RUYSBROECK - TOME 4 : LE LIVRE DU TABERNACLE SPIRITUEL CHAPITRE XXX DU DON DE FORCE.
La sixième lampe est le dernier ornement de notre chandelier du côté droit. Elle nous représente le don divin de force, qui nous meut intérieurement et réclame de nous d'avoir toujours l'âme élevée au-dessus de toutes choses qui ne sont pas conformes à Dieu ; et il nous apprend aussi à ne pas nous estimer nous-mêmes, ni nos propres forces, mais à nous livrer de plein gré à la puissance de Dieu et à établir sur elle toute notre force : ainsi sommes-nous en sûreté dans tous les combats. Car si nous consentons à obéir à cette requête de Dieu, notre libre volonté s'unit à sa puissance ; et nous ressentons alors une vraie peine de nos péchés, qui nous enlève tous doute, frayeur et mobilité de volonté, et nous fixe dans le don divin de force.
Doués de cette force, nous recevons une assurance de ne plus tomber jamais en péché mortel ; et de là naît chez nous la sixième vertu principale, qui est noble magnanimité, au moyen de laquelle nous méprisons aisément tout ce qui ressemble au mal et donnons peu de prix à tout ce qui passe. De ces choses nous n'avons cure, de sorte que nous ne craignons personne, ne mettant notre espoir en nul autre que Dieu et n'estimant grand que Dieu seul.
La noblesse d'âme, en effet, unie à la force que nous donne le Seigneur, nous élève au-dessus de toutes les créatures ; et elle nous presse de servir Dieu, de lui rendre grâces, de le louer et adorer. Ainsi avons-nous dans notre sixième lampe de l'huile de la vie éternelle ; car si nous louons Dieu d'une âme libre, les puissances élevées, en toutes nos œuvres, nous sommes vivants, forts et invincibles. Et plus la tentation se fait sentir, plus notre force grandit, car nous combattons avec la force de Dieu, qui ne peut être vaincue. Toujours notre âme élevée montera vers Dieu en une louange pleine de noblesse ; et revêtus de l'onction royale, nous remportons sans cesse la victoire, et nous portons l'huile vivante de notre salut, si toutefois nous y plaçons la mèche de l'intention droite, ce qui veut dire que notre magnanimité doit reconnaître que Dieu mérite plus de louange et d'honneur que toutes les créatures ensemble n'en peuvent offrir.
C'est pourquoi nous ne pouvons fournir pleine louange, car en contemplant la majesté divine, nous devenons si simples, que tout mode ou manière disparaissent et nous ne savons plus comment louer. Plus s'exalte notre louange et plus nous la sentons défaillir, bien que notre esprit en éprouve joie et félicité. La mèche de notre lampe brûle alors avec une force nouvelle et notre âme ressent l'impétuosité de nouveaux élans ; l'huile de la louange afflue sans cesse et nous disons avec Marie : « Mon âme glorifie le Seigneur, et mon esprit exulte en Dieu mon salut
(1).
Et c'est là une vie céleste.
CHAPITRE XXXI
DU DON DE CRAINTE DU SEIGNEUR.
La septième lampe, placée au côté gauche, est le dernier ornement de notre chandelier. Par là nous entendons le don de crainte du Seigneur, par lequel nous commençons et achevons, et possédons éternellement tout ornement de vertus. Car la crainte amoureuse et pleine de révérence demeure pour l'éternité et nous en sommes redevables envers Dieu. Elle nous dépouille de la propre volonté et elle nous fait comprendre que nous appartenons à Dieu et non à nous-mêmes. Elle chasse le péché, nous en préserve à l'avenir, nous incite à la vertu et aux bonnes œuvres. Toute peine lui est légère, car Dieu porte son fardeau ; et c'est pourquoi elle ne saurait être écrasée par nu, souci. Mais là où elle fait défaut, toutes vertus et toutes grâces manquent aussi.
Il y a donc pour nous grande importance à remarquer de quelle manière nous pouvons entrer dans cette crainte. Or, elle débute par une vraie horreur que Dieu fait naître en nous pour nos péchés, en nous les montrant et en nous humiliant par cette vue ; en même temps il nous fait comprendre combien nous sommes petits en face de sa grandeur, que les anges révèrent en tremblant et à laquelle nul ne peut résister. Cette grandeur pourrait nous rejeter éternellement, si nous ne lui étions soumis par une humble contrition de toutes nos défaillances.
Sa sagesse nous reproche nos péchés et elle scrute jusqu'au fond de nous-mêmes ; elle nous jugera avec équité et nous retirera l'héritage du royaume éternel, si nous ne lui sommes soumis, attentifs à ce qu'elle enseigne et soucieux d'y conformer notre vie.
Sa bonté se plaint de notre infidélité, elle qui nous montre la fidélité éternelle avec laquelle Dieu nous a aimés depuis tous les siècles et est venu par amour nous chercher en cet exil. C'est pourquoi cette même bonté menace de nous devenir étrangère pour toujours, si nous ne faisons retour à elle, portant l'ornement des vertus. Si au contraire nous résistons à Dieu en cela et méprisons ses dons, notre état s'empire et nous devenons toujours moins aptes à les recevoir, comme à pratiquer les vertus.
D'autre part, entreprendre des bonnes œuvres par anxiété personnelle et non pour l'amour de Dieu, ce serait avoir une crainte servile et mériter peu de récompense. Aussi devons-nous faire abnégation de nous-mêmes par amour et avec une humble révérence nous soumettre à son enseignement et à sa correction : ainsi recevons-nous le don de crainte amoureuse du Seigneur, qui nous rend volontiers soumis à sa grandeur, subordonnés à sa sagesse, accordés et unis à sa bonté ; et de cette façon, rendus souples entre ses mains et remplis de sa crainte, nous nous dépouillons de tout élèvement d'esprit et nous acquérons la septième vertu principale, qui est l'humilité jointe à la crainte et révérence amoureuse envers Dieu.
Ce doit être le fondement de toute notre vie, car l'humilité jointe à la crainte nous rend obéissants et patients, sans grande estime pour nous-mêmes, prêts à confesser sans cesse nos défaillances et à penser que nous sommes indignes de tout honneur ou de quelque bien que ce soit. L'humble crainte nous fait observer les commandements de Dieu et de la sainte Église ; elle nous apprend à parler peu et seulement pour choses utiles, à dominer la sensibilité et à être humbles de cœur, de manières, d'attitude, dans toute la pratique de notre vie. Ce sera l'huile que nous pourrons offrir à Dieu pour la septième lampe ; et nous y mettrons la mèche de l'intention droite, qui consistera. à souhaiter nous anéantir nous-mêmes en humilité, pour l'honneur de Dieu ; et dans cet anéantissement de nous-mêmes, nous connaîtrons une humilité sans mode, dont nul ne peut voir le fond, car sur elle repose le plus profond de nous-mêmes, au-delà de toutes nos vertus.
Quand nous en avons l'expérience, il nous paraît impossible de mettre Dieu aussi haut, ni nous-mêmes aussi bas que nous le voudrions et que l'amour l'exige ; nous ne pouvons là que défaillir, mais en. cela même il y a repos et béatitude. De là s'enflamme notre mèche d'une nouvelle crainte amoureuse ; et c'est la cause de nouveaux actes d'humilité et de toutes les vertus, qui nous renouvellent à toute heure.
C'est pourquoi nous devons descendre en perpétuelle humilité, sous l'empire du. don de crainte amoureuse du Seigneur, et monter aussi en Dieu par une louange continuelle, sous l'action du don de force : entre les deux s'exerce la charité en nous, la quatrième forme de toutes les vertus. Et cela, pour nous, c'est tisser l'écarlate, ou rouge teint deux fois, la quatrième couleur de nos rideaux ; car le don divin de force attise en nous le feu de l'amour et il réclame que nous prenions avec nous toutes les créatures, pour monter vers la hauteur de Dieu en louange éternelle. Et le don de crainte du Seigneur attise encore le même feu d'amour et il réclame que nous nous abaissions devant la hauteur de Dieu, en union avec toutes les créatures, en toute révérence et en signe d'humble service.
C'est ainsi que vivait le Christ, Fils de Dieu, en son humanité qui est un exemplaire pour nous tous. Et lorsque nous nous acquittons de l'un et l'autre devoir, nous possédons en nous l'ardente couleur rouge de l'amour de Dieu ; et ainsi devenons-nous semblables au Christ et unis à lui, la plénitude de tous les dons et de toutes les vertus. Par lui nous pouvons recevoir tous les dons et pratiquer toutes les vertus ; mais sans lui nous n'avons rien et ne pouvons rien.
C'est pourquoi nous devons recevoir en nous son esprit avec les sept dons principaux, et par eux nous obtiendrons les sept vertus principales : c'est ce que nous apprennent les sept lampes de notre chandelier. Car toutes les vertus, et chacune d'elles doivent trouver leur vie dans les dons divins, si elles veulent être vraiment des vertus, et chacune doit être revêtue des quatre propriétés ou modes, dont nous avons parlé : innocence, discrétion, générosité, entière charité, les quatre couleurs de nos rideaux. C'est l'explication des vingt-huit mesures de longueur qu'avait chacun des rideaux ; car les sept vertus exercées selon quatre modes, cela fait vingt-huit. D'autre part. les dix commandements, observés de la même façon, donnent quarante, ou la largeur des rideaux. Car c'est dans les dix commandements et les sept vertus principales que s'exerce toute perfection de vie.
CHAPITRE XXXII
DES SEPT INSTRUMENTS D'OR DESTINES AU NETTOYAGE DES LAMPES.
Les sept lampes, selon le commandement du Seigneur, devaient être munies d'instruments d'or, destinés à couper les mèches brûlées, afin de donner aux lampes une lumière plus claire. Or nous apprenons par là que Dieu, par ses sept dons, attise en nous une certaine impatience d'amour, qui se manifeste dans la motion exercée par chaque don sur chacune des sept vertus principales. C'est pourquoi, quel que soit le don qui nous meuve à accomplir une vertu et à l'offrir à Dieu, nous ressentons cette impatience ; car chaque don réclame de nous un renouvellement de vertu, et c'est ce qui fait grandir toujours l'impatience. Or l'exigence qui vient de chaque don et l'impatience amoureuse que nous ressentons, voilà les instruments d'or qui nous servent à couper les mèches brûlées et à nettoyer nos lampes ; nos actes vertueux, sous leur action commune, s'évanouissent, sont oubliés de nous, comme si nous n'avions rien fait ; ainsi commençons-nous toujours à nouveau, comme gens qui ne sont rien et cherchent à devenir quelque chose. De cette façon nos vertus échappent à notre connaissance, à notre estime et à notre appréciation ; car chaque don divin réclame de nous un perpétuel recommencement, sans regard en arrière, avec une obéissance d'âme non satisfaite à chacune des motions de Dieu : ainsi pouvons-nous grandir en clarté et recevoir sans cesse un accroissement nouveau de dons et de vertus, car Dieu veut renouveler en nous tout bien, pourvu que nous y soyons disposés.
De plus, chaque lampe avait un vase d'or contenant de l'eau, où l'on éteignait les bouts de mèche enflammés. Ceci nous apprend que chacun des dons réclame de notre esprit une intention si simple, dans l'accomplissement de chaque vertu principale, que nous puissions ressentir un amoureux trépas dans l'unité de Dieu. C'est bien ce que nous apercevons aussi dans le Christ Jésus, notre modèle à tous ; car en chaque vertu qu'il pratiquait, il trépassait si amoureusement qu'il ne poursuivait par amour que l'unité de son Père. Il nous faut agir de même et nous unir à lui dans ce passage amoureux qu'il faisait à son Père en chaque vertu principale. Nos vases d'or remplis d'eau représentent la plénitude de vérité et de justice, où nous devons plonger les mèches enflammées, c'est-à-dire tous les actes de vertu que nous avons pu pratiquer. Nous devons les éteindre, les plonger dans la justice du Seigneur, les unir à ses saints mérites : autrement nos vertus seraient comme des mèches fumantes et de mauvaise odeur devant Dieu et tous ses saints.
CHAPITRE XXXIII
DU POIDS DU CHANDELIER.
Le Seigneur dit encore à. Moïse : « Le poids du chandelier avec tous ses ustensiles sera celui qu'on appelle un talent. ». C'était chez les juifs le poids le plus lourd, et il était de trois sortes : le talent des commerçants, qui était de cinquante livres ; celui des citoyens, de soixante-dix ; et le plus élevé de tous, pour peser ce qui servait au culte de Dieu, un poids de cent vingt livres, égal aux deux autres réunis. Or Dieu voulut que son chandelier fût fait d'un poids semblable d'or, le plus pur qui pût être trouvé. Et ce lourd poids d'or, c'est le poids éternel d'amour que nous devons à Dieu.
L'amour, en effet, que nous devons avoir pour Dieu doit l'emporter en poids sur celui que nous avons pour nous-mêmes et pour toutes choses, et il ne peut trouver ni repos, ni satisfaction que dans l'amour même qui est Dieu. Aussi devons-nous nous regarder ici-bas, dans le temps, comme des commerçants, et comme des citoyens de la Jérusalem d'en haut. Car notre amour pour Dieu ici-bas doit être si grand, qu'il s'élève au-dessus de tout ce qui est passager : ainsi possédons-nous le poids des commerçants, car le commerce est un échange mutuel de cher contre plus cher.
Mais si quelqu'un abandonne des choses éternelles pour leur préférer les choses temporelles, il est mauvais marchand, car il ne fait pas d'échange, mais donne tout son bien pour rien. Alors même qu'il gagnerait le monde entier, s'il laisse Dieu, il n'a rien, puisque sans Dieu toutes choses ne sont rien.
Si donc nous voulons que le poids de notre amour l'emporte sur toutes choses, nous devons fermer notre cœur et nos sens, et les assujettir aux commandements de Dieu ; car le sens qui n'est pas gardé et qui d'une façon désordonnée nous tient au dehors par quelque goût, commodité ou consolation terrestre, c'est comme une porte ouverte sur la mort éternelle. Mais si nous trouvons intérieurement aux choses éternelles une complaisance et une satisfaction si grandes, que la sensibilité extérieure en devienne toute dépouillée et détournée des choses du dehors, de sorte que nous puissions en toutes circonstances obéir aux commandements de Dieu, alors nous avons le poids d'amour qui est celui des commerçants. Nous ressemblons par là au marchand dont parle Notre-Seigneur, qui cherchait de bonnes perles ; lorsqu'il en trouva une précieuse, il vendit tout ce qu'il avait et à ce prix il l'acheta.
Cependant le poids de notre amour doit être plus lourd encore ; car si nous sommes marchands, nous devons être aussi des citoyens, et c'est pourquoi notre amour doit être d'un tel poids, qu'il l'emporte sur nous-mêmes et s'abîme sans cesse en Dieu. C'est le poids éternel d'amour qui appartient aux habitants de la cité.
Lorsque les anges luttaient au ciel par opposition d'amour, ceux qui, renonçant à eux-mêmes, se plongèrent dans l'amour de Dieu, agirent selon la rectitude et ils remportèrent la victoire. Ils devinrent ainsi bienheureux et unis à Dieu, d'accord entre eux en amour, et ils demeurèrent les citoyens de la Jérusalem céleste, pour la posséder en paix éternelle avec Dieu.
Ceux au contraire qui, par complaisance égoïste, demeurèrent attachés à l'amour d'eux-mêmes, manquèrent de fidélité et à cause de cela ils furent vaincus, méprisés et jetés au dehors dans l'enfer, pour y subir les peines éternelles.
C'est pourquoi, si nous voulons être des citoyens d'éternité et mis en possession de la cité qu'ils ont perdue, accomplissons toute justice et mettons si bien en Dieu toute complaisance et satisfaction, que nous renoncions à nous-mêmes en toutes façons. Puis, qu'en toute vertu principale notre amour ait un tel poids, qu'il nous fasse ressentir l'unité de l'amour divin, qui doit transformer, consumer et engloutir le nôtre en un seul être avec lui.
C'est la perfection du plus lourd poids d'amour, celui des citoyens, et il accomplit pleinement la loi d'amour. Par là nous sommes faits semblables aux bons anges et unis au Christ, notre chandelier d'or, qui sera éternellement pour nous un flambeau lumineux dans le palais de la gloire. Ce chandelier, qui est Jésus-Christ, avec tout son ornement, sera placé au côté droit de notre tabernacle intérieur, afin que nous recevions de lui la lumière pour toute la pratique de notre vie. C'est pourquoi le Seigneur disait à Moïse « Regardez et faites toutes choses selon l'exemplaire qui vous a été montré sur la montagne.
Et à mon tour je dis à chacun de considérer et d'examiner le Christ et de s'examiner soi-même, puis d'agir selon l'enseignement qui a été ici donné.
CHAPITRE XXXIV
DE L'AUTEL DES PARFUMS.
Pénétrons encore plus profondément dans la figure que nous décrivons. Le Seigneur dit en effet à Moïse : « Vous ferez un autel de bois de sétim, sur lequel on brûlera des parfums précieux d'agréable odeur. La longueur de l'autel sera d'une mesure et sa largeur aussi d'une mesure, et il formera un carré. La hauteur sera de deux mesures et l'autel aura quatre cornes. Vous le couvrirez, d'or fin, les côtés tout autour et les cornes, ainsi que la grille sur laquelle on doit brûler les parfums. Vous l'entourerez d'une couronne d'or ; et au-dessous de cette couronne, de chaque côté, vous placerez deux anneaux d'or, dans lesquels passeront des barres de bois de sétim recouvert d'or, destinées à porter l'autel. Vous mettrez cet autel contre le rideau qui pend en avant de l'arche d'alliance, devant le propitiatoire, c'est-à-dire devant la table d'or qui la recouvre, afin que je puisse vous parler. Sur cet autel Aaron fera brûler une offrande odoriférante. Le matin de bonne heure, lorsqu'il arrangera les lampes, il enflammera l'autel ; et le soir, de nouveau, quand il mettra les lampes à leur place sur le chandelier, il fera brûler les parfums précieux perpétuellement devant le Seigneur de vos générations
(2). »
Maintenant écoutez-moi bien. La libre volonté élevée de l'humanité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, c'est notre autel à tous devant la face du Père. Sur cet autel Aaron et ses fils, c'est-à-dire le Christ et tous ceux qui le suivent, font brûler et offrent sans cesse au Père les parfums précieux de bonne odeur. Ce sont les vertus intérieures du Christ lui-même et celles qu'ont jamais accomplies et qu'accompliront encore tous les hommes de bien. Le Christ les offre à son Père et nous tous avec lui.
Notre noble autel n'a qu'une mesure en longueur et en largeur, parce que le libre vouloir de tous les saints et de tous les hommes de bien ne fait qu'un avec celui de Notre-Seigneur Jésus-Christ. C'est pourquoi la libre volonté du Seigneur est notre autel à tous : en elle nous vivons tous d'une seule âme, d'une seule volonté, d'une seule liberté, y demeurant embrassés pour l'éternité. Mais la hauteur de l'autel est de deux mesures, parce que la libre volonté de l'humanité sainte de Notre-Seigneur est élevée par la puissance du Père, ce qui est représenté par la première mesure ; élevée aussi par son propre mérite, et c'est la seconde mesure ; car il a dit lui-même : « Jusqu'à mainte-nant, c'est-à-dire éternellement, dure l'opération de mon Père, et moi aussi j 'opéré
(3). »
Le Seigneur dit encore à Moïse que l'autel devait avoir quatre cornes et avoir ainsi la forme d'un carré. Et au-dessus de ces quatre cornes Aaron devait, une fois l'an, répandre ses prières, en même temps que le sang offert pour les péchés du peuple d'Israël ; et ainsi aurait-il la faveur du Seigneur pour toutes les générations des juifs, car l'autel avec ses offrandes serait pour le Seigneur sacro-saint.
Si on le prend du point de vue extérieur, l'autel était la figure de la croix de Notre-Seigneur ; car la croix avait quatre cornes, qui étaient les quatre extrémités, et c'est sur ces cornes qu'Aaron, c'est-à-dire le Christ, a répandu une fois sa prière avec son propre sang, qu'il offrait pour les péchés de son peuple. Ainsi a-t-il gagné les complaisances du Seigneur, son Père céleste, pour toute la génération qui lui appartient. Et cet autel de la croix fut sanctifié par son noble sang, qui s'écoulait largement de sa tête, de ses pieds et de ses deux mains, ornements des quatre cornes ou extrémités de la croix.
Mais je veux parler surtout de l'autel intérieur de sa libre volonté, le Saint des saints du Seigneur : cet autel avait lui aussi quatre cornes de grande puissance et beauté. Car sa libre volonté s'est d'abord abaissée par obéissance, triomphant de la nature humaine et la livrant à la mort ; Ainsi le Christ a-t-il mis à mort notre mort même et vaincu tout ce qui peut nous nuire, pourvu que nous lui obéissions. C'est la première corne de force, qui peut atteindre toute profondeur d'humilité.
Ensuite, par sa libre volonté, le Christ s'est élevé pour offrir éternellement à son Père louange et honneur ; et nous devons l'imiter en cela, si nous voulons voir Dieu dans sa gloire. C'est la seconde corne de force et de beauté, qui peut atteindre toute hauteur.
En troisième lieu, le Christ s'est librement donné du côté droit, pour enseigner et vivre la vérité et la vertu ; et nous devons avoir le même sentiment, si nous voulons être riches en vertus. C'est la troisième corne qui devra fortifier et orner en nous la dimension de largeur.
Enfin la volonté libre de l'humanité sainte de Notre-Seigneur se répand encore du côté gauche, en clémence pour toute nécessité corporelle ou spirituelle ; et si nous expérimentons la même chose, nous possédons la quatrième corne, par laquelle nous obtenons grâce et gloire pour la longueur des jours, c'est-à-dire éternellement.
L'autel devait avoir encore au centre une petite grille de bois de sétim, afin que l'on pût y brûler les aromates. C'est la figure de la libre révérence cachée que la volonté libre de l'humanité du Seigneur porte à l'éternelle divinité. Et selon la mesure où croit en nous cette révérence, nous sommes plus profondément et plus étroitement unis à Dieu, ainsi qu'établis en plus grande liberté. Car toute notre révérence cachée envers Dieu s'unit à celle qui monte sans cesse du centre même de la libre volonté en l'humanité de Notre-Seigneur. C'est pour nous tous comme la grille sur laquelle éternellement le Christ doit brûler avec nous toutes les offrandes de vertus intérieures, à l'honneur de son Père.
L'autel, sa grille et ses quatre cornes devaient être tout recouverts d'or fin, parce que la libre volonté de l'humanité du Seigneur, et tous ceux qui lui seront unis, vivront éternellement dans une même étreinte d'amour. C'est là l'autel d'or tout plein d'amour enflamme, qui fut montré à saint Jean, et qui était placé devant le trône de la vision de Dieu
(4).
Selon l'ordre donné à Moïse par le Seigneur, l'autel devait être revêtu d'une petite couronne d'or tout autour. Ce qui signifie que tous ensemble nous serons couronnés et embrasés d'une même joie dans le Christ Jésus, qui nous l'a méritée par sa libre volonté ; mais pour cela nous devons perdre notre propre volonté en la sienne : ainsi vit-il en nous et nous en lui, et la couronne d'or est à nous.
Toujours selon le désir du Seigneur, l'autel était muni, au-dessous de la couronne, de deux anneaux d'or, où passaient les barres de bois de sétim recouvert d'or, destinées à. porter l'autel. Ces barres nous représentent la libre volonté et la connaissance éternelles de Dieu, entre lesquelles est attachée la volonté libre de l'humanité de Notre-Seigneur, notre autel à tous ; et cela au moyen de quatre anneaux d'or, qui sont les œuvres de son amour et du nôtre. Car c'est volontairement et librement qu'il s'est livré par amour à tout ce que Dieu savait et voulait de lui éternellement. Et il nous faut agir de même. Ce sont là les deux premiers anneaux d'or, qui nous permettent d'embrasser les desseins éternels de Dieu, figurés par les barres de bois de sétim.
Ensuite, conformément à. la connaissance et à la dilection éternelle de Dieu, l'humanité de Notre-Seigneur s'est abandonnée à l'éternelle clarté et à l'éternel amour de la divinité : et là nous devons le suivre, aussi amoureusement que nous pouvons, de façon à parfaire les deux autres anneaux d'or, par lesquels nous tenons embrassés pour jamais sa connaissance et son amour. Car si nous sommes unis au Christ, nous disons avec lui : « Seigneur Dieu, agissez avec nous selon ce que vous savez et ce que vous voulez, pour le temps et pour l'éternité » : et c'est là pour nous vie fort douce. Notre autel repose devant le rideau des vertus intérieures, par quoi nous connaissons vertu et vérité ; il est aussi en face de l'arche et du propi-tiatoire, c'est-à-dire là. où siège la clémence divine, selon que Dieu l'avait fait connaître à Moïse. C'est là aussi que nous l'adorerons éternellement, qu'il nous parlera dans l'intime avec amour et que nous lui répondrons.
Sur l'autel, disait le Seigneur, Aaron devra faire brûler une offrande d'agréable odeur. De grand matin, après avoir retiré les lampes il enflammera l'autel ; et le soir de nouveau, en remettant les lampes sur le chandelier, il fera brûler les aromates précieuses, dont l'odeur s'élève éternellement devant le Seigneur dans toutes les générations. Nous en verrons la signification en traitant plus tard des sacrifices.
Tel était donc l'autel d'or qui se trouvait à l'intérieur du tabernacle. De plus, il y avait l'autel des sacrifices, en avant et au dehors du tabernacle, et Moïse y fit la première offrande. Avec l'huile sacrée et le sang des victimes il dédia l'autel des sacrifices ainsi que le tabernacle et tout ce qui en faisait partie, et donna la consécration à son frère Aaron et à ses fils, ainsi qu'à tous les ornements dont ils devaient être revêtus pour le service du Seigneur. Les deux autels, dont nous venons de parler, avec le service qui leur appartenait, furent confiés par Moïse, de la part de Dieu, à Aaron son frère, le premier pontife des Juifs, et. à ses fils après lui, ainsi que nous le dirons plus tard.
Tout ceci est dit en figure ; mais selon la réalité signifiée, c'est le Christ qui offrit le premier sacrifice de la sainte Église, agréable à Dieu par-dessus tous les autres, lorsqu'il se livra lui-même librement à la mort ; et par sa mort il a fondé la sainte Église, il a béni et consacré dans son sang notre autel extérieur, qui est l'Église elle-même, et notre autel intérieur, c'est-à-dire sa propre volonté libre ainsi que la nôtre. Tout ce qui appartient au service de cet autel et peut être sanctifié, l'a été dans son sang.
Les deux autels, avec tout ce qui leur sert, ont été confiés par lui à saint Pierre, comme au prince des apôtres et le premier après lui en tant que pontife de la sainte Église. Puis ils furent confiés aux autres apôtres et à leurs successeurs jusqu'au dernier jour, afin qu'ils pussent y offrir une digne hostie en l'honneur de Dieu et pour les péchés des hommes. Mais vous devez savoir que tous les prêtres, appelés et choisis pour faire cette offrande à Dieu, doivent être ornés de vertus, de même que les prêtres des juifs, pour sacrifier à Dieu, devaient être revêtus extérieurement d'ornements sacrés.
CHAPITRE XXXV
DU BASSIN D'AIRAIN.
Avant de mettre les vêtements sacrés, les prêtres de la loi juive étaient tenus de se laver les mains et les pieds. Aussi le Seigneur dit-il à Moïse : « Vous ferez un bassin d'airain avec ses bases, destiné à se laver. Vous le placerez entre le tabernacle du témoignage et l'autel des sacrifices ; vous y mettrez de l'eau, afin qu'Aaron et ses fils puissent s'y laver les mains et les pieds, avant d'entrer dans le tabernacle du témoignage et de s'approcher de l'autel, pour y offrir à Dieu des aromates précieux d'agréable odeur, sans mourir. Et ce sera pour Aaron et pour sa postérité après lui une œuvre légale à jamais
(5). »
Le bassin d'airain, c'est l'application affective que chaque prêtre doit apporter au service de Dieu. La base sur laquelle il repose, c'est l'amour affectif envers Dieu, qui sert de fondement à l'application. Tant que nous sentons en nous l'une et l'autre, nous possédons réellement l'eau vive de la grâce et de la miséricorde de Dieu, où nous devons, nous purifier chaque fois que nous revêtons les ornements sacrés et que nous allons à l'autel de Dieu ; nous y lavons nos mains, c'est-à-dire nos œuvres désordonnées, et nos pieds, c'est-à-dire les désirs déréglés qui nous entraînent chaque jour.
Vous savez bien, en effet, qu'Aaron et ses fils avaient été consacrés et choisis par Dieu du milieu du peuple pour son service ; néanmoins ils devaient se laver les mains et les pieds avant d'entrer au tabernacle pour monter à l'autel de Dieu, autrement ils eurent été frappés aussitôt de mort. Leur offrande n'était pourtant qu'une mixture d'aromates, qu'ils devaient faire brûler en l'honneur de Dieu ; et ce n'était là qu'une figure des vertus intérieures et des prières que nous répandons devant Dieu.
Ainsi nul ne doit-il se confier en sa propre sainteté ; mais toujours en la miséricorde de Dieu, où nous allons chercher purification, en déplorant et confessant humblement devant lui les oublis où nous tombons quotidienne-ment, par actes et désirs désordonnés ; c'est ce que nous entendons par se laver les mains et les pieds.
Le bassin d'airain était encore garni à la partie supérieure de miroirs
(6), dont se servaient les femmes placées à l'entrée du tabernacle pour veiller à. ce que nul indigne ne pût s'y introduire. C'est ainsi que notre tabernacle intérieur est gardé par l'amour et la crainte, ayant pour miroir la raison éclairée et s'en servant pour empêcher d'y pénétrer rien qui pourrait le souiller.
Les miroirs du bassin servaient aussi aux prêtres qui allaient s'y laver et leur permettaient de voir si nulle tache ne demeurait sur leur figure ou sur leurs vêtements, afin de s'en purifier.
De même, lorsque nous voulons monter à l'autel du Seigneur, devons-nous nous considérer dans le miroir de notre raison, et si nous découvrons quelque tache en notre conscience, nous nous en purifierons. Nous observerons aussi nos vêtements, c'est-à-dire nos mœurs, nos paroles et nos actes, ainsi que les rapports que nous avons au dehors avec les hommes, pour voir si nul ne souffre par nous de dommage. Chacun doit en effet s'appliquer autant qu'il en a conscience et qu'il le peut à. ce que nul ne soit scandalisé à cause de lui : autrement il ne pourrait être exaucé de Dieu, ni admis dans son tabernacle intérieur pour l'y adorer.
Le bassin d'airain était placé entre l'entrée du tabernacle et l'autel des sacrifices, où l'on immolait à. Dieu les victimes. Nous aussi nous devons offrir à Dieu l'homme extérieur, par le moyen de vertus morales, de bonnes pratiques et d'austères pénitences ; et l'homme intérieur sera offert sur notre autel d'or ; par des vertus intérieures, des exercices spirituels et des prières mentales : ce sera pour nous sortir et entrer au service de Dieu. Là nous trouvons chaque jour des entraves qui viennent d'inconstance ou de multiplicité de cœur. Et c'est pourquoi une application attentive basée sur l'amour affectif de Dieu devra toujours se joindre aux œuvres extérieures et intérieures ; et ce sera là comme notre bassin et sa base. Dieu y verse l'eau de sa grâce et nous devons nous y purifier, chaque fois que cela est nécessaire, surtout avant de revêtir les ornements sacrés pour monter à l'autel. Selon l'ordre de Dieu, en effet, l'ablution légale s'imposait pour toujours à Aaron et à sa postérité. Or cette postérité au sens spirituel, ce sont tous les fidèles, mais spécialement les prêtres, qui sont tenus de réaliser dans leur vie ce que figurait la loi ancienne. Leurs bonnes œuvres à l'extérieur et leurs saints exercices à l'intérieur seront comme les ornements que les prêtres juifs devaient porter pour le service de Dieu.
Le grand prêtre, dans la loi juive, était revêtu de huit espèces d'ornements, lorsqu'il allait offrir le sacrifice dans le tabernacle de Dieu. De même tout évêque ou prélat, dans la loi nouvelle, doit-il être orné plus que tous les autres hommes, de huit vertus principales, figurées par les vêtements des prêtres juifs.
CHAPITRE XXXVII
DE QUATRE ORNEMENTS COMMUNS À TOUS LES PRÊTRES.
Le premier ornement du grand prêtre, chez les juifs, était un vêtement blanc tissé de lin double, qui allait des reins jusqu'aux genoux. Et c'est la figure d'une double pureté, celle du corps et celle qui consiste à. résister énergiquement à toute révolte de l'appétit sensuel.
Le second vêtement, également de lin double, allait jusqu'aux pieds et avait des manches étroites. C'est la pureté de cœur et l'honnêteté dans la conduite extérieure au regard de tous.
Le troisième vêtement était une ceinture, dont la chaîne était de lin double, tissé d'hyacinthe, de pourpre, d'écarlate et de fleurs diverses. La chaîne, c'est une conscience pure avec l'innocence de la vie : elle est tissée d'hyacinthe, c'est-à-dire d'intention céleste ; de pourpre, qui est abstinence de tout ce qui est illicite ; d'écarlate, qui signifie le zèle intense de satisfaire à Dieu et à tous ; de fleurs variées enfin, par quoi nous pouvons attirer et enseigner les autres, au moyen de la vérité et des bonnes œuvres.
Le quatrième ornement était une mitre de lin, liée sur la tête du prêtre par des cordons d'hyacinthe, pour tout le temps que duraient les sacrifices. Elle signifie une liberté dépouillée de sollicitudes ; car la volonté libre, figurée par la tête, doit être, en tout prêtre, délivrée d'images et de tous soucis, afin qu'en son service il ne soit pas distrait et puisse offrir à Dieu un sacrifice vraiment digne. Ainsi sa tête est-elle ornée d'une mitre de pureté et du casque puissant d'un dépouillement si complet que nul n'y peut nuire, tant qu'il demeure libre d'images du dehors. Cet ornement sera lié et retenu au moyen de cordons d'hyacinthe, ce qui signifie l'aversion complète du monde, jointe à l'oraison mentale et aux exercices spirituels.
Ces quatre ornements étaient communs à tous les prêtres des juifs, qui devaient accomplir leur ministère dans le tabernacle de Dieu et vivre des sacrifices qui lui étaient offerts. De même les quatre manières de vertus, que ces ornements représentent, devraient appartenir à tous les prêtres qui vivent des biens du Christ et sont chargés de le servir, lui et tout son peuple dans la sainte Église. Celui k qui elles manqueraient serait indigne de vivre des biens que le Fils de Dieu a mérités par sa mort. Et je dis la même chose de tous ceux qui vivent de revenus attachés à. des offices ou autres prières, qu'ils s'engagent à. dire en l'honneur de Dieu et pour la rémission des péchés de ceux qui les ont offerts.
CHAPITRE XXXVIII
DES ORNEMENTS PROPRES AU GRAND PRÊTRE.
Aaron, le grand prêtre des Juifs, portait encore quatre autres ornements qui lui étaient propres et qui représentent eux aussi quatre vertus spéciales, dont tout évêque ou prélat doit être revêtu de droit.
Le premier de ces ornements était une tunique de couleur hyacinthe, ayant deux pans allant jusqu'aux pieds et cousus ensemble sur les épaules. L'ouverture n'en était pas ronde, mais consistait en une fente qui partait de la poitrine jusqu'au milieu des épaules et était munie de deux cordons d'hyacinthe pour fixer le vêtement par en haut.
Au bas de cette tunique et tout autour des pieds étaient fixées soixante-douze clochettes d'or et autant d'ornements en forme de grenades, dont chacun avait quatre couleurs : hyacinthe, pourpre, écarlate et blanc ; de sorte que ces ornements alternaient avec les clochettes.
Par cette tunique hyacinthe, c'est-à-dire couleur de ciel, on doit entendre la vérité évangélique, que tout évêque ou prélat doit porter dans son cœur et manifester par toute sa vie. Or cette vérité céleste, nul ne peut l'obtenir sinon par le dépouillement d'images et la liberté vis-à-vis de toute sollicitude, ce qui convient de droit à tous les prêtres. Le pan antérieur de la tunique signifie que le prélat doit toujours diriger par amour son intelligence libre d'images vers la simplicité. Le pan postérieur indique son application à rendre sa vie et son enseignement profitables à son peuple. Les coutures qui relient ces deux pans sur les épaules marquent qu'il doit toujours poursuivre l'honneur de Dieu et le salut des hommes. Les manches qui couvrent les bras signifient l'attitude forte qu'il doit opposer de part et d'autre, soit à la bonne soit à la mauvaise fortune, capables de voiler la vérité ou d'y introduire des mélanges. La fente longitudinale, destinée à. faire passer la tête, marque la sagesse dont doit user le prélat, soit envers les bons, soit envers les mauvais, selon l'utilité de chacun, consolant l'un, reprenant l'autre, sévère pour celui-ci, clément pour celui-là.
Cependant la sagesse ne peut pas être partagée en elle-même, et c'est pourquoi les cordons d'hyacinthe, qui réunissent les deux bords de l'ouverture, figurent l'intention principale que doit avoir tout prélat de poursuivie l'honneur de Dieu et l'utilité du peuple du Seigneur.
Les soixante-douze clochettes qui ornaient la frange du vêtement, ce sont les soixante-douze langues qui, dans toutes les parties du monde, servent à enseigner, pour l'amour de Dieu, la vérité évangélique et la vie du Christ. Quant aux. ornements de quatre couleurs qui alternaient avec les clochettes, ils donnent. à entendre que tous ceux qui ont enseigné cette vérité, avec l'assistance du Saint-Esprit, l'ont aussi vécue. De sorte qu'ils étaient comme revêtus de la vie même de Notre-Seigneur Jésus-Christ et semblables à lui, grâce à quatre vertus : la blancheur de la pureté ou l'innocence, la pourpre de l'obéissance toute soumise, l'écarlate de la justice opposée à tout ce qui contrarie la vertu, l'hyacinthe de l'intention simple et céleste par quoi l'on persévère toujours. Ainsi la vie de chaque prélat devra-t-elle servir d'ornement à son enseignement, sans quoi cet enseignement risquerait d'être vain.
Un autre ornement du pontife des juifs était l'éphod, de forme ronde et sans manches, semblable à un scapulaire descendant jusqu'aux reins, ayant les quatre couleurs nommées plus haut dans le tissu d'or. Ouvert devant la poitrine de la largeur d'une palme, il avait les deux côtés joints sous les bras par des agrafes d'or passées dans des anneaux d'or.
Par ce scapulaire on entend l'unité de notre esprit, qui assemble en elle toutes vertus par l'appel intérieur figuré par les agrafes d'or et l'adhésion de désir que signifient les anneaux d'or. Nul ne peut la posséder s'il n'exerce avec attention la vérité évangélique, dont il a été parlé plus haut. Cette unité est de quatre couleurs, car toutes les vertus ont en elle leur point de départ et leur fin, leur couleur et leur beauté, leur unité et leur vie, à cause de l'or qui y est tissé, c'est-à-dire la charité ou amour divin qui fait sortir toutes les vertus de l'unité et les y fait retourner.
L'éphod n'avait point de manches, parce que l'unité de l'esprit demeure toujours, comme telle, entière en elle-même, sans se donner d'aucun côté aux créatures. C'est pourquoi elle est une source de toutes vertus, car elle fait jaillir d'elle des fleuves, tout en restant entière en soi-même. L'ouverture en avant, large d'une palme, signifie que l'unité exige de nous sans cesse un regard vers l'intérieur, tout rempli de désir.
L'éphod portait encore sur chaque épaule une riche pierre d'onyx enchâssée dans l'or, et les douze noms des fils d'Israël y étaient gravés, selon l'ordre d'aînesse, six sur chaque pierre. Dieu voulait ainsi rappeler à tout le peuple la foi et la justice des ancêtres, et c'est pourquoi, dans tous les sacrifices, le pontife portait sur ses épaules les noms des douze patriarches gravés sur les deux pierres.
Ces pierres étaient de couleur foncée, transparentes comme l'ongle de l'homme et traversées de veines claires : on les trouve en Arabie. Elles signifient les douze apôtres, nos patriarches qui nous ont engendrés dans l'esprit et dans la foi. Obscurs par leur vie, mais transparents comme l'ongle, grâce à la divine Sagesse, ils laissaient voir, en cette transparence, leur chair ensanglantée par grande persécution ; et ils étaient tout traversés de clarté, par le mépris qu'ils avaient pour les choses du temps, dont ils n'usaient que par stricte nécessité. Comme pierres d'Arabie, ils avaient la finesse sous humble apparence, et c'est ainsi qu'ils ont instruit et converti nos ancêtres. Enchâssés dans l'or, ils avaient l'unité de leur esprit engagée dans l'amour divin. Fixés enfin sur chaque épaule, ils accueillaient indifféremment Gentils et juifs, désireux de venir à la foi.
Les prélats et les docteurs, en qui l'on trouve ces vertus, peuvent être suivis dans leur enseignement et dans leur vie : ce sont de vrais pasteurs et eux seuls.
CHAPITRE XXXIX
DE LA CEINTURE DU GRAND PRÊTRE.
Au-dessus de l'éphod le grand prêtre portait encore une ceinture semblable à celle des autres prêtres, dont il se ceignait de nouveau. De même l'unité de l'esprit en nous doit-elle être fortement serrée au moyen des cinq vertus qui sont figurées par la ceinture et sans lesquelles cette unité ne pourrait se maintenir. C'est à chacun de voir s'il possède ces vertus pour s'en ceindre étroitement.
(1) Luc., I, 46-47. (2) Ex., XXX, 1-8. (3) JOAN., V, 17. (4) Apoc., VIII, 3. (5) Ex., XXX, 18-22. (6) Ex., XXXVIII, 8. Le texte sacré parle plutôt de la matière qui avait servi à la confection du bassin, les miroirs d'airain offerts par les femmes. Ruysbroeck l'entend d'ornements, où l'on pouvait apercevoir, par réflexion, ceux qui entraient au tabernacle. (7) Ex., XXVIII. |