Textes appartenant au site de : livres-mystique.com © Roland Soyer - 1/05/1999
Epilogue(1)
Qu'importaient à ses disciples les heures de sommeil de Cagliostro ? Qu'importent à l'histoire les journées muettes de son enfance ?
Il paraît séchant les pleurs, relevant les blessés de la vie, donnant au voyageur égaré la force et le courage de marcher jusqu'au jour, semant dans les ténèbres la joie et la beauté, illuminant des cieux héroïques, glorieux échanson du breuvage d'immortalité. Voilà ce qui importe à l'humanité, ce dont la terre se souvient; ce sont là les diamants que la terre enfouissait précieusement en soit sein et qui marqueront éternellement chacun des actes de sa vie. Ces lettres de lumière, on peut les lire; ces voix de la terre, on peut les entendre, elles parlent de, lui. Si nos yeux sont bien troubles encore et nos oreilles bien inexpertes pour en recevoir le témoignage, du moins n'est-ce pas à des phrases de gazetiers, à des rapports de policiers que nous demanderons son nom, ses titres et sa race. C'est Cagliostro lui-même qui nous les dira; faisons passer devant nous les tableaux de cette existence merveilleuse, que nous avons essayé de rétablir dans leur véritable lumière, ces dix années d'enseignement, de bienfaisance et de martyr; évoquons ces foules à genoux, ces grands de la terre, si petits devant lui; revoyons cet être, aussi sublime dans l'amour que dans la sagesse, et, à la clarté de cette vision lumineuse, reprenons les pages, si odieusement ridiculisées, où Cagliostro nous a parlé de lui (2). Voici ce que nous y lirons :
" Je ne suis d'aucune époque ni d'aucun lieu ; en dehors du temps et de l'espace, mon être spirituel vit son éternelle existence, et, si je plonge dans ma pensée en remontant le cours des âges, si j'étends mon esprit vers un mode d'existence éloigné de celui que vous percevez je deviens celui que je désire. Participant consciemment à l'être absolu, je règle mon action selon le milieu qui m'entoure. Mon nom est celui de ma fonction et je le choisis, ainsi que ma fonction, parce que je suis libre ; mon pays est celui où je fixe momentanément mes pas. Datez-vous d'hier, si vous le voulez, en vous rehaussant d'années vécues par des ancêtres qui vous furent étrangers ; ou de demain, par l'orgueil illusoire d'une grandeur qui ne sera peut-être jamais la vôtre ; moi je suis celui qui est. " Je n'ai qu'un père : différentes circonstances de ma vie m'ont fait soupçonner à ce sujet de grandes et émouvantes vérités ; mais les mystères de cette origine, et les rapports qui m'unissent à ce père inconnu, sont et restent mes secrets ; que ceux qui seront appelés à les deviner, à les entrevoir, comme je l'ai fait, me comprennent et m'approuvent. Quant eu lieu, à l'heure, où mon corps matériel, il y a quelque quarante ans, se forma sur cette terre ; quant à la famille que j'ai choisie pour cela, je veux l'ignorer ; je ne veux pas me souvenir du passé pour ne pas augmenter les responsabilités déjà lourdes de ceux qui m'ont connu, car il est écrit : « Tu ne feras pas tomber l'aveugle ». " Je ne suis pas né de la chair, ni de la volonté de l'homme : je suis né de l'esprit. Mon nom, celui qui est à moi et de moi, celui que j'ai choisi pour paraître au milieu de vous, voilà celui que je réclame. " Celui dont on m'appela à ma naissance, celui qu'on m'a donné dans ma jeunesse, ceux sous lesquels, en d'autre temps et lieux, je fus connu, je les ai laissés, comme j'aurais laissé des vêtements démodés et désormais inutiles. " Me voici : je suis noble et voyageur ; je parle, et votre âme frémit en reconnaissant d'anciennes paroles ; une voix, qui est en vous, et qui s'était tue depuis bien longtemps, réponds à l'appel de la mienne ; j'agis, et la paix revient en vos coeurs, la santé dans vos corps, l'espoir et le courage dans vos âmes. Tous les hommes sont mes frères ; tous les pays me sont chers ; je les parcours pour que, partout, l'Esprit puisse descendre et trouver un chemin vers vous. Je ne demande aux rois, dont je respecte la puissance, que l'hospitalité sur leurs terres, et, lorsqu'elle m'est accordée, je passe, faisant autour de moi le plus de bien possible ; mais je ne fais que passer. " Comme le vent du Sud (3), comme l'éclatante lumière du Midi qui caractérise la pleine connaissance des choses et la communion active avec Dieu, je viens vers le Nord, vers la brume et le froid, abandonnant partout à mon passage quelques parcelles de moi-même, me dépensant, me diminuant à chaque station, mais vous laissant un peu de clarté, un peu de chaleur, un peu de force, jusqu'à ce que je sois enfin arrêté et fixé définitivement au terme de ma carrière, à l'heure où la rose fleurira sur la croix. Je suis Cagliostro. " Pourquoi vous faut-il quelque chose de plus ? Si vous étiez des enfants de Dieu, si votre âme n'était pas si vaine et si curieuse, vous auriez déjà compris ! " Mais il vous faut des détails, des signes et des paraboles ; or, écoutez ! remontons bien loin dans le passé, puisque vous le voulez. " Un amour qui m'attirait vers toutes créature d'une façon impulsive, une ambition irrésistible, un sentiment profond de mes droits à toute chose de la terre au ciel, me poussaient et me jetaient vers la vie, et l'expérience progressive de mes forces, de leur sphère d'action, de leur jeu et de leurs limites, fut la lutte que j'eus à soutenir contre les puissances du monde (6) ; je fus abandonné et tenté dans le désert ; j'ai lutté avec l'ange comme Jacob, avec les hommes et avec les démons, et ceux-ci, vaincus, m'ont appris les secrets qui concernent l'empire des ténèbres pour que je ne puisse jamais m'égarer dans aucune des routes d'où l'on ne revient pas. " Un jour ? après combien de voyages et d'années ! ? le Ciel exauça mes efforts ; il se souvint de son serviteur et revêtu d'habits nuptiaux j'eus la grâce d'être admis, comme Moïse devant l'Éternel.(7)Dès lors je reçus, avec un nom nouveau, une mission unique. " Libre et maître de la vie, je ne songeai plus qu'à l'employer pour l'oeuvre de Dieu. Je savais qu'Il confirmerait mes actes et mes paroles, comme je confirmerais son nom et son royaume sur la terre. Il y a des êtres qui n'ont plus d'anges gardiens (8); je fus de ceux-là. " Voilà mon enfance, ma jeunesse, telle que votre esprit inquiet et désireux de mots la réclame ; mais qu'elle ait duré plus ou moins d'années, qu'elle se soit écoulée au pays de vos pères ou dans d'autres contrées qu'importe à vous ? Ne suis-je pas un homme libre ? Jugez mes moeurs, c'est-à-dire mes actions, dites si elles sont bonnes, dites si vous en avez vu de plus puissantes, et dès lors, ne vous occupez pas de ma nationalité, de mon rang et de ma religion. " Si poursuivant le cours heureux de ses voyages quelqu'un d'entre vous aborde un jour à ces terres d'Orient qui m'ont vu naître, qu'il se souvienne seulement de moi, qu'il prononce mon nom, et les serviteurs de mon père ouvriront devant lui les portes de la ville sainte. Alors qu'il revienne dire à ses frères si j'ai abusé parmi vous d'un prestige mensonger, si j'ai pris dans vos demeures quelque chose qui ne m'appartenait pas! |
1)Extrait du livre du Dr Marc Haven : "Le Maitre Inconnu, Cagliostro" p.241 à 244 paru chez Derain en 1964
2) Mémoire pour le comte de cagliostro accusé contre 1e Procureur général. S.L. (Paris), 1786. in-16, - page 12 sqq,
3) Cagliostro, d'après deux racines Italiennes, peut s'interpréter : le vent du Sud qui se fixe, qui adoucit et tempère.
4) Médine. Loc.cit. p.12
5) Althotas. Loc.cit. p.13
6) Trébizonde. Loc.cit. p.16
7) La Mecque. Loc.cit. p.19
8) Mort d'Althotas. Loc.cit. p.19
9) Une des rares signatures (significative) de Cagliostro, reproduite dans l'ouvrage du Maître Inconnu,paru chez Derain en 1964 ainsi que son sceaux, à droite.