BIEN VIVRE III
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BIEN VIVRE III

XLI. — De la concorde.

XLII. — De la résignation dans les souffrances.

XLIII. — De l'infirmité.

XLIV. — De l'avarice.

XLV. — De la cupidité

XLVI. — De la pauvreté.

XLVII. — Du murmure.

XLVIII. — De ce qu'on se réserve de son bien propre.

XLIX. — De la prière.

L. — De la lecture.

LI. — Du travail manuel.

LII. — Des Psaumes et des Hymnes.

LIII. — De la vie active et contemplative.

LIV. — De la curiosité.

LV. — De la vigilance.

LVI. De la prudence.

LVII. — De la fuite des femmes du monde.

LVIII. — Il faut éviter la société des hommes.

LIX. — Il faut éviter la société des jeunes gens.

LX. — Il faut éviter la fréquentation des méchants.

LXI. — Il ne faut recevoir ni lettres ni cadeaux en cachette.

LXII. — Il faut accomplir les voeux qu'on a faits.

LXIII. On doit toujours considérer le but et la fin de sa profession.

LXIV. — Il faut éviter le soin de plaire aux hommes par la beauté.

LXV. — Il faut fuir les rires immodérés.

LXVI. — Il ne faut pas se répandre au dehors.

LXVII. — De la tentation.

LXVIII. — Des songes.

LXI. — De la brièveté de la vie.

LXX. — De la mort.

LXXI. — Du jugement.

LXXII. — Épilogue.

LXXIII. — L'auteur conjure sa soeur d'intercéder pour lui auprès de Dieu.

 

XLI. — De la concorde.

 

102. « Il y a six choses que mon âme hait, » dit le Seigneur, « et il en est une septième qu'elle abhorre (Prov. VI, 16), » c'est celui qui sème la discorde parmi les frères. Maudit l'homme qui met la discussion parmi les serviteurs de Dieu. Celui qui rompt la paix et la concorde, agit contre Dieu; il fait injure au Christ, celui qui jette des semences de zizanie au milieu de ceux qui servent le Seigneur. Pourquoi? Parce que « Jésus-Christ est notre paix, c'est lui qui rassemble en l'unité les choses éloignées (Eph. II, 14), » il a mis, en effet, d'accord entre eux les anges et les hommes. La concorde qui règne entre les bons est une contrariété pour les méchants, et, de même que nous devons souhaiter que les homme de bien aient la paix entre eux, ainsi devons-nous désirer que la concorde des pervers soit rompue. La concorde dont le but est le mal, est mauvaise . quand elle est établie pour faire le bien, pratiquer la justice et servir Dieu, elle est bonne. Nous nous sommes réunis pour n'avoir qu'un cœur et qu'une âme dans le service du Seigneur; oui tous ceux qui habitent dans la maison de Dieu doivent ne former qu'un cœur et qu'une âme. Il ne sert de rien d'être réuni dans un même lieu; si on est séparé par la diversité des volontés. Dieu aime mieux l'unité d'esprit que l'unit(: de lieu. Voilà que, en cette maison, se trouvent assemblés plusieurs hommes, d'habitudes diverses, de cœur et d'âme divisés. Tous ces éléments cependant doivent être ramenés à l'unité par la vie, par l'intention et par l'amour de Dieu. Il faut donc que nous n'ayons qu'un esprit et qu'une volonté pour servir le Seigneur, pour l'aimer de tout notre cœur et de toute notre âme, et le prochain comme nous-mêmes. La vertu de concorde nous est donc nécessaire. Si je veux faire ma volonté, si celui-là veut faire la sienne aussi et ainsi de suite, les divisions éclatent, les discussions s'élèvent, ainsi que les colères et les rixes, toutes oeuvres de la chair; or, c'est l'Apôtre qui le dit: « Ceux qui font cela, n'obtiendront pas le royaume de Dieu (Gal. V, 21). Soeur bien-aimée, croyez-moi, nos jeûnes, nos prières, nos sacrifices ne plaisent pas tant au Seigneur, que la concorde. Aussi le divin maître dit-il dans l'Évangile . «Allez d'abord vous réconcilier avec votre frère et vous viendrez ensuite offrir votre sacrifice (Matth. V, 24). » Vénérable soeur, la vertu de concorde est grande devant Dieu, sans elle, nos sacrifices, qui détruisent les péchés, ne lui sont pas agréables. Nous devons savoir que lorsque nous nous convertissons, nous engageons la lutte contre le démon.

103. Demande. — Mon frère bien-aimé, dites-moi si le diable craint quelque chose,

Réponse. — Soeur aimable, il n'y a rien que cet esprit mauvais redoute autant que la concorde à la charité. Car si nous donnons pour l'amour de Dieu tout ce que nous possédons, le démon ne redoute rien en cela, parce qu'il n'a rien. Si nous jeûnons, le démon ne craint rien en cela, parce qu'il ne mange jamais; il n'a pas peur de nos veilles, parce qu'il ne dort point : mais si nous pratiquons la charité et la concorde, il en a une grande frayeur. Pourquoi cela? Parce que nous pratiquons sur la terre, ce qu'il n'a pas voulu pratiquer dans le ciel Voilà aussi pourquoi on dit que la sainte Église est terrible comme une armée rangée en bataille (Cant. VI, 3), c'est parce que, comme les ennemis tremblent, quand ils aperçoivent des armées rangées pour le combat, ainsi que le démon est saisi d'épouvante quand il voit les hommes spirituels, ceints des aimes des vertus, vivre dans l'unité de la concorde. Vaincu et confus, il soutire violemment, en voyant qu'il ne peut les diviser ou les entamer parla discorde. Nous devons donc vivre tous dans l'unité et la concorde dans la maison de Dieu, pour vaincre le démon. Toute servante du Seigneur qui veut vivre dans la concorde doit d'abord renoncer à ses mauvaises habitudes, n'être ni perverse, ni désordonnée, ni indisciplinée, afin de ne point troubler, ni scandaliser, par son inconduite, les autres servantes de Dieu. Elle doit aussi mesurer ses actes, ses mouvements, ses discours et toute sa vie, afin de pouvoir vivre en bonne harmonie, selon Dieu, avec les personnes qui l'entourent. Soeur bien aimée, je vous invite donc à vivre dans le monastère avec. humilité et concorde avec toutes les servantes du Seigneur. Soeur vénérable, engagez à la paix celles qui se haïssent, rappelez à la concorde celle qui sont divisées. Ne dites pas un mot qui sente la dispute et détruise l'amour des âmes. O épouse du Christ, que la charité qui vous a séparée du siècle, vous unisse à Dieu. Ainsi-soit-il.

 

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XLII. — De la résignation dans les souffrances.

 

104. Très-chère soeur, apprenez de Jésus-Christ la modestie, apprenez la patience. Considérez le Christ et vous ne souffrirez pas des injures que vous aurez reçues. Car, en souffrant pour nous, il nous a laissé un exemple (I Petr. II, 21). Frappé à coups de poing, battu de verges, couvert de crachats,, couronné d'épines, condamné au supplice de la croix, il a constamment gardé le silence (Isa. LIII, 7). Quand quelqu'un vous adresse des reproches, cela vous arrive à cause de vos fautes; lorsqu'on vous fait injure, cela est provoqué par vos péchés; toute adversité qui vous arrive, vous arrive à cause de vos iniquités. Vous la souffrirez mieux si vous remarquez pourquoi elle fond sur vous. Lors donc qu'on vous outrage, priez; si quelqu'un vous maudit, bénissez-le. Oui, bénissez celui qui vous maudit. Adoucissez par la patience celui qui s'emporte contre vous, calmez par votre douceur les excès de sa fureur, triomphez par votre bonté de sa méchanceté, vainquez le mal par le bien. Par le bien qui est en vous, surmontez le mal qui est chez les autres. Repoussez par votre tranquillité d'âme les outrages qu'ils vous font. Soeur vénérable, préparez votre coeur au bien et au mal et supportez l'un et l'autre selon qu'ils vous arriveront. Sachez soutenir la prospérité et l'adversité, de sorte que, quoi qu'il vous arrive, quoi qu'il se présente, vous le supportiez avec calme d'esprit. Repoussez l'outrage par le mépris de ceux qui vous injurient. Répondez par le silence à l'erreur de ceux qui parlent mal de vous.

105. Vierge honorable, bien que l'on vous attaque, que l'on vous excite, que l'on vous provoque, que l'on vous insulte, que l'on vous outrage, que l'on vous accuse, que l'on veuille vous entraîner dans une discussion, que l'on vous tienne des propos blessants, que l'on vous accable d'opprobres, taisez-vous, gardez le silence : faites comme si vous ne vous en aperceviez pas, méprisez, tenez votre bouche fermée, ne répondez aucune injure, ne prononcez aucune parole mordante, ne rétorquez pas les insultes, ne répondez pas aux outrages, conservez la tranquillité du silence; en vous taisant vous vaincrez plus vite. O épouse du Christ, luttez contre les peines de cette terre. Soyez ferme dans tous les événements, supportez patiemment toutes choses. Il faut souffrir avec calme, de la' part d'un homme, ce qui arrive à plusieurs. Celui qui afflige et celui qui est affligé sont mortels :           celui qui a fait le mal et celui qui le souffre mourront. Soeur aimable, croyez-moi, nul ne pourrait s'élever contre vous, si Dieu ne lui en avait donné le pouvoir. Le démon n'aurait eu aucun pouvoir sur vous, si Dieu ne le lui avait donné. « C'est par beaucoup de tribulations qu'il faut que nous entrions dans le royaume de Dieu (Act. XIV, 21). » « Les souffrances de cette vie ne sont point en rapport avec la gloire future qui nous attend (Rom. VIII, 18). Très-chère soeur, il est impossible que vous soyez femme et que vous n'éprouviez aucune peine. Nous éprouvons tous en ce siècle des événements semblables. Il n'est personne en cette vie qui ne soupire, elle est pleine de larmes, et commence même parles pleurs: l'enfant qui vient au monde, commence la vie par les sanglots; quand il sort du sein maternel, il pleure avant de rire; c'est en versant des larmes que l'on entre dans cette misérable vie. La tribulation est utile, utiles sont les angoisses de cette vie : plus nous sommes brisés en ce monde, plus nous sommes affermis en celui qui ne passera pas; plus nous sommes affligés dans le temps présent, plus nous nous réjouirons dans l'avenir; si nous sommes flagellés ici-bas, nous serons trouvés purifiés au jugement. Amen.

 

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XLIII. — De l'infirmité.

 

106. Le Seigneur, dans l'Apocalypse, parle en ces termes : « Je réprimande et je châtie ceux que j'aime (Apoc. III, 19). » Dieu châtie de trois manières les hommes dans cette vie. Il frappe les réprouvés de damnation ; il corrige, pour les purifier, les élus qu'il voit errer ;            il châtie les justes pour augmenter la gloire de leurs mérites. Dieu frappa les Egyptiens de plaies pour leur condamnation (Ecc. XV), le pauvre Lazare fut flagellé pour être purifié (Luc. XVI), et Job le fut aussi pour être éprouvé (Job. V). Le Seigneur flagelle aussi l'homme avant le péché, pour qu'il ne devienne pas méchant, comme il le prescrit à l'égard de saint Paul, qui, sous l'influence du démon(II Cor. XII, 7), sentait les aiguillons de la chair. Il le frappe encore après le péché, pour le corriger, comme il arriva à celui qui fut livré à Satan pour la perte de sa chair, et le salut de son âme (I Cor. V, 5). Il est utile à ceux qui sont forts et bien portants de ressentir quelques infirmités, de crainte que, dans la vigueur de la force, ils ne goûtent plus de plaisir qu'ils ne le doivent aux choses terrestres et transitoires. La santé du corps qui conduit l'homme à l'infirmité de l'âme est mauvaise mais l'infirmité du corps qui amène à l'homme la santé de l'âme est bonne. L'Apôtre fait en ces termes l'éloge de l'infirmité de la chair : « Quand je suis faible, c'est alors que je suis fort (II Cor. XII, 10), » c'est-à-dire dans lame. L'homme ne doit pas murmurer sous les coups que lui inflige le Seigneur, parce que, ce qui le châtie, le corrige du péché. Nous supporterons plus facilement les infirmités du corps, si nous rappelons à notre souvenir le mal que nous avons commis. L'homme ne doit pas murmurer dans ses souffrances. Pourquoi? Parce qu'il est jugé par celui dont les jugements sont toujours équitables. Celui qui souffre l'infirmité et murmure contre le Seigneur accuse la justice de celui qui le juge, et provoque ainsi la colère de Dieu. Ce qui plaît à un juge équitable ne saurait manquer d'être juste. Dieu châtie celui qu'il aime : il flagelle tout fils qui lui est agréable (Hebr. XII, 6), et il se complaît en lui, comme un père dans son enfant. En cette vie, Dieu épargne les pécheurs et il n'épargne point les justes. Dans la vie future, il épargnera les justes, et il n'épargnera pas les pécheurs celui qui ne mérite pas d'être flagellé en cette vie sera tourmenté dans l'enfer. Très-chère soeur, la douleur et la tristesse sont communes à tous : il n'est en ce monde personne qui ne souffre. Dieu châtie toujours ceux qu'il destine au salut éternel. Soeur vénérable, ne vous contristez point dans vos infirmités. Rendez grâce à Dieu dans vos langueurs. Désirez la santé de l'âme plutôt que celle du corps; préférez la vigueur de l'esprit à celle de la chair. Ce qui répugne à celle-ci sert de remède à celui-là. Si la souffrance blesse la chair, elle guérit l'âme : la langueur dessèche les vices et brise les forces de la concupiscence. Sachez que la douleur vous éprouve, ne soyez pas abattue : l'or est éprouvé dans la fournaise pour être dépouillé de ses souillures vous passez par le creuset de la tribulation, afin de paraître plus pure, vous êtes brûlée par la persécution (Sap. III, 6). Vous êtes brûlée, afin d'être purifiée de tout péché: tous les maux que vous supportez sont pour vous éprouver (Rom. V, 3). Par conséquent, soeur bien aimée dans le Christ, ne murmurez point dans vos infirmités, ne blasphémez pas, ne dites jamais : pourquoi enduré-je ce mal? Ne dites pas: pourquoi suis-je affligée? Pourquoi supporté je des épreuves?

107. — Mon cher frère, je vous prie de me dire quelle infirmité je dois préférer, ou comment il faut que je m'accuse.

— Sœur honorable, accusez-vous de cette manière : J'ai péché, j'ai reçu ce que je méritais : je sais que le châtiment n'est pas égal à ma faute, et que je suis moins frappée que je ne le mérite ; la tribulation que j'éprouve n'est pas en proportion avec ce qui m'est dû, mes iniquités exigeraient une peine plus forte : mes tourments ne sont pas ceux que mes manquements réclament. O épouse du Christ, voulez-vous être purifiée de vos péchés? accusez-vous au fort du châtiment et louez la justice de Dieu. Pour vous purifier , il suffit que vous rapportiez à la justice du Seigneur ce que vous éprouvez, que vous le glorifiez humblement pour l'infirmité qu'il vous envoie. Dieu vous corrige par les châtiments pleins de miséricorde, il exerce la discipline sur vous, et celui qui en vous épargnant vous éloignait de lui, vous crie en vous frappant de revenir à lui. Vierge vénérable, pensez à tous les tourments du monde, repassez en esprit tous les châtiments possibles, toutes les douleurs imaginables, toutes les souffrances les plus cuisantes, comparez tout cela à l'enfer, ce que vous souffrez sera léger. Sœur aimable, si vous craignez quelque chose, que ce soient les supplices de l'enfer. Les peines d'ici-bas sont temporaires, celles de l'enfer sont éternelles : aux premières, la mort met un terme; pour les secondes, la mort est suivie de douleurs éternelles. Si vous vous convertissez , vos souffrances vous purifient. Pour celui qui se convertit, les châtiments servent à le ramener. En effet, l'homme qui, châtié ici-bas, se corrige, est délivré dans l'autre vie : celui qui ne se corrige pas, même sous le fouet, est frappé et d'une peine temporelle et d'une peine éternelle. Il est d'abord jugé dans ce siècle et puis encore dans le siècle à venir. Pour lui, il y a double peine et double condamnation, doubles coups; car il subit ici le jugement qui le condamne à souffrir, et là-bas, un supplément de peines. La main du Seigneur vous a livrée au supplice, le courroux du Seigneur,ordonne de vous châtier. Sœur vénérable, dans sa colère, il a voulu que vous ressentissiez toutes sortes de maux. Car, si vous êtes brisée par les faiblesses du corps, atteinte des maladies .de la chair, tourmentée par les aiguillons de la langueur, agitée par les passions de l'âme, fatiguée par les angoisses de l'esprit, agitée par les attaques redoublées des malins esprits, c'est la justice divine qui vous inflige tous ces châtiments, à cause de vos péchés. Vos amis combattent contre vous, vous vous blessez par vos propres traits, et vous vous percez de vos flèches ; car vous êtes punie par où vous avez péché. Pour avoir suivi la chair, vous êtes flagellée dans la chair, vous gémissez dans ce corps où vous avez péché. Sœur aimable , vous êtes tourmentée dans la chair où vous avez failli, vous trouvez le châtiment du péché là-même où s'en est trouvée la cause. C'est justement par où vous vous êtes précipitée dans les vices, que vous subissez des tourments. O épouse de Jésus-Christ, c'est justement que vous êtes condamnée, justement que vous êtes flagellée, justement que vous êtes jugée. Le mal vous broie justement, c'est à juste titre que le châtiment vous accable.

 

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XLIV. — De l'avarice.

 

108. Le Seigneur a dit dans l'Évangile : « Donnez-vous garde de toute avarice : parce que sur la terre en quelque abondance qu'un homme soit, sa vie ne dépend point des biens qu'il possède (Luc. XII, 46). » Et l'apôtre Saint Paul : « Que toute fornication, impureté et avarice ne soit point nommée parmi vous (Eph.V, 3). » Et encore: «Tout fornicateur, tout impur, tout avare, ce qui est la servitude des idoles, n'a point d'héritage dans le royaume de Dieu (Ibid). » Delà vient que Salomon s'écrie: « Quiconque suit l'avarice bouleverse sa maison. L'avare ne sera pas rassasié de trésors. Quiconque aime les richesses n'en sera pas rassasié. Il n'y a rien de pire que d'aimer les richesses : Celui qui en est affamé a une âme vénale (Prov. XV, V et Eccli X). Comme l'avarice plonge l'homme dans l'enfer, ainsi de larges aumônes élèvent vers le ciel. L'avare est semblable à l'enfer : De même que l'enfer ne dit jamais c'est assez; ainsi l'avare n'a jamais : assez d'argent. De même l'hydropique a d'autant plus soif qu'il boit davantage. Ainsi plus l'avare acquiert, plus il désire. L'avarice et la cupidité sont soeurs : leur père est l'orgueil. Jamais l'orgueil ne va sans la cupidité, ni la cupidité sans l'avarice. Soeur vénérable, que votre main ne soit pas tendue pour recevoir, et fermée pour donner: Ayez plus de plaisir à donner qu'à recevoir. Il vaut mieux donner que recevoir. Très-chère soeur, que l'avarice ne fixe pas ses racines dans votre âme, qu'elle ne se trouve pas en vous. Bannissez-la de votre cœur. Voilà comment vous goûterez une joie parfaite dans la céleste patrie en possédant le Christ votre Époux. Amen.

 

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XLV. — De la cupidité

 

109. « La cupidité est la racine de tous les maux (1 Tim. VI, 40). » Nul ne peut entreprendre parfaitement les guerres spirituelles, si auparavant il n'a pas dompté les voluptés de la chair: l'âme qui désire les biens terrestres et transitoires de ce monde ne peut être libre pour contempler Dieu : l'oeil de l'esprit ne peut voir les choses élevées, si la poussière de la cupidité terrestre le fait tenir fermé. La cupidité est un péché grave, c'est la matière de tous les crimes. Il n'est pas étonnant que l'on jette, à leur mort, dans les flammes éternelles ceux qui, durant leur vie, n'ont pas éteint le feu de la cupidité. Soeur très-chère, si n'ayant pas d'argent, vous avez néanmoins le désir d'en avoir, cette pauvreté ne vous sert de rien : la nudité du corps vous est complètement inutile si vous avez envie de vêtements. C'est par cupidité que Judas vendit le Christ. Nous arrivons nus en ce monde, nous en sortirons nus (Job. 1, 21). Pourquoi donc désirons-nous les biens terrestres et passagers? Si nous croyons qu'ils doivent périr un jour,      pourquoi les aimons-nous avec tant de passion ? Si nous aimons plus qu'il ne faut les choses caduques et transitoires, nous faisons un péché. Aussi, ma Soeur bien-aimée, considérez le cours de votre vie et connaissez que vous ne pouvez avoir le suffisant dans le peu que vous possédez. Par conséquent, si la cupidité est la racine de tous les maux, ainsi que nous l'avons déjà dit, il faut l'arracher de votre coeur : que la cupidité perverse des vices ne soit point en vous, pour que ses rejetons n'y            pullulent pas. Soeur vénérable, que le Dieu tout-puissant fasse que, pour son amour, vous méprisiez la prospérité de ce monde et que vous n'en redoutiez aucune adversité. Amen.

 

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XLVI. — De la pauvreté.

 

110. «Bienheureux ceux qui sont pauvres en esprit parce que le royaume des cieux est à eux (Matth. V, 3). » Il y a beaucoup de pauvres que leur pauvreté ne rend pas heureux, mais plutôt misérables, parce qu'ils la supportent par force, non pour l'amour de Dieu. Il y en a d'autres que leur pauvreté ne rend pas malheureux, mais bien heureux, parce qu'ils la souffrent pour le Seigneur: c'est d'eux qu'il est dit : «Bienheureux les pauvres en esprit. » Soeur bien-aimée, je reviens encore à vous dans mes discours. Vous avez entendu parler des tribulations et de la patience de Job: aussi je vous conseille de ne point vous laisser abattre par l'adversité, ni élever par la bonne fortune. Vous lisez dans l'Ecriture, que les Patriarches eurent des richesses, mais qu'ils furent humbles d'esprit tel fut Abraham, qui s'écriait : « Je parlerai au Seigneur mon Dieu, bien que je sois cendre et poussière (Gen. XVIII, 27). » Aussi serez-vous heureuse, soeur vénérable, si, dans l'adversité et dans la prospérité, vous rendez toujours grâces à Dieu, si vous regardez la félicité de cette vie temporelle comme de la fumée, comme une vapeur qui s'évanouit. L'apôtre Saint Paul dit aussi : « Si nous n'espérons en Jésus-Christ qu'en cette vie seulement, nous sommes les plus malheureux des hommes » (I Cor. XV, 10). » En effet, pour nous empêcher d'aimer l'or, Jésus-Christ nous a appris à mépriser les présents qu'on lui offrit durant sa vie ; pour nous empêcher de craindre la faim, il jeûna durant quarante jours; pour nous empêcher de redouter la nudité, il ordonna à ses disciples de n'avoir qu'une tunique; pour nous empêcher d'avoir peur de la tribulation, il la supporta pour nous, et, dans le même but, il souffrit et reçut la mort pour nous. Tout ce qui est dans le monde est concupiscence de la chair, concupiscence des yeux et ambition du siècle (I Joan. II, 16). Mais le monde périra avec sa concupiscence. Par conséquent, soeur bien aimée, n'aimez point ce qu'il y a dans le monde, pour ne point mourir avec lui. David était roi, il avait de grands trésors, il commandait avec puissance à son peuple, et néanmoins il reconnaît qu'il est vil, et il s'écrie : « Je suis pauvre et dans les travaux (Psalm. LXXXVII, 16). » Et ailleurs: «Je suis pauvre et indigent (Psalm. LXIX, 6). Et encore : a Je suis colon sur la terre et pèlerin comme vous, mes frères (Psalm. XXXVIII, 13). »

111. Soeur vénérable, que ces agréments éphémères ne vous séduisent pas; ne vous réjouissez ni dans les biens de la terre, ni dans le gain des richesses mondaines, et la perte des choses de ce monde ne vous contristera pas. Il est écrit en effet : « Si les richesses abondent chez vous, n'y attachez point votre coeur (Psalm. LXI 11). » Nous perdons avec douleur ce que nous possédons avec amour. Entendez, épouse du Christ, ce que je dis. Celui que servent les créatures terrestres et célestes, s'est rendu pauvre pour nous. Pourquoi ? afin de nous enrichir par sa pauvreté. Vous donc, vierge honorable, marchez dans le chemin où vous a précédé Jésus-Christ, votre Époux, et suivez, sans vous lasser jamais, ce céleste guide.            Il n'y a pas le moindre doute, si vous le suivez, que vous ne régniez avec lui dans la gloire. Considérez, soeur vénérable, la virginité et la pauvreté de la bienheureuse vierge Marie, qui fut tellement riche dans le Seigneur, qu'elle mérita d'être la mère de Dieu, et si dépourvue des ressources extérieures, qu'au temps de son enfantement, elle n'eut point de femme pour la servir et l'aider à sa délivrance, et si destituée de toutes choses, qu'elle ne trouve pour toute hôtellerie qu'un recoin où elle place son enfant, non dans un berceau, mais dans une crèche. Et Joseph, qu'elle avait épousé, s'il était juste, il était pauvre aussi, et demandait sa nourriture et son vêtement au travail de ses mains. Nous lisons en effet qu'il était ouvrier: Nous savons aussi que les saints apôtres servaient Dieu dans la faim et dans la soif. Aussi l'apôtre saint Paul dit « Dans la faim et dans la soif, dans des jeûnes fréquents, dans le froid et la nudité et dans des veilles prolongées et multipliées.»

112. O épouse du Christ, vous avez des exemples qui peuvent apprendre à mépriser les richesses de la terre, et à désirer celles du ciel : parce que « ceux qui veulent devenir riches en ce monde tombent dans la tentation et dans les piéges du démon, dans des envies nombreuses et nuisibles, qui plongent l'homme dans l'abîme de la perdition (I Tim. VII, 9). » Ceux qui espèrent parfaitement les richesses célestes, méprisent volontiers celles dé la terre; parce que la pauvreté volontaire introduit l'homme dans le royaume des cieux. Nous n'entrons pas dans un monastère pour y vivre dans les délices, mais pour y arriver, avec l'aide de Jésus-Christ, au royaume qui nous a été promis, au moyen des Veilles, des prières, des jeûnes, de la psalmodie et de la guerre faite contre le démon. Nous naissons nus, nous sommes baptisés nus, afin d'arriver nus et sans empêchement au ciel. Il est inconvenant, absurde, honteux, à l'homme de vouloir entrer riche en cet heureux séjour, quand sa mère l'a enfanté dans la nudité et la terre l'a reçu nu dans son sein. « Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d'une aiguille, qu'à un riche de pénétrer dans le royaume des cieux (Marc. X, 25). » Mieux vaut être dans le besoin que de posséder des richesses. Il est trop avare celui à qui Dieu ne suffit pas. Soeur bien aimée, si, en ce monde, nous souffrons la faim, la soif et la nudité pour Jésus-Christ, nous nous réjouirons avec plus d'allégresse avec Notre-Seigneur Jésus-Christ dans le royaume des cieux. Amen.

 

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XLVII. — Du murmure.

 

113. La demeure de notre coeur est sanctifiée par la grâce de Dieu, et par le séjour du Saint-Esprit, quand, au dedans, règnent la charité, la paix, la bonté, l'humilité, la concorde, la mansuétude, et les autres vertus de ce genre: ce sont là nos richesses; je parle des bonnes moeurs et des vertus. Mais si nous nous mettons à nous disputer, à murmurer, à contester, aussitôt nous sommes dépouillés de ces biens et nus. Pourquoi ? Parce que les vertus ne peuvent aller avec les vices. Il ne faut, en effet, qu'un peu de levain pour corrompre toute la pâte. Tout serviteur de Dieu doit considérer en son coeur â quel mal il s'expose, s'il murmure à cause des choses temporelles : il s'appauvrit là où il aurait dû s'enrichir. Quelles sont nos richesses ? Les vertus. Or nous les perdons si nous murmurons pour le boire ou le manger. Le murmure est un grand péché. De là vient que le bienheureux Grégoire dit: Nul murmurateur ne reçoit le royaume de Dieu; nul de ceux qui le reçoivent ne saurait murmurer. Les entrailles de l'insensé sont comme les roues d'un char qui crient, bien qu'il ne porte que du foin. Tels sont beaucoup de frères et beaucoup de soeurs dans la communauté : ils sont chargés de désirs charnels, et ne cessent de murmurer. Aussi, soeur bien aimée, le conseil que l'apôtre saint Paul nous donne en ces termes nous est-il bien nécessaire : « Ne murmurez point comme quelques-uns d'entre eux» le firent au désert, et « furent tués par l'ange exterminateur (I Cor. X, 10). » Il est donc dangereux pour nous de murmurer, cela nous expose à être frappés, dans le monastère, du glaive de l'ange exterminateur, comme le furent dans le désert les murmurateurs dont parle l'Apôtre. Gardons donc nos langues du murmure, de peur, (le ciel nous en préserve) que nous ne périssions dans le siècle à venir comme ils ont péri en celui-ci. Ne murmurons pas, si nous ne voulons trouver notre perte en l'autre monde, comme ils la trouvèrent en celui-ci. Gardons-nous de tout murmure, pour ne point souffrir en nos âmes ce qu'ils souffrirent en leurs corps.

114. L'Apôtre nous donne encore un autre avis en ces termes: «Ne tentons point le Christ, comme quelques-uns d'entre eux le tentèrent et furent piqués par les serpents (Ibid.). » C'est tenter le Christ, que de murmurer pour le boire, le manger ou le vêtement, ainsi qu'il est écrit du même peuple : » Ils tentèrent Dieu dans leurs coeurs, en demandant des aliments (Psalm. LXXVII, 18). » Et encore :« Ils murmurèrent dans leurs tentes, et ils n'entendirent point la voix du Seigneur (Ibid.).» C'est tenter le Christ que de murmurer en cherchant des superfluités dans un monastère. C'est agir contre le Seigneur que de vouloir plus que le nécessaire. C'est pécher contre le Christ que de rechercher des choses terrestres et passagères au grand scandale de ses supérieurs. « Et ils périrent mordus par des serpents. » Pourquoi périrent-ils mordus par des serpents, sinon parce que le serpent a du venin, et que, quiconque murmure a le venin du démon sous la langue? De là vient que l'apôtre saint Jacques s'écrie : « La langue est un mal inquiet, elle estpleine d'un venin mortel (Jac. III, 8). » Nous devons donc nous garder de murmurer, pour ne point périr par le venin diabolique et mortel. Soeur que j'aime dans le Christ, écoutez ce que Notre-Seigneur Jésus-Christ dit dans l'Evangile : » Je vous le dis : ne soyez pas inquiets pour votre vie, en cherchant ce que vous aurez à manger, ni pour votre corps, comment vous le couvrirez (Matth. VI, 25). » C'est comme s'il disait plus ouvertement : Dieu, qui vous a donné la vie, vous donnera aussi la nourriture : S'il vous a donné le corps, il vous donnera de quoi le couvrir. Et il ajoute : « Regardez les oiseaux du ciel, ils ne sèment pas, ils ne récoltent pas, ils ne ramassent point dans des greniers ni dans des celliers, et Dieu les nourrit: » C'est-à-dire, si Dieu gouverne les oiseaux qui sont aujourd'hui et ne seront plus demain, et dont l'âme est mortelle ; à combien plus forte raison donnera-t-il à ses serviteurs et à ses servantes la nourriture et le vêtement, puisqu'ils ont une âme immortelle et que le royaume des cieux leur est promis? Et encore : « Considérez les lis des champs, voyez comme ils croissent : ils ne travaillent ni ne filent, » ils ne font ni fil ni tissus, si donc Dieu les revêt de la sorte, combien plus vêtira-t-il ses serviteurs et ses servantes? Le Seigneur ne fera pas périr par la faim, la soif ou la nudité ceux qui le servent. Et il ajoute : « Cherchez d'abord le royaume de Dieu, et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît. »  Comme s'il disait: servez le Seigneur dans la crainte, chantez et tressaillez devant lui nuit et jour, avec tremblement, et il vous donnera tout ce qui est nécessaire en cette vie et en l'autre « Ceux qui recherchent le Seigneur ne seront privés d'aucun bien (Psalm. XXXIII, 11). » Soeur bien-aimée, Dieu qui vous a tirée de la maison de votre Père, vous traitera, si vous persévérez en son service, selon tous les désirs de votre coeur. Ainsi-soit-il.

 

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XLVIII. — De ce qu'on se réserve de son bien propre.

 

115. Sœur bien aimée, que les biens que se réservent les serviteurs de Dieu ne se trouvent jamais en votre possession particulière, ce qui serait très-criminel. Tout ce qui est dans le monastère est commun à toutes, par conséquent, si une servante de Dieu a quelque chose de caché ou de particulier à l'insu des autres, c'est un vol, c'est le péché de larcin. Pourquoi? Parce qu'elle n'a rien qu'en commun avec les autres servantes du Seigneur, et se réserve eu secret quelque chose comme si c'était son bien propre. Avoir furtivement quelque objet qu’il n'est pas mis en commun avec les autres servantes de Dieu; s'en réserver secrètement quelqu'un comme s'il nous appartenait, c'est un vol, c'est une fraude manifeste. C'est là un grand péché, c'est la route de l'enfer, c'est par là que les voleurs y descendent. En effet, voici comment s'exprime l'apôtre saint Paul : « Ni les larrons, ni les ravisseurs, ne posséderont le royaume de Dieu (I Cor. VI, 10). » Il est juste que se séparant de la vie commune du monastère en se réservant quelque chose à part, la servante du Seigneur, soit séparée de la société des saints dans la vie céleste. Plusieurs entrent dans le monastère ; mais, ce que nous ne pouvons dire sans de profonds gémissements, tous n'y vivent point selon l'Évangile. Si dans le monastère se trouvent les saints apôtres de Jésus-Christ, il s'y trouve aussi un Judas Iscariote qui trahit le Seigneur, un Ananie avec Saphire son épouse, un Giézi, disciple d'Elisée. C'est pourquoi ceux qui, à l'imitation des apôtres et uniquement en vue de la vie éternelle, abandonnent pour Dieu tout ce qu'ils ont en ce monde, se réjouiront avec ces mêmes apôtres, et seront récompensés dans la béatitude éternelle; quant à celui qui, entré dans la maison sainte après sa conversion, y emploie la fraude au sujet des biens du monastère, c'est un Judas, et, avec Judas, il sera puni dans l'enfer : parce qu'il a commis une fraude à l'endroit de la propriété commune, en voulant s'en attribuer une partie. Si donc ceux qui passent de la vie du monde au service de Dieu, se réservent une portion des biens qu'ils ont eu et en donnent une autre au monastère avec leur personne, ils méritent avec Ananie et Saphire de s'entendre frapper de malédiction : si un religieux, après être entré veut avoir ou recherche dans la maison sainte ce qu'il n'a pu avoir chez lui, on ne peut douter que la lèpre de Giézi ne s'attache à lui, qu'il n'ait, dans son âme, la maladie que Giézi éprouva dans son coeur.

116. Soeur honorable, comme je vous l'ai dit plus haut, il existe une différence considérable entre ceux qui vivent dans le monastère et ceux qui y vivent à la façon des apôtres. A ceux qui ne cachent rien de ce qu'ils ont possédé en ce monde ou de ce qu'ils ont dans le monastère, s'applique cette parole du Psalmiste : « Pour moi, il m'est bon de m'attacher au Seigneur et de placer en lui mon espérance (Psalm. LXXII, 28). » Et encore : Jetez vos pensées dans le sein de Dieu, et il vous nourrira (Psalm. LIV, 23). » Mais à ceux qui, comme Judas Iscariote, retiennent quelque chose en propre ou cachent quelque objet appartenant au monastère, on peut rapporter ce passage de l'Ecriture : « Ils montent jusqu'aux cieux, et ils descendent jusqu'aux abîmes : leur âme se desséchait dans le mal (Psalm. CVI, 26.) » Quant à ceux qui, comme Ananie et Saphire, donnent au monastère une partie de ce qu'ils ont eu dans le siècle et en retiennent en propre une autre partie, ce passage les regarde : « Ils se confient dans leur force et ils se glorifient dans l'étendue de leurs richesses (Psalm. XLVIII, 7). » Il en est de même de ceux qui, comme Giézi, cherchent dans le monastère ce qu'ils ne pouvaient avoir dans le siècle : « Voilà l'homme qui n'a point placé son secours en Dieu, mais qui a espéré dans la grandeur de ses richesses, et il s'est prévalu dans sa vanité (Psalm. LI, 9). » Pour vous donc, soeur vénérable, ne cachez rien, n'enfouissez rien, ne gardez rien à la dérobée, que rien ne soit détourné chez vous. Tout ce que ;vous avez, ayez-le avec permission; si vous possédez quelque chose, possédez-le avec bénédiction : n'ayez, ne recevez rien sans l'agrément de l'abbesse ou de la prieure, rien sans sa permission ; ne donnez rien sans licence de la supérieure. Vierge digne d'égards, « jetez vos pensées dans le sein du Seigneur et il vous entretiendra (Psalm. XIV, 23). »

 

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XLIX. — De la prière.

 

117. Très-chère soeur, écoutez mes paroles. Prier avant le temps, c'est prévoyance. Prier au temps figé, c'est obéissance. Laisser passer letemps de la prière sans prier, c'est négligence. La prière doit être d'autant plus fréquente qu'elle est plus utile. Le Seigneur a dit dans son Évangile : « Tout ce que vous demanderez avec foi dans la prière, vous l'obtiendrez (Matth. XXI, 22). » Et l'apôtre saint Paul : « Priez sans relâche (I. Thessal. V, 17) : » et saintJacques : «La prière assidue du juste est grandement puissante (Jac. V, 16). » Soeur vénérable, « Avant la prière, préparez votre âme, et ne soyez point comme un homme qui tente Dieu. (Eccli. XVIII, 23). » Préparez-vous dans la prière et déployez la conscience de votre coeur, pour obtenir de votre Dieu une grâce plus abondante, Vous priez véritablement lorsque vous n'avez dans votre coeur aucune autre pensée. Le juge est plus vite fléchi par la prière si le pécheur se corrige de sa malice. C'est le coeur qui prie, ce ne sont pas les lèvres. Il vaut mieux prier dans le silence du coeur, que des lèvres seulement sans attention de l'esprit. La prière est pure, lorsque, au moment où l'on prie, de vaines pensées ne viennent point distraire et troubler l'esprit. En effet, l'esprit qui est occupé, durant la prière, aux pensées du siècle, est loin de Dieu. Deux choses empêchent l'homme d'obtenir ce qu'il demande : ou bien il commet encore le mal, ou il ne pardonne pas de tout son coeur à celui qui a péché contre lui. Notre âme est du ciel : et elle contemple bien le Seigneur dans l'oraison, quand nulle préoccupation terrestre et nulle erreur ne l'empêchent de prier. Quand on prie, on appelle à soi le Saint Esprit ; lorsqu'il est arrivé, soudain toutes les tentations des démons qui assaillent l'âme de l'homme, prennent la fuite, ne pouvant supporter sa présence. Que celui qui est blessé ne cesse point de prier pour ceux qui le blessent; car, celui qui ne prie point pour ses ennemis, pèche selon ce que dit le Seigneur (Luc. VI, 28). Comme nul remède n'agit sur la blessure, si le fer est encore dans la plaie, de même la prière de celui qui conserve de la haine dans le coeur, n'a aucun bon résultat. C'est élever les mains vers le Seigneur d'une manière coupable, que de faire parade de ses bonnes actions dans sa prière, comme le Pharisien qui se vantait dans le temple, et qui se louait de ses saintes couvres bien plus qu'il ne louait le Seigneur (Luc. XVIII, 10).

118. Soeur bien aimée, priez sans relâche, avec larmes. Priez sans cesse, suppliez le Seigneur le jour et la nuit ; que votre prière soit sans terme, qu'elle soit fréquente, qu'elle soit votre arme perpétuelle, qu'elle ne cesse d'être sur vos lèvres ; livrez-vous-y avec        instance , à chaque instant. Gémissez et pleurez toujours ; levez-vous la nuit pour prier. Veillez et priez, passez la nuit dans l'oraison et la prière, appliquez-vous aux veilles nocturnes. Après avoir fermé, pendant un peu de temps, les yeux au sommeil, priez derechef. La prière fréquente écarte les traits du démon. La prière quotidienne triomphe des attaques du diable. Elle est la première force contre les assauts de la tentation; au milieu de ces périls, elle vainc les démons et surmonte toute la violence de ces esprits impurs. Les démons sont abattus par la prière: la prière les met tous à bas. Vierge honorable, que votre prière soit pure. Je vous engage, soeur bien aimée, à prier pour les hommes de bien, afin qu'ils persévèrent dans la bonne voie. Je vous demande aussi de le faire pour les méchants, afin qu'ils abandonnent le mal pour le bien. Priez pour vos amis, priez aussi pour vos ennemis. Priez pour tous les vivants et pour les morts. Que votre prière s'élève comme l'encens en la présence de Dieu (Psalm. CXL, 2).

 

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L. — De la lecture.

 

119. Par la prière, nous sommes purifiés de nos péchés ; par la lecture, nous apprenons ce que nous avons à faire. L'une et l'autre sont bonnes, quand on peut s'y livrer. Si on ne le peut pas, il vaut mieux prier que lire. Car lorsque nous prions, nous nous entretenons avec Dieu; quand nous lisons, c'est Dieu qui nous parle. Soeur bien aimée, si vous voulez être toujours avec Dieu, priez toujours et lisez toujours. La lecture des livres divins nous est grandement nécessaire. Car c'est par elle que nous apprenons ce que nous devons faire, ce que nous avons à éviter, et le but vers lequel nous devons tendre. Aussi est-il dit: « votre parole est une lumière à mes pieds et un flambeau qui dirige mes pas (Psal. CXVIII, 105).» Elle augmente le sentiment et l'intelligence. Elle nous forme à la prière et à l'action, à la vie active et contemplative. Aussi est-il dit au livre des Psaumes. « Heureux l'homme qui méditera nuit et jour sur la loi du Seigneur (Psalm. I, 2). » La lecture et la prière sont des armes qui triomphent du démon, et donnent les moyens d'acquérir l'éternelle béatitude. Elles détruisent les vices et nourrissent les vertus dans l'âme. La servante du Seigneur doit toujours prier et lire. Aussi est-il écrit au livre des Psaumes : «Je ne serai point confondu, lorsque je considérerai vos commandements (Psalm. CXVIII, 6). » C'est pourquoi, soeur bien-aimée dans le Christ, livrez-vous fréquemment et avec application à l'oraison, persévérez dans la méditation des saintes Écritures, soyez assidue à contempler la loi du Seigneur, ayez du goût pour les préceptes divins, ayez l'habitude de lire souvent; que la méditation quotidienne de la loi soit votre lecture. La lecture fait disparaître l'erreur de la vie, elle soustrait l'homme à la vanité du monde. Par elle le sentiment et l'intelligence grandissent dans l'âme ; en effet, elle vous apprend ce qu'il y a à faire, ce qu'il faut éviter, le but vers lequel il faut tendre. Vous profiterez beaucoup en lisant, si pourtant vous pratiquez ce que vous lisez. Soeur vénérable, que Dieu ouvre votre coeur pour sa loi et pour l'accomplissement de ses ordres.

 

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LI. — Du travail manuel.

 

120. Le prophète Jérémie dit : «Levons nos coeurs avec nos mains vers le Seigneur (Thren. III, 41). » Quiconque prie et travaille, lève vers le Seigneur son coeur avec ses mains. Celui qui prie sans travailler, lève son coeur sans élever ses mains. Aussi, très-chère soeur, devez-vous lever votre coeur vers Dieu dans l'oraison, et vos mains aussi par la pratique du bien. Pourquoi? De crainte d'être taxée de négligence à accomplir ses commandements, si vous ne cherchez à obtenir le salut que par la prière ou par le travail. De là vient que l'apôtre saint Paul dit « Que celui qui ne travaille pas ne mange point ( II Thessal. III, 10). » La servante du Christ doit toujours prier, lire et travailler, de crainte que l'esprit de fornication ne trompe son esprit s'il était oisif. La jouissance de la chair est vaincue par le travail. Soeur, très-chérie, faites-vous trois parts de votre journée : la première, pour la prière ; la seconde pour la lecture et la troisième pour le travail manuel. C'est par l'oisiveté que le roi Salomon tomba dans une multitude de fornications, et par la violence de ses passions charnelles, qu'il en vint à adorer les idoles. Soeur vénérable, la prière, la lecture et le travail, sont trois choses nécessaires pour vous. La prière nous purifie, la lecture nous instruit, le travail nous rend heureux, ainsi que le Saint-Esprit le dit dans un psaume : « Vous mangerez le fruit du travail de vos mains; vous êtes bienheureux et le bonheur sera avec vous (Psalm. CXXVII, 2).» Si, parfois, vous cessez de lire, vous devez travailler, afin de n'être jamais sans rien faire, parce que l'oisiveté est l'ennemie de l'âme. Le démon trompe bien vite celui qu'il trouve inoccupé : tous les jours cet esprit infernal entre dans les cloîtres, et s'il y trouve quelqu'un d'oisif, il l'accuse de suite. O épouse du Christ, veillez à ce que, lorsque le démon entrera dans le cloître et scrutera la conduite de chacune de vous, il ne trouve point matière à vous accuser. C'est pourquoi je vous engage, soeur bien aimée dans le Christ, pour l'amour de Jésus-Christ, à n'être jamais oisive.

121. Je vous prie de montrer à vos soeurs votre amour pour Jésus-Christ, non-seulement par vos paroles, mais encore par vos bonnes couvres. Vous aimez véritablement le Seigneur si pour son amour vous faites le bien que vous pouvez. Toute âme sainte, doit montrer, par des paroles et des couvres saintes, son amour pour Dieu. Aussi, au Cantique des cantiques, l'Époux, c'est-à-dire Jésus-Christ, prie-t-il l'Épouse, c'est-à-dire l'âme  sainte, en ces termes : « Placez-moi comme un cachet sur votre coeur et sur votre bras (Cant. VIII, 6). » Dans le coeur sont les pensées, et les œuvres dans le bras. Le Bien-aimé est donc mis comme un. cachet sur le coeur et sur le bras, parce que dans l'âme sainte, la volonté et l'action désignent le degré d'amour qui est en elle; en effet, l'amour de Dieu n'est jamais oisif. Là où l'amour existe, il opère de grandes choses, sinon ce n'est pas de l'amour. Je vous prie donc, vierge vénérable, d'aimer Dieu parfaitement et, pour l'amour de lui, de ne jamais demeurer oisive; si vous aimez vraiment le Seigneur, il n'y aura pas une heure où vous serez oisive ; si vous l'aimez réellement. cet amour vous empêchera d'être oisive; si vous l'aimez de tout votre coeur, vous mépriserez en tout temps la paresse. Quiconque aime Dieu de tout son esprit, fuit l'oisiveté. Le royaume de Dieu ne sera pas donné aux oisifs, mais à ceux qui sont appliqués à son service; il sera donné non aux vagabonds, mais à ceux qui travaillent dignement pour lui : ceux qui sont lents et paresseux dans la pratique des bonnes oeuvres, n'auront point de place dans le royaume de Dieu. La luxure trompe bien vite les hommes livrés à l'oisiveté, elle a bientôt saisi celui qui est inoccupé et vagabond, elle brûle de très-vives ardeurs celui qu'elle trouve désoeuvré. La passion cède aux affaires, aux couvres, aux efforts et au travail : souvent l'homme triomphe de la volupté par le travail, car le corps brisé par la fatigue trouve moins de jouissance dans les oeuvres de la luxure. C'est pourquoi, soeur aimable dans le Christ, fuyez l'oisiveté, n'aimez pas à ne rien faire, fatiguez votre corps par le travail, faites de bonnes oeuvres, cherchez-vous une occupation utile, qui sollicite l'attention de votre esprit : que toujours, votre intention et votre action soient en Dieu. Ainsi-soit-il.

 

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LII. — Des Psaumes et des Hymnes.

 

122. Très-chère soeur, lorsque vous chantez, en présence du Seigneur, des psaumes et des hymnes, appliquez votre esprit à ce que votre bouche fait entendre. Que votre pensée soit d'accord avec votre voix, avec votre langue : ne pensez pas à une chose en en chantant une autre ; si vous chantez une chose en esprit et une autre de bouche, vous perdez votre peine. Si, tandis que votre corps est dans l'Église, votre esprit erre au dehors, vous perdez votre récompense. Aussi est-il dit : «Ce peuple m'honore du bout des lèvres, mais son coeur est loin de moi (Matth. XV, 8). » Voici comment s'exprime l'Apôtre : « Je chanterai par l'esprit, je chanterai de coeur (I. Cor. XIV, 15). » Je chanterai de bouche et de coeur. Il est donc bon de toujours prier Dieu en esprit. Il est bon aussi de le glorifier par les accents de la voix, dans les hymnes, les psaumes et les cantiques spirituels. Si la prière nous aide, le chant des psaumes nous charme, l'usage du chant console les coeurs attristés. Il réjouit, dans l'église, l'esprit de l'homme, il charme les ennuis, il excite la paresse et invite le pécheur aux gémissements de la pénitence : car, si dur que soit le coeur des gens du monde, ils n'entendent pas plus tôt la douceur de la psalmodie, qu'ils sont ramenés à des sentiments de piété. Il en est beaucoup qui, charmés de cette douceur, se mettent à pleurer leurs péchés. La prière se fait seulement en cette vie pour obtenir la rémission des fautes, le chant des psaumes signifie la louange perpétuelle de Dieu dans la joie éternelle, ainsi qu'il a été écrit : « Heureux ceux qui habitent dans votre maison, ô Seigneur, ils vous loueront aux siècles des siècles (Psalm. LXXXIII, 5). » L'homme qui chante les psaumes avec foi et application d'esprit, est associé aux anges en quelque manière. Comment cela? Parce que, il loue, selon son pouvoir sur la terre, celui que les anges adorent et glorifient sans relâche dans les cieux. Le chant des psaumes nous invite quelquefois à la prière, quelquefois aux larmes.

123. Les psaumes nous rendent agréables les veilles de la nuit, en nous disant : « Justes, travaillez dans le Seigneur, la réjouissance convient à ceux qui sont droits (Psalm. XXXII, 1). » Ils nous annoncent la première heure du jour avec ces transports qui accueillent le retour de la lumière ; «Seigneur, sauvez-moi en votre nom et jugez-moi dans votre puissance (Psalm. LIII, 3). » Ils nous marquent celle de tierce en ces termes : «que votre miséricorde vienne sur nous Seigneur, et votre salut, selon votre parole Psalm. CXVIII, 41). » Ils nous réjouissent à celle de sexte, lors de la fraction du pain, à celle de none, ils rompent le jeûne et nous rassasient de douceurs et de délices spirituel les. Ils nous recommandent à Dieu, à l'heure du soir, par ces expressions : « Seigneur, que ma prière monte en votre présence comme l'encens, et que l'élévation de mes mains soit le sacrifice du soir (Psalm. CXL, 2). » Ils nous avertissent de bénir Dieu, à Complies, en nous disant : « Bénissez maintenant le Seigneur, vous tous, qui êtes ses serviteurs Psalm. CXXXIII, 2). » Soeur que je chéris dans le Christ, retenez bien dans votre mémoire cette pensée que tout âme sainte résonne agréablement aux oreilles du Seigneur. Que la dilection, que l'amour, que la dévotion, vous fassent chanter en l'honneur de Dieu des psaumes, des hymnes et des cantiques spirituels. Voilà pourquoi l'Époux, c'est-à-dire le Christ, s'adresse en ces termes, à l'Épouse, c'est-à-dire à l'Église ou à l'âme sainte, au Cantique des cantiques: « Montrez-moi votre visage, que votre voix résonne à mes oreilles, parce que votre voix est douce et votre visage éclatant de beauté (Cant. II, 14). » Vous, ma bien-aimée, dit-il, qui êtes couchée dans le lit d'une douce contemplation, qui désirez, en cette position, me plaire par les psaumes, les hymnes, les cantiques spirituels et autres prières, venez et montrez-moi votre visage, c'est-à-dire, sortez du secret de votre coeur et faites voir aux autres, pour leur servir d'exemple, la beauté de vos bonnes oeuvres, afin qu'en les voyant, ils glorifient votre Père qui est aux cieux (Matth. V, 16). « Que votre voix résonne à mes oreilles.» C'est-à-dire, que la voix de la prédication, la voix de la louange de Dieu, la voix de l'allégresse qui exalte les autres à me louer et à me glorifier. Le chant des Psaumes ravit les oreilles de ceux qui l'écoutent et forme les âmes des fidèles à une sainte vie. Que la voix de ceux qui les chantent vibre à l'unisson, et mêlons les accents de nos louanges à ceux des anges de Dieu que nous ne pouvons voir.

124. Les serviteurs de Dieu doivent célébrer sans cesse le mm du Seigneur; c'est ce que nous insinuent ces eaux supérieures dont il est dit : « Que toutes les eaux qui sont au dessus des cieux louent le Seigneur (Psal. CXLVIII, 4), » parce que les élus ne cesseront jamais de célébrer le saint nom de Dieu. Il est dit des eaux inférieures : « Que les eaux qui sont sous le ciel se réunissent en un seul lieu (Gen. I, 9), » parce que les réprouvés, actuellement dispersés par tout l'univers, seront rassemblés dans l'enfer pour y être tourmentés. Les fidèles doivent chanter sans relâche les louanges du Seigneur, parce que Dieu y trouve ses délices. Qu'il les y trouve, c'est l'Epoux, c'est-à-dire Jésus-Christ qui nous l'assure, lorsqu'au Cantique des cantiques, il dit à l'Epouse, c'est-à-dire à l'âme sainte : « Vous qui habitez dans les jardins (Cant. VIII. 13).» L'Eglise, c'est-à-dire les âmes saintes, habite dans les jardins, parce qu'elle est déjà remplie de la végétation verdoyante et de l'espérance des bonnes oeuvres. Il faut donc que celle qui se trouve dans les jardins fasse entendre à son époux sa voix, c'est-à-dire le chant de la bonne prédication ou d'une sainte allégresse, ou qu'elle fasse résonner les louanges de Dieu, qui charment l'Epoux que l'Epouse désire entendre, que les élus qui sont les amis de l'Epoux souhaitent d'entendre, je veux parler des paroles de vie, des leçons, des psaumes, des hymnes et des cantiques spirituels, pour être excités à marcher avec plus de force vers la céleste patrie. Aussi, soeur très-vénérable, ainsi que je l'ai dit précédemment, il vous est grandement nécessaire de louer, durant toute votre vie, le Dieu tout puissant votre Créateur, car il y a pour vous une promesse de la vie éternelle dans les louanges que vous lui adressez. Louez-le donc de tout votre soeur, louez-le de bouche, louez-le dans les accents de l'allégresse, loues 1e dans le secret de la contemplation, louez-le dans la chaumière de votre âme, dans les transports de votre voix. En effet, bien que nous soyons pécheurs indignes de louer Dieu, nous ne devons cependant pas laisser de chanter ses grandeurs, parce que nous croyons obtenir à ce titre le pardon de nos péchés. Aussi, le Seigneur dit-il, dans les psaumes : « Le sacrifice de louange m'honorera et c'est là la route par où je lui montrerai le salut de Dieu (Psalm. XLIX, 23). » C'est comme s'il avait dit plus ouvertement: Dans les psaumes est la voie de la louange, par laquelle vous pouvez arriver à la louange qui se chante éternellement. Voilà pourquoi, très-chère soeur, comme la route de notre salut est dans les mains du Créateur, je vous engage à ne jamais cesser de faire retentir les louanges de Dieu sur vos lèvres. Soeur très-aimée dans le Christ, Dieu est votre louange; soyez donc, vous aussi, la sienne, et que ses louanges soient constamment sur vos lèvres. Amen.

 

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LIII. — De la vie active et contemplative.

 

125. Jacob (Gen. XXVIII, 12) vit une échelle appuyée sur la terre, et les anges de Dieu qui y montaient et descendaient, son extrémité touchait le ciel. Sur cette échelle sont toutes les âmes prédestinées à la vie éternelle : et quiconque tend au royaume des cieux, y a une place. Cette grande échelle, c'est l'Église qui, d'un côté, combat encore sur la terre, et, d'un autre, règne déjà dans les cieux. Il s'y trouve trois classes d'hommes, les séculiers, ceux qui mènent la vie active, et ceux qui mènent la vie contemplative. Les séculiers sont au degré le plus bas. Ceux qui mènent la vie active sont à un point plus élevé. Les contemplatifs occupent le sommet. Dans ces trois classes, quelques-uns sont à la meule, d'autres dans le champ, d'autres au lit. La meule, c'est la vie séculière. Le champ, c'est l'esprit de l'homme du siècle. Les prédicateurs de la parole de Dieu sont dans le champ. Dans le lit est l'amour de l'Époux, c'est-à-dire du Seigneur. Ceux qui sont à la meule parcourent la terre, ils aiment et cherchent lesbiens de la terre. Ceux qui sont dans le champ cultivent la terre, ils répandent la semence de la parole de Dieu dans lès oreilles des hommes. Ceux qui les regardent d'en haut et dédaignent ce travail sont dans le lit. Au pied de cette échelle sont les hommes du siècle. Au milieu se trouvent ceux qui mènent une vie active. Les contemplatifs sont au sommet, comme déjà établis dans le ciel, parce qu'ils méditent les choses du ciel : ce sont les anges de Dieu qui montent sur cette échelle, parce qu'ils s'élèvent vers le Seigneur par la contemplation et descendent vers leurs frères par la compassion. La vie active est l'innocence des bonnes oeuvres ; la contemplative est la considération des choses d'en haut. La première est commune à plusieurs, la seconde est le partage d'un petit nombre. La vie active fait un bon usage des choses de la terre . Renonçant au siècle, la vie contemplative trouve ses délices à ne vivre que pour Dieu.

126. Demande. — Frère bien aimé, je vous prie de me montrer la différence qui existe entre la vie active et la vie contemplative.

Réponse. — Soeur très-chère, il y en a une fort grande. La vie active consiste à donner du pain à l'indigent, à communiquer les leçons de la sagesse au prochain, à le corriger s'il erre, à le ramener dans le chemin de l'humilité lorsqu'il s'en écarte par orgueil, à rappeler à la concorde, ceux qui sont divisés, à visiter les infirmes, à ensevelir les morts, à racheter les captifs et ceux qui gémissent dans les cachots, à dispenser à chacun selon ses besoins, et à donner à tous ce qui leur est nécessaire. Soeur bien aimée dans le Christ, vous venez d'en tendre quelles sont les oeuvres de là vie active : écoutez à présent, s'il vous plaît, celles de la vie contemplative. La vie contemplative consiste à conserver de toute son âme, l'amour de Dieu et du prochain, là se tenir éloigné de toute action. extérieure, à ne se tenir attaché qu'au seul désir du Créateur : de telle sorte qu'on se plaise à ne rien faire, et que, dédaignant tous les soucis du siècle, l'esprit s'enflamme du désir de voir la face de son Créateur, de manière que, ayant déjà appris à porter avec chagrin le fardeau de la chair corruptible, il désire, de toute l'énergie de son coeur, être mêlé aux chœurs harmonieux des anges, être rangé au nombre des citoyens de la cité céleste, et se réjouir, en la présence de Dieu, de l'éternelle incorruptibilité. Vénérable soeur, vous avez entendu exposer la vie active, vous avez entendu aussi exposer la vie contemplative : je vous supplie maintenant de choisir, avec Marie Madeleine, la meilleure part, je veux dire, la vie contemplative. La vie active est bonne ; mais la contemplative est bien meilleure. Ce lui qui commence par marcher dans la première s'élève facilement à la suivante. Quiconque soupire encore après la gloire temporelle, après la concupiscence charnelle, est éloigné de la contemplation. Considérez dans la personne de Jacob un exemple de la vie active et de la vie contemplative (Gen. XXX, 23); il aimait Rachel, image de la vie contemplative, et fut uni à Lia, qui représente la vie active. La vie active sert Dieu dans les travaux de cette vie, quand elle nourrit les pauvres, les accueille, leur donne à boire, leur fournit des vêtements, les visite, les console, les ensevelit et déploie à leur endroit les autres oeuvres de miséricorde. Et cependant Lia est féconde, elle a des enfants, parce que beaucoup sont actifs et peu contemplatifs. Rachel, dont le nom signifie brebis ou qui voit le principe : parce que les contemplatifs sont simples et innocents comme la brebis et étrangers aux agitations du siècle; il n'y a que ceux qui se livrent à la contemplation qui voient celui qui a dit : « Je suis le principe, moi qui vous parle (Joan. VIII, 25). »

127. Rachel a deux enfants (Gen. XXXV.), parce qu'il y a deux sortes de contemplatifs. Les uns vivent en commun dans les monastères, les autres sont solitaires et séparés de tout. Mais la vie contemplative est plus heureuse et plus parfaite que la vie active. Comme l'aigle fixe ses regards sur les rayons du soleil et ne les abaisse que lorsqu'il veut prendre sa nourriture, de même, parfois, les saints descendent de la contemplation à la vie active, en considérant que, si ces élévations sont utiles, néanmoins ces abaissements sont aussi de quelque utilité pour notre faiblesse. Aussi, au Cantique des cantiques, l'Époux, c'est-à-dire Jésus-Christ, excite l'Épouse, c'est-à-dire l'âme sainte, en ces termes : « levez-vous, hâtez-vous, mon amie, ma colombe, ma toute belle, et venez (Cant. II, 10) .» C'est comme s'il disait plus ouvertement levez vous, hâtez-vous, vous qui êtes mon amie par la charité et la

foi, ma colombe, par l'innocence et la simplicité ; ma toute belle par la vertu et la chasteté ; levez-vous de cette très-douce couche, c'est-à-dire du repos de la contemplation, où vous ne désirez plaire qu'à moi dans les psaumes, les hymnes, les prières et cantiques spirituels hâtez-vous donc, et venez, c'est-à-dire sortez pour l'utilité du prochain, dans le but de l'entraîner par l'office de prédication et par les exemples de vos bonnes oeuvres, à vous imiter et à opérer le salut de son âme. Dans Ezéchiel, la vision des animaux qui marchaient sans revenir sur leurs pas, se rapporte à la persévérance de la vie active (Ezech. X, 20). Et les animaux qui 'allaient et revenaient se rapportent à la mesure de la vie contemplative : quiconque veut s'y élever descend aussitôt sous le poids de son infirmité, mais après avoir retrempé la vigueur de son âme, il remonte de nouveau au point d'où il était descendu. Ce qui ne peut se produire dans la vie active pour peu qu'on descende, on est aussitôt couvert des souillures du vice.

128. Souvent l'âme s'élève de la terre au ciel, et ensuite, accablée par la faiblesse de la chair, elle descend du ciel sur la terre. Il y a les hommes du monde que Dieu visite et élève, par sa grâce, à la hauteur de contemplation, et, dans ses jugements cachés, mais juste, il y a des contemplatifs qu'il abandonne dans la vie terrestre après qu'ils y sont tombés; comme un mort placé dans son sépulcre           cesse de se livrer aux affaires de la terre, ainsi l'homme contemplatif suspend toute oeuvre ou tout ministère d'en bas : et, de même que les hommes qui s'élèvent de la vie active sont ensevelis dans le repos de la contemplation, de même la vie active reçoit en son sein, comme pour les ensevelir, ceux qui se retirent de la vie séculière. Voilà comment la vie active, étant le tombeau de la vie mondaine, la vie contemplative est le sépulcre de la vie active. Si parfois, les saintes âmes sortent du secret de la contemplation pour vaquer à la vie active, elles rentrent aussi de la vie active dans le sein de la vie contemplative, afin de louer le Seigneur là où elles ont trouvé de quoi procurer sa gloire au dehors. Comme Dieu veut que parfois les contemplatifs sortent dans la vie active, pour être utiles aux autres, de même, il veut que personne ne les inquiète, mais qu'ils se reposent dans le secret d'une contemplation pleine de douceur : c'est ce que l'Époux insinue parfaitement au Cantique des cantiques, lorsqu'il conjure les jeunes filles de Jérusalem de ne point éveiller l'Épouse : « Je vous en supplie, filles de Jérusalem, par les chèvres et les chevreaux des campagnes, n'éveillez pas, ne faites pas éveiller ma bien-aimée, jusqu'à ce qu'elle le veuille (Cant. II, 7).» Cela veut dire, ne réveillez pas, ne faites point éveiller l'âme livrée à la divine contemplation, occupée aux prières et aux saintes lectures, ne la troublez pas pour l'attirer aux oeuvres extérieures jusqu'à ce qu'elle le veuille; c'est-à-dire, jusqu'à ce que sa contemplation achevée, elle soit rappelée à elle par la fragilité de son corps, et veuille être tirée du sommeil du repos éternel et de la douceur intérieure.

129. Mais cependant nul, en cette vie, ne peut contempler parfaitement le Seigneur. Aussi saint Jean dit-il dans l'Apocalypse : « Il se fit dans le ciel un silence comme d'une demi-heure (Apoc. VIII, 1).» Le ciel, c'est l'âme du juste, ainsi que le Seigneur le dit par le Prophète : « Le ciel est mon siège (Isa. LXVI, 1). » Lors donc que le repos de la vie contemplative règne dans l'esprit; le silence se fait dans le ciel, c'est-à-dire dans l'âme, parce que le fracas des choses et des opérations terrestres cesse dans la pensée. Mais comme la vie contemplative ne peut être parfaite en ce monde, il n'est pas dit que le silence se fit au ciel durant une heure, mais à peu prés durant une demi-heure. Quiconque veut pratiquer parfaitement la vie contemplative, doit s'abstenir de toute oeuvre terrestre. Aussi, au même cantique, l'Epouse dit-elle en parlant de soi : « Je dors et mon coeur veille (Cant. X, 2). » C'est comme si l'âme sainte parlait ouvertement d'elle en ces termes : Tandis que je dors extérieurement, loin du bruit du monde, dans ma pensée intérieure, je m'occupe des choses spirituelles et célestes. L'arbre de Noé, qui, dit-on, était partagée en deux compartiments (Gen. VI), est l'image des âmes actives et des contemplatives; les premiers sont en bas, les second; en haut. Quand il est dit que l'arche avait trois compartiments, cela représente les trois ordres de personnes qui se trouvent dans la sainte Eglise, les mariés, les continents et les vierges. Dans l'Evangile, le Seigneur dit, en partant de la vie contemplative: « Si vous voulez être parfait, vendez tout ce que vous possédez,donnez-le aux pauvres, vous aurez un trésor dans le ciel, et venez vous mettre à ma suite (Matth. XIX, 21). » Et il dit de Marie Madeleine : « Marie a choisi la meilleure part, et elle ne lui sera point ôtée (Luc. X, 42). » La vie contemplative ne cessera ni en cc monde ni en l'autre La vie active sera retirée à l'homme dans le siècle futur, elle se termine en ce monde; quand à la contemplation, elle n'est pas enlevée, parce qu'elle n'a pas de fin. La vie active se terminera en ce monde, la contemplative commence en ce siècle et se continue dans l'autre. Vierge honorable, je vous engage à mépriser, pour l'amour de Dieu, le siècle présent, à cause du Seigneur, détachez-vous de tous les soucis du monde. Attachez-vous à servir Dieu sans aucun empêchement venu du dehors. Qu'aucune préoccupation séculière ne vous éloigne de la crainte de Dieu ; qu'aucune sollicitude ne vous dérobe à sa pensée ; rejetez tout ce qui peut empêcher vos bonnes résolutions. Détestez et condamnez de toute votre âme ce que le monde chérit, soyez morte au monde, que le monde soit mort pour vous; séparez-vous comme une trépassée, de l'amour de la vie présente; semblable à un cadavre, ne désirez point la gloire du monde. Soeur aimable dans le Christ, comme une morte au tombeau, n'ayez nul souci du siècle; comme une défunte dans son sépulcre , séparez-vous de toute affaire séculière. Soeur qui m'êtes chère en Jésus-Christ, méprisez, vivante, ce que vous ne pouvez avoir après la mort. Si vous en agissez ainsi, après votre trépas, vous aurez la vie éternelle.

 

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LIV. — De la curiosité.

 

130. Soeur bien aimée, je vous engage à vous appliquer tous les jours davantage à faire des progrès dans les bonnes oeuvres, à ne point considérer le mal que font les autres, mais le bien que vous devez accomplir. Aussi un sage a-t-il dit: «Ne scrutez pas extrêmement les choses superflues (Eccli. III, 24). » II ne vous est pas nécessaire de connaître ce qui est éloigné des sens de l'homme. Il est tout-à-fait juste qu'on cesse de juger l'esprit des autres, quand on ne peut connaître parfaitement leurs coeurs. Pourquoi ? Parce que vos jugements sont incertains, « jusqu'à ce que vienne le Seigneur qui éclairera ce que les ténèbres ont de caché, et manifestera le secret des coeurs (I Cor. IV, 5). »  Il est bien aussi de cesser de pécher, quand on veut reprendre les autres à cause de leur conduite. Les insensés, en voulant relever les erreurs d'autrui, font connaître les leurs. Tant que l'on recherche avec curiosité les fautes d'autrui, on ignore ses propres fautes, que l'on devrait connaître et pleurer ; mais quand on rentre en soi-même et qu'on se considère comme il faut, on ne recherche plus ce qu'il y a à blâmer dans les autres, parce que l'on trouve abondamment, en soi, de quoi gémir. Quiconque examine bien, trouve bien des choses lamentables. Aussi saint Grégoire dit-il : Nous devons d'autant moins blâmer le cœur des autres, que nous savons mieux combien il nous est impossible de percer de nos regards les ténèbres qui nous dérobent la pensée d'autrui. Le bienheureux Isidore dit aussi : Nous blâmons plus facilement les vices d'autrui, que nous ne remarquons ses vertus; nous ne cherchons pas à connaître le bien que les autres ont fait, mais le mal qu'ils ont commis.

131. Aussi, soeur que j'aime dans le Christ, je vous engage à blâmer vos défauts plutôt que ceux de vos frères. Voyez vos manquements avant ceux des autres. Soyez appliquée à vous corriger, veillez à assurer votre salut, soyez attentive à vous corriger: ne vous occupez pas de ce qui ne vous regarde point, ne désirez jamais savoir ce que les hommes disent entre eux. Ne cherchez pas à connaître ce que chacun dit ou fait. Fuyez la curiosité, laissez tout souci relatif à la conduite des autres; qu'aucune curiosité n'occupe votre esprit, que la concupiscence d'une détestable curiosité ne s'empare pas de vous et ne vous fasse pas oublier vos manquements, et scruter ceux de vos frères. Epouse de Jésus-Christ, élevez-vous contre vos vices avec autant de soin que contre les vices du prochain ; n'ayez nulle envie de savoir ce qui est caché. Prenez garde de chercher à voir ce que vous ne devez pas connaître ; laissez comme chose secrète ce que l'autorité de l'Ecriture ne vous a point appris; ne cherchez point au delà de ce qui est écrit; ne souhaitez rien connaître au delà de ce que disent les saintes lettres, ne désirez jamais savoir ce que vous ne devez point connaître. Soeur vénérable, tenez pour certain que la curiosité est une présomption pleine de péril; elle est une habileté bien dangereuse, elle expose à l'hérésie, elle plonge l'es prit dans des fables sacrilèges, elle rend les hommes audacieux dans les matières obscures, et les précipite dans les questions inconnues. Soeur très-aimante, corrigez votre vie avec toute sorte d'application, afin de pouvoir, après votre mort, arriver aux joies éternelles. Amen.

 

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LV. — De la vigilance.

 

132. Soeur bien aimée, entendez Notre-Seigneur Jésus-Christ vous dire dans l'Évangile : « Veillez, car vous ne savez point quand le Seigneur doit venir (Matth. XXIV, 42). » Et encore : « Je vous le dis à tous, veillez (Marc. XIII, 37). » Et l'apôtre saint Pierre dit de son côté : « Soyez prudents et veillez dans les prières. (I Petr. IV, 7). Quand les hommes diront: c'est la paix et la sécurité, c'est alors que la ruine fondra subitement sur eux (I Thessal. V, 3). » Salomon s'écrie lui aussi : « Il en est qui sont justes et sages, et leurs couvres se trouvent en la main de Dieu, et cependant, l'homme ne sait s'il est digne d'amour ou de haine (Eccle. IX, 4).» Pourquoi cela? Parce que tout l'avenir est incertain. Soeur bien aimée dans le Christ, le Seigneur nous a caché le temps de son arrivée, afin que, dans une attente incertaine et prolongée, nous croyions toujours que le juge va venir, parce que nous ignorons (heure où il viendra. Voici les paroles de saint Grégoire: il faut traverser la joie de la vie présente de telle façon, que l'amertume du jugement qui la suivra ne sorte jamais de notre pensée : souvent le démon trompe l'homme pour le porter à pécher, et quand il le voit à bas, il le trompe de nouveau par la sécurité. Par conséquent,soeur bien-aimée dans le Christ, il faut toujours, quand nous faisons des bonnes actions, nous rappeler les mauvaises que nous avons commises : en sorte que, connaissant certainement notre péché, nous ne nous abandonnions jamais, à cause de nos bonnes oeuvres, à une joie imprudente. Le Seigneur a voulu que notre dernière heure fût dérobée à notre connaissance, afin que nous fussions toujours dans l'incertitude, et que, ne pouvant l'apercevoir, nous nous y préparions tous les jours. Le bienheureux Isidore nous avertit également de n'être point en sécurité durant cette vie : que le juste ne se confie pas en sa justice, que le pécheur ne désespère point de la miséricorde de Dieu, mais que pécheur et juste aient également dans le tueur la crainte et l’espérance, et attendent sa miséricorde tout en redoutant toujours sa justice. Quoique la vie des saints soit bonne, cependant on ignore toujours quelle sera leur fin. Aussi nul ne doit être sans crainte, car la satisfaction de la pénitence se mesure au jugement de Dieu, non point à celui des hommes. Aussi saint Césaire dit-il: plus nous sommes en sûreté pour le passé, plus nous devons être préoccupés de l'avenir. Vénérable soeur, croyez fermement que la méditation de la mort est toute la vie du sage.

133. Par conséquent, soeur aimable dans le Christ, si, à toute heure, vous veillez pour le Seigneur, vous serez sage. Si tous les jours vous élevez vers lui votre esprit, si vous vous rappelez en mémoire, le jour de votre mort, vous serez bien heureuse, selon cette sentence émise par un sage personnage : « Heureux l'homme qui est toujours craintif (Prov. XXVIII 14). » Pour ce motif, je vous en avertis, vierge digne d'égards, soyez toujours dans la crainte, toujours dans l'incertitude. soyez toujours inquiète, toujours précautionnée contre les ruses du démon: veillez sans relâche et combattez incessamment contre cet antique ennemi : le jour et la nuit, veillez en toute activité et luttez avec vigueur contre les piéges du diable : soyez attentive tout le long de votre vie, et déjouez, avec toute l'application possible, les manoeuvres habiles de cet adversaire. Ecoutez aussi, vierge honorable, ce que Jésus-Christ, votre Époux, dit dans l'Évangile : « Bienheureux le serviteur, que le maître, à son arrivée, trouvera veillant (Luc. XII, 37). » Si donc vous veillez de toute votre âme, dans l'attente de ce même Seigneur, Jésus-Christ, vous serez rangée dans l'éternel séjour, parmi les bienheureux. Vous serez heureuse si vous levez en toute dévotion, les yeux de l'âme vers la lumière véritable qui est Dieu. Oui, bien heureuse, même si vous veillez de toutes vos forces pour Dieu, parce que le Seigneur a promis la récompense à ceux qui veillent. Aussi, au Cantique des cantiques, est-il dit au sujet des yeux de l'Époux : « Ses yeux sont comme des colombes le long du cours des eaux, qui sont lavés dans le lait et séjournent au bord des ruisseaux dont le lit est sur le point de déborder (Cant. V, 12).» Les yeux de l'Époux sont les saints personnages, qui, semblables à la colombe, vivent dans la simplicité et, par leurs prédications et leurs exemples, montrent aux autres la route du salut, On dit qu'ils résident le long des eaux, parce que toujours ils habitent dans les pâturages abondants des saintes Écritures : ils sont lavés dans le lait, parce que, par la grâce de Dieu, ils sont dans le baptême lavés de tous leurs péchés. Que faut-il entendre par ces ruisseaux pleins d'eau, le long desquels ils séjournent, sinon les textes profonds et cachés de l'Écriture, dont nous nous alimentons, lorsque nous y puisons par la lecture ou la prédication ? Car, comme les colombes se plaisent ordinairement près des cours d'eau, afin de voir dans leur cristal l'image des oiseaux qui volent dans les airs,et d'éviter ainsi les serres cruelles de ceux qui fondraient sur elles ; ainsi les saints voient dans la sainte Écriture les fraudes des démons et, par la description qu'ils y en trouvent, tons naissent, si je puis parler ainsi, leur ennemi à son ombre, et évitent ses tromperies. Pareillement, soeur très-honorable, vous aussi, soyez assidue dans la méditation des saintes Écritures, parce que dans ses pages sacrées vous pourrez connaître les moyens d'éviter les embûches des ennemis. Vierge digne de respect je vous avertis une fois encore de vous confier entièrement aux conseils que vous donne cette Écriture, c'est-à-dire de ne rien faire autre chose, que ce que vous aurez appris par les oracles qu'elle aura rendus, parce qu'ils vous enseigneront à éviter les fraudes des esprits hostiles à votre salut. Je vous préviens aussi de vous asseoir le long de leurs eaux, dans la crainte de devenir, (Dieu vous en préserve) dans votre inattention, la proie de ces ennemis ravissants. Je vous prie de veiller sans relâche sur les rives de ces Ecritures, et à éviter avec une attention souveraine les illusions de vos ennemis.

134. Hélas! insensés que nous sommes, pourquoi ne connaissons ou ne comprenons-nous point qu'avant de se traduire en actes, nos pensées sont à nu, évidentes, manifestes aux yeux du Seigneur ? Le Psalmiste dit en effet: « Dieu sonde les coeurs et les reins (Psalm. VII, 10). » Par suite, soeur très-aimée, pensons que nous sommes toujours en la présence de Dieu, et reconnaissons que nous ne sommes que cendre et poussière. Voici que notre Dieu, qui est terrible, et qui rend à chacun selon ses œuvres, est proche, il va venir; il ne saurait tarder, et il nous sauvera. Veillons donc avec persévérance et dévotion, afin que lorsqu'il se présentera et frappera à la porte il ne nous trouve pas endormis, mais éveillés, appliqués à ses louanges, adonnés à son amour et attachés à son saint service (Matth. XXIV, 44). Courons donc pendant que nous avons la lumière, de peur que les ténèbres ne nous surprennent. Voici comment s'exprime, au livre des Proverbes, la sagesse de Dieu « Heureux celui qui m'écoute et qui se tient chaque jour, au seuil de ma porte et y observe les saintes veilles. Qui me rencontrera trouvera la vie, et recevra du Seigneur le salut (Prov. VIII, 34). » Aussi, Vierge du Christ, je vous engage à veiller avec toute sorte de soin pour le Seigneur, afin de le trouver propice, au jour de la nécessité. Vierge honorable, qu'aucun événement ne vous surprenne donc, qu'il n'y ait aucun cas que votre méditation n'ait vu à l'avance; mettez-vous bien devant les yeux, qu'il n'y a rien qui ne puisse vous arriver. Rappelez-vous toujours les misères à venir, dans la prospérité, méditez comment vous serez dans la mauvaise fortune. Ayez toujours en esprit l'idée qu'il vous arrivera quelque chose de contraire. Il est d'un homme sage de prévoir que le péril peut fondre sur lui. Les événements qu'on a considérés d'avance semblent moins terribles quand ils arrivent, le mal qu'on attend se supporte plus patiemment : une chose qu'on a vue venir est facilement reçue quand elle arrive. La méditation, si on commence par elle, amortit le' choc des événements, elle atténue les chagrins qui arrivent, elle adoucit les maux qui surviennent, elle frappe fortement et brise presque le malheur inopiné. Les accidents qu'on n'avait pas prévus par la pensée sont les plus lourds à supporter. Ils sont amers, quand nous y tombons à l'improviste. Les coups qu'on n'a point vus se préparer frappent d'une manière plus terrible. Un mal soudain nous brise bien vite: ce qu'on n'a pas prévu afflige vivement; la tempête qui éclate tout à coup sur la mer excite la terreur. L'ennemi qui nous attaque à l'improviste nous jette dans un trouble funeste; tout ce qui est soudain est plus difficile à supporter. Les accidents subits sont plus terribles. Donc, Soeur très aimée dans le Christ, préparez votre cœur aux bons et aux mauvais événements. « Au jour du bonheur n'oubliez pas le malheur, et dans l'adversité n'oubliez pas la prospérité (Eccli. XI, 27). » Que vos sens veillent, ne vous souillez point par de vaines pensées. Aimez la science des saintes Écritures, et méprisez les vices de la chair. Soeur très-chérie, si vous veillez vers Dieu de tout votre  coeur, si vous le servez le long de votre vie en toute dévotion, sans aucun doute, vous régnerez avec lui dans la cour céleste. Amen.

 

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LVI De la prudence.

 

135. Soeur très-chère, entendez Notre-Seigneur Jésus-Christ dire dans l'Évangile : « Soyez prudents comme des serpents et simples comme des colombes (Matth. X, 16). » Salomon dit aussi : « La simplicité des justes les désignera, et l'inconduite des pervers les ravagera : la voie du simple est la voie du Seigneur, et l'épouvante est pour ceux qui opèrent le mal. La justice de celui qui est simple dirigera son âme, et l'impie s'écroulera dans son impiété. Celui qui est innocent croit toute parole. Celui qui trompe les justes dans la voie mauvaise s'écroulera à son trépas, et les simples posséderont ses biens. Les hommes de sang ont haï l'homme simple, les justes cherchent son salut (Prov. X. XI. XIV. XXIII. XXIX). » Une sainte rusticité n'est utile qu'à elle-même, et autant elle édifie l'Église de Jésus-Christ par le mérite de sa vie, autant elle la détruit, si elle ne résiste pas à ceux qui combattent la vérité. Le bienheureux Jérôme dit : Dans les serviteurs et les servantes de Dieu, ce n'est pas l'extérieur du corps qu'il faut chercher, c'est la simplicité de l'âme. Qu'un homme simple et grossier au dehors ne fasse pas consister selon lui la sainteté dans son langage, mais seulement dans une conscience pure et simple. De deux imperfections, mieux vaut la rusticité avec la sainteté, que l'éloquence avec le péché. Une rusticité sainte est préférable à une faconde abondante. Soeur bien-aimée dans le Christ, si notre intention est sainte devant Dieu, notre couvre ne sera pas ténébreuse devant son tribunal. Ceux qui ne savent pas être chastes par la justice, ne peuvent pas être innocents par la simplicité. L'Eglise des saints et des élus commence par la crainte les voies de sa rectitude et de sa simplicité pour les élus, mais elle les consomme par la charité. En effet, Dieu regarde non-seulement les paroles mais le coeur, et il aime ceux qui le servent dans la simplicité de leur âme. Aussi l'Epoux, dit-t-il, au Cantique des cantiques : « Ma colombe, ma parfaite est une : une pour sa mère, élue pour celle qui l'a enfantée (Cant. VI, 8). » Notre mère, c'est la grâce de Dieu qui nous régénère, et dans laquelle la colombe unique est choisie : parce qu'elle ne rassemble que ceux qui restent dans la simplicité et ne se séparent pas de l'unité. En effet, beaucoup de fidèles tendant au même but, se nourrissant entre eux du seul désir de posséder Jésus-Christ, n'ayant qu'un coeur et qu'une âme, se réunissent dans la charité, et, de plusieurs membres, ne font qu'un seul corps, dans lequel, vivant avec simplicité et dans l'unité, ils constituent une unique colombe. Ce que les hommes dédaignent et méprisent est en grande gloire auprès du Seigneur.

136. Aussi, vénérable soeur, prions le Dieu tout-puissant de nous envoyer du haut des cieux. le Saint-Esprit, qui nous fasse avoir la simplicité de la colombe et la prudence du serpent, en sorte que nous soyons simples dans la malice et prudents dans les bonnes œuvres. En effet, le serpent est un animal rusé, comme on le dit de l'aspic qui, en voyant approcher l'enchanteur appuie une oreille contre terre et se bouche l'autre avec sa queue, pour ne point entendre les sons de sa voix. Aussi le Prophète dit-il de ceux qui sont cruels et prudents dans le mal : « Leur fureur est comparable à celle du serpent, à celle de l'aspic qui est sourd et se bouche les oreilles pour ne point entendre la voix des enchanteurs et du devin qui l'attire avec habileté (Psalm. LVII, 5). » Imitez donc, vous aussi, Soeur digne d'affection, en ce point le serpent, c'est-à-dire bouchez-vous les oreilles pour né point entendre de mauvaises paroles. Vierge honorable, priez le Seigneur, et l'huile du pécheur ne coulera pas sur votre tête (Psalm. CXL, 5). L'huile du pécheur, c'est la louange du flatteur. Le serpent se bouche les oreilles pour ne point entendre l'enchanteur, bouchez-vous également les vôtres pour ne point entendre les détracteurs. L'aspic est prudent pour ne point entendre la parole qui lui occasionnera là mort ; soyez prudente, vous aussi, empêchez que les mauvaises paroles ne pénètrent jusques à votre âme, et ne vous donnent la mort. Ainsi donc, épouse de Jésus-Christ, nous né devons point avoir la prudence du serpent sans la simplicité de la colombe, ni la simplicité de la colombe sans la prudence du serpent : il faut que la prudence du serpent excite la simplicité de la colombe à éviter le mal, et que la simplicité de la colombe tempère la prudence du serpent et lui fasse faire le bien.

137. Soeur très aimée dans le Christ, la colombe, ainsi que nous le lisons, a sept vertus, que vous pouvez avoir aussi, par la grâce du Saint-Esprit. 1°. Cet oiseau se trouve souvent sur le bord des ruisseaux, afin de s'y plonger et de se sauver lorsqu'il voit l'oiseau de proie fondre sur lui : 2°. Dans le froment il choisit les grains les meilleurs : 3°. Souvent il nourrit les petits des autres oiseaux: 4°. Il ne donne point de coups de bec : 5°. Il n'a pas de fiel : 6°. Il bâtit son nid dans les ouvertures des murs : 7°. Le gémissement lui sert de chant. Priez donc le Seigneur, vierge honorable, avec une grande insistance, de vous donner ces qualités de la colombe, je veux dire de vous faire asseoir au bord du courant des flots sacrés de l'Écriture, pour échapper, grâce aux avis qu'elle vous donnera, aux attaques du démon. Dans ses pages sacrées, choisissez, pour vous nourrir, les meilleures pensées. Nourrissez les petits des autres, c'est-à-dire, convertissez au Seigneur, par vos paroles et vos exemples, les âmes qui s'étaient auparavant éloignées de lui. Ne donnez point de coups de bec, c'est-à-dire, ne causez point de mal à votre prochain, n'en dites pas de mal non plus. N'ayez pas de fiel, c'est-à-dire, soyez étrangère aux mouvements de la colère. Placez votre nid, c'est-à-dire, votre espérance dans le trou des rochers. Ayez le gémissement pour chant, en d'autres termes, de même que les gens du monde aiment les airs mondains, de même trouvez votre joie dans les gémissements de la tristesse spirituelle. Ainsi donc, Soeur vénérable, comme je vous l'ai dit plus haut, vous devez également comprendre et éviter avec toute espèce de sollicitude les embûches de l'en nemi. Voilà comment vous serez prudente par l'innocence de la vie. Celui qui n'unit pas la prudence à la simplicité, est, comme le dit le Prophète, une colombe séduite et qui n'a point de coeur (Isa. VII, 11).  Il est une colombe, parce qu'il est simple; il n'a pas de coeur, parce qu'il n'a pas de prudence. Aussi, soeur bien aimée, je vous engage à préparer dans votre coeur une digne demeure à Jésus-Christ, afin que, venant en votre âme avec le Père et le Saint-Esprit, il daigne faire son séjour dans votre coeur. Amen.

 

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LVII. — De la fuite des femmes du monde.

 

138. Très-chère soeur, fuyez la société des femmes du monde. Que ces personnes qui ne partagent point avec vous la même profession de vie, n'entrent pas dans votre société, car elles ne parleraient que de ce qu'elles aiment. Elles vous entretiennent de ce qui les charme : vous devez donc éviter la compagnie des femmes du monde, parce qu'elles aiment le monde et parlent des choses du monde; elles sont attachées à la terre, et elles vous entretiennent de ae qui est de la terre; elles souhaitent les biens passagers, et ne vous parlent que de cela. Il est écrit, en effet, que chacun loue ce qu'il aime. La femme du monde ne parle donc que du monde, parce qu'elle n'aime que le monde : assurément, si elle aimait les choses du ciel, elle les vanterait. Nul doute que, si elle aimait les biens d'en haut, elle les approuverait, elle les prêcherait; si elle les désirait, elle vous en inculquerait l'amour. Aussi, ma Soeur, je vous engage à vous éloigner de la société des femmes du monde. Pourquoi? « Parce que les mauvaises conversations corrompent les bonnes mœurs (I. Cor. XV, 33). » Qu'a de commun l'épouse de l'homme avec l'épouse du Christ? Une femme mariée 'avec une vierge consacrée à Dieu ? Une femme du monde avec une Epouse du Seigneur? Une personne séculière avec une religieuse? Une femme qui aime le monde avec une femme qui l'a abandonné? Une femme engagée dans le mariage avec une femme chérie du Christ? Une femme qui aime un homme, avec celle qui aime le Christ? Cette femme qui n'a pas le même genre de vie, pourquoi vient-elle vous trouver? Femme séculière, re portant pas votre habit, pourquoi entre-t-elle dans votre société? Que fait-elle avec vous, puisqu'elle ne porte pas le joug de Jésus-Christ? N'ayant pas fléchi la tète sous ce joug, pourquoi vient-elle lier des relations avec vous? Elle s'éloigne de vous par l'habit, par l'affection; autant par l'âme que par le vêtement. Une femme : éculière est l'organe de Satan. Elle vous chante des airs qui vous attirent vers les chaînes du monde, et vous montre les sentiers du démon, ainsi que nous le lisons. La sirène de la mer, est, depuis la ceinture jusques au haut du corps, une vierge très-belle et éclatante de beauté depuis la ceinture ,jusqu'aux pieds, elle est semblable à un poisson. La sirène a la tête d'une vierge et le reste du corps d'un poisson. Elle fait entendre de sa voix les mille variations de ses doux chants, et retentir les accents les plus suaves : mais par la douceur de ses chants elle trompe souvent les marins et les fait courir à leur perte. Bien des fois les nautonniers entendent sa voix, et sont trompés par cette suave et douce harmonie, et se précipitent vers les écueils où ils trouvent la mort. De même donc que la sirène trompe le navigateur, ainsi la femme du monde séduit, par ses conversations trompeuses, les serviteurs de Dieu. Et, comme la première fait dévier les marins de leur route pour les jeter au milieu du danger, de même la seconde, par ses paroles agréables et séductrices, détourne souvent de leurs saints projets, ceux qui servent le Seigneur, et les expose au péril de perdre leur âme.

139. Par conséquent, Soeur que je chéris dans le Christ, fuyez le chant des sirènes, de crainte que, en entendant, avec plaisir, parler des jouissances de la terre, vous ne soyez détournée du droit chemin. Que sont, en effet, les conversations des femmes du monde, sinon des chants de sirène? Fuyez donc le chant de ces sirènes, et fermez les oreilles aux paroles de la femme qui vous donne des conseils dangereux. Fuyez les paroles de la femme du monde comme les sifflements du serpent. Prenez garde que, de même que le serpent a trompé la femme dans le paradis, ainsi la langue envenimée de I a femme aux mauvaises insinuations ne vienne vous séduire dans le monastère. Prenez garde que la femme vaine et bavarde ne verse dans vos oreilles un venin mortel, et que la mort n'entre par vos fenêtres, c'est-à-dire par vos oreilles et vos yeux, dans votre âme. Soeur vénérable, lorsque vous verrez une femme d'une profession différente de la vôtre, couvrez votre coeur du bouclier de la foi: armez contre elle votre front du signe de la croix. Soeur honorable, je ne vous permets de vous entretenir avec une femme du monde, que pour l'engager par vos saintes exhortations à quitter le monde pour entrer dans le monastère; je ne vous donne la permission de vous entretenir avec une personne de ce genre, que pour lui apprendre à mépriser les choses du siècle, à ai mer celles du ciel, à sortir du monde et à servir à Dieu. Et aussi à dédaigner, sous l'influence de vos paroles, les biens qui passent, et à désirer ceux qui demeurent à jamais. Soeur bien aimée, si vous agissez comme je vous le dis, vous vous garantirez du mal en ce monde et, dans l'autre, vous recevrez de la main du Seigneur la couronne au ciel. Amen.

 

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LVIII. — Il faut éviter la société des hommes.

 

140. Soeur bien aimée, si vous devez fuir avec tant de soin les femmes, combien plus devez-vous éviter les hommes ? Et si vous fuyez avec tant de soin la compagnie de vos semblables, avec combien plus de vigilance fuirez-vous la société des hommes? Si vous évitez si religieusement les entretiens des unes, combien plus devez-vous fuir les dangers que vous offrent les autres? S'il vous faut être si attentive à fermer vos oreilles aux paroles des femmes, combien plus devez-vous l'être à vous soustraire aux propos enchanteurs des hommes? Soeur aimable dans le Christ, je vous engage, quelque saint que soit un homme, à n'avoir point de société avec lui. Si saint et juste qu'il soit, qu'il n'ait avec vous aucune familiarité : fût-il religieux, qu'il n'ait aucune assiduité auprès de vous quelque bon qu'il soit, qu'il n'ait aucune relation habituelle avec vous. Pourquoi? De peur que, dans cette familiarité, la chasteté de l'un et de l'autre ne vienne à périr ; que, dans cette assiduité, votre honneur ne s'obscurcisse; que, dans ces relations suivies, votre profession religieuse ne perde quelque chose; et que vos personnes ne soient exposées au déshonneur. On perd l'amour de Dieu quand on donne des occasions de pécher. On perd de même l'amour du prochain quand on lui donne occasion de mal faire, car bien que, en réalité, il ne fasse point de mal, il en nourrit: néanmoins la mauvaise pensée. L'homme pèche souvent par l'assiduité. La familiarité triomphe bien des fois de celui que le vice n'avait pu vaincre. Souvent l'occasion a donné et donne la volonté de pécher. L'assiduité triomphe de ceux que la volupté n'a pu renverser. Les deux sexes, en se réunissant, provoquent les instincts de la chair et les font naître. La flamme naturelle de la chair s'allume, si elle touche un objet défendu. L'homme et la femme sont différents par nature ; s'ils se rapprochent, quand bien même ils ne commettraient point le mal, néanmoins, par les fréquents rapports qu'ils ont ensemble ils donnent naissance à des bruits fâcheux.

141. Qui mettra du feu dans son sein sans en être brûlé (Prov. VI, 27) ? Le feu et l'étoupe mis ensemble nourrissent la flamme. Bien que contraires, s'ils sont mis ensemble, ils produisent du feu : de même l'homme et la femme, s'ils se fréquentent, quand même ils ne feraient pas le mal, par leurs fréquentations seules, donnent sujet à de mauvais propos et matière aux autres à mal parler d'eux. Un religieux et une religieuse, par des rapports trop fréquents, fournissent à autrui occasion de mal parler d'eux. L'homme et, la femme ont un sexe différent aussi par là même qu'ils se rapprochent, ils font naître l'occasion de pécher. Que font donc ensemble le feu et l'étoupe? Pourquoi placer un serpent sur sa poitrine? Pourquoi cacher du feu sous ses vêtements? Pourquoi la femme qui a consacré sa virginité au Seigneur a-t-elle des rapports avec un homme. Pourquoi, après avoir méprisé le monde, se plaît-elle dans la société de l'homme? Pourquoi aime-t-elle le commerce des hommes, si elle désire entrer avec Jésus-Christ dans le lit nuptial du ciel ? Pourquoi une femme vouée à Dieu cherche-t-elle à entendre les paroles trompeuses des hommes? Pourquoi celle qui n'a point voulu de mari dans le siècle, une fois dans un monastère, veut-elle voir le visage des hommes  ? En conséquence , sœur aimée dans le Christ, si vous voulez être à l'abri de la fornication, soyez séparée d'esprit et de corps de la société des hommes : si vous voulez observer parfaitement la chasteté pour l'amour de Jésus-Christ, éloignez-vous des hommes. A côté du serpent, vous ne serez pas longtemps en sûreté assise auprès du feu, fussiez-vous de fer, vous vous amollirez ; placée près du péril, vous ne serez pas longtemps sans atteinte ou sans danger. Écoutez donc, sœur très-chère en Jésus-Christ, écoutez le bon conseil que je vous donne. Que les hommes ne sachent pas votre nom, qu'ils ne voient point votre visage, qu'ils ne connaissent point votre figure, quoiqu'ils entendent parler de vous. Écoutez encore, vierge honorable, les paroles de l’apôtre saint Paul : « Il faut que nous ayons bon témoignage de la part de ceux qui sont au dehors (I Tim. III, 7) ; « au dedans nous devons mener une bonne conduite à cause de nous, au dehors, il faut avoir bonne réputation à cause des autres. Soeur vénérable, si, à cause de Dieu, vous évitez sur la terre la société des hommes, avec le secours du Seigneur vous jouirez dans le ciel de la compagnie des auges. Ainsi soit-il.

 

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LIX. — Il faut éviter la société des jeunes gens.

 

142. Ma très-chère soeur, s'il faut éviter de la sorte les hommes saints pour que la sainteté ne coure de danger ni d’un côté ni de l'autre, par suite de l'assiduité, à combien plus forte raison faut-il: éviter les jeunes gens qui marchent dans les voies ténébreuses d'une vie mondaine et en poursuivent les jouissances? Et si vous devez fuir avec tant de souci la société des hommes justes, combien plus devez-vous vous éloigner des jeunes gens qui courent après les concupiscences de ce monde? Le diable montre aux regards de la religieuse des jeunes gens, afin qu'elle rêve la nuit de la beauté de ceux qu'elle a vus durant le jour, et que cette vue récente et cette beauté de corps lui reviennent constamment à l'esprit. C'est ainsi que la flèche de Satan pénètre par les fenêtres des yeux, jusques à l'âme. Aussi le Prophète a-t-il dit : « La mort est entrée par les fenêtres, elle a pénétré dans vos maisons (Jerem. IX, 24). » Cette flèche de l'esprit diabolique n'arrive à l'intérieur de l'âme que par les sens du corps. Sœur bien-aimé dans le Christ, il faut aimer les hommes, mais absents, il faut les aimer non dedans, mais dehors: dans l'esprit, non dans la maison; dans l'âme, mais à distance; comme ouvrage des mains du Seigneur, mais hors du monastère ; non à raison de leur beauté corporelle, mais comme oeuvre du Créateur. Je vous engage encore une fois, sœur vénérable, à ne jamais vous entretenir seule avec un homme seul. Qu'aucun ne vous parle en particulier, et vous même, ne vous entretenez avec aucun d'eux sans avoir avec vous deux ou trois témoins. L'Épouse du Christ ne doit point parler seule à seul avec un homme, si ce n'est à son directeur, lorsqu'elle fait l'accusation de ses péchés. La religieuse qui désire causer seule à seul avec un homme montre que la folie règne dans son esprit. Écoutez-donc, sœur bien aimée; si vous voulez observer parfaitement la chasteté pour l'amour de Jésus-Christ, éloignez-vous beaucoup de la compagnie des hommes. Si, sur la terre, vous méprisez entièrement leur société, pour l'amour de ce divin maître, sans aucun doute vous régnerez avec lui dans le ciel. Amen.

 

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LX. — Il faut éviter la fréquentation des méchants.

 

143. Soeur très-honorable, entendez les paroles de Salomon : a Mon fils, quand même les pécheurs vous auraient allaité, ne vous unissez pas à eux: ne soyez point jaloux de l'homme injuste, ne marchez pas sur ses traces (Prov. I,10) : Eloignez-vous de l'homme inique, et vous aurez la paix. Que les justes soient votre société, que votre gloire soit dans la crainte du Seigneur (Eccli. VII et IX). » Quand vous connaîtrez un homme qui pratique la crainte du Seigneur, unissez-vous avec lui d'affection. Ne vous liez jamais avec les méchants. Le bienheureux Ambroise a dit, que la conduite des hommes saints doit être pour les autres le modèle d'une sainte vie. Quiconque s'associe avec un homme de bien, en retirera le profit de bonnes conversations et de précieux exemples qui l'enflammeront tous les jours de plus en plus dans l'amour de Dieu. Il n'est pas fort louable celui qui est bon avec les bons, mais celui qui est bon avec les méchants est bien digne d'éloges. Oui, il est digne d'éloges l'homme qui se conserve bon avec les méchants; et, de même que celui qui est méchant dans la société des bons est bien blâmable, ainsi celui qui est bon au milieu des méchants mérite des louanges. Les paroles des hommes qui craignent Dieu sont des paroles de vie, elles procurent la sainteté de l'âme à ceux qui les pratiquent et qui les aiment. De même que le soleil levant fait disparaître l'obscurité de la nuit, ainsi la doctrine des saints chasse de nos sens les ténèbres des vices. De là vient que le prophète David s'écrie : « Vous serez bon avec le bon, et méchant avec le méchant (Psalm. XXII, 26). » Aussi, ma soeur bien aimée dans le Christ, si vous voulez vivre saintement, évitez la société des méchants. Fuyez-les, prenez garde des impies, détournez-vous des pervers, écartez-vous des lâches dans le service de Dieu. Fuyez les assemblées des hommes, surtout de ceux qui sont à l'âge où l'on est plus porté aux vices : ne vous mêlez point aux personnes légères ou vaines. Unissez-vous aux bons, désirez leur société, recherchez leur compagnie, attachez-vous inséparablement à ceux qui sont saints. Si vous partagez leur société, vous partagerez leur vertu. Celui qui marche avec les sages est sage, et celui qui fait route avec les insensés est insensé. (Prov. XIII, 20). Car ordinairement ceux qui se ressemblent se rassemblent. Vivre avec les méchants est dangereux, et s'unir avec ceux dont la volonté est perverse est pernicieux. Il vaut mieux avoir la haine des pervers que leur compagnie. De même que la vie avec les saints procure beaucoup de biens, de même la société des méchants occasionne beaucoup de maux. Quiconque touche un corps immonde est souillé, et celui qui touche un objet mal propre se salit. Aussi, Soeur vénérable, si vous écoutez volontiers mes paroles et si vous les accomplissez, vous serez comptée parmi les élus de Dieu. Amen.

 

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LXI. — Il ne faut recevoir ni lettres ni cadeaux en cachette.

 

144. Soeur bien aimée, entendez moi bien. La servante de Jésus-Christ qui reçoit en secret des lettres ou des présents, viole la règle de l'ordre. Elle fait un grand mal, elle commet un grand péché, en recevant des lettres ou des présents quelconques des hommes, parce qu'elle manque à son ordre. Sa faute est grande, parce que, pour une chose temporelle, elle devient prévaricatrice de son ordre. La religieuse qui désire entrer aux noces avec Jésus-Christ ne doit donner aux hommes ni mouchoirs, ni peignes, ni rubans, ni miroirs, ni bandelettes. La vierge qui attend le Christ avec une lampe allumée ne doit point non plus recevoir de la part des hommes des présents mondains, je veux dire des peignes, des miroirs et autres choses semblables : Quand on a pris le voile pour l'amour de Jésus-Christ, on ne doit pas recevoir, de ses amis des présents de vanité: et quand on a mis sur sa tête ce voile sacré, on pèche beaucoup, si on reçoit de la part des hommes des présents mondains. La religieuse qui prend plaisir à ces choses est le jouet d'une grande vanité, et fait preuve de sentiments qui ne conviennent qu'à une femme d'une conduite équivoque. Aussi le bienheureux Jérôme s'écrie-t-il : l'amour sacré ne cornait ni douces lettres, ni mouchoirs, ni nombreux petits cadeaux. C'est comme si ce saint docteur disait : si l'amour divin régnait dans l'âme d'une religieuse, elle ne recevrait point des hommes des présents de vanité ou de superfluité. L'âme chaste et religieuse ne souhaite point recevoir des cadeaux de ses amis qui sont dans le monde, elle n'en attend que de Jésus-Christ pour l'amour de qui elle méprise toutes les choses de la terre : elle n'attend de présents que de celui avec qui elle espère se réjouir dans la céleste patrie. Une femme chaste ne cherche point les dons de la terre, mais ceux du ciel. Plus l'homme se plaît dans les dons de la terre, plus il s'éloigne de l'amour de Dieu.

145. Si d'ordinaire les religieuses font dans le monastère ce que les femmes du monde font dans le siècle, elles sont bien coupables devant Dieu, et il n'est entre elles aucune différence. Aussi, s'il n'y a point de différence entre les femmes qui vivent en religion et celles qui vivent au dehors, il n'y a pas non plus de distinction à établir entre les religieuses et les personnes du monde. Par conséquent, si les religieuses font à leurs amis de doux petits présents, comme les courtisanes le pratiquent, où sont l'honnêteté, la convenance de la vie religieuse, où la chasteté, la pureté et la sainteté? Si celles qui devaient plaire à Dieu par leurs bonnes oeuvres, plaisent à leurs amis d'une manière coupable, en leur faisant des cadeaux qui sentent la luxure, que sont devenus la pureté, la continence, le respect, où la pudeur? Et si elles ambitionnent plus de plaire aux hommes dans le siècle, qu'à Jésus-Christ, le roi éternel, dans le ciel, où s'en sont Vallées les observances religieuses, la rigueur de l'ordre, l'ardeur de la contemplation, la pureté de l'âme, la contrition du coeur, l'application à la prière, les gémissements sortis du fond de la poitrine , les habitudes monastiques? Si les religieuses aiment les dons terrestres, comme les gens du monde, où est le mépris du monde, la crainte de l'enfer, la pensée du jugement, le souvenir du feu éternel, et l'amour de Dieu ? Et si les personnes consacrées au Seigneur désirent recevoir de la part des hommes des présents de vanité, c'en est fait alors du souvenir des péchés, des larmes que versent les yeux, de la pensée des manquements passés? C'est autant de compté pour rien, autant de dédaigné, de foulé aux pieds et de réduit à néant. En effet, la religieuse qui reçoit de la main des hommes des présents dans lesquels elle se complaît, méprise son ordre. Celle qui trouve plus de bonheur dans les dons de ses amis que dans les prescriptions de sa règle, en est prévaricatrice. C'est des personnes de ce genre que le Prophète a dit : « leur droite est pleine de présents (Psalm. XXV, 10). » C'est comme s'il disait bien que leurs oeuvres paraissent bonnes, néanmoins ils trouvent plus de bonheur dans les cadeaux que dans les œuvres saintes. Elles désirent plus recevoir des présents de la main des hommes, que les biens éternels de la main du Seigneur. La religieuse qui aime parfaitement Jésus-Christ ne reçoit point des hommes des dons agréables et superflus, parce qu'elle préfère Jésus-Christ à tous les présents. Aussi, au Cantique des cantiques, est-il dit à l'Église : « Vos joues sont belles comme celles de la tourterelle (Cant. I, 9). » L'Église ou toute âme sainte est comparée à la tourterelle, parce qu'elle aime parfaitement Jésus-Christ et ne préfère rien à son amour. Du moment qu'elle a perdu son compagnon, la tourterelle n'en cherche point d'autre, parce qu'elle ne souffre point d'amour adultère. Ainsi en est-il de la religieuse qui aime parfaitement Jésus-Christ, elle ne petit supporter une affection adultère, je veux dire qu'elle ne s'attache plus aux hommes méchants. En aimant l'homme plus que Jésus-Christ, au lieu d'être chaste, elle est adultère, parce qu'elle méprise ce divin Époux à qui elle était unie. En entrant au couvent, la religieuse prend Jésus-Christ pour époux; si après cela, elle aime, selon la chair, un homme plus que ce divin maître, elle commet un adultère, sinon de corps du moins d'esprit, selon cette parole : « Celui qui regardera une femme pour            la convoiter, l'a déjà souillée dans son coeur (Matth. V, 28): » De même une femme pèche avec un homme, si elle le désire en ses pensées, ou si elle l'aime charnellement.

146 C'est pourquoi, soeur très-chérie en Jésus-Christ, je vous engage à aimer par dessus toutes choses Jésus-Christ, votre Époux, et à n'attendre de présents que de lui. Je vous conjure d'aimer par dessus toutes les créatures Jésus-Christ votre époux, et, par autour pour lui, de n'accepter aucun présent du dehors. Sans le moindre doute, l'homme qui désire les biens de la terre n'espère point ceux du ciel. «Les cadeaux aveuglent le sages et font changer les propos des justes (Eccli. XX, 31). » Certainement» , ils aveuglent les justes, » ils aveuglent aussi l'esprit des religieux et les empêchent de voir Dieu. Si, ce qui est très-vrai, les présents aveuglent les sages, ils troublent aussi les yeux des serviteurs de Dieu et les empêchent de voir le Christ. Aussi le bien heureux Isidore dit-il : l'oeil de l'âme ne peut voir en haut, quand la poussière le contraint de se fermer. C'est comme s'il disait en termes plus clair : 1'œil de l'âme n'est point en état de contempler parfaitement les choses du ciel, quand la poussière de la concupiscence le ferme. L'esprit des serviteurs de Dieu ne peut être libre pour contempler le Seigneur, si les cupidités terrestres l'obscurcissent encore. Si la religieuse se plaît encore dans les présents du monde, elle ne contemple pas parfaitement les choses du ciel. Si elle cherche à plaire aux hommes en faisant ou cri recevant des cadeaux, elle n'aime pas parfaitement Dieu. Mais le Seigneur dédaigne aussi ceux qui veulent se rendre agréables au moyen de ces vanités. Voilà pourquoi le prophète David s'écrie; « Dieu a dissipé les os de ceux qui plaisent aux hommes : ils ont été couverts de confusion, parce que Dieu les a méprisés (Psalm. LII, 6).» Je vous prie aussi, soeur vénérable dans le Christ, d'écouter en toute dévotion ces paroles que profère le prophète Isaïe : « Celui qui secoue sa main pour ne point recevoir,des présents, habitera dans les hauteurs, et ses yeux verront le roi des saints dans l'éclat de sa gloire (Isa. XXXIII, 15). » C'est comme s'il avait dit : celui qui, pour l'amour de Dieu, ferme les mains à tout présent, habitera dans le ciel, et verra le roi des saints dans la splendeur de sa majesté : quiconque pour le Seigneur ne,reçoit aucun présent de vanité et de superfluité, verra Dieu dans son éclat, et, dans la société de tous les saints, il se réjouira à jamais de contempler sa beauté. Aussi, soeur aimable            dans le Christ, je vous conjure, de suivre le conseil de ce saint prophète et de retirer vos mains de tout présent : et, si vous voulez habiter dans les hauteurs, de les secouer si on vous offre quelque cadeau. Je vous engage aussi à .vous attacher, parla grâce de Dieu, à imiter celui qui a dit : « Voici que j'apparaîtrai en votre présence avec la justice dans le coeur : je serai rassasié lorsque votre gloire se manifestera (Psalm.XVI, 14). » Ainsi soit-il.

 

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LXII. — Il faut accomplir les voeux qu'on a faits.

 

147. Soeur très-chère, pensez au voeu que vous avez fait au Seigneur et accomplissez-le. Consacrez-vous entièrement à lui et tenez cette promesse. Accusez-vous de vos péché, louez Dieu de ses bienfaits. Ne vous attribuez aucun bien : proclamez que vous avez reçu de lui tout ce qu'il y a en vous de bien : confessez qu'il est miséricordieux et que vous êtes pécheresse : qu'il est véridique, et que vous êtes sujette an mensonge. Je vous prie, soeur bien aimée, de dire avec le prophète :  « J'entrerai en votre maison, » c'est-à-dire dans le monastère «avec des holocaustes, » c'est-à-dire dans l'esprit de contrition et de componction (Psalm. LXV, 13. Je vous acquitterai mes voeux, » c'est-à-dire, ingrate que je suis, je m'offrirai en entier sur l'autel de mon coeur, puisque tel est mon voeu. Celui qui veut faire son salut doit nécessairement rendre en toute dévotion, tout ce qu'il a voué an Seigneur Quiconque veut parvenir au lieu des joies éternelles, doit s'attacher à accomplir tout ce qu'il a promis à Dieu. Aussi le prophète a-t-il dit : « faites des voeux au Seigneur et accomplissez-les (Psalm. LXXV, 12). » C'est comme s'il disait: consacrez-vous et donnez-vous vous-mêmes : parce qu'il faut que celui qui. s'est consacré se donne : en se vouant, il a contracté une obligation. « Il vaudrait mieux ne pas faire de voeux, que de ne pas les tenir quand on les a faits (Eccle. IV,5).» Il y a des voeux communs à tous, des voeux spéciaux à certaines personnes. Les voeux communs sont ceux que nous avons formés au baptême, c'est-à-dire, de ne point pécher et de renoncer au démon et à ses oeuvres. Les voeux spéciaux sont, par exemple, ceux par lesquels on se fait moine, chanoine, ermite, ou par lesquels on fait à Dieu une autre promesse de ce genre. Si celui qui a fait un vœu ne l'accomplit pas, il ne peut être sauvé. Pourquoi? Parce que, ayant juré au Seigneur de vivre saintement, s'il ne dégage pas sa parole par une conduite bonne et pieuse, il ne pourra être sauvé. L'homme qui néglige d'accomplir le bien qu'il a promis à Dieu ne pourra parvenir à la possession des biens que Dieu a promis aux hommes. S'il ne vent pas donner à Dieu ce qu'il a fait vœu de lui rendre, comment pourra-t-il recevoir de Dieu, les biens que Dieu lui a promis ? Comment veut-il recevoir du Seigneur le don du ciel, s'il ne veut pas accomplir la promesse qu'il a faite à ce divin maître ? A quel titre pense-t-il obtenir lai biens du ciel, lui qui a négligé d'accomplir les voeux qu'il a formés devant Dieu? N'étant point fidèle, mais infidèle à sa parole, puisqu'il néglige d'acquitter ses voeux, il sera rangé parmi les infidèles : il périra avec eux, s'il n'accomplit point son vœu par de saints effets.

148. Ainsi donc, Soeur bien aimée dans le Christ, je vous engage à faire tout le bien que vous avez juré d'accomplir. Ne soyez pas prompte à parler et lente à agir. Ne promettez point facilement en la présence de Dieu, n'entreprenez rien sans avoir bien examiné vos forces. Ne promettez jamais une chose que vous ne pouvez tenir. Vous seriez bien coupable devant Dieu, si vous ne rendiez pas le bien que vous avez promis. Ceux qui n'acquittent pas leurs voeux , déplaisent au Seigneur: on les rangera parmi les infidèles : mieux vaut ne rien promettre que de violer les engagements qu on a contractés. Cependant, soeur vénérable, violez toute promesse mauvaise, changez vos dispositions s'il s'agit d'un vœu honteux. Ne faites point le mal que vous avez promis : n'accomplissez pas un veau inconsidéré. C'est une promesse impie que celle que l'on n'accomplit qu'au moyen d'un crime. Maintenant donc, Epouse du Christ, comme je vous l'ai déjà dit, si vous rendez au Seigneur le bien que vous avez juré d'accomplir, vous recevrez de lui les biens éternels qu'il vous a promis. Amen.

 

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LXIII. On doit toujours considérer le but et la fin de sa profession.

 

149. Soeur très-chère, je sais ce que vous êtes : connaissez- vous: rappelez- vous, pourquoi vous êtes née, pourquoi vous êtes venue au monde ; dans quel but vous fûtes mise au jour, dans quelle condition vous êtes née : à quelle fin vous êtes entrée dans la vie. Souvenez-vous de votre condition, suivez la direction que votre nature imprime à votre vie. Soyez ce que l'on vous a faite. Soyez telle que Dieu vous a créée : ce que votre Créateur vous a faite, soyez-le. Gardez une mesure en toutes vos oeuvres : en toute chose, observez un sage tempérament. Ne faites rien de moins, rien de trop, ni au delà, ni en deçà de ce qu'il faut. Même dans le bien, on ne doit pas trouver de dérèglement. Tout ce qui est modéré est bon et parfait à sa manière. Tout ce qui est fait avec mesure est salutaire : tout bien qui dépasse les bornes est nuisible. Tout excès est un vice. Faire tout avec mesure, telle est la prudence. Ne faites pas un mal de ce qui est bien. Soeur bien aimée, faites aussi attention à ce qui convient à chaque temps. Voyez d'abord ce que vous           devez faire, où, quand, comment et combien de temps vous le devez faire. Par l'esprit de discernement, connaissez les causes des choses. Distinguez, avec beaucoup de soin tout ce que vous faites, examinez attentivement comment vous commencerez et achèverez le bien; ayez du discernement dans toute la durée de chacune de vos actions; quand vous aurez bien discerné votre oeuvre, vous serez parfaitement juste. Tout ce que vous ferez avec discrétion sera vertu ; tout ce que vous ferez sans discrétion, sera vice. Une vertu qui n'est pas réglée est réputée vice, elle en tient la place. Beaucoup de choses sont viciées par la mauvaise coutume, beaucoup sont souillées par le mauvais usage. Beaucoup sont illicitement pratiquées contre les bonnes moeurs. Que l'usage donc cède à l'autorité : que la loi et la raison triomphent des pratiques coupables. Vierge honorable, je vous engage à demeurer ferme de coeur dans la foi, à avoir le casque du salut sur la tête, le signe de la croix sur le front, la parole de vérité dans la bouche, la bonne volonté dans l'esprit, la crainte et le véritable amour de Dieu et du prochain dans le coeur, le cordon de la pureté autour des reins, l'honnêteté dans la conduite, la sobriété dans les habitudes et la bonté, l'humilité dans la prospérité, la patience clans la tribulation, la simplicité dans la conduite, une espérance assurée à l'égard du Créateur, l'amour de la vie éternelle, la persévérance dans les bonnes oeuvres jusques à la fin. Amen.

 

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LXIV. — Il faut éviter le soin de plaire aux hommes par la beauté.

 

150. Très-chère soeur, évitez la beauté pernicieuse, dans la crainte qu'elle ne produise les germes de tous les maux. Aimer la beauté du corps, c'est se tromper soi-même! Pourquoi? Parce que cette beauté est trompeuse, vaine, terre et cendre, la séduction de l'homme. Aussi Salomon a-t-il dit : « Trompeuse est la grâce, et vaine est la beauté (Prov. XXXI, 30). »  Beaucoup ont été trompés par la beauté corporelle et le sont encore. Les hommes insensés; en contemplant son éclat, tombent dans le piège du démon : en arrêtant les yeux sur ses charmes, ils sont enlacés dans les filets de l'enfer. Il y en a beaucoup qui, à cause de cette beauté, tombent dans le péché. Dieu ne cherche pas la beauté du corps, mais celle de l'âme. Le Seigneur aime mieux une belle âme qu'un beau corps. Le Christ ne se complaît point dans la beauté du corps, mais bien dans celle de l'âme. Par conséquent, soeur que j'aime dans le Seigneur, je vous engage à aimer la beauté dans laquelle Dieu trouve ses complaisances. Ne regardez jamais les hommes pour leur beauté, ne fixez jamais les yeux sur eux, à cause de leurs charmes, et dans le désir de les posséder. Je vous invite aussi à ne jamais composer votre visage en vue de plaire aux hommes. Ne vous parez point dans l'intention de paraître belle à leurs regards, n'ayez jamais la pensée de leur paraître belle : si vous pensez à cela, vous faites injure à Jésus-Christ votre Epoux. Vous lui êtes unie, si donc vous voulez frapper les yeux des hommes, vous n'êtes pas chaste, mais adultère. Oui, vous lui faites outrage, comme une adultère, si vous étalez vos charmes pour être, aimée des hommes.            Comment ne commettez-vous pas le crime d'adultère, vous qui aimez les hommes plus que Jésus-Christ? Comment seriez-vous exempte d'adultère, si vous mettiez l'amour des hommes au dessus de l'amour du Seigneur? Comment dites-vous, je ne suis pas adultère,vous qui vous êtes donnée à Jésus-Christ dans le monastère, et qui maintenant voulez plaire aux hommes par la beauté de votre visage ? En agissant ainsi, vous faites comme les femmes de mauvaise vie, car c'est ainsi que ces sortes de créatures et les femmes mondaines ont coutume de faire : elles composent leur visage pour paraître belles aux yeux des hommes. O qu'il est honteux et absurde pour des religieuses de faire ce que pratiquent les personnes de mauvaise conduite et les femmes mondaines

151. Par conséquent, vierge honorable, entendez ce que je dis, écoutez mes avis. Ne parez jamais votre figure pour plaire aux hommes, mais ornez le visage intérieur de votre conscience, des saintes vertus, afin de plaire à Jésus-Christ, votre céleste Époux. Dieu ne trouve point ses délices dans la beauté du corps, mais dans celle de l'âme, non dans la parure de la figure, mais dans les bonnes mœurs, non dans le soin du corps, ruais dans une sainte conduite. Quand une âme pieuse se pare à l'intérieur de saintes mœurs, pour l'honneur du Seigneur, Jésus-Christ l'aime, il la chérit : c'est ce que l'Époux insinue parfaitement, au Cantique des cantiques, lorsqu'il s'adresse en ces termes à sa bien-aimée : « Que vous êtes belle, mon amie, que vous êtes éclatante, ô ma très-chère, en vos délices (Cant. IV, 1). » C'est comme s'il disait : que vous êtes belle, mon amie, c'est-à-dire, combien, par votre conduite sainte, juste et religieuse, vous êtes ravissante, et, en m'aimant par dessus toute chose, vous êtes mon amie. Vous êtes donc belle et charmante, parce que dans votre sainte conduite, vous faites de bonnes œuvres : et vous êtes mon amie, parce que vous m'aimez parfaitement dès lors que vous ne me préférez aucun autre, non-seulement vous êtes mon amie, mais encore vous êtes ma bien-aimée, parce que vous désirez plutôt me plaire dans votre âme, par vos bonnes oeuvres, que plaire aux hommes au dehors par la beauté du corps. Aussi êtes-vous, non pas mon amie, mais ma bien aimée gt délicieuse amie. L'âme sainte est appelée bien-aimée et délicieuse amie, parce qu'elle est aimée dans les délices des saintes Écritures, car celui qui dédaigne d'être abreuve des jouissances que procure la sainte Écriture, n'est pas encore parfaitement arrivé à l'amitié et à la familiarité de Jésus-Christ. Il pourra parvenir à ce terme heureux celui qui se nourrit des pages délicieuses des livres   sacrés et quiconque aime le Christ est aimé de lui : quant à celle qui désire plaire aux         hommes par la beauté de son visage plutôt qu'à Jésus-Christ par ses bonnes oeuvres, elle n'aime point parfaitement le Seigneur, et n'est point aimée de lui. Je vous engage donc, soeur très-chérie, à aimer Jésus-Christ par des sus toutes choses, parce que Dieu le Père vous a choisie en lui avant tous les siècles (Eph. I, 4). Je vous prie aussi, de ne chercher à plaire qu'à lui, et de ne point recevoir de louange temporelle de la part des hommes. Ainsi soit-il.

 

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LXV. — Il faut fuir les rires immodérés.

 

152. Soeur bien aimée, écoutez les paroles du très-sage roi Salomon: « J'ai tenu le rire pour une erreur, et j'ai dit à la joie: pourquoi trompes-tu vainement? (Eccle. II, 2). » On dit qu'il y a erreur quand on fait une chose pour une autre. Il y a donc erreur à rire quand on devrait pleurer. Ainsi le rire est une erreur, parce que l'homme qui rit n'a pas présent à l'esprit le jour de sa mort. En vérité, c'est se tromper que de se réjouir et de trouver son bonheur dans les satisfactions temporelles. Ils se trompent ceux qui tressaillent de bonheur dans les prospérités de ce siècle, parce que, s'ils se rappelaient le jour de leur trépas, ils pleureraient leurs péchés avant de rire à propos de choses vaines. Ceux qui en rient cesseraient de rire et pleureraient, s'ils considéraient les maux qu'ils auront à souffrir. Aussi Salomon s'écrie-t-il : « Le rire sera mêlé de douleur, et le deuil occupe la fin de la joie (Prov. XIV, 43). » Et le Seigneur dit aussi dans l'Évangile : « Bienheureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés (Matth. 5). » II ne dit point : heureux ceux qui rient; mais heureux ceux qui pleurent, parce que il n'y a de véritablement heureux que ceux qui pleurent leurs péchés, non ceux qui rient pour des vanités. Bienheureux ceux qui pleurent, selon Dieu, parce qu'ils seront consolés. L'apôtre saint Jacques reprend ainsi ceux qui rient : « Votre rire se tournera en deuil et votre joie en tristesse (Jac. IV, 9). » L'insensé « fait éclater sa voix en riant, mais le sage rira à peine en secret (Eccli. XXI, 23). » Evitez donc le rire comme une erreur, soeur bien aimée, et changez en deuil la joie du temps présent. Pourquoi ? Pour vous rendre heureuse en pleurant dans ce pèlerinage. Car vous serez bienheureuse au jour de votre mort, si vous avez pleuré sur vous en ce monde. Reconnaissez donc que vous êtes étrangère sur la terre, et que votre patrie n'est point en ce monde, mais dans le ciel: vous n'avez point en ce monde de demeure permanente. Dieu, en effet, vous a promis là-haut l'entrée dans la Jérusalem céleste, au sein de laquelle David désirait . pénétrer, lorsqu'il disait : « Je me suis réjoui en ce qui m'a été dit, nous irons dans la maison du Seigneur (Psalm. CXXI, 1). » C'est d'un sentiment semblable qu'était animé le serviteur de Jésus-Christ qui s'écriait: « Je désire mourir et être avec le Christ (Philip. I, 23). » Il souhaitait pareillement d'arriver au ciel, celui qui disait : « Hélas, que pion exil s'est prolongé; j'ai habité avec ceux qui séjournent dans Cédar (Psalm. CXIX, 5). » En exhalant ces plaintes, il ne riait point les vanités de ce monde, mais il pleurait à cause de son pèlerinage.

153. Par conséquent, vierge honorable, que votre joie soit toujours dans le ciel; que, l'allégresse de votre cœur soit toujours modeste et tranquille, selon ce que dit l'Apôtre :         « Réjouissez-vous dans le Seigneur, toujours, «je vous le dis encore, réjouissez-vous (Philip. IV, 4). » Le même Apôtre dit en un autre endroit : « Le fruit de l'esprit, c'est la joie (Gal. V, 22). » Une allégresse de ce genre ne trouble point l'âme par l'excès du rire, elle l'élève par le désir d'arriver à la céleste patrie, au séjour fortuné où elle pourra s'entendre dire : « Entrez dans la joie de votre maître (Matth. XXV, 23). » Le visage de l'homme est le miroir du coeur. Par le rire, l'homme peut connaître l'intérieur d'une religieuse. Les rires et les folâtreries dénotent une conscience vaine : on reconnaît à ces rires et à ces manières folâtres l'état de son âme. Une religieuse ne rirait pas imprudemment si elle avait le cœur chaste; elle ne se permettrait pas des rires lascifs, si elle n'avait point une âme plus que légère. Voici, en effet, comment s'exprime le Seigneur : « la bouche parle de l'abondance du cœur (Matth. XII, 34). » C'est donc de l'abondance d'un coeur vain que le rire vient s'épanouir sur le visage d'une vierge. Si la vanité n'était point dans nos coeurs jamais elle n'exciterait son rire. Une âme chaste se plait plus dans le deuil que dans le rire. Oui, si une religieuse avait le cœur vraiment chaste, elle aimerait mieux les larmes que la joie en ce monde : si elle se remettait en mémoire ses négligences et les peines de l'enfer, elle préférerait les pleurs aux ris. Là où abondent les rires et les jeux, ne règne point une charité parfaite. Une religieuse qui aimerait parfaitement Jésus-Christ ne rirait pas, mais pleurerait sans cesse et souhaiterait de le posséder. Car celui qui aime et craint parfaitement Jésus-Christ, ne rit pas, mais verse des larmes à cause de l'amour qu'il a pour lui. Je m'étonne qu'on cherche les rires et la joie, quand on est entré dans un monastère pour y verser des larmes. Je suis surpris qu'on n'y ait point de retenue et que, en riant, on y fasse éclater sa voix. Il est honteux pour une religieuse de rire, quand elle devrait pleurer ses péchés dans ce pèlerinage. En effet, malheureux que nous sommes, pourquoi ririons-nous, nous qui devons rendre compte à Dieu de toutes nos actions, en présence des anges et de tous les saints? Aussi mieux vaut-il pleurer nos péchés en cette vie, pour obtenir notre pardon dans l'autre. Je vous en conjure donc, soeur vénérable, fuyez les rires et les jeux; et ne cessez de pleurer sur vos fautes : évitez les jeux et les rires, et pleurez sans cesse vos iniquités. Ecoutez, Épouse du Christ, ce que l'Epoux dit à l'Épouse, au Cantique des cantiques : « Vos yeux sont comme la piscine d'Esébon (Cant. VII, 4).» C'est avec raison que l'on compare les yeux de l'Épouse à une piscine, car l'âme sainte qui pleure dans ce pèlerinage se lave de ses péchés par la grâce de Dieu. De même, une religieuse, doit pleurer sans cesse, afin de pouvoir se laver de ses fautes. Aussi, ma soeur bien aimée, si durant cette vie nous pleurons parfaitement nos fautes, si nous nous éloignons entièrement des vanités de ce monde, nous croyons que nous recevrons le pardon de nos fautes.

 

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LXVI. — Il ne faut pas se répandre au dehors.

 

154. Soeur très-honorable, écoutez en quels termes le prophète Jérémie déplore nos iniquités : « Comment, s'écrie-t-il, l'or s'est-il obscurci ? Comment la couleur la plus parfaite s'est-elle altérée ? Les pierres du sanctuaire se sont dispersées à l'entrée de toutes les places (Thren. IV, 1). » Par l'or, nous entendons la vie religieuse, qui a commencé par briller de l'éclat des vertus et puis s'est obscurcie par des actions honteuses. Le parfait éclat de l'or signifie l'extérieur de la sainteté, qui d'abord était excellent et parfait, et qui maintenant, se trouvant altéré par les vices et par les oeuvres du monde, est devenu vil et méprisable,. L'extérieur parfait des religieux, c'est-à-dire des moines, des chanoines et des religieuses, est vraiment changé, quanti il est disposé, non plus pour plaire à Dieu; mais pour plaire aux hommes. L'éclat parfait de l'or est réellement changé, quand cet extérieur est arrangé plutôt pour charmer les hommes par la vaine gloire que pour plaire à Dieu par l'humilité. Oui, les vêtements excellents des religieux sont changés aujourd'hui, quand les religieux se parent pour plaire dans le palais du roi, plutôt qu'aux regards du Créateur. Voici la suite : « Les pierres du sanctuaire ont été dispersées à l'entrée de toutes les places. » Ces pierres du sanctuaire désignent les religieux qui ne doivent jamais se répandre au dehors, mais bien demeurer constamment dans le monastère sous les yeux de Dieu. Mais aujourd'hui, les pierres du sanctuaire sont dispersées à l'entrée de toutes les places, quand ces mêmes religieux se répandent à l'extérieur et vont y chercher des choses vaines et séculières. Ces pierres sont dispersées à l'entrée de toutes les places quand les religieux désirent plutôt habiter dans le palais des rois que dans les cloîtres du monastère. Elles sont dispersées, quand ils ont plus envie d'entendre des paroles superflues que les préceptes des divines Ecritures. Elles se dispersent sur les places, quand ils trouvent plus de jouissances dans les repas et les entretiens des riches, que dans la pauvreté et l'abstinence de leurs frères. Des serviteurs de Dieu doivent aimer mieux les légumes dans le monastère, que les fruits somptueux dans le monde. Ils doivent préférer les légumes vulgaires mangés avec leurs frères, aux mets somptueux pris en société des riches. Ils doivent trouver plus de plaisir à être assis à la table pauvre de leurs frères, qu'à celle des rois. Pourquoi ? Parce que, comme le dit saint Augustin, mieux vaut manquer que trop avoir, souffrir, pour l'amour de Jésus-Christ, la pauvreté dans le monastère, que d'avoir beaucoup de richesses dans le siècle.

155. Il faut donc que chaque religieux, s'il veut se sauver, méprise le siècle et se renferme dans l'intérieur du monastère. Il doit fuir les assemblées du monde et rechercher la société des serviteurs de Dieu. Des religieux doivent préférer le cloître à la cour. Écoutez donc à présent ce que je dis, entendez-les avis que je vous donne. Il vaut mieux pour vous, vous tenir tranquille dans le cloître, que de courir sur les places de la cité; trouver plus de charrue à rester dans le monastère qu'à parcourir les villes. Oui, mieux vaut se reposer dans l'enceinte du monastère, que de paraître en présence du peuple. Si vous vous renfermez dans le cloître, Jésus-Christ vous aimera. C'est ce que l'Époux nous indique bien, au Cantique des cantiques, lorsqu'il s'adresse à l'Épouse en ces termes : « Ma soeur, est un jardin fermé, une fontaine scellée (Cant. IV, 12).» Toute âme sainte        est ce jardin fermé, parce que, en nourrissant les vertus, elle produit des fleurs, se nourrit et s'alimente de vertus, et garde les fruits dont elle se couvre. Elle est appelée un « jardin fermé, » parce que, pour l'amour de la vie éternelle, elle s'éloigne du tumulte et des tracas du monde, elle fuit les regards des hommes, et dérobe à leurs louanges le bien qu'elle fait; elle se renferme dans le secret de la solitude, pour plaire à Dieu et pour éviter la vue des hommes, elle méprise les éloges, elle s'entoure de bonnes intentions et dédaigne le bien même, dans la crainte que l'antique ennemi ne pénètre au dedans d'elle et n'y cause des ravages. On lui donne aussi le nom de « fontaine scellée, » parce que, en méditant assidûment sur les choses du ciel et en entassant toujours dans sa mémoire les connaissances des saintes Ecritures, elle ne cesse de produire en elle-même comme des eaux vives par lesquelles elle peut étancher la soif de ses voisins. Aussi, ma sœur bien aimée, comme je vous l'ai dit plus haut, si vous vous renfermez, pour l'amour de Jésus, dans les murailles du cloître, si vous vous attachez entièrement aux préceptes de votre règle, vous vous réjouirez, après cette vie, avec Jésus-Christ votre céleste Epoux, dans le lit nuptial du ciel. Amen.

 

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LXVII. — De la tentation.

 

156. Soeur très-honorable, entendez l'apôtre saint Jacques vous dire « Résistez au démon et il s'enfuira de vous (Jac. IV, 7). » Le bienheureux Jérôme dit aussi : Il n'y a rien de plus fort que celui qui vainc le démon; il n'y a rien de plus faible que celui qui est vaincu par sa chair. C'est par le poids des veilles et l'abstinence des jeûnes qu'il faut éteindre les dards enflammés du diable. Notre ennemi rusé cherche toujours le moyen de nous tromper; il veut égorger, non-seulement nos corps, mais encore nos âmes, comme un loup égorge un troupeau. Il égorge les âmes quand il donne la mort au peuple chrétien, et par la tentation; cependant il ne tente pas les élus, au delà de ce qui lui est permis de faire par le Seigneur (Job. I, 12). Quand le démon tente les serviteurs de Dieu, il leur procure des avantages, s'il ne les fait point tomber dans ses piéges, il les instruit. Dieu les fait tourner souvent au profit des âmes. Les assauts qu'il livre pour perdre les hommes, jamais ses serviteurs ne pourraient les soutenir, si la bonté divine ne les adoucissait ou ne les arrêtait. Bien que le démon cherche toujours à tenter les amis de Dieu, néanmoins, s'il n'en a pas reçu le pouvoir, il ne peut arriver au bout de ses désirs. De là vient que toute volonté du démon est toujours injuste; néanmoins, par la permission de Dieu, sa puissance est juste. De lui-même, le mauvais ange est injuste quand il cherche à tenter les serviteurs du Seigneur; mais il ne peut éprouver ceux qui doivent l'être, que si le ciel le lui permet. Aussi, est-il écrit au livre des Rois, que « l'esprit mauvais du Seigneur agitait Saül (I Reg. XVI, 14) ; » c'était chose juste comme si c'était l'esprit du Seigneur; mais pourquoi était-il mauvais? Et s'il l'était, pourquoi était-il l'esprit du Seigneur? Mais dans ce passage     se trouvent exprimées en deux mots la juste puissance de Dieu et la volonté injuste du diable. Car cet esprit était mauvais à raison de la volonté perverse qui l'animait, et esprit du Seigneur, à cause du pouvoir qu'il avait reçu et qui était juste. Le démon ne commande pas le vice, il y porte; il ne peut enflammer le foyer de la concupiscence que là où il a aperçu auparavant les fortes délectations de pensées. Si nous éloignons de nous ces impures images, aussitôt l'esprit ennemi se relève confus et les armes de la tentation sont rompues et brisées.

157. Souvent le démon veut tromper les serviteurs de Dieu par l'apparence du bien, c'est lorsqu'il se transforme en ange de lumière (II Cor. XI, 14) ; mais la discernement des saints doit être grand qu'ils puissent juger entre le bien et le mal, en sorte que l'ennemi ne puisse les tromper par ces fraudes. C'était la demande que faisait Josué quand il disait : « Es-tu notre ou un       adversaire (Jos. V,13)? » A cause de cela encore, il est dit au prophète Jérémie : « Si vous séparez le vil du précieux, vous serez comme ma bouche (Jerem. XV, 19).» Le démon est terrible aux yeux des mondains, il est vil aux yeux des élus du Seigneur. Les incrédules le redoutent comme un lion, ceux qui sont forts dans la foi, le méprisent comme un vermisseau, et quand ils l'ont vu, ils le dédaignent. Le diable est un serpent glissant; si on ne le prend par la tête, c'est-à-dire si on ne résiste pas à sa première suggestion, il pénètre, dès qu'on l'a senti, jusqu'au fond du coeur. Ses vices diaboliques en tentation sont faibles ; mais si on n'y prend point garde, et si, par la pratique, ils se convertissent en habitude, ils finissent par prendre. une extrême consistance, au point de ne plus être jamais vaincus ou de ne l'être que très-difficilement. Quand le démon veut surprendre quelqu'un, il examine d'abord la nature de cet homme et porte ses efforts du côté par où il le voit incliné au péché. Aussi le bienheureux Isidore nous dit-il : L'esprit du mal tente plus l'homme par où il le voit facilement incliné vers le péché : à cause de l’humeur qui domine dans sa nature, et dispose la tentation suivant le penchant de cette mauvaise humeur, de même que celui qui détourne un cours d'eau ne le dirige que vers la pente où elle coulera plus vite. Le démon cherche à tromper l'homme tout le long de sa vie, mais surtout à la fin. C'est même ce qui a été dit au serpent dès le principe : « Tu l'attaqueras au talon (Gen. III, 15). » Il attaque l'homme au talon lorsqu'il s'efforce de le tromper à la fin de la vie; ne l'ayant pas vaincu durant sa durée, il espère en triompher à la fin. Voilà pourquoi, bien que l'homme soit juste, il ne doit pas avoir confiance en soi au point de se croire en sûreté durant cette vie; mais, dans son humilité, il doit prendre toujours garde, et redouter avec inquiétude de se voir surpris à la fin dé sa carrière.

158. Par conséquent, sœur chérie dans le Christ, il faut prier le Dieu tout-puissant de ne point permettre que nous soyons tentés au dessus de nos forces : parce que le Seigneur retient toujours les forces du diable et l'empêche de nuire autant qu'il le voudrait. Aussi, au Cantique des cantiques, l'Époux fait-il des reproches au Diable lorsqu'il dit : « lève-toi, Aquilon, Auster, accours, souffle sur mon jardin, et que ses parfums se répandent (Cant. IV, 16). » Que désigne l'Aquilon qui engourdit et qui resserre par le froid, sinon l'esprit immonde? Lui qui tient et possède les réprouvés, il les engourdit, pour les bonnes oeuvres : L'Auster qui est un vent doux, représente le Saint Esprit, en soufflant sur les âmes des élus, il les délivre de la torpeur et les rend ferventes dans l'amour de Dieu. Aussi que l'Aquilon se lève, c'est-à-dire que le malin esprit s'éloigne de l'Église ou de l'âme fidèle et ne la tente pas avec :plus de force qu'il ne faut. que l'Auster vienne et qu'il se promène dans le jardin de l'Époux, afin d'en faire couler les parfums : en sorte que le Saint Esprit accoure, répande dans les esprits le feu de la charité et les délivre de la tentation et de l'engourdissement de la négligence. Quand il agit ainsi, les aromates coulent, parce que, sous l'influence de cet esprit qui se fait sentir, le coeur d'abord engourdi, s'excite aux bonnes oeuvres, il fleurit comme un jardin, et après les fleurs, donne des fruits rafraîchissants et parfumés, par les exemples au moyen desquels il se ranime et ranime ses frères.

159. Demande. — Frère bien aimé, je vous prie de m'indiquer quel est le remède contre les tentations des démons.

Réponse. — Soeur bien aimée dans le Christ, le remède de celui qui est brûlé par les vices ou par les influences des esprits infernaux, c'est de recourir à la prière avec d'autant plus de force qu'il est plus attaqué. Si donc les pensées mauvaises et impures de ce monde troublent votre esprit et vous excitent a faire quelque action défendue chassez-les de votre âme par de pures prières et de saintes veillés. Tenez-vous         assidûment et en toute dévotion en présence de Dieu pendant le temps de la prière; afin de pouvoir échapper plus facilement à la tentation qui vous presse, sachez vénérable soeur, que nous avons à combattre non-seulement contre les tentations du démon, mais encore contre les vices de la chair. Aussi devons-nous constamment prier, jusqu'à ce que nous puissions, par la grâce de Dieu,  surmonter les envies des désirs charnels et les excitations des démons. La prière fréquente arrête l'incendie menaçant des vices. La prière continuelle brise les traits du Diable. Elle est la première force à leur opposer, aussi, soeur bien aimée, comme je vous l'ai déjà dit, c'est par ce moyen que vous triompherez de la tentation, si vous sentez encore les mouvements de la chair, et ses aiguillons, si le souvenir de la volupté chatouille encore votre coeur, si le corps combat encore représentez-vous l'heure de votre mort, le jugement à venir, représentez-vous à l'esprit les supplices éternels et les feux sans terme de l'enfer, les souffrances horribles qu'y endurent les damnés. Que l'idée de ce feu éteigne en vous les ardeurs de la luxure. Amen.

 

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LXVIII. — Des songes.

 

160. Soeur très-honorable, écoutez ce qui vous est dit. Souvent durant les nuits, les démons troublent par des visions les sens des hommes souvent même, en venant à des voies de fait, ils frappent le corps. Les songes ont lieu de différentes manières. Il y en a qui sont la suite, l'expérience le prouve, de l’excès ou du manque de nourriture. Il en est d'autres qui résultent de nos propres pensées; bien des fois nous repensons la nuit à ce qui a occupé nos pensées pendant le jour Grand nombre de songes viennent de l'illusion causée par les esprits impurs, Salomon l'atteste quand il dit : « Les songes en ont fait errer plusieurs et ont fait périr ceux qui espèrent en eux (Eccli. XXXIV, 7) : » D'autres arrivent d'une manière sainte, c'est-à-dire pour la manifestation de quelque mystère, comme nous le lisons dans l'ancien Testament, au sujet de Joseph fils de Jacob, à qui un songe révèle qu'il sera préféré à ses frères (Gen. XXXVII). Ou encore, comme on le lit dans l'Évangile, de Joseph, époux de Marie, qui fut averti en songe de s'enfuir en Égypte avec l'Enfant Jésus (Matth. II, 19). Parfois aussi on a des visions mixtes, c'est-à-dire, qui sont à la fois des pensées et des illusions, et des pensées et des révélations, Daniel nous disant : « Celui qui révèle les mystères vous montre ce qui aura lieu dans l'avenir (Dan, II, 29). »

161. Bien que certains songes soient véritables, néanmoins nous n'y devons point croire facilement, parce qu'ils résultent de diverses imagina lions, et que nous ne connaissons point parfaitement de quel principe ils tirent leur origine. Aussi, ne devons-nous pas y ajouter foi facilement, de peur que Satan se transfigurant en ange de lumière ne nous trompe si nous ne sommes point sur nos gardes. Quelquefois, ces esprits malfaisants trompent si bien ceux qui, dans leur curiosité, observent les songes, que certaines visions arrivent exactement comme ils le disent, et aussi, ils disent parfois la vérité afin de tromper en beaucoup d'autres rencontres. Mais quand même certains songes arrivent comme le disent les démons, il ne faut point néanmoins y ajouter foi, dans la crainte qu'ils ne procèdent de l'illusion, selon ce témoignage de l'Ecriture. « S'ils vous parlent, et s'il arrive selon ce qu'ils ont dit, ne croyez pas (Dent. XII,). » Les songes sont semblables aux augures, et ceux qui les observent sont regardés comme ceux qui consultent les augures. Il ne faut donc point ajouter foi aux songes, quoi qu'ils paraissent vrais ; l'homme qui met sa confiance dans les songes ou dans les augures ne se confie pas en Dieu, et il ressemble à celui qui poursuit le vent ou veut saisir une ombre. Augures menteurs et songes trompeurs, c'est une égale vanité des deux côtés. Nous ne devons pas ajouter foi aux songes, de peur d'être trompés. Que notre espérance en Dieu soit toujours ferme; n'ayons nul souci de ces visions. Il est bien juste, de placer notre confiance dans le Seigneur et de n'en avoir aucune dans les songes. Aussi, soeur bien aimée, je vous engage à ne vous appliquer ni aux songes ni aux augures : que votre âme soit inébranlable dans le Tout-puissant. Si vous observez ces vanités, vous serez bien abusée. Méprisez-les durant toute votre existence : et vous serez dans la prospérité en cette vie et en l'autre. Amen.

 

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LXI. — De la brièveté de la vie.

 

162. Très-chère soeur, écoutez les paroles de Salomon : « Tout ce que vos mains peuvent faire, achevez-le de suite : parce que, dans les enfers où vous allez, il n'y aura ni travail, ni raison, ni science ni sagesse (Eccle. IX, 10). » Il n'y a que dans la vie présente qu'il soit permis de faire le bien ; dans la vie future on ne demandera pas la pratique des bonnes oeuvres, mais on récompensera celles qui auront été faites. Cette vie présente est courte et caduque, aussi le bienheureux Isidore a-t-il dit l'homme qui considère la vie actuelle, non au point de vue de sa durée, mais par rapport à sa fin, reconnaît bien vite combien elle est courte et misérable, et se livre à des réflexions fort utiles. Donc, soeur bien aimée dans le Christ, si vous cherchez la vie véritable, tendez vers celle qui est réelle, vers celle en vue de laquelle vous êtes chrétienne, c'est-à-dire, vers la vie éternelle. La vie éternelle est la vraie vie, celle-ci est une mort. Aussi vous devez dans la chair, mourir au monde, pour ne pas mourir à Jésus-Christ dans l'âme. Chacun vit, lorsque mourant selon le monde, il ne vit que pour Dieu, en qui il a promis de vivre. Le juste souffre de l'ennui à cause du retard que lui impose la vie présente, parce que son entrée dans la patrie tant désirée se trouve différée. Les hommes ne connaissent point comment ils finiront : quand ils ne pensent point à la mort, c'est alors qu'ils en sont frappés. Ainsi , que chacun se hâte de corriger le mal qu'il a commis, de crainte. de mourir dans le péché et de finir sa vie avec son crime. A la mort le démon s'efforce d'entraîner, vers les supplices. ceux qu'il a enflammés pour les vices durant leur vie. Bien que l'homme soit juste en cette vie, cependant, en sortant de ce corps, il redoute d'être trouvé  digne de châtiments. Un appel reçu avec tranquillité distingue-la fin des élus, et fait comprendre qu'ils sont les compagnons des anges, parce qu'ils sortent de ce corps mortel sans de grandes tortures. Jésus-Christ, le Fils de Dieu, reçoit avec de grands honneurs dans la béatitude éternelle, ses serviteurs, lorsqu'ils quittent ce monde. Aussi, l'Épouse dit-elle au Cantique des cantiques : Mon bien-aimé est descendit dans son jardin, dans le parterre de ses plantes aromatiques (Cant. VI, 1). » Il est descendu, parce que en visitant son Église, il est venu avec une plus abondante affluence de grâces vers ceux qu'il a vus répandre, par leurs oeuvres et leurs exemples, la bonne odeur autour de leurs frères. Il se nourrit dans le jardin, quand il trouve ses délices dans les âmes vertueuses. Il cueille des lis, quand il arrache ses élus de cette vie et les fait entrer dans la joie de la vie éternelle. C'est, de ces bienheureux qu'il est écrit : « Précieuse en la présence du Seigneur est la mort de ses saints (Psalm. CXV, 15). »  La toile se forme de fils, et la vie de l'homme se déroule chaque jour. Au jour du trépas, les âmes des saints sont agitées de craintes excessives, parce qu'elles sont incertaines et ne savent si elles s'avancent vers la couronne ou vers les supplices. Quelques élus sont purifiés, à l'heure de la mort, de toutes leurs fautes légères, quelques autres, au moment même de leur passage, sont dans l'allégresse et se réjouissent dans la contemplation des biens éternels.

163. Le Tout-Puissant a voulu que le jour de notre mort nous fût inconnu, afin que, étant ignoré, nous le crussions toujours près, et que nous fussions d'autant plus appliqués aux bonnes couvres, que nous , étions moins fixés sur l'heure à laquelle notre maître nous rappellerait du travail. Les démons s'emparent des âmes des méchants au jour de leur mort et se mettent à torturer, dans les supplices, ceux qu'ils ont excités au vice. Quand l'âme sort du corps, ces mauvais esprits recherchent leur travail : ils rappellent le mal auquel ils l'ont portée, afin de l'entraîner avec eux dans les tourments. Le méchants est livré, après sa mort, aux supplices, le juste, après son trépas, se repose en sûreté. Comme le bonheur réjouit les. élus, de même il est à croire, que le feu dévore le pécheur dès le jour de son trépas. Soeur bien aimée en Jésus-Christ, je vous fais entendre ces vérités, afin que vous connaissiez que nous devons toujours mépriser les choses de la terre, et avoir toujours présent à l'esprit le jour de notre mort. Ecoutez aussi ce que dit l'apôtre saint Jacques : « Qu'est-ce que notre vie, sinon une vapeur qui se montre peu de temps? Jac. IV, 15).» Salomon s'écrie aussi: « Ne vous glorifiez pas dans le lendemain, parce que vous ignorez ce que produira le jour suivant (Prov. XXVII, 1).» Vous devez donc, soeur vénérable, vivre avec une grande vigilance et considérer chaque jour le terme de cette vie, afin de vous mettre en état de mépriser les attraits de ce monde et d'acquérir les biens du ciel. « En toutes vos oeuvres, considérez vos fins dernières, et vous ne pécherez jamais (Eccli. VII, 40). » Si vous y faites attention, vous ne pécherez jamais ou vous ne pécherez jamais ou vous ne pécherez que rarement. Pour ce motif, je vous engage, ma soeur, à ne point vous réjouir dans les vanités de ce monde, parce que, sans nul doute, vous mourrez. N'ayez nul espoir dans les choses temporelles, parce que aucune ressource ne pourra vous préserver de la mort. Pourquoi une chair misérable, destinée à devenir la pâture des vers, trouve-t-elle sa joie dans les biens d'ici-bas ? Soeur très-honorable, je vous ai dit tout ceci, pour que vous n'oubliez jamais votre condition. « Souvenez-vous que vous êtes poussière et que vous retournerez en poussière. Vous, êtes cendre et vous redeviendrez cendre (Gen. III, 19 ). » C'est là le langage que Dieu tint au premier homme. Rappelez aussi en votre mémoire, à qui Job à dit de lui-même : « Je dois être consumé comme la pourriture, et je serai comme un habit que ronge la teigne (Job. XIII. 28). » Rappelez-vous la pensée de votre mort, considérez le jour dg votre trépas, que votre dernière heure soit toujours gravée dans votre esprit, et, par la vertu de cette considération évitez parfaitement les péchés et les vices. Amen.

 

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LXX. — De la mort.

 

164. Soeur vénérable, je vous prie d'écouter les paroles d'un sage : « O mort, que ta pensée est amère à l'homme qui a la paix dans ses richesses (Eccli. XLI, 1). » Et encore : « O mort, ton jugement est bon pour l'indigent, pour celui qui est privé de ressources et de forées (Ibid.) » A cette pensée se rapporte celle qu'exprime le bienheureux Isidore : ô mort, que tu es douce pour le malheureux, suave pour ceux dont la vie est amère, délicieuse à tous ceux qui sont tristes et qui pleurent. La mort met un terme à tous les maux de cette vie. Elle met fin à toutes les souffrances, et fait cesser toute infortune. Elle coupe court en ce monde, à toutes les tribulations, mais, hélas ! cette mort, objet de nos désirs, tarde bien à venir. Aussi, ma très-chère soeur, il vaut mieux bien mourir que mal vivre, n'exister plus, qu’exister malheureux.

165.     Demande. — Frère bien aimé, je vous prie de me dire si nous devons pleurer les morts, et nous lamenter sur le trépas de nos amis ?

Réponse. — Soeur bien aimée, que le bienheureux Isidore réponde à votre question. Si la piété nous fait un devoir de prier pour les fidèles trépassés, dit ce saint docteur, la foi nous défend cependant de verser des larmes sur eux. Nous ne devons donc point pleurer sur les fidèles défunts, mais plutôt rendre grâces à Dieu de ce qu'il a daigné les délivrer des misères de cette vie, et les faite passer, ainsi que nous le croyons, ait séjour du rafraîchissement, de la lumière et de la paix. Nous ne devons point les pleurer, puisque nous ne doutons pas qu'ils soient entrés dans le repos. Vierge honorable, entendez ce que je dis : il faut pleurer à leur mort, les hommes que les démons enlèvent avec ignominie, et nullement ceux que les anges accueillent avec honneur ; il faut pleurer ceux que les démons entraînent aux portes de l'enfer, non ceux que les anges conduisent vers les joies du Paradis. Pleurons ceux que les démons ensevelissent après leur trépas dans les abîmes, non ceux que les anges placent dans les cieux : versons des larmes non sur ceux qui finissent saintement, mais sur ceux que surprend une mort mauvaise, non sur ceux qu'honore un bienheureux passage. Vierge du Christ, entendez ce que je vous dis quand je pleure ceux qui sont morts saintement, je me fais du mal à moi-même, sans leur faire du bien à eux. Quand je verse des larmes sur les défunts, mes pleurs ne leur servent de rien et me sont nuisibles. Qu'ils pleurent charnellement leurs défunts, ceux qui nient la résurrection, ou qui ne croient pas à la résurrection après la mort. Pour nous donc, soeur bien aimée, pour nous qui croyons que nos morts règnent dans le Christ, nous ne devons point les pleurer, mais prier pour eux. Nous ne devons pas les pleurer charnellement, mais verser devant le Seigneur des prières pour eux, afin qu'il daigne les délivrer des souffrances qu'ils endurent.

 

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LXXI. — Du jugement.

 

166. Le jugement de Dieu est de deux sortes : il y en a un par lequel les hommes sont jugés en cette vie ; il y en a un autre par lequel, ils le sont en l'autre; et aussi y a-t-il des hommes qui se soumettent à ce jugement ici-bas par les infirmités, la pauvreté et les tribulations des ce monde, afin de n'être point jugés dans le siècle à venir. Les peines temporelles contribuent donc à purifier un certain nombre de personnes; pour d'autres, la damnation commence ici-bas et une perdition complète les attend dans l'autre vie. Plusieurs sont jugés en ce monde par la tribulation, d'autres, dans le siècle futur, seront jugés par le feu. Devant le tribunal du juge sévère la justice même ne sera point en sûreté. Aussi Job dit-il en parlant du Seigneur : « Il consume lui-même l'innocent et l'impie (Job. IX, 22). » L'innocent est consumé par, le Seigneur, quand l'innocence recherchée avec scrupule et comparée à la sainteté divine, se réduit à rien du tout. L'impie l'est également, quand son impiété est scrutée avec soin et qu'il est condamné à cause du bien dont il s'est écarté. Dans le jugement, Jésus-Christ, selon la diversité des mérites, se montrera doux et bon pour les élus, et terrible pour les réprouvés. En ce jour, chacun aura son juge ; selon l'état de sa conscience, en sorte que le Christ, restant immuable en sa tranquillité, ne se montrera redoutable qu'à ceux que leur mauvaise conscience accuse. Très-chère soeur, entendez le bienheureux Isidore vous dire que nul homme n'est sans péché, nul ne peut être à l'abri des rigueurs du jugement de Dieu, puisqu'on doit rendre compte même des paroles inutiles (Matth. XIII, 36). Malheur à nous, pécheurs que nous sommes, que répondrons-nous en ce jour, nous qui péchons tous les jours, non seulement en paroles oiseuses , mais encore en actions, et qui ne cesserons jamais de mal faire? Si le juste ne doit point être en sûreté au jugement du Tout-puissant, qu'en sera-t-il de nous, misérables pécheurs? Si au tribunal de ce juge sévère, la justice ne doit pas être en sûreté, que ferons-nous en ce jour, nous qui multiplions journellement nos iniquités ? Si le juste se sauve à peine, comment oserons-nous nous montrer nous qui commettons des fautes innombrables (I Petr. IV, 48) ? Nul ne pourra être sans crainte en ce jour, où le ciel et la terre seront ébranlés, où tous les éléments seront dissous parle feu, jour   redoutable dont il est dit : « Jour de tribulation, de misère et de vengeance, jour de nuage et de brouillard, son de la trompette et du bruit retentissant, l'homme fort y sera troublé (Sophon. I, 14). »

167. Hélas, mon frère, que dirons-nous quand ce juge redoutable apparaîtra ? Car, quand vous me rappeliez son avènement , vous m'arrachiez des larmes. En rappelant ce jour terrible. vous m'avez fait pleurer.

Soeur   bien aimée dans le Christ , vous avez bien fait de pleurer dans la frayeur que vous inspire ce juge redoutable; parce que, avant le jour du jugement, nous devons prévenir son arrivée par l'aveu de nos fautes et placer nos larmes sous ses yeux; c'est dans cette vie que se trouve le temps favorable, et le jour du salut. Aussi est-il dit : « Cherchez le Seigneur tandis que vous pouvez le trouver, invoquez-le tandis qu'il est proche (Isa. LV, 6). » Dans cette vie, il ne se montre pas juge, et il est proche ; et dans l'autre, il se fera voir, et il sera loin. Voilà pourquoi, soeur bien aimée, il faut nécessairement que nous cherchions Dieu de tout notre coeur, et de toute notre âme dans cette vie, si nous voulons le trouver dans l'autre ; si ici-bas nous le cherchons avec toute sorte de dévotion, si nous nous éloignons des oeuvres mauvaises, nous obtiendrons miséricorde de sa part, au jour du jugement, parce qu'il est bon et compatissant. C'est de lui, en effet, qu'il est écrit : « Le Seigneur est suave pour vous, et ses bontés s'étendent sur toutes les oeuvres de ses mains (Psalm. CXLIV 9). » Aussi, soeur bien aimée, prions avec larme, et dévotion le juge terrible et très-juste, de ne point nous rendre au jour de son jugement selon nos iniquités, mais plutôt de nous traiter selon ses miséricordes, et de ne point permettre que nous ayons à entendre avec les impies cette effroyable sentence : « Allez, maudits, au feu éternel (Matth. XXV, 41); » mais de nous faire ouïr, en compagnie des élus, ces délicieuses paroles: «Venez, les bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès l'origine du monde. »

 

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LXXII. — Épilogue.

 

168. Soeur bien aimée, déjà, par la grâce de Dieu, je dirige vers le port, la barque de cet entretien : mais je reviens encore m'entretenir avec vous. Vous m'avez prié de vous écrire quelques mots d'exhortation. Selon votre désir, j'ai recueilli dans les écrits des Pères, sinon comme je le devais, du moins, avec le secours du Seigneur, du mieux que je l'ai pu, les pensées que je vous ai offertes en ce livre. Voilà donc, soeur bien aimée dans le Christ, que vous avez les avis qui peuvent rendre sainte la vie. Je vous ai donné des instructions et une règle qui puissent assurer votre bonne conduite. Désormais aucune ignorance ne vous excusera du péché. Vous savez ce qu'il faut faire pour vivre saintement. Vous ne pouvez plus vous excuser sur votre ignorance et dire : Je ne le savais pas. Pourquoi? Parce qu'on vous a donné une loi que vous devez suivre : on vous a fait voir les préceptes qui assurent la bonne conduite : on vous a indiqué comment il fallait se comporter dans la maison de Dieu, comment il faut que vous agissiez. Vous possédez la connaissance des commandements: vous savez maintenant ce que c'est que de bien vivre. Veillez donc désormais à ne plus pécher, veillez à ne pas dissimuler le bien que vous avez connu. En vivant mal, vous méprisez le bien de la loi. Si vous agissez ainsi, vous serez extrêmement coupable aux yeux du Seigneur. Pourquoi? Parce qu'il vaut mieux ne pas connaître le chemin du salut que d'aller en arrière après en avoir eu connaissance. Retenez donc par la pensée et par les oeuvres, le don de science que vous avez reçu, accomplissez dans la pratique ce que vous avez entendu par l'intelligence, Soeur vénérable, je vous recommande encore d'observer avec une souveraine attention les avertissements de ce livre.

 

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LXXIII. — L'auteur conjure sa soeur d'intercéder pour lui auprès de Dieu.

 

169. Je vous supplie, Soeur bien aimée dans le Christ, de ne point entendre avec peine, ce que je brûle du désir de vous dire. Comme je vous aime beaucoup en Jésus-Christ, je vous découvre ma conscience. Mais en vous manifestant mes péchés, j'ai peur de souille oreilles. Je vous conjure néanmoins, soeur aimée dans le Seigneur, dé me les pardonner, comme à un pécheur indigne. Misérable et pécheur, j'ai souillé ma vie, presque dés ses premières années toujours : j'ai amassé péché sur péché : j'ai constamment ajouté de nouvelles iniquités aux anciennes. Je n'ai jamais cessé de pécher. Le bien que j'aurais dû faire, je ne l'ai pas fait, et j'ai fait le mal que j'aurais dû éviter. Malheureux que je suis, je ne suis point digne, à cause de. mes nombreuses iniquités, de lever les yeux vers le ciel, parce que j'ai irrité contre moi le Dieu tout-puissant, et que, depuis mon enfance jusques à ce jour, je me suis rendu coupable d'un nombre incalculable de fautes, par pensées, par paroles, par actions. J'ai péché dans mon enfance, dans ma jeunesse, dans mon adolescence,dans l'âge mûr, et, ce qui est plus grave et plus dangereux encore, j'ai péché dans ma vieillesse. Misérable que je suis, je me suis plongé dans la boue des vices. Je suis tombé dans la fosse des péchés. Coupable, je me suis précipité dans le puits du mal. J'ai été enseveli dans la plus profonde des souillures, dans le limon le plus bas des vices. Hélas, hélas, je suis tombé, et par mes propres forces je ne puis me relever. Je vous prie donc, soeur aimable dans le Christ, de nie relever parla main charitable de vos prières. Tendez-moi cette main et retirez-moi de l'abîme des vices. Présentez-moi la main de votre intercession et ôtez-moi de la fosse d'iniquité. Soeur bien aimée, je suis certain que si vous observez le pacte que vous avez conclu avec Jésus-Christ, vous obtiendrez pour vous la couronne dans la joie éternelle, et, pour moi, le pardon de mes fautes en cette vie. Si vous vous acquittez avec dévotion des promesses que vous avec faites au Seigneur, vous m'obtiendrez le pardon, à moi, insigne pécheur que je suis, et vous vous réjouirez avec les vierges saintes dans le lit nuptial du ciel.

170. Vierge honorable, je suis certain, sans hésitation aucune, que votre prière virginale pourra obtenir à un indigne pécheur, la rémission de ses fautes. Soeur vénérable, si vous persévérez, ainsi que vous l'avez promis, dans le service de Dieu, vous attirerez l'indulgence sur ma tête, et vous serez exaltée à jamais parmi les saintes vierges. Vierge honorable, prêtez, je vous en prie, une oreille attentive à ce que je dis. Vous êtes ma soeur bien aimée en Jésus-Christ, je ne doute point que je serai purifié, par votre intercession, des souillures de mes péchés. Si, vierge honorable, vous êtes agréable à Dieu, si vous vous reposez avec Jésus-Christ, votre Époux, dans le lit de la chasteté, vous obtiendrez tout ce que vous demanderez pour moi. Si vous embrassez dans vos chastes étreintes ce divin époux, vous pourrez m'obtenir la rémission de mes péchés. Si vous vous attachez à lui en exhalant le très-agréable parfum de la virginité, vous attirerez l'indulgence sur la tête d'un homme bien indigne. Si vous aimez par dessus tout Jésus-Christ, votre époux, si vous vous reposez dans son amour très-doux, vous pourrez me faire recevoir l'absolution de mes crimes. Ce divin époux ne vous contristera pas, mais il vous accordera tout ce que vous lui demanderez, vous qu'il a admise dans son intime union. Il vous aime beaucoup en effet, celui qui vous a rachetée de son sang. Votre affection en Jésus-Christ, sera donc la rémission de mes péchés. J'attends cette grâce, Soeur très-chérie, que j'aime beaucoup, si vous entrez avec Jésus-Christ, dans le lit sacré, aux noces célestes. Au jour du jugement effroyable, soeur vénérable, vous serez ma consolation, devant le tribunal, où je dois rendre compte de mes fautes et de mes négligences. Le mérite de votre sainte virginité diminuera, en effet, la peine due à mes iniquités. Amen.

 

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