CHAPITRE LV
 
COMMENT LES BONS ET LES MAUVAIS DIVISENT LE ROYAUME DE DIEU.
DES HOMMES ET DES ANGES.
DES BONS ET MAUVAIS PRÉLATS.
 
 
    Certes les bons et les mauvais partagent le royaume de Dieu. Car tout ce que Dieu a créé constitue son royaume.

Les méchants et les pervers, dans le mépris qu'ils font de Dieu, de son service et de son culte, choisissent et embrassent les choses caduques et périssables, c'est-à-dire, les richesses et les honneurs du monde, les voluptés corporelles et la vie aussi longue que possible; et de cette manière ils tombent sous le coup des jugements de Dieu, et sont punis de l'éternelle damnation.

Les bons au contraire, méprisant le vice, le monde et tout ce qui peut les séparer de Dieu, élisent Dieu, son honneur, son amour, son culte et son service ; et sont élevés en grâce avec Dieu.

Ainsi, tous ceux qui dès les commencements du monde crurent en Dieu, l'honorèrent, l'aimèrent, se dépouillèrent pour son culte et son service et persévérèrent jusqu'à la fin, furent sauvés.

Et ceux qui tombèrent dans le vice, se relevèrent pour faire pénitence, implorèrent la grâce et la miséricorde, et moururent ainsi, furent aussi sauvés, en vertu de leur pénitence et de la grâce de Dieu.

Tandis que tous les incrédules, tous ceux qui se livrèrent au vice et à l'esprit du mal jusqu'à leur mort, tous ceux-là subissent la damnation éternelle et les vengeances de la justice de Dieu.

C'est là, l'équitable constitution, la norme ou la règle la loi de la justice de Dieu, qui a tout ordonné parfaitement et sagement, qui vit en toutes les créatures, qui régit et gouverne distinctement et séparément tout ce qui est dans la nature des choses, et qui a établi sagement et parfaitement tous les êtres pour sa gloire, et pour l'utilité et l'usage de tous les hommes.

Et tous ceux qui naissent participants de la nature humaine, Dieu leur a donné à tous pareille excellence, noblesse et liberté, afin qu'ils puissent, en faisant usage de leur volonté libre ou de leur libre arbitre, se convertir à Dieu ou se détourner de lui.

Car, la servitude forcée est celle des esclaves qui ne peuvent plaire à Dieu, obtenir et posséder son royaume comme ses fils.

Mais bien que tous les mortels, dans l'humaine nature soient nobles et libres, néanmoins depuis le commencement du monde, Dieu a donné à un grand nombre une haute dignité, l'autorité du commandement, et l'honneur au-dessus des autres mortels.

Ainsi pareillement, bien que tous les Anges soient, par nature, des esprits excellents et purs, il existe toutefois entre eux une grande différence de dignité, d'ordre, de primauté, de puissance et de domination.

Il en est qui commandent, d'autres qui obéissent. Les uns, se consument, aiment, contemplent Dieu avec extase, dans leur connaissance lucide. D'autres, nous servent ici-bas. Quelques-uns sont (les tabernacles) où Dieu réside dans la paix éternelle. D'autres préservent et gardent contre les ennemis et contre tout mal les cités, les provinces et les régions.

Mais entre eux tous règne la concorde parfaite. Et, bien que la gloire de Dieu soit commune à tous, chacun y puise cependant suivant sa mesure.

Là, c'est la joie grande et immense, la vie éternelle qui ignore la mort; et Dieu est la récompense surabondante et parfaite de tous ; et chacun néanmoins, suivant ses mérites, jouit en soi d'un bien défini et déterminé.

Là, se manifeste la connaissance, le goût, l'expérience, l'amour sempiternel qui ne peut s'attiédir. Car, combien ils aiment Dieu, cela dépasse l'intelligence et le sentiment.

Là, dis-je, la connaissance, l'amour, la possession et la jouissance de Dieu s'exercent ; mais tous les pécheurs en demeurent perpétuellement exclus.

Là enfin, on se perd, on se noie dans l'insondable abîme de la divinité ; mais si l'on peut y atteindre, nul verbe humain ne saurait l'exprimer, cela dépasse toute expression ; et celui qui, au-dessus de tout effort et de toute contrainte, demeure en paix dans le silence, est de beaucoup le plus près du mystère.

Or, être un dans l'amour avec Dieu, c'est le repos et le silence; et, au-dessus de tous les actes de vertu, vivre et mourir en Dieu et ressusciter; c'est, à mon jugement, le don le plus excellent de Dieu.

Là, en effet, les péchés sont détruits, et l'éternelle vérité est perçue divinement ; et l'on vit sans nulle inconstance et nulle fluctuation de l'éternelle charité : Que Dieu nous fasse cette grâce !

C'est assez parler de la nature angélique. La seconde nature créée par Dieu est celle des hommes, qui sont tous sortis des mêmes parents, Adam et Eve ; et la dignité, la noblesse, la liberté naturelle sont les mêmes pour tous.

Mais l'éternelle sagesse de Dieu, comme je l'ai effleuré plus haut, en choisit et en perfectionne quelques-uns de la communauté humaine, dans cette vie et non dans l'autre, afin qu'en vertu de cette élection, ils acquièrent des mérites, en passant la vie dans la charité, selon la très gracieuse volonté de Dieu.

D'autres l'emportent par la dignité de la race, comme sont les rois, les ducs, les comtes, les princes séculiers qui jouissent d'une grande autorité et d'une égale puissance.

Ceux-là, s'ils vivent bien, et s'ils administrent et gouvernent sagement le peuple soumis à leur domination, obtiennent de plus grandes récompenses que le commun des hommes; et ils jouiront d'un plus haut degré de béatitude.

Mais, s'ils mènent une vie criminelle et corrompue, s'ils gouvernent mal leurs sujets, s'ils sont les esclaves de satan, ils auront à souffrir des tourments plus terribles que les autres dans les enfers.

Quelques-uns sont choisis par Dieu lui-même, depuis le commencement du monde; et ceux-là sont souvent bons et saints.

D'autres, avec la permission et la licence de Dieu, sont choisis par les hommes, tels sont les souverains Pontifes, les Évêques, les Abbés, les Empereurs, les Princes et les Prélats ; et quelques-uns d'entre eux sont les servants de Dieu et de la vertu, et gouvernent le peuple qui leur a été confié selon la vertu et la justice : ceux-là, certes, plaisent à Dieu, et méritent la grâce et la vie éternelle. D'autres, au contraire, n'obéissent pas à Dieu, mais sont pervers et injustes, les esclaves du démon, du monde et de leur chair : ceux-là, dans quelque état ils se trouvent, sont précipités dans le tartare.

Ceux qui sont élevés aux dignités spirituelles et y sont appelés comme Aaron, sont les vrais prélats qui plaisent à Dieu. Mais ceux qui se choisissent eux-mêmes et s'ingèrent (indûment dans les charges), pour s'élever au-dessus des autres et leur commander, Dieu les repousse et les réprouve.

Notre-Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, est le souverain prince (souverain pontife) de l'Église : beaucoup de justes et de saints, en l'honneur de sa mort pour leurs péchés, lui ont offert la primauté, les honneurs, les trésors, les domaines et les héritages, toutes choses qu'il mérite éminemment; et il veut que tous ces biens soient attribués à ceux qui sont revêtus de son esprit, et dignes par leur pureté, leur sagesse, leur science de gouverner son peuple, de l'instruire par la parole, les actes, leur vie sainte; afin qu'ils marchent vers la vie éternelle.

Mais tous ceux qui achètent ou vendent le patrimoine et l'héritage du Christ, sont les sectateurs de Simon le magicien ; car ils achètent et vendent ce qui est de Dieu, ce qu'il importait de donner gratuitement à ceux qui sont aptes et habiles au service du Seigneur ; mais non aux superbes, aux envieux, aux avares, aux gourmands, aux impudiques, à ceux qui vivent manifestement dans le péché mortel ; puisque tous ceux-là sont indignes de posséder et de consommer l'héritage du Christ.

Ils n'entrent pas par la porte de la vie de Notre Seigneur Jésus-Christ, mais ils sapent le mur de la loi évangélique et de la loi de vie de Jésus-Christ (Jean. 10.) ; et c'est par escalade qu'ils pénètrent dans la bergerie, c'est-à-dire par la force et la violence, par les commandements armés, par les dons et les présents, par la sainteté simulée et hypocrite : Ceux-là, certes, ne sont ni des brebis, ni des pasteurs ; mais des loups rapaces, des voleurs et des larrons.

Car ils tuent et ils volent, trompent et perdent leurs sujets (Rom. 13.), et procurent à un grand nombre l'occasion et la semence du péché, bien qu'eux-mêmes l'ignorent ( Jac. 1.).

Toute puissance ordonnée vient en effet d'en haut, du Père des lumières, qui a choisi de toute éternité le suprême pontife, le Seigneur JésusChrist, et lui a donné la puissance au-dessus de toutes les créatures, dans le ciel et sur la terre, lui a confié son peuple séparé et dispersé par le péché, du premier jusqu'au dernier homme, afin qu'il les rassemble avec lui et qu'il les entraîne dans sa gloire (Matt. 28.).

Et il lui a donné la plénitude de toute grâce, lui a déterminé l'ordre et la loi par laquelle il devait souffrir la mort, pour le salut de son peuple et de tout l'univers.

(Phil. 2.) Toutes ces prescriptions le Seigneur Jésus les a exécutées, selon la gracieuse volonté de son Père ; et pour cette cause, il lui a été donné un nom, qui est au-dessus de tout nom, car il est mort pour l'universalité autant qu'il est en lui, pour tous indistinctement sans en excepter aucun ; et tous ses disciples, conformant leur conduite à la sienne et l'imitant dans ses vertus, il a payé par sa mort la vie éternelle ; et par cette même mort sacrée il a fondé et établi la sainte Eglise ; et il distribue sa grâce et sa gloire à tous ceux qui le servent dans la sainte foi catholique.

Pour l'honneur de cette mort, sa gloire et sa dignité, il a permis que beaucoup de justes et de saints donnassent des biens, des domaines, des héritages, des dignités à ceux que le Seigneur Dieu choisissait pour son culte et son service.

(Matth. 10.) Aux premiers temps de la sainte église, le Christ a choisi douze apôtres (Luc. 10.), en toute la terre, et quelques disciples auxquels il a légué son esprit et sa puissance sur son peuple, dans tout l'univers.

Et, on ne peut douter que cet esprit et cette puissance demeurent aux successeurs de ses disciples, dans la Sainte Église catholique, jusqu'au dernier jour.

Et cependant, ceux qu'il choisit lui-même pour disciples, ne furent pas tous bons et saints.

Car Judas, qui fut un des apôtres, était voleur et larron et semblable au démon. Bien qu'il eût été élu, cependant lui-même ne choisit pas le Maître (qui l'avait élu) ; mais vaincu par l'avarice, il méprisa ce même Maître le Seigneur Jésus-Christ; et il le livra aux Juifs impies et furieux pour subir la mort (Matt. 26.).

Et bien que, extérieurement, il fut semblable aux autres apôtres, il était toutefois, intérieurement, le disciple de Satan ; et il fut traître et infidèle.

De même, aujourd'hui, l'Église est divisée en deux camps, celui des bons et celui des mauvais; mais il semble bien que les disciples de Satan soient bien plus nombreux que ceux du Christ.
 
 

CHAPITRE LVI

COMPARAISON DES PRÉLATS DE L'ÉGLISE DES TEMPS NOUVEAUX
AVEC CEUX QUI GOUVERNÈRENT LA PRIMITIVE ÉGLISE.
 
 
Certes, la religion fondée et constituée par le Christ et ses disciples, est sans cesse minée et renversée par Satan et ses adeptes.

Le Christ, en vérité, et ses Apôtres étaient dénués des richesses et des biens temporels ; mais ils étaient riches en vertus célestes (trésors spirituels).

Quant aux prélats et aux prêtres, qui dirigent aujourd'hui l'Église, ils sont riches des choses terrestres, mais bien pauvres et bien dépouillés des vertus ; ce que je dis toutefois pour la paix de tous les bons prélats et des saints prêtres qui sont, je n'en doute point, très nombreux.

Mais on peut remarquer, que dans ce collège des douze apôtres il n'y eut qu'un hypocrite et un parjure, qui sut feindre et simuler au dehors la sainteté, mais qui fut pervers au dedans.

Et maintenant, entre cent prélats et prêtres qui régissent la Sainte Église et vivent du patrimoine du Christ, acquis par son sang, à peine en trouverez-vous un qui par sa vie intérieure et extérieure suit et imite le Christ, comme le firent les Apôtres.

Le Christ, en effet, et ses disciples, au commencement de la Sainte Église, fondèrent et instituèrent la vie sainte et la vraie religion ; car ils étaient pleins de grâce ; et méprisant les biens caducs et éphémères, ils découvraient les éternels.

Mais la plus grande partie de ceux par qui, aujourd'hui, l'Église est gouvernée, paraissent être les disciples de Judas.

Ils sont, en effet, privés de la grâce et des vertus ; car ils se passionnent pour les choses qui passent, et méprisent les éternelles

Ce qui est assez démontré sur toute la terre par les faits. Car on peut remarquer aujourd'hui plus de publicains, qui mènent manifestement une vie mauvaise, que de pharisiens.

Le Christ, sans que nous le méritions, s'est donné et demeure à nous dans l'adorable Sacrement; et il nous a transmis également la souffrance, la mort, sa grâce, ses dons et ses sacrements ; et toute sa puissance en tant que Dieu et homme.

Mais il a ordonné à ses disciples, d'administrer et de dispenser à tous les hommes, quels qu'ils soient, par esprit de charité, sans nulle redevance ni rétribution, les sacrements et tous les biens spirituels qui en sont la suite divine : Ce que, certes, au commencement, ont fait les apôtres et tous les saints prêtres ; ce que font aujourd'hui tous ceux qui imitent le Christ et ses disciples, ceux qui conforment leur conduite à cette règle de vie enseignée par le Christ, prescrite par la loi des Saints Évangiles et de la religion Chrétienne.

Or, les sectateurs de Judas, qui gouvernent aujourd'hui l'Église et en possèdent le domaine (l'héritage), sont avares, envieux, tenaces, et prostituent auprès d'eux tous les biens spirituels; et s'il était possible, s'ils en avaient la faculté, ils partageraient le Christ et sa grâce et la vie éternelle aux pécheurs, en échange de leur or.

(Matt. 26 et 27. ) Car ils ne sont nullement dissemblables de leur maître (Judas) qui, pour de l'argent, vendit aux Juifs impies la vie de Jésus ; et peu après se pendit, pour tomber dans les flammes éternelles et les supplices des enfers.

Ce qui arrive aujourd'hui pareillement à tous ceux qui, pour un gain temporel, abandonnent le Christ, ne font aucun cas de sa vie et de sa grâce, qu'ils éteignent et tuent en eux-mêmes ; car ils sont méprisés et repoussés de Dieu, et demeurent exposés à la mort éternelle des enfers.

Et bien qu'ils vendent aux pécheurs la sainte absolution, la sentence d'excommunication et les choses temporaires : ils ne peuvent vendre cependant les biens éternels, à savoir la grâce de Dieu et les dons multiples qui sont cachés dans les sacrements, qui ne peuvent être ni achetés ni vendus; mais sont conférés par le Christ à ceux qui en sont dignes.

On rencontre certes, encore aujourd'hui, dans la Sainte Église, de vrais pasteurs élus et envoyés par le Christ, et préposés à tout son peuple, aux bons comme aux mauvais à ceux-là il donne son esprit, sa sagesse, sa puissance, qui sont les clefs du ciel, que le Christ a données à Saint-Pierre et aux autres apôtres (Matt. 16.), ainsi qu'à leurs successeurs, par lesquels l'Église est et sera administrée et gouvernée jusqu'au dernier jour.

Ceux-là, par les mains du Christ et en son nom, ouvrent le ciel aux âmes pures, et aussi aux pécheurs qui confessent leurs péchés avec foi et contrition et sans simulation; et demandent à la divine miséricorde la grâce et le pardon.

Car ceux qui se repentent de la sorte ne peuvent être trompés.

Et parce que le Christ est le souverain prêtre, puissant dans le ciel et sur la terre, qu'il ouvre et qu'il ferme, et que sans lui nul prêtre n'a de puissance : pour ce motif quand même les prêtres eux-mêmes seraient esclaves du péché mortel et sujets aux peines de l'enfer, ils ne peuvent cependant contaminer les Sacrements; mais en la personne du Christ, en vertu de la puissance de Dieu, il leur reste le pouvoir de lier et de délier, bien qu'eux-mêmes soient indignes : le Christ, pour ce qui regarde l'administration des sacrements, lègue sa puissance aux bons comme aux mauvais, ordonnés d'en haut, à ceux mêmes qui sont proposés à la garde du peuple de Dieu.

Car la Sainte Église Catholique ne peut errer; et les innocents se tromper et se perdre par la malice et l'improbité des ministres.

Mais, pour que l'on puisse mieux préserver son âme pour la vie éternelle, il faut remarquer cette différence des pasteurs que le Christ a choisis et a préposés à la garde de son peuple, avec ceux qui ne sont pas pasteurs mais mercenaires, qui dans la Sainte Église ne considèrent qu'eux-mêmes, n'ambitionnent et ne désirent que les biens et la juridiction, pour gouverner le peuple de Dieu; non toutefois pour les condamner, mais pour ne pas les imiter dans le mal.

FIN DU DEUXIÈME VOLUME

DE LA VRAIE CONTEMPLATION.