Pierre Damascène.
Il est fort difficile de situer le bienheureux Pierre Damascène : Nicodème l'Hagiorite l'identifie à un Pierre, évêque de Damas au VIIIème siècle, mort en martyr en Arabie. Mais ses textes démentent cette identifications : Pierre cite Syméon Métaphraste, qui vécut au Xème siècle, sans pour autant faire écho à l'oeuvre de saint Syméon le Nouveau Théologien, qui vécut à cheval sur les Xème et XIème siècles. L'auteur des Livres ci-dessous aurait donc vécu au début du XIème siècle, avant que la renommée de saint Syméon ne s'étende...
La Philocalie a retenu de Pierre Damascène un Exorde et deux Livres, le second étant articulé en vingt-quatre discours neptiques. Il ouvre son Exorde par :
"Malheureux qui ai reçu de Dieu tant de grâces et n'ai jamais rien fait de bon, j'ai craint que l'inertie et la nonchalance me fasse oublier de tels dons, de tels bienfaits de Dieu et mes propres fautes, et que je ne sois même plus ouvert à mon Bienfaiteur et reconnaissant envers Lui. Aussi, pour éprouver ma pauvre âme, ai-je écrit ce mémoire, et transcrit nommé-ment les écrits des saints Pères - les vies et les sentences - que j'ai pu trouver, afin de les avoir pour me rappeler leurs paroles, ne serait-ce qu'en partie."
Qui ne souscrirait à cette déclaration ? Nous avons tous reçu tant de grâces que nous n'avons pas su, ou pas voulu, accueillir !
Pierre Damascène n'écrit pas "sur la prière", il prie devant nous et avec nous.
Citation du Livre Premier de Pierre Damascène.-
Ce livre débute par une énumération des "sept actions du corps", dont nous extrayons :
La quatrième est la psalmodie, la prière corporelle qui passe par les chants des psaumes et les génuflexions, pour que le corps s'épuise, pour, que l'âme s'humilie, que fuient nos ennemis les démons, que nous assistent les anges qui combattent avec nous, que nous sachions d'où vient le secours, et que l'ignorance ne nous mène pas à l'orgueil en nous donnant à penser que les oeuvres nous sont propres. Alors nous serions abandonnés de Dieu, pour connaître notre propre faiblesse.
La cinquième est la prière spirituelle qui vient par l'intelligence et écarte toute pensée. L'intelligence se tient à ce qu'elle dit et se prosterne devant Dieu, ineffablement brisée, Elle ne cherche qu'à faire la volonté divine dans toutes ses actions, dans toutes ses méditations. Elle ne reçoit aucune pensée, aucune forme, aucune couleur, aucune lumière, aucun feu, ni quoi que ce soit d'autre. Mais elle est sous le regard de Dieu et ne parle qu'à lui seul. Elle est elle-même hors de toute figure, de toute couleur, de toute forme. Telle est la prière pure, qui convient à celui qui est encore actif. Quant au contemplatif, il reçoit de plus grandes choses.
Première prière.-
J'ai voulu par mes larmes effacer le manuscrit de mes fautes, Seigneur, et passer à Te plaire le reste de ma vie dans le repentir. Mais l'ennemi me trompe et combat mon âme. Seigneur, avant que je sois perdu à la fin, sauve-moi.
J'ai péché contre Toi, Sauveur, comme le fils prodigue. Père, reçois-moi qui me repens. Dieu, aie pitié de moi.
Je T'appelle, Christ Sauveur, comme T'appelle le Publicain. Dieu, purifie-moi comme lui, aie pitié de moi.
Qu'en sera-t-il à la fin ? Qu'adviendra-t-il ? Hélas, malheureux, hélas, qui versera l'eau sur ma tête ? Et qui donnera à mes yeux la source des larmes ? Qui peut me rendre digne de pleurer ? Car je ne puis le faire moi-même. Venez, montagnes, couvrez-moi le misérable. Hélas, qu'ai-je à dire ? Ô que de bien Dieu m'a fait, que Lui seul connaît, et que de maux mon ingratitude a suscités ! Par mes oeuvres, mes paroles et mes pensées, j'irrite toujours le Bienfaiteur. Plus Il fait patience, plus j'ai de présomption, misérable, et je deviens plus insensible que les pierres sans âme. Cependant je ne désespère pas. Mais je reconnais Ton amour de l'homme.
Je n'ai pas acquis le repentir, ni non plus les larmes. Je Te supplie donc, Sauveur, de me faire revenir avant la fin, et de me donner le repentir. Que je sois délivré du châtiment.
Seigneur mon Dieu, ne m'abandonne pas. Car je ne suis rien devant Toi. Je suis tout entier pécheur. Où trouver le moyen de sentir mes nombreux maux ? Mais je ne fais rien. Et c'est là ma grande condamnation. Pour moi ont été créés le ciel et la terre, et pour moi les quatre éléments et ce qui est sorti d'eux, comme dit Grégoire le Théologien. Et je tairai le reste. Car je ne suis pas digne d'en parler, à cause de la multitude de mes maux. Qui peut comprendre, quand bien même lui serait donnée une intelligence angélique, les innombrables bienfaits que j'ai reçus ? Mais voici, en refusant le repentir, malheureux, je me suis voué à déchoir de tout.
Seconde prière.-
Mais qui suis-je pour oser en appeler à Toi qui connais les coeurs ? Je parle pour apprendre moi-même que je me réfugie en Toi, le port de mon salut, et pour que l'apprennent les ennemis. Car je sais par Ta grâce, parce que Tu es mon Dieu, et non parce que j'ose Te parler. Mais je voudrais n'être devant Toi qu'une intelligence vide, sourde et muette. Ce n'est pas moi, mais Ta grâce qui met tout en oeuvre. Je sais qu'en moi-même il n'est jamais rien de bon. Je suis toujours plein de vices. Mais à cause d'eux, dans ma condition de servitude, je me prosterne devant Toi. Car tu m'as donné de me repentir. Je suis Ton serviteur, le fils de Ta servante.
Mais, mon Seigneur Jésus Christ, mon Dieu, ne permets pas que je fasse, ou dise, ou pense ce que Tu ne veux pas. Tant de fautes passées me suffisent. Mais comme Tu veux, aie pitié de moi. J'ai péché. Comme Tu sais, aie pitié de moi. Je crois, Seigneur, que Tu entends ma pauvre voix. Aide mon incroyance, Toi qui, avec l'être, m'as donné d'être chrétien. "Ce m'est une grande chose, dit Jean de Carpathos, que d'être appelé moine et chrétien." Toi-même, Seigneur, l'as dit à l'un de tes serviteurs : "C'est pour toi une grande chose qu'en toi soit invoqué Mon Nom." Une telle chose est meilleure pour moi que tous les royaumes de la terre et du ciel. Mais que je puisse toujours invoquer Ton Nom très doux : "Maître plein de miséricorde, je te rends grâce", etc., comme il est écrit.