Chapitre XV
Les Apôtres et les Anciens s'assemblèrent pour examiner cette question. Après qu'on eut longuement discuté, Pierre se leva et dit: "Frères, vous le savez, c'est moi que Dieu a choisi dès le commencement pour faire entendre par ma bouche la parole aux païens et les convertir à l'Évangile. Et Dieu, qui sonde les coeurs, leur a rendu témoignage en leur donnant le Saint-Esprit aussi bien qu'à nous. Il n'a point fait de différence entre eux et nous, puisqu'il a purifié leurs coeurs par la foi. Pourquoi donc tentez-vous Dieu, maintenant, en imposant aux disciples un joug que ni nos pères ni nous n'avons eu la force de porter? Nous croyons au contraire que c'est par la grâce du Seigneur Jésus que nous serons sauvés, aussi bien qu'eux." Alors tout le monde se tut, et l'on écouta Barnabas et Paul, qui racontaient tous les miracles et tous les prodiges que Dieu avait opérés par leur ministère au milieu des païens.
Lorsqu'ils eurent cessé de parler, Jacques prit la parole et dit: "Frères, écoutez-moi. Simon vous a exposé comment Dieu a résolu, dès le commencement, de se choisir parmi les nations un peuple qui lui fût consacré. Et cela s'accorde avec les paroles des prophètes, car il est écrit: Après cela, je reviendrai et je rebâtirai la maison de David, qui est tombée; je réparerai ses ruines et la relèverai, afin que le reste des hommes, et toutes les nations sur lesquelles mon nom est invoqué, cherchent le Seigneur.Ainsi dit le Seigneur, qui a fait toutes ces choses et qui les a connues de toute éternité. C'est pourquoi j'estime qu'il ne faut point inquiéter ceux d'entre les païens qui se convertissent à Dieu, niais qu'il faut leur commander de s'abstenir des viandes offertes aux idoles, de l'impureté, des animaux étouffés et du sang; car, depuis plusieurs siècles, il y a dans chaque ville des gens qui enseignent la loi de Moïse, et on la lit dans les synagogues tous les jours de sabbat."
Alors les Apôtres, les Anciens et toute l'Église décidèrent d'envoyer quelques disciples à Antioche avec Paul et Barnabas, et l'on choisit Jude surnommé Barsabas et Silas, qui étaient fort considérés parmi les frères. On les chargea de la lettre suivante: "Les Apôtres, les Anciens et les frères, aux frères d'entre les nations qui sont à Antioche, en Syrie et en Cilicie, salut! Ayant appris que des disciples partis de Jérusalem vous ont troublés et ébranlés par leurs discours, en enseignant, sans notre aveu, qu'il faut être circoncis et observer la loi, nous avons résolu, d'un commun accord, de choisir quelques personnes pour vous les envoyer avec nos bien-aimés Barnabas et Paul, qui ont exposé leur vie pour le nom de notre Seigneur Jésus-Christ. Nous envoyons donc Jude et Silas, qui vous annonceront de vive voix ce que nous vous écrivons. Il a semblé bon au Saint-Esprit et à nous de ne vous imposer comme nécessaires d'autres charges que celles-ci: abstenez-vous de ce qui a été sacrifié aux idoles, du sang, des animaux étouffés, de l'impureté. Vous ferez bien de vous garder de telles choses. Adieu."
Les envoyés se rendirent donc à Antioche, y assemblèrent les fidèles et leur remirent cette lettre, dont la lecture les réjouit et les consola. Jude et Silas, qui étaient eux-mêmes prophètes, adressèrent aussi aux frères plusieurs discours pour les exhorter et les affermir dans la foi. Quelque temps après, les frères les renvoyèrent aux Apôtres, en les accompagnant de bénédictions; mais Silas aima mieux rester à Antioche. Paul et Barnabas y demeurèrent aussi, enseignant et prêchant avec plusieurs autres la parole du Seigneur. Quelques jours après, Paul dit à Barnabas: "Retournons et allons voir en quel état sont nos frères dans toutes les villes où nous avons prêché la parole du Seigneur." Barnabas voulait prendre avec lui Jean surnommé Marc; mais Paul refusait de s'associer un homme qui les avait abandonnés en Pamphylie et qui n'avait point partagé leurs travaux. Leur contestation fut telle qu'ils se séparèrent, et Barnabas, ayant pris Marc avec lui, fit voile pour l'île de Chypre. Paul, de son côté, s'étant adjoint Silas, partit recommandé par les frères à la grâce de Dieu. Il traversa la Syrie et la Phénicie, affermissant les Églises.
COMMENTAIRE
Chapitre XV
L'importance des rituels.- Les sociétés christiques primitives. - L'abandon des rites et la voie évangélique pure. - Étude des théories des Juifs sur les viandes offertes aux idoles et sur le sang.
Parmi les nouveaux disciples, certains venaient des Pharisiens et des diverses sectes juives; d'autres avaient été serviteurs des dieux. Encore sensibles à l'importance des rites extérieures, quelques juifs voulaient que tous les païens fussent tenus d'obéir aux lois de Moïse; des discussions s'élevèrent, assez grandes pour rendre nécessaire un voyage à Jérusalem de Paul, Barnabas et plusieurs frères.
Dans un des précédents chapitres, j'ai indiqué quelques-unes des raisons pour lesquelles les sociétés humaines sont si fragiles, et contiennent fréquemment le germe de leur dissolution. Cependant, ces sociétés sont longtemps utiles, tout sert, tout est une école pour l'humanité en marche; tout comporte un enseignement; aucun effort n'est perdu. Nous l'avons vu, au moment du châtiment d'Ananias, la société chrétienne primitive se développait, dans des conditions exceptionnellement favorables, sous la direction d'Êtres très hauts, en qui agissait le Ciel même. Ses membres, cependant, retombent sans cesse dans de vaines disputes, l'autorité spirituelle de Pierre et de Jacques parvient à peine à les mettre d'accord pour un temps.
C'est qu'en effet bien des existences sont nécessaires pour que nous puissions comprendre les paroles de Jésus: "Le sabbat a été fait pour l'homme, et non l'homme pour le sabbat." Revenons un peu sur ces idées, esquissées au chapitre VII.
Pendant des siècles, les rites ont été le soutien indispensable de nos faibles efforts vers la lumière perdue; mais ils ont laissé en nous une empreinte profonde, dont nous nous débarrassons difficilement. Pour que nous commencions de briser ces liens séculaires, un certain nombre d'existences ou d'expériences sont nécessaires, au cours desquelles la raison et l'intelligence se développent seules; nous rejetons alors l'idée du surnaturel, la nature extérieure nous appelle et nous séduit, et c'est à peine si nous reconnaissons la force fatale du destin; puis, vient une heure où les multiples organismes qui composent ce qu'on appelle en l'homme le mental, on atteint leurs limites. À ce moment, commencent faiblement de vivre d'autres organes, nous permettant de recevoir un jour, en nous, les premiers rayons du surnaturel.
Nous revenons, peu à peu, à l'idée de Dieu, nous ne voulons plus aucun obstacle entre nous et la Vie Créatrice, les rites religieux ont perdu tout empire, sur nos âmes.
Gardons-leur, toutefois, un souvenir reconnaissant, ils ont été pour nous comme le bâton secourable, dans la main du voyageur; ne les abandonnons qu'à bon escient.
Pour ramener la paix, Jacques trouve un moyen terme: les Apôtres décident que la circoncision ne sera pas exigée des païens nouveaux venus. On leur demande seulement de s'abstenir des viandes offertes aux idoles, de l'impureté, des animaux étouffés et du sang. À moins de transposer ces défenses au spirituel, ce que ne s'impose pas, nous ne trouvons dans ce passage aucun enseignement vivant. Nous pouvons cependant y découvrir quelques règles utiles au mystique chrétien. Cet ordre témoigne, en effet, d'une science peu connue de nos jours, et encore moins mise en pratique; il ne sera pas inutile d'y faire une courte allusion. Tout est vivant dans la nature, tout se tient, rien n'est isolé. Lorsqu'un animai va recevoir la mort, quelque chose en lui le sait. Sa vitalité, en s'échappant du corps, constitue une invisible réalité; elle reçoit l'impression exacte que lui impriment l'angoisse de la victime et la volonté dynamisée du sacrificateur. Si les désirs secrets ou inavoués de ce prêtre étaient d'offrir aux dieux cette vie, tout en elle devait être pénétré par l'influence subtile de cette intention, et la chair même de l'animal en était à son tour imprégnée. Si donc un païen, récemment illuminé, mais en qui le passé était encore puissant, mangeait de cette viande, toute sa nature inférieure en était sûrement saturée, elle opposait plus de résistance à l'esprit dans sa lutte contre la matière. On pourrait se servir du même raisonnement pour la consommation des animaux étouffés, dont le sang pénètre encore les tissus.
Tout l'antiquité savait, et certains n'ignorent pas, de nos jours, que le sang est le véhicule le plus puissant de la vie inférieure. C'était donc rendre un réel service aux débutants que de les prier de s'abstenir de tout ce qui pouvait nuire à leurs efforts. Certes, le disciple du Christ doit, de nos jours, surtout dans les grandes villes, se nourrir normalement, afin d'être toujours prêt à agir. Cependant, il se trouvera bien de limiter, au printemps, le régime carné, et de s'abstenir en tous temps de gibier. Enfin, le mystique ne doit pas oublier, aux repas, que l'homme est vraiment régénérateur de la nature, puisque chaque cellule minérale, végétale ou animale évolue réellement en devenant substance humaine.
Telle particule inférieure, qui fait aujourd'hui partie d'un des os de notre corps, parviendra, un jour, jusqu'à notre cerveau et jusqu'à notre coeur. Son Esprit aura, par ce travail, et par des souffrances aussi réelles que les nôtres, acquis toujours plus de lumière, et la mort même de notre organisme matériel n'interrompra pas son effort. Une légende, vraiment belle, veut qu'au contraire, libéré, au sein même de la Terre profonde et pleine de ténèbres, il aille répandre sa Vie spirituelle parmi les minéraux. Petit messager vivant, il est là, le seul reflet possible de Dieu. Ainsi, lorsque notre Esprit aura brisé ses chaînes, quelques parties lumineuses de son corps continueront encore de servir; ainsi, pendant notre vie, notre action la plus matérielle peut devenir utile. Tout acte sera purifié dans ses origines et ses résultats, si nous savons vivre, autant que possible, en la permanente présence de Jésus.