Nicétas Sthêthatos.

Nicétas vécut au XIème siècle, naquit vers l'an mil et mourut vers 1080. Ce fut un mystique, un théologien et une très ardent polémiste qui tint un rôle essentiel dans la querelle opposant, au XIème siècle, l'Orthodoxie à l'Église de Rome.
Moine au monastère du Stoudion, il eut pour père spirituel sain Syméon le Nouveau Théologien dont il devint le biographe et l'apologiste. Partisan du patriarche Michel Cérulaire durant la polémique des années 1053 et 1054 qui l'opposa au légat papal, Humbert de Silva Candida au sujet du Filioque romain, de la primauté de Pierre, du célibat des prêtres et du pain azyme utilisé par Rome pour l'Eucharistie.
Nicétas fut aussi l'un des théoriciens de l'Hésychasme. La Philocalie a retenu de lui trois centuries, les "Chapitres pratiques", les "Chapitres physiques" et les "Chapitres gnostiques". Il faut comprendre ces mots dans le sens d'Évagre : ascèse du corps, ascèse de l'intelligence ou contemplation naturelle, ravissement de l'intelligence ou contemplation mystique de Dieu, le mot intelligence étant compris ici comme la double faculté de l'homme de penser le monde et de penser Dieu.
C'est évidemment dans la deuxième centurie que se rencontre le plus de "chapitres" consacrés à la prière. Bien entendu, ces "chapitres" s'adressent à des moines mais sont néanmoins un précieux enseignement pour les laïcs que nous sommes sans doute toutes et tous...

Citation de la Première Centurie.

I-43. Par les jeûnes, les veilles et les prières, par le sommeil à même la terre, les peines du corps et le retranchement des volontés, dans l'humilité de l'âme, empêchons d'agir l'esprit de l'amour des plaisirs. Soumettons-le par les larmes du repentir, menons-le dans la prison de la tempérance, immobilisons-le, empêchons-le d'agir. Nous serons alors dans les rangs de ceux qui se donnent de la peine et combattent.
I-91. La raison sait que l'ascèse a également cinq sens : la veille, l'étude, la prière, la tempérance, l'hésykhia. Celui qui les unit à ses propres sens -joignant la vue à la veille, l'ouïe à l'étude, l'odorat à la prière, le goût à la tempérance, le toucher à l'hésykhia - purifie rapidement l'intelligence de son âme, et l'affinant à travers eux, parvient à l'impassibilité et au discernement.
I-95. La grâce de l'Esprit divin fait très peur aux esprits de malice, surtout lorsqu'elle nous est donnée d'abondance ou que nous sommes purifiés par la méditation et la prière pure. N'osant pas approcher la demeure de ceux qui ainsi sont illuminés, ils essaient de les effrayer et de les troubler par les seules imaginations, par des bruits terrifiants, par des voix confuses, et de les enlever à l'oeuvre de la veille et de la prière. Mais quand les moines sont endormis à même la terre, ils n'épargnent non plus aucune fourberie. Jalousant le moindre répit de leurs peines, ils leur tendent des pièges, ils les agitent, ils enlèvent le sommeil de leurs paupières. Par de telles manoeuvres ils leur rendent la vie plus dure et pleine de douleur.

Citation de Deuxième Centurie.

II-69. Rien ne relie l'homme à Dieu comme la prière pure et immatérielle. Elle sait unir au Verbe celui qui ne cesse de prier avec l'Esprit, quand son âme est lavée par les larmes, adoucie par la saveur de la componction, éclairée par la lumière de l'Esprit.
II-70. Le grand nombre des prières psalmodiées est chose excellente, quand sont premières la constance et l'attention. Mais c'est la qualité qui féconde l'âme. C'est elle qui permet le fruit. La qualité de la psalmodie et de la prière, c'est de prier avec l'esprit et l'intelligence. Quelqu'un prie avec l'intelligence quand, priant et psalmodiant, il considère l'intelligence qui est dans la divine Écriture, et par les pensées divines reçoit dans son coeur les degrés des sens bibliques. Ravie en esprit par ces pensées, l'âme flamboie dans un espace de lumière. Purifiée toujours plus, elle s'élève toute vers les cieux et contemple la beauté des biens réservés aux saints. Le désir de ces biens la brûle. Dès lors elle exprime par les yeux le fruit de la prière. Sous l'énergie de l'Esprit, cette source de lumière, les larmes coulent. Et leur goût est si doux que parfois ceux qui les reçoivent en oublient la nourriture du corps. Tel est le fruit de la prière, qui vient de la qualité de la psalmodie, dans les âmes de ceux qui prient de ces biens la brûle. Dès lors elle exprime par les yeux le fruit de la prière. Sous l'énergie de l'Esprit, cette source de lumière, les larmes coulent. Et leur goût est si doux que parfois ceux qui les reçoivent en oublient la nourriture du corps. Tel est le fruit de la prière, qui vient de la qualité de la psalmodie, dans les âmes de ceux qui prient.
II-71. Où l'on voit le fruit de l'Esprit, là est la qualité de la prière. Et où se trouve la qualité, le grand nombre des prières psalmodiées est chose excellente. Mais si le fruit ne vient pas, la sève de la qualité manque. Et si la qualité est sèche, le grand nombre des prières est superflu. Ce peut être un exercice du corps, mais de toute manière la plupart ne trouvent là aucun gain.
II-72. Prends garde à la ruse quand tu pries et chantes les psaumes au Seigneur. Car, dérobant le sens de l'âme, les démons nous trompent en nous forçant à dire une chose pour une autre. Ils changent en blasphèmes les versets des psaumes, en nous les faisant dire comme il ne faut pas. Ou bien alors que nous commençons un psaume, ils nous en font dire la fin et détournent de l'intelligence le milieu. Ou bien ils nous font toujours répéter le même verset, ils nous plongent dans l'oubli, ils ne nous permettent pas de trouver la suite des paroles. Ou bien quand nous sommes parvenus au milieu du psaume, ils enlèvent soudain de l'intelligence toute la mémoire de l'enchaînement des versets, nous perdons le souvenir, la psalmodie ne vient pas à la bouche, nous ne pouvons pas trouver les versets ni les répéter avec la langue. Ils nous représentent aussi que l'heure est tardive, pour nous jeter dans la négligence et l'acédie et détruire en nous les fruits de la prière. Mais oppose-toi fortement, lis le psaume avec plus de lenteur, afin de récolter dans les versets par la contemplation la moisson de la prière et de t'enrichir de l'illumination du Saint-Esprit, qui naît dans les âmes de ceux qui prient.
II-73. Si une telle chose t'arrive quand tu psalmodies avec l'intelligence, ne te laisse pas, par lassitude, aller à l'acédie. Ne préfère pas non plus le confort du corps au bien de l'âme, en considérant que l'heure est tardive. Mais là où l'intelligence va être capturée, relève-toi. Si l'on arrive à la fin du psaume, remonte de tout ton coeur au commencement. Reprends là le cours du psaume, même si pendant une heure tu devais souvent rencontrer la distraction. Si tu fais cela, les démons, ne supportant pas la patience de ta persévérance et la tension de ta résolution, s'en iront de toi, emplis de honte.
II-74. Sache en toute certitude que la prière perpétuelle est celle qui, ni jour ni nuit, ne quitte jamais l'âme. Ni l'élévation des mains, ni l'attitude du corps, ni les sons de la langue ne la signalent aux regards. Mais ceux qui comprennent savent que, par la componction persévérante, elle est dans la méditation intellectuelle de l'oeuvre de l'intelligence et du souvenir de Dieu.
II-75. On peut s'attacher continuellement à la prière quand on a recueilli ses propres pensées sous la conduite de l'intelligence, dans la paix et une grande piété, creusant les profondeurs de Dieu pour chercher à y goûter l'onde très douce de la contemplation. Mais quand une telle paix manque, cela est impossible. Il faut que les puissances de l'âme soient consacrées par la connaissance, pour qu'on puisse parvenir à la prière continuelle.
II-76. Si tu chantes ta prière à Dieu et si un frère vient frapper à la porte de ta cellule, ne préfère pas l'oeuvre de la prière à l'oeuvre de l'amour, et ne néglige pas ton frère qui frappe. Ce n'est pas là aimer Dieu. Car il veut la compassion de l'amour, et non le sacrifice de la prière. Mais laisse le don de la prière, accueille le frère de tout ton amour, prends soin de lui. Alors reviens offrir au Père des esprits le don de ta prière, dans les larmes et le coeur brisé, et l'esprit de droiture sera renouvelé au-dedans de toi.
II-77. Le mystère de la prière ne s'accomplit pas dans les limites d'un temps et d'un lieu précis. Si tu assignes aux choses de la prière des heures, des moments et des lieux, le temps qui est en dehors de la prière est voué à d'autres choses, aux choses de la vanité. La prière se définit comme le mouvement perpétuel de l'intelligence autour de Dieu. Son oeuvre est de tourner l'âme vers les choses divines. Sa fin est d'unir la pensée à Dieu, de devenir un seul esprit avec lui, selon la définition et la parole de l'Apôtre.