangile atteste en effet que, pendant sa vie mortelle, Jésus voulut bien s'abaisser jusque-là : Il leur était soumis, dit saint Luc. Saint Ambroise avance mêne qu'ayant daigné prendre Marie pour sa Mère, Jésus-Christ était vraiment tenu, à ce titre, de lui obéir. En parlant des autres élus, remarque Richard, on dit qu'ils sont avec Dieu ; de Marie seule on peut dire qu'elle eut le double bonheur de se tenir soumise à la volonté de Dieu, et de voir Dieu se soumettre à la sienne. Des autres vierges, ajoute-t-il, il est écrit qu'elles suivent l'Agneau partout où il va ; mais de la Vierge Marie on peut dire qu'ici-bas le divin Agneau la suivait partout docilement.

Si donc il est vrai que dans le ciel Marie ne peut plus commander à son Fils , il est vrai aussi que ses prières sont les prières d'une Mère, et, comme telles, bien propres à obtenir tout ce qu'elles réclament. " C'est là le grand privilège de Marie, dit saint Bonaventure, elle peut tout auprès de Dieu ". Pourquoi ? Précisément pour la raison que nous venons d'indiquer, et que nous développerons ci-après, savoir, que les prières de Marie, sont les prières d'une Mère.

Tel est aussi le motif sur lequel se fonde saint Pierre Damien pour parler à la bienheureuse Vierge en ces termes : " Toute puissance vous a été donnée au ciel et sur la terre ; rien ne vous est impossible, vous pouvez même rendre aux désespérés l'espérance de la béatitude ". Voici en effet ce que le saint ajoute : " Vous approchez de cet Autel ; de notre réconciliation, plutôt en commandant qu'en suppliant, comme maîtresse plutôt que comme servante ". Cet autel au pied duquel les pécheurs trouvent miséricorde et pardon, c'est Jésus-Christ. Quand Marie sollicite de lui quelque grâce en notre faveur, ses prières ont tant de poids auprès de lui, ce divin Fils se montre si empressé de complaire à sa Mère, qu'il semble, non pas exaucer les humbles voeux d'une sujette, mais accomplir les ordres d'une Reine. Ainsi, Jésus se plaît-il à honorer cette Mère chérie qui l'a tant honoré lui-même ici-bas : il lui accorde sans délai tout ce qu'elle demande ou désire. Tout cela est confirmé par ces belles paroles de saint Germain : " O Marie, vous êtes toute-puissante pour sauver les pécheurs ; vos prières n'ont pas besoin d'être appuyées par qui que ce soit auprès de Dieu, parce que vous êtes la Mère de la Vie véritable. "

Saint Bernardin de Sienne ne craint pas de dire que tout est soumis à l'empire de Marie, et que Dieu même lui obéit, ce qui signifie proprement dit que le Seigneur exauce ses prières comme s'il éxécutait ses ordres. " O Vierge Sainte, s'écrie à son tour saint Anselme, Dieu vous a placée si haut dans sa faveur que vous pouvez obtenir à vos dévots serviteurs toutes les grâces possibles ; - car votre protection est toute-puissante, assure Côme de Jérusalem. " " Oui, Marie est toute-puissante, reprend Richard de Saint-Laurent, puisque, suivant toutes les lois, la Reine doit partager toutes les prérogatives du Roi ; et comme le Roi du ciel peut tout, il a communiqué son omnipotence à sa Mère. " De là saint Antonin conclut que Dieu a placé l'Église entière non seulement sous les auspices, mais encore sous le pouvoir de Marie.

Ainsi, la Mère devant avoir le même pouvoir que son Fils, le pouvoir sans bornes de Jésus-Christ a dû rendre Marie toute-puissante ; mais il reste toujours vrai que le Fils est tout-puissant par nature, et la Mère seulement par grâce. Or, cela se vérifie en la manière que nous avons indiquée plus haut : le Fils ne refuse à la Mère absolument rien de ce qu'elle lui demande. Sainte Brigitte en fut assurée par révélation ; elle entendit Jésus qui disait à Marie : " Ma Mère, vous savez combien je vous aime ; demandez-moi donc tout ce qu'il vous plaît ; je ne saurais manquer de faire droit à une requête quelconque de votre part :. Et il lui déclara l'admirable motif de cette promesse : " Quand vous étiez sur la terre, jamais vous ne vous êtes refusée à faire quoi que ce fût pour mon amour ; il est donc juste que moi, maintenant assis dans le ciel, je ne me refuse jamais à faire ce dont vous me priez ". Quand donc nous donnons à Marie le titre de toute-puissante, il faut l'entendre dans le sens possible à une créature, laquelle n'est point capable d'une perfection divine ; Marie est toute-puissante en ce sens que, par le moyen de la prière, elle obtient tout ce qu'elle veut.

C'est donc avec raison , ô notre grande Avocate, que saint Bernard vous dit : " Vous n'avec qu'à vouloir, et tout se fera ", si vous voulez élever à une haute sainteté le pécheur le plus désespéré, il ne tient qu'à vous. - Saint Anselme vous parle de même : " Dites que vous voulez notre salut, et nous serons infailliblement sauvés ". Et le bienheureux Albert le Grand en conclut qu'on doit vous prier de vouloir, puisque tout ce que vous voulez, se fait nécessairement.

Encouragé par la pensée de cette souveraine puissance de Marie, saint Pierre Damien implorait sa pitié en ces termes : " Que votre bonté et le pouvoir dont vous disposez, vous engagent à nous secourir : plus vous êtes puissante, plus vous devez être miséricordieuse. " Oui, ô Marie, oui, ô notre Avocate, votre coeur si tendre est incapable de voir les malheureux sans compatir à leur maux ; et votre crédit auprès de Dieu est assez grand pour sauver toute âme dont vous prenez la défense ; ah ! ne dédaignez pas de plaider la cause des misérables que vous voyez à vos pieds, et qui mettent en vous toutes leurs espérances. Si nos prières ne vous touchent point, suivez au moins l'impulsion de votre bon coeur, faites usage de cette toute-puissance dont le Seigneur vous a revêtue, afin qu'étant plus à même de nous faire du bien, vous en soyez plus miséricordieuse et mieux disposée à nous secourir. - Or, il en est bien ainsi, car, au témoignage de saint Bernard, Marie est immensément riche en puissance et en miséricorde, à sa puissante charité répond la tendre compassion qui la porte à nous venir en aide, et elle ne cesse de nous le prouver par les effets.

Dès le même temps que Marie vivait sur la terre, son unique pensée, après la gloire de Dieu, était de secourir les malheureux. Elle jouissait dès lors du privilège de faire agréer et exaucer toutes ses requêtes ; nous le savons par ce qui se passa aux noces de Cana en Galilée. Le vin étant venu à manquer, la sainte Vierge fut touchée de l'affliction et de la confusion de ses hôtes, et elle pria son divin Fils de les consoler par un miracle Le vin manque, lui dit-elle. Jésus lui répondit : " Femme, que vous importe à vous et que m'importe à moi si le vin manque ? il ne me convient pas de faire aucun miracle maintenant ; le temps n'en est pas encore venu ; " ce temps sera celui de ma prédication lorsque je devrai confirmer ma doctrine par des prodiges. Par cette réponse, Notre-Seigneur semblait opposer un refus à la prière de sa Mère ; et pourtant, remarquons-le bien, Marie agit et parle tout comme si la grâce sollicitée lui eût été accordée. Elle dit aux gens de la maison de faire ce que son Fils ordonnerait, leur promettant qu'ils seraient consolés. Et, en effet, pour complaire à sa Mère, Jésus fit emplir d'eau de grandes urnes, et puis changea cette eau en un excellent vin.

Mais, direz-vous, si le temps fixé pour les miracles était celui de la prédication, comment ce premier miracle a-t-il pu se faire alors, contrairement au décret divin ? Il est vrai qu'à parler d'une manière générale, le temps des miracles n'était pas encore arrivé ; mais, de toute éternité, Dieu avait arrêté, par un autre décret général, que jamais aucune supplique de Marie ne serait rejetée. La glorieuse Vierge connaissait bien son privilège, aussi ne tint-elle nul compte du refus apparent de son Fils, mais elle fît comme si la grâce lui eût été accordée. Ainsi l'a entendu saint Jean Chrysostôme. Sur ces paroles : Femme, que vous importe à vous, et que m'importe à moi?, il remarque que, nonobstant une réponse si peu encourageante, Jésus ne laissai pas, pour honorer sa Mère, d'obtempérer à sa demande. Cette explication est ainsi confirmée par saint Thomas : " Par ces mots : Mon heure n'est pas encore venue, le Seigneur voulut témoigner qu'il eût refusé alors le miracle si tout autre le lui eût demandé ; mais parce que la solliciteuse était sa Mère, il le fit ". Tel est aussi, selon Barrada, le sentiment de saint Cyrille, de saint Jérôme et de Jansenius de Gand.

En résumé, nulle créature ne saurait faire descendre sur nous, pauvres pécheurs, les divines miséricordes à l'égal de cette douce Avocate, que Dieu se plaît à honorer, non seulement comme sa Servante chérie, mais encore comme sa véritable Mère. C'est là ce que Guillaume de Paris disait à Marie elle-même : Il suffit à Marie de parler pour voir tous ses désirs accomplis par son Fils. Le Seigneur dit à l'Épouse des Cantiques, laquelle est une figure de Marie : Vous qui habitez dans les jardins, nos amis écoutent ; faites-moi entendre votre voix. - Ces amis, ce sont les saints ; lorsqu'ils sollicitent quelque grâce au profit de leurs clients, ils attendent que leur Reine la demande à Dieu et l'obtienne ; car, nous l'avons démontré au Chapitre V, aucune grâce n'est accordée sans l'intervention de Marie. Or, à quelle condition Marie obtient-elle les grâces ? à la seule condition de faire retnetir sa voix aux oreilles de Jésus, comme lui-même l'y invite : Faites-moi entendre votre voix ; dès qu'elle parle, son Fils l'exauce. A propos du susdit passage des cantiques, l'abbé Guillaume fait parler ainsi Jésus à Marie : " O vous qui habitez les jardins célestes, intercédez avec confiance pour qui il vous plaira ; car je ne puis oublier que je suis votre Fils, au point d'avoir la pensée de refuser quelque chose à ma Mère ". " Pour l'obtenir, ajoute un autre auteur, elle n'a qu'à prononcer un mot ; pour elle, être entendue de son Fils, c'est être exaucée ". Selon l'abbé Geoffroi, quoique Marie obtienne, elle aussi, en priant, elle prie néanmoins avec une certaine autorité de Mère d'où nous devons tenir pour indubitable qu'aucune de ses requêtes en notre faveur ne reste jamais sans effet.

Selon le récit de Valère Maxime, lorsque Coriolan tenait Rome assiégée, les prières de ses concitoyens et de ses amis ne purent le décider à se retirer ; mais, lorsque sa mère Véturie se présenta devant lui, il lui fut impossible de résister, et il leva le siège sans aucun retard. Or, les prières de la sainte Vierge sont bien plus efficaces que celles de Véturie, puisqu'elles s'adressent à un Fils bien plus reconnaissant et plus affectionné envers sa Mère. D'après le Père Justin de Miéchovie, un seul soupir de Marie a plus de valeur auprès de Dieu que les suffrages réunis de tous les saints. Et c'est mot pout mot ce que, contraint par l'ordre de saint Dominique, le démon lui-même avoua un jour par la bouche d'un possédé.

A son tour, saint Antonin parle ainsi : " Pour Jésus, la prière de la bienheureuse Vierge est une sorte de commandement, comme étant celle de sa Mère, et partant il ne saurait point ne l'exaucer. " Dans la même pensée, saint Germain tient à Marie elle-même ce langage qui doit encourager les pécheurs à implorer la protection d'une si puissante avocate : " O Marie, cotre crédit auprès de Dieu est celui d'une mère auprès de son Fils, et il n'est pas de si grand pécheur à qui vous n'obteniez le pardon. Que pourrait en effet vous refuser un Dieu qui se plaît à contenter tous les désirs de sa vraie et immaculée Mère ?" Les saints du ciel ne pensent pas autrement. Sainte Brigitte les entendit un jour qui disaient à la Vierge : " O notre Reine bénie, qu'y-a-t-il qui dépasse votre pouvoir ? Une chose voulue par vous, est pour ainsi dire déjà faite ". C'est ce qu'exprime heureusement un vers bien connu :

                        Quod Deus imperio, tu prece, Virgo potes !

                      " Que le Seigneur commande, ou que ta voie le prie,

                       tout s'accomplit de même, ô puissante Marie ! "

Eh quoi ! s'écrie saint Augustin, c'est-ce pas chose digne de la bonté du Seigneur d'honorer ainsi sa Mère ? N'a-t-il pas déclaré qu'il était venu en ce monde, non pour abroger, mais pour accomplir la loi, qui nous ordonne entre autres choses d'honorer nos parents ? Selon saint Georges, archevêque de Nicomédie, une des fins que Jésus-Christ se propose en exauçant toutes les prières de sa Mère, c'est d'acquitter en quelque sorte la dette qu'il a contractée envers Celle dont il a reçu l'être humain. Le martyr saint Méthode s'écriait dans le même sens : " Réjouissez-vous, ô Marie, vous avez pour débiteur un Fils qui donne à tous et ne reçoit rien de personne. Nous autres, nous sommes tous redevables à Dieu de tout ce que nous avons, puisque tout vient de lui ; mais Dieu lui-même vous est redevable à vous, depuis qu'il a daigné prendre de vous la chair humaine. "

Sur quoi saint Augustin reprend : " Marie ayant mérité de donner au Verbe divin ce corps qui nous a servi de rançon et qui nous a délivrés de la mort éternelle par son immolation, elle peut, mieux que tous les autres saints, nous aider dans l'affaire de notre salut. " On lit également dans les oeuvres de saint Théophile, patriarche d'Alexandrie et contemporain de saint Jérôme : " Le Fils aime à être prié par sa Mère, parce qu'il veut accorder par amour pour elle tout ce qu'il accorde de grâces, et reconnaître ainsi le service qu'elle lui a rendu en le revêtant de la chair humaine ". Enfin, dans sa liturgie, l'Église grecque parle ainsi à la Vierge : " Vous pouvez nous sauver tous, ô Marie, puisque vous êtes la Mère de Dieu ; l'autorité d'une Mère auprès de son fils donne à vos prières une valeur sans bornes. "

Au souvenir de l'immense bienfait que le Seigneur accorda aux hommes quand il leur donna Marie pour avocate, saint Bonaventure lui adresse à elle-même ces paroles qui nous serviront de conclusion : " O immense, ô adorable bonté de notre Dieu, qui a daigné donner à des malheureux, à des criminels, une avocate telle que vous, ô notre Reine, qui pouvez, par votre intercession, leur obtenir tout ce qu'il vous plaît ! O ineffable clémence de notre Dieu, qui, ne voulant pas que nous ayons trop à redouter la sentence qu'il doit prononcer dans notre cause, nous a destiné pour avocate sa propre Mère et la Maîtresse de la grâce !"    

                                EXEMPLE

Le père Razzi, camaldule, rapporte l'histoire d'un jeune homme, qui, par suite de la mort de son père, avait été envoyé par sa mère à la cour d'un prince. En lui faisant ses adieux, sa mère, qui était fort dévote à Marie, lui avait fait promettre de réciter chaque jour un Ave Maria avec cette invocation : " Vierge bénie, assistez-moi à l'heure de ma mort ! " Arrivé à la cour, le jeune homme se livra bientôt au vice avec un emportement qui obligean le prince de le congédier. Privé ainsi de tout moyen d'existence et ne sachant que devenir, l'infortuné se mit à courir les grands chemins, et à rançonner et parfois assassiner les voyageurs, sans toutefois renoncer à sa coutume de se recommander selon le conseil de sa mère, à la très sainte Vierge. Il finit par être arrêté et condamné à mort. La veille du jour marqué pour son supplice, il pleurait amèrement dans sa prison, en pensant à son déshonneur, à la douleur de sa mère, à la mort qu'il devait subir.

Voyant son extrême abattement, et voulant en profiter, tout à coup le démon lui apparaît sous la forme d'un beau jeune homme, et lui romet de l'arracher à la mort et de le tirer de sa prison, sous certaines conditions qu'il lui fera connaître. Le condamné se montrer prêt à tout. Jetant alors le masque : " Je suis le démon, dit le fantôme au jeune homme ; je suis venu pour t'aider ; mais d'abord il faut que tu renies Jésus-Christ et les saints sacrements. " Le malheureux y consentit. - " Maintenant, ajoute le malin esprit, il faut encore renier la Vierge Marie et renoncer à sa protection. - Oh ! pour cela, réplique le jeune homme, je ne le ferai jamais ". Et aussitôt, s'adressant à Marie, il répète la prière qu'il a apprise de sa mère : " Vierge bénie, assistez-moi à l'heure de ma mort " ! A ces mots, le démon disparut,

Mais le jeune homme demeura excessivement affligé du crime énorme qu'il avait commis en reniant Jésus-Christ. Il eut cependant recours à la sainte Vierge, et elle lui obtint une grande douleur de tous ses péchés, qu'il confessa avec de vifs sentiments de contrition et en versant un torrent de larmes. Comme il se rendait au lieu du supplice, il rencontra en chemin une statue de Marie, et il la salua en récitant sa prière accoutumée : " Vierge bénie, assistez-moi à l'heure de ma mort " Il vit alors, et tous les assistants purent voir que la statue inclinait la tête comme pour lui rendre le salut. Vivement ému, il demanda qu'on lui permît de baiser les pieds de la statue, par un nouveau prodige, celle-ci étendit le bras, saisit le condamné par la main, et le retint avec tant de force qu'il fut impossible de l'arracher de là. A cette vue, tous les spectateurs de crier : " Grâce ! grâce ! " et la grâce fut accordée. Revenu ensuite dans son pays, ce jeune homme y mena une vie exemplaire, et se montra toujours dévoué à la bienheureuse Vierge, qui l'avait délivré de la mort temporelle et de la mort éternelle.

                                 PRIÈRE

Auguste Mère de Dieu, je vous dirai avec saint Bernard : " Votre divin Fils vous écoute, et il est disposé à vous accorder tout ce que vous lui demanderez ; parlez donc, ô Marie, notre avocate, parlez pour nous, misérables que nous sommes ". Daignez ne pas l'oublier : ce n'est pas pour votre seul avantage, mais pour le nôtre aussi, que vous avez été élevée à une si haute dignité et inverstie d'une si grande puissance. Si un Dieu a voulu se rendre votre débiteur en prenant de vous la nature humaine, ce fut afin que vous puissiez, à votre gré, faire part aux pauvres pécheurs des trésors de la miséricorde divine.

Nous sommes vos serviteurs, nous nous sommes consacrés d'une manière spéciale à votre culte ; je parle ainsi parce que j'ai la confiance d'être de ce nombre ; nous nous faisons gloire de vivre sous votre protection ; si vous faites du bien à tous, même à ceux qui ne vous connaissent pas ou qui négligent de vous honorer, à ceux même qui vous outragent et vous blasphèment, combien plus ne devons-nous pas espérer de votre bonté, qui va cherchant les malheureux pour les soulager, nous qui vous honorons, qui vous aimons, et qui nous confions en vous ! Nous sommes de grands pécheurs ; mais Dieu vous a enrichie d'une bonté et d'une puissance bien au-dessus de toutes nos iniquités. Vous pouvez nous sauver, vous le voulez ; et nous, de notre côté, nous voulons attendre de vous notre salut avec d'autant plus de confiance que nous en sommes plus indignes, afin de vous glorifier davantage dans le ciel, quand nous y entrerons par votre intercession.

O Mère de miséricorde, nous vous présentons nos âmes, autrefois belles, lavées qu'elles étaient dans le sang de Jésus-Christ, mais qu'ensuite nous avons horriblement souillées par le péché ; nous vous les présentons, afin que vous pensiez à les purifier. Obtenez-nous un sincère amendement ; obtenez-nous l'amour de Dieu, la persévérance, le paradis. Nous vous demandons de grandes choses, mais, quoi ! n'êtes-vous pas assez puissante pour nous les obtenir ? dépassent-elles les bornes de l'amour dont vous êtes l'objet de la part de Dieu ? Il vous suffit d'ouvrir la bouche et de prier votre divin Fils ; il ne vous refuse rien. Priez donc, ô Marie, priez pour nous, priez, et vous serez certainement exaucée, et nous serons infailliblement sauvés.

- II. Marie est une Avocate compatissante, qui ne refuse pas de défendre la cause des plus misérables.

Combien de motifs nous font une loi d'aimer notre affectueuse Reine ! Quand même on louerait Marie d'un bout de l'univers à l'autre ; quand même on ne parlerait que de Marie dans tous les sermons ; quand même tous les hommes donneraient leur vie pour l'amour de Marie, ce serait peu encore pour honorer et reconnaître l'amour si tendre dont elle aime tous les hommes, sans en excepter les plus misérables pécheurs, ceuz-là du moins qui conservent en elle quelque sentiment de dévotion.

Le bienheureux Raymond Jourdain, qui prit par humilité le nom d'Idiot, disait que Marie ne sais se défendre d'aimer ceux qui l'aiment, qu'elle ne dédaigne pas de servir ceux qui la servent, et que, s'ils sont pécheurs, elle déploie toute la puissance de son intercession pour les réconcilier avec son divin Fils. " Telle est, continue-t-il, sa bonté, telle est sa miséricorde, que nul, pour désespéré que paraisse son état ne doit craindre de se jeter à ses pieds ; car elle ne reposse jamais celui recourt à sa protection ". Remplissant à notre égard l'office de l'avocate la plus dévouée, Marie offre elle-même à Dieu les prières de ses serviteurs, et spécialement celles qui lui sont adressées ; car, si le Fils intercède pour nous auprès du Père, Marie intercède pour nous auprès du Fils ; et elle ne cesse de traiter, auprès de l'un et de l'autre, la grande affaire de notre salut, et de nous obtenir les grâces que nous sollicitons."

Denis le Chartreux a donc raison de proclamer Marie l'unique Refuge des âmes abandonnées, l'Espérance des malheureux, et l'Avocate de tous les pécheurs qui ont recours à elle.

Et si quelque pécheur, tout en croyant à la puissance de Marie, manquait de confiance en sa miséricorde, et craignait que, vu l'énormité de ses fautes, elle ne refusât de l'aider, saint Bonaventure relèverait son courage, en lui disant : " Marie jouit auprès de son Fils d'un grand et singulier privilège : par sa prière, elle en obtient tout ce qu'elle veut. Or, ajoute-t-il, de quoi nous servirait cette grande puissance de Marie, si elle ne prenait nul souci de nous ? Mais bannissons tout doute à cet égard, conclut le Saint, et rendons d'incessantes actions de grâces au Seigneur et à sa glorieuse Mère, dans la persuasion que, si elle est auprès de Dieu plus puissante que tous les saints, elle est également l'Avocate la plus bienveillante et la plus zélée pour nos intérêts."

" Et en effet, ô Mère de miséricorde, s'écrie avec joie saint Germain, quel autre, après votre Fils Jésus, se montre aussi affectionné que vous à nos personnes, aussi soucieux de notre bien ? Qui nous protège comme vous dans les maux dont nous sommes affligés ? Qui prend la défense des pécheurs à l'égal de vous ? Qui va comme vous jusqu'à combattre en quelque sorte pour eux ? O Marie, les soins dont vous nous entourez sont si efficaces et si tendres que nous ne parviendrons jamais à le comprendre ".

" Les autres saints, ajoute le pieux Idiot, peuvent plus en faveur de leurs clients particuliers qu'en faveur des autres ; mais Marie est l'Avocate et la Protectrice de tous, aussi bien qu'elle est la Reine de tous ; et elle prend à coeur le salut de tous ".

Elle s'intéresse à tous les fidèles, sans en excepter les pécheurs ; c'est même de ceux-ci surtout qu'elle se glorifie d'être appelée l'Avocate, comme elle l'a déclaré à la vénérable soeur Marie Villani : " Après le titre de Mère de Dieu, lui dit-elle, je me fais surtout gloire d'être nommée l'Avocate des pécheurs ".

Le bienheureux Amédée assure que notre Reine se tient sans cesse en la présence de la divine Majesté et lui offre continuellement en notre faveur ses toutes-puissantes prières. " Du haut des cieux, ajoute-t-il, elle connaît parfaitement nos misères et nos besoins, son coeur vraiment maternel, son coeut tout plein de bonté et de tendresse ne songe qu'à nous secourir et à nous sauver. "

C'est pourquoi Richard de Saint-Laurent engage chacun de nous, si misérable soit-il, à recourir avec confiance à cette douce Avocate, en tenant pour certain qu'il la trouvcera toujours prête à l'assister. Car, selon l'abbé Geoffroi, Marie est toujours toute disposée à prier pour tout le monde.

Oh ! avec quel amour et avec quel succès cette douce Avocate traite nos intérêts éternels ! Parlant de l'Assomption de Marie : " Du milieu des exilés, dit saint Bernard, s'est élevée vers la patrie une Avocate que son double titre de Mère du Juge et de Mère de miséricorde rend plus zélée et plus apte à plaider l'affaire de notre salut. " Saint Augustin célèbre également l'affectueux empressement de Marie à prier pour nous, à supplier la divine Majesté de nous accorder la remise de nos péchés, le secours de sa grâce, l'éloignement des dangers, le remède des maux ; et il s'écrie : " O Marie, nous savons qu'entre tous les saints, vous êtes la seule Protectrice de la sainte Église ". Et il dit bien ; car, ô notre Reine, bien que tous les saints désirent notre salut et prient pour nous, néanmoins, à la vue de cette charitém de cette tendresse que vous nous témoignez du haut des cieux, d'où votre prière fait descendre sur nous les flots des divines miséricordes, nous sommes bien obligés de confesser que vous êtes au cie notre unique Avocate, la seule qui s'emploie avec amour et zèle à procurer notre bonheur.

Qui, en effet, pourrait comprendre la sollicitude avec laquelle Marie intercède continuellement pour nous auprès de Dieu ? " Son ardeur à nous défendre est insatiable ". Cette belle expression est de saint Germain. Oui, pressée par sa tendresse et par compassion pour nos misères, Marie prie toujours, et recommence toujours à prier, et ne se rassasie jamais de prier afin de nous préserver des maux qui nous menacent, et de nous obtenir les grâces dont nous avons besoin : son ardeur à nous protéger est vraiment insatiable.

Que nous serions à plaindre, nous, pauvres pécheurs si nous n'avions pas cette grande Avocate ! Elle est si puissante, si miséricordieuse, et en même temps si prudente et si sage, dit Richard de Saint-Laurent, que le divin Juge, son Fils, ne peut condamner les coupables dont elle prend la défense. De là cette exclamation de Jean le Géomètre : " Salut, ô vous qui mettez fin à tous les différends ". Toutes les causes soutenues par cette très sage Avocate sont, en effet, autant de causes gagnées.

Voilà pourquoi saint Bonaventure désigne Marie sous le nom de la sage Abigaïl. Selon le récit de l'Écriture, cette femme fit si bien par ses éloquentes prières, qu'elle apaisa la colère de David contre Nabal ; et ce prince la bénit et la remercia de l'avoir, par ses gracieux procédés, empêcher de venger lui-même ses injures : Soyez bénie, vous qui m'avez retenu, lorsque j'allais me venger de ma propre main. Ce qu'Abigaïl fit pour Nabal, Marie le fait chaque jour au ciel, en faveur d'un nombre infin de pécheurs. Par ses sages et tendres prières, elle sait si bien apaiser la justice divine, que Dieu lui-même la bénit et la remercie, en quelque sorte, de ce qu'elle l'empêche ainsi de rejeter les coupables et de les punir comme ils le méritent.

C'est parce qu'il veut user envers nous de toute la miséricorde possible que, non cotnent de nous avoir donné Jésus comme principal Avocat, chargé de nous défendre auprès de lui, le Père éternel nous a encore donné Marie pour Avocate auprès de Jésus lui-même. Ainsi parle saint Bernard. Sans doute, ajoute-t-il, Jésus-Christ est l'unique médiateur de justice entre Dieu et les hommes ; lui seul peut, en vertu de ses mérites, et il veut conformément à ses promesses, nous obtenir le pardon de nos fautes et la grâce divine. Mais en Jésus-Christ nous redoutons encore la majesté divine qui réside toujours en lui, puisqu'il est tout à la fois homme et Dieu ; c'est pourquoi il a été nécessaire de nous assigner un autre avocat, auquel nous puissions recourir avec moins de crainte et plus de confiance. Eh bien ! le choix du Seigneur est tombé sur Marie, l'Avocate la plus puissante auprès de sa divine majesté, la plus miséricordieuse envers nous que nous puissions trouver.

Le même saint continue : Celui-là ferait injure à la bonté de Marie, qui appréhenderait encore d'aller se jeter aux pieds de cette douce Avocate, qui n'a rien de sévère, rien de terrible, qui n'est que prévenance, amabilité et tendresse. Lisez et relisez tant que vous voudrez, toute l'histoire évangélique ; et si vous y trouvez un seul acte de sévérité de la part de Marie, craignez alors de vous approcher d'elle. Mais vous n'en trouverez aucun ; ayez donc recours à elle avec une joyeuse confiance, et elle vous sauvera par son intercession.

Voici le discours touchant que Guillaume de Paris met dans la bouche du pécheur recourant à Marie : " O Mère de mon Dieu, dans l'état misérable où je me vois réduit par mes péchés, j'ai recours à vous avec une pleine confiance ; et si vous me rejetez, je vous représenterai que vous êtes d'une certaine manière tenue de m'assister, puisque toute l'Église vous appelle et vous proclame Mère de miséricorde. O Marie, vous êtes bien celle que Dieu chérit au point de l'exaucer toujours ; votre grande miséricorde n'a jamais manqué à personne ; votre douce affabilité n'a jamais dédaigné aucun pécheur, si coupable fût-il, dès qu'il s'est recommandé à vous.

Eh quoi ! serait-ce à tort ou en vain que toute l'Église vous nomme son Avocate et le Refuge des malheureux ? Non, ô ma Mère, jamais il n'arrivera que mes fautes puissent m'empêcher de remplir l'auguste ministère de bonté dont vous êtes chargée, et en vertu duquel vous êtes à la fois l'Avocate et la Médiatrice de paix entre Dieu et les hommes, et, après votre divin Fils, l'unique Espérance et le Refuge assuré des misérables. Tout ce que vous avez de grâce et de gloire, et la dignité même de Mère de Dieu, vous en êtes redevable, s'il est permis de le dire, aux pécheurs ; car c'est à cause d'eux que le Verbe divin s'est fait votre Fils. Ah ! loin de cette divine Mère, qui a donné au monde la source de la miséricorde, loin d'elle la pensée de refuser sa miséricorde à aucun misérable qui l'appelle à son aide ! Ainsi, ô Marie, puisque c'est votre office de réconcilier les hommes avec Dieu, n'écoutez, pour venir à mon aide, que votre douce miséricorde, qui est bien plus grande que tous mes péchés."

Consolez-vous donc, ô âmes pusillanimes, dirai-je enfin avec saint Thomas de Villeneuve ; respirez et prenez courage, ô pauvres pécheurs ; cette auguste Vierge, Mère de votre Juge et de votre Dieu, est l'Avocate du genre humain : Avocate puissante, qui peut tout ce qu'elle veut auprès du Seigneur ; Avocate pleine de sagesse, qui connaît tous les moyens de l'apaiser ; Avocate universelle, qui accueille tout le monde et ne refuse à personne de le défendre.

                                EXEMPLE

Cette miséricorde à l'égard des pauvres pécheurs, notre céleste Avocate la manifesta d'une manière bien éclatante par ce qu'elle fit, selon Césaire et le Père Rho, en faveur d'une religieuse de Fontevreault, nommé Béatrix. Cette malheureuse s'était éprise d'une folle passion pour un jeune homme ; de concert avec lui, elle avait formé le complot de s'enfuir pour le suivre ; et un jour, en effet, elle s'en alla auprès d'une statue de Marie, déposa à ses pieds les clefs du couvent, dont elle était portière et partit sans pudeur. S'étant rendue dans une contrée éloignée, elle s'oublia jusqu'à faire le métier de courtisane, et vécut quinze années dans cette dégradation. Au bout de ce temps, elle rencontra dans la ville qu'elle habitait le pourvoyeur de son couvent ; et, persuadée qu'il ne pouvait la reconnaître, elle lui demanda s'il connaissait la soeur Béatrix. " Parfaitement, répondit-il. c'est une sainte religieuse, et elle est à présent maîtresse des novices. " Stupéfaite et tout interdite à cette réponse, la pécheresse ne savait que penser. Afin de savoir le mot de l'énigme, elle se travestit, et se transporta au couvent. Là, elle demanda la soeur Béatrix ; et voilà que se présente devant elle la sainte Vierge, sous les trait de cette statue même aux pieds de laquelle elle avait déposé ses clefs et ses vêtements. " Béatrix, lui dit la divine Mère, sachez que, pour sauver votre honneur, j'ai pris vos traits, et rempli votre charge pendant ces quinzes années que vous avez vécu loin du couvent. Revenez à Dieu, ma fille ; mon Fils est encore prêt à vous recevoir ; faites donc pénitence, et tâchez de conserver, par une vie édifiante, la bonne réputation que je vous ai acquise ici. " Elle dit, et disparut. Béatrix, touchée de reconnaissance pour cette extrême miséricorde de Marie envers elle, reprit l'habit religieux, et y vécut saintement le reste de ses jours. A sa mort, elle découvrit le tout pour la gloire de la Reine du ciel.

                                 PRIÈRE

Glorieuse Mère du Sauveur, je le confesse, l'ingratitude dont j'ai si longtemps usé envers Dieu et vous, mériterait que, par un juste retour, vous me retirassiez tous vos soins ; car l'ingrat n'est plus digne des bienfaits. Mais, ma douce Souveraine, j'ai une haute idée de votre bonté ; je suis convaincu qu'elle surpasse de beaucoup mon ingratitude. Continuez donc, ô Refuge des pécheurs, et ne cessez jamais de secourir un pauvre pécheur qui se confie en vous. O Mère de miséricorde, daignez tendre la main à un malheureux qui est tombé, et qui implore votre pitié, Défendez-moi, ô Marie, ou bien dites-moi à qui je dois m'adresser qui puisse me défendre mieux que vous. Mais où irai-je chercher une Avocate plus compatissante et plus puissante auprès de Dieu que vous qui êtes sa Mère ? En devenant la Mère du Sauveur, vous fûtes investie de l'office de sauver les pécheurs, et vous m'avez été donnée pour me guider au port du salut ; ô Marie, sauvez celui qui a recours à vous.

Je ne mérite point votre amour ; mais le désir que vous avez de sauver ceux qui sont perdus m'inspire la confiance que vous m'aimez ; et si vous m'aimez, comment pourrai-je périr à jamais ? Ma chère Mère, si je me sauve par votre secours, comme je l'espère, je ne vous serai pas ingrat : par des louanges éternelles, je réparerai mon ingratitude passée ; et ce sera en vous consacrant toutes les affections de mon âme que je reconnaîtrai l'amour dont vous m'avez donné tant de preuves. Au ciel, où vous régnez et règnerez éternellement, je chanterai avec joie et sans fin vos miséricordes, et je baiserai cette main charitable qui m'a délivré de l'enfer autant de fois que je l'ai mérité par mes péchés. O Marie, ô ma libératrice ! ô mon espérance ! ô ma Reine ! ô mon Avocate ! ô ma Mère ! je vous aime, je vous aime, et je veux vous aimer à jamais. Amen, amen. Ainsi, j'espère, ainsi soit-il.


III    Marie réconcilie les pécheurs avec Dieu

La grâce de Dieu est pour toute âme un trésor extrêmement désirable. " C'est un trésor infini, dit l'Esprit-Saint, car elle élève ceux qui la possèdent à la dignité d'amis de Dieu ". Aussi, Jésus, notre Rédempteur et notre Dieu, n'a pas dédaigné de donner ce titre à ceux qui sont en état de grâce et de leur dire : Vous êtes mes amis. Ah ! maudit soit le péché qui rompt les liens de cette belle amitiés ! Ce sont vos iniquités, dit Isaïe, qui ont mis la division entre vous et votre Dieu ; maudit soit le péché, qui, entrant dans une âme, la rend odieuse à Dieu, et, d'amie qu'elle était de son Seigneur, la rend son ennemie, selon cette parole du Sage : Dieu hait l'impie et son impiété.

Que doit donc faire celui qui a le malheur de se trouver dans l'inimitié de Dieu ? - Il faut qu'il cherche un médiateur, qui lui obtienne son pardon et lui fasse recouver la divine amitié qu'il a perdue. " Console-toi, pauvre pécheur qui a perdu la grâce de Dieu, dit saint Bernard ; ce Dieu lui-même t'a donné un Médiateur dans la personne de son propre Fils Jésus, lequel peut t'obtenir tout ce que tu désires. "

Mais, grand Dieu ! s'écrie ici le Saint, d'où vient que les hommes se figurent sévère ce miséricordieux Sauveur qui les a rachetés au prix de sa vie ? comment peut leur paraître terible celui qui est tout aimable ? Que craignez-vous, pécheurs, pourquoi manquez-vous de confiance ? Si ce sont vos péchés qui vous effraient, sachez que Jésus lui-même les a attachés à la croix avec ses mains déchirées, qu'il en a payé la peine à la justice divine et en a purgé vos âmes. Mais peut-être vous n'osez encore vous adresser directement à Jésus-Christ, peut-être sa majesté divine vous épouvante ; en se faisant homme, dites-vous, il n'a pas cessé d'être Dieu ; voulez-vous donc un autre avocat auprès de ce divin Médiateur ? Eh bien ! recourez à Marie ; elle intercédera pour vous auprès de son Fils, qui l'exaucera certainement ; et Jésus intercédera auprès de son Père, qui ne peut rien refuser à un tel Fils. Saint Bernard termine ainsi cette exhortation : " Cette divine Mère, ô mes enfants, est l'échelle des pécheurs ; c'est par elle qu'ils remontent à la hauteur de la grâce ; elle est ma confiance la plus assurée, elle est tout le fondement de mon espérance. "

Voici comment l'Esprit-Saint fait parler la bienheureuse Vierge dans les Cantiques : " Je suis la défense de ceux qui recourent à moi, et ma miséricorde est pour eux comme une tour de refuge ; c'est pourquoi le Seigneur m'a établie Médiatrice de paix entre lui et les pécheurs. " - Marie, dit le cardinal Hugues sur ce texte, Marie est la Pacificatrice universelle : elle réconcilie Dieu avec ses ennemis, elle procure le salut à ceux qui sont perdus, le pardon aux pécheurs, la miséricorde aux désespérés. C'est pourquoi le divin Époux la trouve belle comme les pavillons de Salomon. Sous les pavillons ou les tentes de David, on ne traitait que de guerre ; mais sous ceux de Salomon, on traitait uniquement de choses pacifiques. Par cette comparaison donc, l'Esprit-Saint nous donne à entendre que cette Mère de miséricorde ne traite jamais de guerre et de vengeance contre les pécheurs, mais seulement de paix et de pardon.

Une autre figure de Marie sous ce rapport, ce fut la colombe qui, sortie de l'arche de Noé, y revint avec un rameau d'olivier, emblême de la paix que Dieu accordait au genre humain. C'est l'interprétation de saint Bonaventure : " O Marie, dit-il, vous êtes la fidèle Colombe qui, par son entremise auprès de Dieu, a ménagé au monde, après sa ruine, la paix et le salut ". Céleste Colombe, elle apporta au monde submergé dans les eaux du péché, le rameau pacifique, le gage du pardon, quand elle donna le jour à Jésus-Christ, source de toute miséricorde ; et c'est elle qui, depuis lors, nous a obtenu, en vertu des mérites du sauveur, toutes les grâces que Dieu nous a faites. Et de même que la paix du ciel a été donnée au monde par Marie, comme le lui dit saint Épiphane, c'est par le moyen de Marie que, chaque jour encore, les pécheurs sont réconciliés avec Dieu. De là ces paroles que le bienheureux Albert le Grand lui met sur les lèvres : " Je suis la Colombe de Noé ; c'est moi qui apporte à l'Église la paix universelle. "

" Nous avons encore une figure expresse de Marie dans l'arc-en-ciel, dit le cardinal Vitale, c'est Marie, toujours présente au tribunal de Dieu pour adoucir les sentences et les châtiments suspendus sur la têtes des pécheurs. " D'après saint Bernardin de Sienne, c'était de cet arc-en-ciel que parlait le Seigneur quand il disait à Noé : Je placerai mon arc dans les nuages, en signe de l'alliance entre moi et la terre... ; en le voyant, je me souviendrai de la paix perpétuelle que je fais avec les hommes. La bienheureuse Vierge est bien cet arc de paix éternelle, dit le saint, car, de même qu'à la vue de l'arc-en-ciel Dieu se souvient de la paix promise à la terre, ainsi, à la prière de Marie, il remet aux pécheurs les offenses qu'ils lui ont faites, et conclut la paix avec eux.

En outre, toujours pour la même raison, Marie est comparée à la lune. Cet astre, remarque saint Bonaventure, est entre le ciel et la terre, et Marie s'interpose continuellement entre Dieu et les hommes, elle apaise le Seigneur irrité contre les coupables, et éclaire ceux-ci pour les ramener à lui.

Et tel fut le principal office dont Dieu chargea Marie quand il la donna à la terre, à savoir, de relever les âmes déchues de la grâce, et de les réconcilier avec lui. - Paissez vos chevreaux, lui dit le Seigneur en la créant. Les chevreaux, on le sait, représentent les pécheurs qui, dans la vallée du Jugement, devront rester à la gauche, tandis que les élus, figurés par les brebis seront placés à la droite. Or, dit l'abbé Guillaume en s'adressant à Marie, ces chevreaux vous seront confiés, ô puissante Reine, afin que vous les changiez en brebis, et que ceux qui, par leurs fautes, ont mérité d'être jetés à la gauche, soient admis à la droite par votre intercession. Ce commentaire s'accorde avec une révélation faite à sainte Catherine de Sienne. Le Seigneur lui déclara qu'il avait créé Marie, sa Fille bien-aimée, comme un doux appât pour prendre et attirer à lui les hommes, et particulièrement les pécheurs. Mais il faut noter ici la belle réflexion de Guillaume sur le texte sacré que nous venons de citer : " Dieu, dit-il, recommande à Marie les chevreaux qui sont à elle : Paissez vos chevreaux ; parce que la Vierge ne sauve pas tous les pécheurs, mais seulement ceux qui la servent et l'honorent, quelques souillés qu'ils soient d'ailleurs. Quant à ceux qui vivent dans le péché, ajoute-t-il, sans honorer Marie par quelque hommage spécial, et sans se recommander à elle pour sortir de leur triste état, ils ne sont point ses chevreaux ; au jour du jugement, ils seront misérablement placés à gauche pour être damnés ".

Un gentilhomme désespérait de son salut à cause de l'énormité de ses fautes ; un religieux lui conseilla de se rendre dans une certaine église où l'on vénérait une image de Marie, et d'implorer le secours de cette bonne Mère. Il se transporte à l'église et, à l'aspect de la pieuse image, il se sent comme invité par la Vierge à se jeter à ses pieds et à prendre confiance. Il approche, se prosterne, et se dispose à baiser les pieds de la statue ; mais elle s'anime à l'instant, et lui présente à baiser sa main bénie sur laquelle il lit ces mots : Ego eripiam te de affligentibus te ; c'est-à-dire : " Mon fils, ne t'abandonne pas au désespoir ; je te délivrerai de tes péchés, et de toutes les craintes qui t'affligent ". - On rapporte qu'en lisant ces douces paroles, le pécheur conçut une si grande douleur de ses fautes, et fut pénétré d'un si ardent amour envers Die et sa tendre Mère, qu'il mourut là même aux pieds de Marie.

Oh ! combien de pécheurs obstinés sont attirés tous les jours à Dieu par cet Aimant des coeurs ! C'est ainsi qu'elle s'est appelée elle-même, en disant à sainte Brigitte : " Comme l'aimant attire le fer, ainsi j'attire les coeurs les plus endurcis pour les réconcilier avec Dieu ". Et ce prodige se renouvelle, non pas rarement, mais chaque jour. Je pourrais en citer, pour ma part, un grand nombre de cas arrivés dans nos seules missions : souvent des pécheurs restés plus insensibles que le fer à tous les autres sermons, sont touchés de repentir et reviennent à Dieu, dès qu'ils entendent prêcher la miséricorde de Marie. Saint Grégoire dit que la licorne est une bête si féroce qu'aucun chasseur ne peut réussir à la prendre, mais qu'à la voix d'une vierge elle devient docile, s'approche et se laisse lier par elle sans résistance. Oh ! combien de pécheurs qui, plus intraitables que les bêtes férocesm fuyaient loin de Dieu, accourent auprès de la Reine des Vierges aussitôt qu'ils entendent sa voix, et se laissent doucement enchaîner par elle au joug du Seigneur !

D'après saint Jean Chrysostome, Marie a encore été élevée à la dignité de Mère de Dieu, afin que sa douce miséricorde et sa puissante intercession sauvent les misérables que leur mauvaise vie obligerait la justice divine à réprouver. " Il en est bien ainsi, assure saint Anselme, car c'est pour les pécheurs plue que pour les justes qu'elle est devenue Mère de Dieu ; Jésus-Christ n'a-t-il pas déclaré qu'il était venu appeler, non les justes, mais les pécheurs " ? Aussi la sainte Église n'hésite pas à chanter :

                             Peccatores non exhorres,

                            Sine quibus nunquam fores

                               Tali digna Filio :

" Vous n'avez pas horreur des pécheurs, sans lesquels vous n'eussiez jamais été Mère d'un tel Fils ". - Et Guillaume de Paris va jusqu'à lui tenir ce langage encore plus pressant : O Marie, vous êtes obligée à secourir les pécheurs, puisque tout ce que vous avez reçu de dons, de grâces et de grandeurs, en un mot, tout ce que renferme votre sublime dignité de Mère de Dieu, vous en êtes, s'il est permis de le dire, redevable aux pécheurs ; car c'est à cause d'eux que vous avez été rendue digne d'avoir un Dieu pour Fils. S'il en est ainsi, conclut saint Anselme, comment puis-je désespérer d'obtenir le pardon de mes fautes, quelle qu'en soit l'énormité ?

Dans la messe de la vigile de l'Assomption, l'Église nous apprend que la Mère de Dieu a été transportée de la terre au ciel, afin d'intercéder pour nous auprès du Seigneur avec une entière assurance d'être exaucée. De son côté, saint Justin donne à Marie un nom qui signifie l'arbitre d'un différend, la personne à qui deux parties en procès remettent tous leurs titres. Par là, le saint veut faire entendre que, comme Jésus est notre Médiateur auprès du Père éternel, ainsi Marie est notre Médiatrice auprès de Jésus, notre Juge, qui remet à son pacifique arbitrage tous ses griefs contre nous.

Pour saint André de Crète, Marie est " la caution, la garantie, ou le gage de notre réconciliation avec Dieu ". Et voici quelle est sa pensée : tout le désir de Dieu est de se réconcilier avec les pécheurs en leur remettant leurs fautes ; or, afin qu'ils ne doutent aucunement de sa disposition à leur pardonner, il leur en donne comme un gage dans la personne de Marie. De là, cette exclamation du même saint : " Je vous salue, ô vous qui êtes la paix entre Dieu et les hommes " ! Saint Bonaventure s'appuie sur cette pensée pour encourager le pécheur : " Tu crains peut-être, lui dit-il, que dans son courroux le Seigneur ne veuille tirer vengeance de tes fautes ;eh bien ! suis mon conseil, recours à l'Espérance des pécheurs, adresse-toi à Marie ; et si tu doutes aussi qu'elle consente à plaider ta cause, sache qu'elle ne peut s'y refuser : Dieu lui-même l'a chargée de secourir d'office les plus misérables. "

Mais quoi ! s'écrie l'abbé Adam, un pécheur doit-il jamais craindre de périr, quand la Mère même de son Juge s'offre à lui servir de mère et d'avocate ? Et vous, ô Marie, ajoute-t-il ; vous, la Mère de miséricorde, dédaignerez-vous de prier votre divin Fils, qui est notre Juge, pour un autre fils, qui est le pécheur ? refuserez-vous d'intercéder en faveur d'une âme rachetée, auprès de son Rédempteur, qui est mort sur la croix pour sauver les pécheurs ? Oh ! non, vous ne le refuserez point ; vous vous emploierez avec toute l'ardeur de votre zèle à prier pour tous ceux qui ont recours à vous ; car vous savez que le Seigneur, qui a établi votre Fils Médiateur de paix entre Dieu et l'homme, vous a établie en même temps Médiatrice entre le Juge et le coupable.

Concluons avec saint Bernard : Pécheur, quel que tu sois, fusses-tu tout couvert de la fange de tes fautes, eusses-tu vieilli dans l'iniquité, garde-toi de te livrer au désespoir. Rends grâces à ton Seigneur qui, dans son désir de te faire miséricorde, ne s'est pas contenté de donner son Fils pour avocat, mais a voulu t'inspirer plus de courage encore et plus de confiance, en te remettant aux mains d'une Médiatrice qui obtient par ses prières tout ce qui lui plaît. Va donc, recours à Marie et tu seras sauvé.

                                EXEMPLE

L'histoire qu'on va lire est rapportée par Alain de la Roche et Bonifacius. Il y avait à Florence une jeune fille nommée Benoîte (Bénie), mais qui méritait bien plutôt le nom de maudite par la vie scandaleuse qu'elle menait. Par bonheur pour elle, saint Dominique vint prêcher dans cette ville. Elle alla un jour l'entendre par pure curiosité ; mais Dieu lui toucha le coeur par le moyen de ce sermon, tellement que, fondant en larmes, elle alla se confesser au Saint. Celui-ci l'entendit, lui donna l'absolution, et lui imposa pour pénitence la récitation du rosaire.

Mais bientôt, entrainée par la force de l'habitude, la malheureuse retomba dans ses désordres. Saint Dominique l'apprit, il alla trouver, et obtint qu'elle se confessât de nouveau. De son côté, afin de l'affermir dans le bien, Dieu lui fit voir un jour l'enfer, lui montra ceux qui, à cause d'elle, s'étaient déjà damnés, et la força ensuite de lire, dans un livre ouvert devant ses yeux, l'épouvantable série de ses péchés. A cette vue, la pénitente fut saisie d'horreur ; mais, pleine de confiance en la sainte Vierge, elle invoqua son secours, et comprit que cette miséricordieuse Mère lui obtenait du Seigneur le temps nécessaire pour pleurer ses énormes excès.

La vision finit là, et Benoîte se mit dès lors à vivre d'une manière exemplaire ; mais, ayant sans cesse devant les yeux l'affreux dossier qui lui avait été montré, elle adressa un jour cette prière à sa douce Consolatrice : " Ma mère, je le confesse, en punition de mes crimes, je devrais être maintenant au fond de l'enfer ; mais, puisque vous m'avez obtenu le temps de faire pénitence, ô Reine compatissante, je vous demande encore une grâce : je ne veux jamais cesser de pleurer mes péchés ; mais faites qu'ils soient effacés de ce livre ". Marie entendit sa prière, lui apparut et lui dit que, pour obtenir ce qu'elle désirait, elle ne devait jamais perdre de vue le souvenir de ses péchés et de la miséricorde avec laquelle Dieu l'avait traitée ; elle devait penser sans cesse à la passion soufferte par Jésus pour l'amour d'elle, et considérer combien de malheureux étaient damnés pour des fautes moins nombreuses que les siennes ; elle lui révéla en même temps que, ce jour-là, un enfant de huit ans devait être précipité en enfer pour un seul péché. - Benoîte ayant obéi fidèlement à la très sainte Vierge, Notre-Seigneur daigna un jour lui apparaître lui-même, et lui montrant le livre tant redouté, il lui dit : " Voici que tes péchés sont effacés, le livre est blanc ; écris-y maintenant des actes d'amour et de vertu ". C'est ce que fît Benoîte, et elle mena depuis une vie sainte, qui fut couronnée par une sainte mort.

                                 PRIÈRE

Si donc, ô ma très douce Souveraine, si votre office est, comme vous le dit Guillaume de Paris, de vous porter Médiatrice entre Dieu et les pécheurs, je vous adresserai la prière de saint Thomas de Villeneuve, et vous dirai : Montrez que vous êtes notre Avocate et, en ma faveur aussi, acquittez-vous de votre office. Ne me dites pas que ma cause est trop difficile à gagner, car je le sais, et tout le monde me l'assure : jamais cause défendue par vous, si désespérée fût-elle, n'a été perdue, et la mienne le serait ? Non, je ne le crains pas.

A la vérité, si je ne voyais que mes innombrables péchés, j'aurais lieu de douter de votre disposition à me défendre, mais quand je pense à votre immense miséricorde, et à l'extrême désir qui anime votre bon coeur, de secourir les pécheurs les plus désespérés, je ne saurais non plus m'arrêter à cette crainte-là. Et qui jamais s'est perdu, après avoir eu recours à vous ? Je vous appelle donc à mon secours, ô Marie, ma puissante Avocate, mon refuge, mon espérance et ma Mère ; je remet entre vos mains la cause de mon salut éternel ; je vous confie mon âme : elle était perdue, mais c'est à vous de la sauver. Je rends de continuelles actions de grâces au Seigneur qui me donne une si grande confiance en vous ; car je le sens : nonobstant mon indignité, cette confiance m'assure de mon salut.

Une seule crainte me reste et m'afflige, ô ma bien-aimée Reine, c'est que je vienne à perdre un jour, par ma négligence, cette confiance en vous. Je vous en supplie donc, ô Marie, par tout l'amour que vous portez à votre Jésus, conservez et augmentez sans cesse en moi l'heureuse confiance en vos prières par lesquelles j'espère avec certitude récupérer l'amitié divine. Cette amitié, je l'ai fortement méprisée et perdue par le passé ; mais, une fois recouvrée, j'espère la conserver par votre secours ; et ainsi, je l'espère encore, un jour enfin j'irai en paradis vous remercier et chanter les miséricordes de Dieu et les vôtres pendant toute l'éternité. Amen. Tel est mon espoir. Puisse-t-il être rempli ! Il le sera.