Ce livre, dont nous sommes heureux de donner une réédition, semble remonter à l'âge apostolique, bien qu'il ne date que d'un siècle environ. Sa simplicité, l'absence complète de spéculation qui le caractérise, son accent direct et d'une portée toute pratique l'apparentent aux écrits les plus anciens du christianisme, notamment à cette admirable "Didaché", peut-être contemporaine des Evangiles, et qui a été découverte 84 ans seulement après la rédaction de Quelques traits de l'Eglise intérieure ».
Similitude d'inspiration, caractère original et originel, affinité d'élection communauté d'orientation spirituelle, parité d'idéal, science identique de la vie vraie, rayons directs du Verbe fait chair pour le salut du monde, que peut-on penser de ces analogies fondamentales ?
«De même que surgissent parfois au ciel monotone, immuable en apparence, d'imprévus astres temporaires ou de fugitives comètes dont seuls quelques savants attendaient le retour, de même, à certaines dates, passent dans l'humanité des êtres étranges qui forcent l'attention de toute une époque. Ce ne sont ni des héros, ni des conquérants, ni des fondateurs de races ou des révélateurs de mondes nouveaux; ils apparaissent, brillent, disparaissent et le monde semble, après leur départ, ne pas avoir changé ; mais, pendant leur éclatante manifestation, tous les regards ont été invinciblement attachés sur eux. Les savants ont été troublés par leurs paroles; les hommes d'action se sont étonnés de rencontrer ces individus qui les dominaient sans effort ; la foule des gens simples les a suivis, sentant rayonner en eux une intensité vitale, une bonté inconnue, une puissance cachée secourable à sa faiblesse et bienfaisante à ses douleurs. Ces apparitions ne sont pas l'apanage d'une race ou d'un siècle ; aussi haut qu'on remonte dans l'histoire, en Orient comme en Occident, à chaque tournant de la route, un de ces hommes se montre. »(1)
Ces êtres extraordinaires sont les chefs de file de l'Armée de la Lumière. Personnages attachants surtout parce que, dépassant le niveau ordinaire, ils vivent néanmoins comme le commun des hommes, acceptant toutes les servitudes de l'existence, soumis aux coutumes, dociles aux lois des pays où ils ont élu résidence, respectueux des autorités constituées, ne se défendant pas des attaques. Libertaires de l'Esprit, aucun parti ne peut les enrégimenter, aucune école ne peut leur donner une étiquette ; énigmes vivantes, incompréhensibles à la raison, inaccessibles à la science, impénétrables aux regards les plus perçants, inconnus de ceux mêmes au milieu desquels lis vivent, accomplissant une mission qui est leur secret et le secret du Père qui les a envoyés, ils instruisent surtout par l'exemple silencieux de leur vie et se font reconnaître de ceux-là seuls qui, d'un coeur humble et sincère, cherchent la Vérité. C'est pourquoi ils sont souvent en butte à des haines violentes, à la jalousie de ceux que gène leur supériorité. Leur vie est une incarnation de l'Evangile ; ils vont, pitoyables aux erreurs, aimant les pauvres, séchant les larmes, brisant les chaînes, consolant les affligés, rendant la santé aux malades, la confiance aux désespérés, relevant ceux qui gisent à terre, éclairant les ténèbres, dissipant les doutes, réparant les désordres, hérauts de l'Absolu, serviteurs de la Vérité, possédés par cette folie de Dieu, par la folie divine de l'Amour qui est plus sage que la sagesse des hommes (2).
Tel fut, pour ne nommer que lui, le comte de Cagliostro.
Toutefois, si nous mentionnons ces êtres pour ainsi dire surnaturels et qui souvent jouent dans l'époque où ils apparaissent un rôle de premier plan, nous tenons à souligner leur caractère exceptionnel. Ils sont des missionnés, au sens total de ce mot. Mais, à côté d'eux, bien au-dessous d'eux certes au regard de l'Absolu, occupant cependant une place éminente parmi les serviteurs du Ciel, il y a la cohorte des soldats obscurs qui mènent, avec les armes de Jésus, le combat séculaire qui se terminera par l'avènement du Royaume de Dieu. Ce sont ces serviteurs anonymes qui constituent l'Eglise intérieure. Parmi eux il en est à qui sont confiées dans le monde des situations en vue, tel ce Lopoukhine à qui nous devons le présent ouvrage et qui fut sénateur de l'Empire russe, d'autres passent complètement inaperçus; mais tous ont en commun une certaine lumière, perceptible à ceux qui s'efforcent de vivre selon la Vérité. Il est nécessaire de vous donner une idée pure de l'Église intérieure, de cette communauté lumineuse de Dieu qui est dispersée dans tout le monde, mais qui est gouvernée par une vérité et par un esprit. Cette communauté de la lumière existe depuis le premier jour de la création du monde, et sa durée sera jusqu'au dernier jour des temps. Elle est la société des élus qui connaissent la lumière dans les ténèbres, et la séparent dans ce qu'elle a de propre. Cette communauté de la lumière possède une école dans laquelle l'esprit de sagesse instruit lui-même ceux prit qui ont soif de la lumière ; et tous les mystères de Dieu et de la nature sont conserves dans cette école pour les enfants de la lumière... C'est ainsi que, de tout temps, il y a eu une assemblée intérieure, la société des élus, la société de ceux qui avaient le plus de capacité pour la lumière et qui la cherchent; et cette société intérieure était appelée le sanctuaire intérieur ou l'Eglise intérieure. Tout ce que l'Eglise extérieure possède en symboles, cérémonies et rites est la lettre de laquelle l'esprit et la vérité sont dans l'Eglise intérieure... C'est ainsi que nous trouvons un Job parmi les idolâtres, un Melchisédech chez les nations étrangères, un Joseph chez les prêtres égyptiens, et Moïse dans le pays de Madian, comme preuve parlante que la communauté intérieure de ceux qui sont capables de recevoir la lumière était unie par un esprit et une vérité dans tous les temps et chez toutes les nations... Cette communauté intérieure de la lumière est connue sous le nom de communion des saints. »(3)
Il ne nous appartient pas de dire quelle place occupait dans cette hiérarchie J. Lopoukhine, l'auteur de Quelques traits de l'Eglise intérieure ». Nous savons seulement qu' il en avait une. Aussi avons-nous réédité son livre dans une double intention :
d'abord, afin de rendre témoignage que les promesses du Christ sont vraies, que l'enseignement du Christ se transmet directement d'âge en âge et dans chaque peuple pour ranimer la flamme éternelle, pour préparer l'esprit humain, l'individuel comme le collectif, à recevoir la lumière, pour rassembler, où qu'ils se trouvent, les hommes de bonne volonté, pour établir sur notre terre les fondations de la Nouvelle Jérusalem, et, ensuite, dans l'espérance que quelques-uns de ceux qui sont aux prises avec la souffrance, les luttes, le doute trouveront un réconfort dans ces pages et, du sein de leurs douleurs et de leurs craintes, prendront entre leurs mains le gouvernail de la barque et, résolument et sans défaillance, le tourneront du coté de Dieu et de Son Fils unique, Notre Jésus.
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La traduction française que nous publions est due à Charles Aviat de Vatay, lecteur pour la langue française à l'Université de Moscou (5).
La Notice historique sur cet ouvrage » qu'on lira ci-après figure en tête de l'édition de Moscou 1810.
Par cette notice on verra le succès rapide de Quelques traits de l'Eglise intérieure », puisque l'original russe a eu deux éditions, (1798 et 1801), la traduction française trois éditions, y compris celle de Moscou 1810, et une traduction allemande, faite par Ewald, deux éditions. En outre, Lopoukhine écrit dans ses Mémoires (page 3o) que de J. Stilling en a donné une nouvelle traduction en allemand et une en latin(6).
A notre connaissance il n'y a pas eu, au cours du XIXe siècle, d'édition française de Quelques traits de l'Eglise intérieure » depuis celle de 1810. En 1901, le Dr Marc Haven en a publié une à Lyon, pour quelques Amis de la Vérité, reproduisant textuellement celle de Paris 1801 et tirée à 2oo exemplaires numérotés.
La présente édition serait donc la cinquième de la traduction française.
NOTICE HISTORIQUE SUR CET OUVRAGE
Ce livre, que le fameux Eckhartshausen nommait : Un livre précieux et plein de sagesse (7), a été composé en langue russe. Il a été écrit très vite, à Moscou, en 1789 et souvent l'auteur, en se promenant au jardin du Comte Razoumoffsky (qui était alors public), l'écrivait au crayon. Mais, ayant fait sept chapitres, il ne put continuer : la faculté, pour ainsi dire, de traiter ce sujet l'abandonna, et il ne put l'achever que vers la fin de l'année 1791.
Ce livre fut imprimé en russe pour la première fois en 1798 à St-Pétersbourg. L'auteur y a joint : L'Exposition abrégée du caractère et des devoirs du vrai chrétien, etc..., qu'il a tiré, avec quelques changements et additions nécessaires, d'un petit ouvrage qu'il avait écrit auparavant et dont la traduction française a été imprimée à Moscou et ensuite à Paris in-24, sous le titre de : Catéchisme moral pour les vrais F M 5790. Cet ouvrage se trouve aussi dans l'ouvrage du même auteur intitulé : Chevalier spirituel. En imprimant son livre de l'Eglise intérieure, l'auteur a fait quelques changements, surtout dans le commencement, le manuscrit n'ayant été connu que d'un petit nombre d'amis, pour lesquels cet ouvrage avait été composé dans une forme particulière.
En 1789, on imprima à Pétersbourg la traduction française de cet ouvrage ; c'est cette traduction, faite sous les yeux de l'auteur, par un homme aussi savant dans les langues que dans le sujet dont on y traite, que l'on présente réimprimée dans ce moment.
Cette même traduction a été imprimée à Paris en 1801, avec un tableau allégorique représentant le Temple de la Nature et de la Grâce, fait par le même auteur.
Ce tableau a été gravé à Moscou sur une grande feuille, avec l'explication du même auteur en russe; ensuite on en a fait une seconde édition à Londres avec l'explication française, également sur une grande feuille et parfaitement bien gravée. Cette même année, 1801, on réimprima à Pétersbourg l'édition russe originale de cet ouvrage ayant le susdit tableau pour frontispice.
En 1803 et 1804, le Docteur Ewald, si respectable par ses oeuvres théologiques, après l'avoir traduit en allemand, l'imprima dans son ouvrage périodique connu sous le titre de Christliche Monatschrift.
En 1809, cette traduction du Docteur Ewald fut réimprimée à Nuremberg dans une brochure séparée.
1. Dr Marc Haven : Evangile de Cagliostro - Paris 1910. - Introduction p.7, 8.
-- Voir également Sédir : Quelques Amis de Dieu ; Le Couronnement de l'Oeuvre;
2. Saint-Paul : 1re épître aux Corinthiens I. 25.
3. Eckhartshausen : La Nuée sur le Sanctuaire - Paris 1819 - 2e lettre.
4. L'édition de Moscou 1810 est la reproduction textuelle de l'édition française parue en 1801 à Paris, sauf une divergence, digne de remarque. Dans l'édition de 1801 le paragraphe 5 du chapitre III (page 28) se termine par ces mots : Cet esprit de vertige a subjugué aujourd'hui la malheureuse France et l'entraîne vers sa ruine. » L'auteur a supprimé cette phrase dans son édition de Moscou 1810.
5. Ant. Alex. Barbier : Dictionnaire des ouvrages anonymes - Paris 1875 - tome 3,
col. 1147 donne ce renseignement d'après Sopikoff : Essai de bibliographie russe (ouvrage écrit en russe).
6. Ant. Alex. Barbier : loc. cit.
7. J'ai lu dans une traduction française ce Livre précieux et plein de la vraie sagesse, composé par le sénateur Lopoukhine en Moscovie, et j'en ferai imprimer une traduction allemande. (Lettre à Plescheyff, 1801).