Texte appartenant au site de :
livres-mystique.com
© Roland Soyer - 1/05/1999
--------------------------------------------

LODOIC DE DIVONNE

La Voix qui crie dans le désert.


Où trouver ce bonheur après lequel tous les êtres soupirent, et pour lequel ma nature entière semble être vainement en travail depuis le commencement des siècles? Dans quelle région habite cette réalité de béatitude, dont l'ombre fugitive trompe sans cesse nos espérances, et ne nous laisse au bout d'une carrière plus ou moins laborieuses, que le sentiment de la vanité de la vie ? 

Telles sont les questions que se sont faites successivement les unes aux autres toutes les générations jusqu'à nos jours : voilà l'énigme que chacun, en s'élançant de la carrière, se croit destiné à résoudre, jusqu'au moment où, détrompé par une expérience mélancolique et douloureuse, il est forcé d'avouer, qu'il n'a pas été plus heureux que ses prédécesseurs.

Cependant le sentiment et le besoin de ce bonheur sont tellement impérieux dans l'homme, que l'expérience de tous les siècles est comme inutile pour lui. En vain tous les monuments qui l'environnent lui crient-ils : "Aucun de ceux qui t'ont devancé n'ont atteint le but ; inutiles ont été les efforts de tant d'hommes qui ne furent enviés que parce qu'on ignorait l'état véritable de leur arme ; superflues ont été les recherches et les veilles de tant de philosophes et de moralistes." N'importe, il n'hésite pas à croire que lui seul ne se trompera point, qu'à lui seul, dis-je, était réservé la découverte de cette perle de grand prix.

Pressé par ce besoin puissant, l'homme entre sans hésiter dans la carrière de la vie, et rassemblant toutes ses forces pour atteindre le but qu'il se propose, il ne lui vient pas même dans l'idée de soupçonner la possibilité d'être trompé dans ses espérances. De ce besoin au contraire, par une logique naturelle, tous concluent unanimement et sans s'être communiqués la réalité de l'objet vers lequel ils sont poussés si invinciblement ; et c'est ainsi qu'ils rendent à l'existence de la source suprême de toute félicité le témoignage le plus complet, et que ne seraient balancer tous les raisonnements opposés, qu'enfantent dans la suite en nous les contradictions de l'ordre faux qui nous environne.

Besoin universel d'être heureux ! Si vous attestez qu'il existe une source suprême de félicité, vous êtes aussi la démonstration qu'elle est elle-même le principe générateur de l'homme, puisque tout être est attiré par la mine qui l'a engendré, et que le désir et l'attrait ne peuvent exister qu'entre les choses analogues et qui appartiennent à la même nature. Ainsi nous voyons toutes les substances terrestres, graviter vers la terre qui les a produites, et chaque élément tendre à retourner vers le centre dont il est sorti.

Besoin universel de la vérité ! Non-seulement vous témoignez qu'il est une lumière transcendante impérissable, mais vous déposez encore que les ténèbres, les obscurités, les ombres et les doutes, sont contraires à la vraie nature de l'homme, et qu'il a en lui le germe de cette lumière universelle.

Besoin dans l'homme de comprendre les raisons de tout, de pénétrer jusqu'aux lois centrales de tous les êtres, et de ne rien manifester qui ne soit le produit d'une intelligence ! Vous attestez qu'il est un principe éternel d'intelligence suprême et universelle, et que l'esprit de vie dans l'homme en est une émanation directe, selon le témoignage même de Moïse : "et Dieu respira en lui (l'homme) le souffle des vies."

Besoin insatiable d'admirer ! Non-seulement vous êtes une démonstration qu'il existe au-dessus de nous un ordre de choses capable de satisfaire en nous cet intarissable appétit, mais vous témoignez de plus, que nous appartenons par les droits de notre origine, aux régions des merveilles éternelles et divines, que nous avons une affinité naturelle et une analogie nécessaire avec cette source inépuisable et éternelle d'admiration, et qu'il n'y aura de repos pour nous que lorsque nous serons remontés jusqu'à elle.

Enfin, besoin d'une vie sans bornes, dont l'homme seul a l'idée ! non-seulement vous proclamez qu'il est une source de vie impérissable, infinie, mais, oserai-je le dire, vous attestez encore que NOUS AVONS TOUJOURS ETE, PUISQUE NOUS DESIRONS ETRE TOUJOURS.

Bien plus, si nous pensons à des bornes, si nous avons l'idée de la destruction et de la dissolution, ce n'est que parce que nous sommes liés à un ordre de choses qui ayant eu un commencement, doit aussi avoir une fin ; et la répugnance et la peine que nous font éprouver ces pensées, sont le résultat du conflit dans nous, et de la loi de la vie passagère et destructible, à laquelle nous sommes accidentellement liés, et de la loi de la vie éternelle qui nous constitue radicalement. Aussi, en proportion que l'homme s'enfonce davantage dans l'ordre faux, et qu'il identifie avec les choses périssables, les inconvénients de la région temporelle, deviennent de plus en plus sensibles pour lui, et la mort plus redoutable ; tandis qu'au contraire, toutes les qualités importunes et gênantes de la nature visible, s'annulent insensiblement, et jusqu'à l'idée même de cette mort tant appréhendée, disparaît graduellement, pour celui qui fixe la région supérieure et travaille à s'en approcher. Car alors, la loi fixe de la vie réelle, se développant avec plus d'énergie, elle absorbe progressivement l'action de la loi de vie passagère et finit par la rendre complètement nulle.

C'est ainsi que la mort même est comme forcée d'attester la vie, lorsqu'au milieu des décombres parmi lesquels nous marchons et des monuments de dissolution dont nous sommes environnés de toutes parts, non seulement nous agissons comme étant destinés à ne jamais cesser d'être, mais nous surprenons encore quelquefois en nous le sentiment vague de la possibilité, que notre être physique même échappe à la loi commune, tant est puissant dans l'homme LE CRI DU BESOIN DE LA VIE.

Tous les êtres de la nature passagère qui nous environnent, sont dépositaires d'une loi qui est chargée de les mener au terme de bonheur et de perfection dont ils sont susceptibles : c'est par son action que chaque animal, chaque arbre et chaque plante ont été conservés dans leurs propriétés et leurs caractères particuliers : c'est par elle qu'ils ont été maintenus dans leur développement constant et régulier, au travers de toutes leurs générations et multiplications successives, depuis l'origine des choses jusqu'à nos jours, sans que les attaques des diverses actions irrégulières ou ennemies, auxquelles tous les êtres n'ont cessé d'être en butte, ayant été capables de supprimer ou d'altérer essentiellement la vitalité de leurs lois. Nous ne voyons, il est vrai, aucun de ces être parvenir à manifester la perfection de son principe, et il n'est pas un seul brin d'herbe qui ne disparaisse avant d'avoir atteint le terme de son développement complet : mais s'il n'en est aucun qui fournisse en entier sa carrière, tous du moins arrivent à des degrés divers, et ils ne rentrent dans leur région mystérieuse, qu'après avoir rendu témoignage à leur principe, par la manifestation plus ou moins complète, des vertus dont il les a rendu dépositaires.

Combien le sort de l'homme est différent, et que le spectacle qu'il nous présente est bien plus triste et plus lamentable ! Dès son entrée dans ce monde, il se montre en opposition avec son principe, en contradiction avec sa loi, et en désharmonie avec lui-même et avec tout l'univers. Il veut le bonheur et il ne le demande qu'à ce qui ne peut produire pour lui que malheur et souffrance. Le besoin vrai et du réel le presse, le dévore sans cesse, et une force qui le pousse comme invinciblement, ne lui permet de fixer que le mensonge et l'illusion. La loi de vie éternelle qui le constitue, le fait répugner à toute idée de limites et de bornes, et il ne s'attache qu'à des objets passagers et périssables. C'est ainsi que perpétuellement en contradiction avec lui-même, il ne paraît ici-bas, que comme un phénomène étrange et inexplicable, dont les besoins incommensurables attestent la sublime origine, et dont l'impuissance de les satisfaire indique assez une fatale transposition, qui le rend l'être le plus pauvre et le plus misérable de la région étrangère où il vient en exil.

"Cependant, ô le Dieu des êtres, peux-tu n'avoir pas tout crée pour le bonheur ? Et les êtres intelligents que tu émanes de ton propre sein, pouvaient-ils désirer autres choses que toi ; et que pouvais-tu leur communiquer, sinon ta propre essence ? Mais n'es-tu pas l'éternelle réalité, l'éternel amour et l'éternelle béatitude ? Comment sont-ils donc devenus le jouet de l'illusion et du mensonge ? Comment se trouvent-ils tellement enveloppés, au moral comme au physique des régions fausses ou mixtes, que leurs essences perpétuellement en guerre, ne leur font presque jamais ressentir que le trouble, la douleur et l'angoisse ? Produit de ton éternelle pensée, créature de ton éternel désir, l'homme ne pouvait par l'action de sa loi radicale constituante, que tendre à remonter vers sa source et désirer d'être saturé de l'éternelle réalité de son principe : comment se trouve-t-il donc maintenant nager dans un vaste néant, qu'un magisme inférieur et passager réalise successivement en figures de larves, en formes vaines ; où il ne poursuit que des fantômes et ne se nourrit que des fruits apparents, que ce magisme compacte pour lui, et qui s'évanouissent dès qu'il tente de les porter à sa bouche ? Ha ! Sans doute, au milieu même de son égarement, c'est encore toi qu'il cherche, c'est vers toi que le porte, comme par un instinct aveugle, le besoin central de son être, mais il te demande à ce qui n'est de toi, c'est dans la mort qu'il cherche la vie, c'est du mensonge qu'il sollicite la vérité : enfin, il demande la lumière aux ténèbres, la réalité à l'apparence, et l'éternelle durée à ce qui ne peut être que le phénomène d'un moment."

Tant que l'homme ne vit que par son être faux et apparent ; tant qu'il n'a pas la conscience d'une autre loi dans lui que de celle qui gouverne les trois règnes de la nature, que son unité centrale n'agit encore qu'au travers de son unité composée, il poursuit sa carrière ici bas sans hésitation et sans crainte, et il se nourrit, souvent même avec délices, des fruits éphémères produits par le contact des puissances secondaires et ternaires avec les vertus actives inférieures de la nature : ainsi l'enfant prodigue, après avoir quitté la maison paternelle, entre sans hésiter dans la carrière de la vie passagère, et voyage en pleine assurance de plaisir en plaisir, dissipant la portion de son héritage dans la région des illusions, sans songer que ce qui était réel dans le pays de son origine, n'est plus qu'apparent dans celui qu'il parcourt, que ce qui était fixe dans le premier, n'est plu qu'une ombre fugitive dans le second, et que ce qui était intarissable dans la maison paternelle, n'est plus dans le palais des étrangers qu'un phénomène d'un moment qui se dissipe graduellement pour disparaître tout à fait, comme ce palais lui-même qui ne doit plus être rebâti ; mais lorsque l'homme arrive à ce terme où son unité fausse et composée se trouvant dissoute, soit par l'action du centre radical, soit par la réaction des puissances inférieures actives de la nature, le laisse nu et sans aliment, c'est alors qu'il commence à envier le sort des animaux, habitants indigènes du pays où il découvre qu'il est complètement étranger ; et dans l'inquiétude qui le dévore, on le voit souvent faire usage de sas facultés intellectuelles pour se persuader, à lui et aux autres, qu'il n'est également qu'un animal de ce monde, sans songer que les efforts qu'il fait pour cela, indépendamment de la faim qui le dévore, démontrent invinciblement le contraire, puisque s'il était en effet un animal de la terre, il n'aurait ni le besoin de se persuader qu'il en est un, ni l'idée de s'en convaincre, et pas même la pensée de mettre en doute que sa mère lui doit comme à ses autres enfants, tout ce qui serait nécessaire, jusqu'au terme où ils rentreront dans son sein d'où ils seront sortis.

Aussi, lorsque nous commençons à sortir de la sphère passive des animaux, pour nous élever dans celle de l'esprit et de l'intelligence : lorsque commence à se développer au centre de notre être, le germe de la vie impérissable, et que les désirs par lesquels elle se manifeste, commencent à fermenter en nous, et à nous presser de lui procurer des aliments analogues à sa nature ; quel trouble n'agite pas alors notre pensée ? A quel excès d'angoisse notre âme n'est-elle pas livrée, en envisageant la véritable position de l'homme ici bas, et en reconnaissant l'étonnante métamorphose, et le terrible bouleversement qu'il a subi, dans toutes les bases de son être ?

Nous pouvons parler par expérience des agonies terribles, des inquiétudes dévorantes et des déchirements cruels par lesquels il faut passer, et auxquels on ne peut cesser d'être en proie, que lors qu'après avoir percé jusqu'au principe central et universel, on commence à apercevoir enfin la raison des choses et à se saisir du fil immortel, par lequel la sagesse suprême a rattaché la région que nous habitons à l'éternelle réalité. Et alors même, combien ne se trouve-t-il pas encore d'obstacles à surmonter et de difficultés à vaincre ! Combien ne faut-il pas d'efforts, avant qu'on ait posé le pied sur le premier degré de l'échelle et qu'on soit fixé sous la ligne centrale perpendiculaire, qui peut seule nous donner ces témoignages de la vie, qui nous établissent par degrés sur le triple fondement d'une foi inébranlable, d'une espérance vive et d'une charité sans bornes.

Nous avons nous-mêmes tellement senti, par notre propre expérience, combien dans cette carrière, l'on avait besoin d'appuis, de guides et d'encouragement, que nous avons regardé que c'était pour nous une dette sacrée de faire aussi retentir notre voix, quelque faible qu'elle soit, aux oreilles de nos frères, et de leur faire part des résultats de nos recherches et des fruits de nos travaux. Et si l'homme même de désir, a tant de besoin de tous les secours et de tous les témoignages dont la sagesse l'a environné, combien ne seraient-ils pas plus indispensables pour cette foule d'hommes légers qui, enveloppés du chaos naturel du monde dans lequel ils sont nés, de celui des préjugés et des circonstances diverses par lesquelles ils ont passé, ont sans cesse été entourés d'illusions mensongères et n'ont jamais regardé le vrai que par le faux. Ce n'est pas que j'aie la prétention de faire sur eux une impression sérieuse, et encore moins d'influer sur l'opinion de ces hommes, au tribunal desquels, tout ce qui ne porte pas leur livrée est condamnée d'avance : mais qui sait si quelques semences, d'abord imperceptibles, reçues comme à leur insu venant à germer un jour, ne leur offriront pas au moins les fruits de l'espérance, lorsqu'une longue et pénible expérience les aura amenés à la conviction du néant de leur voie ? Cette idée si douce et si consolante, doit suffire à l'ami de la vérité, pour le soutenir dans la carrière si souvent laborieuse que lui font entreprendre son zèle pour la maison de Dieu, et celui qui le presse pour le bonheur de ses frères : cependant, il ne se dissimulera pas que les uns, comme Pilate, demanderont encore longtemps avec indifférence, à toutes les paroles que la vérité fera retenir à leurs oreilles : qu'est-ce que la vérité ? Et que les autres, prétendant la connaître et la posséder exclusivement, ne se lasseront pas de si tôt de tout confondre : qu'ils continueront longtemps à signaler les vrais disciples de la sagesse, tantôt comme des hypocrites ou des fous mélancoliques, tantôt comme des enthousiastes dangereux, et que les stigmatisant des noms de Martinistes et d'Illuminés, chacun continuera à s'en former une idée plus ou moins désavantageuse, selon le sens que les circonstances ou son caractère particulier lui auront fait donner à ces mots. Mais, il sait aussi que le temps de la confusion doit avoir son terme, comme tout ce qui a commencé, et que le jour où la sagesse justifiera ses enfants, celui où le roc de la vérité restera seul, parce que seul il ne connut jamais de commencement ; il sait, dis-je, qu'il s'avance graduellement et sans interruption. Cependant, le Sage ne peut s'empêcher de gémir sur l'aveugle obstination des hommes qui persistent encore à abuser du langage d'une manière si étrange, sans songer que la confusion des mots engendre nécessairement celle des idées, et que c'est de cette dernière, qu'est procédée la terrible confusion d'action, dont les bouleversements politiques et les ruines physiques, civiles et morales qui fument encore autour d'eux, n'attestent que trop les fatals résultats.

Il suffit, en effet, de qualifier l'homme religieux du nom vague d'enthousiaste pour qu'il soit condamné en dernier ressort, sans qu'il lui reste d'autre tribunal d'appel que sa propre conscience, ni d'autre appui que le témoignage que donne à son esprit la réalité éternelle qu'il a choisie pour sa portion. Cependant, si l'on analyse, même légèrement, les lois constitutives de la nature de notre être, il ne sera pas difficile de se convaincre, qu'à l'exception de la classe de ceux qui se contentant de la vie passive, la plupart semblent appartenir plutôt au cercle des être végétaux qu'à celui des êtres pensants, chaque homme doit être, et est en réalité, enthousiaste dans son genre particulier. Il est, en effet, impossible de vivre activement si notre volonté, notre imagination et notre désir ne sont allumés par un objet quelconque, illusion ou réalité, et c'est cet objet qui fournit le combustible nécessaire pour alimenter en nous le feu de la vie, dont la manifestation est toujours en analogie avec la nature des substances qui l'enflamment.

Il est donc vrai de dire qu'il y a autant d'espèces d'enthousiasmes qu'il se trouve d'objets divers, capables de créer un intérêt dominant dans l'âme, et ne donner ce nom qu'à celui qu'inspire l'objet religieux, c'est se laisser entraîner par un préjugé aveugle, c'est se montrer l'ignorance la plus complète des lois de notre nature ; l'on objectera vainement que l'on ne donne le nom d'enthousiasme qu'à cette activité exagérée qui, franchissant toutes les bornes, nous entraîne toujours hors de la mesure générale : tout homme, en effet, dans la proportion analogue au caractère qui lui est propre, est nécessairement exalté par l'objet principal qui allume et entretient dans lui le feu de la vie, et s'il parvient avec le temps à rentrer dans une mesure raisonnable pour les autres, c'est qu'il apprend par son expérience que, chacun étant également exalté comme lui, par l'objet qui lui est propre, personne ne saurait chercher et aimer dans les autres que ce qui peut servir d'aliment à son feu particulier, que non seulement tout ce qui lui est opposé ou indifférent lui paraît froid ou sans vis, mais est encore souvent l'objet de son mépris, de sa haine et de sa persécution.

Quel est l'homme qui n'ait pas commencé sa carrière par des méprises de ce genre ? Depuis l'enfant qui a la prétention que son joujou soit l'objet de l'intérêt universel, jusqu'à ce jeune rhéteur nouvellement sorti des bancs de l'école, qui tout plein de Démosthène et de Cicéron, se voit déjà gouvernant les peuples par la magie et la force de son éloquence ; et ce nouveau converti qui, dans son zèle de novice, croit que tous les êtres sont prêts à se rallier à la lueur du flambeau qui l'éclaire. C'est ainsi, dis-je, qu'ils se trompent tous, jusqu'à ce qu'à force de désappointements ils soient parvenus à comprendre ce secret, savoir, que chacun est enflammé en son particulier par l'objet qui l'intéresse, et principalement est animé des mêmes prétentions que les autres. Chaque homme, en effet, étant également pressé par le sentiment et le besoin de cette unité universelle, qui est la racine de notre être, est invinciblement poussé à tâcher sans cesse de constituer comme centre universel son centre particulier, et à user de tous les moyens en son pouvoir pour y parvenir. Voilà d'où vient cet état de guerre véritable, dans lequel se trouvent naturellement tous les êtres moraux vis-à-vis les uns des autres, et dont l'explosion n'est contenues ou modéré que par ce compromis auquel les a forcé leurs intérêts réciproques, et qui constitue la base des associations de tous les genres : et c'est ainsi qu'est formée et entretenue cette harmonie factice qui, n'ayant ni racine naturelle, ni base véritable, se trouve sans cesse exposée à être troublée par des tons qui s'exaltent dans leur basse particulière, et que l'intérêt général alarmé tend à faire rentrer dans l'ordre établi.

Mais quel est l'homme, dis-je, qui à cette époque où l'expérience n'a point encore prescrit de bornes à son enthousiasme, n'ait pas fait rendre à son instrument quelques tons désharmonieux ? Et l'on est tellement persuadé que ces écarts sont dans la nature, que plus ils sont frappants, plus ils sont regardés comma signalant le génie, et que non seulement on les excuse facilement, mais qu'on finit même par les oublier, lorsque le sujet parvenu à sentir la nécessité du compromis qui forme la base du pacte social, a consenti à se mettre à l'unisson.

Mais pourquoi l'enthousiasme religieux est-il le seul pour lequel on ne montre point d'indulgence, le seul, dis-je, qui laisse dans l'opinion publique une tache ineffaçable, lors même qu'il a cessé de manifester cette activité hors de mesure qui créa les alarmes et excitât les jalousies ? Pourquoi l'enthousiaste religieux est-il le seul dont on n'oublie pas la jeunesse ? Sans doute, l'importance de l'objet qui l'entraîne, son indépendance, son universalité, sa sublimité et jusqu'à son imperceptibilité, qui fait qu'on peut le montrer à la foule comme le fantôme le plus effrayant, le signale comme un ennemi toujours à redouter, a qui ne pouvant injustement que plus suspect et ne paraît que plus dangereux, lorsqu'il se présente sous des formes plus modérées et qu'il se fait tous à tous.

Cependant, il est encore une autre raison radicale et puissante que nous ne nous proposons point de développer et qu'il suffit qu'on indique : cette grande impulsion de l'esprit religieux qui, trouvant partout et dans tout les êtres un centre qui lui est analogue et qui enflammer, et qui par là même, menace de dissolution tous les cercles particuliers, et d'anéantissement tous les centres divers qui les constituent ; cet esprit, dis-je, se trouve toujours en présence d'un ennemi puissant avec lequel il a été depuis le commencement de l'existence de l'ordre mixte, à faire une guerre terrible, qui n'admet ni trêve, ni accommodement, et qui doit se terminer nécessairement par un combat à mort.

Déjà l'on doit commencer à apercevoir pourquoi ceux qui s'élèvent avec le plus de force contre l'enthousiasme religieux, sont précisément ceux qu'entraîne avec le plus de violence un enthousiasme d'un autre genre. En effet, indépendamment, de la grande raison que nous avons indiquée plus haut, pourra-t-on s'étonner que celui qui, enflammé de l'éloquence de Cicéron, traverse une partie du globe pour aller saluer la terre qu'il foula aux pieds, qui, à la vue de cette tribune aux harangues, d'où il faisait retentir le tonnerre de sa parole, est tellement transporté que son âme est prête à s'échapper de son corps ; pourra-t-on, dis-je, s'étonner que cet homme ne puisse supporter l'enthousiasme du pèlerin, qui n'hésite pas d'entreprendre un voyage long, pénible et dangereux, pour aller visiter ce sépulcre célèbre, d'où le Sauveur du monde sortit triomphant du tombeau et de la mort. Et l'Athée ou le Déiste qu'un amour propre effréné rendent enthousiastes de leurs systèmes contradictoires, ténébreux et désolants, ou qui, entraînés par des passions désordonnées, ne veulent pas admettre des bases qui les condamnent, pourront-ils s'empêcher de traiter d'imbécile cet homme, à qui la vue d'un crucifix inspire la dévotion la plus profonde, parce qu'il lui rappelle le sacrifice de ce Fil de Dieu qui voulut expirer pour lui sur la croix ? Ou bien celui dont la tête est toute remplie des anciens hiéroglyphes, pour qui tous les monuments de l'antiquité sont sans voile, quoique tout soit mystère pour lui sans son propre pays ; ou celui qui après de longs travaux, est parvenu à n'avoir plus de doute sur les opinions des divers philosophes des sectes d'autrefois, tout en ignorant la manière de penser de ses contemporains ; de tels êtres, dis-je, pourront-ils s'empêcher de mépriser comme visionnaire à cerveau timbré, ce Chrétien qui sait voir un sens moral et spirituel dans la lettre des divers faits historiques, consignés dans la Sainte Ecriture.

C'est donc une vérité, qu'il faut reconnaître autant d'enthousiastes qu'il y a d'individus qui vivent activement, et l'on ne peut être condamnable, qu'autant que l'objet qui nous exalte et allume en nous le feu de la vie, est mauvais en lui-même et se trouve contraire à l'ordre, au bonheur et à l'intérêt général.
Mais si l(homme a été crée avec des facultés si sublimes et si transcendantes, que rien au-dessous de ce principe éternel d'où elles sont émanées, ne peut les satisfaire ; si ce centre immortel qui les constitue, si ce feu éternel qui est sa vie, ne sauraient trouver ni aliment, ni repos dans le cercle des choses anéantissables ; s'il est forcé invinciblement par sa loi radicale à tendre incessamment vers le sans fin ; si nous voyons même que les illusions qui l'amusent un instant dans les sphères passagères, n'ont le pouvoir de le tromper qu'autant qu'elles dissimulent leurs limites, et qu'elles se présentent comme devant toujours durer ; comment le vrai enthousiasme religieux pourrait-il être blâmable, celui, dis-je, qui le porte à fixer ses regards vers l'ETRE DES ETRES par dessus tout, à l'aimer et à le désirer de toute l'énergie de sa volonté, à s'efforcer de marcher d'après ses voies, à le prendre uniquement pour l'objet de sa pensée, le mobile de sa volonté et le principe de son action, à jeter enfin l'ancre au-delà des bornes de cette terre mouvante, pour la fixer sur le rocher des siècles éternels ; comment, dis-je, cet enthousiasme pourrait-il être condamnable, puisqu'il est l'unique ressort qui puisse véritablement le faire avancer vers ce but sublime, que désire invinciblement en lui le principe de vie éternelle qui l'anime ? Disons-le plutôt, ce ne sera qu'autant qu'il brûlera de ce beau feu qu'il pourra se dire vraiment raisonnable ; et plus sa volonté sera enflammée du désir de remonter à son auteur et de s'assimiler à lui, plus il s'efforcera de participer à sa nature, par la pratique de toutes les vertus ; et se rapprochant ainsi graduellement de sa source, et conséquemment de la perfection de sa vie, on le verra se manifester de plus en plus, comme ce centre éternel d'amour lui-même, pour la paix et le bonheur de tous.

Et voilà portant les enthousiastes que les honnêtes gens du monde ne cessent de signaler comme dangereux, qu'ils combattent par toutes les armes du ridicule, avec lesquels ils rougiraient d'avoir quelque rapport et qu'ils n'hésiteraient pas de renoncer dix fois, en disant aux dépens de leur conscience : je ne les connus jamais ; tandis que, non seulement la foule des enthousiastes des sciences, des arts et métiers, sont l'objet de leur culte et de leur vénération, mais qu'ils prostituent encore leurs encens à ceux, dont l'enthousiasme pour les doctrines les plus désolantes et les plus destructives, les porte à répandre au loin leur atmosphère de poison et de mort.

Hommes du torrent, combien sont grandes vos méprises, combien sont multipliées vos injustices et que de jugements retomberont sur vos têtes ! Il faudra bien un jour voir les choses ce qu'elles sont en réalité, et alors quel autre que vous-même vous condamnera ? Quant à moi, quelque reproche que j'aie à vous faire, je n'éprouve d'autre besoin que celui de vous être utile.

Mais je l'ai déjà dit, la classe des êtres qui, dans ce moment, est l'objet de ma sollicitude et de mon intérêt le plus direct, c'est celle des hommes de désir, de ces hommes chez qui l'instinct du vrai est réveillée, et dans le cœur desquels murmure un besoins plus ou moins développé d'une réalité : ni les distractions multipliées autour d'eux, ni les cris de joie de la foule de ceux qui portent sans cesse à leurs lèvres la coupe enivrante des enchantements ne peuvent les étourdir. C'est en vain que les Docteurs en mélange du vrai et de faux leur présentent des palliatifs, ces breuvages moralisés qu'ils préparent pour les malades du grand hôpital ; ils ne peuvent pas plus pour eux que ces médecins fameux, dont les moyens curatifs si vantés se bornent à maintenir leurs malades dans un état de rêverie qui les rende insensibles à leurs maux.

Homme de désir, consolez-vous, ce n'est pas en vain que vos larmes ont coulé sur les bords du grand fleuve, et vos trois semaines de deuil et de jeûne seront à peine accomplies que vous verrez paraître cet envoyé des lieux célestes, ce porteur de bonnes nouvelles qui vous dira comme à Daniel : ne craignez point ;car dès le premier jour que vous avez appliqué vos cœurs à comprendre les voies de Dieu, et à vous affliger en sa présence, vos paroles ont été exaucées, et je suis venu à cause de vos paroles. Oui, hommes de désir ! Apprenez que Sion a été le témoin de votre deuil, qu'elle vous a vu suspendre vos instruments de joie aux branches des saules qui bordent le fleuve de Babylone, et qu'elle a entendu votre serment lorsque vous dites à ceux qui vous demandaient des cantiques : Comment pourrions-nous chanter les hymnes de Sion dans une terre étrangère ? Que notre droite soit desséchée, que notre langue s'attache à notre palais, si nous t'oublions jamais ô Jérusalem ! Oui, consolez-vous vos cris et vos gémissements sont parvenus jusqu'aux oreilles de la mère de famille : à leur bruit ses entrailles se sont émues, et déjà sa main présente à vos lèvres altérées la coupe sacrée des bénédictions, destinée à vous rendre la santé et la vie. Et quelle est cette coupe, sinon celle de son propre sang et de sa propre vie que son amour la presse d'introduire dans le centre de votre être, et de faire circuler dans tous vos membres. Mais il fallait d'abord dissoudre et évacuer un sang corrompu et putride qui stagnait dans toutes les parties de votre corps ; il était nécessaire que toutes ces substances hétérogènes coagulées qui, en obstruant les vaisseaux, empêchaient toute circulation, fussent broyées, dissoutes et comme évaporées par une transpiration angoisseuse. Car la vie ne saurait faire alliance avec la mort, et la sagesse ne peut pas plus se lier aux substances fausses qu'a produit en le principe de confusion, qu'il n'est possible à l'or de s'allier avec l'argile. Voilà pourquoi il vous a fallu traverser des intervalles si pénibles et soutenir des agonies, ou plutôt des morts si prolongées.

Sans doute, si les hommes avaient la conscience d'eux-mêmes, et le sentiment de l'état dans lequel se trouve leur être véritable, l'on n'entendrait plus que gémissements, que cris de douleur et d'angoisse, et les joies particulières de quelques individus ne pourraient se faire jour au travers des lamentations universelles. Combien donc le tourbillon d'illusions qui nous entraîne est-il puissant puisque, non seulement les gémissements particuliers sont étouffés par les cris des folles joies universelles ; mais qu'il semble encore qu'un pouvoir magique convertisse journellement en signe de bonheur et de vie le crêpe de mort qui couvre tout le genre humain ! 

Aussi quel spectacle nous présente l'homme en général ! Il s'agite comme s'il pouvait quelque chose, il se travaille comme s'il était en son pouvoir de produire, et il parle de ses droits comme s'il était indépendant, et qu'il eût par lui-même les moyens de jouir de la vie. Et cependant, en le réduisant de son propre fonds, qu'est-il, sinon le besoin et le désir de la vie ? Un principe procédant sans cesse en avant, qui ne trouvant rien qui puisse le réfléchir et lui donner le sentiment de sa vie, en le manifestant à lui-même, est obligé de se recourber sur lui-même, mais ne trouvant non plus en soi qu'un néant ténébreux, il en sort et y rentre sans cesse, et constitue ainsi une roue de désespoir et d'angoisse, dont la rotation tourbillonneuse continue jusqu'à ce qu'un autre principe indépendant du premier, vienne lui présenter une lumière à la faveur de laquelle l'être puisse se sentir, se voir et se comprendre.

Hommes ! Comment ce second principe serait-il dans ta dépendance, et de quel droit parais-tu lui commander de te donner le sentiment, la vue et l'intelligence des choses morales et intellectuelles, et de créer en toi toutes les affections de la vie, lorsqu'il est évident que par rapport même à ton existence physique animale, tu te trouves dans la dépendance la plus complète, et que le principe par lequel tu en jouis ne t'est que prêté, sans que tu puisses soupçonner même d'où il vient, ou comment il opère, ni où il retourne ? Sans doute, tu as des yeux, mais que la lumière élémentaire se retire, que verras-tu ? Tu as un nez, mais sans l'évaporation des objets qui t'environnent, que sentiras-tu ? Tu as un palais, mais sans les sels, les chose que tu manges, que goûteras-tu ? Tu as des membres, des organes, mais quel usage en feras-tu, si le principe corporel actif ne t'est communiqué ? Pour combien d'individus en action n'est-elle pas journellement retirée ou suspendue, au moment même où se sentant tout plein de la vie, ils ne croient pas possible qu'elle put leur échapper.

Si donc, nous sommes dans une dépendance si entière à l'égard de notre existence physique, comment pourrions-nous nous faire illusion, jusqu'au point de croire que la vie morale soit à notre disposition ? Non, nous ne pourrions pas plus avoir d'idées morales, si l'univers moral et les objets qu'il renferme n'existaient pas, ou s'ils ne se présentaient pas à nous pour nous donner la communication d'eux-mêmes, que sans l'univers physique et les objets qu'il renferme, nous ne pourrions avoir des idées physiques. Or, si nous étions sans idées, que pourrions-nous vouloir, que pourrions-nous parler, et quel serait l'objet de notre action ? Où serait enfin notre vie morale ? Et qui n'a pas souvent éprouvé l'absence vainement regrettée d'une idée qui s'enfuit, malgré les poursuites de notre mémoire et de notre imagination ? Tandis qu'il fait au contraire de vains efforts pour se débarrasser d'un essaim d'images importunes qui se pressent autour de lui, et assiègent comme d'une manière irrésistible toutes les avenues de son être.

Que dirons-nous de l'homme dans l'ordre civil, qui se croit maître et propriétaire des biens dont il jouit, sans songer que, si le même esprit et le même principe par lequel il les possède et cherche à les augmenter, n'était pas contenu chez les autres par la terreur des lois, il serait bientôt tiré du songe de sa propriété, et la verrait devenir la proie des loups et des tigres à figure humaine, qui se déchireraient les uns les autres pour la posséder exclusivement. Il n'est en effet personne dans l'ordre naturel, qui ne tendit à réunir à lui tout seul tous les avantages de l'ordre civil, s'il ne croyait pas qu'il fut de son intérêt de souffrir que quelques-uns de ses compétiteurs les partageassent avec lui ; et bien souvent le criminel qui est amené devant les tribunaux, n'est plus coupable que ses juges et ses jurés, que parce qu'il a moins bien calculé qu'eux.

Si je développais ce principe, que je le poussasse jusqu'à ses dernières conséquences, quelles couleurs seraient assez noires pour rendre les tableaux que j'aurais à tracer ! Quel frissonnement d'horreur et quelle épouvante serait comparable au sentiment que l'on éprouverait en découvrant, qu'au milieu des guirlandes de roses dont nous nous couronnons, et des fleurs que nous semons sur le terrain que foulent nos pieds, nous agitons en réalité nos têtes au milieu des vipères, de serpents volants, nous commerçons avec les animaux les plus terribles, et nous marchons enfin sur un gouffre au-dessus duquel nous ne semblons être soutenus que par un miracle continuel.

Mais détournons nos regards de ces tableaux sinistres, nous en avons dit assez pour le cœur droit et l'esprit capable d'une réflexion sérieuse : imitons plutôt la sage et miséricordieuse prévoyance de la mère de famille, qui ne soulève le voile qui dérobe à ses enfants l'horrible situation dans laquelle les a précipité leur iniquité primitive, que dans la proportion qu'ils recouvrent des forces pour en sortir.

Il nous reste maintenant à considérer l'homme sous le rapport religieux, à le mettre en face des bases consolatrices, de ces recours abondants, dont cette mère l'a environné, et à voir quel usage il en a fait, et comment il a répondu à sa sollicitude et aux soins qu'elle a cessé de lui prodiguer dès le commencement.

Eh ! Qui pourront retenir les transports de sa reconnaissance au seul aperçu des biens de tout genre dont a été comblée la famille humaine ? Dispersée sur un globe si étranger à sa nature, qu'elle est menacée d'y périr de faim et de soif, de succomber sous les rigueurs du froid, ou de l'ardeur brûlante d'un ciel embrasé ; séparée par des abîmes, des déserts, ou des chaînes de montagnes inaccessibles, et encore plus divisée, ou plutôt déchirée par les passions de ses membres, elle semble n'être tombée sur cette terre que pour y donner à l'univers l'exemple de la justice la plus terrible.

Mais l'idée d'un Dieu par dessus tous, auteur de toutes choses, arbitre de toutes les destinées, principe de tout bonheur, est donnée, et à l'instant tous les regards viennent s'y fixer, tous les cœurs s'y intéresser ; et ces multitudes éparses, ralliées à cette pensée sublime, ne sont plus qu'un seul homme, dès lors destiné à rendre le témoignage le plus éclatant à la bonté et à la miséricorde infinie du Dieu des êtres.

Qui pourrait en effet raconter les secours, les vertus et les baumes précieux qui ont découlé de ce CENTRE D'UNITE sur la famille humaine ! L'espérance, cette fille du ciel, descendue au milieu d'elle, vient rattacher par un fil mystérieux, qui ne saurait plus se rompre, tous les cœurs aux régions éternellement heureuses. La justice éternelle promulgue cette loi, qui est la base même du contrat social divin, et qui est sanctionnée dans tous les cœurs : ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu'on te fit à toi-même, fais aux autres tout ce que tu voudrais qu'il te fût fait ; et dès lors la morale établie sur cette base, oppose des barrières au torrent des passions, l'amour de ses semblables contrebalance l'amour de soi-même, et l'intérêt général rectifie et assure l'intérêt particulier. Enfin les arts et les sciences viennent graduellement offrir à l'homme, non seulement les moyens de pourvoir à ses besoins, mais encore ceux de se créer des jouissances et de multiplier autour d'eux les distractions et les amusements. C'est ainsi que l'ordre s'établit peu à peu, d'après le modèle qui a été montrée sur ce Sinaï éternel, que tout prend une marche régulière, et que l'idée de la divinité devient l'âme et la base de tout.

De la loi Divine est provenue la loi religieuse, et de la loi religieuse sont provenues toutes les lois civiles et toutes les institutions humaines. Vainement des hommes, faussement appelés philosophes, ont tâché de rompre cette chaîne nécessaire, et de nier la dépendance de nos législations du principe supérieur, les faits et les résultats ont déposé victorieusement contre eux, aussi bien que les annales de tous les temps et l'histoire de tous les peuples. Qu'ont-ils fait en effet, ces législateurs aveugles, si ce n'est de se servir des idées morales et des bases sociales communiquées aux hommes, en niant le principe dont elles sont émanées ? Et dans leur folle prétention, ils ont cru les avoir inventées, et n'admettant d'autre principe intelligent que leur raison subalterne, ils ont voulu être eux-mêmes l'âme de l'édifice qu'ils élevaient ; mais le sage n'a vu dans l'œuvre de leurs mains qu'une tour de confusions posée sur un sable mouvant, et dont les ruines sont prêtes à les ensevelir. Comme l'esclave s'empare des biens de son maître, s'en déclare le propriétaire indépendant, et se sert contre lui de tout ce qui lui appartient ; ainsi la philosophie se sert de tout ce qu'il a plu à l'Etre suprême de nous communiquer de lui-même et de nous dispenser des trésors de sa sagesse, pour le chasser du milieu de nous, établir l'inutilité et même la nullité de son existence à notre égard. L'insensé a dit en son cœur, il n'y a point de Dieu.

Il n'est pas un législateur de l'antiquité qui n'ait parlé au nom de la Divinité, et que son peuple n'ait reçu comme intermède de communication entre elle et lui. Oui, tous les peuples ont eu leur Moïse, leur Sinaï, leurs prophètes ; et leurs traditions attestent qu'ils attendent tous une grande époque de délivrance, l'effet des promesses qui leur ont été faites dès le commencement, et dont la vue anticipée les a aidés à supporter, avec plus ou moins de patience, les longueurs et les inconvénients de tout genre, du grand désert qu'ils étaient appelés à traverser. Tous ont reconnu que leur état de misère et de privation, était la conséquence de leur séparation du Dieu des êtres, et tous, également convaincus de leur impuissance, ont attendu et réclamé de lui seul, les forces et les moyens de retourner à lui. Aussi l'institution la plus antique chez eux, la plus respectée, celle qui était l'objet du plus grand intérêt et qu'ils considéraient comme la base fondamentale de tout, a toujours été la voie religieuse, destinée à les faire remonter à leur patrie céleste ; et il est remarquable que, quelque différence de formes et quelques modification, qu'ayant introduit dans leurs opinions et dans leur culte, la diversité de leurs mœurs et de leurs localité, partout se sont trouvé les mêmes dogmes et les mêmes bases fondamentales : ainsi, toutes les nations ont au des médiateurs, des envoyés de cette divinité, avec laquelle ils ne pouvaient plus communiquer immédiatement, des prêtres, des sacrificateurs et des victimes ; et les sacrifices d'animaux ont témoigné partout et de tout temps qu'elles étaient convaincue, que ce qui constituait leur séparation de Dieu des esprits, c'étaient les passions animales et la vie bestiale, et qu'ils ne pouvaient s'en approcher, qu'en proportion qu'elles en opéraient le sacrifice.

C'est ainsi, qu'en écartant les doubles et triples enveloppes qu'ont mis sur les institutions primitives des peuples, leurs caractères particuliers, leurs passions diverses, et les influences des différentes révolutions par lesquelles ils ont passé, on retrouverait partout le Dieu et la religion d'Adam, de Seth, de Noé, d'Abraham, d'isaac, de Jacob, de Moïse, des prophètes ; enfin de celui même à qui tout pouvoir a été donné dans le ciel et sur la terre.

Au milieu de secours si universels, de moyens si grands, de richesses si abondantes, quel spectacle nous a présenté la famille humaine ? C'est ici où nous n'avons pas la force de tracer le tableau qui est devant nous ; et l'histoire témoigne assez des crimes, des désordres, des guerres, des révolutions, des injustices de tous les genres, sans qu'il soit nécessaire que nous ajoutions rien au tableau qu'elle nous en a laissé.

Hélas ! Il n'est pas jusqu'à ce chrétien, lui pour qui la vie, dans toute sa pureté, est descendue jusque dans le sein de la mort, et qui a vu le ciel s'abaisser jusqu'à son niveau, qui ne nous offre des témoignages nombreux et lamentables de l'ignorance, de la faiblesse, de l'impuissance et de la corruption naturelle de l'homme. Comment cet or si pur s'est-il changé pour lui en un métal grossier ? Comment cette douceur céleste a-t-elle produit des fruits si acerbes, que ceux qui n'ont pas su faire le départ des sucs empoisonnés, provenus de la sève humaine, ont trouvé plus facile de nier tout à fait le principe ? Et cette UNITE, fille de l'éternité, comment a-t-elle paru tout diviser dans le temps, et ce principe universel tout particulariser ? C'est que l'homme au lieu de se ranger du parti de la vie, s'est presque toujours déclaré le champion de la mort ; c'est qu'il n'a paru embrasser l'arbre religieux, que pour en faire un trophée à cet impitoyable triomphateur. Oh Jacob ! Qu'elle s'est bien réalisée ta prophétie de Dan ! Dan sera un serpent sur le chemin et un Céraste dans le sentier ; il mordra les paturons du cheval et celui qui le monte tombera à la renverse. O Eternel ! nous attendons ton salut.

Au centre des temps, au milieu des ténèbres universelles et de la confusion générale, une grande lumière parut en Israël. L'on vit sortir un rameau de la racine de Jessé, qui s'éleva graduellement au milieu de toutes les contradictions : il n'offrit d'abord que l'apparence d'un faible roseau, mais résistant à toutes les épreuves, triomphant de toutes les oppositions, il traversa en vainqueur toutes les régions ennemies, et donna dans toute l'universalité le témoignage éclatant, que le principe et la force de sa vie, était la sève même de l'arbre éternel de la toute puissance. Dès lors, le paradis d'où l'homme avait été chassé, vint encore germer pour lui au travers des essences empoisonnées de la terre maudite de son exil ; sous une enveloppe corruptible, l'arbre de vie lui présenta ses fruits immortels, et la mort, qui l'avait englouti, s'étonna d'être forcée à devenir elle-même pour lui l'organe de la vie. En effet, dès le jour de cette Pentecôte fameuse, qui ne fut que le signe, ou les prémices d'une Pentecôte plus fameuse encore que toutes les régions attendent, l'on vit s'élever rapidement au Seigneur, sur ces douze pierres fondamentales, une église vivante qui manifesta de la manière la plus éclatante, les vertus et les puissances de cet esprit éternel, qui en était l'âme et le principe. Aussi les puissances ennemies se sentirent-elles ébranlées jusqu'au centre de leur domination, et menacées d'une chute prochaine ; elles mirent tout en œuvre pour renverser cet édifice naissant : vains efforts ! Les persécutions et les guerres terribles qu'elle excitèrent contre lui, ne firent que hâter son développement et accroître sa force ; et l'ennemi trompé, fut forcé d'avouer l'impuissance de ses moyens, et d'avoir recours à d'autres armes. C'est à cette époque, que se ressouvenant de son ancien triomphe, il revêtit cette forme séductrice, son armure d'autrefois, pour venir parler de nouveau à l'homme, sous la forme du serpent. Ses succès ne justifièrent que trop ses espérances, et peu à peu l'amour de l'indépendance, de la domination, de la vaine gloire, lui ouvrant l'entrée de Jérusalem, on le vit graduellement pénétrer même jusqu'au sanctuaire ; aussi à cette époque, il commença à avoir la prétention de mettre ses institutions au même rang que la voix qui sortant du buisson, se fit entendre à Moïse : l'homme de l'orgueil, dis-je, se persuada qu'il avait lui-même une puissance divine sur la terre, et ne connut pas dans son aveuglement, que l'Esprit saint ne se laisse point lier. Aussi dès lors, le nouvel Israël, victime, comme l'ancien, de la séduction de ce serpent rusé, commença à ne plus vouloir de la domination de l'esprit de l'éternelle unité ; et demandant bientôt à être gouverné comme les autres nations, on lui donna à regret pour marcher à sa tête, ce roi de la dernière famille de la tribu de Benjamin qu'il avait désiré. Mais bientôt l'on vit l'interdit épargné, la vie d'Agag sauvée, enfin l'autel profané, et le sacrifice offert au nom propre de l'homme, ne fit plus monter vers le ciel qu'une fumée de ténèbres, et n'exhala plus qu'une odeur de mort. Dès lors le prophète de l'Eternel se retira à Rama, la ville des pleurs, Saül fut rejeté, et l'esprit qui l'abandonna vient se poser sur David, qui gardait les troupeaux dans le désert, sur cet enfant destiné à régner un jour au nom de l'Eternel sur tout Israël. Cependant, le nouvel Israël déchu comme l'ancien, offrit encore la représentation de l'Israël véritable, et l'esprit qui se retirait à regret, prit soin de préserver ses formes et de lui conserver au moins l'idéal de la réalité, en continuant à se communiquer à lui plus ou moins secrètement, à travers les canaux creusés par les larmes de ses prophètes. Ainsi Saül, malgré sa rejetions, marche encore à la tête de son peuple ;les enfants d'Israël lui obéissent comme à leur roi, et David lui-même, qu'il poursuit dans sa fureur, respecte en lui l'oint de l'Eternel, et au moment où sa vie est livrée entre ses mains : qui est-ce, dit-il, qui mettra sa main sur l'oint de l'Eternel et sera innocent ? L'Eternel est vivant, qu'à moins que l'Eternel ne le frappe, sa vie ne lui sera point ôtée. C'est ainsi que le temple, le sanctuaire, la loi, le culte, le Pontife, l'ordre hiérarchique préservé, répétant encore dans le monde des figures, les réalités de la Jérusalem véritable ; et cet édifice représentatif, consacré par sa correspondance avec le prototype supérieur, devient pour le néophyte la cour, le vestibule et parvis du temple, qui n'est pas bâti de mains d'homme, et lui sert de moyen pour entrer en communication avec l'esprit qui doit l'introduire dans la réalité. Comment donc, cet ordre représentatif ne serait-il pas pour nous un objet de respect et de vénération ? Et qui est-ce qui mettrait la main sur cet oint du Seigneur, et pourrait être innocent ? 

Cependant, cette représentation de l'unité, à laquelle nous appartenons tous ; cette figure de l'universalité, après laquelle l'impulsion de notre vraie nature, nous fait tendre invinciblement ; ce gage de la patrie perdue, qui par les caractères analogues dont était revêtu, devait en mettre sans cesse l'image sous nos yeux, pour animer notre foi, soutenir notre espérance et balancer les contradictions perpétuelles, qui viennent nous assiéger dans les régions du doute qu'il faut que nous traversions ; eh bien ! dis-je, cette représentation qui devait être si chère au cœur de l'homme, il l'a déchirée comme une proie, et l'on a vu chacun, s'attachant au lambeau qui se trouvait plus en rapport avec son caractère particulier, le présenter comme l'entier, et disposé à employer toutes ses forces morales et physiques, pour le faire recevoir exclusivement, s'il n'eut été contenu par les efforts opposés de ceux qui avaient les mêmes prétentions que lui. C'est ainsi, qu'en contradiction avec eux-mêmes, les hommes n'ont cessé de rendre témoignage à la réalité de la double action sous laquelle ils se trouvent placés, dont l'une, leur fait sentir le besoin de l'ordre et de l'unité, tandis que l'autre, les entraîne à la division et à la confusion. Aussi avons-nous vu, que tous ceux qui ont attaqué les cercles religieux ou civils, et qui en ont tramé la dissolution, n'ont eu pour but que d'en constituer d'autres, dont ils fussent eux-mêmes le centre ; qu'ils eussent voulu que tous les êtres devinssent les points de leur circonférence ; et qu'il n'est aucun moyen qu'ils n'aient regardé comme légitime, pour parvenir à réaliser leurs prétentions.

Ah combien ils ont contristé l'esprit, ceux qui portèrent une main téméraire sur cet édifice respectable, pour en arracher les premières pierres ! Et qu'ils eussent été coupables, s'ils avaient su ce qu'ils faisaient, ces hommes, qui effacèrent ainsi, autant qu'il était en eux, les caractères d'unité et d'universalité, qui constituaient ses principaux rapports avec la cité sainte, et lui imprimèrent le signe de cette Babel antique, dont la tour édifiée dans la suite par les enfants de Nemrod n'était que la figure ! 

Je n'ignore pas qu'ils ont publié au monde leurs raisons, et qu'ils ont tâché de les rendre aussi précieuses que possible. Mais on leur demandera toujours, où est cette expressions de notre vraie patrie destinée à nous aider à y retourner ? Qu'est devenu ce gage précieux que le père avait donné à ses enfants dispersés, pour leur servir de point de ralliement au milieu de la terre de leur exil ? Nous n'apercevons plus que l'image de la division et de la multiplicité. "Mais, la corruption de l'église, les erreurs multipliées dans son sein, etc." Vains prétextes, dont la source est toute entière en eux-mêmes ; ils l'ont mille fois plus défigurée cette église, en la divisant, qu'elle ne pouvait l'être par tout ce qu'ils lui ont reproché ; puisqu'ils l'ont en effet dépouillée de ses caractères fondamentaux, qui constituaient ses rapports avec l'église une, indivisible et vivante d'en-haut, qui est le vrai corps du Christ, et qu'anime exclusivement son esprit.

Mais quel droit peuvent avoir des individus chrétiens de lever l'étendard de la révolte, au milieu de l'ordre religieux établi, à cause de ses imperfections, vraies ou supposées ? Il est évident qu'ils n'en ont pas plus le pouvoir légitime, qu'ils n'auraient celui de briser les liens de la société, et de renverser les bases de son gouvernement, parce qu'ils les trouveraient injustes et contraires à leurs libertés naturelles. En effet, si parce qu'un ordre religieux ou social nous présente des parties en contradiction avec notre manière de voir (et c'est toujours notre mesure particulière que nous appliquons aux choses),nous avions le droit de faire scission, et que l'insurrection fut le plus saint des devoirs ; dès lors toute possibilité d'ordre serait anéantie par la base, puisqu'il n'est personne qui n'envisage certains points d'une manière particulière, et qui ne dût conséquemment se séparer des autres : c'est ainsi que nous ne présenterions plus, sous tous les rapports, que le signe de la dissolution la plus complète.

Mais, si la simple raison rejette ce principe, comme ne pouvant engendrer que le désordre et la confusion, il est ouvertement et complètement condamné dans toutes les parties des saintes Ecritures. Ainsi voyons-nous les prophètes incessamment reprocher aux rois, aux sacrificateurs et au peuple d'Israël leurs vices, leurs profanations, leur corruption et leur idolâtrie, sans jamais prononcer un seul mot qui puisse tendre à faire méconnaître l'ordre établi, et engager aucun individu à s'en séparer sous quelque prétexte que ce soit. Ils leur dénonçaient, à la vérité, les justes jugements de Dieu, ils leur prophétisaient que, s'ils persistaient dans leur désobéissance aux lois du Seigneur, son esprit se retirant d'eux graduellement, les abandonnerait enfin tout à fait, et que, devenus dès lors un pur cadavre, Jérusalem serait détruite de fond en comble, qu'il ne resterait plus pierre sur pierre de son magnifique temple, et qu'eux-mêmes seraient dispersés par toute la terre. Mais en même temps, ils n'anticipaient point sur cette époque terrible des vengeances ; et jusqu'à ce qu'elle ait été amenée par le comble des iniquités du peuple, leur zèle tendait sans cesse à les ramener au Dieu unique, à sa loi, à son temple, à cette Jérusalem où il avait placé son nom ; à les réunir enfin à son pavillon. Ainsi la séparation de Samarie, intercepte pour les dix tribus la communication de la vie, à l'exception de ces hommes pieux qui, dans leur cœur, n'ayant pas rompu les liens qui les unissaient à la cité sainte, et à l'Israël de Dieu montaient à toutes les grandes fêtes de Jérusalem pour adorer l'Eternel dans son temple unique. Nous voyons notre divin maître, au milieu des reproches qu'il adresse aux sacrificateurs, aux prêtres et aux scribes, rendre lui-même hommage à l'ordre établi et s'y soumettre dans tous les points ; et lors même qu'il les accusait d'avoir substitué à la loi de Moïse et commandements de Dieu, des traditions humaines, il disait à ceux qui l'écoutaient, ne faites pas ce qu'ils font, mais écoutez-les, parce qu'il sont assis dans la chaire de Moïse : c'est ainsi que St Paul, à une époque où le peuple juif avait comblé la mesure de ses iniquités, et où l'arrêt de sa justice divine porté contre lui, était sur le point d'être exécuté par sa destruction et sa dissolution, et par celle de ses autorités civiles et religieuses, St Paul, dis-je, n'hésite pas à reconnaître encore la dignité du grand prêtre, au moment même où il abusait de son pouvoir de la manière la plus inique : et s'excusant d'avoir osé lui répondre : "Je ne savais pas, dit-il, que ce fut le souverain Sacrificateur : car il est écrit : Tu ne parleras pas mal du gouverneur de ton peuple".

Si donc les réformateurs avaient été les adorateurs que le Père cherche, des adorateurs en esprit et en vérité, ils auraient supporté avec patience l'état d'imperfection et de corruption de l'ordre religieux, aussi bien que celui de l'ordre civil ; ils seraient entrés dans les vues de ce maître, qui ne permit pas à ses serviteurs d'arracher l'ivraie de son champ, avant la moisson, de peur qu'ils ne déracinassent en même temps le bon grain ; et comme les prophètes, ils se seraient contentés de crier au Seigneur, de s'affliger devant lui de la plaie de son peuple, et de prier jour et nuit pour faire descendre le baume salutaire qui devait la guérir.

Je conviens qu'un chrétien ne doit pas appeler bien ce qui est évidemment un mal, ni approuver les erreurs, la corruption et les injustices, parce que Dieu les a tolérées : mais il doit aussi entrer dans l'esprit de patience et de tolérance de cette providence miséricordieuse, dont les voies confondront toujours la sagesse humaine : il doit se souvenir, dis-je, que c'est presque toujours par les moyens, en apparence les plus contraires, qu'elle mène ses plans à leur terme.

Ainsi l'iniquité des Juifs fut le salut du monde, leur rejetion l'appel des gentils, et la pierre qui avait été rejetée par ceux qui élevaient l'édifice, est devenue la pierre fondamentale de l'angle. Fidèles nous-mêmes à ces principes, nous sommes bien loin de vouloir condamner ou blesser aucun cercle particulier religieux, et tout en déplorant l'état de division dans lequel se trouve l'église, nous osons espérer que cette calamité même, deviendra un jour un moyen de bénédiction entre les mains de ce père de famille, qui fait concourir le mal même au bien de ses enfants. Que dis-je, la séparation de ceux qui se sont divisés, n'est réelle que pour eux : quant à nous, nous ne voulons les voir que comme Dieu lui-même, par l'universel. Aussi nous pouvons-nous rendre ce témoignage, que nos cœurs les tiennent embrassé comme des frères chéris, que nous ne voyons en eux que les enfants du même père, qui peut-être ont demandé la portion de leur héritage, mais vers lesquels nos bras sont tendus comme ceux de notre père commun, que nous regardons comme les copropriétaires de tous nos biens, auxquels nous brûlons de les communiquer, et sans lesquels nous ne saurions en jouir réellement. Aussi, n'est-ce point à un cercle extérieur littéral, ni à un centre particulier que nous désirons les réunir, c'est au contraire à l'étendard de l'ETERNELLE UNITE, l'esprit d'universalité, que nous les appelons tous, convaincus que ce ne sera que dans la proportion qu'ils s'y rallieront, qu'ils verront tous s'évanouir peu à peu ces formes séparatrices qui constituent les barrières qui les divisent extérieurement. Vainement croira-t-on amener véritablement les hommes à l'unité et à l'universalité en les assimilant par les formes et le régime ; il n'est que trop démontré qu'on peut porter en apparence le même costume et habiter en réalité des mondes opposés. Aussi ne pourrons-nous pas entrer complètement dans vos vues, ô vous ! qui ne présentez l'unité que dans un assortiment littéral à tout ce qui est reçu parmi vous, et l'universalité ,que dans l'uniformité des apparences et des cérémonies : quelque intéressant que nous paraisse votre zèle, quelques respectables que soient et votre but et les motifs qui vous animent, nous ne pouvons nous empêcher de reconnaître avec douleur, que votre marche ne décèle que trop, combien la réalité s'est éloignée de nous, et qu'elle nous montre assez que la lettre vous occupe bien plus que l'esprit ; et la forme plus que le principe. Aussi que sont devenus cette virtualité de l'esprit, cette puissance de la vie divine manifestée parmi les hommes ? Pourquoi les oreilles du sourd ne sont-elles pas ouvertes, la langue du muet déliée, les yeux de l'aveugle ouverts, les malades guéris et les morts ressuscités ? Pourquoi, comme St Paul, ne livrez-vous pas la chair des prévaricateurs à Satan, afin que leur âme soit sauvée ? Pourquoi enfin vos excommunications ne séparent-elles pas la vie d'une manière aussi frappante, que le fut celle de notre divin maître frappa de sécheresse et de mort par sa seule parole le figuier qu'il maudit ? Hélas ! vous avez été réduits à nous dire, que le temps des miracles était passé, que celui des prophètes n'était plus ; mais disons-le plutôt, vous avez repoussé les témoignages de la vie, et la mort a eu seule le droit de prophétiser au milieu de vous.

Cependant, quelques justes que soient les gémissements de l'esprit ; et quelques mérites que paraissaient les reproches que nous entendons vous adresser, les prophètes du Seigneur, l'image que vous nous présentez, a encore pour nous un attrait irrésistible, et ce n'est qu'avec un respect mêlé de l'affection la plus tendre que nous nous approchons de vous.

En effet, votre mot d'ordre est, à l'unité, votre cri de ralliement est, à l'universalité : et par là, vous nous rappelez les éléments constitutifs de notre vraie partie ; vous nous faites entendre des sons qui nous retracent cette langue primitive, une et pure, qui précéda la confusion et la dispersion de Babel : nous vous bénissons, dis-je, de tout notre cœur, parce que vous faites renaître dans nos âmes l'espérance consolatrice, que cette mère, qui a fait entendre ainsi sa voix au travers des régions de division et de mort, conserve encore le souvenir de ses enfants, et travaille à les réunir dans son sein.

Si vous n'étiez pas encore au milieu de la captivité et de la dispersion d'Israël, le signe de cette éternelle unité, d'où nous descendons, et à laquelle nous devons retourner, comment auriez-vous été incessamment l'objet de l'inquiétude et de la rage de cet esprit, qui dès le commencement voulut la diviser, et s'en déclara dès lors l'ennemi irréconciliable ? En effet, après avoir réussi à ajouter triomphe sur triomphe ; après nous avoir réduits à une image sans puissance apparente, et l'avoir de plus mutilée, de manière à offrir tout aussi bien le type de Babel que celui de Sion, il n'a pas cru encore sa victoire assez complète, et il n'a vu la sûreté de son empire, que dans l'anéantissement des signes mêmes et des formes que nous avons conservées. Ainsi, au moment où la sagesse a jugé bon de le laisser agir dans une certaine mesure, nous avons vu ce prince de la division, renverser, détruire et anéantir dans un clin d'œil, ce qui était établi depuis des siècles, et effacer jusqu'aux traces de la forme religieuse. Vain triomphe que la Providence a permis ; présage certain d'une défaite terrible ! O ennemi ! si l'on a livré l'ombre et le signe à ta fureur destructrice, ce n'est que pour les remplacer par la réalité.

O jour heureux, dont les prophètes du Seigneur signalent déjà l'aurore au travers des vapeurs ténébreuses qui couvrent encore l'horizon ! Jour de notre espérance, qui est le plus ancien des jours, et pour lequel tous les autres ont été faits ! C'est toi, que toutes les âmes de désir appellent incessamment ; par des gémissements ineffables ; c'est après toi que toutes les créatures soupirent, parce que c'est toi qui dois les délivrer de la vanité sous laquelle elles ont été si longtemps ensevelies.

Cependant, quelle que soit notre impatience de franchir la distance qui nous sépare de ce jour, qui sera véritablement celui du Seigneur, nous ne pouvons nous empêcher de voir encore un intervalle à traverser, avant que d'y arriver. En effet, d'après la loi générale, qui veut que toutes les époques réelles soient précédées par des époques représentatives, et tous les faits substantiels, par des faits formels paraboliques, il faut que le moment où se livrera le grand combat entre les puissances centrales des ténèbres et les puissances centrales de la lumière ; celui où aura lieu cette lutte mémorable qui doit produire ce beau jour de victoire dans lequel il n'y aura de vaincu que le néant et la mort ; il faut, dis-je, que ce moment soit typifié d'avance par une époque représentative qui en retrace les principaux traits, et devienne ainsi, pour nous, un signe et un avertissement. Mais pour un œil exercé sera-t-il difficile d'apercevoir, que cette époque importante a déjà commencé pour nous ? N'avons-nous pas vu le soleil s'obscurcir d'une manière soudaine ; les ténèbres nous envelopper comme en un instant, et nous environner de leurs horreurs représentatives ? Ne sommes-nous pas arrivés à ce minuit, dont la terreur a semblé paralyser jusqu'aux enfants même de la lumière ? C'est alors que les puissances ténébreuses, libres de déployer toute leur énergie, ne trouvèrent en apparence aucune force qui put leur résister, et que les airs retentirent partout du cri lugubre et désharmonieux de leur triomphe. Qui pourrait ne pas se rappeler ces moments d'épouvante, où l'iniquité, assis sur le trône de la justice, se proclama la souveraine du monde, et traita en révolté tout ce qui hésita de reconnaître la légitimité de son empire. Ainsi l'on vit, pendant quelques moments, la mort assise sur les ruines et les débris de la vie, appesantir librement sur tous, son sceptre d'airain ; et se tenant désormais assurée de sa victoire, tout ce qui refusa de porter sa marque, fut dévoué à sa rage et à sa fureur, et l'hésitation même devint un crime irrémissible.

cependant, minuit est passé, et un crépuscule du matin venant se joindre aux horreurs des ténèbres, les teintes se sont adoucies graduellement, et l'espoir de temps meilleurs, s'est ranimé dans tous les cœurs flétris.

Nous avons entendu les sages d'Orient ,saluer déjà l'étoile du matin, avant-coureur du jour, des triomphes représentatifs de la lumière ; à ce jour, le soleil paraîtra si soudainement, qu'il semblera s'être levé à son midi ; et les enfants des ténèbres seront à leur tour frappés de terreur, par la majesté de sa lumière : comme ils avaient paralysés leurs ennemis, ils seront eux-mêmes paralysés ; comme ils les avaient fait trembler, ils trembleront eux-mêmes ; comme ils les avaient réduits à fuir, frappés comme une terreur panique, ils fuiront eux-mêmes tout tremblants, comme on voit les timides oiseaux de nuit au lever de l'astre du jour, s'enfoncer précipitamment dans l'épaisseur des forêts, et se cacher dans tous les trous et les cavernes les plus obscures ; et comme enfin, ils n'avaient toléra que ceux qui portaient leur marque, il faudra porter ou adopter celle de la lumière, pour avoir la permission de commercer dans ce nouvel ordre de choses.

C'est alors, que l'on croira que le temps de Sion est arrivé, que le siècle d'or et le règne d'Astrée sont établis sur la terre....Mais hélas ! ce n'est encore que l'arbre mixte du bien et du mal, et si la sève empoisonnée semble comprimée pour un temps, ce ne sera que pour se concentrer davantage, et renouveler ses forces pour une explosion si terrible, que toutes celles qui l'avaient précédée sembleront, comparativement, n'avoir été que de faibles efforts.

Sans doute, il ne nous est pas donné de pouvoir déterminer d'une manière positive la durée des intervalles, celle des progressions graduelles qui doivent mener aux diverses époques ; mais le Seigneur lui-même nous a exhorté à faire attention aux signes des temps : lorsque, dit-il, vous voyez poussez les figues, vous dites que l'été est proche ; ainsi lorsque vous verrez ces choses arriver, sachez que le temps approche.

Ainsi la durée de la nuit d'où nous échappons, ne pourrait-elle pas servir à mesurer le jour qui doit la suivre ; et la durée totale de cette nuit et de ce jour représentatifs, ne pourrait-elle pas nous servir de règle pour déterminer d'une manière approximative, l'intervalle qui nous sépare encore du grand jour des réalités ? Souvenons-nous que Dieu a fait dire qu'il abrégerait le temps, et qu'il ferait son œuvre en raccourci, et que la brièveté du temps, comparée à la l'immensité apparente de l'œuvre à achever, ne nous étonne pas, et ne soit pas une objection qui nous arrête. Rappelons-nous, que si la première époque des dispersions divines, qui fit son explosion dans le sensible terrestre, fut la plus frappante par ses signes extérieurs, elle fut aussi la plus limitée dans le cercle de son action, puisqu'elle s'étendit qu'à un seul peuple ; que si la seconde, qui fut principalement morale, frappa par des signes moins éclatants, elle fut aussi bien plus générale, puisqu'elle embrassa des multitudes de peuples ; et que la troisième enfin, qui sera celle de l'esprit, sera universelle, puisque frappant centralement, elle atteindra en même temps à tous les points de la circonférence, quoique selon les règles de l'analogie, elle ne devra pas offrir autant de ces caractères extérieurs qui ont signalé les deux époques qui l'ont précédée.

Ne perdons pas de vue, que le menstruom de la terre n'opère que lentement les dissolutions ; que celui de l'eau, quoique plus rapide, a aussi ses longueurs ; mais que le feu dévore et dissout comme en un instant. Plus nous avançons vers le terme de la durée du temps, plus nous nous approchons de l'éternité, conséquemment, plus les actions deviennent vives et les dissolvants puissants ; aussi ne craignons-nous point d'être désavoués par les sages de l'école véritable, lorsque nous dirons, que nous regardons ces agents si actifs qui ont été dernièrement découverts en physique, comme les avant-coureurs et les signes de ces puissances vives, spirituelles, dont l'activité pénétrera à la fois, et dans un clin d'œil, tous les centres et dissoudra toutes les enveloppes.

Si nous nous contentons de ces simples indications, ce n'est que nous n'eussions en notre pouvoir, de donner des développements bien plus importants et bien plus complets, mais indépendamment qu'ils se trouvent naturellement hors du plan que nous nous sommes proposés, ils appartiennent à un mystère qui n'est pas dans notre dépendance, à un centre dont nous ne pouvons âtre que l'organe obéissant. Ce n'est pas que les sceaux du livre de l'éternelle sagesse n'ayant été levés, mais s'il nous a été permis de jeter comme de loin, les yeux sur quelques-unes de ses pages, ce n'est qu'à cet Ange, porteur de l'Evangile éternel, à ce héraut de la vérité, de proclamer ce qu'il contient, au jour et à l'heure marqués dans la mesure et dans la progression fixées dans le conseil divin. Pour nous, rendant témoignage comme St.Jean à la réalité de celui qui est au milieu de nous, nous nous contentons de crier dans le désert : comblez les vallées, abaissez les montagnes et préparez les voies du seigneur. Comme ce précurseur, nous nous réjouissons d'entendre la voix de l'époux, et nous saluons son jour qui sera celui du triomphe de la lumière sur les ténèbres, et du salut véritable du grand Israël de Dieu. Mais nous entendons aussi la voix du Seigneur qui dit à ses disciples : la moisson est grande, mais il y a peu d'ouvriers ; priez que le père en envoie. Ha ! c'est surtout à vous, qui êtes représentativement placés pour être les conducteurs du peuple, qu'il adresse ces paroles ; et c'est aussi sur vos têtes que retomberont les reproches et les malédictions, si, refusant vous-mêmes, de manger du fruit de l'arbre de vie, et de boire à la source des eaux vives, vous persistez à mener vos troupeaux dans des pâturages empoisonnés, et à les désaltérer à ces étangs croupissants, dont les eaux bourbeuses, au lieu d'engendrer et de développer en eux la vie, ne font que les enfoncer de plus en plus dans la corruption et la mort. Et comment le sang des brebis ne vous sera-t-il pas redemandé, si, au lieu d'être autour d'elles, comme le voulait le Maître, un parc impénétrable, vous êtes au contraire, vous-mêmes, la porte par où le loup peut entrer et sortir librement ? 

Si donc vous voulez être les ouvriers que le Père envoie à sa moisson, les organes qu'il destine à préparer la mémorable époque que nous signalons ; si vous ne voulez pas que votre flambeau soit entièrement retiré, et vous voir chasser de l'héritage, comme des étrangers et des mercenaires, cessez d'être des agents de l'esprit de division et de confusion ; travaillez à devenir dépositaires des vertus de l'éternelle unité ; dans la proportion que vous avancerez dans cette œuvre, vous deviendrez en état de les faire pénétrer dans l'enceinte de vos bergeries et d'être réellement les organes par lesquels l'esprit un, universel, trouvera entrée dans les cercles dont vous êtes les ministres, et vous verrez se détruire peu à peu par son action, et s'évanouir enfin entièrement, toutes ces cloisons et partitions qui séparent ce qui devait être ensemble, et qui divisent ce qui devrait être un. Ainsi lorsque l'astre du jour partant de l'orient s'avance vers son midi, l'on voit s'éclipser toutes les lumières particulières, et de dissiper comme un néant toutes ces sections partielles, qui ne sont que des ombres, qui ne doivent l'existence qu'à l'interception des rayons de la lumière, par des corps opaques particulières.

Ministres de la parole de vie ! Quel que soient vos titres et vos noms ; à quelque hiérarchie que vous apparteniez, vous que le père de famille a envoyé à ses enfants, lorsque vous serez ainsi parvenus à être animés de la vraie vie, éclairés de la lumière véritable, non seulement vous pourrez sonder toute la profondeur, et pénétrer jusqu'à la source de la maladie de la famille humaine, mais vous aurez encore les moyens de lui donner le sentiment et la vue de son état lamentable, d'allumer en le désir de la vie, et de l'amener graduellement à recevoir et mettre en usage les baumes précieux et salutaires, dont la sagesse vous aura fait les dépositaires. Mais non seulement vous serez appelés à convaincre l'homme de la réalité de la terrible maladie qui le décore, mais à lui démontrer encore, que cette maladie n'est rien moins qu'une mort réelle, et qu'il n'est pour lui de guérison que dans une résurrection véritable.

Alors il ne se scandalisera plus avec Nicodème, de ces paroles de notre divin maître : je vous dis en vérité, que si vous ne renaissez de nouveau d'esprit et d'eau, vous n'entrerez point dans le royaume des cieux. Pour le convaincre de la nécessité de cette renaissance, il suffira de l'arrêter un moment dans le cours rapide d'illusion qui l'entraîne et de le placer vis-à-vis de lui-même, pour le mettre à portée de reconnaître et la nature de cette vie qui l'anime, en considérant ses fruits réels, et le terme où elle le pousse invinciblement. Alors, vous lui ferez remarquer comment il se trouve placé entre deux principes opposés : l'un identifié avec lui et l'âme de sa vie propre, qui le pousse en tout lui-même, à ne considérer que son intérêt particulier ; à ne ménager celui des autres, que par rapport au sien ; a vouloir en réalité tout pour lui, et à sacrifier sans hésitation, dans la proportion de sa force, tout ce qui serait un obstacle à son exclusive ambition. Vous lui montrerez l'autre, parlant au centre intime de son être, pour rendre sans cesse témoignage à la source pure d'où il tire son origine, principe, dont la nature et la tendance sont au contraire, de ne considérer que l'intérêt général ; de ne s'envisager que par rapport aux autres ,de ne rien vouloir que pour l'universel, et d'être prêt enfin, à se dévouer pour le salut général, à l'exemple de celui qui pour nous rapporter la communication de cet électre universel, donna DES LE COMMENCEMENT le premier, et à jamais le plus mémorable exemple de ce dévouement sans bornes ! Vous n'aurez pas alors de peine à l'amener à reconnaître que les conséquences nécessaires du premier principe de division que nous avons indiqué, sont telles, que s'il n'était pas arrêté dans son action, tous les membres de la société finiraient pas se dévorer les uns les autres ; tandis que si tous agissaient par le second, la famille humaine entière en constituerait plus en réalité qu'un seul homme de paix, d'harmonie et d'amour, et que l'univers dans lequel elle se trouve renfermée, serait nécessairement converti en un véritable paradis terrestre.

Dès ce moment, il ne pourra plus considérer comme arbitraires, les préceptes de morale et les règles de conduite, que la sagesse lui a fait transmettre, il les verra tous au contraire, fondés sue la nature même de son être ; puisqu'il aura sans cesse sous les yeux, la démonstration exacte qu'il ne peut accomplir sa loi véritable, et atteindre par conséquent à l'existence heureuse, dont il est capable, qu'en faisant ce qui lui est ordonné, et s'abstenant de tout ce qui lui est défendu. Comment l'homme pourrait-il refuser son assentiment à cette vérité, lorsqu'il ne cesse lui-même de lui rendre le témoignage le plus complet : en effet, quelques portés que nous soyons tous, à n'agir envers les autres que par le principe désorganisateur de l'égoïsme et de la division, il n'est cependant personne qui ne désire et ne prétende que tous les autres se manifestent à son égard, par le principe opposé, celui de la charité universelle : et dès lors, comment cet homme ne concevrait-il pas qu'il n'est d'autre moyen pour lui, d'éviter le comble du malheur, et de parvenir au contraire à celui de la félicité, que de mourir graduellement au principe désastreux, qui constitue la base de sa vie actuelle, pour renaître à celui qui lui est opposé et qui est la base de cette vie sublime, qui n'est rien moins qu'une émanation directe et immédiate de l'éternelle et universelle unité ? Et comment pourrait-il désormais admettre, pour lui-même, d'autre mesure et d'autre règle que cette LOI fondamentale de l'harmonie éternelle ? Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas que les autres te fissent ; agis au contraire à leur égard comme tu voudrais qu'ils agissent au tien. Parvenu à ce degré de développement, il n'aura plus de peine à concevoir qu'il a une œuvre à faire, et que tant qu'elle ne sera pas achevée, quelle que soient d'ailleurs les circonstances qui l'environnent, il sera toujours plus ou moins séparé du bonheur véritable ; et que fut-il même placé (ce qui est impossible) au milieu des délices du paradis, il y serait encore plus misérable que sur cette terre, puisqu'il existerait par un principe tout à l'opposé de celui de ce séjour céleste.

C'est alors que vous ne craindrez plus de lui dire, qu'il a un sacrifice véritable à consommer, et que la matière de cet holocauste c'est sa propre vie, de sa vie fausse et ténébreuse, car il aura déjà commencé à comprendre le sens de ces paroles de notre divin maître : celui qui veut sauver sa vie le perdre, celui qui consent à la perdre la sauvera. Mais c'est ici qu'il sera essentiel de lui faire comprendre, que la victime qui doit être offerte, n'est pas le corps physique matériel, puisqu'il n'est dans le fait, comme tous les autres phénomènes physiques matériels, que signe passif et passager, et organe innocent d'actions spirituelles de tous les degrés ; qu'il n'est par le mode de son existence ; par la corruption et les maladies de tout genre dont il est le siège, que la figure de celui dont l'opacité spirituelle nous sépare de la lumière ; et que sa mort nécessaire et sa dissolution, ne font que représenter cette mort et cette dissolution volontaire, par où l'autre doit passer.

Enfin, il sera amené, d'autant plus invinciblement, à reconnaître l'absolue nécessité de faire fumer sur l'autel l'holocauste de sa vie fausse séparatrice, qu'il verra évidemment, que c'est elle qui est sa véritable prison, et qu'elle constitue la barrière qui le sépare des régions de lumière et de vie, barrière qui, tant qu'elle ne sera pas dissoute, sera aussi infranchissable pour lui, que l'était pour le mauvais riche l'abîme qui le séparait du sein d'Abraham.

En effet, la vie que nous somme appelés à livrer, a pour base un centre isolateur naturel ; elle est nous par nous, par conséquent principe cité. Sa main (celle de celui qui était le type de cette vie naturelle ) dit l'ange à Agar, sera tous contre, et celle de tous sera contre lui. La vie à laquelle nous somme appelés à renaître a pour base le centre divin ; elle est nous par Dieu ; aussi son principe est-il cette unité lumineuse expansive, et communicative qui unit, harmonise tout, et comble de félicité et de joie tout ce qui s'en laisse pénétrer. En lui, (Isaac qui était le type de la vie céleste) dit l'ange à Abraham, toutes les nations seront bénies.

Chacun de nous, en effet, étant l'expression d'une des propriétés de la nature éternelle, et nous étant originairement conçus nous-mêmes, par cette propriété particulière et isolée, il nous en est résulté un esprit de vie particulier, séparé, réciproquement impénétrable, qui nous fait regarder, voir, concevoir, vouloir et agir dans sa manière propre particulière, tandis que, pressés par le sentiment et le besoin de cette unité universelle, qui est la racine de notre être, nous sommes poussés, sans cesse à tâcher de constituer comme centre universel, notre unité apparente particulière, et à user de tous les moyens en notre pouvoir pour y parvenir. Aussi quel tableau présente le genre humain ? Une arène d'athlètes et tous de gladiateurs, qui tendent tous à l'emporter sur tous les autres. Que nous offrent les fastes de l'histoire ? Des complots, des meurtres, des batailles et des révolutions ; résultat inévitable de cette émulation. Mais si nous mourons à cette vie naturelle, pour nous concevoir et renaître par l'unité universelle, dès lors ce centre, qui est plus profond que toute la nature, en pénètre toutes les propriétés, sans être compris par elles ; et chacune se tournant vers lui, et lui livrant son droit particulier naturel, il les remplit toutes de lumière et de joie ; et les engendre de nouveau pour les manifester dans l'harmonie universelle. Cependant, quelque intéressant que soit le but qui nous est proposé, il n'est que trop vrai que ce n'est qu'avec effort que nous pouvons l'atteindre ; et quelque sublime que soit la vie à laquelle nous sommes appelés à renaître, nous ne dissimulerons pas, qu'elle ne peut s'enfanter qu'avec douleur, et que la sentence qui nous condamna à manger notre pain à la sueur de notre front, pèse sur nous d'une manière bien douloureuse, et cela encore plus comme êtres moraux spirituels, que comme êtres physiques temporels. Aussi lorsque l'homme s'étonnera de rencontrer de tous les côtés tant d'obstacles à son œuvre ; qu'il se plaindra de ne pouvoir marcher dans la voie de sa consommation, qu'au travers des angoisses et des recommencements ; de ne trouver en fin partout que fatigue du corps, peine d'âme et travail d'esprit ; vous lui répondrez avec l'Apôtre St. Paul : nous venons de Dieu, il est vrai, mais nous sommes sous la puissance de Satan. Et si le mystère de son esclavage l'embarrasse, vous ajouterez encore avec le même Apôtre : C'est à celui dont vous faites la volonté que vous êtes assujettis comme esclaves. Vous l'aimerez ainsi, à reconnaître que s'il est en effet lui-même, comme il n'est que trop évident, sous la domination de tyrans inflexibles, c'est qu'il s'est vendu lui-même volontairement à eux ; et que si la nature entière, gémit également sous le poids de la même oppression, c'est qu'il leur a livré lui-même son empire, et qu'il les a fait asseoir sur le trône qu'il devait occuper, et qu'il leur a abandonné ce sceptre, par lequel il devait gouverner toutes les régions de l'univers, au nom du Dieu de lumière et pour le bonheur de tous. Aussi l'esprit a-t-il dit par Moïse : et la terre fut maudite à cause de l'homme. Or, ce dominateur impitoyable, fait valoir en justice conte l'homme, toute la force qu'il lui a donné lui-même, et il ne peut échapper à sa tyrannie, et recouvrer sa liberté qu'en opposant des forces équivalentes, qui deviennent nécessairement victorieuses, et selon les règles qui lui a fait prescrire la sagesse éternelle. Mais quoique les forces ayant pénétré , jusque dans la profondeur de l'abîme de l'homme, par le sacrifice volontaire qu'a fait de tout lui-même cet HOMME-DIEU qui en avait la plénitude, et qu'elles se trouvent ainsi placées incessamment près de lui, elles demeurent néanmoins comme nulles pour lui, tant qu'il ne leur donne pas entrée au-dedans de lui, et qu'il ne se les approprie pas, par l'action des facultés constituants de son être, la pensée, le désir, la volonté et l'action. Il a donné, dit St. Jean l'évangéliste, à tous ceux qui le reçoivent le pouvoir de devenir les enfants de Dieux

Homme, regarde autour de toi, interroge tous les êtres des trois règnes de la nature qui t'environnent ; et tous te diront, que ce n'est que par leur direction VERTICALE ; par le mouvement de leur propriété radicale attirante, qu'ils reçoivent et conçoivent la vie ; ils t'apprendront, que ce n'est qu'avec douleur qu'il les enfantent ; que ce n'est, dis-je, que par un fermentation angoisseuse, au travers des lenteurs du temps, et par une lutte constante, qu'ils se frayent une route à la lumière, et qu'ils parviennent enfin à voir le jour ; et que sans les forces, que leur communique incessamment le soleil, leur sauveur physique, ils n'eussent jamais connu que le tombeau et la mort. 

Mais si la justice pèse ainsi sur les êtres qui ne peuvent être, et ne sont en faite que d'innocentes victimes, comment l'homme, ce grand coupable, lui qui porte toute la responsabilité de tous les maux de l'univers, puisque c'est lui qui a tout maudit lorsque c'était sa vocation de tout bénir ; qui a tout tué, tandis qu'il était chargé de communiquer incessamment la vie à tout : comment, dis-je, pourra-t-il espérer d'échapper à l'action douloureuse des lois de cette justice imprescriptible, et d'arriver à la vie par des sentiers fleuris, en se laissant aller à une pente douce et facile ? Et comment pourrait-il réaliser le contraire de cette sentence sacrée ? Il y a une voie qui paraît agréable à l'homme, mais dont les issues aboutissant toutes à la mort. Ha ! je comprends maintenant pourquoi il a été dit : que le chemin qui mène à la vie est étroit. Non, vos souffrances et vos angoisses n'ont plus rien qui m'étonnent, ô vous ! qui dans toutes les époques du monde, avez choisi de marcher vers l'éternel héritage. O patriarches ! je comprends pourquoi, étranger ici-bas, errant constamment sur la surface de cette, sans y avoir de demeure fixe, vous appeliez le cours de votre vie, les jours mauvais des années de votre pèlerinage. O Moïse ! vos douleurs ne me surprennent plus. O David ! vous n'avez exprimé que faiblement les agonies par lesquelles vous avez passé : et les accents lamentables des prophètes ne rendent que légèrement, la grande amertume dont leur âme était abreuvée. et toi, ô FILS UNIQUE et bien-aimé, élu de ton propre amour, victime de ton éternel charité ! je ne suis plus étonné que tu aies été toute ta vie un homme de douleur, et dans l'excès de ton agonie, je ne suis plus surpris de voir découler de tous tes pores le sang et l'eau, non plus que de t'entendre prononcer ces paroles : Mon père, s'il est possible que ce calice passe loin de moi ! 

Cependant, si le chemin qui mène exclusivement à la vie, n'est que douleur, renoncement, sacrifice ; si aucun de ceux qui ont témoigné avoir atteint le but, n'a marché par une autre voie ; que signifient donc ces cris de joie, que j'entends retentir de tous les côtés ? Où va la foule enivrée qui se presse sur les routes du plaisir ? Où courent-ils ainsi couronnés de fleurs ? La terre a-t-elle cessé d'être maudite ? La parole n'est-elle plus dans l'angoisse ; et le crêpe qui couvrait le genre humain, a-t-il été roulé ? Ha, je comprends, ce sont des troupeaux que la mort chasse devant elle ; ce sont des victimes destinées à ses nombreuses hécatombes, qu'elle pare pour ses sacrifices, et desquels on peut dire avec le Prophète : qu'ils descendent en enfer au son des musettes

Encore un moment, et l'illusion est à son terme ; encore un instant, et il ne reste plus que la terrible réalité. O douleur, douleur ! . . . . je ne puis plus soutenir la vue d'un spectacle ! si déchirant ! Dieu des êtres, père universel ! retire ton serviteur du milieu de cette scène désolante, ou dis-lui une parole de consolation, et montre-lui un signe d'espérance. . . . La parole a été prononcée, le signe a brillé devant nos yeux : sois béni, parce que tu n'as pas permis que ton serviteur demeura sans consolation, et que tu as promis de ne jamais donner ta gloire à un autre. 

Ce qui donne sans doute tant d'avantage aux ennemis de l'homme ; ce qui rend si douloureux la travail par lequel il doit échapper à leur domination, et sortir de leur royaume d'illusion et de mensonge ; c'est qu'il se trouve tellement identifié avec l'ordre faux et apparent, et qu'ainsi le néant et la mort ont le droit de le frapper, comme la réalité et la vie ; tandis que celles-ci sont si fort, pour lui, mort et néant, qu'il ne soupçonnerait pas même la possibilité de cet ordre éternel véritable, si les douleurs et la vanité de sa fausse vie, ne le portaient pas quelquefois à fixer, quoique confusément, des bases de délivrance. Aussi n'est-il que trop vrai, que l'on pourrait soustraire Dieu à la foule de ces hommes pour qui la vie est encore pleine de jouissances ; de ces êtres auxquels elle a encore dissimulé ses lacunes et ses bornes, sans qu'il leur manqua rien pour le bonheur. 

Dans quel épouvantable abîme l'homme est-il donc enseveli ? Quel horrible bouleversement a-t-il donc subi dans les bases de son être, puisque ce qui n'est pas est pour lui la seule réalité ; tandis que l'être unique, l'être tout, la seule réalité, n'est pour lui qu'une idée chimérique, une irréalité ? Et l'on pourrait encore douter, que cette terrible transposition, que cet état de privation, cette punition si éclatante, ne soient la conséquence de quelque grand crime, dont il s'est rendu coupable ! En effet, dans l'ordre vrai, là où il n'y a pas de délit, il ne saurait y avoir de châtiment ; puisque cette punition n'est que l'action même de la loi, pesant sur le prévaricateur, en raison de son extralignement ; et tant qu'un être fidèle à la sienne, elle ne agir que pour son bonheur et sa satisfaction. C'est donc ici où l'homme commencera à être obligé de reconnaître, qu'il est primitivement et par essence un être moral, que son existence d'être de volonté libre, date de plus haut que sa génération physique animale ; puisque si la force des choses le contraint de convenir, qu'il naît ici-bas en punition, il ne peut plus douter qu'il n'ait prévariqué. En effet, s'il n'avait pas été un être moral, aurait-il pu se rendre coupable ? Et ne faut-il pas nécessairement qu'il ait abusé primitivement de sa liberté ; qu'il ait agi volontairement, en opposition avec la loi qui lui avait été donnée ; puisqu'il serait directement contraire à la sagesse, à l'amour et à la justice du Tout-Puissant, de constituer en été de patiemment, un être intelligent qui ne l'eût point mérité. 

Dès lors, il ne doit plus avoir de peine d'avouer la réalité de cette terrible catastrophe primitive, à laquelle l'univers moral, et l'univers physique rendent également un témoignage aussi frappant qu'il est universel ; catastrophe dont les conséquences eussent été bien autrement terribles, si la miséricorde ne se fut pas placée entre la justice et le prévaricateur : sans son interposition médiatrice et bienfaisante, non seulement le soleil moral ne se fur à jamais plus levé sur notre âme ; mais encore, ce soleil physique, à la lumière duquel nous nous réjouissons un moment, avec toute la nature, n'aurait jamais été allumé pour nous ; et au moral comme au physique, nous n'eussions jamais connu que les ténèbres et la mort : si, dis-je, elle ne nous eut réordonné dans une vie figurative animale, la seule dont nous fussions désormais capables, nous n'eussions jamais eu ni l'idée, ni la vue d'aucun des phénomènes de la lumière et de la vie. 

Que si l'homme était tenté de douter de la réalité de cet épouvantable bouleversement primitif, et de la criminelle opération dont il a été la suite, parce que sa mémoire ne lui en fournit pas le souvenir, il faudra lui demander, s'il lui paraîtrait étonnant, qu'un homme après une chute terrible, fut ébranlé au point de perdre non seulement le souvenir des événements précédents, mais encore celui même de sa chute, sans qu'il luis resta d'autres témoignages que les meurtrissures ? Mais pour lui donner la solution complète de cette difficulté apparente, on lui dira, que sa prévarication l'ayant tué à la vie, pour laquelle il avait été crée ; à cette vie, qui ayant précédé sa chute, avait été seule témoin de tout, ( au jour où tu en mangeras tu mourras de mort) ce n'est qu'en proportion de la résurrection de cette vie en lui, qu'il peut rentrer dans le sentiment, la vue et l'intelligence, et de la catastrophe qui l'a précipité ici bas, de l'opération criminelle dont elle a été la suite, et de l'ordre de choses qui l'avait précédé. Et comment, cela pourrait-il être autrement, puisque la vie actuelle, étant postérieure à la chute, et ne remontant pas dans son origine au-delà du rétablissement qui a constitué cette ordre physique mixte, il est uniquement en son pouvoir de lui présenter, comme elle le fait, les conséquences dans son mode même d'existence et d'action ? En effet, aucun esprit ne voit plus loin que dans sa mère, de laquelle il attiré son origine, et dans laquelle il se manifeste ; car il n'est donné à aucun esprit dans sa propre puissance naturelle, de voir dans un autre principe et de le contempler ; à moins qu'il ne soit de nouveau engendré dans ce principe. En vérité je vous le dis, que vous ne renaissez à nouveau, vous ne verrez point le royaume des cieux. Mais si un homme parvient à renaître à cette vie transcendante et plus profonde que tous les centres de la nature, de cette vie à laquelle il mourut primitivement, dès lors il peut parler comme témoin des diverses manifestations divines, des créations et émanations, des lois par lesquelles furent créés dans le principe les cieux et la terre, etc. parce qu'il peut dire avec vérité, qu'il était présent lorsque la sagesse éternelle faisait toutes ces choses : en effet, elle ne cesse et ne pourra jamais cesser d'opérer dans ce commencement, puisque c'est UN COMMENCEMENT ETERNEL. 

Une fois l'homme fixé sur ces bases fondamentales, l'objet le plus important, sera de lui faire envisager sous ses véritables rapports, cette vie secondaire, pour laquelle il fut réordonné pour un temps après sa chute, et de lui montrer les différents buts qu'elle a à remplir à son égard, dans la succession et le jeu des figures qu'elle fait passer devant lui. Premièrement, elle est chargée de lui donner le témoignage de l'existence de l'ordre réel et de la véritable vie, puisqu'indépendamment de cette existence, il ne serait pas plus en son pouvoir de lui en présenter l'apparence et la figure, qu'il n'est possible à un miroir de réfléchir une image sans objet. Secondement, en plaçant ainsi sous ses yeux l'idéal de l'éternelle réalité, elle est destinée à en allumer en lui le DESIR, pour vivifier toutes les puissances radicales de son être, par l'action desquelles seules il peut parvenir à attirer, recevoir et saisir graduellement la vie. Personne ne peut venir à moi, a dit celui qui s'est appelé la voie, la vérité et la vie, si le Père ne l'attire. Troisièmement, elle doit lui fournir des intervalles de repos et de rafraîchissement, pendant le cours de sa carrière laborieuse ; mais aussi, s'il lui demande davantage, elle est chargée de lui donner tôt ou tard les démonstrations les plus douloureuses, et les plus terribles de son impuissance et de son néant. c'est ainsi que l'homme attentif, sera mené par un enchaînement successif de démonstrations sensibles et intellectuelles, à voir les raisons de sa manière d'exister dans ce monde ; à reconnaître la source de toutes les scènes de confusion, dont il est témoin, ou l'agent, et à comprendre enfin qu'il n'est rien pour lui de réel dans toutes les choses de cet univers, que la modification qu'il en reçoit, et que celui-là est en effet le plus riche et le plus heureux, qui est le plus avancé dans la modification harmonieuse, qui seule peut de nouveau le placer sous sa loi véritable, ne fut-il entouré en apparence, que des figures de la misère, de la souffrance et de la mort. Si donc toutes les circonstances qui nous environnent ; si tous les événement de notre vie, et les relations et les rapports que nous avons avec toutes les choses de cet univers ; si, dis-je, tout cela n'a d'autre but réel que de nous amener à cette modification nécessaire, pour parvenir à la jouissance d'une vie vraiment heureuse ; comment l'homme ne serait-il pas dès lors convaincu de toute l'importance du temps et des fatales conséquences auxquelles il s'expose nécessairement, s'il le laisse s'écouler inutilement pour lui ? Et comment ne comprendrait-il pas la profondeur de ces paroles sacrées : rachetez le temps ? Il est en effet, ce milieu, cet organe de la miséricorde, au travers desquels l'action de la justice éternelle parvient jusqu'à lui, pour agir et opérer en dissolution sur son être faux, par des voies douces et successives, de manière à l'amener graduellement, par une marche toujours analogue à ses forces, jusqu'au terme de son œuvre, qui seul peut être celui de sa souffrance. O mon frère ! écoute à ce sujet un apologue de la sagesse. "Un homme s'était couché plein de santé et de vie, à son réveil il se trouva perclus de tous ses membres, n'ayant plus le sentiment de son existence, que par ses souffrances. dans cette situation terrible, il eut recours à un médecin, ou plutôt à un sage, que sa réputation justement établie rendait l'objet de la vénération et de la confiance de tout le pays. Le médecin arrive auprès du malade, le considère un instant et lui parle en ces termes. "mon fils, ton mal est grand sans doute, mais aies courage, le père de la grande famille a pourvu à tout, et je t'apporte le remède qui doit te guérir radicalement : tes souffrances et ta maladie sont produites par une humeur étrangère, virulente, dont l'influence corrompt toutes tes essences et paralyse en toi toutes les sources de la vie ; et je t'avertis que tant qu'elle ne sera pas dissoute et évacuée, le mal ne pourra qu'empirer graduellement, jusqu'à ce que la vie te soit venue tout à fait insupportable. Vois-tu ce flacon, c'est du feu liquide, d'une force telle qu'aucun laboratoire chimique ne saurait en produire de pareil ; et cependant, c'est le seul agent qui soit capable d'opérer en toi la dissolution nécessaire. Mais comment tes organes soutiendraient-ils l'action d'un feu pareil ? Et ne les aurait-il pas dévoré avant même de parvenir au foyer du mal ? Mais comme je te l'ai dit au commencement, la sagesse miséricordieuse du père de famille a tout prévu, prends cette vaste coupe, met quarante-neuf fois autant d'eau que de ce fluide igné, et n'oublie pas d'avaler chaque jour une demi once de cette portion mitigée. Si tu es fidèle à mon ordonnance, chaque jour une partie de cette humeur morbifique sera dissoute, et tu avanceras ainsi vers le recouvrement de la santé et du bonheur, sans que tes organes se trouvent exposés à une action trop violente, ni ton être à des souffrances au-dessus de tes forces. Mais souviens-toi aussi que chaque jour il s'évaporera une portion d'eau, et que la liqueur ignée se concentrera en proportion ; ainsi plus tu négligeras de boire de cette coupe, plus elle deviendra brûlante ; et si tu persistes à ne pas en approcher tes lèvres jusqu'à ce que les quarante-neuf parties d'eau aient été évaporées ; tu auras rendues vaines les intentions miséricordieuses du père de la nature, et il ne te restera plus d'autre moyen de recouvrer la santé et le bonheur, que d'avaler la coupe entière de feu pur. alors quelle douleur ! quel horrible tourment ! ô mon fils, que le Dieu des êtres te préserve de t'y exposer ! "

O vous ! qui vous dites avec raison les ministres véritables et légitimes du cercle universel religieux représentatif, ce n'est pas à nous sans doute à vous dire les reproches que cous adresse celui qui fait écrire aux sept églises. mais souffrez que nous vous conjurions, au nom du zèle de la maison du Seigneur, de vous rappeler que vous ne pouvez parvenir à être en réalité ce que vous nous représentez, qu'autant que vous serez vous-mêmes remplis de l'esprit d'unité et d'universalité, et que vous vous manifesterez en organes véritables de celui qui, dans la prière que l'église appelle sacerdotale, dans cette prière qui fut comme son testament de mort dit : Père. . . qu'ils soient un, comme vous et moi, afin qu'ils soient tous consommés en l'unité. Qu'il était loin de l'esprit d'exclusion ! celui qui disait à ses disciples, qui voyant un homme chasser les démons en son nom, quoi qu'il ne le suivit pas, l'en avaient empêché : ne vous y opposez pas, car il n'y a personne qui ayant fait des miracles en mon nom, puisse aussitôt après parler mal de moi ; car qui n'est pas contre nous est pour nous. Qu'il était doux et expansif ! celui qui, assis sur le bord du puits de Jacob, s'entretenait avec la samaritaine, lui disant : si tu connaissais le don de Dieu et qui est celui qui te dit donne-moi à boire, tu lui en aurais demandé toi-même, et il t'aurait donné de l'eau de vie. -Femme, ce n'est plus ni sur cette montagne, ni à Jérusalem qu'on adorera ; le temps des figures est passé, mais le temps vient et il est déjà venu, que les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité, car ce sont là les adorateurs que le Père cherche. Vous ne demanderez donc, à l'imitation de votre maître, à ceux qui se rallieront à vous et qui écouteront vos paroles, que de suivre les voies qu'il nous a tracé lui-même par sa conduite et par ses instructions ; vous ne leur imposerez d'autres fardeaux que ceux qu'il leur a expressément imposé lui-même : et puisqu'il est venu pour les introduire dans la loi de la liberté, vous vous garderez bien de faire rétrograder pour eux l'esprit, en les plaçant de nouveau sous le commandement légal. Vous leur apprendrez, au contraire, que si nous la loi de Moïse tout était obligé, sous celle de Christ tout est volontaire, comme son sacrifice l'a été, et que le nôtre ne peut appartenir au sien, et participer à sa vertu et à son efficace, qu'autant qu'il est également volontaire. Si vous vous remettez sous le joug de la loi, dit St. Paul, je vous dit que le Christ ne sert de rien. Alors ils comprendront comment la première loi, qui n'était que préparatoire et représentative, n'ayant pour objet que l'enfance de l'homme à laquelle il fallait des ordonnances, un pédagogue enfin, selon l'expression de l'Apôtre, pour suppléer au principe indépendant central de vie rationnelle, qui n'était pas encore développé, était incapable de rien amener à la perfection, parce que n'étant pas la loi de la liberté, elle n'était pas la loi véritable de l'homme. Ils reconnaîtront que si la seconde, au contraire, mène nécessairement tout à son terme, c'est que non seulement elle est en esprit et liberté, mais qu'elle est encore divine, comme l'homme central primitif est lui-même divin. Dès lors, il n'aura pas de peine à découvrir pourquoi tous les sacrifices de l'ancienne loi n'avaient pu opérer la réconciliation de l'homme avec son Dieu ; puisque jusqu'à l'immolation de ce lui qui dit : je donne ma vie, personne ne me la ravit , mais je la laisse de moi-même, j'ai le pouvoir de la quitter et j'ai le pouvoir de la reprendre, aucun n'avait été volontaire

Il sera surtout important que vous ne perdiez pas de vue que comme ce n'est que par un développement graduel et successif que nous entrons dans la jouissance de la vie temporelle physique de ce monde, nous sommes également obligés de passer par les mêmes gradations, pour entrer dans la vie supérieure spirituelle : aussi, vous qui êtes au milieu de nous ses ministres représentatifs, vous montreriez-vous plus injustes et moins sages que les administrateurs des choses d'en-bas, si parce qu'un être n'est pas encore parvenu au développement que vous lui désirez, vous le rejetiez de votre sein et le regardiez entièrement comme un étranger ; puisque les enfants, même dans ce monde, non seulement ne sont pas exclus du cercle de l'ordre social, mais qu'ils sont encore l'objet d'une protection sociale, et que la patrie dont ils sont l'espérance, veille sur eux avec une tendresse toute particulière. Cependant, comme ils ne sont élevés de classe en classe qu'à mesure qu'ils atteignent les développements des divers degrés qu'ils parcourent, comme ils ne sont admis aux charges importants du ministère public que lorsqu'ils sont devenus des hommes faits, votre sanctuaire devra être également environné de cercles graduels qui ne pourront se franchir que dans la proportion du développement spirituel moral des Néophytes : il y aura à votre maison des cours, des parvis, des vestibules ; et c'est ainsi que votre universalité ne connaîtra, même littéralement, d'autres bornes que celles de l'univers temporel, puisque ses diverses enceintes renfermeront depuis celui qui n'en est encore qu'à sentir qu'il doit y avoir un premier être, jusqu'à celui qui a pénétré les profondeurs des merveilles divines. C'est ainsi que lorsque vous entrerez dans le lieu très saint, pour y faire le parfum et offrir le sacrifice par excellence, les pans de votre robe sacerdotale renfermeront tous les hommes, comme ceux du souverain pontife des Juifs renfermaient tout Israël, qui était la figure universel. Au lieu, dit Philon, que les sacrificateurs des autres peuples n'offraient que pour leurs compatriotes, le souverain pontife des Juifs offrait pour TOUT LE GENRE HUMAIN ET POUR TOUTE LA NATURE. Mais si chaque cercle est gardé par des sentinelles inflexibles et vigilantes, de manière à ce qu'aucun profane ne puisse s'introduire, vous aurez soin également que tous trouvent dans leurs divers degrés des instructeurs, des guides, des organes enfin, revêtus des enveloppes analogues, qui leur donneront les développements dont ils sont susceptibles et leur offriront les moyens de faire le travail des divers cercles dans lesquels ils sont classés, et de se qualifier pour être en état d'être introduits dans ceux qui leur sont supérieurs. 

Pour vous, qui par la permission de cette providence qui dirige tout, vous trouvez placés à la tête de celle des sections d'Israël, qui ont choisi d'adorer à Garizim, souvenez-vous , que vous ne serez jamais les vrais pasteurs délégués par le maître de la grande bergerie, qu'autant qu'armés de son esprit UN ET UNIVERSEL, vous tendrez à tout ramener à l'unité, en combattant sans cesse contre cet esprit de division et de particularisation, qui s'efforce incessamment d'édifier Babel sur les fondements et avec les pierres même de Sion. ne perdez jamais de vue, que c'est de Juda que vient le sceptre, et de Jérusalem la source prophétique, et que vous ne pourrez être, même à Samarie, les Porphètes du Seigneur, qu'autant que vous habiterez, au moins en esprit, la ville du grand roi, que votre face sera incessamment tournée vers son temple unique, et que vous serez ainsi vus, connus, comptés et enregistrés par les inflexibles gardiens de la parole : ce n'est qu'au chandelier à sept branches, qui est devant le Saint des saints, que doivent être allumées vos lampes ; et tout autre feu, que celui qui est consacré et entretenu nuit et jour dans le temple, est impur et profane. Vous prendrez donc garde, de ne pas vous présenter avec des encensoirs pleins de feu étranger, autrement l'esprit ne verrait en vous que les prêtres de Bahal, et vos sacrifices n'exhaleraient qu'une odeur de mort. Or, cet esprit nous avertit que le moment vient bientôt, où l'Eternel manifestera son jugement, comme du temps de Moïse et de Coré, pour faire distinguer les vrais pontifes, d'avec les profanateurs qui ont voulu s'arroger les sacerdoce ; et qu'Elie revient d'Horeb pour lutter, lui tout seul, à la face d'Israël, contre les quatre cents cinquante prophètes de Bahal. 

Ne perdez pas de vue que, comme il n'y a qu'un Dieu, qu'un Christ, qu'un esprit et qu'une église, qui est la manifestation de cet esprit divin dans les régions pures supérieures, il faut nécessairement que sa manifestation apparente, dans la région mixte terrestre que nous habitons, soit marquée du caractère d'unité, et que le tabernacle représentatif du désert ou nous voyageons , répète le modèle qui a été montré sur la montagne. Or, l'unité étant le signe essentiel qui doit caractériser l'analogie du cercle inférieur avec le supérieur, tout ce qui s'en sépare pour s'en constituer indépendant, nie par là même, nécessairement l'éternelle unité dont tout est provenu ; et bâtit une maison à l'esprit de confusion et de désordre. Aussi lorsqu'on demandera à ceux qui sont désunis, pourquoi ils sont hors du cercle établi pour être la représentation de l'unité supérieure, ils allégueront en vain la corruption de ses membres, les prétentions de son chef : hypocrites, leur sera-t-il répondu, pourquoi vous êtes vous scandalisés ? sans la poudre qui vous aveuglait, vous n'auriez pas vu la paille dans l'œil de vos frères : Ne saviez-vous pas, qu'à moi seul appartenait le jugement : mais puisque vous avez jugé vous serez jugés, et l'on servira pour vous de la même mesure, dont vous vous êtes servie envers les autres. Vous avez dit, le Seigneur a dit : et je ne vous avais ni parlé, ni envoyé. Nous venons, avez-vous dit, au nom du Dieu de paix et de miséricorde ; et l'on n'a vu entre vos mains que l'épée de la colère et de la division. Vous vous êtes annoncé comme parlant au nom de Dieu des lumières, et vous n'avez présenté que des dogmes les plus absurdes et les plus désolants, et comme votre lumière était ténébreuse, votre nuit a été d'autant plus profondément obscure. C'est ainsi que vous avez condamné le culte, ses cérémonies, sa pompe, son encens, son feu, son eau et sa lumière, en les taxant de superstition et de fanatisme ; tandis que si vous eussiez suivi, même de loin, Moïse sur le mont Sinaï, et vous eussiez été à portée d'apercevoir le modèle qui est sur la montagne, vous eussiez pleuré sur notre pauvreté et notre misère, et vous eussiez compris que tout l'or, l'argent et les pierres précieuse de cet univers, toute la pompe et les cérémonies dont l'homme d'ici-bas peut concevoir l'idée, ne pouvaient offrir qu'une faible image de la sublimité, de la majesté et de la pompe du modèle supérieur. 

Objecter la simplicité de l'établissement primitif de l'église ; la méconnaître et la condamner dans le développement de ses formes majestueuses, de son cérémonial pompeux, parce qu'elle ne se présenta pas d'abord ainsi aux premiers disciples de Christ, serait montrer autant d'ignorance des lois de la nature universelle, que si l'on méconnaissait l'arbre chargé de branches, de fleurs et de fruits, parce qu'on l'aurait vu dans son commencement, n'être qu'un simple rameau, à peine garnie de quelques feuilles. Tout dans la région que l'homme habite, ne commence-t-il pas comme lui, par une semence ? N'est-ce pas un développement graduel et successif, que chaque germe manifeste les puissances et les vertus dont il est dépositaire, et les réalise pour nous, par des formes apparentes extérieures ? Sans doute, cet arbre antique religieux, dont l'atmosphère est si antipathique, et les fruits si mortels pour cette foule d'agents malfaisants et corrosifs, qui remplissent cet univers mixte, a été, à toutes les époques de sa croissance et de son développement, exposé à leurs attaques, et éprouvé par leur influence pernicieuse : mais si ces agents ennemis ont pu corroder son écorce, la couvrir de mousse et charger ses branches de plantes étrangères, il n'a pas été en leur pouvoir de prévaloir contre sa sève, et cet arbre respectable donne infailliblement son fruit de vie, à celui qui a bien compris que tout est en effet esprit de vie. Ainsi le cultivateur paisible cueille encore chaque année des fruits savoureux et salutaires, sur l'arbre antique que planta son aïeul, quoique son tronc sillonné, couvert de mousse et ses branches chargées de gui, offrent de tous côtés les signes de la décrépitude et de la dissolution. 

Mais, dites-vous, vos peuples ne sont que des idolâtres ; pour eux le Dieu des êtres a cessé d'être esprit, et ils ne le voient plus que dans les ouvrages de leurs mains. Sans examiner jusqu'à quel point ces reproches sont fondés, nous avouerons que cette démarche rétrograde, est un grand sujet de lamentation pour l'esprit : mais après tout, c'est l'idolâtrie des enfants, et nous pouvons raisonnablement espérer, que par la lettre ils seront graduellement conduits à la réalité, dont ces formes mêmes leur conservent toujours l'idéal. Au surplus, tant que l'idole est objective, la superstition n'est qu'une transposition d'ignorance, toujours fâcheuse sans doute, mais qui ne laisse pas de maintenir l'être dans le sentiment de ses vrais rapports avec la divinité : il reconnaît en effet, la dépendance où il est d'elle ; il sollicite et espère de sa bonté miséricordieuse à tous les secours dont il a besoin ; il la reconnaît comme la source intarissable de tout ; et il s'efforce de marcher par ses voies, de pratiquer les règles de discipline et de morale qu'elle lui a fait prescrire ; et c'est ainsi que se préparent les voies véritables, par lesquelles s'opérera un jour pour lui, l'heureuse transposition de la lettre de l'esprit. Mais nous ne pouvons dissimuler, que nous regardons comme bien plus dangereuse cette idolâtrie des hommes faits, par laquelle ils se sont établis à la place de la divinité, de ces hommes dont toutes les idoles sont spirituelles, et qui ont élevé des temples et des autels à l'orgueil, à l'amour propre, à la vanité, à la cupidité, à toutes ces passions, enfin qu'on a revêtu des apparences et des noms des vertus, contre des Païens de l'enfance du monde, cachaient la pourriture de leurs Dieux de bois, en les recouvrant de lames d'or et d'argent. c'est ainsi que ces derniers n'ont été eux-mêmes aux yeux du sage, que les Prophètes et les signes de cette idolâtrie au premier chef, que nous voyons, réalise au milieu de nous, et contre laquelle seule ont été prononcées, en réalité, toutes les malédictions, et exécutés typiquement à l'avance, les terribles jugements de la justice divine. 

O mon Dieu ! que vos jugements sont loin de ceux des hommes ! combien de choses souillées à leurs yeux, se trouvent éclatantes de blancheur devant vous ! Tandis que ce qu'il y a souvent pour eux de plus recommandable, n'est à vos yeux qu'orgueil et qu'iniquité. C'est ainsi qu'on les entend sans cesse décrier et condamner comme des fainéants, des êtres inutiles au monde et à charge à la société, ces hommes de foi et de prière qui se sont dévoués à être des boucs émissaires d'Israël ; qui se tiennent à la brèche pour parer ou recevoir les coups de la justice, qui aurait bientôt renversé et consumé les empires, et l'univers lui-même, si par leurs travaux, leurs angoisses et leurs larmes, ils ne se creusaient pas des passages à la parole et des canaux à l'esprit, de manière à toujours balancer l'action de la malédiction et de maintenir incessamment la communication du ciel avec la terre. Et pourquoi craindrions-nous de le dire ? Oui, si l'atmosphère moral n'est pas entièrement pestiférée, si les bouleversements civils et politiques, ne vont pas jusqu'à la destruction de l'espèce humaine ; si le monde physique lui-même ne tombe pas en dissolution ; si le soleil lui régulièrement ; et si le sillon du laboureur est arrosé ; oui, c'est aux que nous le devons, à ces victimes pures et cachées, qui s'affligent de la plaie de Joseph et qui crient avec Moïse, ou effacez mon nom du livre de vie, ou n'abandonnez pas ce peuple, opposent le bouclier du ministère saint, qui leur a été confié, pour arrêter l'exterminateur, en lui représentant les promesses que Dieu avait faites aux pères avec serment, et l'alliance qu'il avait jurée avec eux : qui au milieu des morceaux de morts qui sont déjà tombés les uns sur les autres, se mettent entre deux, et arrêtant ainsi la vengeance de Dieu, empêchent que le feu se consume ceux qui sont encore en vie : hommes qui sont pourtant, pour ceux qu'ils défendent avec tant de zèle et de dévouement, que des sujets de dérision, de mépris et de condamnation, ainsi qu'autrefois leur chef duquel il est dit : il fut le rejeté et le méprisé d'entre les hommes

Ho ! quand sera révélée la folie de la sagesse d'ici-bas ? O sagesse de mon Dieu ! Quand cesserez-vous d'être folie pour les hommes ? Ce ne sera, dites-vous, lorsque l'enfant prodigue sera parvenu au point d'envier même, les gousses dont se nourrissent les pourceaux. Oui, je commence à comprendre vos voies. Comme la liberté est la loi fondamentale de notre être, il ne peut rien nous être fait selon que nous le voulons ; c'est pourquoi votre amour qui n'a jamais voulu et ne pourra jamais vouloir que le bonheur de tout ce qui est sorti de votre sein paternel, mène tout à son terme pas des degrés sensibles, et votre providence avance toutes choses vers cette dernière limite, où chaque principe sera forcé de faire la révélation complète, et chaque arbre, de montrer les fruits de sa sève : alors les ténèbres ne seront plus appelées lumière ; ni la lumière ténèbres : le riche ne sera plus compté comme pauvre, et le pauvre comme riche : et la vie enfin ne paraîtra plus la mort, et la mort ne paraîtra plus la vie. Alors l'illusion ne dissimulant plus à l'homme le terme de ses voies, il n'hésitera pas sans doute dans son choix et dans sa détermination. . . . Mais, ô mon Dieu ! quel énorme et pénible chemin n'aura-t-il pas traverser, pour effectuer son retour jusqu'à la maison paternelle ! Puisque ce même pays, qui par son abondance dans les jours de son égarement, était pour lui un véritable Carmel, ne pourra plus être au temps de la réalité, qu'un affreux désert où il ne trouvera ni de quoi satisfaire sa faim et étancher sa soif, ni un seul ombrage pour jouir d'un moment de repos et de calme. Vous l'avez dit : chacun vivra des provisions qu'il aura amassé, et boira de la source qu'il aura creusé. Alors malheur à celui qui ne saura pas que l'homme ne vit pas seulement du pain substantiel réel, produit par la parole de Dieu : malheur à celui qui n'aura connu d'autre source de fécondité, que le principe élémentaire astral, car ce principe aura achevé son explosion, et sa force productrice aura atteint sa dernière limite. Aussi est-il annoncé que les riches se trouveront dans l'indigence, et les pauvres dans l'abondance : que les puissances seront humiliées jusque dans la poussière, et que les petits et les méprisés seront assis sur des trônes. Malheur à ceux qui auront dit : mon bien est à moi, et qui auront retenu la substance du corps social ; car ils s'en trouveront séparés, et ils seront traité comme ces membres dans lesquels le sang s'est égorgé, et qui retenant les liqueurs nourricières, destinées à alimenter tout le corps, ne sont plus que des masses de chairs corrompues et gangrenées, qu'on se hâte de retrancher. Malheur alors, à ceux qui n'auront pas fait aux autres comme ils auraient que les autres leur fissent, et doublement malheur à ceux qui auront fait aux autres, ce qu'ils n'auraient pas voulu qui leu fut fait à eux-mêmes ; car ce sera le temps de la justice et de l'exacte rétribution ; sur cette même terre, à la face de ce même univers qui auront été les témoins et les victimes de nos injustices et de nos iniquités. Aussi a-t-il été dit, arrangez-vous avec votre partie adverse pendant que voue êtes encore en chemin, de peur qu'en arrivant elle ne vous livre au juge, que celui-ci ne vous livre au ministre de la justice et que vous ne soyez mis en prison ; je vous dis en vérité, qu'il ne vous laissera pas sortir que vous ayez payé jusqu'à la dernière obole. N'a-t-il pas été dis dès le commencement : jette ton pain sur les eaux, et après plusieurs jours tu le trouveras : fais-en part à sept et même à huit, car tu ne sais pas quel temps fâcheux viendra sur la terre ; sans doute c'est une chose douce de s'égayer à la lumière du soleil, mais souviens-toi des jours de ténèbres, car ils seront nombreux. Souviens-toi de ton créateur pendant les jours de ta jeunesse, avant que les mauvais jours ne viennent, avant que ton soleil, ta lumière, ta lune et tes étoiles s'obscurcissent ; lorsque les gardes de la maison trembleront , que les forts se courberont, que ceux qui meulent cesseront, et que ceux qui regardent par la fenêtre ne verront plus que ténèbres. Lorsque les deux battants de la porte seront fermés sur la rue. Lorsqu'ils trembleront en marchant, que l'amandier fleurira, avant que la corde d'argent se rompe, que le vase d'or se casse et que la cruche se brise sur la fontaine, et que la roue se rompe sur la citerne ; et que la poudre retourne dans le terre d'où elle provient ; et que l'esprit retourne à Dieu qui l'a donné. Avant, enfin, que Dieu fasse venir en jugement tout ce qu'on aura fait, avec tout ce qui est caché, soit bien, soit mal. . . . 

A quel temps sommes-nous réservés ? Eternel ! Qu'ai-je entendu ? Dans quelle profondeur redoutable ton esprit m'a-t-il conduit ? quel spectacle tu as montré à ton serviteur ? Eternel ! mon âme se fond de douleur au-dedans de moi : ma vie est épuisée : je n'ai plus de larmes pour pleurer la terrible désolation, par où doit passer la famille humaine. Non, il ne pourra plus y avoir de joie pour moi sur la terre, le sourire même, ne reparaîtra plus sur mes lèvres ; et j'irai avec Esdras dans le désert, couvert de sac et de cendres, faire ma demeure parmi les bêtes sauvages ; là, au moins, je n'aurai plus la douleur d'être le témoin des folles joies du peuple, et je pourrai m'affliger à mon aise de terrible plaie d'Israël. Mais quel est ce rayon de lumière, qui vient de pénétrer jusque' dans les horreurs de la nuit qui m'environne, et dissiper les agonies de mon âme ? O mon Dieu ! n'est-elle pas de toi cette voix douce comme l'aimable zéphyr du printemps, qui me dit : Ecoute, fils de douleur ; les voies de ma miséricorde sont insondables, et ses moyens intarissables. N'as-tu jamais remarqué comment, parmi les hommes, la charité vient au secours des nécessiteux ? Comment il y a des hôpitaux pour les pauvres malades ? . . . . Apprends ; il y a aussi une bourse commune, un tronc de charité, placé à la porte du temple, qui serviront aux temps mauvais. Heureux ceux qui y mettent ! . . . . O éternelle bonté ! O éternel amour ! vous venez de remplir mon âme de consolation et de joie ! Quel secret d'inscrutable miséricorde ; quel abîme de charité vous venez de me faire apercevoir ! Donnez-moi de travailler sans relâcher, afin d'avoir aussi quelque chose à mettre à cette bourse commune. Que pourrai-je offrir, sinon ce que vous m'aurez donné ? Voici un denier que j'ai reçu de vous ; il est sans doute tout recouvert de ma propre rouille, mais il ne laissera pas que de compter, si vous daignez le nettoyer et le bénir, par l'action de votre esprit, dans tous ceux qui liront ces pages ; que la faiblesse et la modicité de l'offrande, soient un titre à votre protection ; car si d'autres ont donné de leur richesse, moi j'ai donné de ma pauvreté. 

Eternel, soyez béni ! de ce que vous avez permis, qu'après avoir, au printemps de mes années, prêté mes facultés comme organe des choses vaines et des illusions d'ici-bas, en donnant aussi mon témoignage, quelque faible qu'il soit, à votre vérité. Si celui que j'ai rendu au monde, m'a valu, dans les commencements de ma vie, quelques éloges, pourrais-je me plaindre si ce témoignage rendu à votre unique réalité, me range au nombre de ceux pour lesquels on n'a que du mépris, et qui, s'ils ne sont pas toujours l'objet de la haine, sont au moins celui de la moquerie et de la dérision. mais vous avez dit : je vous envoie comme des brebis au milieu des loups. Mais le disciple n'est pas plus grand que le maître, ni le serviteur plus que son seigneur, si le monde vous hait, sachez qu'il m'a haï avant vous ; si vous étiez au monde, ceux qui sont du monde vous aimeraient ; mais parce que vous n'êtes point du monde et que je vous ai choisis du milieu du monde, c'est pour cela qu'ils vous haïssent. Eternel, j'y consens : accordez-moi seulement de n'être jamais moi-même trouvé contre eux. 

CONCLUSION

NOTRE Père qui êtes aux Cieux ! O Etre infini et incompréhensible ! Daignez écouter le cris que nous poussons vers vous du fond de notre abîme. Ayez pitié de cet homme infortuné, ce fils de l'éternité, ce produit de votre propre essence. Jetez sur lui un regard favorable, souvenez-vous de vos éternelles compassions ; et ne souffrez pas que la mort engloutisse à jamais ce qui est sorti de vos mains. 

Ah ! si dans la vallée de l'ombre de la mort que nous habitons, un père ne saurait se consoler de la perte d'un de ses enfants, ô Dieu ! comment votre cœur, source éternelle d'intarissable amour, pourrait-il consentir à ce qu'un seul être fut arraché pour jamais de votre sein paternel ? 

Oui, Seigneur, vous l'avez dit, votre miséricorde prévaudra sur votre justice ; et si les droits de celle-ci sont imprescriptibles, les ressources de la première ne seront pas moins inépuisables, pour nous fournir les moyens de satisfaire à votre justice ; j'en atteste ici ce Fils unique, cet objet de vos éternelle complaisances ; ce Sauveur que vous nous avez donné, cet HOMME-DIEU qui a voulu descendre jusqu'au fond de notre abîme ; s'y charger de notre iniquité et de notre mort, et nous rouvrir comme des frères, les portes éternelles, par la consommation du sacrifice à jamais le plus mémorable. Oui, seigneur, par lui votre nom que nous avons profané à la face de tous les êtres, sera sanctifié en leur présence ; le feu de votre vie divine sera rallumé ; par tout votre règne sera établi à jamais ; les torrents de la lumière de votre soleil éternel inonderont et béniront encore cet univers maudit à cause de nous. Votre volonté s'accomplira sur la terre comme au Ciel, par l'explosion universelle de votre Saint Esprit, au travers de tous centres généraux et particuliers : enfin toutes vos créatures consommées dans votre éternelle unité, vous glorifieront et vous adoreront comme l'unique Dieu, et ce Fils auquel votre miséricorde nous avait donné, (comme il l'a dit lui-même : Père, ils étaient tien et tu me les as donné) vous remettra lui-même le Royaume, afin que vous soyez Tout en Tous. Amen. 

O Seigneur, vous avez dit : que vous abrégeriez les temps ! souvenez-vous de votre promesse. Envoyez votre Esprit Saint et tous les cœurs seront comme créés de nouveau et la face de la terre sera renouvelée ; O Dieu ! bientôt les gémissements de toutes les créatures seront à leur comble ; bientôt le travail sera à son terme ; bientôt retentira jusque dans l'éternité, ce grand cri de la mère de famille ; qui doit précéder l'enfantement du salut et annoncer le triomphe central universel de la vie sur la mort. O mort ! où est ton aiguillon ? O sépulcre ! où est ta victoire ?