PREMIER CYCLE
 
 

TROISIÈME PARTIE

I

  Qui creuse une fosse y tombera, et la pierre retournera sur celui qui la roule.

II

  Il n'y a pas un endroit sur la terre, ni dans le ciel, ni dans la mer, ni dans les précipices de la montagne, où une mauvaise action n'apporte pas le trouble à son auteur.

III

  Prends garde de ne promettre que ce qui est juste, car ta promesse est un lien, et si tu ne l'exécutes pas, une condamnation.

IV

  Celui qui apporte le papyrus et le pinceau pour écrire un arrêt de mort est complice de cette mort; celui qui donne le bâton pour frapper est jugé comme s'il frappait.

V

  Le bien qu'on fait la veille fait le bonheur du lendemain.

VI

  Ce qu'un homme aura semé, il le moissonnera aussi. Celui qui sème pour sa chair moissonnera de la chair, la corruption; mais celui qui sème pour l'esprit moissonnera de l'esprit, la vie éternelle.

VII

  Comme la justice tend à la vie, celui qui poursuit le mal tend à sa mort.

VIII

  Quiconque commet, de propos délibéré, une mauvaise action donne des arrhes à la destruction éternelle, et ne peut prévoir d'avance où ce marché funeste le conduira.

IX

  Parce que la sentence contre les mauvaises oeuvres ne s'exécute pas immédiatement, le coeur des fils des hommes est plein d'envie de faire le mal.

X

  Chaque fois que l'homme approuve mentalement un acte ou une idée, il s'y associe et participe dès lors au jugement éternel que mérite cet acte ou cette idée.

XI

  Le sage cherche la cause de ses malheurs en lumière, mais le fou, qui s'ignore, la cherche partout ailleurs.

XII

  Plus la conception qui domine une vie est élevée, mieux cette vie revêt un sens durable. Mais tout être devient solidaire des formules qu'il adopte, et le succès dépend non seulement de son zèle mais aussi de la vie abstraite des idées qu'il incarne.

XIII

  Pour être obéi, il faut prouver sa supériorité. Un diable n'écoute que celui qu'il n'a jamais pu troubler.

XIV

  Quand une mauvaise action a été commise, il faut commettre une bonne action au moins équivalente ; celui qui a causé au prochain un dommage lui doit un avantage ; celui qui a témoigné trois fois pour l'erreur, doit témoigner sept fois pour la vérité.

XV

  Tout ce qui livre notre âme à la fatalité des vertiges est vraiment infernal, puisque le Ciel est le règne éternel de l'ordre, de l'intelligence et de la liberté.

XVI

  La liberté, c'est l'obéissance volontaire à la loi, c'est le droit de faire son devoir, et seuls les hommes raisonnables et justes sont libres.

XVII

  Celui qui estime plus l'or que la vertu perdra l'or et la vertu.

XVIII

  Dans la nature, tout se conserve par l'équilibre et se renouvelle par le mouvement. L'équilibre, c'est l'ordre; et le mouvement, c'est le progrès.

XIX

  L'homme recueillera, dans ses renaissances successives, le prix de ce qu'il aura semé. II n'est pas un acte, pas un instant de son existence actuelle qui ne prépare son sort futur. Il sera ce qu'il se sera fait lui-même.

XX

  Nous n'emportons de cette vie que la perfection que nous avons donnée à notre âme.

XXI

  Tous les éléments sont déchaînés contre nous : à peine ont ils produit notre forme corporelle qu'ils travaillent tous à la dissoudre, en rappelant continuellement à eux les principes de vie qu'ils nous ont donnés. Nous n'existons que pour nous défendre contre les assauts, et nous sommes comme des infirmes abandonnés et réduits à panser perpétuellement leurs blessures. Que sont nos édifices, nos vêtements, nos serviteurs, nos aliments, sinon autant d'indices de notre faiblesse et de notre impuissance ? Enfin il n'y a pour nos corps que deux états : le dépérissement ou la mort ; s'ils ne s'altèrent ils sont dans le néant.

XXII

  L'homme qui meurt est un astre couchant qui se lève plus radieux sur un autre hémisphère.

XXIII

  Le corps est une triste demeure pour l'âme cette maison délabrée menace toujours ruine; on voit bien que nous n'en sommes que les occupateurs à titre précaire.

XXIV

  La mort suit immédiatement la naissance et la. renaissance suit immanquablement la mort.

XXV

  Qu'est-ce que la mort ? Si on la considère en elle seule, et si par une abstraction de la pensée, on la sépare des fantômes que nous y ajoutons, il reste que c'est seulement une opération de la Nature ; et celui qui a peur d'une opération de la Nature est un enfant.

XXVI

  Ce qui rampe aujourd'hui peut voler demain.

XXVII

  Toute destruction n'est qu'une nouvelle création sur une plus vaste échelle ; toute mort n'est que du corps, non de l'âme.

XXVIII

  L'enfant qui se trouve bien dans les bras de sa mère pleure quand elle le pose à terre pour le faire marcher. C'est ainsi que nous nous plaignons dans les épreuves de la vie. Puis, quand animé et tenu en éveil par les jeux du soir, l'enfant refuse de se livrer au sommeil, sa mère qui sait mieux que lui ce qu'il lui faut, le déshabille et le pose dans son berceau malgré ses larmes. C'est ainsi que nous luttons contre la Nature dans l'appréhension de ce que nous nommons la mort. Mais quand sonne l'heure du repos, la Nature nous couche et le sommeil vient.

XXIX

  Il faut toujours considérer les choses humaines comme éphémères et sans valeur ; hier germe, aujourd'hui cadavre embaumé et cendres. Il convient donc de passer cet infini moment de la durée selon la nature et de finir sa vie avec sérénité comme une olive mûre qui tomberait, bénissant la terre qui l'a nourrie et rendant grâces à l'arbre qui l'a portée.

XXX

  Ce que l'homme appelle un mystère n'est que l'effet de son ignorance.

XXXI

  Toute notre vie n'est qu'une succession de craintes injustifiées.

XXXII

  Les systèmes qui se heurtent maintenant sont les rêves du crépuscule. Laissons-les passer. Le soleil luit et la terre poursuit sa marche : insensé celui qui douterait du jour.

XXXIII

  La vérité est comme la lumière. Il faut s'y habituer peu à peu, autrement elle éblouit.

XXXIV

  Il y a unité dans la nature depuis l'atome jusqu'à l'homme.

XXXV

  La Nature ne va pas par sauts et par bonds; elle passe d'un degré à un autre degré par des transitions insensibles.

XXXVI

  Le monde est une épreuve où l'homme doit travailler à se rapprocher de Dieu par le sentiment de l'ordre providentiel et l'amour des autres créatures.

XXXVII

  Nous devons nous rappeler quel arbitre est la Nature, quelle grandeur composée de profondeur et de tolérance est en elle. Vous prenez du froment pour le jeter dans le sein de la Terre : votre froment peut être mélangé de balle, de paille hachée, de balayures de grange, de poussière et de tous les rebuts imaginables, peu importe : vous le jetez dans la bonne et juste Terre ; elle fait pousser le froment. Tous les rebuts elle les absorbe silencieusement, les ensevelit; elle ne dit rien des rebus. Le froment jaune est là qui croît, la bonne Terre est silencieuse sur tout le reste ; elle a silencieusement tiré parti de tout le reste aussi, et elle ne fait aucune plainte à ce sujet. Ainsi en est-il partout dans la. Nature.

XXXVIII

  Il faut prendre garde au commencement et à la fin des choses. Un arbre, qu'un homme étreindrait à peine, a pour racine un cheveu fin ; une tour de neuf étages a commencé par une poignée de terre.

XXXIX

  Traiter légèrement ce qui est le principal et gravement ce qui n'est que secondaire est une méthode d'agir qu'il ne faut jamais suivre.

XL

  Il y a un temps pour naître et un temps pour mourir ; un temps pour planter et un temps pour arracher ; un temps pour tuer et un temps pour guérir; un temps pour pleurer et un temps pour rire ; un temps pour embrasser et un temps pour s'éloigner des embrassements ; un temps pour acquérir et un temps pour laisser perdre ; un temps pour se taire et un temps pour parler ; un temps pour la paix et un temps pour la guerre.