LA GENÈSE UNIVERSELLE
 
 

III. - LE PROBLÈME DU MAL






     L'Esprit, source de toute lumière, ne peut sourdre que de Dieu. Sollicité par toutes les créatures, il est ce qu'elles le font : esprit de vie ou d'amour ou esprit de mort et d'égoïsme, selon la porte qu'elles lui ouvrent. Dans la même terre nourricière, gorgés des mêmes éléments fécondants, l'aconit mûrit son poison, la ciguë sa fétidité et la rose son exquis parfum.

     Par Adam, les portes de l'Amour ont été fermées, afin qu'il élabore le système de son choix, dans, lequel, seule, la Justice peut pénétrer. De ce fait, le monde qui nous entoure n'est que le voile qui masque à la postérité d'Adam les êtres et les essences célestes.

     Dans leur égarement, ceux des anciens qui, trompés par les alternances de ce monde, avaient admis le dualisme des principes suprêmes, ne purent qu'accorder une puissance de volonté créatrice ou destructrice, à des agents qui ne sont que les instruments, de l'unique et éternel Créateur : le Saint Trinaire. Retrouvant cette dualité partout sans remonter à l'unité principielle, ils divinisèrent successivement ces agents sous un nombre inconcevable de noms différents, sous deux catégories bons et mauvais principes.

     D'autre part, l'idée que tout est Dieu, que les êtres et les choses ne sont que ses œuvres et que ses œuvres sont Lui, qu'il n'existe aucune source ou principe qui ne soit pas la Divinité, cette idée est terrassante pour l'intelligence humaine. Mal comprise, elle engendre fatalement un panthéisme d'autant plus pernicieux qu'il exalte l'humain orgueil.

     Il est hélas impossible qu'il entre quoi que ce soit dans notre être temporel, dans ce moi fallacieux, qui ne puisse servir de matériaux à l'édifice du mensonge.

     Or, cette puissance infernale, engendrée par les tristes facultés développées par l'homme en ce monde, cette puissance étrangère à la bonté divine, s'opposant à la gloire du Créateur et empêchant le bonheur des créatures, nous donne l'idée d'un Souverain infirme, d'un Dieu limité, puisqu'il y a quelque chose qui n'est pas Lui, d'une divinité insuffisante puisque sa volonté ne s'accomplit pas partout, et, surtout, fait pénétrer en nous la notion d'un Dieu injuste et cruel, puisqu'il a créé des êtres livrés au désespoir, au doute, à la souffrance et à la mort.

     L'ignorance dans laquelle nous vivons en ce monde nous fait attribuer en mal à la Divinité une conséquence même de sa perfection infinie. Toutes ses œuvres sont marquées de son sceau, de sorte que la créature peut atteindre, théoriquement ou effectivement, au plus haut des Cieux et au plus profond de l'Abîme. Le symbole du bien et du mal, c'est le crocodile, le seul animal qui n'ait pas de limites dans sa croissance et ne cesse jamais de se développer tant qu'il est en vie.

     Reprenons la Genèse. Clair est le symbole des deux premières productions d'Adam. Le grand inspiré Moïse n'a jamais voulu dire que Caïn et Abel étaient deux êtres corporels, mais simplement que, par son choix, Adam comprime et refoule le principe de la vie bienheureuse, le règne de l'amour. C'est pourquoi Jésus, Verbe incarné, Dieu lui-même, nous exhorte à renoncer chacun à cette existence animale. Dieu est Amour - comme il est Colère. - Aucune puissance ne peut vaincre l'Amour ; cependant sa vie est un éclipsement ininterrompu, afin que vive Caïn, c'est-à-dire toute la descendance d'Adam, jusqu'au moment où il l'enlève dans les sphères célestes, là où l'Amour et la Colère ne font qu' un.

     Adam, l'être universel, jouissait de la beauté et de la puissance du Verbe divin, sa propre racine, comme celle de tout dans la nature. Comme image de l'Éternel, Adam avait dans son Centre les deux agents de la création : l'Amour, vie universelle, l'intérêt propre, source de l'instinct de conservation et principe de l'existence individuelle. En optant pour ce dernier système, Adam éveilla la colère, laquelle de racine passa dans l'arbre lui-même, en donnant naissance à la mort et à la corruption. L'homme n'en a pas moins conservé sa magnificence, il brille même d'un nouveau feu, mais il a perdu sa volonté, son épouse dont il a changé la nature par la puissance de son choix. À ce moment Moïse se contente de dire « qu'un sommeil tomba sur Adam » pendant lequel l'épouse fut séparée de l'époux, seul état dans lequel l'homme peut habiter le domaine terrestre, selon le mode qu'il a désiré, et selon qu'il avait la liberté de commander. Mais dans cet état l'homme ne peut atteindre qu'à un néant abyssal, et il est transformé en un centre qui sème la mort et les ténèbres sur tous les êtres et les choses qui l'entourent ; lesquels à l'origine sont dans la pure lumière et dans la joie, la félicité. Tout devint ténébreux, triste et malheureux sous l'influence de ce chef idolâtre que nous sommes chacun en particulier.

     Actuellement l'homme possède deux racines celle du vieil Adam et la racine du Verbe incarné, mais c'est encore Satan qui triomphe et qui détermine la nature du vêtement de l'homme, temporel, voile de la raciale victorieuse qui devient alors le serpent, l'ardeur cupide, source des passions ténébreuses. L'influence de l'Amour tend au contraire à transformer ce principe aveugle et à tirer le baume du poison. C'est en dépouillant le vieil homme que la lumière peut, de nouveau, être séparée des ténèbres ; c'est en sacrifiant chacun notre intérêt propre pour le bien de tous, que nous arrivons à recevoir le don gratuit du Ciel, la puissance qui provoquera en nous une nouvelle naissance qui nous replacera en Dieu.

     « Le souffle ou l'Esprit saint, se mouvait sur la surface des eaux », nous dit Moïse. Considérées dans le plan de régénération de l'humanité déchue, ces eaux ne sont autres que les hommes touchés par la Grâce et dont les yeux commencent à s'ouvrir. Ils sont alors dans un état de passivité, de lassitude, de renoncement à cette vie désordonnée et sans axe, nécessaire à leur conversion, au changement d'orientation de leur vie. La racine du vieil arbre souffre encore dans les ténèbres de la terre, mais les fleurs s'ouvrent à la lumière, puisant leur nourriture aux influx célestes. C'est alors que le principe d'Amour, jusque-là comprimé, s'élève de leur Centre et les fait passer de puissance en être, à l'appel du Verbe divin. À peine le magique « Fiat Lux » est-il prononcé que la Lumière inondant l'homme, chasse loin de lui les ténèbres.

     Le Verbe incarné, la Parole divine ou Dieu lui-même, est venu parmi nous pour nous sauver tous. Il s'est laissé crucifier pour que sa vie demeure au sein de cette mort qu'est notre monde. Par Lui, chaque humain possède un germe de vie éternelle et son sang est la greffe miraculeuse, entée sur le sauvageon, afin qu'il produise des fruits conformes au divin principe.

     Le Christ d'amour est unique, mais dans son unité, il est multiple à l'infini. Jésus appelle tous les hommes à être ses frères, des seconds lui-même : « Fais, ô mon Père, qu'ils soient un comme toi et moi ne sommes qu'Un. » C'est dans l'humanité entière que le Sauveur du monde veut faire éclater sa gloire et c'est l'humanité entière qu'il appelle à jouir de son éternelle félicité. La Révélation nous donne l'assurance que quel que soit l'état dans lequel nous nous trouvions, fussions-nous au dernier échelon du mal, nous n'en conservons pas moins notre Centre ou âme, porte ouverte sur la Puissance créatrice, le Saint Trinaire.

     Quelles que Soient les circonstances extérieures, si notre cœur se tourne vers le monde vivant de la divine Providence, en implorant son secours, il est toujours exaucé.

     C'est par les mystères de l'engendrement du Verbe éternel et de son incarnation que nous sommes distingués du règne animal et c'est par la toute puissante vertu de son sacrifice que nous pouvons, malgré notre actuelle dégradation, réclamer Dieu pour père.
 
 
 

Madame D...