CHAPITRE VIII

Des principaux moyens pour entrer
dans les voies de la vie divine


1 - Dans la voie qui mène à la vie divine, ou dans celle qui prépare à la régénération en Jésus-Christ, les points w essentiels qui doivent occuper ceux qui y marchent sont a) la violence faite à leur propre volonté, b) la prière, c) l'abstinence, d) les actes de charité, connaissance de la nature et de soi-rnême.

C'est à la pratique de ces objets que doivent se livrer ceux qui se trouvent dans la voie même de la régénération mais, dans cette voie, c'est Jésus-Christ lui-même qui agit dans la nature et dans les principes qui sont propres à la rénovation, à mesure que son incarnation avance dans l'âme. Il y porte la lumière de sa grâce et illumine ces pratiques religieuses d'après les règles et les degrés de la vie surnaturelle.

Mais dans la voie qui ne fait que conduire encore à la vie divine, la volonté libre de celui qui y marche doit forcer sa nature et lui faire violence, pour se livrer à ces pratiques.

Considérons en abrégé en quoi elles consistent.
 


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A. La Violence faite à la volonté.

Le régénère, en qui la parole éternelle se fait entendre d'une manière distincte, et en qui la volonté' de Dieu se manifeste clairement, n'a qu'à suivre les préceptes de cette parole, et à soumettre sa volonté propre à la volonté divine.

Mais, dans la voie qui ne fait que conduire encore à la régénération, avant que cette parole soit vivifiée dans l'âme, nous devons faire violence à notre volonté propre pour qu'elle accomplisse la volonté divine. Il faut donc travailler à la connaître, tant par le moyen de la révélation dans l'Ecriture sainte, que par les écrits des hommes que la grâce avait illuminés, et conformer rigidement la vie aux règles qu'elle prescrit.

3 - C'est en forçant ainsi la volonté corrompue de notre nature dégradée, qui est absolument opposée à la volonté divine, que nous travaillons le plus à nous dépouiller du vieil homme ; c'est par cette violence que notre âme force le royaume de Dieu.

4 - Il est utile et nécessaire de rompre souvent sa volonté propre et de lui résister, même dans les plus petites choses, en le faisant par un zèle ardent pour Jésus-Christ le crucifié. Cette lutte continuelle contre sa propre volonté, soutenue dans une bonne vue, nous prépare particulièrement à la vraie abnégation, et attire l'esprit de la grâce.

5 - Il faut aussi suivre la voie de la conscience, ou du -mouvement le plus intime de notre coeur ; mais il faut user d'une extrême précaution dans l'examen de ses émotions ; car elles sont très sujettes à se corrompre, lorsqu'en sortant du sanctuaire de la conscience, elles passent par une atmosphère épaisse et impure, qui forme une espèce d'enceinte autour de l'intérieur de notre coeur.

6 - Il faut donc f aire violence à sa volonté, pour qu'elle obéisse à la volonté divine. Par exemple, la volonté de l'homme déchu le porte uniquement à sa propre jouissance ; et il faut qu'il la tourne à ce qui est agréable à Dieu, quoi qu'il puisse lui en coûter. Jésus-Christ commande d'aimer ses ennemis : obligation très pénible à remplir pour la chair qui s'aime elle-même, et dans laquelle le diable a versé son orgueil ; aussi l'homme, gouverné encore par ses sens, et qui vit sans l'esprit de Jésus-Christ, est incapable de la remplir.

Mais que peut-il, que doit-il faire ? Il doit et il peut se faire violence et lutter intérieurement avec l'inimitié qu'il a contre son prochain ; il doit se forcer à prier pour lui ' à s'humilier devant lui, à lui rendre service, à le bénir, etc.

7 - C'est de la même manière qu'il doit agir pour remplir tous les devoirs que Dieu nous a imposés ; travaillant constamment à soumettre notre volonté, et exerçant particulièrement ce travail sur les mouvements les plus intimes de notre âme.

L'homme, qui se conduit ainsi, se conforme aux desseins de Dieu, autant que cela est possible à l'homme qui n'est encore que naturel, et rend sa volonté susceptible de se soumettre immédiatement à la volonté du Très-Haut, et d'y être absorbée pour ainsi dire, lorsqu'elle vient établir sa demeure dans l'âme par son incarnation
 


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B. La Prière.

La prière ouvre l'âme pour recevoir l'esprit de grâce, qui l'attire à lui. Elle est un aliment qui donne des forces pour le combat spirituel. Il faut que la prière soit fondée sur l'abandon. Une humble résignation à la volonté de Dieu est la meilleure manière de prier.

Si celui qui prie ne peut s'abandonner encore en lui sacrifiant tous ses désirs, et élever son coeur et sa voix au Seigneur, en disant : Que votre volonté soit faite, au moins ne doit-il rien demander dans ses prières que ce qui est conforme à la volonté divine. Il doit en outre s'efforcer de marquer toujours sa prière du sceau de la résignation à la volonté paternelle de Dieu; et, s'il lui survient des tentations ou de la répugnance pendant la prière, il doit invinciblement persister dans son oraison jusqu'à ce qu'elle ait vaincu par sa force ; il doit combattre, jusqu'à ce que sa sueur tombe en gouttes de sang. Luc XXII. 42-44.

9- Nous ne devons demander dans nos prières que ce qui doit contribuer à la sanctification du nom de Dieu. à l'agrandissement de son royaume, et à l'accomplissement de sa volonté. La prière, enseignée par Jésus-Christ,Matthieu VI. 9-13, doit être la base et la règle de toutes les nôtres.

10 - L'on doit prier au nom de Jésus-Christ, se portant de toute sa pensée et de tout son coeur vers le Tout-Puissant qui est présent partout. Il faut, autant qu'il est possible, que la prière se fasse dans le plus intime du coeur, en y employant ses mouvements les plus cachés.

Qu'on tâche de s'occuper souvent de la prière, en la faisant dans le secret de son coeur, et y fermant la porte des sens qui se portent toujours au péché.

Au milieu des dissipations et dans le temps même où l'on est absorbé dans l'amour des créatures, des retours, même momentanés, dans le fond de l'âme vers Jésus-Christ préparent l'esprit à l'onction de la grâce, et procurent de grands avantages.

11 - Outre ce que nous avons dit plus haut de la manière que l'on doit prier intérieurement - ce qui peut avoir lieu dans tous les endroits, et au milieu de toutes les occupations - ; outre les prières qui se font dans le temple avec les chrétiens nos frères, et qui peuvent beaucoup contribuer à inspirer la dévotion, il est utile, il est même de devoir de prier une fois par jour, ou plus (le plus souvent serait le mieux), dans un endroit retiré et écarté de la vue des hommes, comme le veut le Seigneur, lorsqu'il nous ordonne de prier dans notre cabinet, les portes fermées. Matthieu VI. 6.

Qu'on prie son Dieu dans cette retraite, et surtout en se retirant de soi-même, c'est-à-dire de son amour-propre et de la vaine complaisance en soi-même ; ces passions peuvent corrompre la prière la plus pure, en nous y faisant rechercher la jouissance de nous-mêmes.

La posture du corps, d'accord avec la disposition de l'âme, peut et doit dans l'homme physique coopérer à l'oraison. L'homme-Dieu, Jésus-Christ le Sauveur, qui pour le salut du genre humain se revêtit parfaitement de la nature humaine, se jeta, le visage contre terre, et, s'étant mis à genoux, il priait, et il lui vint une sueur comme b des grumeaux de sang, qui découlaient jusqu'à terre. Matthieu XXVI. 39, Luc XXII. 41, 44.
 


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C. L'Abstinence.

L'abstinence doit être triple : elle consiste dans celle de l'âme, celle de l'esprit, et celle des sens.

13 - Quand le Verbe éternel s'est incarné dans l'âme qu'il régénère, et que l'esprit de Jésus-Christ règne ouvertement et sensiblement dans son esprit, il doit être parfaitement soumis à la direction de cet esprit divin, et contenir son esprit écarté de tout ce qui n'est pas en lui un mouvement de l'esprit de Jésus-Christ.

14 - Mais, quand on n'est que sur la route qui conduit à la vie divine, c'est-à-dire avant que la lumière de la grâce se manifeste dans l'âme, et avant que celle-ci entende véritablement retentir en elle la voix du Verbe éternel, il faut contenir les mouvements de notre esprit, qui nous portent vers tout ce qui peut mettre obstacle à la manifestation de la vie divine dans l'âme, ou au commencement de la régénération en Jésus-Christ.

Il faut contenir l'impétuosité des passions, la convoitise d la chair, la convoitise des yeux et l'orgueil de la vie; il est surtout nécessaire de lutter dans son coeur contre tout mouvement qui s'oppose au pur amour. Il faut absolument dompter tout ce qui porte le caractère de méchanceté et de colère : deux vices diamétralement opposés à l'humilité et à la charité. L'amour est le premier rayon, le commencement et la fin du règne de Jésus-Christ dans l'âme, et l'humilité doit être son trône.

Cette continence doit être portée jusque dans les efforts mêmes que notre âme fait pour le bien, de peur que, par des élans immodérés et mal placés, elle ne manque le but où elle doit tendre, et que par là elle ne se plonge dans un abîme de ténèbres et de vices.

15 - Il faut empêcher son esprit non seulement de s'occuper à des choses manifestement nuisibles, mais même écarter toutes recherches inutiles, toute connaissance qui porte sur des choses qui ne sont propres qu'à satisfaire sa curiosité, et qui ne sauraient nous avancer dans la vie chrétienne, ni nous aider à remplir nos devoirs dans la société, nos devoirs de citoyens et de sujets.

Dans des occupations de l'esprit, même les plus utiles, une abstinence qui serve de délassement lui devient salutaire et nécessaire, de peur que ses forces ne s'épuisent.

Il est encore important d'arrêter la raison dans les efforts qu'elle fait pour approfondir par elle-même la nature des mystères qui sont du domaine d'un royaume dans lequel la chair et le sang ne peuvent pénétrer, et qui ne sont révélés que par l'esprit du Roi et du Seigneur Jésus-Christ. C'est lui qui découvre lui-même les mystères de son royaume à ceux qui l'aiment, à proportion de leur avancement dans sa nouvelle vie, suivant qu'il daigne leur dispenser ses dons.

16 - En contenant les sens dans les bornes des fonctions qui leur sont assignées dans cette vie d'expiation et d'exil, il faut les préserver de tout ce qui peut les captiver, de tout ce qui peut infecter davantage l'âme par eux, et multiplier les liens du péché, liens qui doivent être rompus jusqu'au fil le plus subtil, pour que l'âme soit parfaitement purifiée et totalement unie à Jésus-Christ : ce qui est l'objet et le but de la régénération.

En parlant de l'abstinence par rapport aux sens, il convient de dire un mot de l'utilité du jeûne, ou de l'abstinence dans le boire et le manger.

Cette espèce de jeûne est essentiellement utile pour réprimer les troubles criminels de la chair, laquelle doit être ramenée dans ses bornes et soumise à l'esprit qui doit la gouverner ; elle doit obéir à la tempérance, pour que sa corpulence ne devienne pas le siège ne plus grande puissance de l'ennemi. Le désir impur de la chair, qui est l'instrument le plus actif de l'ennemi, doit être non seulement dompté, mais détruit jusque dans son germe, lorsque nous nous dépouillons du vieil homme.

Et, quoique le jeûne doive porter plus sur la quantité que sur la qualité de notre nourriture, les ordonnances de l'église y sont cependant d'une grande utilité, en ce qu'elles en font connaître le véritable objet, et nous disposent à en user dans l'intention pour laquelle il a été institué.,
 


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D. Oeuvres de Charité.

L'amour qui s'est fait chair pour le salut du monde a donné ce commandement à ses disciples : Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous haïssent, priez pour ceux qui cherchent à vous nuire et qui vous persécutent, faites l'aumône etc., comme cela est écrit dans S. Matthieu aux chap. V. VI_ et VII qui contiennent les préceptes divins de la vie chrétienne.

Ce sont là les actes d'amour qui sont d'une obligation indispensable pour ceux qui cherchent le royaume de Dieu et sa justice dans la vie nouvelle en Jésus-Christ.

18 - Quand Jésus-Christ, quand l'amour même règne visiblement dans l'âme et y accomplit la régénération de l'homme, alors l'amour y produit lui-même, par son esprit, les actes qui lui sont conformes, à proportion qu'elle se dépouille du vieil homme ; et alors on peut dire que l'arbre de vie porte des fruits purs et vivants.

Mais, quand on n'est encore que sur le chemin qui mène à la vie divine, avant que l'amour de Jésus-Christ commence à agir sensiblement dans l'âme, on doit forcer ses facultés naturelles à exercer ces actes de charité d'après les préceptes de l'Évangile, et suivant qu'il a été dit ßß 6 et 7 de ce chapitre.

L'on doit tâcher de produire ces actes uniquement pour l'amour de Jésus-Christ, en considérant attentivement, lorsqu'on les fait, le sens intérieur de ce commandement au sujet de l'aumône: Que ta main gauche ne sache pas ce que fait la droite. Matthieu VI. 3.

19 - Il n'y a d'oeuvres de charité vraies que celles qui se font par l'esprit de Jésus-Christ, et sans aucun mélange de notre propriété ; celles qui se font par l'amour pur, parce qu'il n'y a de bon et de parfait que ce qui provient de cet esprit.

Dieu, qui s'occupe du salut et du bonheur de sa créature, demande de nous un amour pur et désintéressé, parce qu'il n'y a que cet amour, en tant que son esprit seul l'opère, qui puisse unir à lui ; et c'est dans cette union intime que consiste toute la béatitude. La béatitude est la jouissance inaltérable du bien, et le bien n'est que, ce qui provient de l'esprit de Dieu; c'est pourquoi Dieu, qui est amour, ne trouve en nous rien qui lui soit agréable, que ce qui est produit par son esprit.

20 - Les actes d'amour, produits par la contrainte et par les seules forces de la nature, ne peuvent assurément pas avoir un motif bien pur, et l'amour-propre s'y mêlera toujours. Dans ce cas nous devons, aussi vite que possible, jeter un regard sur l'acte que nous avons fait, examiner avec repentir ce qu'il y avait de répréhensible, et détruire cette propriété odieuse qui l'avait infecté; c'est par un retour sincère vers Jésus-Christ que nous pouvons effacer ce qu'il y avait d'impur dans le motif qui nous conduisait.

Qu'on force son coeur et ses lèvres pour crier sans cesse vers le Seigneur : O mon Dieu ! crée un coeur pur en moi, et renouvelle un esprit juste dans mes entrailles.

Il est essentiel qu'un coeur qui appartient encore au vieil homme, qui est encore infecté de ses impuretés, se fasse même violence pour exercer des oeuvres de charité ; par là il ouvre dans l'âme le chemin à l'esprit de Jésus-Christ, à cet esprit de justice, qui crée le coeur pur, le coeur nouveau, et qui agit en lui à proportion qu'il crée.
 


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E. L'Etude de la nature et de soi-même.

Il est certain que la sagesse qui a tout créé a découvert à ses élus qui l'aiment le secret de sa création, par lequel leur est révélée sa composition la plus intime, et l'action diverse de l'esprit de la nature, profondément caché et mû par l'esprit de Dieu dans la matière principe (prima materia), dans cette terre immatérielle dont tout a été formé (Genèse II. 7.). Depuis la chute des créatures, elle s'est revêtue de l'enveloppe grossière élémentaire, qui subsistera jusqu'à l'heureux accomplissement des temps où sortiront d'elle un nouveau ciel et une nouvelle terre. Apocalypse XXI.

Il est hors de doute qu'une telle révélation existe en effet ; nous en voyons l'exemple dans la Sagesse de Salomon chap. VII, et dans d'autres, auxquels Dieu, qui répartit ses dons conformément au plan de sa création, a accordé cette révélation par sa sagesse. Celui qui en nierait la possibilité et l'existence nierait à la fois l'amour et la toute puissance de Dieu.

22 - La connaissance vraie et vive du secret de la création, la vue intuitive de la lumière de la nature, ou la vue de l'action que son esprit manifeste dans cette terre immatérielle dont j'ai parlé, et qui est, pour ainsi dire, son véhicule primitif, ne s'obtient que par la lumière de la grâce qui illumine l'âme dans la vie nouvelle de la régénération.

Mais la théorie de cette connaissance est exposée, autant qu'elle peut l'être par le moyen de lettres, dans les écrits des hommes saints, que cette sagesse qui a tout créé a doués de la lumière de cette connaissance : ce sont ses élus, destinés à la communiquer seulement à ceux de ce monde qui y sont appelés d'après le plan éternel de sa divine économie.

Il y a cependant beaucoup d'hommes saints et favorisés de Dieu, à qui il n'a pas été donné de contempler l'éclat de cette lumière dans la nature.

Plusieurs hommes, appartenant à la première classe des élus, au nombre des âmes les plus purifiées et arrivées même aux plus hauts degré de la régénération, ont pénétré l'action secrète et intime de Jésus-Christ dans les âmes et les mystères de la vie future, et ils les ont décrits ; ils ont eu même le don apostolique de former Jésus-Christ dans les coeurs des autres ; mais, malgré ces grands avantages, ils n'eurent pas le don de la connaissance claire de l'organisation intérieure de la création, de l'essence primitive de la nature, et de l'action de son esprit dans les êtres créés.

Les voies de la sagesse du Seigneur sont aussi innombrables qu'incompréhensibles ; mais elles mènent toutes au salut; elles sont toutes admirables, mystérieuses à la fois et lumineuses. Les rayons de cet inaccessible soleil de justice sont sans nombre, et chacun d'eux est un océan de lumière et de vérité.

23 - La connaissance vivante de la nature est avantageuse à celui même qui est déjà avancé dans la voie de la régénération en Jésus-Christ. Elle sert à l'affermir et le fortifier, en lui donnant une idée plus vaste de la grandeur et de la bonté de celui qui le régénère, d'autant plus que dans les chutes et les achoppements oui se rencontrent sur a voie même de la régénération, cette connaissance de la nature est utile, comme servant d'encouragement, et de soutien dans la foi que l'ennemi s'efforce d'affaiblir, dans les âmes qui sont déjà prêtes à être unies à Jésus-Christ, notre Sauveur.

24 - Quels avantages ne doit-on pas se promettre, dans ces occasions, de la connaissance qui manifeste dans la plus petite des créatures, dans la plante là plus chétive, l'image du Verbe incarné, et de tout ce qu'il a opéré pour notre salut ; l'image de tous ses mystères, de sa conception dans le sein de la Vierge immaculée, de sa naissance et de tout ce qu'il a fait, depuis son entrée dans le monde jusqu'à l'entière consommation de son oeuvre sur la terre, l'image qui en présente tous les traits! Combien ne pouvons-nous pas retirer encore du fruit de cet art, par lequel les sages unissent, désunissent et décomposent les êtres, analysent ce qui 1es composent, et les réduisent à leurs éléments primitifs ? Dans ces opérations, contemplant de leurs yeux les mystères de Jésus-Christ et les effets de sa passion, ils voient en abrégé et en phénomènes chimiques toute l'histoire et les résultats de son incarnation.

Voilà les fruits des connaissances que donne la vraie théosophie et la contemplation réfléchie de la nature.

C'est par là que la sagesse a ramené des incrédules qui, voyant de leurs yeux et touchant de leurs mains ce que la nature renferme de plus caché, forcés par la conviction, ont passé de l'incrédulité à la foi en Jésus-Christ et à la croyance en ses mystères.

25 - Pour ceux dont le travail consiste encore à entrer dans la voie de la régénération qui unit l'homme à Jésus-Christ, la théorie de cette connaissance intime de la nature est aussi d'une grande utilité ; elle se trouve exposée dans les écrits des vrais et divins philosophes. Elle est surtout utile en ce qu'elle donne une idée des opérations d'un Dieu présent à tout. La conviction de cette toute-présence de Dieu sert à exciter un souvenir salutaire de lui, et ce souvenir est un moyen pour faire naître dans l'âme la crainte du Seigneur, qui est le commencement de la sagesse, et la voie qui conduit au vif sentiment de sa présence.

26 - Si la connaissance qui se borne, pour ainsi dire, aux extérieurs du vêtement élémentaire de la nature, qui forme ce que nous nommons les mathématiques, la physique, la chimie, etc. - sciences qu'on enseigne ordinairement dans nos écoles (et qui par leur but sont de la plus grande utilité) - ; si cette connaissance, dis-je, dont les sages de ce monde sont si fiers, procure cet avantage, que de tous ces sages qui s'en occupent il n'en est pas un qui doute de l'existence de Dieu et de son action sur les créatures quels avantages ne doit pas procurer à ceux qui cherchent le royaume de Dieu l'étude de cette connaissance de la nature intérieure et intime qui émane de l'école divine ?

Quelle grande lumière ne doit pas apporter la théorie de cette science, qui rompt en quelque façon les fils grossiers de l'enveloppe des créatures, et qui pénètre jusqu'à leur principe et à leur origine ? - qui découvre dans tous les êtres l'image de la Sainte-Trinité, par la trinité qu'elle-même a tracée dans la nature ? - qui développe l'action intérieure et essentielle, laquelle est produite par la sagesse du Créateur, par son Verbe fait chair pour nous sauver ; par Jésus-Christ, qui est la voie., la vérité et la vie ? L'amour qu'on a immédiatement pour lui et la foi constituent le vrai chrétien, de même que l'union de l'homme avec lui est dans toute l'éternité le but de son incarnation, de sa rédemption et du bonheur des créatures.

N. B. - Il faut remarquer ici que celui qui n'a jamais senti vivement et immédiatement dans son coeur la foi et l'amour pour Jésus-Christ ne saurait concevoir même une idée du vrai christianisme.

27 - Il n'est pas enjoint à tous ceux qui cherchent le royaume de Dieu de se livrer à l'étude des secrets de la nature; par conséquent ils ne sont pas tous appelés à s'en occuper.

Mais que ceux qui s'y adonnent ne la regardent que comme un moyen qui conduit à la voie de ce royaume ; qu'ils ne s'y livrent que pour l'amour et pour obéir à la volonté du Roi qui y règne.

Qu'ils se gardent bien de vouloir user de leurs forces naturelles dans cette étude secrète, pour y pénétrer au delà des bornes qui leur sont prescrites ; qu'ils ne se proposent pas le but impur d'y trouver un aliment à leur propriété.

Qu'ils ne songent pas que cette recherche des mystères de Dieu soit faite pour être un objet de leur curiosité ou de leur amusement. J'ose dire qu'il vaut mieux chercher ses délassements au jeu, à la chasse, ou partout ailleurs que là; car le degré du péché est ici en proportion avec le degré de sainteté de l'objet dont on abuse.

28 -Ainsi, quoique la grâce du Sauveur ait ouvert à tout le monde la voie qui mène à son royaume, il n'est cependant pas ordonné à tous de faire leur étude de la création et de la nature.

On ne saurait trop répéter que l'amour pour Jésus-Christ est la seule voie absolument nécessaire, invariable et universelle qui conduit au royaume de Dieu. C'est l'unique nécessaire. Heureux celui qui choisit la meilleure part !

Cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et toutes ces choses (qui sont nécessaires) vous seront données par dessus. Matthieu VI. 33.

29 - La vraie connaissance de soi-même se découvre par degré à l'homme, lorsqu'il se dépouille du vieil homme et qu'il marche dans la vie nouvelle divine. Eph. IV. 22. 23. 24. La lumière de la grâce, en éclairant l'homme qui est dans la voie de la régénération, lui ouvre les yeux intérieurs, à proportion qu'il croît et grandit dans cette voie ; elle dissipe devant lui les ténèbres que le péché y répand, et qui le cachaient à lui-même. Alors se déchire le voile de l'aveuglement, et l'homme voit l'abîme où sa chute l'entraînait ; il ressent vivement toute l'horreur du péché et toute sa misère, qui n'a d'autre source que dans son coeur qui s est éloigné de l'amour de Dieu.

La croix intérieure purifie par des souffrances salutaires tout le limon des péchés, et en dissipe l'affreux amas que le péché originel avait accumulé ; elle renverse la haie épaisse qu'élève le coeur charnel et impur ; par là elle ouvre une voie libre à la naissance du coeur spirituel, pur, et nouveau; elle rompt jusqu'au dernier fil le vieux vêtement de l'âme qui enveloppe le nid du péché ; alors le moi, cette racine du péché, se montre à nu et a horreur de lui-même.

Cette croix intérieure et salutaire, pour accomplir son oeuvre, refond dans le creuset de la purification tout l'être du régénéré, et efface jusqu'aux dernières traces toute l'impureté du vieil homme ; car, tant qu'il y reste encore la moindre tache de cette souillure, le royaume de Dieu ne peut se manifester à l'âme dans toute sa plénitude, et Dieu ne saurait y établir sa demeure.

Le feu de la croix, ou le baptême du feu (Matthieu 111. 11) doit enfin détruire le dernier recoin du péché et emporter jusqu'à la plus petite fibre de cette racine de tout mal, qui est le moi et qui doit être anéanti.

Ce dernier effet de la croix intérieure découvre à l'homme la connaissance la plus sublime de lui-même ; car il lui fait sentir vivement, et dans toute son étendue, quelle est sa bassesse et son néant ; cet effet est à la fois infiniment cruel et doux pour le pécheur qui, connaissant parfaitement à quel point il est criminel devant Dieu, se repent et fait des efforts pour s'unir inséparablement à lui par le pur amour.

O douleur affreuse et salutaire ! ô mort par laquelle on ressuscite à la vraie vie, avant-coureur d'une béatitude inaltérable et éternelle ! Col. 111. 1.3. 4.

30 - Mais, pour ceux qui ne font encore qu'entrer dans la voie qui conduit la vie intérieure et divine, il leur est utile de s'avancer dans la connaissance de soi-même par les écrits des vrais philosophes qui contiennent la théorie de cette connaissance puisée dans la lumière de l'école céleste.

Instruit ainsi dans cette connaissance, on doit soigneusement en étudier les préceptes, s'examiner soi-même, observer les mouvements de son coeur, les motifs et toutes les causes secrètes qui le font agir.

Cette étude nous procurera de grandes lumières sur nous-mêmes. Souvent nous nous verrons absolument faibles, stupides, déshonnêtes, méprisables et précisément là où nous nous imaginions être forts, raisonnables, vertueux, dignes des hommages et du respect des autres. Nous verrons que les mêmes oeuvres, que notre esprit, notre justice et notre amour imaginaires nous représentaient comme les plus belles de notre vie, ne sont dans le fond que des sacrifices portés à l'idole hideuse du vil intérêt et de notre amour-propre, et combien nous sommes éloignés de cet amour pur et désintéressé, qui de tout bien est le commencement et la fin.


Ce n'est rien d'être circoncis, et ce n'est rien d'être incirconcis; mais le tout est d'observer les commandements de Dieu.
         1 CORINTHIENS VII, 19