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L'ORNEMENT DES NOCES SPIRITUELLES

LIVRE II

CHAPITRE XXI.

D'UNE COMPARAISON QUI FERA COMPRENDRE
COMMENT IL FAUT SE COMPORTER EN CET ÉTAT.

     Voici une humble comparaison qui vous mettra en garde contre l'erreur et vous enseignera une conduite prudente en cet état. Regardez donc l'abeille toute sage et faites comme elle ; l'unité est sa demeure, dans le groupement de ses pareilles, et si elle sort, elle évite la tempête, préférant le temps calme et serein, alors que le soleil est brillant ; et elle s'en va de fleur en fleur, partout où elle peut trouver son doux miel. Mais elle ne se repose sur aucune, ne s'arrêtant à nulle beauté ni douceur. Elle butine le miel et la cire, c'est-à-dire ce qui est doux et ce qui donnera clarté, et elle s'en retourne à son unité rassemblée, afin que son labeur soit fructueux. Le cœur, éclos aux rayons du soleil éternel, qui est le Christ, croît sous son influence, fleurit, et distille, avec toutes les puissances intérieures, la joie et la douceur.

     Or l'homme sage fera comme l'abeille : il ira se poser avec attention, intelligence et discernement sur tous les dons et les douceurs qu'il goûte, et sur tout le bien qu'il a reçu de Dieu ; et, avec le dard de la charité et de l'attention intime, il doit goûter en passant la diversité des biens et des consolations. Mais il ne se reposera sur aucune fleur de ces dons, et tout chargé d'actions de grâces et de louanges, il reviendra vers l'unité, où il désire se reposer et habiter avec Dieu pour l'éternité.

     Tel est le second mode des exercices intérieurs, qui décore la partie inférieure de l'homme en maintes façons.


CHAPITRE XXII.

DU TROISIÈME MODE DE LA VENUE SPIRITUELLE DU CHRIST.

     Lorsque le soleil atteint au ciel son plus haut point, il entre dans le signe du Cancer, autrement dit de l'écrevisse ; car ne pouvant s'élever plus haut, il commence à rétrograder. C'est alors que la chaleur est la plus forte de toute l'année ; et le soleil aspirant l'humidité de la terre, celle-ci devient très sèche et les fruits gagnent en maturité.

     De même lorsque le Christ, le soleil divin, monte au plus haut de notre cœur, c'est-à-dire au-dessus de tous dons, consolation ou douceur que nous pouvons recevoir de lui ; lorsque nous ne cherchons plus de repos en aucun goût produit par Dieu en notre âme, quelque fort qu'il soit, et que maîtres de nous-mêmes, nous rentrons sans cesse, comme il a été dit, avec d'humbles louanges et de sincères actions de grâces, en le fond même d'où tous les dons s'écoulent dans les créatures suivant leurs besoins et leur dignité ; alors le Christ se tient élevé au plus haut de notre cœur et il veut tirer à lui toutes choses, c'est-à-dire toutes nos puissances. Lors donc que le cœur aimant ne peut plus se laisser vaincre ni entraver par goût ni consolation quelconque, mais qu'il veut dépasser toute douceur et tout don pour rencontrer celui qu'il aime ; alors naît le troisième mode de vie intérieure, où l'homme est élevé et paré selon la partie sensible et inférieure de lui-même.

     Or, en ce mode, la première œuvre du Christ est de faire monter vers le ciel le cœur, le désir et toutes les puissances de l'âme, et d'appeler à l'union avec lui. Aussi dit-il spirituellement dans le cœur : « Sortez de vous-même pour venir vers moi, suivant l'attrait et l'invitation qui vous sont offerts. » Cet attrait et cette invitation, je ne puis guère les expliquer aux gens vulgaires et sans délicatesse : mais c'est un appel et une invitation adressés à l'intime du cœur vers la haute unité de Dieu. Cet appel intime est plus doux au cœur aimant que tout ce qu'il a pu goûter auparavant, et il fait naître un mode nouveau et un exercice plus élevé (1).

     Alors le cœur s'épanouit de joie et de désir, toutes les veines se dilatent, chacune des puissances de l'âme se sent prête et veut répondre à ce qui est exigé par Dieu et par l'union avec lui. Cette invitation est comme une irradiation du soleil éternel, qui est le Christ ; elle donne au cœur si grands délices et joie, et le fait si largement s'épanouir qu'il se peut difficilement fermer. L'homme en est blessé au cœur et ressent une plaie d'amour. Or être blessé d'amour, c'est le sentiment le plus doux et aussi la peine la plus cuisante que l'on puisse porter. Mais être blessé d'amour c'est un signe certain que l'on guérira. La blessure spirituelle donne joie et douleur à la fois. Et dans ce cœur à la blessure béante, le Christ, soleil de vérité, verse à nouveau et répand sa lumière, et il réclame toujours que l'on s'unisse à lui. C'est pourquoi la blessure et les plaies se renouvellent.


CHAPITRE XXIII

DE LA LANGUEUR ET E L'IMPATIENCE D'AMOUR (2).


     Lorsque le Christ a fait entendre son appel intime et son invitation, et que la créature se levant se montre prête à donner tout ce qu'elle peut, sans cependant pouvoir atteindre ni obtenir l'unité avec Dieu, cela lui cause une langueur spirituelle. Le plus intime du cœur et la source même de la vie sont blessés d'amour, et d'autre part l'on se sent incapable d'obtenir ce que l'on désire par dessus tout, et il faut demeurer toujours là où on ne voudrait pas : telle est la double cause de cette langueur. Le Christ alors s'est élevé à la cime du cœur, et de là il projette ses rayons divins sur ce cœur affamé de désirs. Sous cette ardeur brûlante, toute humidité, c'est-à-dire toute puissance et énergie naturelle, se dessèche et se consume.

     Le cœur qui est toujours ouvert et plein de désirs, et d'autre part le soleil divin qui darde sur lui ses rayons sont cause d'une langueur qui ne cesse pas.

     Quand on ne peut atteindre Dieu et que pourtant l'on ne peut ni ne veut se passer de lui, cela fait naître en quelques-uns une ardeur spirituelle, et une impatience intérieure et extérieure. Tant que l'homme sent cette ardeur, nulle créature au ciel ou sur la terre n'est capable de lui donner repos ni satisfaction quelconque. Parfois, en cet état, l'on perçoit à l'intérieur des paroles fort élevées et utiles qui transpercent, un enseignement merveilleux et une sagesse singulière. L'ardeur intime rend prêt à tout souffrir, afin d'obtenir ce que l'on aime ; et cette ardeur d'amour est une impatience intérieure qui entend difficilement raison, tant qu'elle n'a pas atteint l'objet aimé. L'ardeur intime ronge le cœur de l'homme et boit son sang ; car ici la chaleur sensible d'amour est la plus grande que puisse éprouver une vie d'homme. La nature corporelle en est secrètement blessée, et elle s'use sans travail extérieur. Mais aussi le fruit des vertus mûrit et se hâte plus que dans tous les autres modes décrits jusqu'ici.

     Dans la saison de l'année dont nous avons parlé, le soleil pénètre dans le Lion, c'est-à-dire dans ce signe qui porte le nom du roi des animaux, au naturel violent. De même quand l'homme vient en cet état, le Christ, soleil de clarté, se tient aussi dans le signe du Lion, car la chaleur brûlante de ses rayons est si grande que celui qui en est atteint sent son cœur bouillonner. Tant que dure ce genre d'ardeur, il maîtrise et bouleverse tout autre mode de vie intérieure, car il veut être sans mode ni manière (3). Il arrive parfois que l'homme qui en est saisi tombe dans une sorte de langueur et de désir impatient d'être délivré de la prison de son corps, afin de pouvoir s'unir à celui qu'il aime. Levant les yeux de son âme, il aperçoit les parvis célestes, remplis de gloire et d'allégresse, son bien-aimé couronné et répandant en ses saints ses largesses infinies, tandis que lui-même en est privé. Alors souvent jaillissent les larmes et s'élèvent les désirs enflammés. Ramenant ensuite ses regards ici-bas, le pauvre homme voit l'exil où il est prisonnier sans pouvoir s'échapper, et il pleure de langueur et d'impatience. Mais ces larmes que fait couler la nature pacifient et rafraîchissent l'âme, en même temps qu'elles sont utiles au corps pour lui conserver force et énergie et l'aider à traverser le temps d'ardeur dont nous avons parlé. Il est bon aussi pour ceux qui sont en cet état de multiplier les considérations et de s'adonner à des pratiques définies, afin qu'ils puissent conserver leurs forces et mener longtemps une vie vertueuse.


CHAPITRE XXIV.

DES RAVISSEMENTS ET DES RÉVÉLATIONS DE DIEU (4).

     Sous l'action de l'ardeur et de l'impatience d'amour, il arrive parfois que certains soient emportés en esprit au-dessus des sens. Ils entendent alors des paroles, ou bien ils voient en images et en représentations certaines vérités utiles à eux-mêmes ou aux autres, ou encore des choses futures. Cela s'appelle révélations ou visions. S'il s'agit d'images sensibles, elles sont reçues dans l'imagination ; et ce peut être l'ouvre d'un ange, agissant par la vertu de Dieu. S'il s'agit de vérités intellectuelles ou de représentations spirituelles, sous lesquelles Dieu se révèle de quelque façon, elles sont perçues par l'intelligence et on peut les exprimer en paroles, autant que les mots y peuvent suffire.

     Mais parfois aussi l'homme peut être entraîné au-dessus de soi-même et au-dessus de l'esprit, quoique non absolument hors de soi, jusqu'en un bien incompréhensible, qu'il est toujours incapable de décrire ou d'expliquer, tel qu'il l'a vu et entendu, car voir et entendre c'est tout un en cette opération et cette vue simples. Or cela, nul ne peut le faire naître en l'homme que Dieu seul, sans l'intermédiaire ou la coopération d'aucune créature ; et on l'appelle ravissement, ce qui veut dire que l'on est saisi, enlevé ou transporté.

     Parfois Dieu suscite dans l'esprit une rapide fulguration, quelque chose comme un éclair dans le ciel. C'est un court jet de lumière, d'une éblouissante clarté, qui jaillit de la nudité simple. En un clin d'œil l'esprit est élevé au-dessus de lui-même, et aussitôt la lumière n'est plus, et l'homme revient à soi. C'est là une œuvre de Dieu lui-même et quelque chose de très noble, car ceux qui en sont l'objet deviennent souvent des hommes éclairés.

     Ceux qui sont saisis de l'ardeur d'amour la ressentent parfois d'une autre manière, car en eux brille une certaine lumière que Dieu produit par intermédiaire ; et sous cette influence, le cœur et a puissance affective vont à la rencontre de la lumière, et quand se fait cette rencontre, l'avidité et la jouissance sont si grandes que le cœur ne les peut supporter, mais éclate en accents impétueux ; et cela s'appelle jubiler ou jubilation, c'est-à-dire une joie que l'on ne peut exprimer par des mots. L'on est d'ailleurs incapable de la contenir, et dès que l'on rencontre la lumière avec un cœur qui s'élève vers elle et s'ouvre largement, la voix doit nécessairement suivre, aussi longtemps que durent cet état et ce genre de lumière. Certains hommes intérieurs reçoivent parfois de leur ange gardien ou d'autres anges, par voie de songes, maints enseignements utiles.

     Mais il se rencontre aussi des gens qui abondent en inspirations soudaines, en paroles intérieures, en hautes pensées, tout en demeurant enchaînés dans les sens à l'extérieur, et ils rêvent grande merveille ; mais ils ne savent rien de l'ardeur amoureuse, car ils sont répandus sur mille choses et n'ont point ressenti la blessure d'amour. Ces effets peuvent d'ailleurs venir aussi bien du démon que du bon ange. Aussi ne peut-on y ajouter foi que dans la mesure où ils s'accordent avec la Sainte Écriture et la vérité, mais pas davantage, car autrement on tomberait facilement dans l'erreur.


CHAPITRE XXV.

DE CE QUI PEUT NUIRE A CEUX QUI S'APPLIQUENT
AU TROISIÈME MODE.

     Je veux maintenant vous exposer ce qui peut être nuisible et dommageable à ceux qui vivent dans l'ardeur d'amour.

     Il est un temps de l'année, comme nous l'avons dit, où le soleil avance dans le signe du Lion, et c'est le plus malsain qui soit, encore qu'il fasse porter des fruits. Alors en effet commencent les jours de la canicule qui apportent avec eux beaucoup de maux. La chaleur y est si forte et si anormale qu'en plusieurs lieux les plantes et les arbres se dessèchent, les poissons dans l'eau languissent et meurent, et parfois les hommes eux-mêmes en deviennent malades et périssent. La cause n'en est point d'ailleurs seulement au soleil, car les mêmes effets devraient se produire partout et pour tous. Mais cela tient aussi à une disposition morbide des corps sur lesquels le soleil exerce son influence.

     De même, lorsque l'homme vient à cet état d'impatience que nous avons décrit, il entre vraiment dans la canicule. L'éclat des rayons divins se répand d'en-haut avec une ardeur si brûlante, et le cœur blessé d'amour est si embrasé à l'intérieur, lorsque grandissent les affections ardentes et les désirs impatients, que l'homme tombe dans une agitation et une souffrance comparables à celles d'une femme en travail et qui ne peut guérir.

     L'homme veut-il alors porter sans cesse son regard vers son propre cœur blessé et vers l'objet aimé, le mal ne peut qu'augmenter toujours. Il se prolonge même à un tel point que l'homme finit par se dessécher dans son corps, comme l'arbre des pays trop chauds, et il meurt en ardeur d'amour et s'en va en paradis sans purgatoire. C'est bien mourir que de mourir d'amour ; cependant tant qu'un arbre peut porter de bons fruits, on ne doit ni le couper, ni l'arracher.

     Parfois Dieu s'écoule en grande douceur dans le cœur ardent d'amour, qui nage alors dans les délices comme le poisson dans l'eau, tandis que dans son fond le plus intime il brûle d'ardeur et de charité, à cause de cette délicieuse immersion dans les dons divins et de la chaleur bienheureuse et impatiente que lui cause la brûlure d'amour. Et si l'on s'y attarde longtemps, les forces corporelles y périssent. Tous ceux qui sont en cette ardeur ne peuvent qu'y languir ; mais tous ne meurent point, pourvu qu'ils puissent s'y bien gouverner.


CHAPITRE XXVI.

D'UN AUTRE DANGER.

     Je veux encore vous mettre en garde contre un autre danger, d'où pourrait vous venir grand dommage. Au temps de la grande chaleur, il tombe parfois une certaine rosée de miel de fausse douceur, qui tache le fruit ou même le gâte complètement ; et cela arrive surtout au milieu du jour, quand le soleil est dans tout son éclat ; et ce sont de grosses gouttes qui se distinguent à peine de la pluie.

     De même peut-il se rencontrer des hommes, qu'une certaine lumière causée par le démon met hors de sens. Cette lumière les enveloppe et les environne ; de nombreuses images mensongères ou vraies leur sont montrées, et ils entendent beaucoup de paroles, le tout leur causant grande satisfaction. Alors parfois s'écoulent comme des gouttes de miel d'une fausse douceur, où ils se complaisent. Consentons à les estimer, elles viennent en abondance, et l'on en est facilement souillé. Car si l'on veut tenir pour vrai ce qui n'est que mensonge, parce qu'on l'a vu ou entendu, on tombe dans l'erreur, et le fruit des vertus se gâte. Mais ceux qui ont suivi le chemin décrit plus haut, et qui seraient tentés par cet esprit et cette fausse lumière, les reconnaîtront facilement, et cela ne pourra leur nuire.


CHAPITRE XXVII.

DE LA COMPARAISON DES FOURMIS.

     Je vais proposer à ceux qui vivent dans l'ardeur d'amour un petit exemple, afin qu'ils se comportent en cet état d'une façon sage et convenable, et qu'ils parviennent ensuite à de plus hautes vertus.

     Il y a un petit insecte qu'on appelle fourmi, qui est doué de force et de prudence, et qui a la vie très dure. Il habite volontiers en société de ses semblables, dans les terres chaudes et sèches. Or la fourmi travaille durant l'été, amassant de la nourriture et des grains pour l'hiver, et elle fend ces grains en deux, afin qu'ils ne se perdent ni ne se gâtent et qu'elle puisse s'en servir quand on ne trouve plus autre chose. Elle ne suit pas de routes diverses, mais elle va toujours par le même chemin, et quand elle attend le laps voulu, elle devient capable de voler.

     Ainsi devront agir les hommes dont nous parlons : ils seront forts dans l'attente de la venue du Christ et prudents vis-à-vis des mirages et des paroles du démon. Ils ne choisiront pas de mourir, mais plutôt de procurer toujours la gloire de Dieu et d'acquérir pour eux-mêmes de nouvelles vertus. Ils habiteront dans l'unité rassemblée de leur cœur et de leurs puissances, obéissant à l'exigence et à l'appel de l'union avec Dieu. Leur demeure sera la terre chaude et sèche de l'impétueuse ardeur d'amour et de la grande impatience. C'est durant l'été du temps présent qu'ils devront exercer leur labeur et amasser les fruits des vertus, dont ils feront deux parts l'une qui consiste à désirer sans cesse la haute unité de jouissance ; l'autre qui doit les aider à se dominer eux-mêmes par la raison autant qu'ils pourront, attendant le temps que Dieu leur a préparé pour cela : ainsi le fruit des vertus peut-il être gardé pour l'éternité. Ils ne suivront pas de chemins détournés et n'auront point de manières singulières ; mais, à travers toutes les tempêtes, ils garderont la voie de l'amour, allant où cet amour les mène. Lorsqu'on sait attendre le temps voulu et persévérer dans toutes les vertus, l'on peut arriver à contempler, et l'on s'envole jusque dans les secrets divins.

CHAPITRE XXVIII.


DU QUATRIÈME MODE DE LA VENUE DU CHRIST (5).

     Il nous faut parler maintenant du quatrième mode de la venue du Christ, qui élève l'homme et le perfectionne dans la pratique de la vie intérieure, selon la partie inférieure de lui-même. Et comme nous avons déjà comparé les divers modes de venue intérieure à l'éclat du soleil et à son efficacité, selon le cours de l'année, nous poursuivrons le même exemple et montrerons comment le soleil progresse et produit ses effets, à mesure que s'écoulent les saisons.

     Lorsqu'il commence à descendre notablement du sommet de sa course vers son déclin, il entre dans un signe qu'on appelle la Vierge, parce qu'alors la saison, comme une vierge, ne donne pas de fruit. C'est en ce temps de l'année qu'est montée au ciel la glorieuse Vierge Marie, Mère du Christ, pleine de joie et riche de toutes vertus. C'est aussi la saison où la chaleur commence à diminuer ; et l'on a coutume alors de récolter, en vue d'une longue année, les fruits mûrs et qui peuvent se conserver, tels que les grains, le raisin et d'autres fruits durables, qui ont atteint leur maturité, et dont on pourra se servir et se nourrir longtemps. Puis avec les grains l'on fait des semences, qui doivent se multiplier pour l'utilité des hommes. C'est alors que s'achève et se consomme tout le travail du soleil au cours de l'année.

     De même, lorsque le soleil de gloire, qui est le Christ, après être monté dans le cœur jusqu'au sommet, ainsi que je l'ai enseigné à propos du troisième mode, commence à descendre, en retirant ses rayons divins et en laissant l'homme à lui-même, l'ardeur et l'impatience d'amour commencent aussi à diminuer. Or cette disposition du Christ à se cacher et à retirer l'éclat de sa lumière et de sa chaleur constitue la première œuvre du mode qui nous occupe et une nouvelle venue. Le Christ s'y fait entendre de nouveau et dit : « Sortez selon la manière que je vous montre maintenant. » À cet appel, l'homme sort et se trouve pauvre, misérable et délaissé. Toute tempête, en effet, ardeur et impatience d'amour se sont refroidies ; à l'été brûlant a succédé l'automne, et toutes les richesses sont changées en grande pauvreté. Aussi cet homme se met-il à se plaindre et à s'apitoyer sur lui-même : où sont désormais la chaleur d'amour, l'esprit intérieur, l'action de grâces, la louange pleine d'allégresse ? Comment la consolation intérieure, la vie intime et la suavité sensible lui ont-elles été enlevées ? Et la violente ardeur d'amour, et tous les dons qu'il goûtait, tout cela est-il donc mort pour lui ? En cet état il ressemble à quelqu'un qui aurait tout désappris et qui aurait perdu son savoir et le fruit de ses peines. La nature s'émeut souvent et s'attriste d'une telle perte.

     Parfois ces pauvres gens perdent en outre leurs biens terrestres, leurs amis et leurs proches, et ils sont comme délaissés de toutes les créatures. L'on ne trouve et l'on n'estime plus rien de saint en eux ; toutes leurs actions et toute leur vie sont prises en mauvaise part, et ils deviennent objets de mépris et de répulsion pour tous ceux qui les approchent. Puis ce sont des misères et des maladies sans nombre, ou encore des tentations dans le corps, ou, ce qui dépasse tout, dans l'esprit.

     De ce dénuement naît la crainte de chute, en même temps qu'une demi-défiance. C'est le point extrême où l'on puisse se tenir hors du désespoir. Et dans cette affliction, l'homme recherche volontiers la société des bons, se plaignant à eux et leur exposant sa misère, et il souhaite grandement l'aide et la prière de la sainte Église et de tous les hommes vertueux.


CHAPITRE XXIX.

COMMENT DOIT AGIR L'HOMME DANS SON DÉLAISSEMENT.


     À ce point, l'homme confessera dans l'humilité de son cœur que de lui-même il n'est qu'indigence : et il dira avec patience et abandon le mot du saint homme Job : « Dieu a donné, Dieu a repris : il a été fait selon le bon plaisir du Seigneur : que le nom du Seigneur soit béni (6) ! »

     Ainsi cet homme s'abandonnera-t-il en toutes choses, disant et pensant en son cœur : « Seigneur, je veux tout aussi volontiers être pauvre de tout ce dont j'ai été dépouillé, qu'être riche, si vous le voulez et si cela va à votre gloire. Seigneur, ce n'est point ma volonté selon la nature, mais votre volonté et ma volonté selon l'esprit qui doivent s'accomplir (7), Seigneur, parce que je suis vôtre, et que, s'il s'agissait de votre honneur, j'irais aussi volontiers en enfer qu'au ciel, faites avec moi ce qui vous procure de la gloire. » De cette manière il transformera toutes souffrances et tout délaissement en joie intérieure, se remettant lui-même entre les mains de Dieu et se réjouissant de pouvoir souffrir quelque chose pour son honneur. S'il se comporte bien en cet état de vie, jamais il n'aura goûté joie plus intime, car rien n'est plus doux pour celui qui aime Dieu que de se sentir la chose propre de son bien-aimé. Alors même qu'il n'aurait pas expérimenté tout ce qui a été décrit jusqu'ici, s'il s'est élevé tout droit dans la voie des vertus jusqu'au mode qui nous occupe, cela suffit, pourvu qu'il sente en lui-même ce fonds vertueux qui consiste à pratiquer humblement l'obéissance et à porter patiemment le délaissement. Avec ces deux choses l'on est toujours en sécurité dans ce mode.

     La saison de l'année dont nous avons parlé amène le soleil dans le signe de la Balance, ainsi appelé parce que les jours et les nuits deviennent égaux et que le soleil donne part égale à la lumière et aux ténèbres. De même le Christ est-il, vis-à-vis de l'homme abandonné, comme dans la balance. Qu'il donne, en effet, douceur ou amertume, obscurité ou clarté, quoi que ce soit en un mot, cet homme rétablit l'équilibre ; toutes choses sont pour lui semblables, à l'exception du péché, qui doit être entièrement banni. Il est résigné, et tandis que toute consolation lui est enlevée et que dans sa pensée il est privé de toute vertu et délaissé de Dieu comme de toutes les créatures, s'il sait bien recueillir toutes choses, c'est le moment précis où tous les fruits, les grains et le raisin sont en pleine maturité. Ce qui veut dire que tout ce que le corps peut supporter, de quelque nature que ce soit, on l'offrira volontiers et librement à Dieu, sans que la volonté supérieure s'y oppose. Toutes les vertus, tant extérieures qu'intérieures, qui jusqu'alors se pratiquaient dans le feu de l'amour et avec grande satisfaction, doivent être accomplies maintenant avec labeur, quoique volontiers, autant qu'on le voit et qu'on le peut faire, afin de les offrir à Dieu : de telle façon jamais elles n'ont eu plus de prix à ses yeux, jamais elles n'ont été ni si nobles, ni si belles. De même se prive-t-on volontiers et se laisse-t-on dépouiller de toute consolation donnée par Dieu, pourvu que ce soit pour son honneur. Tout cela forme la récolte de grains et de fruits mûrs dont on vivra éternellement et qui sera notre richesse devant Dieu. Ainsi s'achèvent les vertus, et la désolation se transforme en un vin éternel.

     Ces hommes, avec leur vie et la patience dont ils font preuve, sont une occasion de profit et d'enseignement pour ceux qui les connaissent et qui les approchent ; de sorte que le froment de leurs vertus est ainsi semé et se multiplie pour l'utilité de tous les gens de bien.

     Tel est le quatrième mode qui donne aux puissances sensibles et à la partie inférieure la parure et l'achèvement des exercices de la vie intérieure. Non que ceux qui s'y appliquent ne puissent croître sans cesse ni devenir plus parfaits ; mais en raison des âpres visites, épreuves, tentations et combats qu'ils ont à porter de la part de Dieu, d'eux-mêmes et de toutes les créatures, la vertu d'abandon est chez eux très grande perfection. Néanmoins l'abandon et la soumission de la propre volonté à celle de Dieu sont absolument nécessaires à tous ceux qui veulent être sauvés.


CHAPITRE XXX.


DES MAUX QUE PEUVENT CONTRACTER CEUX QUI
S'APPLIQUENT À CE QUATRIÈME MODE.

     Dans le temps de l'année qu'on appelle équinoxe, le soleil descend et la température se refroidit. De là pour ceux qui n'y prennent point garde l'occasion de gagner des humeurs fâcheuses, qui chargent l'estomac, engendrent des maladies et maintes indispositions, font prendre en dégoût toute nourriture saine, et mènent quelquefois jusqu'à la mort. Sous l'action de ces humeurs malignes, il y en a qui deviennent hydropiques, languissent longtemps, et quelques-uns en meurent. Enfin cette surabondance d'humeur fait naître les malaises et la fièvre, dont beaucoup ont à souffrir et quelques-uns perdent la vie (8).

     De même, lorsque ceux qui, ayant bonne volonté, ont goûté quelque chose de Dieu, déchoient ensuite et s'égarent loin de Dieu et de la vérité, ils se mettent à languir au point de vue du vrai progrès, ou bien ils meurent aux vertus ou de la mort éternelle, par suite de l'une de ces maladies ou de toutes à la fois. Particulièrement lorsque l'homme souffre le délaissement, il a besoin d'une grande force et il doit s'exercer selon le mode qui vient d'être décrit, moyennant quoi il ne tombe point dans l'erreur. Mais s'il manque de sagesse et se gouverne mal, il contracte facilement des maux, parce que le temps s'est refroidi en lui. Il s'ensuit que la nature est paresseuse en vertus et en bonnes œuvres, et désire les aises et le bien-être du corps, parfois d'une manière indiscrète et plus qu'il n'est besoin. Quelques-uns accueilleraient volontiers les consolations divines, pourvu qu'elles leur vinssent sans qu'il leur en coûtât et sans labeur. D'autres cherchent soulagement dans les créatures, ce qui est cause souvent de grand dommage. Ceux-ci se figurent être malades, faibles ou entièrement épuisés, et ils regardent comme indispensable tout ce qu'ils peuvent obtenir ou donner à leur corps, en fait de repos et de bien-être. Lorsque l'homme condescend ainsi à la nature et poursuit d'une façon indiscrète le bien et la satisfaction de son propre corps, ce sont comme les humeurs fâcheuses qui chargent l'estomac ; son cœur en est gêné, et il perd l'appétit et le goût de tous les bons mets, c'est-à-dire de toutes les vertus.


CHAPITRE XXXI.

DU SECOND MAL.


     Parfois aussi le mal contracté par le refroidissement fait que l'on se gonfle d'eau. Telle est la cupidité des biens terrestres, qui porte à désirer d'autant plus que l'on reçoit davantage ; car l'eau s'accumule, et le corps, c'est-à-dire l'appétit et le désir, devient énorme sans que la soif diminue ; mais la mine paraît défaite et amaigrie, je veux dire que la conscience et son discernement se réduisent parce qu'il y a comme un obstacle et un intermédiaire qui gênent l'influx de la grâce divine. Lorsque cette eau de la cupidité des biens terrestres approche du cœur, c'est-à-dire lorsqu'on prend là son repos avec une affection de complaisance, l'on ne peut s'avancer dans les œuvres de la charité, en raison de cette maladie ; le souffle intérieur et la respiration sont trop courts, ou, en d'autres termes, la grâce de Dieu et la charité intime font défaut. Aussi ne peut-on se débarrasser de cet amas d'eau des biens terrestres ; le cœur en est tout enveloppé, et il arrive souvent que la mort éternelle s'ensuit. Mais lorsque le cœur peut demeurer au-dessus, de façon à pouvoir dominer ces biens et s'en débarrasser s'il est nécessaire, quoique le mal du penchant désordonné puisse durer longtemps, la guérison est néanmoins possible.


CHAPITRE XXXII.

DU TROISIÈME MAL QUI CONSISTE EN QUATRE GENRES
DE FIÈVRE NUISIBLES AUX HOMMES.

     Il y a quatre genres de fièvre qui peuvent tourmenter ceux qui laissent s'accumuler les humeurs malignes, c'est-à-dire la recherche exagérée du bien-être corporel et la consolation indiscrète prise dans les créatures.

     La première fièvre s'appelle quotidienne : c'est la multiplicité du cœur, qui vient de ce que l'on veut connaître de toutes choses, parler de tout, corriger et redresser, tandis que l'on s'oublie souvent soi-même. De cette façon l'on se charge de mille soucis étrangers ; l'on doit souvent entendre ce qui déplaît et l'on se trouble pour des occasions futiles. C'est un flot de pensées qui se succèdent, courant de-ci de-là, comme le vent. Cela peut s'appeler une fièvre quotidienne, car les soucis et les préoccupations multiples accablent du matin au soir, parfois même durant la nuit, dans le sommeil comme dans la veille. Bien que cet état ne soit pas incompatible avec la grâce de Dieu et n'entraîne pas le péché mortel, il est cependant nuisible au recueillement et aux exercices intérieurs, et il empêche de goûter Dieu et de se livrer à la vertu. Il y a là un éternel dommage.

     La seconde fièvre vient de deux jours l'un : c'est l'inconstance ; et bien que son retour tarde davantage, elle est souvent plus dangereuse. Cette fièvre se présente sous. deux formes : l'une qui a pour cause la trop grande chaleur, l'autre le froid. À la première sont sujets quelques hommes vertueux, qui, après avoir été touchés de Dieu et ensuite délaissés, tombent parfois dans l'inconstance. Adonnés aujourd'hui à un mode spirituel, ils en prennent un autre demain ; tantôt ils veulent se taire, et tantôt parler. Décidés à entrer dans un ordre, ils pensent ensuite à un autre. Tantôt ils sont résolus à se dépouiller pour Dieu de tous leurs biens, tantôt ils veulent les conserver. Pensant un jour à parcourir les régions lointaines, un autre ils inclinent à se renfermer dans un ermitage. Avides de recevoir fréquemment le Sacrement, peu après ils y ont moins de zèle. Parfois ils veulent dire de longues prières, et ensuite ils préfèrent le silence prolongé. Tout cela est manie de changement et inconstance, qui nuisent à l'homme et l'empêchent de comprendre la vérité cachée, tandis qu'elles ruinent le fondement et l'exercice de toute vie intérieure.

     Or voyez d'où vient cette inconstance chez les bons. Lorsqu'ils tournent leur intention et leur activité intérieure plus du côté des vertus et des pratiques extérieures que du côté de Dieu et de l'unité avec lui, ils demeurent sans doute en grâce avec Dieu, car c'est lui qu'ils poursuivent dans la vertu ; mais leur vie devient instable, parce qu'ils ne se sentent point reposer en Dieu au-dessus de toutes vertus. Aussi possèdent-ils leur bien, et ils l'ignorent ; car celui qu'ils cherchent dans les vertus et dans la multiplicité des pratiques, ils l'ont en eux-mêmes, au-dessus de toute intention, vertu ou pratique. Il faut donc à ceux-là, afin de vaincre leur inconstance, apprendre à trouver le repos au-dessus de toutes vertus, en Dieu et en la haute unité divine.

     La seconde forme de la fièvre d'inconstance, qui vient du refroidissement, atteint tous ceux qui, recherchant Dieu, poursuivent en même temps autre chose d'une façon peu ordonnée. Cette fièvre est causée par le froid ; car la ferveur de la charité est médiocre, lorsqu'en même temps que Dieu, des causes étrangères doivent intervenir pour stimuler et réveiller des actes de vertu. Ceux qui s'y laissent prendre sont instables de cœur, parce qu'en tout ce qu'ils font, la nature se recherche d'une façon cachée, sans même qu'ils s'en aperçoivent, car ils ne se connaissent pas bien eux-mêmes. Ils suivent un mode spirituel ou l'abandonnent pour en prendre un autre ; aujourd'hui ils veulent se confesser à tel prêtre et recevoir ses avis, et demain ils font un autre choix. Avides d'ailleurs de conseils, ils n'en suivent jamais aucun. Toutes les fois qu'on les reprend ou condamne, ils sont prêts à s'excuser et à se disculper. Ils sont prodigues de belles paroles, mais elles sont creuses. Volontiers ils recueilleraient souvent des éloges pour leurs vertus, mais à peu de frais. Ils désirent que leurs œuvres vertueuses soient connues au grand jour, et c'est pourquoi elles sont vaines et insipides pour eux-mêmes et pour Dieu. Prompts à faire la leçon aux autres, ils n'aiment guère qu'on la leur fasse ou qu'on les reprenne. Une complaisance naturelle pour soi et un secret orgueil sont à la base de cette inconstance. Tous ces gens côtoient l'enfer ; qu'ils fassent encore un faux pas, et ils y tombent.

     De la fièvre d'inconstance naît parfois chez certains une fièvre quarte, où l'on devient étranger à Dieu, à soi-même, à la vérité et à toute vertu. L'on tombe alors dans un égarement tel qu'on ne sait plus où l'on en est, ni ce qu'il faut faire. Ce mal est plus dangereux qu'aucun des précédents.

     Enfin quelquefois même on passe de là à une fièvre double-quarte, qui est la négligence : le quatrième jour de fièvre est doublé, et le patient est presque incurable, car il n'a plus ni souci ni attention pour tout ce qui est nécessaire à la vie éternelle. Aussi peut-il tomber dans le péché tout comme quelqu'un qui n'a jamais rien su de Dieu. Si cela peut arriver à ceux qui se gouvernent mal dans le mode spirituel du délaissement divin, combien doivent s'observer davantage ceux qui n'ont jamais rien appris de Dieu, ni de la vie intérieure, ni de certaines suavités que goûtent les bons dans leurs exercices.


CHAPITRE XXXIII.

COMMENT LES QUATRE MODES DONT IL A ÉTÉ PARLÉ SE
TROUVAIENT ÉMINEMMENT DANS LE CHRIST.

     Si nous voulons marcher droit selon les quatre modes dont il a été parlé et qui donnent à l'homme la parure des puissances sensibles et de la partie inférieure de lui-même, dans la vie intérieure, il nous faut regarder le Christ qui nous a enseigné ces quatre modes en les pratiquant lui-même avant nous (9). Le Christ, soleil de clarté, s'est levé au ciel de la sublime Trinité et en l'aurore de sa glorieuse Mère, la vierge Marie, qui fut, en effet, et est encore l'aurore et le commencement du jour de toute grâce, où nous devons goûter d'éternelles délices.

     Remarquez, le Christ possédait et possède toujours le premier mode, parce qu'il était l'unique et l'uni par excellence. En lui étaient résumées et rassemblées toutes les vertus qui furent et seront jamais pratiquées, ainsi que toutes les créatures qui en ont fait les actes ou doivent encore les faire. Ainsi était-il l'unique Fils du Père, uni à la nature humaine. Il possédait le recueillement et c'est de lui qu'est venu sur la terre le feu qui a embrasé tous les saints et tous les hommes de bien. Il avait pour son Père et tous ceux qui doivent jouir de lui éternellement un amour plein d'affection et de fidélité. Sa dévotion et l'amour élevé de son cœur s'épanchaient tout brûlants devant son Père pour le bien de tous les hommes. Enfin toute sa vie et ses œuvres tant intérieures qu'extérieures et toutes ses paroles n'étaient qu'actions de grâces, louange et honneur de son Père céleste. Tel est bien le premier mode (10).

     Mais ce soleil tout aimable, qui est le Christ, brillait et répandait ses rayons d'une façon plus claire encore et plus chaude, en tant que plénitude de toutes grâces et de tous dons. Aussi répandait-il son cœur, sa vie et son service en bonté et en douceur, en humilité et en libéralité ; et il se montrait si gracieux et si aimable que son attitude et sa personne attiraient tous les hommes de bonne volonté. Il était le lis sans tache et la fleur des champs livrée à tous, où toute âme bonne pouvait butiner le miel d'éternelle douceur et de consolation sans fin. Et de tous les dons répandus en son humanité, le Christ, en cette humanité même, rendait grâces et louanges à son Père éternel, qui est en même temps le Père de tous et de tous bienfaits ; et il se reposait, selon les puissances supérieures de son âme, au-dessus de tous dons, dans la haute unité de Dieu, source de toute largesse. Ainsi possédait-il le second mode (11).

     Le Christ, soleil de gloire, monta plus haut encore et répandit de plus clairs et de plus chauds rayons ; car durant toute sa vie, ses puissances inférieures et la partie sensible de lui-même, cœur et sens, furent invités et appelés par le Père à cette gloire élevée et à ces délices dont il jouit actuellement en ces mêmes puissances. Il y était d'ailleurs incliné lui-même par toutes ses tendances naturelles et surnaturelles ; néanmoins il a préféré attendre, dans l'exil d'ici-bas, le temps que, dès l'éternité, le Père avait prévu et ordonné. Ainsi pratiquait-il le troisième mode (12).

     Enfin lorsque l'époque fut venue, où le Christ avait décidé de recueillir et de rassembler dans le royaume éternel tous les fruits des vertus qui ont jamais été ou seront pratiquées, le soleil éternel commença à descendre (13). Le Christ, en effet, s'humilia et livra la vie de son corps entre les mains de ses ennemis. Et dans une telle détresse, il fut méconnu et abandonné de ses amis, tandis que toute consolation extérieure et intérieure étaient retranchées à sa nature, chargée par contre de misère et de peine, d'opprobres et de fardeaux, du poids de tous les péchés et de la rançon à payer en rigueur de justice. Il porta tout cela avec une humble patience et au milieu de cet abandon il accomplit les plus puissantes œuvres d'amour. De cette façon il nous a reconquis et racheté le droit à l'héritage éternel.

     Telle est la parure de sa noble humanité selon la partie inférieure, dans laquelle il a souffert tout ce labeur à cause de nos péchés. Aussi est-il appelé Sauveur du monde et possède-t-il toute clarté et toute gloire, élevé aux cieux et assis à la droite de son Père où il règne tout-puissant ; et à son nom sublime toutes les créatures au ciel, sur la terre et dans les enfers fléchissent le genou éternellement.


CHAPITRE XXXIV.

COMMENT L'ON DOIT VIVRE POUR RECEVOIR
LA CLARTÉ INTÉRIEURE.

     Lorsque l'on s'exerce dans les vertus morales, selon les commandements de Dieu, en toute obéissance, et que de plus l'on pratique les vertus intérieures, selon la justice, sous la direction et la poussée de l'Esprit-Saint, en suivant tous ses attraits et inspirations ; lorsque ne se recherchant plus soi-même, ni pour le temps, ni pour l'éternité, l'on devient capable de contrebalancer et de porter en toute patience obscurité, lourdeur et misères de tout genre, tout en remerciant Dieu de toutes choses et en s'offrant soi-même dans un humble abandon, l'on a vraiment accueilli le Christ en sa première venue selon le mode des exercices intérieurs. Puis l'on est sorti à son appel en pratiquant la vie intérieure ; et ainsi l'activité intime du cœur et l'unité inférieure, corporelle et sensible ont-elles reçu la parure de riches vertus et de dons nouveaux (14).

     Lorsque l'homme est bien purifié, pacifié et rentré en lui-même selon la partie inférieure, il peut recevoir la clarté intérieure au temps voulu et ordonné par Dieu. Et cela peut avoir lieu dès le début de sa conversion, s'il s'abandonne entièrement à la volonté divine et renonce à toute propriété de soi-même ; car c'est à cela que tiennent toutes choses. Cependant il devrait toujours gravir les modes et les voies qui ont été marquées plus haut, tant pour la vie extérieure que pour la vie intérieure ; ce qui lui serait plus aisé d'ailleurs qu'à ceux qui sont moins avancés, à cause de la lumière dont il jouit.


CHAPITRE XXXV.

DE LA SECONDE VENUE DU CHRIST.

     Il nous faut parler maintenant d'une seconde venue du Christ dans la vie intérieure, par laquelle l'homme est orné, illuminé et enrichi selon les trois puissances supérieures de l'âme (15), Et cette venue peut être comparée à une source vive qui s'épanche en trois ruisseaux. Cette source, avec les ruisseaux qui en coulent, c'est la plénitude de la grâce de Dieu dans l'unité de notre esprit (16). La grâce, en effet, demeure là essentiellement comme en son siège, semblable à une source toute pleine » et elle y est active en tant qu'elle jaillit en ruisseaux dans chacune des puissances de l'âme, selon ce qui leur est utile. Ces ruisseaux sont de particuliers influx ou actions intimes de Dieu en les puissances supérieures » où il agit de maintes façons par le moyen de sa grâce.


CHAPITRE XXXVI.

COMMENT LE PREMIER RUISSEAU DE CETTE SOURCE
ORNE LA MÉMOIRE.

     Le premier ruisseau de grâce que Dieu fait couler en cette seconde venue, c'est une pure simplicité qui brille dans l'esprit sans distinction. Ce ruisseau part de la source qui est en l'unité de l'esprit et il descend tout droit, pénétrant toutes les puissances de l'âme, les plus hautes et les plus humbles, et les élevant au-dessus de toute multiplicité et occupation. Il crée en l'homme la simplicité, et lui découvre et lui donne un lien intérieur qui l'attache à l'unité de son esprit. De cette façon l'homme est élevé selon la mémoire, et dégagé de toute incursion de pensées étrangères et d'instabilité (17).

     En même temps le Christ demande, en cette lumière, que l'on sorte selon le mode de la lumière reçue et de cette nouvelle venue. L'homme fait donc cette sortie, et, au moyen de la lumière simple répandue sur lui, il s'aperçoit et se trouve lui-même ordonné et apaisé, pénétré et fixé en l'unité de son esprit ou de sa pensée. Il est élevé dès lors et établi en un état nouveau, où, retourné en lui-même, il fixe sa mémoire en un complet dépouillement, au-dessus de toute incursion d'images sensibles et de multiplicité. En cet état il possède essentiellement et surnaturellement l'unité de son esprit comme sa demeure propre et comme son héritage personnel et éternel. Par une tendance naturelle et surnaturelle il est toujours porté vers cette même unité, qui, sous l'influence des dons divins et de l'intention simple, se porte elle-même sans cesse amoureusement vers cette unité sublime, où le Père et le Fils sont unis dans le lien du Saint-Esprit avec tous les saints. C'est là répondre et satisfaire au premier ruisseau de grâce, qui réclame l'unité.


CHAPITRE XXXVII.

COMMENT LE SECOND RUISSEAU DE GRÂCE ÉCLAIRE
L'INTELLIGENCE.

     La charité intime, la tendance amoureuse vers Dieu, en même temps que la fidélité divine font jaillir le second ruisseau de cette plénitude de grâce qui réside en l'unité de l'esprit c'est une clarté spirituelle qui se répand et illumine l'intelligence d'une façon distincte, en maintes manières (18). Car cette clarté fait voir et donne en réalité ce qui distingue toutes les vertus. Mais elle n'éclaire pas entièrement à notre discrétion ; car bien que nous l'ayons toujours présente en notre âme, Dieu la fait se taire ou parler, se montrer ou se cacher, se donner ou se soustraire en temps et lieu, car la lumière est sienne. Aussi agit-il, en cette lumière, quand et où il veut, envers qui et comme il veut. Ceux qui la reçoivent n'ont besoin d'aucune révélation, ni d'être élevés au-dessus des sens ; car ils vivent, ils demeurent, ils agissent, ils se tiennent dans l'esprit, au-dessus de la région sensible. Dieu leur y fait voir ce qu'il désire et ce qui leur est nécessaire à eux ou aux autres. Cependant, s'il le voulait, Dieu pourrait suspendre en eux les sens extérieurs et leur montrer intérieurement des spectacles inconnus et des choses futures, en mille manières.

     Maintenant, le Christ veut que l'on sorte et que l'on marche à la lumière, selon le mode de cette lumière. L'homme ainsi éclairé sortira donc, et il considérera si sa manière d'être et sa vie, tant intérieure qu'extérieure, portent la ressemblance parfaite du Christ, selon son humanité et aussi selon sa divinité, puisque nous sommes créés à l'image et à la ressemblance de Dieu. Puis élevant ses yeux éclairés par la vérité intelligible et sa raison illuminée, il considérera et contemplera, à la manière des créatures, la haute nature de Dieu et ses propriétés infinies ; car à une nature infinie appartiennent des vertus et des œuvres infinies.

     La sublime nature divine est considérée et envisagée comme simplicité et pureté, hauteur inaccessible et profondeur d'abîme, largeur insaisissable et longueur sans fin, comme un ténébreux silence et une vaste solitude, le repos de tous les saints dans l'unité, une jouissance éternelle pour soi-même et pour tous les bienheureux. On pourrait encore apercevoir mainte autre merveille en cette mer sans fond de la divinité ; et quoique l'on doive emprunter des images sensibles pour les exprimer, à cause de la grossièreté des sens, ce que l'on considère néanmoins et ce que l'on contemple, c'est en toute vérité un bien insondable et sans mode ; mais pour le manifester au dehors, on le revêt de comparaisons et de modes en maintes façons, selon que la raison de celui qui l'exprime ainsi et le montre est elle-même éclairée divinement (19).

     En cette lumière, l'homme peut aussi considérer et contempler ce qui est approprié au Père dans la divinité : comment il est force toute-puissante, souveraineté, créateur, moteur, conservateur, principe et fin, cause et fondement de tout ce qui est créé ; et tout cela est montré par le ruisseau de grâce qui éclaire et illumine la raison. Puis il fait voir ce qui est approprié au Verbe éternel sagesse et vérité insondables, exemplaire et vie de toutes les créatures, règle éternelle et immuable, regard et pénétration de toutes choses sans voile, irradiation et clarté de tous les saints au ciel et sur la terre selon leur dignité. Enfin le même ruisseau de clarté, donnant maintes vues distinctes, fait apercevoir encore à la raison éclairée ce qui est approprié au Saint-Esprit comment, au-delà de toute compréhension, il est charité et libéralité, miséricorde et grâce, fidélité et bienveillance sans fin, richesse débordante d'incompréhensible abondance, un bien immense qui pénètre tous les esprits célestes d'infinies délices, une flamme brûlante qui consume tout en unité, une source jaillissante, riche de toute saveur selon le désir de chacun, un avant-goût et un commencement de béatitude éternelle pour tous les saints, un embrassement et une union étroite du Père et du Fils et de tous les bienheureux en unité de jouissance.

     Tout ceci est considéré et contemplé comme étant sans division ni partage dans l'unique nature simple de la divinité. Et cependant, selon notre manière de voir, ce qui est approprié aux personnes, demeure objet de maintes distinctions. Car, à notre sens il y a là entre puissance et bonté, libéralité et vérité, une grande différence ; néanmoins dans la sublime nature divine tout est un et sans division. Quant aux relations qui constituent les propriétés personnelles, elles demeurent éternellement distinctes. Car qui dit Père entraîne distinction : le Père engendre sans cesse son Fils, et lui-même n'est pas engendré. Et le Fils est engendré et il n'engendre pas ; et ainsi le Père a toujours un Fils dans l'éternité, et le Fils un Père. Et ce sont là les relations du Père au Fils et du Fils au Père. Et le Père et le Fils aspirent un même Esprit, qui est volonté ou amour de l'un et de l'autre. Cet Esprit n'engendre pas, et il n'est pas engendré ; mais il doit en s'écoulant éternellement procéder des deux. Et ces trois personnes sont un seul Dieu et un seul esprit. Et toutes les propriétés qui se manifestent en œuvres extérieures sont communes aux trois personnes qui opèrent en vertu d'une nature une et toute simple.


CHAPITRE XXXVIII.

COMMENT DIEU SE DONNE UNIVERSELLEMENT
À TOUS.

     Cette richesse et hauteur incompréhensibles et la disposition de Dieu à se répandre universellement ravissent l'homme d'admiration ; et ce qu'il admire particulièrement, c'est le fait de cette effusion universelle sur toutes choses. Il voit, en effet, comment l'essence divine incompréhensible est la jouissance commune de Dieu et de tous les saints. Il contemple les divines personnes se donnant largement à tous, répandant les grâces ou les biens de la gloire, d'une façon naturelle et surnaturelle, dans toutes les conditions et dans tous les temps, chez les saints et chez tous les hommes, au ciel et sur la terre, en toutes les créatures raisonnables ou non, douées de raison ou matérielles, d'après la dignité, l'utilité et la capacité de chacun. Il voit encore comment le ciel et la terre, le soleil et la lune, les quatre éléments, avec toutes les créatures et le cours des astres ont été créés communs à tous. Dieu est pour tous avec tous ses dons ; les Anges se donnent à tous ; l'âme est commune à toutes ses puissances, au corps entier, à tous les membres, et tout entière à chacun d'entre eux ; car elle ne peut être divisée, sinon par la pensée. Les puissances tant supérieures qu'inférieures, l'esprit et l'âme peuvent bien être distingués en raison ; néanmoins c'est un tout dans la nature. Ainsi Dieu est tout entier et en particulier à chacun, et cependant il est commun à toutes les créatures ; car toutes choses sont par lui, et c'est en lui et à lui que sont attachés le ciel et la terre et toute la nature.

      Lorsque l'homme considère ainsi cette richesse admirable et cette sublimité de la nature divine, ainsi que tous les dons multiples répandus sur les créatures, il sent croître intérieurement son admiration pour la richesse si variée, l'élévation et la fidélité sans fin dont Dieu fait preuve envers ce qu'il a créé. De là naissent une singulière joie intérieure et un immense abandon à Dieu, et cette allégresse intime embrasse et pénètre toutes les puissances de l'âme et le plus profond de l'esprit (20).


CHAPITRE XXXIX.

COMMENT LE TROISIÈME RUISSEAU DE GRÂCE CONFIRME
LA VOLONTÉ EN TOUTE PERFECTION.

     La joie dont nous venons de parler, la plénitude de la grâce et la fidélité divine font jaillir et couler le troisième ruisseau dans la même unité de l'esprit. Ce ruisseau, semblable au feu, enflamme la volonté, dévore et consume toutes choses en unité, inonde et pénètre toutes les puissances de l'âme de riches dons et de noblesse singulière, et il crée dans la volonté un amour spirituel sans labeur, d'une grande délicatesse (21).

     Mais, de nouveau, le Christ se sert de ce ruisseau brûlant pour dire intérieurement dans l'esprit : « Sortez par des exercices conformes au mode de ces dons et de cette venue. » Ainsi donc sous l'action du premier ruisseau de grâce, qui est une lumière simple, la mémoire a été élevée au-dessus de toute incursion sensible, et elle a été établie et fixée dans l'unité de l'esprit. Le second ruisseau, qui est une clarté infuse, a illuminé l'intelligence et la raison, afin de leur faire connaître les modes multiples de vertus et d'exercices, et d'une façon distincte les secrets des Écritures. Enfin le troisième ruisseau, qui est une ardeur écoulée en l'esprit, enflamme la volonté supérieure d'un amour silencieux et la dote de grande richesse.

     Dès lors celui qui a reçu ces divers dons est devenu un homme dont l'esprit est illuminé (22) ; car la grâce de Dieu demeure dans l'unité de l'esprit comme une source dont les ruisseaux baignent les puissances et les font s'écouler en toutes vertus. Et cette source de grâce réclame toujours un reflux vers le fond même d'où le flux s'échappe.


CHAPITRE XL.

COMMENT IL FAUT SORTIR POUR RÉPONDRE À
CES DONS.

     L'homme qui est affermi par les liens de l'amour (23) doit continuer à habiter dans l'unité de son esprit ; mais il doit aussi sortir avec sa raison illuminée et une charité débordante, au ciel et sur la terre, afin de considérer toutes choses avec une claire distinction et de répandre partout ce qu'il puise en sa vraie générosité et aux trésors divins.

     Or il y a quatre manières selon lesquelles cet homme éclairé se sent invité et incliné à sortir. La première le porte vers Dieu et tous les saints ; la seconde vers les pécheurs et les hommes pervers ; la troisième vers le purgatoire ; et la quatrième vers soi-même et tous les bons.



(1) Il s'agit ici de l'oraison d'union simple. Cf. sainte Thérèse, Château intérieur, Ve Dem., ch. I-IV ; Chemin de la perfection, ch. XXXII et suiv. ; Vie, ch. XVIII-XXII.
(2) C'est ce que sainte Thérèse appelle les transports d'amour : Vie, ch. XXIX.
(3) Cf. S. JEAN DE LA CROIX, Montée du Carmel, I. II, ch. IV.
(4) Sainte Thérèse décrit tout au long les différentes faveurs dont il est question ici : Cf. Château intérieur, VIe Dom., ch. II-X ; Vie, ch. XVIII-XXVIII.
(5) L'auteur a groupé dans ce chapitre toutes les épreuves qui se rapportent aux trois premiers degrés ou modes qui viennent d'être décrits ; il faut se rappeler que tout ce premier stade de la vie intérieure n'est qu'un tissu de grâces et d'épreuves, comme Ruysbroeck l'a dit plus haut, au ch. VI. Cf. Ste THERESE, Château intérieur, VIe Dem., ch. I.
(6) JOB, I, 21.
(7) Cf. S. THOMAS, lIla, q. 18, a. 5.
(8) L'auteur va expliquer maintenant ce qu'il entend par les trois maux dont il vient de parler : les humeurs fâcheuses (ch. XXX), l'hydropisie (ch. XXXI), et la fièvre (ch. XXXII).
(9) Nous empruntons cette première phrase aux manuscrits L et M. Elle a d'ailleurs été traduite par Surius, et elle semble plus conforme au contexte que la phrase écourtée de l'édition de David. La traduction latine de Jordaens la porte également. Il sera bon de remarquer que, dans ce ch. XXXIII, Ruysbroeck voit éminemment dans le Christ toutes les particularités qu'il a décrites jusqu'ici au livre IIe, comme appartenant aux quatre modes de la première venue, dans les exercices de la vie affective.
(10) Cf. supr. liv. II, ch. IX-XIII.
(11) Ibid. liv. II, ch. XVII-XIX.
(12) Cf. supr. liv. II, ch. XXII.
(13) Cf. Ibid., ch. XXVIII.
(14) Au chap. IIe de ce même livre 11e, Ruysbroeck a parlé des trois unités qui sont en nous par nature, et il a rappelé que chacune de ces unités reçoit dans la vie active son ornement surnaturel. Ici il résume d'un mot l'œuvre de la vie affective ou intérieure sur l'unité inférieure de nous-mêmes.
(15) Cf. supr. liv. II, ch. VI. Cette seconde venue est à comparer avec ce que saint Jean de la Croix dit des débuts de l'âme dans l'état des fiançailles spirituelles : Cant, spir., str. XIV, XV.
(16) L'unité de l'esprit désigne l'essence même de l'âme comme on l'a vu plus haut au ch. II de ce même livre. Cf. infr. ch. LXVI-LXVII.
(17) Il s'agit de cette connaissance indistincte et générale dont parle saint Jean de la Croix Montée du Carmel, 1. II, ch. XIV et XV. La description qui en est donnée ici doit être rapprochée du 6e degré d'amour, au chap. XIII des Sept degrés d'amour spirituel.
(18) Ce passage est à rapprocher du ch. XXVI du II livre de la Montée du Carmel, où saint Jean de la Croix parle des connaissances distinctes et purement spirituelles, qui consistent à « comprendre par la raison supérieure les vérités dans l'ordre qu'elles ont à Dieu et aux faits présents, passés ou futurs... Ces sortes de connaissances lumineuses de la vérité diffèrent beaucoup des visions intellectuelles ;.., elles ont de grands rapports avec l'esprit de prophétie et sont propres à l'état d'union ;... parfois elles sont accompagnées d'attouchements divins. »
(19) Cette manière d'exprimer en figures et en comparaisons ce que l'on aperçoit de la haute nature de Dieu est encore décrite par Ruysbroeck dans les Sept degrés d'amour spirituel, ch. V, et dans le Royaume des Amants de Dieu, ch. XXXIV.
(20) Sur la doctrine exposée ici et dans les chapitres suivants, XXXVIII-XLVIII, voir AUGER, Ruysbroeck et la vie commune, (compte-rendu du troisième Congrès scientifique des catholiques, 1894, 2e section, p. 297).
(21) Il semble qu'il s'agit ici de ce que saint Jean de la Croix appelle les sentiments d'union, ou impressions spirituelles produites par l'opération du Saint-Esprit et affectant la volonté : Cf. Montée du Carmel, 1. II, ch. XXXII Cant. spir., str. XIV-XV.
(22) Cf. supr. liv. II, ch. XXXIV.
(23) Saint Jean de la Croix, parlant de l'âme élevée à l'état des fiançailles spirituelles, dit également qu'elle jouit « d'un amour inappréciable, qui fait toute sa nourriture et dans lequel elle est confirmée ». Cant. stir., str. XIV-XV.



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