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SERMON IX.
1. Nous lisons à la suite: « Je ne vous laisserai pas orphelins, n Quiconque est encore contraint de traverser les chemins si tristes de ce misérable pèlerinage, quiconque, dans son amour pour Jésus-Christ, et son désir de voir ce bon maître, peut s'empêcher de penser à son exil et à la vie bienheureuse, ne pourra lire ce passage sans gémir et sans pleurer. Je le crois, c'est pourquoi je le dis. Qui aime Jésus crucifié, comment pourra-t-il, en entendant ces paroles touchantes, s'empêcher de verser des pleurs, tant qu'il ne peut voir Jésus, l'objet de son envie, ressuscité et assis à la droite du Père ? O Seigneur, si votre amour ne me donnait la confiance, je croirais que vous m'avez laissé orphelin, parce que je ne puis vous voir tel que vous êtes. Vous avez dit à vos apôtres : « Je ne vous laisserai pas orphelins, je viendrai à vous. » Malheureux que je suis, je n'ai pas encore mérité d'entendre dire à mon Dieu; je ne te laisserai pas orphelin, bientôt je viendrai à toi et ton coeur se réjouira. Que toute joie se retire de mon coeur, jusqu'à ce que je vigie celui que désire mon âme. Jusqu'à ce que je contemple mon Sauveur, la tristesse sera ma compagne : il n'y aura pas de jouissances pour moi, tant que l'auteur de toute jouissance sera ainsi éloigné. Oui, heureuse l'âme qui gémit, et pleure chaque jour, parce qu'elle ne voit pas le Christ, Sauveur du monde et auteur de toutes choses. Elle rira au dernier jour, et sera dans l'allégresse éternelle avec le Christ. Quant à celle qui ne gémit pas de sa séparation du Christ, qu'elle prenne garde à ne point pleurer sans remède quand le Christ sera venu. Elle n'aime pas son époux, si le désir de le voir ne lui arrache des soupirs de temps en temps. Non, il n'aime point parfaitement Jésus-Christ, celui qui, dans le désir de le voir, n'arrose pas ses yeux de ses larmes. Et celui qui sait pleurer tous les jours, dans la tendresse de son amour, pourra être séparé longtemps de celui qui en est l'objet. Ce bon Maître viendra bientôt vers ses amis attristés, et il essuiera toute larme de leurs yeux. Il n'y aura plus ni deuil, ni cri, mais la joie éternelle produite par la vue de Jésus qui a dit à ses disciples : « Je ne vous laisserai pas orphelins. » Le sens de ces paroles est celui-ci : « Je ne vous laisserai pas orphelins,» c'est-à-dire je vous donnerai le Saint-Esprit, mais en le donnant, je resterai moi aussi avec vous. « Je ne vous laisserai pas orphelins. » mot grec orphelin, correspond au mot latin, pupille. Par là, Jésus indique qu'il sera leur Père. Je viendrai à vous, après la résurrection de la chair, moi qui suis toujours avec vous, par la présence de ma majesté divine. « Et encore un peu de temps, et le monde ne me voit plus. Pour vous, vous me verrez. » Après être sorti du sépulcre, le Seigneur ne se montra qu'aux bons, il n'apparut pas aux méchants, à ceux qui aiment le monde. Nous pouvons dire que ce peu de temps désigne tout le temps de notre vie mortelle ; ce temps fini, l'impie sera enlevé, il ne verra pas la gloire du Seigneur, dont jouiront les justes. 2. Quant à ces expressions : « Je vis et vous vivrez, » voici comment il les faut entendre : Je vis, moi qui suis la vie, et vous vivrez par moi. Toujours le Seigneur employa ce présent, « je vis » parce que sa résurrection ne devait pas être retardée. Mais il emploie le futur, quand il s'adresse à ses disciples, dont la résurrection aura lieu à la fin des temps. « En ce jour vous connaîtrez que je suis dans le Père, ce que le Père est en moi, et vous en moi, et moi en vous. » Comme s'il disait : Au dernier jour, quand votre résurrection sera accomplie, vous verrez ce que vous croyez, que je suis en mon Père comme le rayon dans le soleil, et avec lui, ce que vous êtes en moi, comme les pampres dans la vigne, et moi dans vous, comme la vigne dans les pampres. Le monde à présent, le monde alors, ne verra pas Dieu, brillant dans l'éclat de sa majesté. Quel est ce monde maudit, qui ne peut voir Dieu! Oui, maudit, maudit, il sera maudit plus que nous le pouvons dire, parce que jamais il ne contemplera Notre-Seigneur Jésus-Christ. Le monde ne le verra pas ; le monde, je veux dire celui qui aime le monde. On appelle monde, en effet, ceux qui aiment le monde. Que personne ne se trompe, quiconque aime le monde, qu'il me croie, il n'aime pas Dieu: et s'il ne l'aime pas, de quel droit le verrait-il ? Qui n'aime pas le Seigneur est bien aveugle. Qui n'a pas le cur pur, le cur doux, le cur plein de la suavité de la charité, ne le peut voir. Il a perdu la lumière de ses yeux; il n'apercevra pas l'auteur de la véritable lumière. Si donc vous désirez voir Dieu, ne négligez pas de purifier votre cur de toute lèpre. Souvenez-vous de cet oracle tombé de la bouche de la Vérité : « Bienheureux ceux qui ont le cur pur, car ils verront Dieu (Matt. VI, 8). » Mais le monde ne voit pas Dieu, il n'a pas le cur pur. 3. Monde se prend en plusieurs sens. On appelle monde la triple machine de l'univers, comprenant les choses célestes, terrestres et inférieures, le ciel, et tout ce que le ciel renferme; on appelle monde, celui qui aime le monde, comme en cet endroit : « Encore un peu de temps et le monde ne me voit plus. » On appelle pur ou monde, celui qui est débarrassé de toute souillure, comme en ce passage : « Purifiés par l'abstinence, chantons la gloire du Seigneur. » C'est du monde seul, c'est-à-dire de ceux qui sont immondes, parce qu'ils aiment le monde, qu'il a dit : « Le monde ne voit pas Dieu, car celui qui aime le monde n'a pas en lui la charité du Père» L'amour du monde et l'amour de Dieu sont deux sentiments tout à fait opposés. Si l'amour du monde est dans un coeur, l'amour de Dieu n'y trouve point de place. L'amour de Dieu sépare l'homme du monde, et l'amour du monde sépare l'homme de Dieu. L'un abaisse, l'autre élève : l'une mène à l'enfer, l'autre conduit au ciel. L'amour du monde cherche toit le monde, et il n'est jamais rassasié ; plus il a, plus il veut avoir ; l'amour de Dieu ne veut que le Seigneur, il se contente de lui, il ne désire pas avoir d'autre bien. L'amour du Seigneur ne demande que le Seigneur. Cet amour est extrêmement noble ; il dédaigne d'aimer toute beauté, excepté la fleur de la beauté parfaite, c'est-à-dire celui qui dit . « Je suis la fleur de la campagne, et le lis des vallées (Cant. II, 1). Tout ce qui existe n'appartient pas au Christ; non seulement le Christ ne le cherche pas, mais il le rejette et le repousse comme un fumier infect. Il méprise toute, dédaigne tout ; tout lui est vil, Jésus seul lui offre de la douceur. O heureux amour, que bienheureux sont ceux qui vous possèdent : il a trop de jouissances, trop de délices, celui qui, pour amour, n'a que Jésus seul. Ayons, mes très-chers frères, cette félicité, portons dans nos coeurs cet amour de notre Créateur. On connaît celui qui aime Jésus-Christ à cette marque , s'il observe ses commandements. Ainsi, le texte poursuit : 4. «Qui a mes commandements et les observe, c'est celui-là qui m'aime. » Qui les a dans sa mémoire, et les garde dans la pratique, qui y conforme sa conduite, et l'y conforme constamment. Ou encore, qui les a dans ses paroles et les garde dans ses actes ; ou, qui les a, parce qu'il les a ouïs, et les observe en les suivant : « C'est celui-là qui m'aime. » Car il en est beaucoup qui connaissent les commandements du Seigneur et ne les observent nullement. Beaucoup les ont mis dans les rouvres, et non dans le coeur; beaucoup les redisent de voix, et non par les oeuvres, beaucoup les portent dans la mémoire, et non dans leur conduite, dans la parole, et non dans les exemples qu'ils donnent. Ils ne sont point de ceux qui aiment Jésus-Christ, ils seront frappés de plusieurs coups; pour eux les pleurs et les grincements de dents. Le feu, le soufre et l'esprit des tempêtes, seront leur châtiment avec le démon et ses anges. Pour ceux qui aiment Jésus-Christ; il y aura une grande joie, une allégresse extrême, un tressaillement et une gloire inexprimables. Voici les paroles qui sont à la suite : « Qui m'aime, mon Père l'aimera, et moi je l'aimerai, et me manifesterai à lui. » Que vous semble-t-il de la récompense de votre amour, ô vous qui aimez le Christ, qui honorez Dieu, et vous méprisez vous-même ? Quel mal pourra vous nuire, quel bonheur vous manquer, si vous êtes aimé de celui qui a tout tiré du néant? O bienheureux, au delà de toute expression qui chérit Dieu le Père et son Fils avec l'Esprit du Christ et de Dieu! Quoi de plus heureux que d'être aimé de celui qui est le Seigneur du paradis, qui a le pouvoir de vie et de mort, qui peut damner et sauver, damner ceux qu'il hait, et sauver ceux quil aime ? De même qu'il ne peut sauver ceux qu'il hait, de même, il ne peut damner ceux qu'il aime. Mais que ferez-vous de ceux qui vous aiment, ô Seigneur Jésus ; je vous le demande, qu'en ferez-vous ? Faites-le moi entendre ; car, bien que pécheur, je vous aime ; quelle sera la récompense accordée à ceux qui vous chérissent, quel fruit résultera de votre amour? Dites-le moi, et réjouissez mon âme, en me faisant connaître cette récompense. Celui qui vous aime de tout son coeur la regarde et l'attend, il gémit et souvent il pleure, parce qu'elle ne lui est point accordée de suite. Quelle est-elle, dites-le, afin que nos frères l'entendent et la comprennent, parce que la comprenant ils la cherchent, pour que la cherchant ils la trouvent ; la trouvant, ils la reçoivent ; la recevant, ils la gardent ; la gardant, ils l'aiment et ils l'aiment de toutes leurs forces. Que donnerez-vous à ceux qui vous chérissent? « Je me manifesterai à eux. » Où sont ceux qui gémissent, où sont ceux qui pleurent pour l'amour du royaume éternel, à cause de l'absence de Jésus-Christ ? Qu'ils se réjouissent et tressaillent, Jésus se montrera à eux. 5. Vous venez de l'entendre, mes frères, vous qui ôtes attristés, vous qui pleurez, tant est vif votre désir de voir Jésus-Christ, tant est embrasé votre amour pour ce très-cher Sauveur, notre Créateur, notre Rédempteur, notre Sauveur, notre paradis, notre joie, notre gloire, notre splendeur, notre allégresse et notre bonheur ; vous venez d'entendre quelle sera la récompense de votre fatigue, le don que fera mon Jésus (oh ! oui qu'il soit bien mien), à ceux qui l'aiment. Je me ferai voir,dit-il, à celui qui me chérira. O joie souveraine ! O allégresse infinie! Quoi de plus doux, quoi de plus glorieux, quoi de plus heureux, que de voir face à face celui dont le soleil et la lune admirent la beauté, que les anges voient, et qu'ils désirent toujours de considérer, sans se rassasier jamais de sa contemplation qui est la beauté du ciel, le bonheur du paradis, la foi de ceux qui vivent, l'espérance de ceux qui meurent et le salut de tous, Jésus-Christ. Rien n'est plus cher, rien n'est meilleur que le Seigneur pour ceux qui l'aiment. Il ne promet ni or, ni argent, ni pierres précieuses, ni diamants, ni ciel, ni terre ; mais il se promet lui-même, lui qui est le Créateur et le Dieu de tous les êtres. Voilà la récompense de l'amour, le mérite produit par votre affection, vous qui aimez le Seigneur Jésus par dessus tout, non en parole, mais en effet, non par l'habit, mais par le coeur, non par habitude, mais par sentiment ; non par simulation, mais en réalité; il se manifestera lui-même à vous, il se donnera lui-même à vous. Voulez-vous, cherchez-vous quelque chose de plus? Bien vil est tout ce qui est loin de lui. L'aimez-vous ? Ne lui demandez donc rien autre chose que lui. Il s'irrite contre celui qui le prie, s'il n'est pas lui-même le sujet principal de sa demande. Bien qu'il donne tous les biens, il se donne lui-même avec plus de plaisir. Que la grandeur et l'excellence de ce don ne vous cause pas d'effroi. Aimez-le de tout votre coeur, de tout votre esprit, et ainsi vous pourrez vous approcher de lui en sûreté, entrer en sa présence et lui dire : Seigneur, je veux que vous soyez mon héritage dans la terre des vivants. O sort heureux, ô riche héritage ! O Seigneur Jésus, qui me donnera de pouvoir dire en vérité : « Le Seigneur est la portion de mon héritage. » Oh ! oui, soyez la récompense de mon travail, le terme de mon pèlerinage, et la consolation de ma tristesse. O Jésus, qui êtes la cause de mon amour, soyez moi un titre suffisant pour posséder un trésor si considérable. 6. Voilà la suite : « Judas, non pas l'Iscariote, dit alors: Seigneur, que s'est-il passé, puisque vous vous manifestez à nous, et non point au monde? » Ayant entendu dire que le monde ne verrait pas Jésus-Christ, mais que les disciples le verraient, cet apôtre, au nom de tous, s'informe de la cause de cette différence. Cette cause, d'après la réponse du Sauveur, c'est l'amour ; par la dilection, la nation sainte se discerne de celle qui ne l'est pas ; et que l'amour soit réellement cette cause, la preuve s'en trouve dans l'observation des préceptes, comme le Seigneur le dit : « Si quelqu'un m'aime, il gardera ma parole. » C'est ainsi qu'on montre son amour pour Dieu en observant les commandements de Jésus-Christ; la pratique montre la charité : c'est vainement que l'on prétend aimer Dieu, si par ses actions, on contredit sa volonté. Bien plus, le Seigneur a en haine celui qui n'obéit pas à ses préceptes. Que personne ne se couvre de l'habit religieux et ne se prétende être saint, parce qu'il est revêtu de la robe monastique. Celui-là seul aime Jésus-Christ qui s'attache à observer, selon ses forces, ses commandements. Quand vous verrez un moine, humble au milieu des hontes qu'on lui fait subir, patient pour supporter les opprobres, réservé quand il s'agit de parler, fidèle à garder les lois du silence, appliqué à la lecture, dans le cloître, chantant de voix, en toute dévotion, les louanges de Jésus-Christ, pleurant sinon sans relâche, du moins tous les jours, sobre dans ses repas, prompt à obéir, partout docile, partout respectueux, frappant le ciel de sa bouche, criant toujours de coeur vers le Seigneur, attentionné pour le prochain, se méprisant lui-même, aimant tout le monde, se haïssant lui-même, alors vous pourrez dire : ce moine observe la loi de son créateur. Qu'il est heureux. Pour récompense de ses travaux, il aura le Seigneur Jésus. Mais celui qui n'a pas la charité, qui n'observe pas ses préceptes, n'est pas à Dieu. Quel sera donc son salaire? le feu, un fleuve de soufre, la mort et l'enfer. Plût au ciel que vous ne fussiez pas né, si un tel héritage vous est réservé. Que si vous désirez avoir la récompense qui est Jésus-Christ, gardez ces paroles, c'est-à-dire : je vous donne un commandement nouveau, c'est -que vous vous aimiez les uns, les autres. Si vous aimez Jésus-Christ, il est nécessaire que vous aimiez votre frère. Pour ne pas encourir la haine du Seigneur, gardez sans lui porter la moindre atteinte, la charité envers votre frère. 7. Une grande récompense en résulte : quelle récompense ? Je l'ai déjà indiquée et je me plais à l'indiquer encore. Plus la bouche en parle, plus le coeur la trouve douce, et celui qui travaille constamment et de toutes ses forces pour l'obtenir n'ignore pas quelle est sa douceur extraordinaire. La récompense réservée à la charité paternelle, c'est l'amour de Jésus-Christ et de Dieu son Père, ainsi que la Vérité le dit : « Si quelqu'un garde mes commandements, il m'aime et mon Père l'aime. » Si Dieu le Père vous aime, quel bien peut-il vous manquer ? Aucun. Vous obtiendrez tout ce que vous demanderez; bien plus, vous posséderez sans fin, avec tous les saints anges, le Seigneur qui accorde tous les biens. N'est-il pas souverainement heureux celui que Dieu aime, ainsi que son Fils, Notre Seigneur Jésus-Christ ? Oui, excessivement heureux celui qui chérit Dieu le Père, Fils et Saint-Esprit. O si mon Dieu, mon créateur, mon rédempteur m'aimait! je ne voudrais rien plus en ce monde. En cette vie, l'amour de Jésus-Christ me suffit. L'amour de Jésus est doux, agréable et délicieux. Il apporte la santé aux malades, la lumière aux aveugles, la joie aux affligés, le pardon aux pécheurs, la vie aux morts, le ciel à ceux qui habitent la terre, à ceux qui ressemblent aux animaux, la société des anges, et la. jouissance du Seigneur, des esprits bienheureux et du Créateur de toutes choses. 8. « Si quelqu'un m'aime, dit le Seigneur Jésus, mon Père l'aimera, et nous viendrons à lui, et nous ferons notre demeure chez lui. » Dieu vient à l'homme, quand l'homme vient à Dieu. L'homme vient à Dieu en croyant, en obéissant, en regardant, en saisissant : Dieu vient à l'homme en le secourant , en l'illuminant, en le remplissant : cet effet est produit par l'amour de Jésus-Christ, il vient entièrement de l'affection que Dieu a pour nous. La charité fait de vous la maison de Dieu, et du Seigneur votre propre demeure. «Dieu est charité, et qui demeure dans la charité, demeure en Dieu et Dieu en lui ( I Joan. IV. 16). » Heureux ouvrier que la charité, qui peut élever, pour son Créateur, une belle maison. Cette construction ne se compose ni de ciment, ni de briques, ni de pierres, ni de bois, ni d'or, ni d'argent, ni de pierres précieuses. Elle est plus précieuse que tout or, que tout argent, à côté d'elle toutes les pierreries sont viles : rien ne peut entrer en comparaison, avec son éclat et sa beauté. Si on la rapproche du miel, le miel devient comme l'absinthe par rapport à la plus grande douceur. Toutes les réalités qui existent, quelque belles, quelque gracieuses qu'elles soient, ne doivent pas être regardées mises en sa présence. En cette maison, les aveugles reçoivent la lumière, les boiteux la faculté de marcher, ceux qui sont courbés se redressent, les malades sont guéris et les morts reçoivent la vie. Il ne se trouve en son enceinte aucun malheureux ; tous ses habitants sont heureux; qui y pénètre, entre dans la joie de son Seigneur qui est lui-même cette joie, et se trouvera éternellement dans les délices qui sont Dieu lui-même, béni dans tous les siècles. 9 O mes très-chers frères, cette précieuse maison, vos coeurs ne la trouveront-ils pas plus précieuse que le miel? Ame chrétienne, épouse chérie de Jésus-Christ, ne commandez-vous pas en pleurant, et les conjurant avec larmes, aux âmes des saints, et aux esprits angéliques qui vous ont précédé aux noces de l'agneau, en employant ces paroles de l'Écriture : « Filles de Jérusalem, annoncez à mon bien aimé, que je languis d'amour? » Vous l'aimez peu, si tous les jours vous ne pleurez pas, vous ne gémissez pas : car son absence fait verser à l'épouse, qui l'aime, des torrents de larmes. Le cherchant sans le trouver, l'appelant sans qu'il réponde, elle ne trouve de bonheur qu'à pleurer : et pour la faire pleurer davantage, elle ramasse tout ce qui est triste et s'en charge. Je sais et je suis certain que Dieu essuiera toute larme de ses yeux, quand sera venu le jour des noces du Christ et de l'Église, au temps où les vierges auront été introduites dans l'appartement du roi éternel. Mais comment Jésus-Christ essuiera-t-il de vos yeux les larmes, si vous ne gémissez pas, si vous ne pleurez pas pour son amour? Je crois que vous l'aimez médiocrement, si, par attachement pour lui, vous ne gémissez ni ne pleurez. S'il en est ainsi, vous n'êtes point moine. Mais vous me dites : je ne puis pleurer. Je vous réponds : vous ne pleurez pas, parce que vous n'aimez point parfaitement Jésus-Christ. Les larmes sont les marques de lamour. Si l'amour de la patrie ne vous fait point pleurer, que la crainte de l'enfer vous fasse verser des larmes. Mais vous dites : Je ne le puis. Je vous réponds : si vous ne le pouvez, vous ne craignez pas la mort, vous n'aimez pas la vie : ou si vous avez cette crainte, elle est bien peu de chose, ou rien du tout. Pour vous, à qui est réservé un héritage dans la vie éternelle, craignez Dieu, et gardez ses commandements. « Qui ne m'aime pas, » dit le Seigneur Jésus « ne garde pas mes commandements.» Pour nous, aimons-le de toutes nos forces, et observons ses préceptes, parce qu'une grande récompense en résultera pour nous. 10. Quant à ce qui suit « vous avez entendu ce discours, il n'est pas le mien, » il faut ainsi l'entendre : « le discours que vous avez entendu, n'est pas le mien, » c'est une figure appelée « andiptose » et qui fait employer en latin un cas pour un autre. Je vous le demande, vous qui placez toute votre espérance dans le Seigneur Jésus-Christ, et l'aimez de tout votre coeur, croyant qu'il est vrai Dieu avec le Père et le Saint-Esprit, ne vous laissez point émouvoir, ni ébranler, parce qu'il a dit : « le discours que vous avez entendu n'est pas de moi, il est de mon Père, » parce que je n'existe pas de moi, mais je tire mon être de mon Père. Je suis Dieu de Dieu, lumière de lumière, Fils du Père. Un avec lui en essence, en majesté, en divinité, en vertu, en puissance, par la création des êtres : ni postérieur, ni antérieur à lui, ni plus grand, ni plus petit mais son égal en toutes choses. Autre je suis en personne, autre en nature, car « autre est la personne du Père, autre celle du Fils, autre celle du Saint-Esprit. » Les paroles que je vous adresse sont les paroles de mon Père, car il m'a envoyé, et je suis de lui et mes paroles viennent de lui. Or, dans un autre sens : le discours que vous avez entendu n'est pas le mien , il n'est pas de la nature humaine que j'ai prise ou du Dieu qui l'a prise : il n'est pas du Fils de Dieu. Il n'est pas de moi en tant que je suis né de la Vierge, il est mien, selon que j'ai été engendré de Dieu le Père : il n'est pas mien parce que je suis Fils de la Vierge, mais il est mien en ce que je suis Fils de Dieu le Père. Plus haut, Jésus a dit : « qui ne m'aime pas, ne garde pas mes paroles (Joan. XIV). » Ici il dit : « ce discours que vous avez entendu n'est pas de moi. » Plus haut, il dit : « mes paroles, » ici il dit : « les paroles » que vous avez ouïes ne sont pas de moi. « Oui et non, » sont des choses bien. contraires « ils sont miens, » n'est pas la même chose que ils ne « sont pas miens. » Et cependant ce que la vérité dit est la réalité. Ces discours sont siens en tant qu'il est créateur et non en tant qu'il est créature, en tant qu'il est Dieu, et non en tant qu'il est homme. Ils sont siens, « parce que tout a été fait par lui, et rien n'a été fait sans lui. » Ils ne sont pas siens, ils sont ceux de son Père, parce qu'il « s'est rendu obéissant jusqu'à la mort, et à la mort de la croix. » 11. Ou bien, peut-être, le Seigneur dit-il cela, afin que ses disciples, qui ne croyaient point encore parfaitement en lui, tinssent plus fermement ses préceptes et les observassent avec plus de soin, sachant qu'ils étaient de son Père, le créateur de toutes choses. Le Père parait toujours plus élevé, plus digne que le Fils : Je dis cela de l'humanité et non point de la divinité : parce que, dans la divinité, le Fils est égal au Père, il ne lui est pas postérieur, il n'est pas moindre que lui : « il est égal au Père selon la divinité, et moindre que lui selon l'humanité. » Afin donc que ses disciples et leurs sectateurs retinssent plus principalement les paroles qu'ils venaient d'entendre, il leur dit qu'elles étaient. de sou Père. Comme s'il leur disait : ce que je vous prescris, doit être inviolablement observé, il n'en faut rien retrancher, parce qu'elles ne sont pas de moi, mais de mon Père. Je suis le Fils engendré par le Père ; aussi mes rouvres et mes paroles ne sont pas de moi, mais de mon Père : « mon Père demeurant en moi, accomplit les oeuvres, » c'est par mon organe qu'il vous donne des ordres. Sorti de la terre, revêtu de la tunique de la chair, dans cette vallée de larmes, expulsé du séjour délicieux du paradis, l'homme grossier ne méritait pas, dans cet oeil de tristesse, d'entendre parler Dieu, dont il avait méprisé les préceptes lorsqu'il était dans le jardin de bonheur, et dans sa misère il ne pouvait imaginer quel chemin lui restait, pour revenir dans sa patrie. Prenant pitié de son malheur, le Seigneur est venu le chercher lorsqu'il errait, le consoler dans ses douleurs, le soigner dans ses infirmités, le relever de sa chute, le ramener exilé, au séjour de ses pères , et mort, lui donner la vie éternelle. Aussi le Verbe vint dans la chair, Dieu s'approcha de l'homme, et « le Verbe se fit chair.» Dieu se fit homme, et le Verbe par la chair, et Dieu par l'humanité, par la bouche à bouche à l'homme, et selon la manière ordinaire, il donne à l'homme, les préceptes de la vie, afin qu'obéissant à l'homme, l'homme par l'homme-Dieu revienne à l'homme-Dieu, à ce Dieu dont il s'était malheureusement retiré par la désobéissance. Aussi un homme-Dieu demeurant mortel au milieu des hommes, donne aux mortels les règles de la vie : afin que, grâces à lui, devenus immortels, ils pussent, avec ce roi immortel, vivre éternellement heureux. Et ici, il faut remarquer qu'il y a deux demeures du Seigneur : l'une dans le chemin, l'autre dans la patrie : une temporelle, par laquelle il resta avec nous dans la chair, l'autre éternelle, par laquelle, glorifiés quant à l'âme et quant au corps, nous habiterons avec lui. C'est de la première qu'il prononce les paroles qui suivent: « Je vous ai dit ceci quand je restais avec vous , » corporellement présent. Mais viendra un temps où je vous enlèverai cette présence du corps, en sorte que, désormais, je vous parlerai par le Saint-Esprit. Aussi, c'est avec raison que le texte continue 12. « Mais le Saint-Esprit Paraclet, que le Père enverra en mon nom, vous apprendra toutes choses, et vous suggérera tout ce que je vous aurai dit.» Il vous apprendra, dit le Seigneur Jésus, ce que je vous avais dit : non que le Fils dise une chose, et que le Saint-Esprit en enseigne une autre : ce que Jésus dit et enseigne, la Trinité le dit et l'enseigne mais parce qu'elle est Trinité, il faut que l'on parle de chaque personne, que nous devons entendre distinctement, et comprendre sans les séparer l'une de l'autre. Lors donc que nous disons, le Père et le Fils et le Saint-Esprit, nous ne disons pas ces mots à la fois, puisqu'ils ne pensent pas ne point être à la fois et ensemble. Cette parole : « le Paraclet qu'enverra le Père, voici comment il la faut entendre : » Je ms sépare de vous, en ce qui est de la présence corporelle, mais je ne vous quitte point de la présence de l'esprit. Ce corps que j'ai pris de la terre, je l'élève vers les régions célestes : mais, par mon esprit, je demeurerai avec vous jusqu'à la consommation des siècles. Mon Père m'a envoyé me montrer en une chair véritable : mais l'heure approche où je vais payer mon tribut à la mort, où ressuscitant des morts, je monterai m'asseoir à la droite du Père, et le monde dès cet instant ne me verra plus dans la chair mortelle. « Mais le Paraclet que le Père enverra en mon nom, » par l'abondance de sa douceur vous consolera de mon absence corporelle, et il sera votre maître; ses paroles ne retentiront pas au-dehors, mais vous instruiront au fond du coeur; « il vous suggérera toute chose et vous enseignera tout ce que, » par son organe, je vous ai dit, c'est-à-dire, je vous inspirerai : il sera votre docteur et votre consolation. Tant qu'il restera dans votre coeur, vous ne pourrez vous attrister de mon absence corporelle. Qu'il vienne, je vous en conjure, ô Seigneur Jésus, cet esprit qui est mon Seigneur et mon Dieu, qu'il vienne dans mon coeur et qu'il l'enivre de votre amour, de cette sorte que je ne cherche aucun autre amour que le vôtre, que je ne m'attache à aucune autre beauté qu'à la vôtre, que je ne goûte en dehors de vous aucune autre douceur, vous qui êtes un rayon de miel, Dieu et homme, miel du Père, rayon de la Vierge Marie miel dans le sein du Père, rayon brisé sur la croix, miel impassible régnant avec le Père, rayon dans le tombeau, miel régnant avec le Père et le Saint-Esprit, au ciel et en tout lieu, béni dans tous les siècles des siècles. Amen.
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