CHAPITRE XV

DE LA CÉLÉBRATION DE LA MESSE QUOTIDIENNE,
ET QUELLE GRANDE DÉVOTION IL Y APPORTAIT.



    Dans les livres qu'il a édités, il a coutume de rappeler, volontiers et souvent, l'amour et les bienfaits de celui que le Dieu Tout Puissant nous a laissé tout entier dans le très saint Sacrement. C'est pourquoi on ne peut douter qu'il ne fût animé d'une dévotion singulière et d'un amour ardent envers ce très auguste Sacrement. Aussi, presque jusqu'aux derniers jours de sa vie, bien qu'il eût déjà dépassé la soixante-dix-huitième année de son âge, il n'omit jamais la célébration de Messe, si ce n'est qu'il y fût contraint par la maladie, ou par quelqu'autre grave empêchement.

    Un jour, comme il était au sacré Canon, (de la Messe) il sentit affluer en lui une telle abondance de grâce, que dans la liquéfaction de l'esprit, ses sens défaillirent presque, et la nature lui refusa les forces nécessaires à la continuation de l'Office. Ce qui épouvanta le ministre (servant), dans l'ignorance où il était, que ce n'était pas tant par la débilité des forces naturelles, que par l'excessive ardeur de l'amour divin, que le fait s'était produit ; comme il était arrivé fréquemment au saint homme, pendant la célébration (de la Messe).

    Vers la fin de sa vie, comme, à cause de son grand âge, ses yeux fatigués pouvaient à peine reconnaître distinctement l'image de l'hostie, et que parfois, il en faisait l'élévation mettant la tête du Christ en bas, les pieds en haut (dans l'hostie consacrée), cependant il ne cessa pas d'achever le sacrifice de la Messe avec une extrême ferveur de dévotion. Mais il lui arriva de nouveau, par suite de la visite divine, une pareille défaillance corporelle ; à tel point, que le servant s'imaginait qu'il ne pourrait vivre. Et certes, il était alors si enivré de la douceur de l'amour divin, que si la grâce divine ne l'avait soutenu, vraisemblablement il aurait rendu l'âme auprès de l'autel. A peine l'Office de la Messe terminé, le servant rapporta le fait au Préfet qui interdit au saint homme de célébrer l'office de la Messe, par crainte du danger. Mais l'homme pieux lui dit : Je vous en conjure, ne m'empêchez pas, pour ce motif, de célébrer (la Messe), car, ce qui parait être une conséquence de la vieillesse, n'est que l'effet accoutumé de la présence de la divine grâce.

    Cette fois mon seigneur Jésus-Christ, en me touchant m'a adressé de très douces paroles et m'a dit : Tu es mien, et moi, je suis tien (1)...

    Mais, toutes les fois que l'homme de Dieu, célébrant le sacrifice de la Messe, prenait selon la coutume, les saintes espèces, le divin Esprit s'unissait à son esprit d'une manière si admirable et si inaccoutumée, que dès qu'il avait reçu le très saint corps, la bouche fermée, sans remuer les lèvres, il paraissait extérieurement aussi paisible que s'il n'avait rien reçu. Car, ainsi qu'il est coutume, il ne faisait pas mouvoir l'hostie dans la bouche, ne la broyait pas des dents ou de la langue, et ne l'humectait pas de salive ; mais, dès qu'il avait pris les espèces, tout son esprit venant joyeusement au devant du souverain Esprit qui était là présent, seul avec lui, nullement préoccupé de l'homme extérieur, comme l'épouse appuyée sur son bien aimé (2), il montait vers le Père des esprits (lumières). Ce qu'ayant remarqué plusieurs fois, un frère qui lui était très familier, lui demanda comment il pouvait prendre si rapidement l'adorable Sacrement du corps du Seigneur. Le saint lui répondit simplement de cette manière : Très cher Frère, le Seigneur agit envers ses serviteurs, comme vous l'avez vu vous-même.

(1) « Tu es meus et ego sum tuus ».
(2) Sponsa innixa super dilectum suurn. (Cant . 8)