ARTICLE V
 

Pratiques particulières de cette dévotion.

§ I. PRATIQUES EXTÉRIEURES,

    Quoique l'essentiel de cette dévotion consiste dans l'intérieur, elle ne laisse pas d'unir plusieurs pratiques extérieures qu'il ne faut pas négliger, Haec oportet facere et illa non omittere(238), Soit parce que les pratiques extérieures bien faites aident les intérieures ; soit parce qu'elles font ressouvenir l'homme, qui se conduit toujours par ses sens, de ce qu'il a fait ou doit faire ; soit parce qu'elles sont propres à édifier le prochain qui les voit, ce que ne font pas celles qui sont intérieures. Qu'aucun mondain donc ni critique ne mette ici le nez, pour dire que la vraie dévotion est dans le coeur, qu'il faut éviter ce qui est extérieur, qu'il peut y avoir de la vanité, qu'il faut cacher sa dévotion. Je leur réponds avec mon Maître, que les hommes voient les bonnes oeuvres afin qu'ils glorifient notre Père qui est dans les cieux. Non  pas, comme dit saint Grégoire, qu'on doive faire ses actions et dévotions extérieures pour plaire aux hommes et en tirer quelque louange : ce serait vanité. Mais on les fait quelquefois devant les hommes, dans la vue de plaire à Dieu et de le faire glorifier par là, sans se soucier des mépris ou des louanges des hommes.

    Je ne rapporterai qu'en abrégé quelques pratiques extérieures, que je n'appelle pas extérieures parce qu'on les fait sans intérieur, mais parce qu'elles ont quelque chose d'extérieur, pour les distinguer de celles qui sont purement intérieures.

    Première pratique. Ceux et celles qui voudront entrer dans cette dévotion particulière, (qui n'est point érigée en confrérie (239), quoiqu'il le fût à souhaiter), après avoir, comme j'ai dit dans la première partie de cette préparation au règne de Jésus-Christ (240), employé douze jours au moins à se vider de l'esprit du monde, contraire à celui de Jésus-Christ, emploieront trois semaines à se remplir de Jésus-Christ par la sainte Vierge. Voici l'ordre qu'ils pourront garder.

    Pendant la première semaine, ils emploieront toutes leurs oraisons et actions de piété à demander la connaissance d'eux-mêmes et la contrition de leurs péchés ; et ils feront tout en esprit d'humilité. Pour cela, ils pourront, s'ils veulent, méditer ce que j'ai dit de notre mauvais fond, et ne se regarder, les six jours de cette semaine, que comme des escargots, limaçons, crapauds, pourceaux, serpents et boucs ; ou bien ces trois paroles de saint Bernard : Cogita quid fueris, semen putridum ; quid sis, vas stercorum ; quid futurus sis, esca vermium(241). Ils prieront Notre Seigneur et son Saint-Esprit de les éclairer, par ces paroles : Domine, ut videam ou Noverim me, ou Veni Sancte Spiritus(242), et diront tous les jours l'Ave maris Stella, et ses litanies (243).

    Pendant la seconde semaine, ils s'appliqueront, dans toutes leurs oraisons et oeuvres de chaque journée, à connaître la très sainte Vierge. Ils demanderont cette connaissance au Saint-Esprit ; ils pourront lire et méditer ce que nous en avons dit ; ils réciteront, comme la première semaine, les litanies du Saint-Esprit et l'Ave maris Stella, et de plus un rosaire tous les jours ou du moins un chapelet, à cette intention.

    Ils emploieront la troisième semaine à connaître Jésus-Christ. Ils pourront dire et méditer tout ce que nous en avons dit, et dire l'oraison de saint Augustin qui se trouve dans la première partie de ce traité ; ils pourront, avec le même saint, dire et répéter cent et cent fois par jour, Noverim te, « Seigneur, que je vous connaisse, » ou bien, Domine, ut videam, « Seigneur, que je voie qui vous êtes. » Ils réciteront, comme aux autres semaines précédentes, les litanies du Saint-Esprit et l'Ave maris Stella, et ajouteront tous les jours les litanies du saint Nom de Jésus. Au bout de trois semaines, ils se confesseront et communieront à l'intention de se donner à Jésus-Christ, en qualité d'esclaves d'amour, par les mains de Marie ; et après la communion qu'ils tâcheront de faire selon la méthode qui est ci-après, ils réciteront la formule de leur consécration qu'ils trouveront aussi ci-après (244) ; il faudra qu'ils l'écrivent ou la fassent écrire si elle
n'est pas imprimée, et qu'ils la signent le même jour qu'ils l'auront faite. Il sera bon que ce jour ils payent quelque tribut à Jésus-Christ et à la sainte Vierge, soit pour pénitence de leur infidélité passée aux voeux de leur baptême, soit pour protester leur dépendance du domaine de Jésus et de Marie ; or, ce tribut sera, selon la dévotion et la capacité de chacun, comme un jeûne, une mortification, une aumône, un cierge ; quand ils ne donneraient qu'une épingle en hommage, avec un bon coeur, c'en est assez pour Jésus qui ne regarde que la bonne volonté. Tous les ans du moins (245), le même jour, ils renouvelleront la même consécration, observant les mêmes pratiques pendant trois semaines. Ils pourront même, tous les mois, tous les jours, renouveler tout ce qu'ils ont fait, par ce peu de paroles : Tuus totus ego sum, et omnia mea tua sunt ; « je suis tout à vous, et tout ce que j'ai vous appartient, » ô mon aimable Jésus, par Marie
votre sainte Mère.

    Deuxième pratique. Ils réciteront tous les jours de leur vie, sans pourtant aucune gêne (246), la petite couronne de la sainte Vierge, composée de trois Pater et douze Ave en l'honneur des douze privilèges et grandeurs de la très sainte Vierge. Cette pratique est fort ancienne elle a son fondement dans l'Ecriture sainte saint Jean vit une femme couronnée de douze étoiles, revêtue du soleil et tenant la lune sous ses pieds ; laquelle femme, selon les interprètes, est la très sainte Vierge. Il y a plusieurs manières de la bien dire, qu'il serait trop long de rapporter. Le Saint-Esprit les apprendra à ceux et celles qui seront les plus fidèles à cette dévotion. Cependant, pour la
dire tout simplement, il faut d'abord dire : Dignare me laudare te, Virgo sacrata ; da mihi virtutem contra hostes tuos(247) ; ensuite on dira le Credo, puis un Pater, puis quatre Ave et un Gloria Patri, encore un Pater, quatre Ave, un Gloria Patri. Ainsi du reste. A la fin ou dit : Sub tuum praesidium, etc.

    Troisième pratique. Il est très louable et très glorieux et très utile à ceux et celles qui se sont ainsi faits les esclaves de Jésus en Marie, qu'ils portent, pour marque de leur esclavage amoureux, de petites chaînes de fer bénites d'une bénédiction propre (248).

    Ces marques extérieures, à la vérité, ne sont pas essentielles, et une personne peut fort bien s'en passer quoiqu'elle ait embrassé cette dévotion. Cependant je ne puis m'empêcher de louer beaucoup ceux et celles qui, après avoir secoué les chaînes honteuses de l'esclavage du diable où le péché originel et peut-être les péchés actuels les avaient engagés, se sont volontairement engagés dans le glorieux esclavage de Jésus-Christ, et se glorifient avec saint Paul d'être dans les chaînes pour Jésus-Christ ; chaînes mille fois plus glorieuses et précieuses, quoique de fer, que tous les colliers d'or des empereurs.

    Qu'autrefois (249) il n'y eût rien de plus infâme que la croix, à présent ce bois ne laisse pas d'être la chose la plus glorieuse du christianisme. Disons de même des fers de l'esclavage : il n'y avait rien de plus ignominieux parmi les anciens et même encore à présent parmi les païens ; mais parmi les chrétiens il n'y a rien de plus illustre que ces chaînes de Jésus-Christ, parce qu'elles nous délient et nous préservent des liens infâmes du péché et du démon ; parce qu'elles nous mettent en liberté et nous lient à Jésus et à Marie, non pas par contrainte et par force comme des forçats, mais par charité et par amour comme des enfants : Traham eos in vinculis caritatis. « Et je les attirerai à moi, » dit Dieu par la bouche du Prophète, « par des chaînes de charité, » qui par conséquent sont fortes comme la mort, et en quelque manière plus fortes en ceux qui sont fidèles à porter jusqu'à la mort ces marques glorieuses. Car, quoique la mort détruise leurs corps en les réduisant en pourriture, elle ne détruira point les liens de leur esclavage qui, étant de fer, ne se corrompront pas aisément. Et peut-être qu'au jour de la résurrection des corps, au grand jugement dernier, ces chaînes qui lieront encore leurs os feront une partie de leur gloire, et seront changées en des chaînes de lumière et de gloire (250). Heureux donc, mille fois heureux les esclaves illustres (251) de Jésus en Marie, qui portèrent leurs chaînes jusqu'au tombeau.

    Voici les raisons pourquoi on porte ces chaînettes.

    Premièrement, c'est pour faire ressouvenir le chrétien des voeux et des engagements de son baptême, de la rénovation parfaite qu'il en a faite par cette dévotion, et de l'étroite obligation où il est de s'y rendre fidèle. Comme l'homme, qui se conduit souvent plus par les sens que par la pure foi, s'oublie facilement de ses obligations envers Dieu, s'il n'a quelque chose extérieure qui les lui remette en mémoire, ces petites chaînes servent merveilleusement au chrétien pour le faire ressouvenir des chaînes du péché et de l'estlavage du démon dont le saint baptême l'a délivré, et de la dépendance de Jésus-Christ qu'il lui a vouée dans le saint baptême, et de la ratification qu'il lui en a faite par la rénovation de ses voeux. Et une des raisons pourquoi si peu de chrétiens pensent à leurs voeux du saint baptême et vivent avec autant de libertinage que s'ils n'avaient rien promis à Dieu comme les païens, c'est qu'ils ne portent aucune marque extérieure qui les en fasse souvenir.

    Secondement, c'est pour montrer qu'on ne rougit point de l'esclavage etservitude de Jésus-Christ, et qu'on renonce à l'esclavage du monde, du péché et du démon.

    Troisièmement, c'est pour se garantir et prévenir des chaînes du péché et du démon ; car, ou il faut que nous portions « des chaînes d'iniquité, ou des chaînes de charité » et de salut : Vincula peccatorum aut vincula caritatis. Oh ! mon cher frère, « brisons les chaînes des péchés et des pécheurs, du monde et des mondains, du diable et de ses suppôts, et rejetons loin de nous leur joug funeste : » Dirumpamus vincula eorum et projiciamus a nobis jugum ipsorum. Mettons nos pieds, pourme servir des termes du Saint-Esprit, dans ses fers glorieux, et notre cou dans ses colliers. Injice pedem tuum in compedes illius, et in torques illius collum tuum : subjice humerum tuum et porta illam, et ne acedieris vinculis ejus(252). Vous noterez que le Saint-Esprit, avant de dire ces paroles, y prépare l'âme, afin qu'elle ne rejette pas son conseil important. Voici ses paroles : Audi, fili, et accipe consilium intellectus, et ne abjicias consilium meum. « Écoute, mon fils, et reçois un conseil d'entendément, et ne rejette pas mon conseil. » Vous voulez bien, mon très cher ami, qu'ici je m'unisse au Saint-Esprit, pour vous donner le même conseil : Vincula illius alligatura salutis, « Ses chaînes sont des chaînes de salut. » Comme Jésus-Christ en croix doit attirer tout à lui, bon gré mal gré, il attirera les réprouvés par les chaînes de leurs péchés pour les enchaîner, comme des forçats et des diables, à son ire éternelle et à sa justice vengeresse mais il attirera, particulièrement en ces derniers temps, les prédestinés, par des chaînes de charité : Omnia traham ad meipsum. Traham eos in vinculis caritatis(253).

    Ces esclaves amoureux de Jésus-Christ, « ou enchaînés de Jésus-Christ », vincti Christi, peuvent porter leurs chaînes ou à leur cou ou à leurs pieds. Le père Vincent Caraffe, septième Général de la Compagnie de Jésus, qui mourut en odeur de sainteté l'an 1643, portait, pour marque de sa servitude, un cercle de fer aux pieds, et disait que sa douleur était qu'il ne pouvait pas traîner publiquement sa chaîne. La mère Agnès de Jésus, dont nous avons parlé, portait une chaîne de fer autour de ses reins. Quelques autres l'ont portée au cou, pour pénitence des colliers de perles qu'elles avaient portés dans le monde. Quelques-uns l'ont portée à leurs bras, pour se faire souvenir dans les travaux de leurs mains qu'ils sont esclaves de Jésus-Christ.

    Quatrième pratique. Ils auront une très grande dévotion pour le grand mystère de l'Incarnation du Verbe, le 25 de mars, qui est le propre mystère de cette dévotion, parce que cette dévotion a été inspirée du Saint-Esprit, 1° pour honorer et imiter la dépendance ineffable que Dieu le Fils a voulu avoir de Marie pour la gloire de Dieu son Père et pour notre salut, laquelle dépendance paraît particulièrement dans ce mystère où Jésus est captif et esclave dans le sein de la divine Marie, et où il dépend d'elle pour toutes choses ; 2° pour remercier Dieu des grâces incomparables qu'il a faites à Marie, et particulièrement de l'avoir choisie pour sa très digne Mère, lequel choix a été fait dans ce mystère : ce sont là les deux principales fins de l'esclavage de Jésus-Christ en Marie (254).

    Remarquez, s'il vous plaît, que je dis ordinairement : l'esclave de Jésus en Marie, l'esclavage de Marie en Jésus. On eut, à la vérité, comme plusieurs ont fait jusqu'ici, dire l'esclave de Marie, l'esclavage de la sainte Vierge. Mais je crois qu'il vaut mieux qu'on se dise l'esclave de Jésus en Marie, comme le conseille M. Tronson, supérieur général du séminaire de Saint-Sulpice, renommé pour sa rare prudence et sa piété consommée, à un ecclésiastique(255) qui le consultait sur ce sujet. En voici les raisons.

    1° Comme nous sommes dans un siècle orgueilleux, où il y a un grand nombre de savants enflés, d'esprits forts et critiques, qui trouvent à redire dans les pratiques de piété les mieux établies et les plus solides ; pour ne leur pas donner une occasion de critique sans nécessité, il vaut mieux dire l'esclavage de Jésus en Marie, et se dire l'esclave de Jésus-Christ, que l'esclave de Marie, prenant la dénomination de cette dévotion plutôt de sa fin dernière, qui est Jésus-Christ, que du chemin et du moyen pour arriver à cette fin, qui est Marie (256) ; quoiqu'on puisse, dans la vérité, faire l'un et l'autre sans scrupule, ainsi que je fais. Par exemple, un homme qui va d'Orléans à Tours par le chemin d'Amboise, peut fort bien dire qu'il va à Amboise et qu'il va à Tours, qu'il est voyageur d'Amboise et voyageur de Tours, avec cette différence cependant qu'Amboise n'est que sa route droite pour aller à Tours, et que Tours seul est sa fin
dernière et le terme de son voyage.

    2° Comme le principal mystère qu'on célèbre et qu'on honore en cette dévotion est le mystère de l'Incarnation, où on ne peut voir Jésus-Christ qu'en Marie et incarné dans son sein, il est plus à propos de dire l'esclavage de Jésus en Marie, de Jésus résidant et régnant en Marie, selon cette belle prière de tant de grands hommes : O Jésus, vivant en Marie, venez et vivez en nous, en votre esprit de sainteté, etc. (257).

    3° Cette manière de parler montre davantage l'union intime qu'il y a entre Jésus et Marie. Ils sont unis si intimement que l'un est tout dans l'autre : Jésus est tout en Marie et Marie tout en Jésus ; ou plutôt, elle n'est plus, mais Jésus est tout seul en elle ; et on séparerait plutôt la lumière du soleil que Marie de Jésus. En sorte qu'on peut nommer Notre Seigneur Jésus de Marie, et la sainte Vierge Marie de Jésus.

    Le temps ne me permettant pas de m'arrêter ici pour expliquer les excellences et les grandeurs du mystère de Jésus vivant et régnant en Marie, ou de l'Incarnation du Verbe, je me contenterai de dire en trois mots que c'est ici le premier mystère de Jésus-Christ, le plus caché, le plus relevé et le moins connu ; que c'est en ce mystère que Jésus, de concert avec Marie, dans son sein qui est pour cela appelé par les saints la salle des secrets de Dieu, a choisi tous les élus (258) ; que c'est en ce mystère qu'il a opéré tous les mystères de sa vie qui ont suivi, par l'acceptation qu'il en fit : Jesus ingrediens mundum dicit : Ecce venio ut faciam voluntatem tuam(259) ; et par conséquent, que ce mystère est un abrégé de tous les mystères, qui renferme la volonté et la grâce de tous ; enfin, que ce mystère est le trône de la miséricorde, de la libéralité et de la gloire de Dieu. Le trône de sa miséricorde pour nous, parce que, comme on ne peut approcher de Jésus que par Marie, on ne peut voir Jésus ni lui parler que par l'entremise de Marie ; Jésus, qui exauce toujours sa chère mère, accorde toujours sa grâce et sa miséricorde aux pauvres pécheurs. Adeamus ergo cum fiducia ad thronum, gratiae(260). C'est le trône de sa libéralité pour Marie ; parce que, tandis que ce nouvel Adam a demeuré dans ce vrai paradis terrestre, il y a opéré tant de merveilles en secret, que ni les anges ni les hommes ne les comprennent point : c'est pourquoi les saints appellent Marie « la magnificence de Dieu, » magnificentia Dei, comme si « Dieu n'était magnifique qu'en Marie » : Solummodo ibi niagnificus Dominus.
C'est le trône de sa gloire pour son Père, parce que c'est en Marie que Jésus-Christ a parfaitement calmé son Père irrité contre les hommes ; qu'il a réparé la gloire que le péché lui avait ravie ; et que, par le sacrifice qu'il y a fait de sa volonté et de lui-même il lui a donné plus de gloire que jamais ne lui en auraient donné tous les sacrifices de l'ancienne loi ; et enfin qu'il lui a donné une gloire infinie que jamais il n'avait encore reçue de l'homme.

    Cinquième pratique. Ils auront une grande dévotion à dire l'Ave Maria ou la Salutation Angélique dont peu de chrétiens, quoique éclairés, connaissent le prix, le mérite, l'excellence et la nécessité.

    Il a fallu que la sainte Vierge ait apparu plusieurs fois à de grands saints fort éclairés, pour leur en montrer le mérite, comme à saint Dominique, à saint Jean de Capistran, au bienheureux Alain de la Roche ; ils ont composé des livres entiers des merveilles et de l'efficace de cette prière pour convertir les âmes ; ils ont publié hautement, ils ont prêché publiquement que le salut ayant commencé par l'Ave Maria, le salut de chacun en particulier était attaché à cette prière (261) ; que c'est cette prière qui a fait porter à la terre sèche et stérile le Fruit de vie ; et que c'est cette même prière, bien dite, qui doit faire germer dans nos âmes la parole de Dieu et porter le Fruit de vie, Jésus-Christ ; que 1'Ave Maria est une rosée céleste qui arrose la terre, c'est-à-dire l'âme, pour lui faire porter son fruit en son temps ; et qu'une âme qui n'est pas arrosée par cette prière ne porte point de fruit, et ne donne que des ronces et des épines, et est prête d'être
maudite.

    Voici ce que la très sainte Vierge révéla au bienheureux Alain de la Roche, comme il est marqué dans son livre De dignitate Rosarii (262) : « Sache, mon fils, et fais-le connaître à tous, qu'un signe probable et prochain de la damnation éternelle est d'avoir de l'aversion, de la tiédeur, de la négligence, à dire la Salutation Angélique qui a réparé tout le monde. » Scias enim et secure intelligas et inde late omnibus notum facias, quod videlicet signum probabile est et propinquum aeternae, damnationis, horrere et acediari ac negligere Salutationem Angelicam, totius mundi reparationem. Voilà des paroles bien consolantes et bien terribles qu'on aurait peine à croire, si nous n'en avions pour garant ce saint homme et saint Dominique devant lui (263), et, depuis, plusieurs grands personnages, avec l'expérience de plusieurs siècles : car on a toujours remarqué que ceux qui portent la marque de la réprobation, comme tous les hérétiques impies, orgueilleux et mondains, haïssent ou méprisent l'Ave Maria et le chapelet.

    Les hérétiques apprennent et récitent encore le Pater, mais non pas l'Ave Maria ni le chapelet : c'est leur horreur ; ils porteraient plutôt un serpent sur eux qu'un chapelet. Les orgueilleux aussi, quoique catholiques, comme ayant les mêmes inclinations que leur père Lucifer, n'ont que du mépris ou de l'indifférence pour 1'Ave Maria, et regardent le chapelet comme une dévotion qui n'est bonne que pour les ignorants et ceux qui ne savent pas lire.

    Au contraire, on a vu par expérience que ceux et celles qui ont d'ailleurs de grandes marques de prédestination aiment, goûtent et récitent avec plaisir l'Ave Maria ; et que plus ils sont à Dieu et plus ils aiment cette prière. C'est ce que la sainte Vierge dit aussi au bienheureux Alain, ensuite des paroles que je viens de citer. Je ne sais comment cela se fait ni pourquoi ; mais cela est pourtant vrai, et je n'ai pas un meilleur secret pour connaître si une personne est de Dieu, que d'examiner si elle aime à dire l'Ave Maria et le chapelet. Je dis : Si elle aime ; car il peut arriver qu'une personne soit dans l'impuissance naturelle ou même surnaturelle de le dire (264), mais elle l'aime toujours et elle l'inspire aux autres. Ames prédestinées, esclaves de Jésus en Marie, apprenez que l'Ave Maria est la plus belle de toutes les prières après le Pater ; c'est le plus parfait compliment que vous puissiez faire à Marie, parce que c'est le compliment que le Très-Haut lui envoya faire par un archange pour gagner son coeur ; et il fut si puissant sur son coeur, par les charmes secrets dont il est plein, que Marie donna son consentement à l'Incarnation du Verbe, malgré sa profonde humilité ; c'est par ce compliment aussi que vous gagnerez infailliblement son coeur, si vous le dites comme il faut.

    L'Ave Maria bien dit, c'est-à-dire avec attention, dévotion, modestie, est, selon les saints, l'ennemi du diable, qui le met en fuite, et le marteau qui l'écrase, la sanctification de l'âme, la joie des anges, la mélodie des prédestinés, le cantique du Nouveau Testament, le plaisir de Marie et la gloire de la très sainte Trinité. L'Ave Maria est une rosée céleste qui rend l'âme féconde, c'est un baiser chaste et amoureux qu'on donne à Marie, c'est une rose vermeille qu'on lui présente, c'est une perle précieuse qu'on lui offre, c'est un coup (265) d'ambroisie et de nectar divin qu'on lui donne. Toutes ces comparaisons sont des saints.

    Je vous prie donc instamment, par l'amour que je vous porte en Jésus et Marie, de ne vous pas contenter de réciter la petite couronne de la sainte Vierge, mais encore votre chapelet, et même, si vous en avez le temps, votre rosaire tous les jours ; et vous bénirez, à l'heure de votre mort, le jour et l'heure que vous m'avez cru ; et « après avoir semé dans les bénédictions de Jésus et de Marie (266), vous recueillerez des bénédictions éternelles dans le ciel » : Qui seminat in benedictionibus, de benedictionibus et metet.

    Sixième pratique. Pour remercier Dieu des gràces qu'il a faites à la très sainte Vierge, ils diront souvent le Magnificat, à l'exemple de la bienheureuse Marie d'Oignies et de plusieurs autres saints ; c'est la seule prière et le seul ouvrage que la sainte Vierge ait composé, ou plutôt que Jésus a fait en elle car il parlait par sa bouche ; c'est le plus grand sacrifice de louange que Dieu ait reçu d'une pure créature dans la loi de grâce ; c'est, d'un côté, le plus humble et le plus reconnaissant, et de l'autre, le plus sublime et le plus relevé de tous les cantiques. Il y a dans ce cantique des mystères si grands et si cachés, que les anges en ignorent (267). Gerson, qui a été un docteur si pieux et si savant, après avoir employé une grande partie de sa vie à composer des traités si pleins d'érudition et de piété sur les matières les plus difficiles, n'entreprit qu'en tremblant, sur la fin de sa vie, d'expliquer le Magnificat, afin de couronner tous ses ouvrages. Il nous
rapporte, dans un volume infolio qu'il en a composé, plusieurs choses admirables de ce beau et divin cantique ; entre autres choses, il dit que la très sainte Vierge le récitait souvent elle-même, et particulièrement après la sainte communion, pour action de grâces. Le savant Bzovius, en expliquant le même Magnificat, rapporte plusieurs miracles opérés par sa vertu, et il dit que les diables tremblent et s'enfuient quand ils entendent ces paroles du Magnificat : Fecit potentiam in brachio suo, dispersit superbos mente cordis Sui(268).

    Septiéme pratique. Les fidèles serviteurs de Marie doivent beaucoup mépriser, haïr et fuir le monde corrompu, et se servir des pratiques du mépris du monde que nous avons données dans la première partie.
 
 

§ II. PRATIQUES PARTICULIÈRES ET INTÉRIEURES
POUR CEUX QUI VEULENT DEVENIR PARFAITS.




    Outre les pratiques extérieures de la dévotion qu'on vient de rapporter, lesquelles il ne faut pas omettre par négligence ni mépris, autant que l'état et condition de chacun le permet voici des pratiques intérieures bien sanctifiantes pour ceux que l'Esprit-Saint appelle à une haute perfection.

    C'est en quatre mots de faire toutes ses actions par Marie, avec Marie, en Marie, et pour Marie, afin de les faire plus parfaitement par Jésus, avec Jésus, en Jésus, et pour Jésus.

    I. Il faut faire ses actions par Marie, c'est-à-dire qu'il faut qu'ils obéissent en toutes choses à la très sainte Vierge, et qu'ils se conduisent en toutes choses par son esprit qui est le Saint-Esprit de Dieu. « Ceux qui sont conduits de l'Esprit de Dieu sont enfants de Dieu » ; Qui Spiritu Dei aguntur, ii sunt filii Dei. Ceux qui sont conduits par l'esprit de Marie sont enfants de Marie, et par conséquent enfants de Dieu, comme nous avons montré ; et parmi tant de dévots à la sainte Vierge, il n'y a de vrais et fidèles dévots que ceux qui se
conduisent par son esprit. J'ai dit que l'esprit de Marie était l'Esprit de Dieu, parce qu'elle ne s'est jamais conduite par son propre esprit, mais toujours par l'Esprit de Dieu qui s'en est tellement rendu le maître qu'il est devenu son propre esprit. C'est pourquoi saint Ambroise dit : Sit in singulis Mariae anima, ut magnificet Dominum ; sit in singulis spiritus Mariae, ut exsultet in Deo ; « Que l'âme de Marie soit en chacun pour glorifier le Seigneur ; que l'esprit de Marie soit en chacun pour se réjouir en Dieu. » Qu'une âme est heureuse quand, à l'exemple d'un bon frère Jésuite, nommé Rodriguez, mort en odeur de sainteté (269), elle est toute possédée et gouvernée par l'esprit de Marie, qui est un esprit doux et fort, zélé et prudent, humble et courageux, pur et profond ! Afin que l'âme se laisse conduire par cet esprit de Marie, il faut : 1° Renoncer à son propre esprit, à ses propres lumières et volontés avant de faire quelque chose, par exemple, avant de faire son oraison, dire ou entendre la sainte messe, communier ; parce que les ténèbres de notre propre esprit et la malice de notre propre volonté et opération, si nous les suivions, quoiqu'elles nous paraissent bonnes, mettraient obstacle à l'esprit de Marie. 2° Il faut se livrer à l'esprit de Marie pour en être mus et conduits de la manière qu'elle voudra ; il faut se mettre et se laisser entre ses mains virginales, comme un instrument entre les mains de l'ouvrier, comme un luth entre les mains d'un bon joueur ; il faut se perdre et s'abandonner à elle comme une pierre qu'on jette dans la mer, ce qui se fait simplement et en un instant, par une seule ceillade de l'esprit, un petit mouvement de volonté, ou verbalement, en disant par exemple : Je renonce à moi, je me donne à vous, ma chère Mère ; et quoiqu'on ne sente aucune douceur sensible dans cet acte d'union, il ne laisse pas d'être véritable ; tout comme si on disait, ce qu'à
Dieu ne plaise : Je me donne au diable, avec autant de sincérité, quoiqu'on le dît sans aucun changement sensible (270), on n'en serait pas moins véritablement au diable. 3° Il faut, de temps en temps, pendant son action et après l'action, renouveler le même acte d'offrande et d'union ; et plus on le fera et plus on se sanctifiera ; et plus tôt on arrivera à l'union avec Jésus-Christ, qui suit toujours nécessairement l'union à Marie, puisque l'esprit de Marie est l'Esprit de Jésus.

    II. Il faut faire ses actions avec Marie ; c'est-à-dire qu'il faut, dans ses actions, regarder Marie comme un modèle accompli de toute vertu et perfection, que le Saint-Esprit a formé dans une pure créature, pour imiter selon notre petite portée (271) ; il faut donc qu'en chaque action nous regardions comme Marie l'a faite ou la ferait, si elle était en notre place ; nous devons pour cela examiner et méditer les grandes vertus qu'elle a pratiquées pendant sa vie, et particulièrement : 1° sa foi vive, par laquelle elle a cru sans hésiter la parole de l'ange, elle a cru fidèlement et constamment jusqu'au pied de la croix ; 2° son humilité profonde, qui l'a fait se cacher, se taire, se soumettre à tout et se mettre la dernière ; 3° sa pureté toute divine, qui n' a jamais eu ni n'aura jamais sa pareille sous le ciel, et enfin toutes ses autres vertus. Qu'on se souvienne, je le répète une deuxième fois, que Marie est le grand et l'unique moule de Dieu, propre à faire des images vivantes de Dieu, à peu de frais et en peu de temps ; et qu'une âme qui a trouvé ce moule et qui s'y perd, est bientôt changée en Jésus-Christ que ce moule représente au naturel.

    III. Il faut faire ses actions en Marie. Pour bien comprendre cette pratique, il faut savoir : 1° que la très sainte Vierge est le vrai paradis terrestre du nouvel Adam, et que l'ancien paradis terrestre n'en était que la figure ; il y a donc dans ce paradis terrestre des richesses, des beautés, des raretés et des douceurs inexplicables, que le nouvel Adam, Jésus-Christ, y a laissées ; c'est en ce paradis qu'il a pris ses complaisances pendant neuf mois, qu'il a opéré ses merveilles, et qu'il a étalé ses richesses avec la magnificence d'un Dieu.

    Ce très saint lieu n'est composé que d'une terre vierge et immaculée dont a été formé et nourri le nouvel Adam, sans aucune tache ni souillure, par l'opération du Saint-Esprit qui y habite ; c'est en ce paradis terrestre qu'est véritablement l'arbre de vie qui a porté Jésus-Christ, le fruit de vie, l'arbre de science du bien et du mal, qui a donné la lumière au monde. Il y a en ce lieu divin, des arbres plantés de la main de Dieu et arrosés de son onction divine, qui ont porté et portent tous les jours des fruits d'un goût divin ; il y a des parterres émaillés de belles et différentes fleurs des vertus, qui jettent une odeur qui embaume même les anges. Il y a dans ce lieu des prairies vertes d'espérance, des tours imprenables de force, des maisons charmantes de confiance (272) ; (il n'y a que le Saint-Esprit qui puisse faire connaître la vérité cachée sous les figures des choses matérielles) (273). Il y a en ce lieu un air d'une pureté parfaite, un beau soleil sans ombre de la divinité, un beau jour sans nuit de l'humanité sainte (274), une fournaise ardente et continuelle de charité où tout le fer qui est mis (275) est embrasé et changé en or ; il y a un fleuve d'humilité qui sort de la terre et qui, se divisant en quatre branches, arrose tout ce lieu enchanté : ce sont les quatre vertus cardinales.

    Le Saint-Esprit, par la bouche des saints Pères appelle aussi la sainte Vierge la Porte Orientale, par où le Grand-Prêtre Jésus-Christ entre et sort dans le monde ; il est entré la première fois par elle et il y viendra la seconde (276).

    2° Le sanctuaire de la Divinité, le repos de la très sainte Trinité, le trône de Dieu, la cité de Dieu, l'autel de Dieu, le temple de Dieu, le monde de Dieu : toutes ces différentes épithètes et louanges sont très véritables par rapport aux différentes merveilles que le Très-Haut a faites en Marie. Oh ! quelles richesses, oh ! quelle gloire, oh ! quel plaisir, quel bonheur, de pouvoir entrer et demeurer en Marie, où le Très-Haut a mis le trône de sa gloire suprême ! Mais qu'il est difficile à des pécheurs comme nous d'avoir la permission, la capacité et la lumière, pour entrer dans un lieu si haut et si saint, qui est gardé non par un chérubin, comme l'ancien paradis terrestre, mais par le Saint-Esprit même qui s'en est rendu le maître absolu, de laquelle il dit : Hortus conclusus, soror, mea sponsa, hortus conclusus, fons signatus!(277)  Marie est fermée, Marie est scellée : les misérables enfants d'Adam et d'Ève, chassés du paradis terrestre, ne peuvent entrer en Celui-ci (278) que par une grâce particulière du Saint-Esprit qu'ils doivent mériter.

    Après que par sa fidélité on a obtenu cette insigne grâce, il faut demeurer dans le bel intérieur de Marie avec complaisance, s'y reposer en paix, s'y appuyer avec confiance, s'y cacher en assurance et s'y perdre sans réserve, afin que dans ce sein virginal, 1° l'âme y soit nourrie du lait de sa grâce et de sa miséricorde maternelle; 2° y soit délivrée de ses troubles, craintes et scrupules ; 3° y soit en sûreté contre tous ses ennemis, le monde, le démon et le péché, qui n'y ont jamais eu entrée ; c'est pourquoi elle dit que « ceux qui opèrent en elle ne pèchent point, » Qui operantur in me non peccabunt, c'est-à-dire : ceux qui demeurent en la sainte Vierge en esprit, ne font point de péché considérable ; 4° afin qu'elle soit formée en Jésus-Christ et Jésus-Christ en elle, parce que son sein est, comme disent les saints Pères, la salle des sacrements divins, où Jésus-Christ et tous les élus ont été formés : Homo et homo natus est in ea(279).

    IV. Enfin il faut faire toutes ses actions pour Marie. Car, comme on s'est tout livré à son service, il est juste qu'on fasse tout pour elle, comme un valet, un serviteur et un esclave ; non pas qu'on la prenne pour la dernière fin de ses services, qui est Jésus-Christ seul, mais pour sa fin prochaine et son milieu mystérieux (280), et son moyen aisé pour aller à lui. Ainsi qu'un bon serviteur et esclave, il ne faut pas demeurer oisif ; mais il faut, appuyé de sa protection, entreprendre et faire de grandes choses pour cette auguste souveraine ; il faut défendre ses privilèges quand on les lui dispute ; il faut soutenir sa gloire quand on l'attaque ; il faut attirer tout le monde, si on peut, à son service et à cette vraie et solide dévotion ; il faut parler et crier contre ceux qui abusent de sa dévotion pour outrager son Fils ; et en même temps (281) établir cette véritable dévotion ; il ne faut prétendre d'elle, pour récompense de ces petits services, que l'honneur d'appartenir à une si aimable princesse et le bonheur d'être par elle uni à Jésus son fils, d'un lien indissoluble, dans le temps et l'éternité.

Gloire à Jésus eu Marie !
Gloire à Marie en Jésus !
Gloire à Dieu seul !

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COMMENTAIRES

(238) « Il faut faire ceci, mais ne pas omettre cela ».
(239) L'Index de 1758 a condamné et aboli toute coufrérie ayant pour but l'esclavage de Marie ; notre bienheureux, s'il eût encore vécu à cette date, n'aurait certainement ni encouragé ce genre de confrérie ni aucun autre ayant quelque affinité et quelque analogie avec lui. En son nom, nous en faisons la déclaration la plus formelle.
(240) Encore une fois, le règne de Jésus-Christ est bien le but final de la dévotion à Marie. Notre bienheureux renvoie en cet endroit à la 1re partie de son écrit, article 2°, (discernement de la vraie dévotion), 3° vérité, où cependant il ne parle pas des 12 jours employés « à se vider de l'esprit du monde. »
(241) « Pense à ce que tu as été : un peu de boue ; à ce que tu es : un peu de fumier ; à ce que tu seras : la pâture des vers. »
(242) « Seigneur, que je voie ! - Que je me connaisse ! - Venez, ô Saint-Esprit ! »
(243) Les litanies du Saint-Esprit.
(244) Appendice à la fin de ce traité.
(245) Au moins.
(246) Sans s'imposer pour cela une obligation gênante.
(247) « Daignez souffrir mes louanges, ô Vierge très sainte ; rendez-moi fort contre vos ennemis. »
(248) Nous arrivons à la fameuse question des chainettes portées par les esclaves de Marie et recommandées par le bienheureux dans cette 3° Pratique. - 1° Nul doute que cette dévotion des chaînes de fer n'ait été utile, édifiante et même encouragée dans ses origines par le Saint Siège. 2° Mais, dès le temps de Boudon, qui les loue cependant très fort et donne les prières usitées pour les bénir, l'usage en était contredit en bien des endroits ; et la double condamnation portée par l'Eglise (en 1673) contre un livre italien sur le Saint esclavage de Marie n'était pas pour les accréditer. 3° Cependant, jusqu'à la mort de Montfort en 1716, et même jusqu'en 1758, l'Eglise ne les avait nullement interdites, et notre bienheureux était dans son droit en les « louant beaucoup, » non pas comme « essentielles » à la dévotion qu'il prêchait, mais comme « très glorieuses et très utiles. » 4° De réels abus s'étant glisses dans l'usage qu'on en faisait, surtout en Italie, soit que la vanité les eût transformées en objets de luxe mondain, soit que certaines exagérations doctrinales ou pratiques y eussent trouvé leur compte, le Siège Apostolique, par l'Index de 1758, proscrivit les images et médailles destinées aux confréries des esclaves de la Mère de Dieu et représentant les confrères enchaînés ; prohiba les statuts ou règles de ces confréries ; condamna et abolit les confréries qui distribuaient des chaînettes à porter aux bras et au cou ; commanda à toutes les sociétés et congrégations qui auraient quelques rapports avec cet esclavage, de les rompre immédiatement ; interdit enfin l'usage de pareilles petites chaînes dans d'autres confréries (du S. Sacrement, de l'Immaculée Conception, de saint Joseph, etc.). 5° Nous savons qu'on a dit que cette défense ne concernait pas l'esclavage de Jésus en Marie, formule adoptée par Montfort ; ni les chaînettes portées à la ceinture ou aux pieds ; ni l'exercice particulier et individuel de cette dévotion ; ni sa pratique raisonnable et dégagée de tout abus : mais, en réalité, nous croyons uniquement conforme à l'esprit de la sainte Eglise et à l'esprit du bienheureux, si tendrement soumis envers elle, l'abstention de tout ce qui rappellerait cet usage. Nous reviendrons, du reste, dans un instant, à la question de l'esclavage lui-même.
(249) Bien qu'autrefois.
(250) N'interprétons pas cela dans le sens littéral d'une sorte de transformation d'un métal en lumière et en gloire.
(251) Ceux surtout dont il est question dans le livre déjà cité de M. Boudon.
(252) « Mets ton pied dans ses entraves, et ton cou dans son joug ; incline ton épaule pour la porter, et ne t'ennuie pas de ses liens. »
(253) « J'attirerai tout à moi » - « Je les attirerai par les liens de la charité. »
(254) Ce que le bienheureux a dit à plusieurs reprises et ce que nous avons dit nous-même de l'esclavage des chrétiens par rapport à Dieu et à Marie, montre assez qu'il s'agit de la relation la plus filiale, la plus tendre, la plus aimable, la plus opposée aux contraintes, aux violences, aux hontes de l'esclavage proprement dit. Cette expression d'esclavage put donc être employée à l'origine, et depuis encore, dans un sens métaphorique et très adouci. Toutefois, convenons qu'elle ne répondait point parfaitement à l'esprit du catholicisme qui est tout de grâce, de sainte liberté et de filial amour. L'apparition, dans l'EgIise même, des doctrines servilement serviles du jansénisme, et l'abus que cette hérésie si fourbe et si rusée pouvait aisément faire de l'expression chère à M. Boudon et à notre bienheureux, provoqua, de la part de beaucoup de docteurs orthodoxes, et de la part du Saint Siège même, des objections et des craintes. Afin de répondre à l'une des plus communes, le sage M. Tronson, comme on le voit dans le texte que nous commentons en ce moment, engagea Montfort et ses amis à parler de l'esclavage de Jésus en Marie plutôt que de l'esclavage de Marie ; mais cette modification ne remédiait pas à grand chose, et nous voyons que Montfort n'y attachait pas une importance extrême. A raison d'abus regrettables, deux condamnations datées de 1673 frappèrent un traité italien de l'Esclave de la très sainte Madone. Néanmoins M. Boudon et notre bienhereux demeuraient libres de professer leur doctrine, absolument étrangère qu'elle était à ces abus. Mais, après leur mort, le Saint Siège porta le décret général de condamnation inséré à l'Index de 1758 et dont nous avons précédemment parlé. Nous ne pensons pas que ce soit seulement l'esclavage de Marie qui soit atteint par cette prohibition, mais tout esclavage, notamment celui du T. S. Sacrement, et par conséquent celui de Jésus en Marie. Rome, gardienne des vrais traditions théologiques, n'a plus voulu tolérer une dévotion ou plutôt une formule de dévotion qui cadrait mal avec elles. Nous pensons donc que les particuliers, aussi bien que les associations et congrégations, feront bien d'y renoncer : le bienheureux n'hésiterait pas un seul instant à le leur dire. Avons-nous besoin d'observer que sa mémoire n'a nullement à souffrir d'une mesure prise cinquante ans après sa mort et n'atteignant pas la substance de son enseignement ? La forme, les expressions sont à corriger, voilà tout ; et comme cette correction est facile à faire, nous en avons laissé le soin au lecteur que nos annotations mettront, du reste, en mesure de discerner ce qui est excellent d'avec ce qui est moins bon. Sans doute, l'examen officiel des écrits du bienheureux, a montré que rien n'y est contraire à la foi, aux moeurs, aux sentiments communs de l'Eglise de son temps ; et que rien par conséquent, n'y mérite une sentence de réprobation. Mais cet examen n'a pas d'autre portée, et la censure favorable dont il a été suivi ne doit pas être transformée en une sorte de sanction infaillible accordée à toutes les oeuvres et à tous les passages des oeuvres de Montfort. C'est à la lumière de ce double principe qu'il faut les apprécier et en faire usage pour son édification personnelle et pour celle du prochain. Remplaçons donc l'idée et l'expression d'esclavage par celle de filiation ; substituons le rosaire ou le chapelet aux chainettes d'autrefois, et tout sera parfait dans ce traité.
(255) Montfort lui-même, d'après son biographe M. Blain.
(256) Ceci est très juste : Marie est un chemin, un moyen pour arriver à Jésus qui est le terme et le but.
(257) Voici toute entière cette prière fort usitée dans les séminaires de France : « O Jésus, vivant en Marie, venez et vivez en nous, vos serviteurs, en votre esprit de sainteté, dans la plénitude de votre force, dans la perfection de vos voies, dans la vérité de vos vertus, dans l'union de vos mystères ; dominez toute puissance ennemie, en votre Saint-Esprit, à la gloire de votre Père. Ainsi soit-il. »
(258) En destinant à tous les hommes la grâce de sa rédemption et le prix de ses mérites ; et en prédestinant sa gloire à ceux dont il a prévu la correspondance à son divin appel.
(259) « Jésus dit, entrant en ce monde : Voici que je viens, ô mon Dieu, pour faire votre volonté. »
(260) « Allons donc avec confiance au trône de la grâce. »
(261) A la condition d'y joindre l'obéissance à la loi divine. Le salut a commencé par l'Ave Maria, parce que ce sont les paroles de l'ange annonçant à Marie le mystère de l'Incarnation. Et nul ne pouvant être sauvé que par la médiation du Verbe incarné, nul ne peut l'être sans la foi et la confiance au moins implicites en la maternité divine de Marie.
(262) « De la dignité du Rosaire. »
(263) Avant lui.
(264) De même que la paralysie du corps peut empêcher de le dire, ainsi une sorte de paralysie de l'âme, causée par le démon et permise par Dieu comme une épreuve, a pu empêcher quelques mystiques de le réciter pendant un certain temps.
(265) Un breuvage.
(266) En bénissant Jésus et Marie, par la récitation du rosaire ou de ses diminutifs, le chapelet et la petite couronne.
(267) Le Magnificat, étant l'hymne de l'Incarnation du Verbe et de la divine Maternité de Marie, touche à des mystères infinis que nul esprit créé ne saurait épuiser.
(268) « Il a montre la puissance de son bras ; il a dispersé les orgueilleux par un seul acte de sa volonté. »
(269) Récemment canonisé.
(270) Sans aucune émotion extérieure ni intérieure.
(271) Pour que nous l'imitions selon notre petite capacité.
(272) Des tours fortifiées et imprenables, des asiles pleins de charme et de sécurité.
(273) Avec la grâce, un chrétien comprendra aisément ce que ces figures, ces symboles, nous font voir en Marie.
(274) Le soleil de l'adorable divinité et le jour de l'humanité très pure réunies en la personne de Notre Seigneur Jésus-Christ, fils de Marie.
(275) Qui y est mis. Ce fer désigne nos hommages et nos actions dont Marie corrige l'imperfection en daignant les accueillir.
(276) Cette seconde fois, c'est l'avènement individuel de Notre Seigneur dans nos âmes; c'est aussi son triomphe dans l'Eglise entière et dans les sociétés humaines formées par elle ; mais ce n'est pas un règne visible et terrestre de Jésus-Christ sur la terre transformée en Eden.
(277) « Vous êtes un jardin fermé, ô ma soeur, ô mon épouse ; vous êtes un jardin fermé et une fontaine scellée. »
(278) En ce céleste paradis qui est Marie.
(279) « Un homme et un homme, voilà ce qui est né en elle. »
(280) Dieu, Jésus son divin fils, l'Esprit-Saint : telle est notre fin dernière, notre but suprême. Marie tient le milieu entre ce but et nous ; elle est pour nous un moyen d'y atteindre ; elle est même le terme immédiat, le but voisin, la fin prochaine, à laquelle peuvent s'adresser nos hommages et nos actes : mais toujours à la condition de ne pas s'arrêter à elle et de tendre à la fin suprême qui est la même pour elle et pour nous.
(281) Et il faut en même temps.