Maxime le Confesseur.

Saint Maxime le Confesseur (Constantinople, vers 580 - Lazica (19), 662), né d'une famille byzantine noble, était, vers 610, premier secrétaire de la cour d'Héraclius Ier.
Vers 613, Maxime se fit moine dans un monastère de Chrysopolis
 (20) puis de Cyzique (21). L'invasion perse de 626 le fit se réfugier à Carthage. Il se joignit, vers 627, à la communauté des Eukrata-des (22). Il participa, à partir de 639, à la controverse monothélite et soutint la doctrine des "deux vouloirs". En 645, il affronta, sous la présidence de l'exarque Grégoire (23), l'ancien patriarche de Constantinople, Pyrrhus (24), tout à la fois monophysite et tenant du monthélisme. La conclusion de ce débat fut inattendue : Pyrrhus se convertit à l'Orthodoxie et partit pour Rome, où il fut reçu par le pape Théodore. Le pape, encouragé par saint Maxime, excommunia le nouveau patriarche de Constantino-ple. Cette rupture réduisait à néant les espoirs de Pyrrhus d'être restauré : il s'enfuit à Ravenne et réintégra la hiérarchie monothélite. Théodore l'excommunia... Pyrrhus parvint à se faire restaurer en 654, peu avant de mourir.
Simple moine, saint Maxime ne participa pas aux débats du synode de Latran, en 649, qui, sous la présidence du pape Martin Ier 
(25), cent cinq évêques condamnèrent le monothélisme. Mais il en fut l'un des inspirateurs et l'un des rédacteurs des Actes, rédigés en grec.
En 653, sur l'ordre formel de Constant II, l'exarque Théodore Kalliopas arrêta le pape Martin et l'envoya à Constantinople, où, dans une parodie de procès, il fut condamné et exilé en Crimée. Saint Maxime et deux de ses disciples furent arrêtés en même temps que le pape et transférés à Constantinople.
Leur procès eut lieu après celui du pape. Lorsque l'on demanda à saint Maxime s'il était en communion avec le patriarche, il répondit
"Je ne suis pas en communion, parce qu'ils ont rejeté les quatre saints conciles 
(26) par les neuf chapitres adoptés à Alexandrie (27), par l'Ekthesis [...], et récemment par le Typos." (28)
puis il exposa fermement
"Nul empereur n'a été capable de convaincre les Pères inspirés de conclure un accord avec les hérétiques 
(29)[...]. C'est aux prêtres qu'il revient de s'enquérir et de définir ce qui concerne le dogme de l'Église catholique [...]. Durant l'anaphore, les empereurs sont commémorés avec les laïcs." (30)
Les accusations politiques, la collusion avec l'exarque Grégoire, furent abandonnées, faute de preuve. Saint Maxime et ses disciples furent alors traduits devant le patriarche Pierre 
(31), successeur de Pyrrhus. Condamné, les trois moines furent exilés à Bizya, sur la Mer Noire, en 655. L'année suivante, pour briser sa résistance, on lui offrit le pardon, un transfert à Regium, en Calabre, et une cérémonie de réconciliation à Constantinople. Le saint refusa.
Alors il fut décidé de le rejuger. Avec ses disciples, Maxime comparu devant les évêques et les sénateurs, on le tortura, on lui arracha la langue, on lui coupa la main droite, pour s'assurer de son silence. Puis on l'exila en Lazica. Il y mourut, le 13 août 662, à plus de quatre-vingts ans, dans la sauvagerie des contreforts du Caucase...
Personne ne protesta, ni à Rome où régnait Vitalien 
(32), ni ailleurs. Les procès intentés à saint Maxime furent iniques, son martyre inacceptable pour des Chrétiens. Ces événe-ments, qui sont la honte de l'Église Orthodoxe et qui déshonorent à tout jamais le patriarche Pierre, montrent quels excès a pu engendrer l'hérésie monophysite.
L'oeuvre de Maxime comporte quelque quatre-vingt dix ouvrages majeurs. Retenons ses "Opuscula theologica et polemica ad Marinum" - "Opuscules théologique et polémi-ques" -, vers 640, ses "Ambiga", qui relèvent des "ambiguités" dans l'oeuvre de saint Grégoire de Nazianze et datent de 628 à 630, ses nombreuses "Scholia" sur l'oeuvre du pseudo-Denys et, enfin, ses "CD capita de caritate" - "Quatre cents chapitres sur l'Amour".
Paradoxalement, Maxime ne parle qu'assez peu de la prière, au moins de manière explicite, dans ce que la Philocalie a retenu de lui.


Citations des "centuries sur l'amour".-

I-10. Quand, par le désir ardent de l'amour, l'intelligence émigre vers Dieu, alors elle ne sent absolument plus aucun des êtres. Tout illuminée par la lumière infinie de Dieu, elle est insensible à tout ce qu'il a créé, de même que l'oeil ne voit plus les étoiles quand le soleil se lève.
I-11. Toutes les vertus aident l'intelligence à parvenir au désir ardent de Dieu, mais plus que toutes la prière pure. Par cette prière, s'élevant vers Dieu comme sur des ailes, l'intelligence se dégage de tous les êtres.
I-88. Quand jamais, au moment de la prière, aucune pensée du monde ne vient plus troubler l'intelligence, sache alors que tu n'es plus hors des frontières de l'impassibilité.
II-1. Celui qui véritablement aime, Dieu, celui-là aussi prie sans nullement se laisser distraire. Et celui qui prie sans nullement se laisser distraire, celui-là aussi véritablement aime Dieu. Mais il ne prie pas sans se laisser distraire, celui qui a l'intelligence attachée à quelqu'une des choses terrestres.
II-6. Il existe deux très hauts états de la prière pure. L'un est donné aux actifs, l'autre aux contemplatifs. L'un naît de la crainte de Dieu et de la bonne espérance. L'autre naît de l'éros divin et d'une extrême purification. On reconnaît la première mesure à-ces signes : quand l'intelligence se recueille hors de toutes les pensées du monde, comme si Dieu lui-même était près d'elle - et il l'est en effet-, elle prie sans se laisser distraire ni troubler. Et on reconnaît la seconde mesure à ceci : dans l'élan même de la prière, l'intelligence est ravie par la lumière infinie de Dieu, elle perd tout sentiment d'elle-même et ne sent plus du tout aucun autre être, sinon Celui-là seul qui, par l'amour, opère en elle une telle illumination. Alors, portée vers les raisons de Dieu, elle reçoit des images de lui pures et claires.
II-35. Bien des choses que font les hommes sont naturellement bonnes. Mais elles peuvent aussi ne pas être bonnes à cause de leur motif. Ainsi le jeûne, les veilles, la prière, la psalmodie, l'aumône et l'hospitalité sont naturellement des oeuvres bonnes. Mais quand elles sont faites par vanité, elles ne sont pas bonnes.
II-61. Il est dit que tel est l'état le plus haut de la prière : l'intelligence. quand elle prie, est hors de la chair et du monde, hors de toute matière et de toute forme. Celui-là donc qui maintient cet état sans faille, en vérité prie continuellement 2.
II-62. De même que le corps. quand il meurt, se sépare totalement des choses du monde, de même l'âme qui s'applique à demeurer en cet état très haut de la prière, et qui meurt, se sépare de toutes les pensées du monde. Car si elle ne meurt pas de cette mort, elle ne peut se trouver et vivre avec Dieu.
III-11. À Dieu plaisent l'amour, la chasteté, la contemplation, la prière. Mais à la chair plaisent la gourmandise, la débauche, et ce qui les fait croître. C'est pourquoi ceux qui vivent dans la chair ne peuvent plaire à Dieu. Mais ceux qui sont au Christ ont crucifié la chair avec les passions et les convoitises.
III-50. Si nous aimons vraiment Dieu, par cet amour même nous rejetons les passions. Or aimer Dieu, c'est le préférer au monde, c'est préférer l'âme à la chair, en méprisant les choses mondaines et en se consacrant toujours à Dieu par la tempérance, par l'amour, par la prière, par la psalmodie et par ce qui s'ensuit.
III-87. L'humilité est une prière continuelle dans les larmes et les peines. Ne cessant d'appeler Dieu au secours, elle ne permet à personne de se confier follement dans sa propre puissance et sa propre sagesse, ni de s'élever au-dessus des autres. Ce sont là les dures maladies de la passion d'orgueil.
III-90. Si tu as du ressentiment contre quelqu'un, prie pour lui et tu empêcheras la passion d'aller plus avant. Par la prière, tu soustrairas la tristesse au souvenir du mal qui t'a été fait. Parvenu à l'amour et à la bienveillance, tu effaceras complètement de l'âme la passion. Et si un autre a du ressentiment contre toi, fais-lui du bien, sois humble, vis avec lui en paix, et tu le délivreras de la passion.
IV-22. As-tu connu l'épreuve du fait de ton frère, et la tristesse t'a-t-elle mené à la haine ? Ne te laisse pas vaincre par la haine, mais vaincs la haine par l'amour. Voici comment tu vaincras : en priant sincèrement Dieu pour lui, en faisant droit à sa défense, ou même en l'assistant pour le justifier, en considérant que tu es toi-même responsable de ton épreuve, et en la supportant avec patience jusqu'à ce que le nuage soit passé.

Citations extraites des "centuries sur la théologie".-

V-80. Dès lors qu'il est dit que la prière du juste peut beaucoup par son action, je sais qu'elle agit selon deux modes. Elle agit selon un premier mode quand, avec les oeuvres qu'ordonne le commandement, celui qui vient à Dieu lui porte cette prière, non comme la prière inerte et inconsistante, qui sort de la langue et n'est faite que de mots et du vain bruit de la voix, mais comme la prière active, vivante, animée par les oeuvres des commandements. Car le fondement de toute prière, c'est à l'évidence l'accomplissement des commandements par les vertus, grâce auquel le juste a en lui la prière puissante qui peut tout, mise en oeuvre par les commandements. Enfin la prière agit selon l'autre mode, quand celui qui désire la prière du juste la met en oeuvre en redressant sa première vie et en assumant cette prière puissante fortifiée par sa propre bonne conduite.
V-81. La prière du juste ne sert à rien, quand celui-ci fait appel à elle plus qu'aux vertus de celui qui prend plaisir à ses fautes. Ainsi le grand Samuel, jadis, pleurait Saül coupable, mais il ne put apaiser Dieu, car il ne reçut pas, pour exaucer ses larmes, le redressement que devait opérer le coupable. C'est pourquoi Dieu, détournant son serviteur de ses larmes insensées, lui dit : "Jusqu'à quand pleureras-tu Saül ? Je l'ai rejeté pour qu'il ne règne plus sur Israël".
V-82. Le très compatissant Jérémie n'est pas non plus entendu, quand il prie pour le peuple des Juifs qui demeurait attaché à l'erreur des démons. Car il ne porte pas en lui, pour donner de la puissance à sa prière, la conversion des Juifs athées revenus de leur erreur. C'est pourquoi, le dissuadant de prier en vain, Dieu lui dit : "Ne prie pas pour ce peuple, ne demande pas pour eux la pitié, ne supplie pas, ne viens plus vers moi intercéder pour eux : car je ne t'écouterai pas".
V-83. Celui qui s'adonne au plaisir est vraiment d'une grande ignorance, pour ne pas dire vraiment fou, s'il cherche le salut par la prière des justes et s'il demande le pardon de ceux dans lesquels il se glorifie, alors que par tous ses actes il se souille délibérément. Celui qui désire la prière du juste ne doit pas permettre qu'elle devienne inerte et immobile, si toutefois il est vraiment poursuivi par la haine des démons malins. Mais il doit faire qu'elle soit active et puissante, portée par les ailes de ses propres vertus, pour qu'elle atteigne Celui qui peut accorder le pardon des fautes.
V-84. La prière du juste peut beaucoup si elle est mise en oeuvre soit par le juste qui la fait, soit par celui qui la demande au juste. Quand elle est mise en oeuvre par le juste, elle lui donne toute liberté auprès de Celui qui peut exaucer les demandes des justes. Et quand elle est mise en oeuvre par celui qui la demande au juste, elle l'éloigne de sa première peine, en le disposant à la vertu.



(19) La Lazica forme, avec l'ancienne Colchis, l'actuelle Géorgie. Sa capitale était Kutaizi (42 15 N 42 40 E), qui fut détruite par les Turcs en 1510. On ne sait pas précisément le lieu du supplice de saint Maxime.
(20) Chrysopolis, de nos jours Üsküdar, après avoir été Scutari, (41 01 N 29 01 E), sera, plus tard, le lieu d'un monastère dirigé par saint Syméon le Nouveau Théologien. C'était une dépendance de Chalcédoine.
(21) Cyzique (40 23 N 27 52 E), en grec Kuzikhnovõ - Kyzikênos -, de nos jours Balikhisar, fut, très probablement, une colonie de Milet, fondée vers ~756. Conquise par les Perses au ~VIème siècle, membre ensuite de la ligue de Délos, elle demeura fidèle à Athènes jusqu'en ~411. Cyzique fut détruire par les Arabes en 675...
(22) Eukratas était, semble-t-il, le nom de famille de Jean Moschus, l'ami de saint Sophrone.
(23) L'année suivante, Grégoire devait se révolter contre Constant II, se proclamer empereur mais être tué, dès 647, par une intrusion arabe.
(24) Pyrrhus avait succédé à Serge Ier en 638, après avoir été son collaborateur lorsqu'il n'était encore qu'abbé. Il fut l'in des rédacteurs de l'Ekthesis. Foncièrement monophysite, il fut impliqué dans les luttes dynastiques qui suivirent la mort d'Héraclius, en 641, il fut déposé et exilé en Afrique.
(25) Saint Martin Ier (Todi, ? - Cherson, 655) succéda à Théodore Ier en juillet 649. Pour résoudre la crise monothélite, il convoqua, et présida, le synode du Latran de 649 qui condamna à la fois le Monothélisme et un édit de Constance II Pogonatus, le Typos, qui interdisait tout débat sur les volontés du Christ. Il fut arrêté en septembre 654, emmené à Constantinople, jugé par la cour disciplinaire du patriarche, défroqué, publiquement dépouillé de ses ornements épiscopaux, enchaîné, humilié et exilé en Crimée en mai 655. Il y mourut, le 16 septembre 655. Il est honoré comme un confesseur.
(26) C'est-à-dire Nicée (325), Constantinople (381), Chalcédoine (451) et Constantinople (553).
(27) Il s'agit de l'union de Cyrus, en 633.
(28) Acta Maximi, PG 90; cité par Jean Meyendorff, Unité de l'Empire et divisions des Chrétiens, Cerf, Paris (1993), p. 388. Les Acta Maximi ont été rédigés par l'un des disciples de saint Maxime.
(29) C'est-à-dire les monophysites.
(30) Acta Maximi; cité par Jean Meyendorff, Unité de l'Empire et divisions des Chrétiens, Cerf, Paris (1993), pp. 388 et 389.
(31) Patriarche de Constantinople de 654 à 666 et de tendance monophysite.
(32) Vitalianus (Segni,? - Rome, 672) succéda à Eugène Ier en 657, refusa de condamner le Typos de Constant II, qui, en échange, confirma son élection papale. En 663, après le martyre et la mort de saint Maxime, Vitalien reçut royalement l'empereur qui, cependant, confisqua les bronzes romains...