Nicolazic rassuré
Le 25 juillet de l'année, suivante, veille de la fête de sainte Anne, Nicolazic s'était rendu à Auray sans doute pour se confesser, car il avait l'habitude de communier tous les dimanches et les fêtes gardées.
Quand il reprit le chemin de son village, il était déjà tard, et la nuit était close ; comme d'habitude il avait son chapelet à la main.
Au moment où il passait auprès de la croix qui porte son nom, la Dame mystérieuse lui apparut soudain ; la vision ne différait pas des précédentes : c'était toujours le même visage grave et doux, là même attitude, et la même lumière. Mais cette fois elle parla.
Elle appela Yves Nicolazic par son nom, et lui dit quelques paroles très douces comme pour dissiper ses craintes.
Puis elle prit la direction du village. Le flambeau qu'elle portait à la main éclairait l'obscurité, et le nuage sur lequel elle se tenait debout était comme le véhicule qui la faisait avancer. Nicolazic sans hésitation et sans peur s'engagea après elle dans le chemin creux. Ils allèrent ainsi ensemble jusqu'aux maisons, elle tenant son flambeau, lui égrenant son chapelet.
À l'approche de la ferme, brusquement la Dame mystérieuse s'éleva en l'air et disparut.
Jusqu'ici aucune apparition n'avait duré aussi longtemps, et jamais Nicolazic n'avait été encore aussi profondément impressionné. Rentré chez lui, il ne put rien manger ; à sa femme et à ses domestiques qui l'avaient attendu pour se mettre à table, il adressa à peine quelques courtes paroles : et bientôt, comme un homme préoccupé, il voulut être seul.
Il se retira dans sa grange, sous prétexte d'y garder pendant la nuit le seigle battu les jours précédents.
C'était une chose connue de tous que les murs de cette grange avaient été bâtis avec les pierres de l'ancienne chapelle.
Il se jeta tout habillé sur un lit de paille, mais il ne put dormir.
Absorbé par les réflexions diverses que faisait naître en lui tout ce qu'il avait vu et entendu, il récitait son rosaire : tout à coup, sur les onze heures, il crut entendre un bruit confus dans le chemin qui avoisinait la grange. On eût dit une grande multitude en marche.
Il voulut se rendre compte de ces rumeurs.
Il se lève vivement, ouvre la porte, et regarde. Il écoute : ni près de la grange ni sur la route, il n'y avait personne. Le village tout entier reposait, et la campagne au loin était silencieuse.
Il demeure stupéfait et la peur le saisit.
Son premier mouvement est de supplier Dieu qu'il ait enfin pitié de lui. Puis, reprenant son chapelet, il le récite en produisant dans le fond de son cur des actes de confiance en sainte Anne, dont la pensée ne l'abandonne jamais.
Pendant qu'il se rassure ainsi par la prière, soudain une vive clarté remplit la grange, et dans cette lumineuse auréole apparaît la Dame plus resplendissante que jamais. La crainte s'empare de lui tout d'abord, mais elle s'évanouit aux premières paroles que l'Apparition fit entendre.
L'Apparition disait : « Yves Nicolazic, ne craignez pas : je suis Anne, mère de Marie. Dites à votre Recteur que dans la pièce de terre appelée le Bocenno, il y a eu autrefois, même avant qu'il y eût aucun village, une chapelle dédiée en mon nom. C'était la première de tout le pays. Il y a 924 ans et 6 mois qu'elle est ruinée. Je désire qu'elle soit rebâtie au plus tôt, et que vous en preniez soin, parce que Dieu veut que j'y sois honorée. »
Cette révélation faite, sainte Anne disparut, et le Voyant resta seul.
Éclairé et rassuré par des déclarations qui mettaient fin à ses longues perplexités, et sachant désormais à qui il avait affaire, le cur dilaté et attendri, il s'endormit tranquille.
C'est donc le 25 juillet 1624 que Nicolazic reçut le mandat qui devait faire de lui le créateur du Pèlerinage.
Ce mandat, il l'accomplira ; mais au prix de quelles épreuves et à la suite de quelles hésitations !
Il ne suffisait pas en effet d'avoir reçu une mission, il restait encore à la faire reconnaître par l'Église, qui seule a qualité pour interpréter les paroles de Dieu.