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Livre 11

Les Relations

LIVRE ONZIÈME, Des relations.

  Gloire et louange, amour et reconnaissance soient à jamais rendus à Jésus au saint sacrement de l’autel, au Père et au Saint-Esprit dans tous les siècles des siècles, Amen.

LIVRE ONZIÈME, chapitre 1

  Le Sauveur Jésus a voulu par ses instructions me former au moule de sa sagesse. Combien je serais heureuse si je savais profiter de sa parole! Il n'est pas de vérité utile à connaître, d’enseignement profitable pour la vie du temps ou de l’éternité que ne m’ait donnés ce Dieu si bon, si aimable, si aimant et si peu aimé. Voici à peu près, si je me le rappelle bien, comment il m'a parlé des relations de la vie.
  « Ma fille, la vie de l'homme sur la terre n'est qu'une série successive et continue de relations. Elles sont entre l'homme et l'homme, entre l'homme et l'ange entre l'homme et son Sauveur, entre l'homme et son Dieu.
  « Je vous ai parlé des relations entre l'homme et l'ange, entre l'homme et la Trinité, je veux vous parler des relations entre l'homme et son prochain, et des relations entre l'homme et le Fils de Dieu, comme sauveur et rédempteur.
  « Les relations générales consistent à être bienséant avec tout le monde, et à respecter tout le monde pour être soi-même respecté.
  « La bienséance dans les relations avec le prochain consiste, comme l’indique son nom, à se tenir bien partout où l’on est présent, c'est-à-dire à se tenir toujours d’une manière conforme à l’esprit de religion, règle universelle du bien.
  « Pour observer parfaitement la bienséance, vous devez l’observer pour tout ce qui vous concerne vous-même et aussi pour tout ce qui concerne le prochain.
  « Or, ma fille, la bienséance par rapport à vous-même comprend la contenance et la posture de votre corps, le maintien de votre tête et la composition de votre visage, votre rire et votre regard, votre parole et votre silence.
  « La bienséance est parfaite parmi les parfaits. J’ai observé, ma fille, la bienséance en tous les points que je viens de vous énumérer quand j’étais sur la terre, et je les ai observés d'une manière parfaite, parce que je suis très parfait. Aussi devez-vous m’avoir constamment présent à vos yeux, afin de m’imiter toujours et de marcher sans cesse sur mes traces.
  « Regardez-moi, et je vous apprendrai à tenir votre corps droit sans affectation ni contrainte, sans le pencher ni le courber, ce qui serait l’indice de la faiblesse ou de la nonchalance de votre esprit.
  « Regardez-moi, et je vous apprendrai à ne point vous remuer de côté et d’autre comme une feuille au souffle du vent, ce qui serait l’indice de la légèreté de votre esprit.
  « Regardez-moi, et je vous apprendrai quand vous êtes assise à ne point vous tenir avec mollesse, à ne point vous incliner immodérément, ce qui serait l’indice de la paresse de votre esprit.
  « Regardez-moi, et je vous apprendrai à ne jamais prendre un air fier, hautain et dédaigneux, ce qui serait l’indice de l’orgueil de votre esprit.
  « Regardez-moi, et je vous apprendrai à ne point tourner la tête à chaque moment de côté et d'autre, à ne point rire à haute voix, ni souvent, à conserver vos regards doux, humbles et modestes, ne les fixant jamais avec roideur sur personne, et à composer si bien votre visage qu'il soit toujours l’expression d'un cœur pur et vertueux.
  « Oui, ma fille, ayez toujours un visage ouvert, calme, plein de bonté, de douceur, d’aménité, et qui, par le reflet d'une piété franche et sincère, gagne tous les cœurs et les porte vers Dieu.
  « C'est surtout dans vos paroles, dans vos conversations, que vous devez observer la bienséance.
  « La première condition de la bienséance dans la parole, c'est de parler peu. Celui qui parle peu est sage et prudent, et préserve son âme de mille embarras. Celui qui parle peu édifie par sa modestie, conserve la dignité de sa personne, et demeure plus facilement aussi attaché à Dieu, parce qu'il se détache de lui-même.
  « La seconde condition de la bienséance dans la parole, c'est de fuir tout ce qui doit être évité dans la conversation, savoir : les railleries, les disputes, les contestations, la médisance, la calomnie, le mensonge, les discours mondains, oiseux et tout à fait inutiles, la précipitation, la prétention, la contention, la suffisance et la hauteur.
  « La troisième condition de la bienséance dans la parole, c'est de parler toujours d'une manière conforme au bien, à la vérité et à la justice, avec affabilité, modestie, douceur et charité.
  « Ainsi donc, ma fille, parlez peu; n’affectez pas néanmoins d'être trop morne ou trop silencieuse. Parlez quand la nécessité, la charité ou l’honnêteté le demanderont; mais avisez à vos intentions, ne parlez jamais par amour-propre et pour plaire au monde. Si vous êtes obligée de parler à quelqu'un, offrez à Dieu vos paroles et priez-le de vous préserver de pécher. Si vous voulez parler par plaisir, taisez-vous; pour vous plaindre, taisez-vous encore. Le silence est préférable ou obligatoire en ces circonstances.
  « Si vous voulez parler pour épancher votre cœur, ne le faites que devant quelques personnes choisies, pieuses et amies de la vertu; en un mot, parlez toujours utilement et saintement, et vous observerez la bienséance.
  « La bienséance, par rapport à votre prochain, consiste à lui rendre tous les devoirs de charité que vous pouvez quand vous êtes avec lui, à supporter et pardonner tout ce qu'il y a de défectueux en lui.
  « La bienséance demande qu'on sacrifie ses goûts, ses inclinations, sa volonté, pour suivre les goûts, les inclinations, la volonté du prochain en tout ce qui n'est pas contraire à la loi de Dieu, et cela sans contention, avec bonté et tout naturellement; à prévenir le besoin ou la nécessité du prochain pour lui rendre service ou lui être agréable.
  « La bienséance demande encore qu'on supporte avec patience tous les défauts du prochain, les infirmités du corps ou du caractère, de l’esprit ou du coeur. Se supporter ainsi mutuellement et se rendre service, c'est là, ma fille, la souveraine et parfaite bienséance, parce que c'est l’accomplissement de ma loi.

LIVRE ONZIÈME, chapitre 2

  « Les relations intimes, ma fille, sont entre deux amis, entre deux fiancés, entre deux époux, entre les parents et leurs enfants, entre un maître et un serviteur.
  « L’amour est le propre du cœur. Il semble qu'il soit pétri d’amour, car il doit nécessairement s’attacher à quelque chose. Quelque méchant ou barbare que soit un homme, son cœur le portera, quand même, à s’attacher à quelque chose ou à quelque personne; il a un coeur, par conséquent il doit aimer, à cause de la nature même de ce cœur. Je ne vous parle pas à cette heure de l’amour qui est un commandement que Dieu a fait à l'homme d’aimer son prochain, de l’aimer comme soi-même en Dieu et pour Dieu, je vous parle de cet amour intime et affectueux, qu'on appelle amitié, et qui dit nécessairement réciprocité d'amour de la part de la personne qu'on aime.
  « Cet amour d’amitié, on ne le doit pas à son prochain; aussi n’est-il point général, mais particulier. Il y a plusieurs degrés, comme plusieurs espèces différentes d’amitié.
  « Il y a des amitiés bonnes, inutiles, permises, dangereuses, criminelles, commandées. Je veux vous les faire connaître; vous comprendrez mieux ensuite ce que j’ai à vous dire sur les diverses relations intimes de la vie.
  « L’amitié est un sentiment du cœur produit par l’estime qu'on porte à une personne; on aime ce que l’on estime, comme on hait ce que l’on méprise. Quand on estime selon Dieu, l’amitié produite par cette estime est toujours bonne. Quand on estime selon le monde, l'amitié est au moins inutile. Je vous dirai quant elle est coupable.
  « L’amitié, ma fille, est toujours bonne quand elle est selon Dieu. Car elle a Dieu pour principe; elle a aussi Dieu pour fin. Elle a Dieu pour principe; par conséquent, c'est lui qui l’a inspirée par la vertu réciproque des deux amis, ou par la vertu d'un des deux amis qui, par ce sentiment d'amitié, mènera à la vertu celui qu'il aime et dont il est aimé. Elle a Dieu pour fin; ces deux amis ne s’aiment que pour jouir tous les deux un jour de la vue de Dieu, en faisant ce que Dieu prescrit à cet effet et en se soutenant dans la pratique du bien. Oui, ma fille, cette amitié est bonne, ferme, solide, inébranlable, parce qu'elle repose sur Dieu.
  « L'amitié est toujours inutile quand elle repose sur le monde. Quel est, en effet, le fondement de cette amitié? Les avantages matériels, temporels ou mondains, l’esprit, la richesse ou la beauté. Or, tout cela est vanité; c'est un sable mouvant qui tourbillonne et tombe. Combien d’amis selon le monde sont devenus plus tard des ennemis irréconciliables. Il n'y avait donc point là de véritable amitié.
  « Il est permis à un jeune homme et à une jeune fille de s’unir d’amitié en vue d'un juste et légitime mariage.
  « Mais pour que cette amitié soit bonne et durable, elle ne doit point être fondée sur les richesses, les bonnes grâces, le talent ou la beauté, car ces choses ne sont point un fondement solide de l’amitié. Elle doit, au contraire, reposer uniquement sur Dieu afin de ne former à jamais qu'une chair et qu'un esprit, un cœur et une âme.
  « Il y a des amitiés dangereuses; ce sont les amitiés entre des personnes de sexe différent. Elles peuvent être bonnes, innocentes, mais elles sont toujours dangereuses, à cause de l’inclination perverse de la nature corrompue et des efforts continuels de Satan qui cherche toujours à entraîner au mal. Aussi, dans ces amitiés, faut-il user de beaucoup de circonspection, de vigilance et de prudence, car quelquefois ce qui est bon devient mauvais, ce qui est innocent devient coupable et criminel.
  « Une jeune personne doit toujours veiller sur ses yeux et ses oreilles, qui sont les portes par lesquelles le démon entre en elle le plus souvent. Elle doit veiller sur ses yeux pour fuir le serpent infernal chaque fois qu'elle l’apercevra; elle doit veiller sur ses oreilles pour fuir le serpent infernal chaque fois qu'elle l’entendra jeter de loin ses sifflements. Par conséquent, lorsqu’elle voit qu'une affection affaiblit ou ruine sa vertu, elle doit y renoncer immédiatement, lui fût-elle aussi chère que la prunelle de son oeil. Une jeune personne doit toujours conserver son intérieur dans la pratique du bien et conformer son extérieur à son intérieur. Son intérieur sera bon s'il est pur, innocent et éloigné de toute pensée, de toute image inconvenante ou déshonnête; son extérieur sera bon si elle éloigne de ses manières, de ses habits, de ses regards et de ses paroles tout ce qui pourrait porter atteinte à la modestie et à la pureté. Cette modestie doit être véritable et non fausse et mensongère, pour qu'elle ne devienne pas un piège plus dangereux en cachant un cœur gâté sous le voile de l’hypocrisie.
  « Le jeune homme doit ressembler à la jeune fille. Il doit veiller sur ses yeux, pour ne point tomber dans la tentation du mal; sur sa langue, pour ne point l’enseigner à autrui : sur ses oreilles, pour ne point l’apprendre à lui-même.
  « Rien de ce qui est souillé n’entrera dans le royaume des cieux; rien de ce qui est souillé ne peut former une bonne amitié.
  « Il y a des amitiés criminelles. Je ne vous en dirai rien, ma fille. tout le monde les connaît; mais sachez que la malédiction de Dieu retombera sur la jeunesse corrompue, dont le cœur, esclave de ses passions, est devenu plus vil qu'un sale fumier; sur les époux qui brisent les nœuds de leurs liens les plus sacrés; sur les vieillards courbés sous le poids des ans, et qui, un pied dans le tombeau, conservent dans toute la vivacité de leurs désirs et de leurs souvenirs les hontes de leur passé, et sur ceux qui, m’ayant consacré volontairement leur corps et leur âme, ne craignent point de les profaner par des actes sacrilèges d’iniquité.
  « Enfin il y a des amitiés commandées. Un père et une mère sont obligés d’aimer leurs enfants, comme un enfant est obligé d’aimer son père et sa mère. De même deux époux sont obligés de s’aimer d’une manière toute particulière, et de resserrer par cet amour les liens de leur mariage.

LIVRE ONZIÈME, chapitre 3

 « Les relations intimes reposent toutes sur l’amitié; or, comme toutes les relations intimes doivent être bonnes, il faut aussi que toutes les amitiés soient bonnes.
  « Je vous ai dit, ma fille, que la première des relations intimes est entre un ami et son ami.
  « Rien, ma fille, n'est comparable à un ami véritable, à un ami fidèle. Or, ma fille, il n'y a pas d’ami parmi les méchants, et le meilleur ami, c'est le plus vertueux. Il faut donc choisir ses amis, les choisir entre mille. On finit par devenir comme celui qu'on fréquente, avec qui on vit constamment, à qui on parle dans la sincérité de son cœur, c'est-à-dire à son ami; d’où le proverbe : Dis-moi qui tu fréquentes, je te dirai qui tu es, est plein de vérité.
  « Combien de jeunes gens malheureux, ruinés, corrompus par un ami lui-même corrompu!
  « Combien de jeunes filles qui pleureront toujours sur la terre la perte de leur honneur, à cause d’amies qui les ont entraînées dans les voies de corruption!
  « Combien d’époux divisés par des amis pervertis, cause de leur désunion et de leur séparation!
  « L’amitié, ma fille, se forme et s’entretient par la conformité de sentiments. Si les sentiments sont contraires, l’amitié nécessairement doit se rompre ou les sentiments devenir semblables quand un ami est bon et l’autre mauvais, il faut que le mauvais devienne bon ou que le bon devienne mauvais.
  « Par conséquent, quand vous voyez rechercher votre amitié, examinez, avant de la donner, quelles sont les mœurs et la conduite de celle qui demande part à votre amitié. Voyez si cette personne est douce, modeste, retenue, appliquée au travail, soumise à ses parents, pieuse; s'il en est ainsi, vous pouvez l’aimer; attendez néanmoins quelque temps encore avant que de lui ouvrir votre cœur, pour mieux vous assurer de la vérité de ses qualités et vous épargner beaucoup de peines et d’inquiétudes pour l’avenir. Quand vous l’aurez éprouvée et que vous connaîtrez sa fidélité, sa modestie, sa prudence, sa charité et toutes ses vertus, alors liez-vous d'amitié avec elle, avec l'amour de Dieu pour principe. Animez-vous mutuellement par vos paroles et vos exemples à avancer de plus en plus dans le bien et la perfection. Que celle qui reste debout relève celle qui tombera; consolez votre amie si elle est triste, soyez gaie si elle est gaie et réjouissez-vous avec elle.
  « Si au contraire, c'est une personne qui aime le monde, sa vanité, ses amusements, ses fêtes, ses plaisirs, ses joies et ses folies; si vous voyez qu'elle aime la médisance, la calomnie et le mensonge, qu'elle est légère et peu portée à la piété; ma fille, fuyez-la, ne cherchez point sa compagnie.
  « Néanmoins, il ne faut pas toujours fuir, éviter ou abandonner ces personnes qui sont ainsi légères et amies du monde. Car si les mauvais entraînent les bons, les bons ramènent aussi quelquefois les mauvais. Alors il faut avoir une vertu ferme et solide, il faut avoir une grande confiance en Dieu, ne pas compter sur soi, mais tout espérer de Dieu. Mais si celle qui est bonne sent sa bonté faiblir et la méchanceté ou la malice de son amie prendre le dessus, elle doit rompre immédiatement, afin de ne pas devenir mauvaise, elle aussi. Vous pourriez donc, ma fille, par un sentiment de charité, tâcher de gagner l'amitié d'une jeune personne que vous verriez entraînée par le courant du monde. Vous pourriez lui adresser quelques bonnes paroles, lui inspirer quelques bons sentiments. En agissant ainsi, épiez ses mouvements, voyez si elle reçoit de bon cœur les avances que vous faites, ou bien si elle raille, méprise ou tourne en ridicule la religion. Si tout va bien, allez plus avant, mais avec discrétion et sagesse. Quand vous lui parlerez du mal, n’en parlez pas comme s'il était en elle, cela lui déplairait; quand vous lui parlerez du bien, ne dites pas que vous ne l’avez point vu en elle, cela pourrait la décourager. Procédez avec mesure et lenteur, mais travaillez solidement. Quelle que soit la bonté de ses sentiments, sous l’influence de votre exemple et de votre amitié, ne lui révélez pas tous les secrets de la vie intime avec Dieu, ne les lui faites connaître qu’autant qu'elle en aura besoin, faim ou soif.
  « Si, au contraire, elle est rebutée par vos paroles ou si elle ne répond pas à votre bonne volonté, attendez quelque temps encore, priez pour cette personne, mais ne la voyez point habituellement; elle pourrait par ses railleries vous dégoûter de la religion et vous rendre pire qu'elle; puis, quand vous verrez le moment opportun, profitez-en, revenez à la charge, tentez un nouvel effort. Une personne, aussi mauvaise qu'elle soit, comprend bien et interprète en bonne part ce zèle de la charité. Quelquefois elle voudrait se laisser aller à vous, suivre votre impulsion, écouter votre parole, marcher sur votre exemple, vous ouvrir son cœur, vous le dévoiler à nu; ce serait un besoin pour son âme, elle se trouverait ensuite calme, heureuse et tranquille; mais elle est retenue par une force secrète, elle n’ose point, elle conserve ce poids sur son cœur, ce qui l’étouffe et l’empêche de vivre. Que faudrait-il? Pénétrer plus avant dans son cœur, toucher le point sensible, l’amener à vous dire : Vous avez raison, et j’ai tort; dès lors tout serait fini. Mais, ma fille, cela est une chose pénible et bien difficile; il faut un secours extraordinaire de la grâce. Aussi devriez-vous prier beaucoup en ces circonstances, ne rien négliger, profiter de tous les moments où il vous serait possible d’agir, vous multiplier en quelque sorte, vous fatiguer, vous épuiser même pour sauver cette âme.
  « C’est là, ma fille, la marque de la véritable amitié. Les sacrifices, les peines, les souffrances, les contradictions, les humeurs de caractère, les difficultés de toute nature ne rebutent point un ami véritable, parce que celui qui aime véritablement aime en Dieu et pour Dieu; or, cette amitié est forte, durable et résiste à tout. Elle est plus forte que la mort. Cette amitié n'est point sujette aux changements, elle n'est point pointilleuse, elle ne se rompt point pour une bagatelle, pour un petit manquement, pour une inattention. Elle n'est pas fondée sur la fortune, sur la beauté, sur l’esprit ou l’intelligence; elle est fondée sur la vertu, elle repose sur Dieu. Ainsi doivent être les relations entre deux amis véritables. »

LIVRE ONZIÈME, chapitre 4

  « La seconde est entre deux fiancés.
  « Le mariage, ma fille, est un état saint institué par Dieu; il n’a, par conséquent, rien de contraire à la pureté ni à la chasteté, et la chasteté et la pureté ne disparaissent point dans l’état du mariage, quand on criant et quand on aime Dieu. Voilà pourquoi le ciel compte tant de saints et de saintes qui se sont sanctifiés dans l’état du mariage, et qui par conséquent n’ont point perdu leur pureté. La virginité, il est vrai, est un état plus parfait, un état d’une pureté et d’une chasteté beaucoup plus grandes, mais ce n'est point l’état propre des hommes c'est celui des anges, à qui devient semblable celui qui l’observe.
  « Ainsi cet état ne peut-être généralement recommandé à tout le monde, il ne peut être l’état que du très petit nombre.
  « L’état du mariage est un état saint, par conséquent agréable à Dieu qui est le Dieu de la sainteté. Le plus souvent pourtant le mariage est un état dans lequel on ne se sanctifie point, parce qu’on n'y apporte pas les dispositions convenables.
  « Voici les dispositions avant et après le mariage.
  « La première disposition avant d’y entrer, c'est d’y être appelé, c'est d’avoir la vocation. Une jeune personne qui veut se marier doit bien examiner sa vocation et l’état vers lequel la porte sa vocation, afin qu’après l’avoir embrassé, elle puisse supporter les peines de cet état par cette pensée : C’était la volonté de Dieu. Elle doit bien se garder d’entrer en cet état par légèreté, par caprice, encore moins par passion, mais uniquement parce que c'est là la vocation que Dieu lui a donnée. Lors donc qu'elle connaît sa vocation et qu'elle y a mûrement réfléchi, elle doit demander à Dieu de lui faire connaître celui à qui elle doit unir ses jours, demander un appui pendant sa vie et donner son cœur. Si elle demande cela à Dieu avec foi et un désir véritable de connaître sa divine volonté, Dieu l’écoutera et l’exaucera. Il ne lui enverra pas un ange pour cela, mais il agira néanmoins de telle manière qu'elle puisse avoir une certitude morale que sa prière est exaucée. Il ne lui enverra pas un ange, mais il se servira de sa famille, qui a des grâces spéciales pour la diriger dans le choix qu'elle doit faire de son époux, ou bien d’un ami de sa famille, qui disposera toutes choses selon ses desseins secrets et impénétrables. Quelquefois encore, il ne se servira point de sa famille, parce que les sentiments de sa famille ne seront point droits, vertueux, désintéressés, mais fondés uniquement sur la nature et la raison, qui regardent plus la terre que le ciel. Il ne se servira d’aucun intermédiaire; il éclairera lui-même l’esprit de cette jeune personne; il lui montrera la sagesse, la modestie, la retenue de celui qu'il lui réserve et son choix sera fixé d’une manière irrévocable par cette vue. Alors, après de nouvelles et de plus mûres réflexions, elle devra s’en ternir à ce choix, malgré les obstacles qui pourront survenir, compter sur la grâce de Dieu qui les aplanira, et demeurer en tout confiante en lui.
  « Alors, par crainte pourtant d’illusion de sa part, cette jeune personne qui connaîtra d’ailleurs l’intention et le désir réciproque de celui qu'elle a choisi et qu'elle se croit destiné de la part de Dieu, en informera sa famille et son directeur. Elle en informera sa famille, à cause du respect et de l’obéissance qu'elle lui doit, et pour connaître ses vues à cet égard. Elle en informera son directeur pour lui demander conseil et avis. Il serait bon qu’en cette circonstance son confesseur, qui la connaît bien par ses confessions, fût aussi son directeur. Cela n’est pourtant point nécessaire, et à certains égards vaut-il mieux quelquefois que ce ne soit point le confesseur; car il faut pour cela s’adresser à un homme prudent, sage, circonspect, éclairé, en qui on ait confiance, avec lequel on se trouve plus à son aise, et qui soit à même de pouvoir traiter cette affaire si grave d’une manière sûre.
  « Quand elle a écouté les avis de ce directeur, comme je viens de vous le faire connaître, elle doit les suivre et les mettre à exécution comme l’expression de la volonté de Dieu. Les conseils du directeur, qui sont toujours désintéressés et par conséquent mieux réfléchis, doivent être préférés aux conseils de sa propre lumière ou de sa famille.
  « Quand son choix sera fait et approuvé, qu'elle donne dès ce moment son amour à celui qu'elle a choisi, qu’elle lui donne sa parole et qu'elle ne lui retire jamais ni sa parole ni son cœur. Pour cela, qu'elle ne fixe point ses regards sur d’autres, et ne cherche point à faire un nouveau choix. Celui-ci est selon Dieu; le second pourrait être selon le péché et le démon.
  « Dans les premières entrevues avec celui qu'elle a choisi, cette jeune personne doit surtout garder ses yeux, se souvenant que les yeux sont les portes principales par où entre l’esprit impur. Elle doit les garder pleins de réserve, non seulement à cause d’elle, mais encore à cause de lui. Elle doit aussi veiller beaucoup sur ses paroles, mais sans excès : une trop grande réserve pourrait être mal interprétée et prise pour du dédain, de la froideur, ou comme un refus formel. Il faut donc éviter et trop de liberté et trop de réserve. Que ses manières soient bonnes, douces, polies, honnêtes, franches, affectueuses, et que tout répande en elle la bonne odeur de ma grâce et de la modestie. Que tout dans sa conduite témoigne qu'elle n’embrasse point l’état de mariage par caprice ni passion, mais pour accomplir la volonté de Dieu qui lui a donné cette vocation.
  « Que les premières entrevues ne soient jamais solitaires, qu'elles aient toujours des parents pour témoins; qu'elles soient assez fréquentes, afin que les deux futurs époux se connaissent et apprennent à s’aimer par cette connaissance; qu'elles ne soient point trop prolongées par des discours oiseux et inutiles. Que jamais leur conversation ne soit entretenue par des paroles inconvenantes, déshonnêtes et criminelles. Qu’ils bannissent de leur conversation, non seulement tout ce qui est contre la modestie, mais tout ce qui est opposé à la loi de Dieu, la médisance, la calomnie, le mensonge, la jalousie et mille autres choses défendues. Que leurs paroles au contraire soient pour l’un et l’autre des paroles d’édification, et qui inspirent réciproquement une vénération mutuelle.
  « Quand ils se verront seul à seul, que ce ne soit jamais dans un lieu secret, mais où ils puissent être vus facilement, et que ce soit promptement et rapidement.
  « Une jeune personne doit se montrer aimable et affectueuse pour son futur époux; mais elle ne doit jamais permettre ni flatterie, ni familiarité d’aucune sorte. Elle doit toujours avoir devant elle la loi de Dieu, l’honnêteté et le devoir. Cette conduite à la fois prévenante, cordiale et respectueuse, lui méritera et l’affection et la vénération de son époux.
  « Après une connaissance réciproque et mutuelle suffisante, il est prudent de conclure immédiatement le mariage et de ne point le différer trop longtemps. Ce délai pourrait être une cause de péché. Aussi, pour se fortifier l’un et l’autre et demander à Dieu la grâce dont ils ont besoin pour demeurer toujours justes et saints jusqu’à la célébration de leur mariage, ils feront bien de s’unir à moi de temps en temps dans le sacrement de mon amour.
  « Ces avis sont pour le jeune homme comme pour la jeune fille.
  « Un jeune homme doit chercher et désirer pour son épouse une jeune personne modeste, pieuse et vertueuse. S’il la trouve, elle le rendra heureux et ils se sanctifieront dans l’état qu'ils embrasseront tous deux. Qu'il ne cherche point la beauté. La beauté passe plus rapide que la fleur des champs. Que lui resterait-il dans son épouse, si elle n’avait que la beauté et si cette beauté disparaissant en quelques jours? Qu’il ne cherche point uniquement la fortune. La fortune ne fait ni la vertu, ni la paix, ni la tranquillité, ni le bonheur dans une famille. Qu’il ne cherche point uniquement l’esprit et l’intelligence pour les choses de la terre, qu'il cherche plutôt l’esprit et l’intelligence pour les choses du ciel. Qu’il ne cherche point dans le mariage à satisfaire sa passion. Malheureuse la femme d’un tel homme! Il n'est homme que de nom; en réalité, c'est un démon et un animal sans raison. »

LIVRE ONZIÈME, chapitre 5

  « Les époux doivent s’aimer mutuellement, et par cet amour resserrer de plus en plus les liens de leur union. Ils ne doivent point vivre comme des païens. Ils sont les enfants des saints, et doivent par conséquent garder les règles et les lois qui leur sont imposées par leur état. Ils doivent garder la chasteté et la continence prescrite à leur condition et n’abuser point de la liberté qui leur est donnée; car la liberté dans cet état, comme dans tous, est la liberté pour le bien et non pour le mal et l’impureté. Combien de personnes damnées pour leurs péchés dans l’état du mariage, et qui se fussent sauvées si elles avaient été soumises aux règles qui leur sont tracées. Ah! dans ces personnes, il n'y a point un amour véritable, un amour fondé sur Dieu, mais un amour coupable et criminel, uniquement fondé sur la chair qui entraîne au péché.
  « L’amour de deux époux doit être vrai et fondé sur Dieu, afin qu'il soit constant et qu'il demeure toujours. Deux époux doivent se garder une inviolable fidélité et craindre qu'une affection étrangère ne vienne rompre des liens aussi sacrés. Ils doivent s’exciter mutuellement à remplir leurs devoirs, dont le parfait accomplissement fera leur bonheur ici-bas et dans l’autre vie. Ils doivent s’aider, se soutenir, se consoler, se réjouir ensemble et ne former qu'un coeur et qu'une âme.
  « Une épouse chrétienne doit veiller avec soin sur le fruit de ses entrailles, craindre de lui faire perdre la vie par sa faute et de le priver du plus grand bonheur en le privant du baptême. Un enfant qui n'est pas baptisé ne verra jamais Dieu. Ce malheur devrait rendre une mère inconsolable. Cependant, combien de malheureuses qui, par leur légèreté, leur avarice, leurs emportements ou leurs excès, étouffent le fruit de leur sein!
  « Une épouse chrétienne doit surtout prier Dieu de préserver son enfant de pareil malheur, et prendre pour cela toutes les précautions que peuvent inspirer la prudence et la réflexion. Elle doit même avant sa naissance l’offrir à Dieu et lui demander de veiller sur lui.
  « Une épouse chrétienne doit garder son enfant après sa naissance et lui prodiguer tous les soins que lui inspirera son amour maternel et que réclame sa faiblesse. Dès que la langue de son enfant commencera à se délier et sa raison à se développer, elle lui fera connaître Dieu et gravera son amour dans son tendre cœur. Elle lui donnera de bonne heure le goût de la piété et de la vertu; elle lui apprendra à tout faire en vue de plaire à Dieu; elle le suivra toute sa vie, en l’entourant de sa sollicitude maternelle.
  « Des parents chrétiens dirigeront toujours leurs enfants par la raison et non point par caprice; les reprenant, les avertissant ou les corrigeant quand ils le croient opportun et nécessaire, afin de ne point leur laisser contracter de mauvaises habitudes, qu'il est impossible de déraciner plus tard. Cette formation à la piété et à la vertu fera grandir dans le bien les enfants, et ils deviendront la joie et la couronne de leurs parents.
  « Enfin, ma fille, quand l’un des deux époux s’est uni à une personne sans vertu et sans religion, il doit en demander pardon à Dieu et supporter en expiation de sa conduite tout ce qu'il a à souffrir. Il doit prendre sur lui tous les devoirs qui retomberaient sur tous deux par rapport à la conduite des enfants, afin qu'ils soient bons et vertueux. Il doit essayer de ramener à de meilleurs sentiments celui qui est sans vertu, et pour cela prier beaucoup, prier sans cesse, prier avec confiance et espoir d’être exaucé. »

LIVRE ONZIÈME, chapitre 6

  « Voici les relations entre parents et enfants.
  « Les relations entre un père, une mère et leurs enfants doivent être tout à fait intimes. Le père et la mère revivent dans leurs enfants, les enfants tiennent la vie de leur père et de leur mère après Dieu; peut-il être un sujet de relations plus intimes? Ces relations doivent avoir de part et d’autre l’amour le plus puissant et le plus fort pour principe. Que pourraient donc aimer un père et une mère, sinon leurs enfants? Et un enfant, sinon son père et sa mère? Tous les cœurs d’une même famille doivent être unis, n’avoir qu'un même sentiment, une même volonté. Ils doivent tous travailler à leur bonheur réciproque, s’entr’aider, se soutenir. Un père et une mère doivent protéger, défendre et nourrir leurs enfants tant qu'ils sont en bas âge. Les enfants doivent être plus tard, selon leurs facultés, le soutien et la défense de leurs parents. Leurs relations doivent durer toujours, toute la vie et même au-delà de la tombe. Il faut que l'enfant se souvienne des peines, des souffrances, des labeurs, des soucis qu'il a causés à sa famille quand il était dans l’impuissance de pourvoir à sa subsistance; il faut qu'il se souvienne des entrailles qui l’ont porté, du sein qui l’a allaité, de la sollicitude dont la mère l’a entouré, pour rendre à son tour à sa famille le travail de sa jeunesse et la soumission qu'il doit aux auteurs de ses jours. Il faut qu'il donne tous les témoignages de son amour à son père et à sa mère; il faut qu'il n’afflige point par ses vices ou sa révolte l’auteur de ses jours, et que sa vie déréglée et irréligieuse ne fasse point couler les larmes de sa mère.
  « Malheur aux enfants qui rendent pénibles les vieux jours de leurs parents, malheur aux enfants surtout qui attirent sur leur tête la malédiction de leur père et de leur mère mourants!
  « Malheur aussi aux parents qui sont sans cœur pour leurs enfants, qui les abandonnent dès leur plus jeune âge ou qui ne les dirigent point dans le sentier de la vertu!
  « Heureuses les familles qui vivent en paix et dans l’union, l’œil de Dieu se repose sur elles avec complaisance! »

LIVRE ONZIÈME, chapitre 7

  « Il y a enfin, ma fille, des relations moins intimes, mais qui doivent avoir pourtant un certain degré d’intimité : c'est entre supérieur et inférieur, maître et domestique.
  « Ces relations sont très difficiles à observer et à conserver telles qu'elles doivent être.
  « Ordinairement elles seront toujours bonnes si le supérieur ou le maître fais vis-à-vis de ses inférieurs ce qu'il doit faire. Si le supérieur ou le maître a de la charité, c'est-à-dire s'il est bon sans préférence, doux sans lâcheté, condescendant sans faiblesse, ferme sas fierté, sans aucun doute il gagnera l’affection, l’estime et le respect de celui qui lui est subordonné. Mais si un supérieur agit avec partialité, il excitera contre lui la jalousie; s’il est lâche, il encouragera le désordre; s'il est fier et impatient, il rebutera, et la conduite de ses inférieurs se modèlera sur sa conduite.
  « Un supérieur doit beaucoup pardonner à son inférieur, et pardonner pourtant avec sagesse et discrétion. Pour cela, il doit observer le caractère, l’esprit, le tempérament de son inférieur; il doit encourager pour relever les faibles, il doit être doux et affable pour gagner les cœurs, il doit être grave pour ne point attirer le mépris sur lui.
  « Il doit se considérer comme le représentant de Dieu sur ses inférieurs, et agir vis-à-vis d’eux comme il voudra que Dieu agisse vis-à-vis de lui au jour de la justice. Cette conduite sage, réglée, charitable et vertueuse des supérieurs influera sur celle de leurs inférieurs, et introduira entre eux les relations les plus agréables et les plus amicales ils comprendront qu'ils sont tous frères, et ils éprouveront combien il est doux pour des frères de vivre unis en Dieu et pour Dieu.
  « Voilà, ma fille, les relations des hommes entre eux. »

LIVRE ONZIÈME, chapitre 8

  Voici ce que le Sauveur m'a fait voir et comprendre et ce qu'il m'a dit à propos de ses relations avec les âmes. Elles sont plus intimes que toutes les autres, et sont fondées sur son union avec les âmes, union admirable, union incompréhensible, mais union pleine de vérité et plus parfaite que toute union des créatures entre elles, puisque c'est l’union de la créature avec la divinité.
  Il m’a entretenue des relations toutes particulières qui existent entre lui et les âmes qui lui sont spécialement consacrées par la virginité, qui l’ont choisi pour époux, et qui ont célébré leurs noces avec l’Agneau au jour où du fond de leur cœur elles lui dirent : Sauveur Jésus, votre beauté me ravit, je vous choisis pour mon époux, daignez m’accepter aussi pour votre épouse.
  Je rapporterai en toute simplicité ce que j’ai éprouvé et la manière dont je l’ai éprouvé.
  Un jour, après la sainte communion, j’adorai le Sauveur Jésus dans mon cœur. J’aperçus une belle vallée que me montra le Sauveur. « Ma fille, parcourez cette vallée, me dit Jésus, et atteignez la plaine qui la domine. » J’obéis aussitôt. De chaque côté de la vallée j’aperçus de distance en distance des arbres magnifiques dont les feuilles brillaient comme des perles. Entre chaque arbre il y avait une sentinelle. Elles n’avaient point l’uniforme de soldat et ne portaient point de fusil. Toutes avaient les bras croisés sur la poitrine, se tenaient debout et regardaient au ciel. Je les vis tout à tour abaisser leurs yeux sur moi et puis les relever au ciel.
  Je ne craignais point et j’avançais toujours. Bientôt j’atteignis le commencement de cette vallée. Un immense mur avait été jeté de chaque côté, et ces deux murs étaient joints par des marches en pierre d’à peu près douze pieds de longueur sur trois de largeur et un en hauteur. Sur chaque mur j’aperçus des figures de lion, d’éléphant et de taureau.
  Quand j’eus atteint la dernière marche, je vis une plaine immense tout entourée de murs, et au milieu de cette plaine un palais magnifique. Une grille en fer m’empêchait de pénétrer dans cette plaine; mais tout à coup elle s’ouvrit, roulant sur le pavé qui était en pierre bien polie. J’entrai, et la grille se referma aussitôt. Je parcourus seule cette plaine. Le palais était fermé et me semblait inhabité. Je me trouvai prisonnière, ignorant ce que j’allais devenir. Je me trouvais heureuse, pourtant, pensant que j’allais mourir là, et m’envoler au ciel. Seigneur, m’écriai-je, venez à mon aide, hâtez-vous de me secourir et délivrez mon âme. Seigneur, ayez pitié de moi; tournez-vous vers moi, mon Dieu, et montrez-moi un visage favorable. Oublierez-vous votre humble servante, ô Jésus, et jusques à quand lui cacherez-vous la vue de votre gloire? O Jérusalem, sainte Sion, qu'ils sont heureux ceux qui vivent dans ton sein! Pour moi, je gémis ici comme une exilée, comme une pauvre prisonnière. Seigneur Jésus, n’entendrez-vous point la voix de votre servante?
  Alors une voix venue du palais se fit entendre et dit : « Quelle est celle qui se trouve en dehors et qui m’appelle? » Seigneur, lui répondis-je, vous connaissez toutes choses, vous connaissez même les plus secrètes pensées des hommes, vous connaissez le nombre des cheveux de ma tête, vous savez bien que la voix que vous avez entendue est celle de votre servante Marie. Je tombai à genoux, la face contre terre.
  Les portes du palais s’ouvrirent, et, me relevant, j’aperçus une multitude de vierges qui portaient des couronnes sur leur tête et des palmes dans leurs mains. Jésus était au milieu d’elles, les surpassant toutes par son éclat et sa beauté. Les voyant s’approcher de moi, je m’écriai : Seigneur, je ne suis qu’une pécheresse, je ne mérite point de paraître en votre présence : Jésus s’approcha de moi. Je lui dis : Votre beauté surpasse toute beauté et votre gloire surpasse toute gloire. Alors, je devins belle comme les autres vierges, qui mirent une couronne sur ma tête et une palme dans ma main. Je pris rang parmi elles. Toutes rentrèrent dans le palais en chantant un cantique plein d’harmonie, dans lequel elles promettaient à Jésus de l’aimer toujours et de le suivre partout où il irait.

LIVRE ONZIÈME, chapitre 9

  Un jour de devais avoir le bonheur de faire la sainte communion. J’entendis la voix du Sauveur qui me disait : « Combien il me tarde, ma fille, d’entrer dans votre cœur pour vous donner les grâces que je vous ai préparées! » Pour moi, je le dis à ma confusion, au lieu d’être remplie d’amour et de reconnaissance pour un Dieu si bon, j’étais privée, ce me semble, de tout sentiment affectueux pour lui; mon cœur néanmoins gardait de sa parole une impression très douce. Après avoir communié, j’entrai dans mon cœur, je fléchis le genou devant Jésus que je trouvai assis comme un maître et un souverain. Il ne me donna aucune marque de tendresse, pas même un de ses regards pleins de douceur qui pénètrent jusqu’au fond de l’âme. Je n’osais porter mes yeux sur lui. Je me tenais silencieusement à ses pieds, m’estimant bien heureuse qu'il voulût m’y supporter, faisant le sacrifice du désir que j’avais de participer à ses douceurs et reconnaissant combien j’en étais indigne. Je ne tardai pas à me sentir suavement attirée. Puis, s’adressant à son Père, il lui dit : « Mon Père, envoyez-lui le Saint-Esprit. Répandez sur cette enfant vos grâces les plus abondantes, vous savez les desseins que j’ai sur elle, ne regardez point ses mérites, mais rien que les miens. » Me regardant ensuite avec un œil plein de bonté : « Offrez-vous en sacrifice à Dieu mon Père, comme je le fis moi-même dans le temple entre les bras de ma Mère. » J’exécutai sa volonté, et il me sembla que Dieu répandait sur moi sa grâce et la douceur de son Esprit.
  Après cela, je vis une personne vêtue de blanc se diriger vers moi. Je la pris pour un ange. Voici ce dont je fus témoin et les pensées qui me vinrent à l’esprit en même temps : L’ange prit une grande chaîne d’or attachée à la ceinture de Jésus, et, sans me dire une seule parole, il l’attacha par une extrémité à ma ceinture, passant entre deux anneaux de cette chaîne, un cadenas, qu'il ferma avec une clef d’or. Il attacha aussi mes mains et mes pieds aux pieds et aux mains de Jésus de la même manière, mais avec des chaînes plus petites, et je me dis à moi-même : Ces chaînes sont la figure de la charité qui doit m’unir à Dieu dans toutes mes actions.
  L’ange apporta ensuite une robe d’une blancheur éclatante, mais d’étoffe fort simple, et il m’en revêtit, et je me dis à moi-même; Cette robe est la figure de l’innocence et de la simplicité qui doivent être en moi.
  L’ange me revêtit encore d’une mantille rouge, qu'il croisa sur ma poitrine; et je me dis : C'est la figure des souffrances que j’aurai à supporter, mais sur lesquelles je ne dois point arrêter mon esprit.
  Après cela, l’ange jeta sur mes épaules un manteau superbe dont je ne saurais dire les couleurs si variées et si belles. Il était enrichi de broderies magnifiques en or, très larges et retenu sur ma poitrine par une agrafe d’or; et je me dis à moi-même : C’est la figure de la charité.
  Je remarquai au milieu de ce manteau un ruban blanc très large dont la sainte Vierge tenait l’extrémité. Marie s’avança près de moi, passa ce ruban trois fois autour de mon cou et le disposa avec beaucoup de grâce; et je me dis à moi-même : C'est la figure de la dévotion pure et tendre que tu dois avoir pour Marie.
  Enfin, l’ange peigna mes cheveux et les mit en désordre sur mes épaules; et je me dis à moi-même : Cela te figure l’esprit de pénitence que tu dois avoir. Il laissa mes pieds nus, et je me dis : Cela te figure le détachement complet que tu dois avoir de toutes choses. Il lava mes pieds, mes mains et mon visage, et ils devinrent d'une blancheur éblouissante, et l’eau qu'il avait employée fut répandue sur ma tête; et je me dis à moi-même : Cela figure la pureté d’intention nécessaire dans toutes les actions. Il mit une couronne d’épines sur ma tête, une croix simple et pauvre entre mes mains, sous mes yeux une lance et un glaive aux pointes teintes de sang, qu'il essuya et trempa dans l’eau ; et je me dis à moi-même; Cette couronne et cette croix te figurent ta souffrance future, cette lance et ce glaive te figurent non ton sang répandu, mais tes larmes versées ou encore des peines que tu souffriras, non dans ton corps, mais dans ton âme. Il me couvrit ensuite d’un grand voile noir. Il couvrit aussi la moitié de la lance et du glaive sous ce voile; et je me dis à moi-même : Le glaive et la lance cachés à moitié te figurent tes peines qui seront à moitié cachées, le voile te figure l’humilité dont tu dois t’environner toute ta vie.
  Alors Jésus me dit : « Ma fille, soyez heureuse, je vous choisis pour épouse. Que ce titre soit pour vous préférable à celui de reine : je suis votre époux. Ne partagez donc jamais votre cœur avec aucune créature. Qui trouveriez-vous de plus beau, de plus aimant, de plus riche, de plus puissant, de plus parfait que moi? Qui donc mérite, qui a le droit d’être mon rival? Dites aux hommes : Je suis vierge, et j’aimerais mieux, avec ce titre, passer ma vie dans la misère que de devenir reine en le perdant. Ou encore : Jésus est mon époux, il m’a choisie pour son épouse; je n’en suis pas digne, mais je ne veux lui préférer personne. Une vierge véritablement vierge est humble, douce, modeste dans ses yeux, ses oreilles et ses paroles; elle évite toute familiarité avec les personnes de différent sexe, elle ne désire point une vie facile et aisée; elle aime le travail, la mortification, le recueillement, la retraite et la prière; elle évite dans ses habits l’ajustement trop recherché comme la négligence; elle s’habille conformément à son rang et à sa condition; elle est détachée de tout, elle ne flatte point son corps, elle le regarde comme sa prison, elle le respecte comme le temple où son époux vient habiter; elle gémit et languit dans son exil, elle soupire après la vue de son époux et n’a de consolation sur la terre que quand elle le reçoit dans son coeur par la sainte communion.
  « Une vierge qui m'a choisi pour époux est comme ce serviteur de l’Évangile qui veille toujours et se tient prêt pour attendre l’arrivée de son maître. Elle est comme une épouse qui aime véritablement son époux, qui s’afflige et s’ennuie quand il est absent, qui attend avec impatience son retour, qui tend toujours l’oreille pour distinguer ses pas, qui ne sort pas et ne visite point ses amies, craignant de n’être point présente pour recevoir son époux à l’heure de son arrivée; qui ne dort point ou qui a un sommeil bien léger pour ne point laisser son époux frapper longtemps à la porte; qui se lève dès qu’elle entend sa voix, va au devant de lui et, toute transportée de joie, l’embrasse en lui disant : Combien votre absence a été longue! Combien je me suis ennuyée sans vous! J’attendais avec impatience votre retour et je ne dormais point pour ne pas vous faire attendre longtemps. L’époux est touché de tant d’amour de la part de son épouse, et lui fait part des présents qu'il lui a apportés pour la dédommager de la peine qui lui a causé son absence.
  « L’épouse donne encore tous ses soins à son époux. Elle a pour lui toutes sortes de prévenances et d’attentions, elle a toujours ses yeux attachés sur lui pour deviner, s’il est possible, ses désirs et ses volontés et les exécuter aussitôt.
  « L’époux, ma fille, n'est point indifférent à ces témoignages affectueux de son épouse ; il lui rend amour pour amour, il lui complaît en tout. Ses absences deviennent moins longues et moins fréquentes. Il dispose toutes choses pour demeurer avec elle constamment et ne s’en séparer jamais.
  « Je suis l’époux, ma fille. Avez-vous pour moi les sentiments de cette épouse dont je viens de vous parler? Avez-vous sa joie dans votre cœur quand vous me voyez venir? Vous ne l’avez point, je ne l’exige point; mais ce que je demande de vous, c'est que vous vous observiez toujours, c'est que vous soyez toujours attentive à suivre l’attrait et l’inspiration de ma grâce lorsqu’elle vous sera donnée, et à accomplir mes moindres volontés. Cette disposition de votre cœur vous attachera de plus en plus à moi, rendra plus forte votre union avec moi, vous fera grandir dans la perfection à laquelle j’appelle toutes les âmes qui se donnent à moi, et je vous comblerai de toutes les faveurs les plus précieuses, les plus riches; je vous ferai éprouver la douceur et la suavité de mon amour, et bientôt vous ne pourrez plus vivre sans moi; je serai votre vie, parce que je posséderai réellement votre cœur et que j’y aurai établie une demeure permanente. »

LIVRE ONZIÈME, chapitre 10

  Un jour, après la sainte communion, je remerciais le Sauveur Jésus de la grâce qu'il m’avait faite de m’unir à lui. J’étais là devant lui, lui offrant la reconnaissance de mon coeur, mais sans rien dire. Il me sembla entendre sa voix : « Ma colombe, me dit-il, ma bien-aimée, où êtes-vous? » Je m’approchai de Jésus. Il se plaça sur son trône, dans mon coeur, et me dit : « Suivez ce chemin. » Il me le montra du doigt. J’avançai quelques pas, mais, je l’avoue, avec tristesse. Je me fis violence néanmoins; j’arrivai à un escalier dont les degrés étaient d’or massif. Je descendis et je vis devant moi un immense fossé qui entourait une citadelle. Sur le haut des fossés j’aperçus des remparts qui défendaient la citadelle; sur ces remparts étaient représentées en relief diverses têtes d’animaux; c’était comme cela aussi dans les fossés. J’étais là seule, sans guide, sans soutien, et ne voyant personne. Je sentais presque mon courage faiblir. Je m’adressai à Dieu de tout mon coeur, le conjurant de venir à mon secours afin de ne point me laisser tomber entre les bras de mes ennemis. En même temps, je roulai dans le fossé; mais je fus soutenue par une main invisible, qui me promena autour du fossé. J’entendis une voix sortir d’une des nombreuses fenêtres de la citadelle : Elle ne fera point, dit cette voix, elle ne fera point sa demeure parmi les tentes des pécheurs.
  La même main me transporta ensuite en pleine mer sur n vaisseau magnifique dont les câbles étaient en argent et les chaînes en or. Je fus placée sur un lit superbe dont la beauté surpassait celle de tous ceux que j’avais vus dans ma vie. Je me trouvai là aussi bien que je m’étais trouvée mal ailleurs, et je dis : Il fait bon être ici! Néanmoins, je vis bien que ce n’était pas là le lieu de mon repos, car je soupirais après la vue de mon bien-aimé : il n’était point en ces lieux. J’étais bien fatiguée, et tournant la tête, je m’endormis.
  Bientôt après, je fus réveillée par une voix qui m’appelait : Marie! Marie! J’ouvris les yeux, et regardant un beau personnage qui était devant moi : Qui êtes-vous? lui dis-je. Je ne vous connais pas. Il ne répondit rien. Retirez-vous, vous n’êtes pas le bien-aimé. Je détournai la tête, je fermai les yeux, et je me rendormis.
  Quelque temps après, une nouvelle voix se fit entendre. J’ouvris les yeux et j’aperçus un personnage. Il s’approcha de moi et me frappa doucement sur la joue. Je fus saisie de frayeur, car il était hideux à voir. Ses cheveux crépus semblaient être grillés, deux cornes se dressaient sur sa tête, et ses yeux et ses lèvres se contractaient d’une manière horrible. Qui que vous soyez, lui dis-je, retirez-vous, fuyez loin d’ici! Mon Dieu! m’écriai-je ensuite, veillez sur moi. Je détournai la tête, je fermai les yeux et je me rendormis.
  Une nouvelle voix se fit encore entendre. Je la reconnus, c'était celle du Sauveur. J’ouvris les yeux, je ne m’étais point trompée, c'était bien Jésus, avec son air doux et majestueux, sa contenance humble et sans affectation. « Ma fille, me dit-il, levez-vous. » Je me levai. Il me prit par la main et dit; « Nous sommes au port. » Nous abordâmes et entrâmes dans un lieu ravissant. « C'est ici, ma bien-aimée, me dit le Sauveur, que vous demeurerez éternellement avec moi, parce que vous m’avez reconnu et n’avez voulu reconnaître que moi seul. » Seigneur, lui répondis-je, le lieu de mon repos sera partout où vous serez; j’y ferai mon séjour, parce que je n’en veux pas d’autre que celui de mon bien-aimé, du sauveur et époux de mon âme.

LIVRE ONZIÈME, chapitre 11

  Le Sauveur me regarda un jour avec un air de bonté extrême et me dit : « Ma fille, à partir de ce moment, soyez-moi unie pour toujours, resserrez de plus en plus les liens qui nous unissent. Je vous ai choisie pour mon épouse, je vous accepte aujourd'hui; donnez-vous à moi, je me donne à vous, et vous apprécierez dans l’intimité de nos relations la dignité, le bonheur et l’avantage de m’avoir pour époux.
  « Est-il rien, en effet, de plus glorieux pour vous que d’avoir pour époux le roi du ciel et de la terre, celui qui commande aux hommes les plus puissants, qui commande aux monarques et aux potentats, les fait trembler sur leurs trônes et les brise comme un vase d’argile sur un pavé? Est-il une dignité supérieure à cette dignité? Tout ce qui est à l’époux appartient à l’épouse aussi. Tout est commun entre eux. Si l’époux est roi, il établit son épouse reine dans ses états. Si l’époux est puissant, couvert de gloire, porté en triomphe, il met son épouse à son côté pour la faire participer à sa puissance, à sa gloire et à ses triomphes. Ainsi, ma fille, je livre tout à l’âme qui veut être mon épouse; je lui livre ma puissance, mes grâces, mes mérites; je la constitue reine dans le royaume de mon Père.
  « Le bonheur de la vie, c'est l’union des âmes. Le fondement de l’union, c'est la force, l’amour en fait le charme.
  « Or, peut-il être un bonheur supérieur à celui de l’union entre Dieu et une âme. Cette union est durable, parce qu'elle est fondée sur la paix. Je suis le Dieu de la paix, et les âmes qui me sont unies reçoivent de moi la paix de la conscience. Cette union est préférable à toute autre union, car je suis le Dieu de la charité. Je suis charité, et je l’insinue dans celle qui veut être mon épouse.
  « Aussi, entre une âme qui m’est unie et moi, il n’y a point de secrets, mais la confiance la plus entière. Je vois cette âme telle qu'elle est, et cette âme se montre aussi telle qu'elle est en réalité. Je lui montre tout ce qui est en moi; elle l’aperçoit, elle le regarde comme en plein jour. Quels suaves épanchements entre mon cœur et celui de mon épouse! Elle s’est donnée tout à moi, je me suis donné aussi tout à elle. Elle ne me refuse rien, je lui accorde tout ce qu'elle me demande, et dans le secret de ces épanchements intimes, notre union devient de plus en plus forte, de plus en plus heureuse.
  « Enfin, ma fille, une âme qui est mon épouse, dans quelque position qu'elle se trouve, comprend que tout est pour son avantage. Si elle est pauvre, elle voit ma pauvreté et s’estime heureuse de me ressembler. Si elle est persécutée, elle voit toutes les persécutions que j’ai souffertes et s’estime heureuse de me ressembler. Si elle est dans les peines, les tribulations, les douleurs de la vie, elle jette un regard sur moi et s’estime heureuse de me ressembler. Si Dieu lui accorde des consolations, des grâces, des faveurs, elle comprend que c'est à son titre de mon épouse qu'elle les doit, et tâche par sa correspondance de croître de plus en plus en vertus.
  « Est-il donc rien de plus avantageux, de plus heureux, de plus glorieux pour vous que d’être mon épouse? Je puis vous suffire et vous suffirai, ma fille, car je suis Dieu. Je prendrai plus de soin de vous, je veillerai plus sur vous, je vous rendrai plus heureuse que l’époux le plus tendre, parce que je commande en maître à toutes choses et dispose de tout pour réjouir les âmes qui se donnent à moi.
  « Donnez-vous donc tout à moi, unissez-vous de plus en plus à moi par une plus grande pureté. Éloignez de votre cœur tout ce qui pourrait y blesser mes yeux purs, chastes et saints. Je suis jaloux des affections de mes épouses; je veux posséder leur coeur tout entier, afin de le remplir de la suavité et de la tendresse de mon amour, et rendre leurs relations avec moi les relations les plus parfaites, les plus glorieuses, les plus intimes qui puissent être au ciel et sur la terre après les relations éternelles des personnes de la sainte Trinité. »

LIVRE ONZIÈME, chapitre 12

  Le lendemain je m’unis au Sauveur Jésus par la communion spirituelle. Il me parla ainsi :
  « Ma fille, je vous ai dit et je vous ai fait comprendre le bonheur et la dignité des âmes qui sont mes épouses. Cette grâce d’union avec moi, je la donne à qui il me plaît. Quand j’ai jeté mes regards sur une âme et que je veux l’attirer à moi, je souffle dans son cœur une pensée qui grandit et se développe comme un germe mystérieux. Puis cette âme manifeste cette pensée que j’ai déposée en elle, elle dit : Je serai l’épouse de Jésus. Elle a entendu ma voix, elle y répond. Heureuses ces âmes qui répondent à ma voix! Mais malheur à ceux qui veulent les détourner de moi, les arrêter, étouffer en elles la vocation que je leur ai donnée! Malheur aux parents à qui je demande ainsi un enfant et qui ne veulent point me l’accorder! De qui donc ont-ils reçu leurs enfants, si ce n'est de Dieu? Dieu n’en est-il donc pas le premier père? N’a-t-il pas sur eux des droits bien plus forts et plus vrais que leurs parents?
  « De quelle injustice ne se rendent-ils donc pas coupables envers Dieu et envers leurs enfants? Envers Dieu, puisqu’ils lui ravissent ses droits; envers leurs enfants, puisqu’ils lui ravissent ce qu’il y a de plus précieux pour eux, la faveur de m’appartenir et de me posséder dans l’intimité. Quelle injustice envers Dieu et envers leurs enfants! Envers Dieu, car si un roi de la terre leur demandait une enfant pour en faire son épouse, ils la lui accorderaient et consentiraient même à ne pas la voir, se croyant dédommagés par l’honneur qu'il leur reviendrait de sa haute alliance. Mais quand le Roi des rois leur demande un enfant, il est, lui, refusé, comme s’il n’était pas au dessus de tous les rois de la terre! Quelle injustice et quel outrage! Injustice à l’égard de leurs enfants; car ces enfants, éclairés par la lumière divine, voient non avec les yeux du corps, mais avec les yeux de l'âme, et non par conséquent comme leurs parents. Ils voient le bonheur dans leur union avec moi et le malheur et l’infortune loin de moi. N’est-ce donc pas les éloigner de la félicité, n'est-ce pas les rendre malheureux? Quelle injustice de la part des parents et quelle dureté de cœur!
  « Combien ils ont à redouter les châtiments de Dieu pour leur inconduite. Ah! malheur à ces parents!
  « Malheur aussi à ceux à qui je fais entendre ma voix et qui ne l’écoutent point! Un jour aussi ils crieront vers moi; je les éloignerai et je resterai sourd à leur supplication.
 « Celui qui entend ma voix doit la suivre. Celui qui éprouve le souffle de mon esprit doit suivre l’impulsion de ce souffle et se diriger vers le but qui lui est indiqué.
  « J’aime à me multiplier à l’infini et à attirer vers moi les âmes par mille attraits différents, mille moyens divers. Il en est que je laisse dans le monde combattre vaillamment mes combats. Ces âmes sont fortes, ces âmes sont à l’abri de toutes les attaques, rien ne les ébranlera, rien ne les séparera de moi.
  « Il en est d’autres que j’appelle dans la solitude pour leur parler seul à seul, coeur à coeur, loin du monde et de ses séductions, pour les vivifier constamment par ma grâce, ma parole, mon regard.
  « Il en est que j’attire uniquement, et dès le premier instant, par l’amour qu'elles ont pour moi, et d’autres par la crainte d’être séparées de moi pendant l’éternité.
  « Le plus souvent, ma fille, je sépare du monde les âmes que je veux ainsi m’unir et que je choisis pour épouses, et elles entrent en religion, c'est-à-dire, comme je vous l’ai déjà expliqué, elles se lient à moi d'une manière plus intime en se séparant du monde.
  « Il y a quelquefois des âmes qui se croient appelées et qui ne le sont point; il y en a dont les sentiments ne sont ni purs ni désintéressés. C'est pour cela que je veux vous dire les dispositions nécessaires pour entrer en religion.
  « Pour cela, ma fille, il faut d’abord être appelée, et puis correspondre à sa vocation, qui n'est rien autre chose que l’inclination donnée par Dieu à une âme pour un état de vie qui la sanctifiera par la pratique spéciale des vertus.
  « Cette inclination est développée par l'âme de deux manières. La première est l’inclination d'une âme qui accepte l’impulsion de Dieu, non point pour éviter les peines et les combats qui se trouvent dans le monde, mais pour glorifier davantage le Seigneur en prenant un genre de vie plus parfait.
  « La seconde est l’inclination d’une âme qui accepte l’impulsion de Dieu, parce qu'elle voit les combats qu'il faut soutenir dans le monde et les dangers qu’on y rencontre, et parce qu'elle craint pour sa faiblesse.
  « Cette manière d’accepter l’impulsion de Dieu est bonne, mais moins parfaite que l’autre.
  « Mais il faut se garder de vouloir suppléer à cette vocation, à cet appel de Dieu, par une volonté personnelle qui donne une dévotion fausse, ou par un dégoût du monde qu'on ne veut point supporter. En effet, ma fille, celui qui veut entrer en religion doit d’abord renoncer à sa volonté, et puis savoir se supporter lui-même patiemment et supporter autrui. Sans cela, cette détermination irréfléchie et dénuée d’un véritable fondement mettrait en danger de passer des jours tristes, pénibles et tout à fait malheureux, une fois que serait éteint le premier feu excité dans un moment d’enthousiasme, d’impatience ou d’irréflexion. Le nombre de ceux qui agissent comme cela est grand, et au lieu de s’avancer dans la perfection en s’unissant de plus en plus à moi, ils scandalisent les autres et les empêchent d’avancer dans le bien et la vertu.
  « Quand on a entendu l’appel de ma voix, on doit se préparer à en exécuter le commandement par une grande pureté de cœur, en suivant les avis de celui à qui on aura fait connaître sa vocation et qui l’aura reconnue véritable. Il faut se défaire du vieux levain qui pousse au péché en déracinant, par des efforts généreux, toutes les mauvaises habitudes. Car, malheur à celui qui apporterait parmi les bénis de mon cœur, un cœur coupable et enclin au péché!
  « Celui qui veut ainsi tout quitter pour me posséder et vivre avec moi doit se regarder comme mort au monde, au démon, à lui-même. 1° Au monde, c'est-à-dire oublier ses parents, ses amis, éloignant même toute pensée qui se rapporterait à eux d’une manière humaine et naturelle, pour n'y penser que devant Dieu; 2° au démon qui fait la guerre à tout le monde, mais particulièrement aux âmes qui se donnent à moi. Il ne leur présente pas d’abord de grands péchés, mais il les porte au relâchement par des pensées vaines et des imperfections qui leur nuisent autant que les péchés véniels aux personnes du monde. Si on écoute le démon, peu à peu on tombe dans l’oubli de ses devoirs, on se sépare de moi; 3° à lui-même, c'est-à-dire de ne pas écouter les suggestions perverses de la chair et des sens. Cette mort est une victoire véritable et la plus difficile. C'est une victoire, car c'est réellement triompher de soi. C'est une victoire difficile; il en coûte en effet beaucoup pour se dompter en tout, pour n'être pas plus touché des outrages et des injures que des louanges et des honneurs; pour ne tenir à rien, se défaire de tout, pour se reposer uniquement en moi.
  « Cette triple mort est une vie véritable et la seule qui puisse mériter le nom de vie. Car être dans cette mort, c'est être uni à moi, c'est me posséder, et je suis la vie de tous ceux qui sont dans ce monde et qui veulent vivre dans l’éternité de la vie à laquelle je les initie ici-bas.
  « Le monde, le démon et la concupiscence luttent contre ces âmes que je me choisis : le monde, par le désir qu'il leur inspire des biens d’ici-bas; le démon, par l’esprit de rébellion; la concupiscence, par les tentations impures. Mais je donne à ces âmes trois armes qui abattent le monde, le démon et la concupiscence; ce sont : le vœu de pauvreté contre le monde, le vœu d’obéissance contre le démon, le vœu de chasteté contre la concupiscence. »

LIVRE ONZIÈME, chapitre 13

  « Le vœu, ma fille, est un soutien, un appui, un abri, une défense pour l'âme. L'âme sent que le désir des richesses triompherait bientôt d’elle-même; elle met le vœu de pauvreté comme une barrière qui l’arrêtera et l’empêchera de succomber, et de même pour les autres vœux. Le vœu est quelque chose d’essentiellement libre; mais le vœu est quelquefois une chose souverainement nécessaire. Il peut être et devenir aussi chose très importante. Aussi ne faut-il faire des vœux qu’avec circonspection.
  « Le vœu est une promesse faite à Dieu par serment de l’accomplissement d’un acte bon. Il y a deux sortes de vœux : le vœu conditionnel, et celui par lequel on s’engage sans condition. La condition réalisée, on doit accomplir le vœu qu'on a fait; le vœu absolu, ou qui ne renferme pas de condition, doit être toujours accompli. Le vœu est une chose fort agréable à Dieu, et les actes accomplis sous l’empire ou la nécessité d’un vœu sont plus agréables à Dieu que les autres, parce qu'on s’est engagé volontairement à les faire. On ne pèche point en ne faisant pas des vœux; mais on pèche si on ne les accomplit pas, et le péché est d’autant plus grave que la chose promise est grave et importante, à moins qu'on ne se soit réservé expressément de ne vouloir point s’engager à l’observation du vœu, sous peine de péché mortel. Il est prudent de ne jamais faire de vœu sans l’autorisation de son confesseur, et un confesseur ne doit jamais permettre des vœux perpétuels et pour la vie, qu’après s’être bien assuré de la vertu, de la fermeté et de la vigueur de celui qui veut s’engager ainsi.
  « Que de peines on se crée par des vœux prononcés légèrement! Que d’embarras on s’épargne en ne prononçant point ces vœux! Que de grâces on attire sur soi quand on correspond au désir que Dieu manifeste de l’émission d’un vœu! Que de secours on obtient pour soi! Oh! bienheureux sont ceux qui résistent au monde et à ses richesses par le vœu de pauvreté, et qui demeurent fidèles dans l’observation de ce vœu! Bienheureux sont ceux qui résistent au démon et à son esprit de révolte et d’orgueil par le vœu d’obéissance, et qui demeurent fidèles dans l’observation de ce vœu!
  « Je serai leur richesse dans l’éternité; je serai leur gloire dans l’éternité; je serai leur félicité dans l’éternité.
  « Nos relations auront commencé dans le temps, elles dureront dans les siècles des siècles. Ayez espoir, ma fille, vous triompherez de tout. Je vous cacherai comme ma colombe dans le trou du rocher; je vous enlèverai au monde, je vous donnerai une place dans la famille sainte consacrée à mon divin Cœur; là vous serez tout à moi et je serai tout à vous. »

  Amour à Jésus à jamais dans le sacrement de l’autel. Amen.
 

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