Les vertus éminentes de Nicolazic

 

Longtemps on s'est représenté Nicolazic comme un homme simple et pieux, dont le seul mérite aurait été d'accomplir avec fidélité et conscience la mission qui lui avait été confiée d'en haut.

C'est une erreur.

Nicolazic était bien autre chose qu'une âme docile et mystique. Il a été aussi un homme d'action énergique et tenace ; on vient de le voir.

Il a été surtout un chrétien d'une vertu éminente.

Déjà bien avant les manifestations que nous venons de raconter, le paysan de Ker-Anna avait, on s'en souvient, un ensemble de qualités qui le distinguaient de ses voisins.

Pendant la période des apparitions, sa piété devint plus fervente encore, et son âme fut dès lors absorbée tout entière par des pensées surnaturelles.

Quand il eut acquis enfin la certitude que c'était bien à Dieu qu'il avait à obéir, on vit se manifester en lui, sous l'influence de la grâce, des qualités insoupçonnées, et il en arriva à remplir son mandat avec une habileté pratique qui étonna les plus expérimentés.

Il devait monter encore plus haut.

En même temps que l'homme s'élevait, et sous l'action des mêmes influences, le chrétien se transfigurait.

 

Ce qui frappait en lui, au premier abord, c'était la beauté de son âme : elle se révélait dans son langage loyal comme dans sa physionomie ouverte ; et c'est ce qui explique l'attirance singulière qu'il exerçait sur les pèlerins de toute condition et la vénération universelle dont il était l'objet.

 

Parmi les vertus que ses contemporains ont signalées chez ce laboureur avec une spéciale insistance, il en est une qui n'est guère dans le tempérament des gens de sa condition : le mépris des biens de la terre. Bien loin d'être âpre au gain et jaloux de ses droits, Nicolazic a fait preuve en toute occasion d'un absolu détachement.

Quand sainte Anne le presse de commencer les travaux, il lui déclare à l'instant qu'il est tout disposé à vendre tout ce qu'il possède pour exécuter ses ordres.

Le P. Ambroise lui demandant, un jour de fête, s'il n'était pas contrarié de voir les pèlerins enlever son foin et son blé : « Point du tout, répliqua-t-il, ça m'est aussi indifférent que si je ne possédais rien au monde. Je ne me soucie que d'une chose : que sainte Anne soit honorée. »

C'est une chose très remarquable, observe encore son historien, que cet homme qui mania tant d'argent, n'a enrichi ni sa famille ni ses héritiers. Souvent des personnes de qualité se faisaient un plaisir de lui offrir des dons personnels ; et parfois il acceptait l'offrande, mais c'était toujours pour la verser dans la caisse du Pèlerinage. Bien mieux, il y versait même tous les ans le superflu de ses modestes économies.

 

Si sa délicatesse de conscience se refusait à tirer de sa mission aucun profit matériel, elle répugnait encore davantage à en recueillir quelque gloire.

Il était humble : c'est malgré lui, et Dieu sait après quelles longues résistances, qu'il est sorti de son obscurité. Lui qui était si irréductible quand il s'agissait de justifier tout ce que sa « Bonne Patronne » avait fait, il était pleinement d'accord avec ses contradicteurs, quand il s'agissait de reconnaître son indignité personnelle.

Non seulement il ne cherchait pas à se faire valoir, mais il acceptait les plus dures humiliations sans révolte et sans murmure, aussi résigné à laisser mépriser sa personne qu'énergique à défendre l'œuvre qu'on lui avait confiée.

Lorsque, sa mission une fois achevée, il se trouva dans l'auréole du succès, l'admiration des pèlerins fut la grande épreuve de son humilité, et ce fut en même temps pour elle l'occasion de remporter un nouveau triomphe. Tout le monde voulait l'approcher, entendre de sa bouche, le récit des apparitions, le féliciter, se recommander à lui. Mais sa finesse venait au secours de sa modestie : tantôt il détournait habilement le sujet de la conversation, tantôt il éludait par une saillie de bonne humeur les questions indiscrètes.

Néanmoins les hommages qu'il recevait lui étaient trop pénibles ; et c'est pour s'y dérober qu'il avait pris le parti de s'éloigner de son village.

 

Si l'on admirait l'humilité de Nicolazic, il faut pourtant reconnaître que sa qualité dominante, sa caractéristique, était sa confiance en sainte Anne.

Dans la première phase de sa mission, il s'agissait de faire connaître par l'autorité ecclésiastique que sa mission venait du ciel ; dans la seconde, la difficulté était de communiquer autour de lui la conviction que l'œuvre durerait.

Il eut toujours gain de cause : la confiance qui débordait en lui finissait par s'imposer à tout le monde.

Ses affirmations se formulaient avec une précision et une assurance victorieuse.

Il disait : Les pèlerins ne cesseront pas de venir ici.

Il disait : L'argent ne fera jamais défaut ; plus on en dépensera pour la gloire de sainte Anne, plus les fidèles apporteront d'offrandes.

Il disait : Il s'accomplira ici des merveilles en abondance.

En parlant ainsi il ne faisait sans doute que répéter les paroles que sainte Anne lui avait dites ; mais, s'il les répétait avec cette conviction communicative, c'est qu'il y croyait lui-même avec une confiance illimitée.

 

Et, chose digne de remarque, depuis plus de trois siècles les événements n'ont cessé de justifier cette confiance qu'il avait en sa Bonne Patronne.