Grégoire [Palamas] de Thessalonique.
Ce texte composite - tiré en particulier des écrits du patriarche Philothée et de Syméon Méta-phraste - met en pleine lumière le dessein des éditeurs de la Philocalie grecque, à la fin du XVIIIème siècle : signifier que l'invocation du nom de Jésus - la prière continuelle - est inhérente à l'identité chrétienne, et concerne tous les fidèles, indépendamment de leurs engagements et de leurs charges dans l'Église. Il en va du message philocalique comme de l'Évangile. Il ne saurait être réservé. Il est donné à tous.
C'est ce qu'affirme ici Grégoire de Thessalonique (Grégoire Palamas) au vieillard Job. Et c'est ce que confirment également la Vie de Constantin, le père de Grégoire, rapportée par le Patriarche Philothée, et la Vie d'Eudocime, que raconte Syméon Métaphraste.
Ainsi la prière continuelle vérifie et oriente la vocation des fidèles à recueillir l'intelligence dans l'abîme du coeur, et à unir sans confusion la vie qu'ils mènent dans le siècle et l'exigence évangélique : fermer les portes des sens et appeler dans le secret la grâce du Père des lumières. L'ouverture au monde y est aussi totale que la consécration à l'intériorité orante. Ce tout dernier texte constitue bien l' "envoi" de l'anthologie philocalique.
Citations :
Qu'on n'aille pas penser, frères chrétiens, que seuls les prêtres et les moines ont le devoir de prier continuellement, et non les laïcs. Non, non. Tous les chrétiens ont en commun le devoir de se trouver toujours en prière.
Le Patriarche de Constantinople Philothée écrit dans la Vie de saint Grégoire de Thessalonique, que celui-ci avait un ami bien-aimé nommé Job, un homme très simple, très vertueux. Un jour que le saint était en conversation avec lui, il lui parla de la prière, il lui dit que tout chrétien devait simplement toujours s'efforcer de prier, et prier continuellement, comme l'ordonne l'apôtre Paul à tous : "Priez continuellement"et comme le dit le prophète David, bien qu'il fût roi et eût tous les soucis de son royaume : "J'ai toujours le Seigneur devant moi", c'est-à-dire : par la prière, dans mon intelligence, je vois toujours le Seigneur devant moi. De même, Grégoire le Théologien enseigne à tous les chrétiens qu'il nous faut, dans la prière, nous souvenir du nom de Dieu plus souvent que nous prenons notre respiration.
Voyez-vous, frères, que tous les chrétiens, du plus petit jusqu'au plus grand, ont tous en commun le devoir de prier continuellement, de dire la prière intellectuelle "Seigneur Jésus Christ, aie pitié de moi", et d'accoutumer leur intelligence et leur coeur à la dire toujours ? Considérez-vous combien cette prière plaît à Dieu et quel avantage elle nous donne, dès lors que, dans son extrême miséricorde, il a envoyé un ange céleste pour nous le révéler, pour que nous n'ayons plus là-dessus aucun doute ?
Car cette prière intellectuelle est la vraie prière, la prière parfaite. Elle emplit l'âme de grâce divine et de charismes de l'Esprit, comme le parfum dont l'odeur, dans Ie vase, est d'autant plus forte que tu l'y as enfermé. Ainsi de la prière. Plus tu l'enfermes dans ton coeur, plus elle comble le coeur de grâce divine. Bienheureux ceux qui s'adonnent à cette oeuvre céleste. Car par elle ils surmontent toutes les tentations des démons malins, comme David a vaincu l'orgueilleux Goliath; par elle ils éteignent les désirs désordonnés de la chair, comme les trois enfants ont éteint la flamme de la fournaise; par elle ils apaisent les passions, comme Daniel calma les lions sauvages; par elle ils font descendre la rosée du Saint-Esprit dans les coeurs, comme Élie fit descendre la pluie sur le Carmel. C'est cette prière intellectuelle qui monte jusqu'au trône de Dieu, et est gardée dans des coupes d'or, d'où s'élève son parfum vers le Seigneur, comme dit Jean le Théologien dans l'Apocalypse : "Les vingt-quatre vieillards se prosternèrent devant l'Agneau avec leurs cithares et des coupes d'or pleines de parfum, qui sont les prières des saints." Cette prière intellectuelle est une lumière qui éclaire toujours l'âme de l'homme et allume son coeur aux flammes de l'amour de Dieu. Elle est une chaîne qui joint et unit Dieu et l'homme.
Ô la grâce incomparable de la prière intellectuelle ! Elle donne à l'homme d'être toujours en dialogue avec Dieu. Ô chose vraiment merveilleuse ! Tu es avec les hommes par le corps, et tu es avec Dieu par l'intelligence. Les anges n'ont pas de voix matérielle. Mais ils ne cessent de glorifier Dieu avec leur intelligence. C'est leur oeuvre. Et ils y consacrent toute leur vie. Donc toi aussi, frère, quand tu entres dans ta chambre et fermes la porte, c'est-à-dire quand ton intelligence ne se disperse pas ici et là, mais quand elle entre dans ton coeur, quand tes sens demeurent fermés et ne s'attachent pas aux choses de ce monde, quand ainsi tu pries toujours avec ton intelligence, tu es pareil aux saints anges, et ton père qui voit la prière cachée que tu lui offres dans le secret de ton coeur, te donnera en récompense de grands charismes spirituels. Mais que veux-tu d'autre et davantage qu'être toujours uni à Dieu par l'intelligence, comme nous avons dit, et continuellement t'entretenir avec lui, sans lequel, ni ici ni dans l'autre vie, nul homme jamais ne pourra être bienheureux ?
Donc, frère, qui que tu sois, quand tu prendras dans tes mains ce livre et le liras pour le bien de ton âme, je te prie, souviens-toi d'invoquer Dieu, de dire "Kyrie eleison" pour l'âme pécheresse de celui qui s'est donné la peine de composer ce livre et de celui qui l'a publié. Ils ont grand besoin de ta prière, pour que la pitié divine vienne sur leurs âmes comme sur la tienne. Ainsi soit-il !