Chapitre V
Les Apôtres faisaient au milieu du peuple beaucoup de prodiges et de miracles. Or tous les disciples, animés d'un même esprit, s'assemblaient au portique de Salomon; personne n'osait se mêler à eux, mais le peuple ne parlait d'eux qu'avec éloge, et le nombre de ceux qui croyaient au Seigneur, hommes et femmes, s'augmentait de plus en plus. On apportait les malades sur les places, on les mettait sur des lits et sur des grabats, afin que, lorsque Pierre passerait, son ombre du moins couvrît quelqu'un d'eux. On venait aussi en foule des villes voisines à Jérusalem, on y apportait des malades et des démoniaques, et tous étaient guéris.
Alors le souverain sacrificateur et tous ceux de son parti qui formaient la secte des sadducéens, remplis de jalousie, se saisirent des Apôtres et les firent enfermer dans la prison publique. Mais un ange du Seigneur ouvrit pendant la nuit les portes de la prison et, les ayant fait sortir, il leur dit: "Allez et annoncez au peuple dans le temple toute la parole de vie." D'après cet ordre, ils entrèrent au temple dès le point du jour et se mirent à enseigner. Cependant le souverain sacrificateur et ses partisans, s'étant réunis, convoquèrent le Sanhédrin et tous les anciens d'Israël, et ils envoyèrent les gens à la prison pour amener les Apôtres. Ces gens, y étant allés, ne les trouvèrent pas et revinrent en donner avis. "Nous avons trouvé, dirent-ils, la prison bien fermée et les gardes devant les portes; mais, ayant ouvert, nous n'avons trouvé personne." Sur ce rapport, le commandantdu temple et les principaux sacrificateurs ne savaient trop quel parti prendre dans cette circonstance. Mais quelqu'un vint leur dire: "Ces hommes que vous aviez mis en prison sont dans le temple où ils enseignent le peuple. Aussitôt le commandant partit avec ses gens, et ils amenèrent les Apôtres sans employer aucune violence, parce qu'ils craignaient d'être lapidés par le peuple. Quand les Apôtres furent en présence du Sanhédrin, le souverain sacrificateur les interrogea en ces ternies: "Ne vous avions-nous pas expressément défendu d'enseigner en ce nom-là? Cependant vous avez rempli Jérusalem de votre doctrine et vous voulez faire retomber sur nous le sang de cet homme." Alors Pierre et les autres Apôtres répondirent: "Il faut obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes. Le Dieu de nos pères a ressuscité Jésus que vous aviez crucifié. C'est lui que Dieu, par sa puissance, a établi prince et sauveur pour convertir Israël et lui donner la rémission des péchés. Nous attestons ces choses de sa part, et le Saint-Esprit, que Dieu a donné à ceux qui lui obéissent, en est témoin avec nous." À ces paroles, les sénateurs, transportés de rage, cherchaient entre eux les moyens de se défaire des Apôtres. Mais un pharisien nommé Gamaliel, docteur de la loi et considéré de tout le peuple, se leva au milieu du Conseil, donna l'ordre de faire sortir un moment les Apôtres et dit: "Israélites, prenez garde à ce que vous allez faite au sujet de ces gens-là. Il n'y a pas longtemps que parut Theudas, qui prétendait être quelque chose et auquel s'attachèrent environ quatre cents hommes; il fut tué; tous ceux qui l'avaient suivi se dispersèrent et furent réduits à rien. Après lui, lors du dénombrement, s'éleva Judas le Galiléen, qui se fit un parti nombreux; il périt aussi, et tous ses partisans furent dissipés. Voici donc ce que j'ai à vous dire: Ne vous occupez plus de ces gens-ci, laissez-les aller. Si cette entreprise ou cette oeuvre vient des hommes, elle se détruira d'elle-même; mais, si elle vient de Dieu, vous ne pouvez la détruire, et prenez garde d'avoir fait la guerre à Dieu." Ils se rangèrent à son avis; puis, ayant rappelé les Apôtres, ils les firent battre de verges, en leur défendant de parler au nom de Jésus, et ils les renvoyèrent. Pour eux, ils sortirent du Conseil, joyeux d'avoir été jugés dignes de souffrir des opprobres pour le nom de Jésus. Dès lors, tous les jours, dans le temple et dans les niaisons, ils ne cessèrent d'enseigner et d'annoncer que Jésus était le Christ.
COMMENTAIRE
Chapitre V
Les réactions de l'Ombre. - Ananias. - Les Pouvoirs des Amis de Dieu et ceux des Adeptes. - Le Mystique chrétien et la Société.
Purs et pleins de foi, les disciples réalisaient ici-bas la plus merveilleuse unité, mais la terre n'était pas digne de les recevoir. Ils étaient encore soumis aux Lois terrestres et le Père, dans Sa toute-puissante sagesse, avait permis que les germes du mal descendissent parmi ces créatures privilégiées, comme Il avait voulu un Judas auprès de Jésus.
Même dans ce milieu ou étaient réalisées, au maximum, les lois du Ciel, il se trouva un homme et une femme indignes. Ainsi, répétons-le, tant que le Royaume du Père n'aura pu s'établir sur terre, et il ne le pourra que lorsque l'égoïsme aura disparu, et lorsque la volonté universelle de Dieu sera réalisée par toutes les créatures, il sera impossible d'y organiser le communisme, ainsi qu'on s'y efforce actuellement.
Là ou se trouvaient les apôtres, cependant, était momentanément le Ciel, comme partout où passe sur terre un envoyé de l'Esprit-Saint. Mais les hommes qui évoluaient autour d'eux ne pouvaient tous vivre pleinement de la vie véritable, et les rayons célestes n'atteignaient que les cellules dont l'esprit avait échappé entièrement à l'emprise du Prince de ce monde. Ainsi, autour de Pierre, les premiers disciples recevaient en leur coeur ce qu'ils pouvaient supporter de la Lumière Vivante. Ananias et sa femme, ayant trahi la loi, étaient retombés dans le royaume de l'Adversaire, et leur organisme matériel se dissocia instantanément, en la présence de Pierre, qui rayonnait autour de lui la lumière incréée. Il ne faut pas rechercher à leur mort d'autres causes, et ce phénomène s'accomplira chaque fois qu'une créature d'ombre pénétrera dans une sphère de vie Divine, où sa vie matérielle devient impossible (1).
(1) Il y a eu, de nos jours, des exemples de cela.
Nous sommes du reste presque tous encore si profondément plongés dans la matière, il y a si peu de cellules en nous entièrement délivrées, que nous ne pourrions supporter la présence réelle du moindre des Anges.
Remarquons ici, puisque c'est un des buts de notre étude, la mise en pratique d'un des pouvoirs des hommes libres: Pierre n'a même pas besoin d'interroger les coupables. Ce n'est pas de la clairvoyance telle que l'étudie l'ésotérisme. Dès que les regards d'un vrai maître se posent sur une créature, que ce soit une pierre, un végétal, un animal, un homme, une étoile ou un ange, cette créature lui devient totalement perceptible. Son principe central, en quoi se reflètent toutes ses pensées, ses tendances et ses actions, s'ouvre comme un livre, dont les pages, une à une, seraient lentement tournées.
Il n'y a pas une ombre à cette lumière; l'homme libre perçoit tout, depuis l'origine de l'Esprit jusqu'aux plus petites pensées, jusqu'aux moindres actes extérieurs.
Pierre, Jean, les apôtres qui avaient reçu l'Esprit-Saint, et qui en étaient devenus comme de vivants réceptacles, possédaient ce pouvoir au plus haut degré et non seulement sur la terre, mais partout où leur activité eut lieu de se faire sentir.
Tout, dans leurs actions, comme dans les mystères de leurs pensées, comme dans leurs manifestations en d'autres modes d'existences, fut vraiment au-dessus des Lois de la Nature.
Ils sont emprisonnés de nouveau, mais le Ciel intervient encore. Un Ange ouvre pendant la nuit, les portes de la prison, fait sortir les Apôtres, et les envoie reprendre leur travail spirituel interrompu. Voyons ce que ce prodige petit nous apprendre.
Il n'entre pas dans le cadre de cette étude de résumer ici tout ce que la théologie chrétienne, l'ésotérisme et surtout Swedenborg nous enseignent sur les Anges.
Disons seulement que ces Créatures Innocentes ont reçu au maximum les Pouvoirs dont nous pouvons avoir la connaissance, et que leur Puissance s'exerce encore, d'une sorte incompréhensible et merveilleuse, dans bien des régions spirituelles ou matérielles dont nous n'avons pas la moindre conscience. Une de leurs possibilités les plus utiles, et la plus ordinaire aussi, consiste à discerner, réunir, attirer et enfin grouper autour de l'Étincelle de la Vie Absolue qui constitue leur personnalité, les molécules de tous les états possibles de la matière, des plus subtiles aux plus grossières, - ils savent alors s'en former des corps, aptes à vivre dans n'importe quel lieu de l'Univers où les conduit leur mission.
Ainsi, dans le cas qui nous occupe, l'Ange revêtit un corps humain, et un rayon spécial du Verbe le mit à même de traduire sa pensée en mots compréhensibles.
Essayons maintenant de voir comment cet Être de Lumière put atteindre le but qu'il s'était proposé, c'est-à-dire la délivrance des Apôtres.
Examinons les faits. Il a ouvert pendant la nuit les portes de la prison, il a fait sortir les Disciples et a remis toute chose en état, puisque les envoyés du souverain sacrificateur rapportent avoir trouvé la prison bien fermée, et les gardes à leur poste, - ces derniers, vraisemblablement, n'avaient rien remarqué d'anormal, sans quoi il est très probable que le rapport des sergents en ferait mention.
Nous pouvons donc avoir la presque certitude que l'Ange a plongé gardes et geôliers dans un profond sommeil, ouvert et fermé les portes, soit par des moyens naturels, soit par son pouvoir sur la matière, et qu'il a éveillé ensuite, une fois les Apôtres éloignés, ceux qu'il avait endormis. C'est l'hypothèse la plus raisonnable, mais l'Ange aurait pu, tout aussi aisément, employer d'autres moyens, plus impressionnants, en apparence, mais tout aussi aisés; - par exemple, les corps des Apôtres étant doués, à volonté, du pouvoir de devenir invisibles et de passer à travers la matière physique; leur évasion aurait été également très facile de cette manière. Qu'il me soit même permis d'ajouter, à ce sujet, une chose qui paraîtra discutable à plusieurs, mais admissible à une minorité. On n'a pas, en général, la Vision Précise de ce que sont les Êtres, très rares, qui ont reçu l'Esprit-Saint tangiblement et visiblement, comme les Apôtres. On ne réfléchit pas que de tels Enfants de Dieu reçoivent, par le fait même, des pouvoirs complets. Je suis donc persuadé que Pierre, Jean et les autres Amis premiers de Jésus ne sont restés en prison que volontairement. Comme leur Maitre, la Douleur et la Mort ne pouvaient les toucher que sur leur permission précise et leur appel formel. L'Ange, ici, ne vient que parce qu'ils ont "demandé" au Ciel, au lieu de commander, - comme ils en avaient le droit, - suivant ainsi la Loi secrète du Christ. Cet épisode intéressant nous permet encore une réflexion.
Nous sommes, à notre époque, à même d'observer de nombreuses manifestations occultes ou spirites: magnétisme, suggestion, dématérialisation du corps d'un médium et reconstitution de ce corps, après son passage au travers de la matière opaque, invisibilité, lévitation, etc.
Il est intéressant et utile, au point de vue mystique, de bien établir les différences essentielles qui existent entre les manifestations parfaites des pouvoirs des hommes Libres et les phénomènes spirites ou occultes. La confusion est facile à faire, et cependant il importe, au plus haut point, de ne pas confondre.
Comprenons donc bien que les corps physiques des Amis de Dieu n'ont besoin d'aucun appel, d'aucun Esprit, d'aucun médium, d'aucune préparation. Ils sont doués de propriétés particulières, et jouissent tout naturellement de la pénétrabilité, de l'invisibilité, du pouvoir de se léviter, de résister à la fatigue, etc., etc. Leurs organismes sont solides, constitués connue les nôtres, leur permettant toutes les fonctions physiologiques, mais ni l'espace, ni le temps, ni la matière, à n'importe quel état, n'existent plus pour eux que suivant leur volonté. Il en est de même, ainsi que je l'ai signalé plus haut, de la clairvoyance comme des pouvoirs de guérison et d'autres encore; aucune ne se manifeste pour un vrai maître comme pour un adepte de l'occultisme, si haut soit-il.
En un mot, dans un cas, c'est tous les pouvoirs de l'homme régénéré, fils de Dieu, s'exerçant avec plénitude et majesté; dans l'autre, c'est une conquête plus ou moins pénible et complète, plus ou moins dangereuse, du reste, sur la nature et le destin.
À peine sortis de prison, les Apôtres se rendent dans le Temple pour y annoncer la parole de Vie. Ainsi devons-nous rester impassibles devant les obstacles et les difficultés. Arrêtés un instant dans notre travail spirituel, résignons-nous et reprenons notre besogne dès que cela sera possible.
Certes, tous les actes des douze constituent seulement, pour nous, un idéal lointain, une lumière vive sur laquelle nous devons avoir les yeux fixés sans pouvoir espérer l'atteindre de sitôt. Mais, il nous est loisible, nous devons même tenter de réaliser, dans notre vie, des actes analogues, en commençant par les plus simples; il nous appartient de transposer dans la vie intérieure ce qui pour les apôtres se passe dans la vie réelle.
Selon toutes probabilités, de longues périodes du temps s'écouleront avant que nous ne méritions d'être emprisonnés, innocents, pour le Christ, ou que nous passions devant les tribunaux humains pour notre foi, mais dès maintenant, beaucoup d'entre ceux qui suivent la voie Évangélique pure rencontreront dans leur vie intérieure des prisons et des juges. Des gardiens invisibles les emmèneront dans les prisons du doute; les exposeront sans défense à la calomnie, aux injures, aux trahisons. Ce seront là de vrais bourreaux, armés de verges, chargés de développer leur patience, leur calme, leur résignation. Combien de fois les Anges les feront passer à travers les murs immatériels de ces prisons invisibles, et échapper pour un temps à ces bourreaux, parmi lesquels ils seront obligés de vivre, incompris et méprisés!! Aussi le disciple débutant devra-t-il admirer et aimer ce qu'il pourra connaître de la vie et des actes des premiers réalisateurs de la parole Divine, en fixer le souvenir dans sa mémoire, s'en constituer un idéal et un guide. Tel est un des buts de cette étude.
Revenons à Pierre, et laissons de côté un instant notre livre, pour examiner une de ses paroles: "Il faut obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes."
Le mystique a, vis-à-vis de la société, des devoirs certains; il se doit de suivre, le plus possible, les lois humaines, et de ne se faire remarquer en rien. Tout au contraire de l'occultiste, qui cherche par son altitude à paraître au-dessus des autres, le vrai disciple se dissimule de son mieux et évite d'attirer l'attention.
Certes, les mobiles de ses actions demeureront toujours incompris, et il ne pourra guère éviter d'être mal jugé, mais qu'il tâche au moins de ne pas heurter ouvertement les préjugés et les idées reçues. La plupart du temps, avec de la discrétion, de la patience, du jugement et du silence, il pourra triompher des difficultés. C'est un principe qu'il convient d'établir en soi, afin de le mettre en pratique chaque fois que cela sera nécessaire.
Cependant, il peut arriver que la loi des hommes se trouve en contradiction inévitable avec la loi divine. Alors, il n'y a pas à hésiter, et ce sera l'occasion de tenter, au moins, la réalisation des paroles de Jésus: "Celui qui aime mieux que moi sa famille, sa femme, ou ses enfants, n'est pas digne d'être mon disciple."
N'oublions jamais cet ordre, car si l'heure est très probablement encore lointaine où nous mériterons, comme les Amis de Dieu, de souffrir corporellement pour nos idées, si le temps n'est pas venu pour nous du martyre, il n'en est pas moins vrai que, dès à présent, notre fidélité pourra nous attirer bien des épreuves et des souffrances morales.
Dès aujourd'hui, notre adoration secrète pour la très sainte volonté de Dieu, notre désir éperdu de nous unir étroitement à elle et de nous plonger dans ses flots régénérateurs, notre désintéressement, qui sera jugé artificiel, des buts vers lesquels courent tous ceux qui vivent à nos côtés, notre manière de voir, absolument et radicalement différente, nous causeront, presque à coup sûr, des souffrances intérieures vives et durables.
Nous risquons fort de vivre incompris de ceux qui nous sont chers; isolés, séparés souvent des quelques amis véritables qui suivent le même chemin, obligés à un silence pénible, parfois ouvertement méprisés, et considérés souvent comme des faibles d'esprit, nous ferons lentement l'apprentissage du calice d'amertume qu'il nous faudra boire, plus tard, quand l'heure sera venue.
Ayons donc, en attendant, les yeux fixés sur nos maîtres; contemplons leurs souffrances si grandes que nous ne pouvons même les comprendre, et habituons-nous, peu à peu, à discerner tout ce qui se trouve caché sous cette phrase des Actes: "Ils sortirent du conseil joyeux d'avoir été jugés dignes de souffrir pour le Nom de Jésus."