RUYSBROECK - TOME 6 : LE LIVRE DES DOUZE BÉGUINES

PREMIÈRE PARTIE
DE LA VIE CONTEMPLATIVE



CHAPITRE PREMIER

DOUZE PENSÉES SUR L'AMOUR DE JÉSUS.


Douze béguines réunies
parlaient ensemble du très noble Seigneur Jésus,
chacune selon sa pensée : « Venez, louons l'amour
qui est suave dès l'abord
et d'une douceur souveraine. »

La première dit :
« Je veux porter l'amour de Jésus,
sans rien demander à personne :
que Dieu m'en donne la force.
Il est juste que nous l'aimions
celui que nous savons si noble
et de si haute extraction. »

La deuxième dit :
« Je voudrais bien l'aimer,
si je savais comment m'y prendre :
il m'est tout caché.
Mon cœur est encombré :
je m'en accuse souvent, je m'en déclare coupable,
ma vie est pleine de soucis. »

La troisième dit :
« Il vint à moi comme un vrai ami,
et me proposa mille choses belles.
Mais voici qu'il a fui loin de moi, inconstant ;
rien ne me reste plus.
Je le poursuis comme je puis.
Ce n'est pas sage de louer le jour,
avant d'avoir vu le soir
suave et doux. »

La quatrième dit :
« L'amour de Jésus m'a déçue ;
il m'a arraché cœur et sensibilité,
et je ne sais à qui m'en plaindre.
Il me dévore nuit et jour,
il exige de moi plus que je ne puis donner :
ce n'est pas commerce équitable. »

La cinquième dit :
« J'aurais tort si je voulais me plaindre
de ce qu'on ne m'avance pas de gages.
Je ne m'en étonne pas :
il arrive d'ordinaire
que celui qui a peu travaillé
ne reçoive que peu en retour.»

La sixième béguine dit :
« Qu'est-ce qu'on dit ici ?
Qu'est-ce que l'on cherche ?
Jésus peut-il donc effrayer ?
Nos béguines sont hors de leur voie,
elles sont une honte pour Jésus.
Leurs paroles sont si vaines,
qu'elles feraient mieux de s'en accuser. »

La septième dit :
« La faim de mon âme est si grande,
que si j'avais tout ce que Dieu donna jamais,
cela ne pourrait me rassasier.
S'il ne se donne lui-même, j'en meurs.
Mon impatience en tel besoin,
nul ne peut la deviner. »

La huitième dit :
« Le Seigneur Jésus est un très doux canal,
d'où coule abondance de joie :
avec lui il me faut boire.
Il est mien et je suis sienne :
je ne puis me passer de lui.
Il m'est donné en partage,
et il m'est comme une noix très douce :
ceux qui ne la cassent pas sont fous,
les délices se trouvent au noyau.
Eussé-je sur toutes choses pouvoir,
je choisirais Jésus pour mon Dieu :
tant il m'est doux de vaquer à lui. »

La neuvième dit :
« L'amour du Seigneur Jésus m'a délaissée.
Je le poursuis à travers des voies inconnues :
et ainsi je vis errante.
Si je possédais quelque chose auparavant,
maintenant je n'ai rien,
et j'en ressens grande tristesse :
il m'a volé mon cœur. »

La dixième dit :
« L'amour de Jésus est si beau,
il a rempli mon âme :
il me verse son vin généreux,
toujours des coupes pleines.
Mon Dieu, quelle sera donc ma joie,
lorsqu'il me montrera sa face si belle,
et que je boirai ce vin généreux !
Elles ont tort celles qui n'en parlent pas bien. »

La onzième dit :
« Ai-je un désir ? Je ne sais :
car dans une ignorance sans fond
je me suis perdue moi-même.
Je suis absorbée en sa bouche,
comme en un abîme immense :
je n'en puis plus revenir. »

La douzième béguine dit :
« Toujours bien faire, c'est là ma volonté
car l'amour ne peut rester oisif.
Pratiquer la vertu dans une fidélité sincère
et, au-dessus des vertus, contempler Dieu,
c'est ce que j'estime hautement.
Contempler la Divinité sublime,
se fondre en face de l'amour,
toujours être ivre d'amour,
c'est une très noble manière.
Demeurons ensemble,
et parlons toujours des choses du ciel :
il n'est point de vie plus noble.
Notre Père céleste nous a aimés ;
il nous a envoyé son Fils :
c'est lui qu'il nous a donné.
Il nous a rachetés par sa mort ;
c'est pour nous une consolation éternelle.
Pour lui nous devons vivre
et prier notre Dieu du ciel,
pour que nous accomplissions son commandement,
toujours en vue de sa gloire ;
et que dans cette vallée de misère,
nous puissions vaincre le mal d'enfer,
puis parvenir en son palais. »


CHAPITRE II

CE QUE DOIT ÊTRE CELUI QUI AIME VRAIMENT.

Voyez, tel est l'état des bonnes béguines,
qui peinent beaucoup pour la vertu,
ainsi qu'elles étaient au temps passé,
et comme nous en voyons vivre encore aujourd'hui.
Cependant cet état est bien déchu,
et c'est l'infidélité qui en est cause.
Voulez-vous être vraiment fidèle,
que votre cœur adhère à Dieu,
par amour, en toute vérité,
dans une simplicité toute pure.
Soyez douce et modeste parmi celles
qui sont emportées et se blessent facilement,
qui murmurent, qui invectivent dans leur orgueil,
qui s'irritent pour un rien, se réconcilient difficilement,
fardeau pour les autres ;
qui sont suffisantes, obstinées et n'écoutent personne,
mécontentes, acariâtres et toujours fâchées,
colères, irritables, sans miséricorde,
malignes, cruelles et intolérantes :
ce n'est pas une conduite de béguine :
elles n'en ont ni la vie ni l'apparence.
Supportez et souffrez de si mauvaises compagnes,
et Dieu bénira votre vie.
Si vous voulez connaître les gens de bien,
observez comment ils sont au dehors et au dedans.
Toute sainteté vient de Dieu
pour ceux qui vivent ses préceptes.
Ceux qui méprisent le monde du fond de leur cœur
peuvent monter les degrés célestes
et sont remplis de la grâce de Dieu,
pourvu qu'ils suivent ses conseils.
Ceux qui ont quitté les choses terrestres
sont remplis de charité.
La charité est un poids excellent,
plus lourd qu'amitié ou parenté :
elle vainc la chair et le sang
et est prompte à toute vertu.
Ceux qui pratiquent la charité
sont les plus riches de ce monde :
ils sont intrépides et fort courageux,
car ils n'ont besoin de personne.
Ils n'ont pas à se soucier,
car l'Esprit du Seigneur est leur répondant.
Ils ne cherchent pas ce qui paraît au dehors,
car ils ne désirent pas qu'on les loue.
Ils ne choisissent pas de manières singulières,
mais veulent être semblables aux autres gens de bien :
ils se conforment aux pratiques de la sainte Église,
à toutes œuvres bonnes et saintes.
Ils ont en grande estime tous les sacrements,
sûrs d'y trouver la grâce de Dieu.


CHAPITRE III

COMMENT ON SE PRÉPARE À RECEVOIR LE SAINT SACREMENT

Quand on va recevoir le Saint Sacrement,
qui nous a été envoyé de Dieu,
et où vit le corps du Seigneur,
il faut le vénérer par-dessus toutes choses.
Tout homme bon se tiendra en présence du Christ,
se découvrant à la vérité éternelle,
s'éprouvant et examinant soi-même,
selon sa vie, ses paroles et ses œuvres,
disant avec componction de cœur :
« Soyez-moi propice, amour éternel.
Je puis bien avoir déplaisir de moi-même,
car j'ai péché depuis les jours de mon enfance ;
j'ai perdu mon temps.
Ayez pitié de moi, Seigneur miséricordieux.
Je ne suis pas digne que vous veniez en moi.
Je porte les graves blessures de mes péchés ;
je ne puis jamais guérir,
si la consolation ne me vient de votre bouche si douce,
qui me dise la parole dont j'ai besoin,
la parole émise de votre divine majesté. »


CHAPITRE IV

RÉPONSE DE DIEU À L'ÂME AVIDE
DE LA SAINTE COMMUNION.

« Ô homme, j'ai entendu ta prière,
et je veux faire ce qui m'appartient ;
je veux répondre à ta tristesse,
agir selon ta confiance.
Reprends joie, courage et sécurité,
je ferai pour toi tout ce que tu désires.
Je veux être ta nourriture, me donner à toi, être tien :
tourne-toi entièrement vers moi.
Ma chair a été comme rôtie
sur la croix, à cause de toi ;
mon sang, plein de vie et de chaleur,
pénètre l'âme et le corps.
Ensemble nous boirons et mangerons.
Tu te souviendras de ma passion et de ma mort,
et aussi de mon amour éternel.
Si tu fais cela, tu auras la paix.
Mon bien-aimé, si je t'ai bien compris,
tu souhaiterais volontiers recevoir le Sacrement :
le sacrifice de la messe est achevé,
et si tu veux, tu peux le recevoir. »


CHAPITRE V

L'HOMME DIT À DIEU SON ADMIRATION
POUR LA GRÂCE DE L'EUCHARISTIE.

« Ô Seigneur, vous parlez selon mon désir :
soyez-en béni.
Je reçois volontiers le Saint Sacrement :
il m'est un don précieux.
Je reçois en lui votre corps sacré,
qui m'est doux et bien délicieux,
puisqu'il est mon pain céleste :
ceux qui ne le mangent pas sont morts.
Il est aussi le pain des anges.
Ceux qui le goûtent sont des sages.
Le monde ne peut pas le goûter :
il se réjouit et s'attriste d'autres choses.
Ô Seigneur, vous avez daigné promettre
que nous mangerions ensemble.
Seigneur, je soupire, j'aspire, je désire,
et je ne puis pas vous consumer :
plus je mange, plus aussi j'ai faim,
plus je bois, plus aussi j'ai soif :
toujours il en reste plus
que ne pourraient consumer tous les vivants.
Seigneur, vous êtes un hôte libéral :
vous payez vous-même tout ce qui se consomme.
Seigneur, je bois si volontiers votre sang vivant,
qui coule de votre côté
et de votre corps saint,
qui est noble et de grand prix.
Il est si doux à mon gosier :
je suis à moitié enivré et ne puis le cacher.
Seigneur, votre sang est plus généreux que le vin de grenades ;
j'en veux remplir tous mes vaisseaux :
alors suis-je intrépide et de grand courage,
et n'ai-je plus rien à faire au dehors.
Je suis tout rempli, et pourtant je désire,
et ce que j'ai, je ne peux le consumer.
Tout mon avoir, je ne puis l'estimer ;
je poursuis ce qui me fuit.
Mon désir doit toujours suivre, je le sais ;
mais comment le mode atteindrait-il ce qui est sans mode ?
Mode et sans-mode sont deux choses,
qui jamais ne feront un ;
car ils doivent demeurer distincts :
l'un ne peut chasser l'autre.
Tout ce qui est foi, ordre, sage mesure,
doit être justement estimé,
car la pratique de la sainte Église
consiste en ordre, mesure, bonnes œuvres.
Sans mode nul ne peut vivre
ni au ciel ni sur la terre.
C'est en ordre, mode, poids et mesure,
que Dieu a créé toutes choses.
Ainsi devons-nous vivre selon les modes de la raison,
afin que, au-dessus de la raison, nous ayons une vie contemplative.


CHAPITRE VI

DE CE QUI EMPÊCHE LA VRAIE CONTEMPLATION.

Beaucoup de gens se trompent
et ne peuvent découvrir ni la contemplation, ni l'affranchissement des modes.
Tous ont empêchement
de rencontrer contemplation ni liberté :
ils ont le cœur encombré,
observent de près les autres ;
sont remplis de soucis étrangers,
occupés de parents et amis,
soucieux de ce qui leur est nécessaire,
sans connaître la richesse de Dieu.
Une prévoyance discrète est bonne :
mais qui est trop soucieux n'est pas sage.
Se tourner au dehors dans une vie sensible
enlève le vrai recueillement.
Ceux qui se contentent des sens extérieurs
ne trouvent rien à l'intérieur qui les satisfasse ;
au dehors lents et paresseux,
au dedans excessifs en joie comme en douleur.
Quoique ces choses puissent être exemptes de péché mortel,
elles empêchent l'homme de trouver son propre fond.
Ceux qui ont la pensée remplie de choses étrangères,
ne peuvent trouver ni la contemplation ni l'absence de mode.


CHAPITRE VII

DE CE QUI CONDUIT A LA VRAIE CONTEMPLATION.

Mais si vous voulez vous préparer à la contemplation,
vous devez suivre les voies qui y mènent :
c'est dans la conscience une pureté sans tache,
et dans la vie une innocence bien ordonnée,
dans les mœurs la tranquillité de l'honnêteté,
dans tous les sens la sobriété ;
refréner la nature dans son inclination désordonnée,
et lui être indulgent selon la raison et la discrétion ;
allez vers tous ceux qui le réclament,
d'une manière conforme à la piété ;
le retour en soi sera simple et dépouillé d'images ;
le regard intérieur élevé, et ouvert à la vérité éternelle ;
le recueillement simple, tranquille, pratiqué dans une paix véritable,
l'habitation intérieure jamais gênée ni troublée par aucune injustice ;
un amour brûlant au fond de l'âme,
une vive flamme de dévotion qui monte vers la bonté de Dieu,
une âme aimante qui désire être avec Dieu dans l'éternité,
l'abnégation de tout égoïsme pour le bon vouloir de Dieu,
la réunion de toutes les puissances de l'âme en l'unité de l'esprit,
action de grâces, louange, amour et service de Dieu dans
une révérence éternelle ;
si vous voulez pratiquer ces vertus en amour,
vous pouvez espérer une vie contemplative ;
car si vous vivez fidèle à Dieu et à vous-même,
dès qu'il se montre, vous pouvez le contempler.


CHAPITRE VIII

QUELLE EST LA VRAIE CONTEMPLATION

La contemplation est un savoir sans mode,
qui reste toujours au-dessus de la raison :
elle ne peut descendre dans la raison,
et la raison ne peut l'atteindre au-dessus d'elle.
La claire ignorance de mode est un fin miroir,
où Dieu fait luire sa splendeur éternelle.
L'absence de mode ignore toutes façons,
tous les actes de la raison y défaillent.
L'ignorance de mode n'est pas Dieu,
mais la lumière dans laquelle on le voit.
Ceux qui vivent dans cette ignorance, en la lumière divine,
aperçoivent en lui un désert.
L'ignorance de mode dépasse la raison, sans la supprimer :
elle voit toute chose sans étonnement,
s'étonner lui est inférieur :
la vie contemplative ignore l'étonnement.
Dans l'ignorance de mode l'on voit, mais sans savoir ce que c'est ;
car cela dépasse tout et n'est ni ceci, ni cela.
Je dois laisser ici la rime,
si je veux être clair en décrivant la contemplation.


CHAPITRE IX

QUE DOIT ÊTRE CELUI QUI VEUT AVOIR EN SOI L'EXPÉRIENCE
 DE LA VRAIE CONTEMPLATION.

   Si vous souhaitez avoir en vous l'expérience de la vie contemplative, vous devez, orné de toutes les vertus dont j'ai parlé, vous recueillir au-dessus de la vie des sens dans la partie la plus élevée de votre intérieur, et vous appliquer à Dieu en action de grâces, en louange, en respect éternel ; vous devez maintenir votre pensée dépouillée de toute image sensible ; l'entendement ouvert et élevé avec désir vers la vérité éternelle ; l'esprit découvert devant Dieu comme un miroir vivant pour recevoir la ressemblance éternelle avec lui. Voyez, là se montre une lumière intellectuelle que ni sens, ni raison, ni nature, ni considération pénétrante ne peuvent comprendre. Cette lumière nous donne liberté et confiance vis-à-vis de Dieu. Elle est plus élevée et plus noble que tout ce que Dieu a créé dans la nature ; car elle est perfection de la nature, au-dessus de la nature et un intermédiaire entre nous et Dieu. La pensée vide d'images est le miroir vivant dans lequel brille cette lumière. Et cette lumière appelle notre ressemblance et unité avec Dieu dans le miroir vivant de notre pensée toute dépouillée : ainsi Dieu vit en nous par sa grâce, et nous vivons en lui au moyen des vertus et des bonnes œuvres. Dans ce miroir vivant nous sommes semblables à notre image éternelle qui est Dieu ; car nous vivons selon l'éternelle prévision de Dieu. Cette lumière s'écoule en ressemblance et attire en unité ; nous l'apercevons au-dessus de la raison, dans notre entendement dépouillé et recueilli. C'est là que la Vérité de Dieu dit à notre esprit : « Regarde-moi, comme moi je te regarde, et connais-moi, comme moi je te connais. Aime-moi, comme moi je t'aime. Jouis de moi, comme moi je jouis de toi ; et ainsi que moi je suis tien, tout entier, sans division ni partage, de même je veux que tu sois mien sans division et tout entier. Je t'ai vu de toute éternité, avant toute création, en moi et un avec moi, et comme moi-même. Là je t'ai connu, aimé, appelé et élu. Je t'ai créé à mon image et à ma ressemblance. J'ai saisi ta nature et j'y ai imprimé mon image, pour que tu sois sans intermédiaire un avec moi, à la gloire de mon Père. J'ai créé mon âme avec toutes ses puissances et je l'ai remplie de tous dons, afin de pouvoir servir votre Père et mon Père, votre Dieu et mon Dieu, et lui obéir dans notre humanité commune, selon tout ce que je pouvais et jusqu'à la mort. Et de ma plénitude de grâces et de dons j'ai rempli ton âme et tes puissances, pour que tu me ressembles et qu'en ma puissance et par mes dons tu puisses servir, remercier et louer notre Dieu éternellement, sans fin.

   Ainsi nous sommes tous un avec Dieu dans notre image éternelle, c'est-à-dire dans la Sagesse de Dieu, qui a pris notre nature à nous tous. Et bien que nous soyons un en notre image avec Dieu, par le moyen de l'assomption de notre nature, nous devons aussi lui devenir semblables en grâces et en vertus, si nous voulons nous trouver un avec Dieu dans notre image éternelle qui est Dieu même. De cette manière aussi l'humanité de Notre-Seigneur Jésus-Christ était et demeure élevée en la Sagesse divine, avec laquelle elle est une : son âme et toutes ses puissances étaient et sont remplies de la plénitude de tous les dons. Et il est lui-même pour nous comme une source vivante, d'où nous recevons tout ce qui nous est nécessaire.
Et il dit lui-même : « Mon Père m'a envoyé pour vivre comme Dieu et homme, pour tous ceux qui me désirent.
Vois, mon bien-aimé que j'ai élu : je suis tout entier à toi. C'est pour toi que j'ai vécu, pour toi que j'ai enseigné et prêché, et que j'ai subi la mort. Je t'ai offert à mon Père par ma mort, et j'ai payé ta dette de mon sang précieux. Je suis ressuscité glorieusement en âme et en corps, pour que tu puisses ressusciter glorieusement au dernier jour, avec ton âme et ton corps, et que tu puisses contempler éternellement et sans fin ma gloire et la gloire de mon Père. Je suis monté à la droite de mon Père, au-dessus de tous les chœurs et de toutes les hiérarchies des anges et des hommes. J'ai préparé aussi à chacun sa place selon qu'il en est digne et selon les mérites de ses vertus et de sa vie. Et je descendrai dans ma gloire, au dernier jour, avec mes anges et mes saints pour juger tous les bons et tous les méchants, chacun d'après ses propres mérites et selon la justice. »

   « Observe maintenant, mon bien-aimé, ce que j'ai encore fait pour toi. Je t'ai donné et laissé ma chair et mon sang vivant, en nourriture et en breuvage, pour répandre un goût céleste, pénétrant chacun selon tout ce qu'il peut désirer, goûter et sentir. J'ai nourri et rassasié tes désirs et ta vie affective de mon corps torturé et glorifié. Ton amour et ton être raisonnable, je les ai nourris et remplis de mon esprit et de tous mes dons, ainsi que de tous les mérites par lesquels je plais à mon Père. J'ai donné ma propre personne comme aliment à ta contemplation et à ton esprit élevé, afin que tu puisses vivre en moi, et moi, Dieu et homme, en toi, dans la ressemblance des vertus et dans l'unité de la fruition. »

   « Mon Père et moi, nous avons rempli le monde de notre Esprit, de nos dons et de nos sacrements, selon les désirs et les besoins de chacun. Homme, regarde qui je suis, et vois comment j'ai vécu pour toi et comment je t'ai servi, ce que j'ai souffert pour toi et ce que je t'ai promis : sois reconnaissant et donne-moi réponse de tout ton pouvoir. »


CHAPITRE X

LE PREMIER MODE DE LA VRAIE CONTEMPLATION.

   « Ô Seigneur, soyez-moi propice : je ne suis rien et je n'ai rien, et je ne puis rien sans votre aide et votre grâce. Je vois dans la lumière de ma nature que vous êtes Créateur et Seigneur du ciel et de la terre, et de toutes les créatures. Je vois et je crois dans la foi chrétienne tout ce qui appartient à la foi, et je désire accomplir, moyennant votre secours et votre grâce, votre loi et vos préceptes, en tout selon mon pouvoir. Seigneur, cela est commun à tous vos membres et à tous les chrétiens qui seront sauvés. Seigneur, vous conviez mon esprit au-dedans, afin que je vous regarde, comme vous me regardez, et que je vous aime comme vous m'aimez.

   Maintenant il s'agit de bien me comprendre. Lorsqu'un homme bon et intérieur se recueille en soi-même, détaché et affranchi de toutes les choses terrestres, et que respectueusement il tient son cœur ouvert en haut, avec une vraie révérence pour la bonté éternelle de Dieu ; alors le ciel caché se découvre, et de la face de l'amour divin resplendit, rapide comme un éclair, une lumière qui pénètre le cœur de cet homme ; et en cette lumière l'Esprit du Seigneur parle ouvertement au cœur qui aime et lui dit : « Je suis tien et tu es mien. Je demeure en toi et toi tu vis en moi. » Sous l'action de cette lumière et de cette touche, la joie et les délices pour l'âme et pour le corps sont si grandes, en ce cœur élevé, que l'homme ne comprend pas ce qui lui est arrivé, et ne sait comment le supporter : et c'est ce qu'on appelle jubilus, ce que personne ne peut exprimer en paroles, ni connaître, à moins de l'avoir éprouvé. Cela vit dans le cœur aimant, qui est ouvert à Dieu et fermé à toutes les créatures. Et de là provient la jubilatio, qui est un amour de cœur, une flamme ardente de dévotion, avec action de grâces et louange, en éternelle révérence pour Dieu. Mais celui qui goûte la douceur, s'y arrête et y cherche satisfaction, au lieu de remercier Dieu et de le louer, se trompe tout à fait. Tel est le premier mode et le plus humble, selon lequel Dieu se montre dans la vie contemplative. J'en veux donner à ceux qui ne le connaissent pas un exemple familier. Prenez un miroir concave et approchez-le d'une matière sèche et inflammable ; puis exposez le miroir aux rayons du soleil ; la matière sèche s'enflammera et brûlera à cause de la chaleur du soleil et de la concavité du miroir. De même, si, dans votre recueillement vous avez un cœur vif et ouvert, s'élevant vers Dieu avec révérence, la lumière de sa grâce brillera en ce cœur ouvert et élevé, purifiera la conscience, et brûlera dans le feu de l'amour divin tous les défauts qui sont dans l'homme.

   Voilà donc le mode le moins élevé de la vie contemplative, telle qu'on la pratique par la pureté du cœur et l'élévation du regard vers les choses divines, et où l'amour affectif se traduit avec dévotion et désir en action de grâces et en louange, devant la face de Dieu.


CHAPITRE XI

DU DEUXIÈME MODE DE LA VRAIE CONTEMPLATION.

   Ensuite vient le deuxième mode de la vie contemplative. Les hommes qui, par l'amour et le respect qu'ils portent envers Dieu, sont élevés dans la pureté simple de leur esprit, se tiennent la face découverte et sans voile en présence de Dieu. Et de la face du Père brille une lumière simple dans le regard de leur pensée dépouillée d'images et que la pureté de l'esprit a élevée au-dessus des sens, au-dessus des images, au-dessus de la raison et en dehors de la raison. Cette lumière n'est pas Dieu, mais elle est intermédiaire entre la pensée qui voit et Dieu. On appelle cette lumière regard divin ou esprit du Père. Dans cette lumière Dieu se montre d'une façon simple, non pas selon la distinction ou le mode des personnes, mais dans l'absolu de sa nature et de sa substance.

   Dans cette lumière l'esprit du Père parle à la pensée élevée et dépouillée d'images « Regarde-moi, comme moi je te regarde. » Aussitôt s'ouvrent alors, grâce à la simple lumière infuse du Père, les yeux rendus simples et clairs, et ils contemplent la face du Père, c'est-à-dire la substance ou la nature divine, dans un simple regard au-dessus de la raison et sans considération.

   Cette lumière et la révélation que Dieu fait de lui-même donnent à l'esprit contemplatif une assurance certaine qu'il voit Dieu, autant qu'on peut le voir ici-bas, dans notre condition de mortels. Pour que vous me compreniez bien, je veux vous en donner une comparaison sensible. Quand vous vous trouvez dans la claire lumière du soleil et que vous détournez vos yeux de toute couleur, de toute considération, de toute distinction et de toutes les choses que le soleil illumine, pour suivre simplement de votre regard la lumière et les rayons qui sortent du soleil, alors vous êtes absorbé par la seule lumière du soleil. De la même façon, si vous suivez les rayons resplendissants qui, de la face de Dieu, brillent dans votre simple regard, ils vous conduiront jusqu'au principe de votre être créé, où vous ne trouverez rien d'autre que Dieu seul.


CHAPITRE XII

DU TROISIÈME MODE DE LA VRAIE CONTEMPLATION.

   Vient ensuite le troisième mode qui se rapporte à une vie contemplative. Ce mode est appelé speculatio, ce qui signifie regarder dans un miroir. Car l'entendement de l'homme contemplatif est comme un miroir vivant, dans lequel le Père avec le Fils infusent leur Esprit de vérité, afin que la raison soit éclairée et puisse connaître toute vérité, qu'elle est capable d'entendre en modes, en formes, en images et en comparaisons. Mais le mode selon lequel on voit la face de Dieu est au-dessus de la raison et en dehors de la raison, en l'entendement dépouillé et la pensée sans images ; nulle considération ni raison ne peuvent l'atteindre. C'est ainsi que l'aigle superbe peut, sans sourciller, fixer la lumière du soleil, grâce à la vue perçante de ses yeux, tandis que la chauve-souris n'en peut soutenir la clarté, à cause de la faiblesse de ses yeux et de son regard.

   L'œil simple de l'âme, transformé en l'unité, qui, au-dessus de la raison et en dehors d'elle, est élevé à une vue simple et pure, contemple toujours la face du Père, comme le font les Anges qui nous servent ; car l'œil simple de l'âme n'a rien d'autre devant soi que cette image qui est Dieu lui-même. Là il voit Dieu et toutes choses, en tant qu'elles sont unes avec Dieu, en une simple vue ; et cela lui suffit, et c'est ce qui s'appelle contemplatio, c'est-à-dire regarder Dieu d'une façon simple. C'est de cette façon que la puissance intellectuelle de l'âme est comme un miroir vivant, où Dieu habite avec sa grâce ; et elle a reçu de lui son Esprit de vérité et sous l'influence de sa lumière l'œil de la raison est éclairé, de façon. à pouvoir connaître en formes, en images et en ressemblances Dieu et toutes les créatures, autant que Dieu le veut montrer. Ce même Esprit commande à la raison ainsi éclairée de régir et d'ordonner la vie des sens, selon la loi de Dieu, et selon les préceptes de la sainte Église, dans la charité et dans la vraie discrétion.

   Ensuite l'homme doué d'intelligence, qui a reçu de Dieu l'Esprit de vérité, doit marcher devant la face du Seigneur, ordonner sa vie intérieure et l'orner de toutes les vertus selon la très chère volonté de Dieu : ainsi pourra-t-il entendre la douce voix du Père qui parle en son esprit : « Regarde-moi et connais-moi comme moi je te connais. Remarque attentivement ce que je suis et qui je suis. » À cette invitation l'âme se réjouit avec toutes ses puissances intérieures ; et des yeux de l'intelligence grands ouverts et éclairés, elle désire voir ce que Dieu l'a conviée et invitée à regarder. Dieu alors se montre à l'âme dans le miroir vivant de l'entendement, non tel qu'il est dans sa nature, mais en images et ressemblances, selon que la raison éclairée peut le comprendre et l'entendre. La raison sage et illuminée par Dieu, voit clairement et sans discours, en des images intellectuelles, tout ce qu'elle entendait de Dieu, de la foi et de toute vérité selon son désir. Mais l'image de Dieu même, bien qu'elle lui soit présentée, l'âme ne peut pas la comprendre : les yeux de son intelligence doivent céder devant cette lumière incompréhensible. Sage et éclairée qu'elle est par l'Esprit de vérité, elle voit Dieu dans des images intellectuelles, et comprend qu'il est puissance, sagesse, vérité, justice, bonté et clémence, miséricorde, richesse et libéralité, fidélité vivante, consolation et douceur. Elle voit aussi la distinction des personnes : elle voit que chacune est Dieu et le tout-puissant, égale en la vertu de la nature, unité en trinité et trinité en unité, fécondité selon la nature et repos simple selon l'essence ; chacune des personnes étant Dieu et Divinité selon leur commune substance. Car la raison, illuminée par l'Esprit de vérité, voit Dieu en son miroir, en autant de modes, de formes et d'images qu'elle peut elle-même concevoir et en quelque manière qu'elle souhaite voir.

   La puissance intellectuelle alors est inclinée et invitée par Dieu à regarder ce qu'est Dieu et qui il est. Et c'est pour cette raison que l'âme contemplative dit : « Seigneur, montrez-nous votre face au-dessus des images et ressemblances, et sans voile et à découvert : alors nous serons sauvés et cela nous suffira (1) » À cela l'Esprit du Seigneur répond à la raison éclairée : « Regarde-moi et vois qui je suis et ce que je suis. » L'œil de l'intelligence s'ouvre alors pour voir ce qu'il désire et ce que Dieu l'invite à regarder. L'œil simple voit, d'une simple vue, dans la lumière divine, tout ce que Dieu est, d'une manière simple ; et l'œil de l'intelligence va à sa suite, voulant savoir et expérimenter, dans la même lumière, ce que Dieu est et ce qu'il est : mais devant la face du Seigneur la raison défaille, ainsi que toute considération distincte ; et la puissance intellectuelle se trouve élevée à un dépouillement de tout mode : c'est-à-dire sans manière, ni ceci ni cela, ni ici ni là. Car l'être sans mode l'a toute envahie et sa vie est surpassée et débordée ; elle ne sait pas elle-même où se fixe son regard et elle ne peut saisir son objet ; car sa vision est sans mode, elle lui échappe complètement et sans retour. Ce qu'elle comprend, elle ne peut pas assez l'estimer, ni le saisir tout entier : car elle comprend sans mode et sans forme, et c'est pourquoi elle est comprise par Dieu d'une façon beaucoup plus haute qu'elle ne peut comprendre elle-même.

   Voyez, la pratique de cette contemplation sans modes est intermédiaire entre la contemplation en images intellectuelles ou similitudes, et la contemplation pure, au-dessus de toute image dans la lumière divine.


CHAPITRE XIII

DU QUATRIÈME MODE DE LA VRAIE CONTEMPLATION.

   Vient enfin le quatrième mode qui amène à la perfection la vraie vie contemplative, selon tous les modes qui appartiennent à la contemplation. Ce mode s'appelle un exercice élevé et éclairé dans l'amour, selon la très chère volonté de Dieu. Ce mode ainsi exercé est né de Dieu, ainsi que Notre-Seigneur le dit dans l'Évangile

   « Si vous n'êtes pas né de nouveau du Saint-Esprit, vous ne verrez point le royaume de Dieu et vous n'y entrerez pas (2) » Le Saint-Esprit est une source vive où les esprits aimants sont baptisés, où ils vivent et où ils demeurent ; et il donne en notre esprit l'eau vive de sa grâce, où nous sommes purifiés de tous nos péchés ; et il habite en nous avec sa grâce, et nous habitons en lui par les vertus et la vie sainte.

   L'Esprit du Seigneur, nous le comparons à une source d'eau vive, où nous vivons au-dessus de notre nature créée, et d'où jaillissent les veines vives de la grâce, dont les ondes font couler des dons multiples en notre esprit c'est ainsi que l'Esprit du Seigneur vit et habite en nous. Et le Seigneur nous touche de son doigt, c'est-à-dire de son Esprit, et nous dit « Aime-moi comme moi je t'aime et comme je t'ai aimé de toute éternité. » Cette voix et cette invitation intérieures sont si terribles à entendre, que tout est agité en une tempête d'amour : toutes les puissances de l'âme répondent et se disent entre elles : « Aimons l'amour sans fond qui nous aime éternellement. » Le cœur s'ouvre plein de désirs et toutes les puissances sensibles le suivent dans un amour affectif pour Dieu.

   L'âme vivante monte au-dessus d'elle-même, en intention droite, dans le recueillement profond, dans l'oubli et le mépris de tout ce qui peut gêner ou diminuer l'amour du Seigneur. L'entendement éclairé et la volonté libre progressent en action de grâces, en louange, en révérence et souveraine estime devant la face de l'éternel amour. Quiconque est né de Dieu, est Dieu et esprit Il est Dieu avec Dieu, un seul amour et une seule vie avec Lui en son image éternelle. Il est aussi esprit et semblable à Dieu par la grâce et une adhésion amoureuse à Dieu. Il est saint, fort, libre, et vainqueur de toutes choses en exerçant l'amour. Et entre ces deux choses être un avec Dieu par l'amour et lui ressembler par la grâce, l'amour est exercé en toute manière : car Dieu touche et meut notre esprit, et il exige que nous l'aimions comme Lui nous aime, et son amour est sans mesure, car il l'est lui-même : et notre amour à nous a une mesure, de sorte que nous ne pouvons pas accomplir ce que son amour exige de nous ; mais nous tombons en défaillance, et notre amour devient sans mode et sans forme en face de son amour.

   L'amour n'est ni froid ni chaud, ni clair ni obscur, il n'est ni nourriture ni breuvage, et il n'y a rien au monde qu'on puisse proprement comparer à l'amour. L'amour de Dieu pour nous c'est une motion ou touche spirituelle, où il communique sa grâce et ses dons d'une façon particulière et autant qu'il est utile à chacun pour mener une vie vertueuse.


CHAPITRE XIV

DES QUATRE MODES D'AMOUR.

   Il y a quatre modes d'amour, en lesquels consiste toute sainteté. Le premier mode, qui est de précepte, appartient aux amis. Le second est de conseil et il appartient aux esprits élevés qui vivent selon les conseils de Dieu ; le troisième mode n'est ni de précepte ni de conseil, et il est propre aux fils de Dieu, qui supportent l'action divine dans le pur amour ; le quatrième mode consiste à être un avec Dieu en amour.
Comprenez-moi bien. Le premier mode d'amour consiste dans la crainte et l'amour de Dieu au-dessus de toutes choses, et dans l'obéissance à lui et à la sainte Église selon la foi chrétienne, par les vertus et la pratique des bonnes œuvres. Ceux qui agissent de la sorte sont les amis de Dieu et ils lui plaisent, dans le degré le plus humble où on puisse vivre pour Dieu.

   Ensuite vient le deuxième mode d'amour, où l'on vit attaché à Dieu en esprit et en vérité. Cela existe lorsque l'homme vertueux s'applique plus à l'intention et à l'amour de Dieu qu'à la pratique des bonnes œuvres extérieures pour Dieu ; ainsi est-il mû et convié par l'Esprit du Seigneur à aimer toujours davantage ; et plus il aime, plus il est mû. Et de cette façon il parvient à une expérience bienheureuse sans modes, qui est l'amour dépouillé de modes. Et ainsi est-il un esprit pur et il est fixé en Dieu par un amour sans mode ; et à toute heure il tend à sortir de lui-même jusqu'au plein dépouillement. Et à nouveau il sent la touche divine et il est encore emporté hors de lui : car toutes ses forces manquent en l'amour sans mode. Et c'est là aimer Dieu et être aimé de lui.

   Ce que l'amour est en lui-même, personne ne le peut comprendre : mais ses œuvres apparaissent comme il suit. L'amour donne plus qu'on ne peut recevoir, et il exige plus qu'on ne peut payer. L'exigence de l'amour est parfois dans le cœur comme un feu brûlant et avide dans l'âme et dans le corps il est ardent et plein d'impatience, et dans l'esprit une avidité dévorante qui consume. L'avidité de l'amour consume les œuvres de l'esprit et l'établit dans le repos simple. Et c'est là que commencent une contemplation intellectuelle et une inclination amoureuse, dans une atmosphère bienheureuse et suave : c'est là que l'amour sans mode trouve sa perfection. Car la contemplation intellectuelle et l'inclination amoureuse, ce sont comme deux tuyaux sonores du ciel, qui rendent leur son sans être liés à des tons ni à des notes ; elles vont toujours en avant dans la vie éternelle, sans regarder en arrière ni se retourner ; elles gardent le ton et s'harmonisent avec toute la sainte Église, car c'est le Saint-Esprit qui émet lui-même le son qu'elles rendent et elles tiennent le milieu entre l'amour sans mode et l'amour pur et oisif.

   Suit le troisième mode, qui est d'amour élevé et éclairé dans la lumière divine. Selon ce mode les esprits sont oisifs et purs, élevés au-dessus de toute opération, en un pur entendement et un pur amour. Ils n'agissent point, mais ils sont façonnés et agis par l'Esprit du Seigneur, et, selon qu'ils l'expérimentent, ils sont eux-mêmes grâce et amour, et ils sont appelés fils de Dieu, tous ceux qui sont morts à eux-mêmes en Dieu et qui ont remis toute volonté propre en la très chère volonté de Dieu. Leur vie est cachée avec le Christ en Dieu, et sans cesse ils naissent à nouveau du Saint-Esprit, fils de prédilection de l'amour divin, au-dessus de la grâce et au-dessus de toutes leurs œuvres. Ils sont aptes à s'anéantir et à se fondre dans l'amour. Car ils sont déiformes et ils sont transformés dans le Christ, et ils sont changés par l'Esprit du Seigneur, comme le fer incandescent est changé en feu et devient un avec lui. Il y a autant de feu que de fer, et autant de fer que de feu : cependant le fer ne devient pas feu, ni le feu ne devient fer : chacun garde sa matière et sa nature propres. De la même façon aussi l'esprit humain ne devient pas Dieu, mais il est déiforme et il se sent largeur, longueur, hauteur et profondeur, et dans toute la proportion où Dieu est Dieu, l'esprit aimant lui est uni en amour.
Et de la sorte le quatrième mode est un état de repos, où l'esprit est uni à Dieu en pur amour et dans la lumière divine : il y est dégagé et libre de tout exercice d'amour, au-dessus des œuvres, et supportant l'amour un et simple qui consume l'esprit humain et l'anéantit en lui-même, de sorte qu'il s'oublie soi-même et ne connaît plus ni soi, ni Dieu, ni aucune créature, si ce n'est l'amour seul, qu'il goûte et expérimente, et qu'il possède dans un simple repos.

   Il se sent lui-même une largeur avec l'amour qui est sans mesure et qui embrasse toutes choses, mais qui demeure toujours au-dessus de toute compréhension. Il se voit uni à la longueur de l'éternité, qui est immobile, sans commencement ni fin, et qui précède et suit toutes les créatures. Il se sait élevé avec Dieu à une hauteur, qui domine et règne au ciel, sur la terre et en toutes les créatures. Il se voit aussi profondeur et élevé jusqu'à sa superessence, qui est l'essence même de Dieu : là il se trouve être, avec Dieu et avec tous les saints, une béatitude sans fond, essentielle à Dieu, mais superessentielle à nous-mêmes. Cette béatitude domine toutes choses et est à la base de toutes choses ; et elle est un fondement immobile, c'est-à-dire un soutien sans fond de Dieu et de tout ce qui est créé ; et elle n'est jamais connue autrement que par elle-même : et pour Dieu elle est une connaissance essentielle et tranquille, pour nous un non-savoir incompréhensible. Là où nous savons et connaissons, là nous sommes bienheureux et unis à Dieu en amour ; mais là où nous ignorons, là nous sommes une même béatitude tranquille avec Dieu, au-dessus de notre nature créée : là nous sommes tous ravis, sans l'aide de notre esprit et hors de lui, jusqu'en notre béatitude superessentielle avec Dieu, au-dessus de notre être créé, dans un abîme sans fond qui est l'essence divine, jamais ébranlée ni par Dieu, ni par les créatures.

   Ainsi comprenons-nous certaine distinction et différence, selon notre raison, entre Dieu et divinité, opération et repos. La nature féconde des personnes, selon laquelle trinité est en unité et unité en trinité, est éternellement agissante en vivante distinction. Mais la simple essence de Dieu, en tant qu'essence simple, est un éternel repos de Dieu et de toutes les créatures là nous sommes tous, selon notre superessence, un abîme de béatitude sans différence, pour Dieu seul essentielle et pour nous superessentielle là nous sommes au-dessus de notre nature créée ; là nous sommes tous ravis, sans l'aide de notre esprit, et hors de lui, en notre béatitude superessentielle qui est un abîme et qui ne peut jamais être connue autrement que par elle-même. Et si nous sommes tous, selon notre superessence, au-dessus de notre nature créée, une essentielle unité avec Dieu, éternellement en repos et inactive : nous sommes aussi avec Dieu une trinité féconde des personnes, vivants et agissants au-dessus de tout être de créature. Nous comprenons que nous sommes une vie éternelle avec notre Père céleste, en cette source d'où nous avons été créés. Nous trouvons aussi en son Fils la vérité éternelle, qui est notre image, en qui nous vivons tous au-dessus de nous-mêmes, créés chacun séparément, ordonnés et connus en sa Sagesse éternelle. Nous avons aussi l'assurance dans l'Esprit-Saint, qu'il nous a aimés de toute éternité, et qu'il nous a prédestinés à posséder toutes les vertus et à être un avec lui en amour. Il nous envoie, ornés de grâces et de dons, pour accomplir sa volonté par toutes les vertus et toutes les bonnes œuvres, pour vivre selon sa très chère volonté et pour suivre le Christ en toutes manières que nous pouvons connaître. De même que le Père a envoyé son Fils Jésus-Christ, pour nous servir et pour vivre et mourir pour nous, ainsi Jésus-Christ son Fils nous envoie à son tour, et nous donne son Esprit, afin que nous vivions en charité mutuelle, en vertus et en toutes bonnes œuvres. Ainsi sommes-nous ses disciples, si nous gardons sa loi et ses préceptes, et la charité mutuelle, et si nous sommes fidèles les uns envers les autres : dès lors nous pouvons croître et progresser dans la grâce et dans la vertu, et reproduire la vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et de cette façon croissent en nous de plus en plus la grâce de Dieu, et la faim et la soif de la vertu et de la vérité, ainsi que je vous l'ai montré ci-dessus en parlant du progrès dans la vie sainte.


CHAPITRE XV

COMMENT L'ESPRIT DU SEIGNEUR OPÈRE EN NOUS.


   De même que l'Esprit du Seigneur nous envoie pratiquer les vertus et toutes les bonnes œuvres, de même il nous attire aux exercices de la vie intérieure, et nous convie et nous invite à rendre grâces à Dieu, à le louer, à l'aimer et à le glorifier éternellement et à jamais, comme je l'ai enseigné plus haut. Et plus nous connaissons et aimons, plus nous désirons connaître et aimer, et ainsi nous dépassons nos sens. L'Esprit du Seigneur nous attire au-dedans et il nous montre la face de l'amour ; il nous rend dégagés et affranchis de nous-mêmes, de joie et de tristesse, et de toutes les créatures, et il nous donne la plénitude de sa grâce, et il nous apprend la pratique du parfait amour, c'est-à-dire le regard mutuel entre nous et Dieu, le goût et la connaissance, l'amour et la complaisance réciproques, la fusion et l'écoulement dans l'amour.

   Car Dieu se donne lui-même à nous, mais nous ne pouvons pas le saisir. De lui s'écoulent en nous de multiples dons pour l'âme, le corps, le cœur, les sens, et toutes nos puissances. Nous goûtons et ressentons la consolation et la douceur de son amour. Il mange et il boit avec nous, et nous avec lui. Cela dépasse la compréhension des sens. Plus nous mangeons, plus nous avons faim ; plus nous buvons, plus nous avons soif ; mais l'amour en paie toute la dépense. Les dons de Dieu consument et nourrissent, car ils sont eux-mêmes nourriture et boisson. Ils débordent et remplissent toutes nos puissances : cependant il nous reste une faim et une soif secrètes, car nous languissons et soupirons après ce bien qui est l'amour même, au-dessus de tous les dons et sans mesure. C'est là le mode selon lequel l'Esprit de Dieu se donne lui-même, si nous pouvons y atteindre. Il nous attire aussi au-dedans de nous-mêmes, et il nous demande d'être un seul amour avec lui. Car toutes les paroles de Notre-Seigneur Jésus-Christ se réalisent. Or, il souhaitait et il intercédait auprès de son Père céleste afin que nous fussions un avec lui et avec son Père, de même que lui, selon son humanité, est un avec Dieu en amour, non par nature, mais par grâce (3). Et il souhaitait et voulait aussi que nous fussions là où il est, afin que nous pussions contempler la gloire et l'honneur que son Père céleste lui a donnés (4).

   En ces paroles l'on peut distinguer six points différents, selon lesquels se manifeste la plus haute connaissance qui existe de nous à Dieu.


CHAPITRE XVI

DES SIX POINTS, SELON LESQUELS EXISTE LA PLUS HAUTE
CONNAISSANCE DE NOUS A DIEU.

   Le premier point montre comment nous pouvons être un avec Dieu dans l'amour et dans le Saint-Esprit. Le second, comment nous sommes autres que Dieu dans la grâce et la vertu. Le troisième, comment nous sommes unis à Dieu, au-dessus de nous-mêmes. Le quatrième établit comment nous demeurons en nous-mêmes et ne pouvons aller au-dessus de nous-mêmes. Le cinquième, comment nous devons demeurer en nous-mêmes avec la faim et la soif, et ne pouvons comprendre Dieu. Le sixième, comment au-dessus de nous-mêmes se trouvent rassasiement et surabondance, et béatitude dans l'amour éternel. Notez avec soin ces six points différents ; je vous les développerai et expliquerai.

   Remarquez d'abord et comprenez que nous sommes tous, au-dessus de notre nature créée, une seule vie en Dieu dans notre image éternelle. Nous formons aussi une seule humanité, que Dieu a créée, et nous avons une seule nature humaine, dans laquelle Dieu a imprimé l'image de sa Trinité, et que par amour il a assumée, de sorte qu'il est avec nous Dieu et homme. Et ceci, tous les hommes l'ont également reçu, mauvais et bons ; car c'est la noblesse et la dignité de notre nature. Par là pourtant nous ne sommes ni saints ni bienheureux. Mais lorsque la grâce et la vertu nous élèvent jusqu'à la noblesse dépouillée et simple de notre esprit où Dieu règne, nous nous trouvons être un avec Dieu et avec tous les saints : là nous sommes tous consommés et achevés en un seul amour, qui est Dieu même, le principe et la fin de notre vie éternelle. D'autre part nous sommes autres que Dieu et nous ne pouvons devenir un seul être avec lui, mais éternellement nous demeurons dans une autre nature, où nous subsistons en nous-mêmes, chacun en sa propre personnalité.

   C'est là que Dieu nous a faits semblables à lui dans la simplicité de notre nature, selon notre puissance la plus élevée ; mais cette ressemblance, que Dieu nous a donnée à tous communément dans la nature, ne nous rend ni saints ni bienheureux : c'est la grâce et les dons de Dieu venant d'en haut jusqu'en nous, qui nous donnent une vie vertueuse, et c'est par là, que Dieu vit en nous et nous en lui. Ainsi ressemblons-nous à Dieu au-dessus de notre nature ; et nous lui demeurons semblables en grâce et en gloire.

   Vient ensuite le troisième point, à savoir comment nous sommes un avec Dieu au-dessus de nous-mêmes, tout en lui demeurant éternellement semblables en nous-mêmes. C'est ce que nous enseigne le toucher divin qui illumine notre raison et nous envoie au dehors, et souhaite de nous une vie vertueuse, et nous attire au dedans, et il nous veut unis à Dieu. Or, ce toucher est un éternel intermédiaire vivant entre nous et Dieu, de sorte que nous demeurons éternellement semblables à Dieu en nous-mêmes, et, au-dessus de ressemblance, un avec Dieu.

   Suit le quatrième point. Par ce toucher du Saint-Esprit nous sommes tout à coup mus du dedans, ce qui nous donne un désir insatiable et une faim avide que ni raison ni aucune créature ne peuvent refréner ni rassasier. Car l'Esprit de Dieu convie notre esprit à nous jeter tout entiers de nous-mêmes en Dieu, et à accueillir et à saisir Dieu tout entier en nous : et ces deux choses nous sont également impossibles. En effet, nous ne pouvons passer de nous-mêmes en Dieu et perdre notre nature créée, mais il nous faut éternellement demeurer autres que Dieu et des êtres créés ; car aucune créature ne peut devenir Dieu, ni Dieu créature. Nous ne pouvons pas davantage comprendre Dieu en nous-mêmes ; car il est grandeur sans limite, ni le poursuivre jusqu'à l'atteindre, car il est longueur infinie, profondeur immense, hauteur au-dessus de tout ce qu'il a créé. Mais ce qui nous est impossible est en son pouvoir ; car là où notre esprit et toutes nos puissances défaillent en leurs opérations, l'Esprit du Seigneur agit au-dessus de nos puissances et de nos opérations : alors nous sommes agis par l'Esprit du Seigneur et nous supportons son action au-dessus de toutes nos opérations ; et en supportant ainsi son action nous le saisissons et sommes saisis par lui. Par nos propres opérations nous n'y pouvons parvenir et nous sommes incapables de le saisir : mais au-dessus de ces opérations, là où il opère, tandis que nous portons son action, nous saisissons passivement au-dessus de toutes nos opérations : c'est là comprendre Dieu d'une manière incompréhensible, c'est-à-dire, en portant son action sans la comprendre.

   Puis c'est le cinquième point, où se trouve en perfection l'exercice d'amour éternel, dont j'ai parlé plus haut, et qui consiste au-dessus de toutes nos opérations propres, à être agis par l'Esprit du Seigneur : nous sommes alors dépouillés de nous-mêmes et de toutes choses, et unis à Dieu en amour. Mais entre nous et Dieu l'union se renouvelle toujours et sans trêve ; car l'Esprit de Dieu s'écoule et en même temps attire à lui, il meut et touche notre esprit, et il nous inspire de vivre selon la très chère volonté de Dieu. Il veut que nous aimions Dieu selon qu'il en est digne. Cette touche, qui est intermédiaire entre nous et Dieu, nous ne pouvons pas la pénétrer. Quant à savoir ce qu'est cette touche en son fond et ce qu'est l'amour en lui-même, ce nous est impossible. Et là où l'opération nous dépasse, nous devons recommencer ; car les dons de Dieu ne nous laissent pas en repos. L'influx du Saint-Esprit nous enrichit et remplit toutes nos puissances, avides de dons célestes, d'une nourriture éternelle et d'un breuvage spirituel : néanmoins faim et soif nous demeurent, en même temps qu'un désir constant de poursuivre et d'atteindre celui qui est immense : et ceci dépasse notre pouvoir. C'est pourquoi il nous faut toujours faire effort en toutes nos œuvres, remplis d'une faim et d'une soif insatiables. Et alors même que nous prenions en Dieu nourriture, que nous aspirions, soupirions après lui et l'appelions de nos désirs, nous ne pouvons néanmoins ni le saisir, ni l'absorber, ni le consommer : toujours nous devons faire effort et demeurer en deçà : faim ni soif, ni désir insatiable ne peuvent être apaisés.

   Mais de même que Dieu nous envoie, chargés de tous ses dons, pour vivre selon sa très chère volonté, de même son Esprit nous attire-t-il au dedans, pour l'aimer selon qu'il en est digne. Et sa dignité exige de notre esprit un amour sans mesure, car il est lui-même sans mesure et il nous aime de tout lui-même, tel qu'il est : et son amour est si terrible, si attirant, si consumant de tout ce qu'il touche Et là où nous le sentons, c'est au-dessus de la raison, là où notre amour est sans mesure et sans mode. Car nous ne pouvons ni ne savons comment répondre à son amour, qui est si avide, qu'il dévore et consume en lui-même tout ce qui s'en approche. À cet amour notre amour doit céder : car nous ne pouvons nous défendre contre lui là notre amour est complètement dépouillé, libre et sans activité. L'amour de Dieu est un feu dévorant, qui nous consume hors de nous-mêmes et nous engloutit avec Dieu dans l'unité. Voyez, là nous sommes rassasiés et dans l'abondance, et nous sommes avec Dieu, au-dessus de nous-mêmes, une plénitude sans fin. Cependant nous demeurons toujours affamés en nous mêmes, en cette région, où demeurant autres que Dieu, nous sommes attachés aux préceptes des vertus. Ainsi toujours rassasiés au-dessus de nous-mêmes dans l'unité avec Dieu, et affamés en nous-mêmes, là où nous aimons et vivons selon l'équité, nous menons de pair le rassasiement et la faim, selon le labeur et la jouissance, et nous vivons dans la droiture.

   Au-dessus c'est le sixième point, qui est la fruition en elle-même. La fruition dont jouit Dieu et la fruition surnaturelle de nous tous, qui sommes un avec lui en amour, est une unité de repos, unité glorieuse et essentielle, en dehors de la distinction des personnes : là il n'y a ni influx ni attirance de Dieu : les personnes y sont en repos et unité dans l'amour fruitif, unité tranquille et glorieuse des personnes. Là c'est le repos, la fruition et la joie sans fin. Là tous les esprits aimants sont, dans leur surnature, une seule et même fruition bienheureuse avec Dieu sans distinction. Cette fruition divine est l'unité des personnes, le repos absolu, la joie débordante, la béatitude sans bornes, la couronne et la récompense pour l'éternité du parfait amour.

   Là où nous sommes unis à Dieu en amour, par le moyen de sa grâce et de nos bonnes œuvres, chacun reçoit sa part spéciale en grâce et en gloire, plus ou moins, selon qu'il en est digne et l'a mérité à l'aide de la grâce de Dieu. Voyez, là nous sommes tous distincts, et chacun en particulier reçoit grâces, mérites, ordre et faveur, conformément à la justice et selon l'ordonnance de la Sagesse divine, tout ceci dans l'ordre surnaturel. Mais là où nous sommes un avec Dieu sans intermédiaire et sans différence, là Dieu est l'objet de notre fruition à nous et de la sienne propre, dans une béatitude éternelle sans fond.

   Il faut savoir que si l'on donne à Dieu plusieurs noms selon notre point de vue, cependant sa nature est une en trois personnes distinctes, Père, Fils et Saint-Esprit : une seule nature féconde en trinité de personnes. Voyez, c'est à cela que nous devons conformer notre pensée, notre foi et notre vie. Dans ce but Dieu a créé et appelé tout ce qui est né de la race d'Adam ; mais les païens et les juifs et tous les infidèles méprisent l'appel de Dieu et sont maudits pour cette raison. Les mauvais chrétiens qui vivent en péché mortel et les hypocrites qui, sous une apparence de bien, vivent et meurent dans le même état, sont également réprouvés de Dieu et damnés, bien que les chrétiens, qui sont baptisés dans le sang du Christ, soient tous appelés et même invités à la joie éternelle de Dieu. Mais pour être reçu et élu dans la joie éternelle de Dieu, il faut être revêtu de la vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et lui être uni intérieurement moyennant sa grâce et nos bonnes œuvres car ainsi il vit en nous et nous en lui, dans la mesure de ses grâces et de la sainteté de notre vie. Nous devons aussi, au-dessus de nous-mêmes, nous unir à Dieu en amour et en fruition : ainsi nous sommes un avec lui : un seul amour et une seule fruition, inondés de béatitude sans fin.

   Entre la ressemblance avec Dieu en nous et notre unité avec Lui, se trouve comme intermédiaire l'étincelle vivante de notre âme, à savoir la lumière et le feu du Saint-Esprit. Cette lumière nous montre que nous sommes un avec Dieu en amour et en fruition, et que nous lui ressemblons par le moyen de sa grâce et de nos vertus. Le feu du Saint-Esprit brûle et consume toute dissemblance en nous, et nous maintient dans une connaissance et un amour constants ; il nous donne en même temps la consolation et l'avant-goût de la gloire de Dieu, et il est le gage de notre béatitude éternelle.

   Ceux qui entendent ceci, le vivent et le croient, ce sont les hommes de bien que Dieu a élus. Que Dieu, Père, Fils, et Saint-Esprit, seul vrai Dieu en trois personnes, nous l'accorde à tous, lui qui est notre récompense et notre couronne. Amen.



(1) Ps. LXXIX, 4 ; JOA., XIV, 8.
(2) JOA., III, 5.
(3) JOA., XVIl, I.
(4) Id., 24.


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