CONFIANCE en la Divine Providence
Secret de paix et de bonheur Les yeux du Seigneur sont ouverts sur toute la terre, et inspirent de la force à ceux qui se confient en Lui dun cur parfait. Ce petit livre qui a rendu de si grands services au saint curé dArs, donnera le secret de la paix et du bonheur à ceux qui voudront le lire et le méditer. GEORGES CABANA, Archevêque de Sherbrooke Nihil Obstat : G. Courtade, S.J. Vanveis, die 7a Maii 1940. Imprimi Potest : A. Larouche, Ch. Sherbrookii, die 9a Januarii 1954 Imprimatur : Georgius Cabana, Arch. Sherbrookii, die 9a Januarii 1954. INTRODUCTION Lauteur de ce petit livre est un écrivain religieux bien connu et très autorisé, le Père Jean-Baptiste Saint-Jure, de la Compagnie de Jésus. Les pages quon va lire ont été, en effet, extraites à peu près textuellement du livre IIIe, chapitre VIIIe de son grand ouvrage intitulé: de la connaissance et de lamour de notre-seigneur jésus-christ, qui faisait les délices du saint curé dArs et était comme son manuel ascétique. Voilà, sans doute, un titre de recommandation plus que suffisant aux yeux des âmes pieuses, auxquelles cet opuscule est principalement destiné. Quelles nous permettent, néanmoins, dy ajouter quelque chose de plus direct et de plus pressant. Le 1er février 1851 mourait saintement, à Lyon, le neveu de lillustre général Marceau et lunique héritier de son nom. Dabord incrédule, pour ne pas dire impie fieffé, «apôtre exalté du saint-simonisme, tout à fait homme du monde et même passablement libertin», Auguste Marceau fut lune des plus belles conquêtes de lArchiconfrérie de Notre-Dame-des -Victoires. Or, un jour quil avait à parler devant une réunion douvriers, il leur dit avec une touchante candeur: «Mes amis, il y a sans doute parmi vous des hommes qui ne sont pas chrétiens et naiment pas la religion. Eh bien! sachez-le, jai été impie comme vous; nul plus que moi na détesté le christianisme; mais je dois lui rendre cette justice que, tant que je nai pas été chrétien, jai été malheureux
» Voyons-le maintenant, une fois devenu fervent chrétien. Dans une visite quil fit au Supérieur des Maristes, à Lyon, en octobre 1849, celui-ci fut frappé de la violence dune toux qui lépuisait, en même temps que dun mal de jambe qui ne pouvait guérir. Il enjoignit à Marceau de garder la chambre; et, docile comme un enfant, lintrépide navigateur obéit sans réplique. «Je suis aussi content dit-il alors de glorifier Dieu en buvant de la tisane dans ma chambre quen éprouvant des coups de vent sur la mer». Il passa la dernière année de sa vie dans une solitude absolue, doù il écrivait à un ami: «Je puis vous assurer que jai rencontré le bonheur quon peut espérer sur la terre, dans le petit coin ignoré ou ma vie sécoule, loin de ma famille, de mes amis et de mes connaissances». Il disait encore ailleurs: «Là est tout le secret du bonheur sur cette terre: correspondre à la volonté de Dieu!
» Mais où donc Marceau avait-il puisé des sentiments si élevés, et si pleins dencouragement pour nous? Écoutons lhistorien de sa vie: «Cest lui qui a fait réimprimer à Lyon le livre de la divine providence, si petit de format, si grand de choses. Déjà, en 1842, Marceau avait rencontré cet opuscule à Nantes. Je puis vous assurer, dans toute la sincérité de mon cur, disait-il au commandant Le Bobinnec, que Dieu ne meût-il accordé que la faveur davoir connu ces quelques pages, en échange des ennuis de toutes sortes qui mont accablé dans le commandement du yacht (lArche dalliance), je trouverais cette grâce à bon marché. Cest un livre dun prix inestimable. «On ne sétonnera pas de ces éloges, quand on saura que deux mots résument toute la doctrine de ce livre: Voir Dieu en toutes choses. En toutes choses se soumettre à la volonté de Dieu». On na point cru nuire à la valeur de cet opuscule, en y introduisant quelques légères modifications plutôt matérielles et en marquant les divisions moins faciles à saisir dans les éditions précédentes. LA DIVINE PROVIDENCE I La Volonté de Dieu a fait et gouverne toutes choses Traitant de la Volonté de Dieu, saint Thomas enseigne, après saint Augustin, quElle est la raison, la cause de tout cc qui existe. En effet: «Le Seigneur dit le Psalmiste a fait tout ce quil a voulu, au ciel, sur la terre, dans la mer et dans tous les abîmes». Il est écrit encore, au livre de lApocalypse: «Vous êtes digne, Seigneur notre Dieu, de recevoir gloire, honneur et puissance, parce que cest vous qui avez créé toutes choses, et que par votre volonté elles étaient et ont été créées». Cest donc la Volonté divine qui a tiré du néant les cieux, avec leurs habitants et leurs magnificences, la terre avec tout ce quelle porte à sa surface et renferme dans son sein; en un mot, toutes les créatures visibles et invisibles, vivantes et inanimées, raisonnables et privées de raison, depuis la plus élevée jusquà la plus infime. Or, si le Seigneur a produit toutes ces choses comme dit lapôtre saint Paul, suivant le conseil de sa volonté, nest-il pas souverainement juste et raisonnable, et même absolument nécessaire, quelles soient conservées et gouvernées par Lui, suivant le conseil de cette même volonté? Et de fait: Quest-ce qui pourrait subsister, dit le Sage, si vous ne le vouliez pas? ou se conserver sans vos ordres? Cependant, les uvres de Dieu sont parfaites, est-il écrit au Cantique de Moïse. Elles sont si accomplies que le Seigneur lui-même, dont la censure est rigoureuse et le jugement formé de droiture, a constaté, la création achevée, quelles étaient bonnes et très bonnes. Mais il est bien évident que Celui qui a fondé la terre par la sagesse, et affermi les cieux par la prudence, ne saurait apporter moins de perfection dans le gouvernement que dans la formation de ses ouvrages. Aussi, comme il ne dédaigne pas de nous le rappeler, si sa Providence continue à disposer toutes choses cest avec mesure, nombre et poids, cest avec justice et miséricorde. Et personne ne peut lui dire: Pourquoi faites-vous ainsi? Car, sil assigne à ses créatures la fin quil veut, et choisit pour les y conduire les moyens qui lui plaisent, il ne peut leur assigner quune fin sage et bonne, ni les diriger vers cette fin que par des moyens également sages et bons. Ne soyez donc pas imprudents, nous dit lApôtre; mais efforcez-vous de connaître quelle est la volonté de Dieu; afin que, laccomplissant, vous obteniez leffet de ses promesses; cest-à-dire le bonheur éternel, puisquil est écrit: Le monde passe, avec sa concupiscence; mais celui qui fait la volonté de Dieu demeure éternellement. 1) Dieu règle tous les événements, bons ou mauvais Non, rien ne se passe dans lunivers que Dieu ne le veuille, quil ne le permette. Et cela doit sentendre absolument de toutes choses, le péché excepté. «Rien, enseignent unanimement les saints Pères et les Docteurs de lÉglise, avec saint Augustin, rien narrive par hasard dans tout le cours de notre vie; Dieu intervient partout». Je suis le Seigneur, dit-il lui-même par la bouche du prophète Isaïe; je suis le Seigneur et il nen est point dautre; cest moi qui forme la lumière et qui crée les ténèbres, qui fais la paix et qui crée les maux; cest moi, le Seigneur, qui fais toutes ces choses. Cest moi, avait-il dit auparavant par Moïse, cest moi qui fais mourir et cest moi qui fais vivre; cest moi qui blesse et cest moi qui guéris. Le Seigneur ôte et donne la vie, est-il dit encore dans le cantique dAnne, mère de Samuel, il conduit au tombeau et il en retire; le Seigneur fait le pauvre et le riche: il abaisse et il élève. Arrivera-t-il dans la cité, dit le Prophète Amos, quelque mal (affliction, désastre) qui ne vienne du Seigneur? Oui, proclame le Sage, les biens et les maux, la vie et la mort, la pauvreté et les richesses viennent de Dieu. Ainsi dans cent autres endroits. Vous allez dire peut-être que, si cela est vrai de certains effets nécessaires, comme la maladie, la mort, le froid, le chaud et autres accidents produits par des causes naturelles, dépourvues de liberté, il nen est plus ainsi dès quil sagit de choses qui relèvent de la libre volonté de lhomme. Car enfin mobjecterez-vous si quelquun parle mal de moi, sil me ravit mes biens, me frappe, me persécute, comment puis-je attribuer cette conduite à la volonté de Dieu, qui, loin de vouloir que lon me traite de la sorte, le défend au contraire sévèrement? On ne peut donc alors conclurez-vous sen prendre quà la volonté de lhomme, à son ignorance ou à sa malice. Cest bien là, en effet, le retranchement derrière lequel on cherche à sabriter, pour éluder les coups ménagés par la main du Seigneur, et excuser un manque de courage et de soumission. Mais, cest en vain vous répondrai-je que vous pensez à vous prévaloir de ce raisonnement, pour vous défendre de vous abandonner à la Providence; car Dieu lui-même la réfuté et nous devons, sur sa parole, croire que dans ces sortes dévénements, comme dans tous les autres, rien narrive que par son ordre ou sa permission. Écoutez plutôt. Il veut châtier lhomicide et ladultère commis par David, et voici comment il sexprime par lorgane du prophète Nathan: Pourquoi donc as-tu méprisé ma parole, et commis le mal devant mes yeux? Tu as fait périr Urie lHétéen; tu lui as ravi sa femme et tu las lui-même tué par le glaive des enfants dAmmon. Cest pourquoi le glaive ne sortira plus de ta maison, parce que tu mas méprisé, et que tu as ravi la femme dUrie lHétéen. Voici donc ce que dit le Seigneur: Je te susciterai des châtiments dans ta propre maison; je prendrai tes femmes sous tes yeux et je les donnerai à lun des tiens, à la face du soleil. Tu as fait, toi, le mal en secret; mais moi je te châtierai à la vue de tout Israël et en plein soleil. Plus tard, les Juifs ayant, par leurs iniquités, gravement outragé le Seigneur et provoqué sa justice: Assur, dit-il, est la verge et le bâton de ma fureur; jai fait de sa main linstrument de ma colère; je lenverrai à la nation perfide, je lui ordonnerai de marcher contre le peuple objet de ma fureur, de le dépouiller, de le mettre au pillage, de le fouler aux pieds comme la boue des chemins. Eh bien! je vous le demande, Dieu pouvait-il plus ouvertement se déclarer lAuteur des maux quAbsalon fit souffrir à son père, et le roi dAssyrie aux Juifs? Il serait facile dapporter dautres exemples; mais ceux-là suffiront. Concluons donc avec saint Augustin: «Tout ce qui nous arrive ici-bas contre notre volonté (que ce soit de la part des hommes ou dailleurs), ne nous arrive que par la volonté de Dieu, par les dispositions de la Providence, par ses ordres et sous sa direction; et si, vu la faiblesse de notre esprit, nous ne pouvons saisir la raison de tel ou tel événement, attribuons-le à la divine Providence, rendons-lui cet honneur de le recevoir de sa main, croyons fermement que ce nest pas sans motif quelle nous lenvoie». Répondant aux plaintes et aux murmures des Juifs, qui attribuaient leur captivité et leurs souffrances à la mauvaise fortune et à dautres causes que la juste volonté de Dieu, le prophète Jérémie leur dit: Quel est celui dont la parole peut produire un effet quelconque si le Seigneur ne lordonne? Est-ce que les biens et les maux ne sortent pas de la bouche du Très-Haut? Pourquoi donc lhomme, pendant sa vie, murmure-t-il, se plaint-il des châtiments dus à ses péchés? Pour nous, rentrons en nous-mêmes, interrogeons notre conscience, réformons notre conduite et revenons au Seigneur. Élevons au ciel nos curs et nos mains vers le Seigneur, et disons-lui: Nous avons agi injustement, nous nous sommes attiré votre colère; cest pour cela que vous êtes devenu inexorable. Ces paroles ne sont-elles point assez claires? Nous devons en tirer profit pour nous-mêmes. Ayons soin de tout rapporter à la volonté de Dieu, et croyons bien que tout est conduit par sa main paternelle. Comment Dieu peut-il vouloir ou permettre les événements mauvais? Cependant direz-vous peut-être encore il y a péché dans toutes ces actions; comment donc Dieu peut-il les vouloir et y prendre part, Lui qui, étant la Sainteté même, ne saurait avoir rien de commun avec le péché? En effet, Dieu nest pas et ne peut pas être lauteur du péché. Mais noublions pas que, dans tout péché, il faut, comme disent les théologiens, distinguer deux parts, lune naturelle, lautre morale. Ainsi, dans laction de lhomme dont vous croyez devoir vous plaindre, il y a, par exemple, le mouvement du bras qui vous frappe, de la langue qui vous injurie, et le mouvement de la volonté qui sécarte de la droite raison et de la loi de Dieu. Mais lacte physique du bras ou de la langue, comme toutes les cho ses naturelles, est fort bon en lui-même et rien nempêche quil ne soit produit avec et par le concours de Dieu. Ce qui est mauvais, ce à quoi Dieu ne saurait concourir et dont il ne peut être lauteur, cest lintention défectueuse, déréglée, quapporte à ce même acte la volonté de lhomme. La démarche dun boiteux, en tant quelle est un mouvement, provient à la fois, il est vrai, de lâme et de la jambe; mais la défectuosité qui rend cette démarche vicieuse ne vient que de la jambe. De même toutes les actions mauvaises doivent être attribuées à Dieu et à lhomme, en tant quelles sont des actes naturels physiques; mais elles ne peuvent être attribuées quà la volonté de lhomme, en tant quelles sont déréglées, coupables. Si donc lon vous frappe ou que lon médise de vous, ce mouvement du bras ou de la langue nétant point un péché, Dieu peut très bien en être et il en est effectivement lauteur, car lhomme, non plus quaucune créature, na lexistence ni le mouvement de lui-même, mais de Dieu, qui agit en lui et par lui: Car cest en Dieu, dit saint Paul, que nous avons la vie, le mouvement et lêtre. Quant à la malice de lintention, elle est toute de lhomme, et cest là seulement que se trouve le péché, auquel Dieu ne prend aucune part, mais quil permet toutefois, pour ne pas porter atteinte au libre arbitre. De plus, quand Dieu concourt avec celui qui vous meurtrit ou qui vous dérobe vos avoirs, il veut sans doute vous priver de cette santé ou de ces biens, dont vous abusiez et qui eussent causé la ruine de votre âme; mais il ne veut nullement que le brutal ou le voleur vous les ravissent par un péché. Ceci nest point le dessein de Dieu, ce nest que la malice de lhomme. Un exemple pourra rendre la chose plus sensible. Un criminel, par un juste jugement, est condamné à mort. Mais le bourreau se trouve être lennemi personnel de ce malheureux, et au lieu de nexécuter la sentence du juge que par devoir, il le fait par esprit de haine et de vengeance
Nest-il pas évident que le juge ne participe nullement au péché de lexécuteur? La volonté, lintention du juge nest pas que ce péché soit commis, mais bien que la justice ait son cours, et que le criminel soit châtié. De même, Dieu ne participe, en aucune façon, à la méchanceté de cet homme qui vous frappe ou qui vous vole: elle est son fait particulier. Dieu veut, avons-nous dit, vous corriger, vous humilier ou vous dépouiller de vos biens, pour vous affranchir du vice et vous porter à la vertu; mais ce dessein de bonté et de miséricorde, quil pourrait exécuter par mille autres moyens où ne serait aucun péché, na rien de commun avec le péché de lhomme qui lui sert dinstrument. Et, de fait, ce nest pas sa mauvaise intention, son péché qui vous fait souffrir, vous humilie ou vous appauvrit; cest la perte, la privation de votre bien-être, de votre honneur ou de vos biens temporels. Le péché ne nuit quà celui qui sen rend coupable. Cest ainsi que nous devons, en ces sortes dévénements, séparer le bon du mauvais, distinguer ce que Dieu opère par les hommes de ce que leur volonté y ajoute de son propre fonds. Exemples pratiques Saint Grégoire nous propose la même vérité sous un autre jour. Un médecin, dit-il, ordonne une application de sangsues. Ces petites bêtes ne sont occupées, en tirant le sang du malade, que de sen rassasier et de le sucer, autant quil dépend delles, jusquà la dernière goutte. Cependant le médecin na dautre intention que dôter au malade ce quil a de sang vicié et, par ce moyen, de le guérir. Rien donc de commun entre la folle avidité de sangsues et le but intelligent du médecin qui les emploie. Aussi le malade les voit-il sans aucune peine. Il nenvisage nullement les sangsues comme malfaisantes; il tâche, au contraire, de surmonter la répugnance que leur laideur lui fait éprouver; et même il protège, il favorise leur action, sachant bien quelles nagissent que parce que le médecin la reconnu utile à sa guérison. Or, Dieu se sert des hommes, comme le médecin des sangsues. Nous devons donc, nous aussi, ne pas nous arrêter aux passions de ceux à qui Dieu donne pouvoir dagir sur nous, ne pas nous mettre en peine de leurs intentions malveillantes et nous préserver de toutes aversions contre eux. Quelles que puissent être, en effet, leurs vues particulières, eux-mêmes ne sont toujours à notre égard quun instrument de salut, dirigé par la main dun Dieu dune bonté, dune sagesse et dune puissance infinies, qui ne leur permettra dagir sur nous quautant que cela nous est utile. Notre intérêt devrait donc nous porter à accueillir, plutôt quà repousser leurs atteintes, puisquelles ne sont véritablement que les atteintes de Dieu même. Et il en est ainsi de toutes les créatures, quelles quelles soient; aucune ne saurait agir sur nous, si le pouvoir ne lui en était donné dEn-haut. Cette doctrine a toujours été familière aux âmes vraiment éclairées de Dieu. Nous en avons un exemple célèbre dans le saint homme Job. Il a perdu ses enfants et ses biens; il est tombé de la plus haute fortune dans la plus profonde misère. Et il dit: Le Seigneur mavait tout donné, le Seigneur ma tout ôté; comme il a plu au Seigneur, ainsi est-il arrivé; que le nom du Seigneur soit béni. Voyez, observe ici saint Augustin, Job ne dit pas: Le Seigneur me lavait donné, et le démon me la ôté; mais en homme éclairé, il dit: Cest le Seigneur qui mavait donné mes enfants et mes biens, et cest Lui qui me les a ôtés; il est arrivé comme il a plu au Seigneur. Lexemple de Joseph nest pas moins remarquable. Cest bien par malice et dans un but mauvais que ses frères lavaient vendu à des marchands; et néanmoins ce saint patriarche attribue tout à la Providence de Dieu. Il sen explique même à plusieurs reprises: Dieu, dit-il, ma envoyé en Égypte avant vous pour votre salut
Dieu ma fait venir ici pour vous conserver la vie, afin que vous ayez des vivres pour votre subsistance. Ce nest point par votre conseil que jai été envoyé ici, mais par la volonté de Dieu, qui a fait de moi comme le père de Pharaon, le maître de sa maison et le prince de toute lÉgypte. Mais arrêtons nos regards sur notre divin Sauveur, le Saint des saints, descendu du ciel pour nous instruire par ses paroles et par ses exemples. Saint Pierre, poussé par un zèle indiscret, veut le détourner du dessein quil a de souffrir et empêcher que les soldats ne mettent la main sur lui. Mais Jésus lui dit
: Et le calice que mon Père ma donné, ne le boirai-je donc pas? Ainsi il attribue les douleurs et les ignominies de sa Passion, non aux Juifs qui laccusent, à Judas qui le trahit, à Pilate qui le condamne, aux bourreaux qui le tourmentent, aux démons qui excitent tous ces malheureux, bien quils soient les causes immédiates de ses souffrances; mais à Dieu, et à Dieu considéré non sous la qualité dun Juge rigoureux, mais sous celle dun Père aimant et bien-aimé. Nattribuons donc jamais ni aux démons ni aux hommes, mais à Dieu, comme à leur vraie source, nos pertes, nos déplaisirs, nos afflictions, nos humiliations. «Agir autrement remarque sainte Dorothée ce serait faire comme le chien qui décharge sa colère sur une pierre au lieu de sen prendre à la main qui la lui a jetée». Ainsi, gardez-vous de dire: Un tel est cause de ce malheur que jai éprouvé; il est lauteur de ma ruine. Vos maux sont louvrage, non de cet homme, mais de Dieu. Et ce qui doit vous rassurer, cest que Dieu souverainement bon procède à tout ce quil fait avec la plus profonde sagesse, et pour des fins saintes et sublimes. 2) Dieu fait toutes choses avec une suprême sagesse Toute sagesse vient de Dieu, Seigneur souverain, est-il dit au Livre de lEcclésiastique; elle a toujours été avec lui, et elle y est avant les siècles
Et il la répandue sur tous ses ouvrages. Ô Seigneur! que vos uvres sont magnifiques! sécrie à son tour le Roi-Prophète. Comme vous avez fait toute chose avec sagesse! Et il nen saurait être autrement; car Dieu, étant la sagesse infinie et agissant par lui-même, ne peut agir que dune manière infiniment sage. Cest pourquoi plusieurs saints Docteurs estiment que, eu égard aux circonstances, toutes ses uvres sont si accomplies quelles ne sauraient lêtre davantage, et si bonnes, quelles ne sauraient être meilleures. «Nous devons donc dit lun deux, saint Basile nous bien pénétrer de cette pensée, que nous sommes louvrage du bon Ouvrier et quil nous dispense et nous distribue, avec une providence très sage, toutes choses grandes et petites; en sorte que rien ne soit mauvais, rien même que lon puisse concevoir meilleur». Les uvres du Seigneur sont grandes, dit encore le Roi-Prophète; elles sont proportionnées à toutes ses volontés. Et cest particulièrement dans cette juste proportion entre les moyens quil emploie et la fin quil se propose, quéclate sa sagesse. Elle atteint dune extrémité à lautre avec force et elle dispose toutes choses avec douceur. Elle gouverne les hommes avec un ordre admirable; elle les conduit à leur bonheur fortement, mais pourtant sans violence et sans contrainte, avec suavité, mais encore avec circonspection. Ô Dieu! dit le Sage, comme vous êtes le Dominateur souverain, vous exercez vos jugements avec une patiente lenteur et vous nous gouvernez avec une grande réserve. Vous êtes doué dune puissance infinie à laquelle rien ne peut résister; cependant vous nusez point, envers nous, du pouvoir absolu de votre autorité souveraine; mais vous nous traitez avec une extrême condescendance, vous daignez, vous accommodant à notre faible nature, placer chacun de nous dans la situation la plus convenable et la plus propre à lui faire opérer son salut. Vous ne disposez même de nous quavec réserve, comme de personnes qui sont vos images vivantes et dune noble origine et auxquelles, vu leur condition, on ne commande point dun ton absolu ainsi quà des esclaves, mais avec égard et ménagement. Vous agissez envers nous, comme dit lillustre Cantacuzène, avec la même circonspection que lon met à toucher un riche vase de cristal ou un fragile vase de terre que lon craint de briser. Faut-il, pour notre bien, nous affliger, nous envoyer quelque maladie, nous faire subir quelque perte, nous soumettre à la douleur? Cest toujours avec certains égards, avec une sorte de déférence que vous y procédez. Ainsi, un gouverneur châtie dune manière bien différente le jeune prince dont léducation lui est confiée et le valet qui est à son service. Ainsi, le chirurgien chargé de faire lamputation de quelque membre à un grand personnage redouble dattention, pour lui faire endurer le moins de douleur possible et seulement autant quil est nécessaire pour sa guérison. Ainsi surtout, le père obligé de châtier un fils tendrement chéri ne le fait quavec contrainte et parce que le bien de son fils lexige; mais la main lui tremble démotion et il se hâte de finir. De même, Dieu nous traite comme des créatures nobles qui sont en grande considération auprès de lui, comme des enfants chéris quil châtie parce quil les aime. Même les épreuves et les châtiments sont des bienfaits de Dieu, des signes de sa miséricorde. Contemplez, nous dit saint Paul, contemplez lauteur et le consommateur de la foi, Jésus (le Fils unique et bien-aimé en qui le Père a mis toutes ses complaisances)
Pensez donc à Celui qui a supporté une telle contradiction de la part des pécheurs soulevés contre lui, afin que vous ne vous découragiez point et que vous ne laissiez point vos âmes à la défaillance. Car vous navez point encore résisté jusquau sang (comme il a fait lui-même), en combattant contre le péché, et vous oubliez la consolation que Dieu vous adresse comme à ses enfants, quand il dit: Mon fils, ne méprise point le châtiment du Seigneur et, lorsquil te reprend, ne te laisse pas abattre. Car le Seigneur châtie ceux quil aime et il flagelle quiconque il admet au nombre de ses enfants. Soyez donc persévérants dans les épreuves, puisque Dieu vous traite comme ses fils; car quel est le fils qui nest pas corrigé par son père? En un mot, Dieu nagit que dans un but très élevé et très saint, que pour sa gloire et le bien de ses créatures. Infiniment bon et la Bonté même, il cherche à les perfectionner toutes en les attirant à Lui, en leur communiquant les caractères et les rayons de sa divinité, autant quelles en sont susceptibles. Mais grâce aux liens étroits quil a contractés avec nous, par lunion de notre nature avec la sienne, dans la Personne de son Fils, nous sommes, dune manière plus spéciale encore, lobjet de sa bienveillance et de ses tendres sollicitudes; et le gant est moins bien ajusté à la main, le fourreau à lépée, que ce quil opère et ordonne, en nous et autour de nous, ne lest à notre force et à notre portée, de sorte que tout puisse concourir à notre avantage et à notre perfection, si nous voulons coopérer aux vues de sa Providence. Les épreuves sont toujours proportionnées à nos forces Ne nous troublons donc point dans les adversités dont nous sommes quelquefois assaillis, sachant que, destinées à produire en nous des fruits de salut, elles sont soigneusement mises en rapport avec nos besoins, par la sagesse de Dieu même qui sait leur donner des bornes, comme il en donne à la mer. Il semble parfois que la mer va, dans sa furie, inonder des contrées entières; et cependant elle respecte les limites de son rivage, elle vient briser ses flots contre un sable mouvant. Ainsi il nest aucune tribulation, aucune tentation à qui Dieu nait marqué des limites, afin quelle serve non pas à nous perdre, mais à nous sauver. Dieu est fidèle, dit lApôtre, il ne souffrira pas que vous soyez tentés ou affligés, par-dessus vos forces, mais il est nécessaire que vous le soyez, puisque cest par beaucoup de tribulations quil nous faut entrer dans le royaume de Dieu, à la suite de notre Rédempteur qui a dit de lui-même: Ne fallait-il pas que le Christ souffrît toutes ces choses et entrât ainsi dans sa gloire? Si vous refusiez de recevoir ces tribulations, vous agiriez contre vos meilleurs intérêts. Vous êtes comme un bloc de marbre entre les mains du sculpteur. Il faut que le sculpteur fasse sauter les éclats, quil taille, quil polisse, pour tirer de son bloc une belle statue. Dieu veut faire de vous sa vivante image; pensez seulement à bien vous tenir entre ses mains, pendant quil travaille sur vous et soyez assuré quil ne donnera pas le moindre coup de ciseau qui ne soit nécessaire à ses desseins et qui ne tende à vous sanctifier; car, comme le dit saint Paul, la volonté de Dieu, cest votre sanctification. II Grands avantages que lhomme retire dune entière conformité à la volonté divine Notre sanctification est donc la fin que Dieu se propose dans toute la conduite quil tient à notre égard. Oh! que nopérerait-il pas en nous, pour son honneur, et pour notre bien, si nous le laissions faire! Cest parce que les cieux ne font aucune résistance aux impressions des esprits qui les gouvernent, que leurs mouvements sont si magnifiques, si réglés et si utiles; quils publient si hautement la gloire de Dieu et que, par leurs influences et par la succession invariable des jours et des nuits, ils conservent lordre dans tout lunivers. Sils résistaient à ces impressions et si, au lieu de suivre le mouvement qui leur est donné, ils en suivaient un autre, bientôt ils tomberaient dans le plus étrange désordre et y entraîneraient le monde avec eux. Il en est de même lorsque la volonté de lhomme se laisse gouverner par celle de Dieu: alors tout ce qui est dans ce «petit monde», toutes les facultés de son âme, tous les membres de son corps sont dans la plus parfaite harmonie et le mouvement le plus régulier. Mais il ne tarde pas à perdre tous ces avantages et à tomber dans un désordre extrême, dès que sa volonté soppose à celle de Dieu et sen écarte. 1) Par cette conformité lhomme se sanctifie En quoi consistent, en effet, la sainteté de lhomme et sa perfection? «Les uns dit saint François de Sales la mettent en laustérité, dautres en laumône, dautres en la fréquentation des sacrements, dautres en loraison. Pour moi, j e ne connais point dautre perfection que daimer Dieu de tout son cur. Sans cet amour, tout lamas des vertus nest quun monceau de pierres», qui attendent leur mise on oeuvre et leur couronnement. Cette doctrine ne saurait faire de doute pour personne. LÉcriture en est pleine. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, de tout ton coeur, de toute ton âme et de tout ton esprit. Cest là, dit Notre-Seigneur Jésus-Christ, le premier et le plus grand commandement. Par-dessus toutes choses, dit saint Paul, ayez la charité qui est le lien de la perfection. Or, de même que ce quil y a de plus élevé et de plus parfait dans toutes les vertus, cest daimer Dieu, «de même aussi dit, après saint Chrysostome, le P. Rodriguez ce quil y a de plus sublime, de plus pur et de plus exquis dans cet amour, cest de se conformer absolument à la volonté divine et de navoir, en toutes choses, dautre volonté que celle de Dieu». Car, comme lenseignent les théologiens et les moralistes, avec saint Denys lAréopagite et saint Jérôme, «le principal effet de lamour est dunir les curs de ceux qui saiment, en sorte quils aient la même volonté». Ainsi, plus nous sommes soumis aux desseins de Dieu sur nous, plus nous avançons vers la perfection; venons-nous à y résister, nous retournons en arrière. Sainte Thérèse, lune des lumières de son siècle, disait à ses religieuses: «Celui qui sapplique à loraison doit uniquement se proposer de mettre tous ses soins à conformer sa volonté à celle de Dieu. Et soyez assurées que cest dans cette conformité que consiste la plus haute perfection que nous puissions acquérir, et que celui qui sy adonnera avec le plus de soin sera favorisé des plus grands dons de Dieu et fera les plus rapides progrès dans la vie intérieure. Non, ne croyez pas quil y ait dautres secrets; cest en cela que tout notre bien consiste». On rapporte que la bienheureuse Stéphanie de Soncino, religieuse dominicaine, fut un jour, en esprit, transportée au ciel pour y contempler la félicité des Saints. Elle y vit leurs âmes mêlées aux churs des Anges, selon le degré des mérites de chacune. Elle remarqua même, parmi les Séraphins, plusieurs personnes quelle avait connues avant leur mort: ayant alors demandé pourquoi ces âmes étaient élevées à un si haut degré de gloire, il lui fut répondu que cétait à cause de la conformité et de la parfaite union de leur volonté avec celle de Dieu, pendant quelles vivaient sur la terre. Or, si cette conformité à la volonté de Dieu élève dans le ciel les âmes au plus haut degré de gloire, qui est celui des Séraphins, il faut nécessairement en conclure quelle les élève, ici-bas, au plus haut degré de grâce et quelle est le fondement de la perfection la plus sublime où lhomme puisse atteindre. La soumission entière de sa volonté étant donc le sacrifice le plus agréable, le plus glorieux à Dieu quil soit donné à lhomme de lui offrir, étant lacte le plus parfait de la charité, il est hors de doute que celui qui pratique cette soumission acquiert, à chaque instant, des trésors inestimables et quen peu de jours il amasse plus de richesses que dautres en plusieurs années et par beaucoup de travail. Lhistoire célèbre dun saint religieux, rapportée par Césaire, nous en offre un exemple bien remarquable. Ce saint homme ne différait nullement, dans les choses extérieures, des autres religieux qui habitaient le même monastère, et cependant, il avait atteint un si haut degré de perfection et de sainteté, que le seul attouchement de ses habits guérissait les malades. Son supérieur lui dit un jour quil sétonnait fort que, ne jeûnant, ne veillant, ne priant pas plus que les autres religieux, il fît tant de miracles. Et il lui en demanda la cause. Le bon religieux répondit quil en était encore plus étonné lui-même et quil ne connaissait point de raison à cela; que, toutefois, sil en pouvait soupçonner une, cétait que toujours il avait pris grand soin de vouloir tout ce que Dieu voulait et quil avait obtenu du ciel cette grâce de perdre et de fondre tellement sa volonté dans celle de Dieu, quil ne faisait rien sans son mouvement, ni dans les grandes, ni dans les petites choses. La prospérité, ajoutait-il, ne mélève point, ladversité ne mabat pas davantage; car jaccepte tout indifféremment de la main de Dieu, sans rien examiner. Je ne demande point que les choses se fassent comme je pourrais naturellement le désirer, mais quelles arrivent absolument comme Dieu les veut, et toutes mes prières ont ce seul but: que la volonté divine saccomplisse parfaitement en moi et en toutes les créatures. Eh quoi! mon frère, lui dit le supérieur, ne fûtes-vous donc pas ému, lautre jour, quand notre ennemi brûla notre grange, avec le blé et le bétail qui sy trouvaient en réserve pour les besoins de la communauté? Non, mon Père, répondit le saint homme, au contraire, jai coutume, en ces sortes dévénements, de rendre grâces à Dieu, dans la persuasion où je suis quil les permet pour sa gloire et notre plus grand bien. Et je ne minquiète point si nous avons peu ou beaucoup pour notre entretien, sachant bien que si nous avons pleine confiance en lui, Dieu pourra tout aussi facilement nous nourrir avec un petit morceau de pain quavec un pain entier. Dans cette disposition, je suis toujours content et joyeux, quoi quil arrive. Le Supérieur ne sétonna plus, dès lors, de voir ce religieux opérer des miracles. En effet, nest-il pas écrit: Le Seigneur fera la volonté de ceux qui le craignent; il exaucera leur prière et les sauvera; le Seigneur garde tous ceux qui laiment. Et ailleurs: Nous savons que tout coopère au bien de ceux qui aiment Dieu. 2) La conformité à la volonté de Dieu rend lhomme heureux dès cette vie La conformité de notre volonté à celle de Dieu ne se borne point à opérer notre sanctification, elle a encore pour effet de nous rendre heureux dès ici-bas. Cest par elle que lon acquiert le plus parfait repos quil soit possible de goûter dans cette vie, elle est le moyen de faire de la terre un paradis anticipé. On en a déjà pu voir un exemple dans la petite introduction placée en tête de cet opuscule. Alphonse le Grand, roi dAragon et de Naples, prince très sage et très instruit avait, lui aussi, fort bien compris cette vérité. On lui demandait un jour quelle était la personne quil estimait la plus heureuse en ce monde. Celle, répondit le roi, qui sabandonne entièrement à la conduite de Dieu et qui reçoit tous les événements, heureux ou malheureux, comme venant de sa main. Si vous eussiez été attentifs à mes commandements, disait le Seigneur aux Juifs, vous auriez nagé dans un fleuve de paix. Eliphaz, lun des trois amis de Job, lui disait pareillement: Soumettez-vous à Dieu et vous aurez la paix
Le Tout-Puissant se déclarera contre vos ennemis et remplira votre coeur de délices. Ce fut encore ce que chantèrent les anges à la naissance du Sauveur: Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et, sur la terre, paix aux hommes de bonne volonté. Quels sont ces hommes de bonne volonté, sinon ceux qui ont une volonté conforme à celle qui est souverainement bonne, je veux dire la volonté de Dieu? Toute volonté autrement disposée serait donc infailliblement mauvaise et, par conséquent, ne saurait procurer la paix promise aux hommes de bonne volonté. En effet, pour que nous puissions jouir du calme et de la paix, il faut que rien ne soppose à notre volonté, que tout arrive selon nos désirs. Mais quel est celui qui peut prétendre à un tel bonheur, excepté celui-là seul dont la volonté est en tout conforme à la volonté divine? Rappelez-vous que je suis Dieu et quil ny a point dautre Dieu que moi, dit le Seigneur, par la bouche du prophète Isaïe. Cest moi qui annonce dès le commencement ce qui doit avoir lieu à la fin, qui prédis les choses longtemps avant quelles arrivent. Et toutes mes résolutions auront leurs effets et toutes mes volontés saccompliront. À escrimer contre Dieu on perd son estime, dit-on, vulgairement. Toute volonté qui tente de sopposer à la volonté divine est nécessairement vaincue et brisée, et au lieu de paix et de bonheur, elle ne retire de sa tentative quhumiliation et amertume. Dieu est sage et tout-puissant; qui lui a jamais résisté et est demeuré en paix? Celui-là donc, et lui seul, possède cette bienheureuse paix de Dieu qui surpasse tout sentiment, dont la volonté est parfaitement conforme, unie à celle de Dieu. Lui seul peut dire comme Dieu lui-même, que toutes ses volontés saccomplissent; parce que voulant tout ce que Dieu veut et ne voulant que cela, il a vraiment toujours tout ce quil veut et na que ce quil veut. Quoi quil arrive au juste, dit le Sage, rien ne saurait le contrister, altérer la sérénité de son âme, parce que rien ne lui arrive contre son gré et que rien au monde ne peut rendre un homme malheureux malgré lui. «Nul nest malheureux dit léloquent Salvien par le sentiment dautrui, mais par le sien propre, et lon ne doit point regarder faussement comme malheureux ceux qui sont réellement heureux dans leur opinion et par le témoignage de leur conscience. Pour moi, jestime que personne au monde nest plus heureux que les justes, les hommes vraiment religieux, à qui il narrive que ce quils souhaitent. Cependant ils sont humiliés, méprisés? Ils le veulent être. Ils sont pauvres? Ils se plaisent dans leur pauvreté
Ils sont donc toujours heureux, quoi quil arrive; car personne ne saurait être plus heureux et content que ceux qui, au milieu même des plus grandes amertumes, sont dans létat où ils veulent être». Sans doute, dans cet état, lhomme nen ressent pas moins vivement laiguillon de la douleur, mais elle ne latteint que dans la partie inférieure de son être, sans pouvoir pénétrer jusquà la partie supérieure où repose lesprit. Il en est des âmes parfaitement résignées et soumises, toute proportion gardée, comme de Notre-Seigneur qui, déchiré de coups et cloué à un gibet, ne laissait pas dêtre bienheureux; lui qui, dune part, plongé, noyé dans labîme de tous les maux quil est possible de souffrir en ce monde était, de lautre, comblé dune joie ineffable, infinie. Sans doute encore, on ne saurait disconvenir quil ny ait, dans notre nature, une opposition, lon peut dire inconciliable, entre lidée de souffrance, dhumiliation, dopprobre ou même de pauvreté et lidée de bonheur. Aussi est-ce un miracle de la grâce que lon puisse, tout en étant sous le poids de pareils maux, se trouver heureux et content. Mais ce miracle sera toujours miséricordieusement accordé aux sacrifices de quiconque voudra se dévouer à laccomplissement, en toutes choses, de la volonté divine; car il est de lhonneur et de la gloire de Dieu que ceux qui sattchent généreusement à son service soient contents de leur sort. On pourrait peut-être me demander comment il est possible daccorder cette doctrine avec la parole de Notre-Seigneur Jésus-Christ: Si quelquun veut venir après moi, quil se renonce lui-même, quil porte sa croix chaque jour et me suive. Je répondrai que, si le divin Maître exige, en cet endroit, que ses disciples renoncent à eux-mêmes et quils portent la croix à sa suite, ailleurs il sengage et avec serment, à leur donner, par un miracle de sa toute-puissance, outre la vie éternelle, le centuple, dès ici-bas, de toutes les choses auxquelles ils renonceront pour lui plaire. De plus, il promet dadoucir le fardeau de sa croix jusquà le rendre léger; car il ne se borne point à affirmer que son joug est doux, il ajoute que son fardeau même est léger°. Si donc nous nexpérimentons pas la douceur du joug de Jésus, ni lallègement du fardeau de la croix quil nous impose, cest nécessairement parce que nous navons pas encore bien fait abnégation de notre volonté, que nous navons pas complètement renoncé à toutes nos vues humaines, pour ne plus apprécier les choses que par la lumière de la foi. Cette divine lumière nous ferait rendre grâces à Dieu en toutes choses, ainsi que saint Paul nous apprend quil lexige de nous; elle serait pour nous le principe de cette joie ineffable que le grand Apôtre nous recommande davoir en tout temps. Histoire du P. Taulère Le P. Taulère, pieux et savant religieux de lordre de Saint-Dominique, rapporte à ce sujet un exemple touchant. Animé du vif désir de faire des progrès dans la vertu et ne se fiant pas à son savoir, il conjurait le Seigneur, déjà depuis huit ans, de lui envoyer quelquun de ses serviteurs qui lui enseignât le chemin le plus sûr et le plus court de la vraie perfection. Un jour quil ressentait ce désir plus vivement encore et quil redoublait ses supplications, une voix se fit entendre qui lui disait: «Va à telle église et tu trouveras celui que tu cherches». Le pieux docteur part aussitôt. Arrivé près de léglise indiquée, il trouve à la porte un pauvre mendiant à demi-couvert de haillons, les pieds nus et souillés de boue, dun aspect tout à fait digne de pitié et qui semble devoir être plus occupé dobtenir des secours temporels que propre à donner des avis spirituels. Cependant Taulère laborde et lui dit: «Bonjour, mon ami». «Maître répond le mendiant je vous remercie de votre souhait; mais je ne me souviens pas davoir jamais eu de mauvais jours». «Eh bien! reprend Taulère que Dieu vous accorde une vie heureuse». «Oh! dit le mendiant grâce au Seigneur, jai toujours été heureux! je ne sais pas ce que cest que dêtre malheureux». «Plaise à Dieu, mon frère reprend de nouveau Taulère étonné quaprès le bonheur dont vous dites que vous jouissez, vous parveniez encore à la félicité éternelle. Mais je vous avoue que je ne saisis pas très bien le sens de vos paroles, veuillez donc me lexpliquer plus clairement». «Écoutez poursuit le mendiant non, ce nest point sans raison que je vous ai dit que je nai jamais eu de mauvais jours, les jours ne sont mauvais que quand nous ne les employons point à rendre à Dieu, par notre soumission, la gloire que nous lui devons; ils sont toujours bons si, quelque chose quil nous arrive, nous les consacrons à le louer, et nous le pouvons toujours avec la grâce. Je suis, comme vous voyez, un pauvre mendiant tout infirme et réduit à une extrême indigence, sans aucun appui ni abri dans le monde, je me vois soumis à bien des souffrances et à bien des misères de toute sorte. Eh bien! lorsque je ne trouve pas daumônes et que jendure la faim, je loue le bon Dieu; quand je suis importuné par la pluie ou la grêle ou le vent ou la poussière et les insectes, tourmenté par la chaleur ou par le froid, je bénis le bon Dieu; quand les hommes me rebutent et me méprisent, je bénis et glorifie le Seigneur. Mes jours ne sont donc pas mauvais, car ce ne sont point les adversités qui rendent les jours mauvais; ce qui les rend tels cest notre impatience, laquelle provient de ce que notre volonté est rebelle, au lieu dêtre toujours soumise et de sexercer, comme elle le doit, à honorer et à louer Dieu continuellement. «Jai dit, en outre, que je ne sais ce que cest que dêtre malheureux, quau contraire, jai toujours été heureux. Cela vous étonne. Vous allez en juger vous-même. Nest-il pas vrai que nous nous estimerions tous très heureux, si les choses qui nous arrivent étaient tellement bonnes et favorables quil nous fût impossible de rien souhaiter de mieux, de plus avantageux? Que nous tiendrions pour bienheureuse une personne dont toutes les volontés saccompliraient sans obstacles, dont tous les désirs seraient toujours satisfaits? Sans doute, aucun homme ne saurait, en vivant selon les maximes du monde, arriver à cette félicité parfaite; il est même réservé aux habitants du ciel, consommés dans lunion de leur volonté avec celle de Dieu, de posséder pleinement une telle béatitude. Cependant, nous sommes appelés à y participer dès ici-bas, et cest au moyen de la conformité de notre volonté à la volonté de Dieu quil nous est donné davoir ainsi part à la félicité des élus. La pratique de cette conformité est, en effet, toujours accompagnée dune paix délicieuse, qui est comme un avant-goût du bonheur céleste. Et il nen peut être autrement, car celui qui ne veut que ce que Dieu veut ne rencontre plus aucun obstacle à sa volonté, tous ses désirs, nayant rien que de conforme au bon plaisir de Dieu, ne sauraient manquer dêtre satisfaits; il est donc bienheureux. «Hé! mon Père, tel que vous me voyez, je jouis toujours de ce bonheur. Rien ne vous arrive, vous le savez, que Dieu ne le veuille; et ce que Dieu veut est toujours ce quil y a de mieux pour nous. Je dois donc mestimer heureux, quoi que ce soit que je reçoive de Dieu ou que Dieu permette que je reçoive des hommes. Et comment nen serais-je pas heureux, persuadé comme je le suis, que ce qui marrive est précisément ce quil y a pour moi de plus avantageux et de plus à propos? Je nai quà me rappeler que Dieu est mon Père infiniment sage, infiniment bon et tout-puissant qui sait bien ce qui convient à ses enfants et ne manque pas de le leur donner. Ainsi, que les choses qui marrivent répugnent aux sentiments de la nature ou quelles les flattent, quelles soient assaisonnées de douceur ou damertume, favorables ou nuisibles à la santé, quelles mattirent lestime ou le mépris des hommes, je les reçois comme ce quil y a, dans la circonstance, de plus convenable pour moi et jen suis aussi content que peut lêtre celui dont tous les goûts sont pleinement satisfaits. Voilà comment tout mest un sujet de joie et de bonheur». Emerveillé de la profonde sagesse et de la haute perfection de ce mendiant, le théologien lui demande: «Doù venez-vous? Je viens de Dieu, répond le pauvre. Vous venez de Dieu! et où lavez-vous rencontré? Là où jai quitté les créatures. Et où demeure-t-il? Dans les curs purs et les âmes de bonne volonté. Mais, qui êtes-vous donc ? Je suis roi. Ha! où est votre royaume? Là-haut, dit-il, en montrant le ciel; celui-là est roi, qui possède un titre certain au royaume de Dieu, son Père. Quel est, demande enfin Taulère, le maître qui vous a enseigné une si belle doctrine? Comment lavez-vous acquise? Je vais vous le dire, répond le mendiant: je lai acquise en évitant de parler aux hommes, pour mentretenir avec Dieu dans la prière et la méditation; mon unique soin est de me tenir constamment et intimement uni à Dieu et à sa volonté sainte. Cest là toute ma science et tout mon bonheur». Taulère savait désormais ce quil voulait savoir. Il prit congé de son interlocuteur et séloigna. «Jai donc enfin trouvé dit-il, une fois livré à ses réflexions jai enfin trouvé celui que je cherchais depuis si longtemps. Oh! combien elle est vraie la parole de saint Augustin: Voilà que les ignorants se lèvent et ravissent le ciel; et nous, avec notre science aride, nous restons embourbés dans la chair et le sang». III Pratique de la conformité à la volonté de Dieu On demande en quoi nous devons pratiquer la conformité à la volonté de Dieu? Je réponds: en toutes choses. Nous devons, dabord, faire ce que Dieu veut, observer avec fidélité ses commandements et ceux de son Église, obéir humblement aux personnes qui ont autorité sur nous, remplir avec exactitude les devoirs de notre état. Nous devons, ensuite, vouloir ce que Dieu fait, accepter avec une soumission filiale toutes les dispositions de sa Providence. Nous nous arrêterons à quelques-unes, toutes les autres sy rapportent. 1) Dans les choses et les événements naturels Ainsi, il faut nous accoutumer à souffrir pour lamour de Dieu, en esprit de conformité à sa volonté sainte, les petites contrariétés journalières, telles quune parole pénible pour notre amour-propre, une mouche importune, laboiement dun chien, une pierre que nous heurtons en marchant, une petite blessure que nous nous faisons par accident, ou par maladresse, une lampe qui séteint, un habit qui se déchire, une aiguille, une plume ou tel autre instrument de travail qui ne se prête pas ou se prête mal à lusage que nous voudrions en faire, etc. Il est même, en un sens, plus important de bien sappliquer à se conformer à la volonté divine dans ces petites contrariétés que dans les grandes et parce que les premières sont plus fréquentes et parce que lhabitude de les supporter chrétiennement dispose davance et naturellement à la résignation dans les grandes difficultés. Nous devons vouloir avec la volonté divine la chaleur, le froid, la pluie, le tonnerre, les tempêtes, enfin toutes les intempéries de lair et le désordre apparent des éléments. Nous devons, en un mot, agréer tous les temps que Dieu nous envoie, au lieu de les supporter avec impatience et colère, comme on a coutume de le faire quand ils contrarient. Il faut éviter de dire par exemple: Quelle chaleur insupportable! Quel froid horrible! Quel temps détestable, désespérant! Le sort men veut! Cest un vrai guignon! Toutes ces expressions et autres semblables témoigneraient de notre peu de foi et de notre défaut de soumission à la volonté divine. Et non seulement nous devons vouloir le temps comme il est, puisque cest Dieu qui la fait, mais nous devons encore, dans les incommodités que nous en éprouvons, répéter avec les trois jeunes Hébreux dans la fournaise de Babylone: Froid, chaleur, neiges et glaces, foudres et nuées, vents et tempêtes, bénissez le Seigneur; louez-le et glorifiez-le à jamais. Cest en accomplissant la très sainte volonté de Dieu que ces créatures insensibles le bénissent et le glorifient, et cest par le même moyen que nous devons aussi le bénir et le glorifier. Dailleurs, si ce temps nous est incommode, il peut être commode à un autre; sil nous gêne dans nos desseins, combien en est-il quil favorise dans les leurs? Et quand cela ne serait point, ne nous suffit-il pas que ce même temps rende gloire à Dieu, que ce soit Dieu qui le veuille de la sorte? La vie de saint François de Borgia, troisième Général de la Compagnie de Jésus, nous fournit un bel exemple de cette conformité à la volonté de Dieu dans les intempéries et les contretemps. Il se rendait par une neige très forte et très froide dans une maison de la Compagnie. Nayant pu y arriver que bien tard dans la nuit, tout le monde se trouva couché et endormi et le Saint dut frapper et attendre assez longtemps à la porte. Lorsque enfin on vient lui ouvrir et quon se répand en excuses pour lavoir fait attendre si longuement et par un temps si mauvais, il répond avec sérénité «quil a éprouvé une très grande consolation en pensant que cétait Dieu qui lui jetait ainsi cette neige à gros flocons». Ces pratiques de conformité à sa volonté sont si agréables à Dieu, que leur influence se fait souvent visiblement ressentir jusque sur les biens de ce monde. Témoin, ce laboureur dont il est fait mention dans la vie des Pères du désert. Ses terres rapportaient toujours plus que celles des autres. «Ne vous en étonnez pas disait-il un jour à ses voisins qui lui en demandaient la cause jai toujours toutes les saisons et tous les temps à souhait». Surpris de cette réponse, ils le pressent dexpliquer comment cela peut se faire. «Cest leur dit-il que je ne veux jamais dautre temps que celui que Dieu veut, et comme je veux tout ce qui lui plaît, il me donne aussi une récolte telle que je la puis souhaiter». 2) Dans les calamités publiques Nous devons nous conformer à la volonté de Dieu dans toutes les calamités publiques, telles que la guerre, la famine, la peste; révérer et adorer ses jugements avec une profonde humilité, et, quelque rigoureux quils paraissent, croire avec toute assurance que ce Dieu dinfinie bonté nenverrait pas de semblables fléaux, sil ne devait en résulter de grands biens. En effet, combien dâmes sauvées par les tribulations, qui se seraient perdues par une autre route! Combien qui, dans les traverses et les afflictions, se convertissent à Dieu de tout leur cur et meurent avec un véritable repentir de leurs péchés! Ainsi, ce qui nous paraît un fléau et un châtiment, est souvent une grâce et une miséricorde insigne. Pour ce qui nous concerne personnellement, pénétrons-nous bien de cette vérité de notre sainte foi, que tous les cheveux de notre tête sont comptés et quil nen tombera pas un seul sinon par la volonté de Dieu; en dautres termes, que la moindre atteinte ne nous sera jamais portée, quil ne le veuille et ne lordonne. Éclairés par la méditation de cette vérité nous comprendrons aisément que nous navons ni plus ni moins à craindre, dans un temps de désastre public que dans nimporte quel autre temps, que Dieu peut fort bien nous mettre à labri de tout mal, au milieu de laccablement général, comme il peut nous livrer à tous les maux, pendant quautour de nous chacun est dans la paix et la joie, que ce qui doit donc uniquement nous occuper cest de nous rendre favorable le Dieu tout-puissant. Or, cest là leffet infaillible de la conformité de notre volonté à la sienne. Empressons-nous donc daccepter de sa main tout ce quil nous enverra. Cette disposition a plein pouvoir sur son cur. Agréant notre humble et confiant abandon, ou bien il nous fera retirer les plus précieux avantages des maux auxquels nous nous soumettons de la sorte, ou bien il nous épargnera ces maux. En lan 451, le farouche Attila, roi des Huns, envahissait les Gaules à la tête dune armée formidable. Il sappelait lui-même la Terreur du monde et le Fléau de Dieu, se considérant comme envoyé de Dieu pour châtier les crimes des peuples. Tout était mis à feu et à sang, livré au massacre, au pillage et à lincendie. Un grand nombre de villes populeuses et florissantes avaient déjà succombé. Troyes allait avoir son tour et les habitants étaient plongés dans la consternation. Mais saint Loup, leur évêque, plaçant toute sa confiance dans la protection du ciel, revêtit ses habits pontificaux et, précédé de la croix et suivi de son clergé, il alla trouver Attila. Admis en sa présence: «Qui êtes-vous lui dit-il vous qui ravagez ainsi nos contrées et troublez le monde du bruit de vos armes?» «Je suis le fléau de Dieu» répondit Attila. «Que le fléau de Dieu soit le bienvenu! dit alors le Saint car, qui peut résister au fléau de Dieu?». Et il ordonna quon ouvrît les portes de la ville. Mais, à mesure que les Barbares y entraient, Dieu les disposait de telle sorte quils la traversèrent sans faire aucun mal. Ainsi, remarque le P. Rodriguez, quoique Attila fut véritablement le fléau de Dieu, Dieu ne voulut pas quil remplît ce rôle à légard de ceux qui le recevaient comme son fléau avec tant de soumission. 3) Dans les difficultés et soucis domestiques Vous devez, si vous êtes père et mère de famille, conformer votre volonté à celle des enfants quil lui plaît de vous donner. Lorsque les hommes étaient animés de lesprit de foi, ils regardaient une nombreuse famille comme un don de Dieu, comme une bénédiction du ciel, et ils considéraient Dieu comme étant plus queux-mêmes, le père de leurs enfants. Aujourdhui que la foi est presque éteinte, que lon vit, en quelque sorte, dans lisolement de Dieu, que si lon soccupe de lui, cest tout au plus pour le craindre, nullement pour se confier en sa divine providence, on est réduit à porter seul la charge de sa famille. Et comme les ressources de lhomme, quelque étendues et assurées quelles semblent, sont toujours bornées et incertaines, il nest pas jusquaux plus favorisés de la fortune qui ne voient souvent avec effroi leurs enfants se multiplier. Cest là, pour eux, une sorte de calamité qui les attriste et les abat, une source intarissable dinquiétudes qui empoisonnent leur existence. Oh! quil en serait autrement si lon se pénétrait de lidée que lon doit avoir de laction paternelle de Dieu sur ceux qui se soumettent à sa conduite avec labandon dune confiance filiale! Voulez-vous vous en convaincre? Prenez les sentiments de cette piété filiale et bientôt vous expérimenterez ce que disait saint Paul, de ce Dieu de bonté, quil est assez puissant pour répandre sur vous toutes sortes de biens, et avec tant dabondance, quayant en tout temps et en toutes choses tout ce qui suffit à vos besoins, vous ayez encore abondamment de quoi exercer toutes sortes de bonnes oeuvres. Pour attirer sur vous ces effets de la divine Providence, vous navez à vous mettre en peine que de concourir, en quelque sorte, à la paternité de Dieu même, en lui formant surtout par vos bons exemples, des enfants selon son cur. Ayez le courage de vous défendre de toute autre ambition, que ce soit là lunique objet de tous vos voeux, de toute votre sollicitude; puis, reposez-vous en pleine assurance, vous le pouvez, quel que soit le nombre de vos enfants, sur les soins attentifs de leur Père céleste. Il veillera sur eux, il gouvernera leur cur, il disposera toutes choses pour assurer leur bonheur, même dès ici-bas, et il le fera dune manière dautant plus admirable que vous saurez plus fidèlement vous préserver de toute vue mondaine à leur sujet, et remettre sans réserve leur avenir entre ses mains. Évitez donc bien de vous préoccuper, par rapport à vos enfants, dautre chose que de ce qui peut contribuer davantage à les former à la vertu. Pour le reste, les confiant tous au Seigneur, ne vous réservez que détudier sa volonté sur eux, afin de les aider à marcher dans la voie où vous aurez reconnu quil les appelle, que cette voie soit celle de la retraite ou celle du monde et croyez que, dans le monde comme dans la retraite, il saura admirablement tout concilier à votre satisfaction dans le temps convenable, dès que vous pourrez vous rendre le témoignage que votre unique ambition est réellement de plaire à Dieu, et délever vos enfants pour lui. Ne craignez pas, dans cette disposition, de porter jamais trop loin votre confiance; efforcez-vous plutôt de laccroître encore, de laccroître toujours car elle est le plus glorieux hommage que vous puissiez rendre à Dieu et elle sera la mesure des grâces que vous recevrez. Il vous sera donné peu ou beaucoup, selon que vous aurez peu ou beaucoup espéré. 4) Dans les revers de fortune Nous devons recevoir, avec la même conformité à la volonté divine, les privations demplois, les pertes dargent et tous les autres dommages que nous éprouvons dans nos intérêts temporels. Vous évince-t-on dune place honorable et avantageuse? Vous prive-t-on dun emploi lucratif sans lequel vous aurez peine à subvenir à vos besoins et à ceux de votre famille? Répétez avec foi la parole de Job: Le Seigneur me lavait donné, le Seigneur me la ôté; il est arrivé comme il a plu au Seigneur; que son Nom soit béni! Quimporte le motif auquel ont obéi ceux qui se sont faits les instruments de vos revers? La volonté dAbsalon, les outrages de Séméi étaient dirigés contre David dans un but, dans une pensée politique, ce qui nempêcha pas le saint roi de tout attribuer, avec raison, à la volonté du Seigneur, comme nous lavons vu plus haut. Les malheurs de Job lui furent suscités par le démon à cause de ses sentiments religieux. Combien de généreux chrétiens, pour leurs opinions religieuses, leur foi en Jésus-Christ, furent, au temps des persécutions, dépouillés de leurs grades militaires ou de leurs fonctions civiles, dépossédés de leurs biens, arrachés à leurs familles, jetés en exil, livrés aux bourreaux! Bien loin de sen plaindre, ils sen allaient, à lexemple des apôtres, remplis de joie davoir été jugés dignes de subir ces outrages pour le nom de Jésus. Quel que soit donc le prétexte des persécutions que lon vous fait endurer, et surtout si la raison en est dans la haine de vos sentiments religieux, acceptez tout sans hésiter comme venant de la main paternelle et intelligente de votre Père qui est au ciel. Il en sera de même pour les questions dargent; si, par exemple, vous vous trouvez contraint de faire quelque paiement que vous croyez injuste, soit pour tel objet que vous êtes forcé de payer une seconde fois, faute de pouvoir justifier dun premier paiement, soit pour acquitter les dettes follement contractées par un autre dont vous êtes naturellement ou dont vous vous êtes, par complaisance, constitué garant; soit pour solder quelque impôt exagéré, inique, destiné au gaspillage, soit enfin de toute autre manière. Si lon a pouvoir dexiger ce paiement de vous et si lon use de ce pouvoir, cest Dieu qui le veut ainsi; cest lui qui vous demande cet argent et cest bien réellement à lui que vous le donnez quand vous acceptez en esprit de soumission à sa divine volonté, la contrainte qui vous est faite. Oh! que de grâces sont assurées à quiconque agit de la sorte! Supposez deux personnes: lune, par esprit de conformité à la volonté de Dieu, exécute un paiement peut-être exagéré, peut-être même tout à fait injuste, mais que lon est en mesure dexiger delle; lautre, de son propre choix et de sa libre volonté, consacre une sommé égale en aumônes. Eh bien! sachez-le, quelques admirables avantages que laumône procure même dès cette vie à ceux qui la font, lacte de la personne qui fait le sacrifice de son argent non de son propre mouvement, non en faveur de quelquun de son choix, mais par esprit de conformité à la volonté divine, est une uvre plus profitable encore, parce que, étant dégagée de toute volonté propre, elle est plus pure, plus agréable aux yeux de Dieu, et sil est vrai de dire, daprès lexpérience de tous les siècles, que laumône attire sur les familles les plus abondantes bénédictions, lon peut bien, sans exagération, attribuer à luvre plus excellente dont nous parlons des fruits plus merveilleux encore. 5) Dans la pauvreté et ses circonstances Nous devons nous conformer à la volonté de Dieu dans la pauvreté ainsi que dans les suites incommodes quelle entraîne et une telle conformité nous coûtera peu, si nous sommes pénétrés comme nous devons lêtre de cette vérité, que Dieu veille sur nous comme un père sur ses enfants, quil ne nous réduit dans un tel état que parce quil nous est le plus avantageux. Alors la pauvreté changera daspect à nos yeux; ou plutôt, nenvisageant les privations quelle nous impose que comme des remèdes salutaires, nous cesserons même de nous trouver pauvres. En effet, quun roi puissant soumette lun de ses enfants dont la santé est altérée à un régime sévère, mais nécessaire à son rétablissement, le jeune prince conclura-t-il de ce quon loblige à vivre daliments insipides et en faible quantité, quil est réellement en proie à lindigence? Concevra-t-il, pour lavenir, des inquiétudes à lendroit de sa subsistance? Quelquun savisera-t-il de penser quil est pauvre? Non, assurément. Tout le monde sait quelles sont les richesses de son père, quil est lui-même appelé à en jouir et que cette jouissance cessera de lui être interdite, dès que sa santé permettra quil en use sans sincommoder. Et nous, ne sommes-nous pas les enfants du Très-Haut, du Tout-Puissant, les cohéritiers de Jésus-Christ? À ce titre, est-il quelque chose qui puisse nous manquer?
Oui, disons-le hardiment, quiconque voudra répondre à cette divine adoption, par les sentiments damour et de confiance quexige de nous la noble qualité denfants de Dieu, a droit, dès ce moment, à tout ce que Dieu lui-même possède. Tout alors est à nous. Mais il nest pas expédient que nous jouissions de tout, il est même souvent à propos que nous soyons privés de beaucoup de choses. Gardons-nous de conclure de ces privations qui nous sont imposées seulement comme des remèdes, que nous puissions jamais manquer de ce quil nous serait avantageux davoir; croyons en toute assurance que, si quelque chose nous devient nécessaire ou même vraiment utile, notre Père tout-puissant nous le donnera infailliblement. Notre divin Sauveur disait aux foules qui lécoutaient: Si vous-mêmes, tout méchants que vous êtes, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, à combien plus forte raison votre Père qui est dans les cieux. Cest là une vérité incontestable de notre sainte foi et nos inquiétudes sur ce point, si nous manquions de fidélité à les désavouer, seraient dautant plus coupables et injurieuses à Jésus-Christ quil nous a fait, à ce sujet, les promesses les plus positives consignées en plusieurs endroits du saint Évangile. Ne vous inquiétez point, nous dit-il, pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps comment vous le vêtirez. Regardez les oiseaux du ciel; il ne sèment pas, ne moissonnent pas, namassent pas dans les greniers, et votre Père céleste les nourrit. Est-ce que vous ne valez pas plus queux? Et quant au vêtement, pourquoi êtes-vous inquiets? Considérez les lis des champs, ils croissent. Ils ne travaillent ni ne filent; or, je vous dis que Salomon lui-même, dans toute sa gloire, nétait pas vêtu comme lun deux. Mais si Dieu vêt ainsi lherbe des champs qui est aujourdhui et demain sera jetée au feu, avec combien plus de soin vous vêtira-t-il, hommes de peu de foi! Ne vous inquiétez donc point en disant: que mangerons-nous ou que boirons-nous ou de quoi nous vêtirons-nous? Car les païens sinquiètent de toutes ces choses; mais votre Père sait que vous en avez besoin. Sa parole est engagée et elle est sous cette seule condition que nous cherchions premièrement le royaume de Dieu et sa justice, que nous fassions de cette recherche notre grande, notre principale, notre unique affaire, cest-à-dire que nous rapportions toutes les autres affaires à celle-là, les faisant toutes concourir à son succès, remplissant tous nos devoirs dans cette vue. À ce prix, il nous décharge de toute sollicitude, il prend sur lui tous nos besoins, tous les besoins de ceux qui nous appartiennent ou quil nous faut pourvoir, et il y satisfera avec des soins dautant plus attentifs que nous nous efforcerons de lui témoigner plus de confiance et dabandon, que nous pratiquerons plus parfaitement la conformité à ses volontés. Et dailleurs, renonçons-nous pour son amour au désir de posséder les biens périssables de ce monde? Voilà quen vertu dune autre promesse de Jésus-Christ, le centuple de ces biens, outre la vie éternelle, nous est assuré pour ici-bas et il arrivera, par un mystère ineffable, que nous serons riches tandis quon nous jugera pauvres. Délivrés de la soif des richesses, de leur possession elle-même et du fardeau qui laccompagne, nous jouirons dune paix, dun contentement délicieux, inconnus de ceux qui semblent posséder les richesses et qui plutôt possédés par elles nen ont réellement que les charges et les soucis. De la sorte, se vérifiera pour nous cette parole du grand Apôtre que la piété a les promesses de la vie présente, comme celles de la vie future. 6) Dans les adversités et les humiliations Nous devons nous conformer à la volonté de Dieu dans ladversité comme dans la prospérité, dans les humiliations comme dans les honneurs, dans les opprobres comme dans la gloire. Nous devons recevoir toutes choses, embrasser toutes choses comme étant les dispositions que la Providence nous ménage, pour que nous rendions à Dieu, par notre soumission, lhonneur qui lui est dû et quen même temps nous parvenions en toute sûreté, à notre plus grand bien. Lorsque David sortit de Jérusalem pour échapper à la persécution de son fils Absalon, le grand-prêtre Sadoc fit porter à sa suite lArche dAlliance, afin quelle servît au roi de sauvegarde en un péril si imminent et fût un gage de son heureux retour. Mais le saint roi dit au grand-prêtre de faire reporter lArche dans la ville, parce que le Seigneur ly ferait bien rentrer lui-même, sil le voulait; puis il ajouta: Si, au contraire, le Seigneur me dit: tu ne me plais pas, jai retiré de toi mon affection, Je ne veux plus que tu règnes sur mon peuple, je veux te dépouiller de la pourpre pour en revêtir ton ennemi, te chasser du trône pour ly faire asseoir et le couronner de gloire, je suis prêt, quil fasse de moi selon quil lui plaira. Ainsi devons-nous dire en ce qui nous concerne, et quelle que puisse être la circonstance où nous nous trouvions. Gardons-nous surtout de repousser cette pratique sous le spécieux prétexte que nous ne sommes pas capables dune résignation aussi héroïque; cest Dieu lui-même, en effet, qui lopérera en nous, pourvu que nous nopposions point à sa grâce une résistance qui y mette obstacle. Cest ce quavait bien reconnu le saint vieillard dont parle Cassien. Se trouvant un jour à Alexandrie, environné de nombreux infidèles qui le couvraient dinjures, le poussaient, le frappaient, en un mot laccablaient doutrages, le saint homme se tenait au milieu deux comme un agneau, endurant tout sans murmurer ni se plaindre. Quelques-uns lui ayant, par mépris, demandé quels miracles avait faits Jésus-Christ: «Il vient den faire un, répondit-il, cest que tous vos outrages nont pas réussi à mirriter contre vous et que même je nen ai pas été ému le moins du monde». 7) Dans les défauts naturels Notre conformité à la volonté divine doit sétendre aux défauts naturels, même de lâme. Il faut, par exemple, ne point saffliger, ni murmurer, ni regretter de navoir pas une aussi bonne mémoire, un esprit aussi pénétrant, aussi subtil, un jugement aussi formé, aussi solide que les autres. Nous nous plaindrions donc du peu qui nous est échu en partage! Mais avons-nous mérité ce que Dieu nous a donné? Nest-ce pas un pur don de sa libéralité, dont nous lui sommes grandement redevables? Quels services a-t-il reçus de nous, pour nous mettre au rang des hommes, plutôt que dans telle catégorie de créatures plus viles? Et même avions-nous fait quelque chose pour lobliger à nous donner seulement lexistence? Mais ce nest point assez de ne pas murmurer. Nous devons, de plus, être contents de ce qui nous a été départi et ne rien désirer davantage. En effet, nous avons suffisamment, puisque Dieu la ainsi jugé. De même que louvrier donne à ses instruments les dimensions et les autres qualités propres à louvrage quil veut faire, de même aussi Dieu nous distribue lesprit et les talents selon les desseins quil a sur nous. Limportant est de bien employer ce quil nous donne. Ajoutons quil est fort heureux pour plusieurs de navoir que des qualités médiocres, des talents bornés. La mesure que Dieu leur en a donnée les sauvera, tandis que, mieux partagés, ils se fussent perdus; car la supériorité des talents ne sert bien souvent quà entretenir lorgueil ou la vanité et elle devient ainsi, pour beaucoup, une occasion de ruine. 8) Dans les maladies et les infirmités Nous devons nous conformer à la volonté de Dieu dans les maladies et les infirmités, vouloir celles quil nous envoie, les vouloir et dans le temps quelles viennent et pour le temps quelles durent, en vouloir toutes les circonstances, sans désirer quune seule soit changée et cependant faire tout ce qui est raisonnable pour guérir, parce que Dieu le veut ainsi. «Pour moi dit saint Alphonse jappelle le temps de la maladie, la pierre de touche de lEsprit; car cest alors que lon découvre ce que vaut la vertu dune âme». Si donc nous sentons que la nature veuille sémouvoir, simpatienter, se révolter, il faut réprimer de tels mouvements et même nous humilier profondément de ces tentatives de révolte contre notre Souverain et de notre opposition à ses justes et adorables arrêts. Saint Bonaventure rapporte que saint François dAssise, étant fort tourmenté par une maladie qui lui causait des douleurs aiguës, un de ses religieux, homme simple, lui dit: «Mon Père, priez Notre-Seigneur de vous traiter un peu plus doucement; car il me semble que sa main sappesantit trop sur vous». Le Saint, entendant ces paroles, poussa un cri et apostropha ainsi le pauvre religieux: «Si je ne savais que ce que vous venez de dire est leffet dune simplicité qui ny entend point de mal, jaurais dès ce moment votre conversation en horreur et je ne voudrais plus vous voir, puisque vous avez été assez téméraire pour blâmer les jugements que Dieu exerce sur moi». Alors et bien quil fût extrêmement faible par suite de la durée et de la violence de son mal, lhomme de Dieu se jeta rudement de sa pauvre couche à terre, au risque de se rompre les os et baisant le pavé de la cellule: «Je vous remercie, mon Seigneur dit-il de toutes les douleurs que vous menvoyez; je vous supplie de men donner cent fois davantage, si vous le jugez à propos, je serai plein de joie, sil vous plaît de maffliger sans mépargner en aucune façon, parce que laccomplissement de votre sainte volonté est pour moi la consolation suprême». Et, en effet, si, comme lobserve saint Ephrem, les hommes les plus grossiers connaissent les fardeaux que leurs chevaux ou leurs mulets peuvent porter et ne leur en imposent pas de trop lourds, pour ne point les accabler; si le potier sait combien de temps son argile doit rester au four, pour être cuite à un point qui la rende propre à nos usages et ne ly laisse ni plus, ni moins, il faudra nécessairement navoir conscience ni de ses pensées ni de ses paroles, pour oser dire que Dieu qui est la sagesse même et qui nous aime dun amour infini, peut charger nos épaules dun fardeau trop pesant et nous laisser plus longtemps quil ne faut dans le feu de la tribulation. Soyons donc sans inquiétude, le feu ne sera ni plus vif, ni de plus de durée quil nest besoin pour cuire notre argile au degré nécessaire. 9) Dans la mort et ses circonstances Nous devons porter la conformité à la volonté de Dieu jusquà lacceptation de notre mort. Nous mourrons, cest un arrêt auquel il ny a point dappel. Nous mourrons le jour, à lheure et du genre de mort que Dieu voudra, et cest cette mort telle quil nous la destinée que nous devons agréer, parce que cest celle quil a jugée la plus convenable à sa gloire. Un jour que sainte Gertrude montait une colline, son pied glissa et elle roula dans la vallée. Sétant relevée saine et sauve, elle remonta joyeusement la colline en disant: «Très aimable Jésus, que ceût été un grand bonheur pour moi, si cette chute meût donné le moyen de parvenir plus tôt à vous». Ses compagnes, qui lentouraient, lui demandèrent alors si elle navait pas craint de mourir sans être munie des sacrements. «Oh! répondit la Sainte je désire, à la vérité, de tout mon cur, les recevoir dans ce dernier moment, mais jaime encore mieux la volonté de Dieu; car je suis persuadée que la meilleure disposition et la plus sûre pour bien mourir cest de se soumettre à ce quil voudra. Cest pourquoi la mort par laquelle il veut que jaille à lui est celle que je désire et jai la confiance quétant ainsi disposée, de quelque manière que je meure, sa miséricorde viendra à mon secours». Bien plus, dillustres maîtres de la vie spirituelle enseignent, avec Louis de Blois, que celui qui, à larticle de la mort, fait un acte de parfaite conformité à la volonté de Dieu sera délivré, non seulement de lenfer, mais encore du purgatoire, eût-il commis à lui seul tous les péchés du monde. «La raison en est ajoute saint Alphonse que celui qui accepte la mort avec une parfaite résignation, acquiert un mérite semblable à celui des martyrs qui ont donné volontairement leur vie pour Jésus-Christ. Et celui-là, en outre, meurt content et joyeux, même au milieu des plus vives douleurs». 10) Dans la privation des grâces extérieures Nous devons pratiquer la conformité à la volonté de Dieu dans la privation des moyens de salut extérieurs ou sensibles quil lui plaît de nous retirer. Par exemple, un directeur ou un ami qui vous guide et vous encourage vous est enlevé. Il vous semble que, privé de son secours, vous ne pouvez plus vous soutenir. Et, en effet, il y a dans ce que vous éprouvez quelque chose de vrai, cest que réellement vous êtes incapable de marcher seul; un secours vous est indispensable, et voilà pourquoi ce sage directeur, cet ami vous avait été donné. Mais Dieu, vous aime-t-il moins, aujourdhui, quil ne vous aimait lorsquil vous fit ce don? Nest-il plus votre Père? Et un Père, tel que lui, abandonne-t-il ses enfants? Le guide que vous regrettez vous a, il est vrai, heureusement conduit dans les chemins que vous avez parcourus. Mais, était-il également propre à vous diriger dans le trajet à parcourir encore pour parvenir où vous êtes appelé? Jésus-Christ, notre divin Maître, a dit de lui-même à ses apôtres: Il vous est avantageux que je men aille, car, si je ne men vais pas, le Consolateur ne viendra point à vous; mais, si je men vais, je vous lenverrai. Cela étant, qui oserait dire quil ne lui est point avantageux dêtre privé dun directeur, dun ami, quelque excellent, quelque saint même quil puisse être? Mais, sais-je, me répondrez-vous, si ce nest point un châtiment que mes infidélités mont attiré? Je le suppose. Eh bien! sachez que les châtiments dun père deviennent, pour les enfants dociles, des remèdes salutaires. Voulez-vous donc désarmer le bras de votre Père céleste, toucher son cur, lobliger même à vous combler de nouvelles grâces? Acceptez son châtiment, et pour prix de votre confiant abandon à sa volonté où il suscitera quelquun qui vous fera tout autrement avancer que vous navez fait jusquici, ou ce Dieu de bonté daignera lui-même se charger de votre conduite: il vous enverra son Esprit-Saint comme à ses apôtres, sa lumière éclairera vos pas et lonction de sa grâce vous fortifiera admirablement. Autre exemple. Votre vie est toute consacrée à la piété, par des exercices qui sont comme la nourriture de votre âme. Mais une maladie vient rompre la chaîne des pieuses pratiques que vous vous étiez imposées; déjà vous ne pouvez plus assister à la sainte messe, même le jour du dimanche; vous êtes privé de laliment sacré de la communion et bientôt votre état de faiblesse vous interdira jusquà la prière. Âme pieuse, ne vous plaignez pas. Vous êtes appelée à lhonneur dalimenter votre âme en participant, avec Jésus-Christ même, à une nourriture que, peut-être, vous ne connaissez pas, mais dont lusage fera de votre maladie un puissant moyen de sanctification. Ma nourriture, disait-il à ses disciples, est de faire la volonté de Celui qui ma envoyé. Cest cette même nourriture qui vous est présentée. Et, remarquez-le, ce nest que par elle quil nous est donné de vivre pour la vie éternelle. La prière même est inefficace, si elle nest vivifiée par ce salutaire aliment, ainsi dans ce passage du saint Évangile: Tous ceux qui me disent: Seigneur, Seigneur! nentreront pas dans le royaume des cieux; mais celui-là y entrera qui fait la volonté de mon Père. Or, vous le savez, cest Dieu qui vous réduit à létat où vous êtes; cest donc lui qui vous dispense de vos pratiques de piété ou plutôt qui vous les interdit. Ainsi ne vous inquiétez pas, mais prenez garde quil attend de vous, en échange, que vous vous exerciez davantage à faire sa volonté, en renonçant à la vôtre; et cest afin que vous fassiez de cet exercice votre principale nourriture, que le moyen den user vous est si fréquemment donné. En effet, que de contrariétés, que de sacrifices la maladie ne vous impose-t-elle pas! Ce sont des projets quelle dérange, des dépenses quelle occasionne, des remèdes qui répugnent, des maladresses, des négligences de la part de ceux qui vous soignent, cest enfin une multitude de petites choses qui vous blessent. Que doccasions pour vous de dire: cest Dieu qui le veut ainsi, que sa sainte volonté soit faite! Mettez donc vos soins à ne laisser échapper aucune de ces occasions et vous serez alors au rang des âmes les plus chères à Jésus: Car quiconque, a-t-il dit, fait la volonté de mon Père qui est aux cieux, celui-là est mon frère, et ma soeur, et ma mère. Autre exemple encore. Une de nos grandes solennités approche; vous vous y disposez de votre mieux et déjà vous vous sentez animé dune ferveur qui vous semble un avant-goût des consolations que vous recueillerez en ce beau jour. Cependant, ce jour arrive et voilà que vous nêtes plus le même: aux sentiments que vous éprouviez a succédé une désolante sécheresse; vous êtes incapable de produire une seule bonne pensée. Gardez-vous de vous livrer à des efforts inquiets pour en sortir. Cest Dieu lui-même qui vous y a mis et vous savez que de sa part il ne vient rien qui ne soit bon et qui ne produise à quiconque le reçoit avec soumission, de grands avantages. Acceptez donc votre situation de sa main, vous tenant autant que possible dans le recueillement en sa présence et vous soumettant à lui, comme un malade se tient devant son médecin et se soumet à son action, dans lattente de la guérison quil espère de ses soins. Et soyez assuré que jamais consolation ne vous aura été aussi profitable que cette sécheresse ainsi endurée paisiblement en esprit de conformité à la volonté divine. Ce nest point, en effet, ce que nous ressentons qui nous dispose aux grâces de Dieu; ce qui nous y dispose est lacte de notre volonté et cet acte ne se sent pas. Il peut bien être accompagné de quelque chose de sensible; mais ce sentiment najoute rien à son mérite. Aux yeux de Dieu, labsence de ce sentiment ou même la présence de sentiments opposés que lon désavoue, ne lui ôte rien. Ainsi, pénétrez-vous de cette vérité que la prière na pas besoin dêtre sentie pour être efficace, quelle consiste uniquement dans le mouvement de la volonté vers Dieu, mouvement qui de sa nature na rien de sensible. Jajoute quil en est de même de lopération de Dieu sur notre âme. On peut la comparer aux effets que produit en nous la nourriture corporelle: de même que la vertu de cet aliment terrestre se répand, comme à notre insu, dans nos membres, pour les réparer et les fortifier, aucune sensation ne nous avertissant de son écoulement salutaire; de même aussi Jésus-Christ, laliment céleste qui nous est donné pour nourriture spirituelle, opère-t-il secrètement sur nos âmes. Mais le malheur est que lon veut tout sentir. Des que lon néprouve rien de sensible, rien qui satisfasse, ou bien lon se décourage ou bien lon cherche, par beaucoup de prières, produites avec grande contention desprit, avec de pénibles efforts à exprimer en soi-même quelque chose qui rassure; et ces efforts, loin de mieux disposer à lopération de la grâce, y mettent obstacle en ce quils occupent ou agitent trop notre intérieur. On rapporte que sainte Catherine de Sienne ayant un jour demandé à Notre-Seigneur, qui se communiquait avec tant dabondance aux patriarches, aux prophètes et aux premiers chrétiens, pourquoi ces divines communications étaient beaucoup plus rares de son temps, Notre-Seigneur lui répondit que cétait parce que ces grands serviteurs de Dieu, désoccupés et vides de lestime deux-mêmes, venaient à Lui comme des disciples fidèles, se tenant dans lattente de ses divines inspirations, se laissant mettre en uvre comme lor dans le creuset ou peindre de sa main comme une toile bien préparée et lui laissant écrire dans leur cur sa loi damour; tandis que les chrétiens de son époque agissant comme sil ne les voyait ni ne les entendait, voulaient tout faire et parler tout seuls et se tenaient ainsi tellement occupés et agités, quils ne Le laissaient pas opérer en eux. Remarquez que ce divin Sauveur avait déjà voulu nous prémunir contre un tel excès dans son saint Évangile. Il y est dit: Quand vous prierez, naffectez point de parler beaucoup, comme font les païens qui simaginent quà force de parler ils seront exaucés. Ne leur ressemblez donc pas en cela; car votre Père céleste sait de quoi vous avez besoin, avant que vous ouvriez la bouche pour le lui demander. 11) Dans les suites de nos péchés Nous devons souffrir, avec soumission et conformité à la volonté de Dieu, les peines que nos chutes dans le péché entraînent souvent à leur suite. Cest, par exemple un excès dintempérance qui vous occasionne une indisposition ou même un dérangement plus grave dans votre santé; ce sont des dépenses excessives, déraisonnables, faites peut-être dans un esprit de folle vanité, qui vous obligent maintenant à vivre de sacrifices; cest la négligence des devoirs de votre état, ce sont vos indiscrétions, vos médisances, vos impatiences, vos emportements; cest votre mauvais caractère enfin, qui vous attire des désagréments, des préjudices dans vos intérêts, des mortifications, des humiliations; cest une longue et déplorable habitude de pécher qui vous rend si difficile maintenant la pratique de la vertu et si pénible la résistance aux nombreuses tentations dont vous êtes assailli. Tout cela vous jette dans des préoccupations desprit, des troubles, des scrupules, de vives anxiétés qui vous accablent et dont vous ne pouvez vous défendre. Dieu, certes, na point voulu vos péchés; mais, les péchés étant commis, Dieu veut, pour votre bien, quils soient suivis de ces châtiments. Acceptez-les donc de sa main et croyez quil ny a rien de plus propre que cette humble acceptation pour vous aider à rentrer dans ses grâces. Alors, bien loin de vous porter préjudice, vos chutes seront comme un monument de votre persévérance dans le service de Dieu et leur témoignage sera dautant plus glorieux quelles auront été plus multipliées. Je vais, par une supposition, rendre cette vérité sensible. Vous entreprenez à pied le voyage de Rome; mais, par leffet des mauvais chemins, de la faiblesse de votre vue, de la débilité de votre constitution ou peut-être dune fâcheuse habitude dinattention, vous tombez presque à chaque pas. Néanmoins, vous ne vous découragez point, vous vous relevez sans délai; au lieu de perdre votre temps en des réflexions inquiètes, vous reprenez votre route, résolu darriver à Rome quoi quil en coûte; et, en effet, vous y arrivez. Or, nest-il pas vrai que plus vous avez rencontré dobstacles et fait de chutes, plus grande, plus héroïque a été votre persévérance? Il en est ainsi dans le service de Dieu. 12) Dans les peines intérieures Nous devons nous conformer à la volonté de Dieu dans les peines intérieures, cest-à-dire dans les tentations, les obscurités, les troubles, les scrupules, les aridités, les désolations et toutes les difficultés que lon rencontre dans la vie spirituelle. En effet, à quelque cause secondaire quon les attribue, toujours faut-il remonter à Dieu, comme à leur premier auteur. Si nous supposons que ces peines viennent de notre propre fonds, il sera vrai de dire alors quelles prennent leur source ou dans lignorance de notre esprit, ou dans la sensibilité de notre cur, ou dans le dérèglement de notre imagination, ou enfin dans la perversité de nos penchants. Mais si nous remontons plus haut, si nous cherchons doù viennent ces défauts eux-mêmes, où trouverons-nous le principe si ce nest dans la volonté de Dieu, qui na pas doué notre être de plus de perfection et qui, en nous rendant sujets à ces infirmités, nous fait un devoir, pour notre sanctification, den supporter avec soumission toutes les suites, jusquà ce quil lui plaise dy mettre un terme? Dès quil jugera à propos de faire briller à notre entendement un rayon de lumière, de verser dans notre cur une goutte de la rosée de sa grâce, aussitôt nous serons éclairés, fortifiés et consolés. Si lon suppose que ces peines viennent du démon, il ne faudra pas moins les attribuer à Dieu. Lhistoire de Job nest-elle pas là pour prouver que Satan ne saurait agir sur nous, si Dieu ne lui en donne le pouvoir? Lorsque Saül était en proie à des tentations de jalousie, daversion et de haine contre David, les Livres Saints nous disent que lesprit mauvais de Dieu avait envahi Saül. Mais si cet esprit est de Dieu, comment donc est-il mauvais? Et sil est mauvais, comment peut-il être de Dieu? Il est mauvais, à cause de la volonté maligne et dépravée que le démon a daffliger les hommes pour les perdre, et il est de Dieu, parce que Dieu lui a permis de les affliger, dans le dessein quil a de les sauver. Il y a plus. Les principes de la foi et les enseignements des Saints nous apprennent que souvent Dieu soustrait lui-même, par son action immédiate, ces lumières, ces douces influences de la grâce qui font la joie et la force des âmes, et quil les soustrait pour les fins les plus dignes de sa sagesse et de sa bonté. Combien de personnes tièdes et négligentes dans laccomplissement de leurs devoirs, réveillées par les troubles qui suivent les délaissements, y ont retrouvé la ferveur quelles avaient perdue? Combien dautres, à qui les peines intérieures ont procuré loccasion et le moyen de pratiquer les plus hautes vertus! Qui pourrait dire, en particulier, à quel degré dhéroïsme elles ont porté les vertus dun saint Ignace, dune sainte Thérèse, dun saint François de Sales? Conduite adorable dune Providence infiniment attentive au bien de ses enfants, qui fait semblant de les abandonner, pour tirer les uns de lassoupissement et développer dans les autres lesprit dhumilité, de défiance de soi-même, de renoncement à tout, de confiance en Dieu, dabandon à ses volontés, de persévérante prière. Ainsi, au lieu de nous laisser gagner par la pusillanimité et le découragement, dans les peines dont nous sommes parfois comme accablés, conduisons-nous de la même manière que dans les maladies corporelles, consultant un médecin habile, un bon directeur, appliquant les remèdes quil conseille et attendant avec patience leffet quil plaira à Dieu de leur donner. Il connaissait le prix des peines intérieures ce saint homme, dont parle Louis de Blois, qui néprouvait que des tentations, des sécheresses et des amertumes continuelles. Un jour que, pressuré dangoisses, il pleurait amèrement, des anges lui apparurent pour le consoler; mais lui, refusant la consolation offerte, dit aux anges qui lapportaient: «Je ne demande aucun soulagement; il me suffit, pour toute consolation, que la volonté de Dieu saccomplisse en moi». Au rapport du même auteur, sainte Brigitte étant un jour dans un grand accablement desprit, Jésus-Christ lui apparut et lui demanda le sujet de son affliction. Sur sa réponse quelle était tourmentée dune infinité de mauvaises pensées qui lui faisaient redouter ses jugements, le divin Maître lui dit ces paroles: «Il est juste que, vous étant plue aux vanités du monde contre ma volonté, vous soyez maintenant, contre la vôtre, inquiétée de plusieurs pensées vaines et méchantes; et quant à mes jugements, il est bon aussi que vous les craigniez, mais il faut que ce soit avec une ferme confiance en moi, qui suis votre Dieu. Vous devez, au surplus, tenir pour constant, que les mauvaises pensées auxquelles on résiste, autant quon le peut, sont le purgatoire de lâme en ce monde et le sujet de sa récompense dans le ciel. Que si vous ne pouvez les chasser, contentez-vous de les désavouer, puis souffrez avec patience leur importunité». Lorsque des personnes affligées de peines desprit sadressaient au grand théologien Taulère, selon ce quil raconte lui-même, pour lui confier leurs tourments: «Tout va bien pour vous, leur disait-il, les choses mêmes dont vous vous plaignez sont une grâce que Dieu vous fait». À ceux qui lui exprimaient la crainte que ces peines ne leur fussent envoyées quen punition de leurs péchés, il répondait: «Que ce soit ou non pour vos péchés, croyez que cette croix vous vient de Dieu; ainsi embrassez-la en lui rendant grâce et en vous résignant tout à fait entre ses mains». Se plaignait-on de se sentir intérieurement consumé de sécheresse, dennui, de dégoût: «Souffrez avec patience disait-il enfin et vous recevrez plus de grâces que si vous ressentiez en vous les mouvements dune dévotion tendre et fervente». 13) Dans les vertus et les faveurs spirituelles Enfin, et cest peut-être le point le plus délicat quil y ait dans la pratique de la conformité à la volonté divine, nous devons ne vouloir les vertus elles-mêmes, les degrés de grâce et de gloire que selon la mesure où Dieu veut nous les donner et nen pas désirer davantage. Toute notre ambition doit être de parvenir, par notre fidélité, au degré de perfection qui nous est destiné, nétant pas accordé à tous de pouvoir sélever au même point. En effet, quelle que puisse être notre correspondance aux grâces que nous recevons de Dieu, nous naurons jamais, cela est bien certain, autant dhumilité, de charité, etc., quen a eu la Très Sainte Vierge. Et qui osera même se flatter de parvenir au degré de grâce et de gloire où sont parvenus les Apôtres? Qui pourra égaler saint Jean-Baptiste, de qui Notre-Seigneur a dit quil est le plus grand des enfants des hommes? Qui donc atteindra jamais à la sainteté du glorieux saint Joseph? Nous devons, en cela comme en toute autre chose, nous soumettre à la volonté de Dieu. Il faut quil puisse dire de nous ce quil dit dans Isaïe: Ma volonté est en lui; elle y règne et gouverne tout. Ainsi quand nous entendons dire ou quand nous lisons que Notre-Seigneur a élevé, en peu de temps, certaines âmes à une très haute perfection, quil leur a accordé des faveurs signalées, quil a communiqué à leur intelligence des lumières étonnantes, quil a rempli leur cur de très grands sentiments de piété et de ferveur, il faut que nous réprimions les désirs de choses semblables qui pourraient sélever dans notre esprit, au préjudice du pur amour de conformité. Il faut même nous unir plus intimement encore à cette tout aimable volonté de Dieu, et lui dire: Mon Seigneur, je vous loue et vous bénis de ce que vous daignez vous communiquer avec tant damour et de familiarité à ces âmes que vous avez choisies. Lhonneur que vous leur faites est au-dessus de toute lestime que lon peut en avoir. Mais je fais plus de cas encore de laccomplissement de votre volonté, que de toutes les lumières, de tous les sentiments et de toutes les faveurs que vous avez accordés à vos Saints. Aussi, la seule faveur que je vous supplie de me faire, cest que je naie plus, en quoi que ce soit, de volonté propre; mais que ma volonté soit entièrement fondue et anéantie dans la vôtre. Que chacun donc vous fasse les demandes quil voudra; pour moi, mon unique demande est quil vous plaise de mattacher inséparablement à votre conduite et de me rendre un pur instrument de votre gloire, dans la parfaite exécution de vos desseins. Faites de moi, en moi et par moi, sans aucune résistance dans le temps, dans léternité, tout ce que vous voudrez. 14) Résumé et conclusion de ce chapitre Cette soumission, cette conformité en toutes choses à sa volonté est si agréable à Dieu quelle a mérité au roi David lhonneur dêtre appelé «un homme selon son cur». Jai trouvé, dit-il, David, fils de Jessé, homme selon mon cur, qui fera toutes mes volontés. Cest quen effet, David était si soumis aux ordres de la Providence, quil avait le coeur toujours disposé à recevoir également toutes sortes dimpressions de la main de Dieu, comme une cire molle est disposée à recevoir telle figure que lon y veut imprimer. Mon Coeur est disposé, ô mon Dieu! sécriait-il, mon Coeur est disposé. Pourquoi, demande ici saint Bernard, David profère-t-il deux fois cette parole: Mon Coeur est disposé? David, répond le saint Docteur, par cette répétition, veut dire quil est prêt, disposé à recevoir les choses pénibles comme les prospérités, les humiliations comme les honneurs, quil est prêt à tout ce que Dieu voudra. Entrons donc résolument, nous aussi, dans une disposition qui réjouit le cur de notre Père céleste et qui, attirant sur nous ses divines complaisances, fera notre sanctification, sera pour nous une source de paix et de joie en ce monde et le gage de notre éternelle félicité en lautre. Il est à propos, dans ce but, que nous nous rendions familières quelques paroles remarquables de la Sainte Écriture où brille, dune façon plus expressive, cette conformité à la volonté de Dieu. Nous dirons, par exemple, avec lapôtre saint Paul: Seigneur, que voulez-vous que je fasse? me voilà disposé à faire toutes vos volontés. Ou avec David: Me voici devant vous comme une bête de somme, qui nexamine rien, qui obéit sans résistance; je suis à vous, ordonnez de moi selon votre bon plaisir. Je ne cherche point ma volonté, disait Notre-Seigneur, je ne suis point descendu du ciel pour la faire, mais pour chercher et pour faire la volonté de Celui qui ma envoyé. Ma nourriture est de lui obéir, et de faire exactement ce quil désire. Quà lexemple de ce grand Modèle, notre nourriture soit laccomplissement de la volonté divine: Oui, ô Père, quil en soit ainsi, puisque tel est votre bon plaisir. Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Notre-Seigneur recommanda à sainte Catherine de Gênes de sarrêter particulièrement à ces paroles, lorsquelle réciterait le Pater. Nous devons faire de même et prier Dieu souvent que sa très sainte volonté saccomplisse ici-bas, avec la même perfection et pour les mêmes motifs quapportent les Saints à son accomplissement dans le ciel, quelle saccomplisse en nous et généralement dans toutes les créatures. Cétait la prière continuelle de saint Pacôme. Quand nous avons quelque peine à obéir à Dieu ou que nous sentons naître en nous quelque révolte, disons avec David: Eh quoi, mon âme, ne seras-tu pas soumise au Seigneur? Cest de lui que tu as reçu tous les biens, cest lui qui dispose tout pour ton salut; oh! non, je ne lui résisterai pas, jobéirai à ses ordres, car il est mon Dieu et mon Sauveur; et si la nature refuse de faire ce quil ordonne, il sera ma force pour maider à la vaincre. Disons, avec Notre-Seigneur durant son agonie: Mon Père, que votre volonté se fasse et non la mienne. «Cette parole de notre divin Chef dit le grand saint Léon est le salut de tout son Corps mystique, la sainte Église: cest cette parole qui a instruit tous les fidèles, échauffé tous les confesseurs, couronné tous les martyrs. Que tous les enfants de lÉglise, rachetés à un si haut prix, justifiés sans aucun mérite de leur part, apprennent donc cette parole; et lorsquils seront assaillis, par quelque violente tentation, quils sen servent comme dun rempart assuré, alors il surmonteront les terreurs de la nature et ils souffriront avec courage la tribulation». Et cest dans cet esprit de conformité à la volonté divine, que nous devons recevoir, non seulement tous les accidents qui nous surviennent, mais encore toutes les peines et tous les combats intérieurs que cette résignation nous coûte, parce que Dieu veut que nous les éprouvions pour sa gloire et pour notre propre avantage. Remarquons ici, au sujet de ces difficultés que nous trouvons à nous soumettre à la volonté divine, que, lors même que notre volonté est fermement décidée à cette soumission et quelle se soumet effectivement, notre esprit, malgré cela, gagné par linclination naturelle, se prend à raisonner et à discourir sur les événements qui nous arrivent ou qui peuvent nous arriver. Il dira, par exemple: si maintenant je me portais mieux, ou bien, si je tombais malade, si lon me donnait tel ou tel emploi, si lon menvoyait dans telle ou telle maison, sil me survenait telle ou telle chose, cela serait bon ou mauvais pour moi: cela favoriserait ou contrarierait tel dessein que jai formé, je pourrais faire ceci ou cela, selon ma volonté, etc. La nature cherche ainsi à se donner au moins la satisfaction de penser aux événements et de sen entretenir. Mais il faut encore retrancher ce reste de corruption naturelle, et de même que, par amour pour Dieu, nous avons interdit à notre volonté duser de sa liberté, de résister et de choisir, nous devons par le même motif refuser à notre raison la liberté de discourir et de juger. Confions-nous, pour toutes choses et avec un parfait abandon à la conduite de la divine Providence. IV Labandon confiant à la Providence divine (par le Bienheureux Père de la Colombière) 1) Consolantes vérités Cest une vérité des mieux établies et des plus consolantes qui nous aient jamais été révélées que (à la réserve du péché), rien ne nous arrive sur la terre que parce que Dieu le veut; cest lui qui donne les richesses et cest lui qui envoie la pauvreté; si vous êtes malade, Dieu est la cause de votre mal; si vous recouvrez la santé, cest Dieu qui vous la rendue; si vous vivez, cest uniquement à lui que vous devez un si grand bien; et lorsque la mort viendra terminer votre vie, ce sera de sa main que vous recevrez le coup mortel. Mais, lorsque les méchants nous persécutent, est-ce donc à Dieu que nous devons nous en prendre? Oui, cest encore Lui que vous devez alors accuser uniquement du mal que vous souffrez. Il nest pas la cause du péché que fait votre ennemi en vous maltraitant, mais Il est la cause du mal que cet ennemi vous fait en péchant. Ce nest pas Dieu qui a inspiré à votre ennemi la volonté perverse quil a de vous nuire, mais cest Lui qui lui en a donné le pouvoir. Nen doutez pas, si vous recevez quelque plaie, cest Dieu lui-même qui vous aura blessé. Quand toutes les créatures se ligueraient contre vous, si le Créateur ne le voulait pas, sIl ne se joignait pas à elles, sil ne leur donnait et la force et les moyens dexécuter leurs mauvais desseins, jamais elles nen viendraient à bout: Vous nauriez aucun pouvoir sur moi, sil ne vous avait été donné den-haut, disait le Sauveur du monde à Pilate. Nous en pouvons dire autant et aux démons et aux hommes, aux créatures mêmes qui sont privées de raison et de sentiment. Non, vous ne maffligeriez pas, vous ne mincommoderiez pas comme vous faites si Dieu ne lavait ainsi ordonné; cest Lui qui vous envoie, cest Lui qui vous donne le pouvoir de me tenter et de me faire souffrir: Vous nauriez aucun pouvoir sur moi, sil ne vous avait été donné den-haut. Si, de temps en temps, nous méditions sérieusement cet article de notre croyance, il nen faudrait pas davantage pour étouffer tous nos murmures dans toutes les pertes, dans tous les malheurs qui nous arrivent. Cest le Seigneur qui mavait donné des biens, cest lui-même qui me les a ôtés; ce nest ni cette partie, ni ce juge, ni ce voleur qui ma ruiné; ce nest point cette femme qui ma noirci par ses médisances; si cet enfant est mort, ce nest ni pour avoir été maltraité ni pour avoir été mal servi, cest Dieu, à qui tout cela appartenait, qui na pas voulu men laisser jouir plus longtemps. Fions-nous à la sagesse de Dieu Cest donc une vérité de foi, que Dieu conduit tous les événements dont on se plaint dans le monde et, de plus, nous ne pouvons douter que tous les maux que Dieu nous envoie ne nous soient très utiles: nous nen pouvons douter sans soupçonner Dieu même de manquer de lumière pour discerner ce qui est avantageux. Si, dans les choses qui nous regardent, tout autre voit mieux que nous ce qui nous est utile, quelle folie de penser que nous le voyons mieux que Dieu même, que Dieu qui est exempt des passions qui nous aveuglent, qui pénètre dans lavenir, qui prévoit les événements et leffet que chaque cause doit produire? Vous savez que les accidents les plus fâcheux ont quelquefois dheureuses suites, et quau contraire, les succès les plus favorables peuvent enfin se terminer à de funestes issues. Cest même une règle que Dieu garde assez ordinairement, daller à ses fins par des voies tout opposées aux voies que la prudence humaine a coutume de choisir. Dans lignorance où nous sommes de ce qui doit arriver dans la suite, comment osons-nous murmurer de ce que nous souffrons par la permission de Dieu? Ne craignons-nous pas que nos plaintes ne portent à faux, et que nous ne nous plaignions lorsque nous aurions le plus de sujet de nous louer de la Providence? On vend Joseph, on lemmène en servitude, on le jette dans une prison; sil safflige de ses disgrâces apparentes, il safflige en effet de son bonheur, car ce sont autant de marches qui lélèvent insensiblement jusque sur le trône dÉgypte. Saül a perdu les ânesses de son père, il faut les aller chercher fort loin et fort inutilement; cest bien du temps et de la peine perdus, il est vrai; mais si cette peine le chagrine, il ny eut jamais de chagrin plus déraisonnable, vu que tout cela na été permis que pour le conduire au prophète qui doit loindre de la part du Seigneur, pour être roi de son peuple. Quelle sera notre confusion lorsque nous paraîtrons devant Dieu, lorsque nous verrons les raisons quil aura eues de nous envoyer ces croix dont nous lui savons si mauvais gré! Jai regretté ce fils unique mort à la fleur de lâge: hélas! sil eût encore vécu quelques mois, quelques années, il aurait péri de la main dun ennemi, il serait mort en péché mortel. Je nai pu me consoler de la rupture de ce mariage: si Dieu eût jamais permis quil se fût conclu, jallais passer mes jours dans le deuil et la misère. Je dois trente ou quarante ans de vie à cette maladie que jai soufferte avec tant dimpatience. Je dois mon salut éternel à cette confusion qui ma coûté tant de larmes. Mon âme était perdue, si je neusse perdu cet argent. De quoi nous embarrassons-nous? Dieu se charge de notre conduite, et nous sommes dans linquiétude! On sabandonne à la bonne foi dun médecin, parce quon suppose quil entend sa profession; il ordonne quon vous fasse les opérations les plus violentes, quelquefois quon vous ouvre le crâne avec le fer; là, quon vous perce le corps; ici, quon vous coupe un membre pour arrêter la gangrène, qui pourrait enfin gagner jusquau cur. On souffre tout cela, on lui en sait gré, on len récompense libéralement, parce quon juge quil ne le ferait pas, si le remède nétait nécessaire, parce quon juge quil faut se fier à son art; et nous ne voulons pas faire le même honneur à notre Dieu! On dirait que nous nous défions de sa sagesse, et que nous craignons quil ne nous égare. Quoi! vous livrez votre corps à un homme qui peut se tromper et dont les moindres erreurs peuvent vous ôter la vie, et vous ne pouvez vous soumettre à la conduite du Seigneur? Si nous voyions tout ce quil voit, nous voudrions infailliblement tout ce quil veut; on nous verrait lui demander avec larmes les mêmes afflictions que nous tâchons de détourner par nos vux et par nos prières. Aussi, est-ce à nous tous quil dit, dans la personne des enfants de Zébédée: Nescitis quid petatis; hommes aveugles, votre ignorance me fait pitié, vous ne savez ce que vous demandez; laissez-moi ménager vos intérêts, conduire votre fortune, je connais ce qui vous est nécessaire mieux que vous-mêmes; si jusquici javais eu égard à vos sentiments et à vos goûts, déjà vous seriez perdus sans ressource. Lorsque Dieu nous éprouve
Mais, voulez-vous être persuadés que, dans tout ce que Dieu permet, dans tout ce qui vous arrive, il na en vue que vos véritables avantages, que votre bonheur éternel? Faites un moment de réflexion sur tout ce quil a fait pour vous. Vous êtes maintenant dans laffliction; songez que celui qui en est lauteur, est celui même qui a voulu passer toute sa vie dans les douleurs pour vous en épargner déternelles; que cest celui dont lange est toujours à vos côtés, veillant par son ordre sur toutes vos voies et sappliquant à détourner tout ce qui pourrait blesser votre corps ou souiller votre âme; songez que celui qui vous expose à cette peine est celui qui, sur nos autels, prie sans cesse et se sacrifie mille fois le jour pour expier vos crimes et pour apaiser le courroux de son Père à mesure que vous lirritez; que cest celui qui vient à vous avec tant de bonté dans le sacrement de lEucharistie, celui qui na point de plus grand plaisir que de converser avec vous, que de sunir à vous. Quelle ingratitude, après de si grandes marques damour, de se défier encore de lui, de douter si cest pour nous faire du bien ou pour nous nuire, quil nous visite! Mais il me frappe cruellement, il appesantit sa main sur moi! Que craignez-vous dune main qui a été percée, qui sest laissée attacher à la croix pour vous? Il me fait marcher par un chemin épineux! Sil ny en a pas dautre pour aller au ciel, malheureux que vous êtes, aimez-vous mieux périr pour toujours, que de souffrir pour un temps? Nest-ce pas cette même voie quil a tenue avant vous, et pour lamour de vous? Y trouvez-vous une épine quil nait marquée, quil nait rougie de son sang? Il me présente un calice plein damertume! Oui, mais songez que cest votre Rédempteur qui vous le présente; vous aimant autant quil le fait, pourrait-il se résoudre à vous traiter avec rigueur, sil ny avait ou une utilité extraordinaire ou une pressante nécessité? Vous avez ouï parler de ce prince, qui aima mieux sexposer à être empoisonné, que de refuser le breuvage que son médecin lui avait ordonné, parce quil avait toujours reconnu dans ce médecin beaucoup de fidélité et beaucoup dattachement pour sa personne. Et nous, chrétiens, nous refusons le calice que notre divin Maître a préparé lui-même, nous osons loutrager jusquà ce point! Je vous prie de ne pas oublier cette réflexion; elle suffit, si je ne me trompe, pour nous faire agréer, pour nous faire aimer les dispositions de la volonté divine qui nous paraissent les plus fâcheuses. Cest là, dailleurs, le moyen dassurer infailliblement notre bonheur même dès cette vie. Se jeter dans les bras de Dieu Je suppose, par exemple, quun chrétien sest affranchi de toutes les illusions du monde par ses réflexions et par les lumières quil a reçues de Dieu, quil reconnaît que tout nest que vanité, que rien ne peut remplir son cur, que ce quil a souhaité avec le plus dempressement est souvent la source des plus mortels chagrins; quon a de la peine à distinguer ce qui nous est utile de ce qui nous est contraire, parce que le bien et le mal sont presque partout mêlés ensemble, et que ce qui, hier, était le plus avantageux, est aujourdhui le pire, que ses désirs ne font que le tourmenter, que les soins quil prend pour réussir le consument, et nuisent même quelquefois à ses desseins, au lieu de les avancer; quaprès tout, cest une nécessité que la volonté de Dieu saccomplisse, quil ne se fait rien que par ses ordres, et quil ne peut rien ordonner à notre égard qui ne tourne à notre avantage. Après toutes ces vues, je suppose encore quil se jette entre les bras de Dieu comme à laveugle, quil se livre à lui, pour ainsi dire, sans condition et sans réserve, entièrement résolu de se fier à lui pour tout et de ne plus rien désirer, de ne plus rien craindre, en un mot de ne plus rien vouloir de ce quil voudra, et de vouloir également tout ce quil voudra; je dis que, dès ce moment, cette heureuse créature acquiert une liberté parfaite, quelle ne peut plus être gênée ni contrainte, quil nest point dautorité, point de puissance sur la terre qui soit capable de lui faire violence ou de lui donner un moment dinquiétude. Mais nest-ce point une chimère un homme sur qui les biens et les maux font une égale impression? Non, ce nest point une chimère; je connais des personnes qui sont également contentes dans la maladie et dans la santé, dans les richesses et dans lindigence; jen connais même qui préfèrent lindigence et la maladie aux richesses et à la santé. Du reste, il nest rien de si vrai que ce que je vais vous dire: autant nous avons de soumission pour la volonté de Dieu, autant Dieu a-t-il de condescendance pour nos volontés. Il semble que, dès quon sattache uniquement à lui obéir, il ne sétudie plus lui-même quà nous satisfaire: non seulement il exauce nos prières, mais il les prévient, il va chercher jusquau fond du cur ces mêmes désirs quon tâche détouffer pour lui plaire et il les surpasse tous. Enfin, le bonheur de celui dont la volonté est soumise à la volonté de Dieu, est un bonheur constant, inaltérable, éternel. Nulle crainte ne trouble sa félicité, parce que nul accident ne peut la détruire. Je me le représente comme un homme assis sur un rocher au milieu de locéan; il voit venir à lui les vagues les plus furieuses sans être effrayé, il prend plaisir à les considérer et à les compter à mesure quelles viennent se briser à ses pieds; que la mer soit calme ou agitée, que le vent pousse les flots dun côté ou quil les repousse dun autre, il est également immobile, parce que le lieu où il se trouve est ferme et inébranlable. De là vient cette paix, ce calme, ce visage toujours serein, cette humeur toujours égale que nous remarquons dans les vrais serviteurs de Dieu. Pratique de labandon confiant Il reste à voir comment nous pourrons atteindre à cette heureuse soumission. Une voie sure pour nous y conduire, cest lexercice fréquent de cette vertu. Mais, parce que les grandes occasions de la pratiquer sont assez rares, il est nécessaire de profiter des petites qui sont journalières, et dont le bon usage nous aurait bientôt mis en état de soutenir les plus grands revers, sans en être ébranlés. Il nest personne à qui chaque jour il narrive cent petites choses contraires à ses désirs et à ses inclinations, soit que notre imprudence ou notre inattention nous les attire, soit quelles nous viennent de linconsidération ou de la malignité dautrui, soit enfin quelles soient un pur effet du hasard et du concours imprévu de certaines causes nécessaires. Toute notre vie est semée de ces sortes dépines qui naissent sans cesse sous nos pas, qui produisent dans notre cur mille fruits amers, mille mouvements involontaires de haine, denvie, de crainte, dimpatience, mille petits chagrins passagers, mille inquiétudes légères, mille troubles qui, du moins pour un moment, altèrent la paix de lâme. On échappe, par exemple, une parole quon ne voudrait pas avoir dite, on nous en dit une autre qui nous offense; un domestique vous sert mal ou avec trop de lenteur, un enfant vous incommode, un fâcheux vous arrête, un étourdi vous heurte, une auto vous couvre de boue, il fait un temps qui vous déplaît, votre ouvrage ne va pas comme vous le souhaiteriez, un petit meuble se casse, un habit se tache ou se déchire. Je sais quil ny a pas là de quoi exercer une vertu bien héroïque, mais je dis que ce serait assez pour lacquérir infailliblement si nous le voulions; je dis que quiconque serait sur ses gardes pour offrir à Dieu toutes ces contrariétés et pour les accepter comme étant ordonnées par sa Providence, outre quil se disposerait insensiblement à une union très intime avec Dieu, il serait encore en peu de temps capable de soutenir les plus tristes et les plus funestes accidents de la vie. À cet exercice qui est si aisé (et néanmoins plus utile pour nous et plus agréable à Dieu que je ne puis vous le dire), on peut en ajouter encore un autre. Pensez tous les jours, dès le matin, à tout ce qui peut vous arriver de plus fâcheux durant le cours de la journée. Il peut se faire que, dans ce jour, on vous apporte la nouvelle dun naufrage, dune banqueroute, dun incendie; peut-être quavant la nuit vous recevrez quelque affront insigne, quelque sanglante confusion; peut-être que la mort vous ravira la personne du monde que vous aimez le plus; vous ne savez pas si vous ne mourrez point vous-même subitement et dune manière tragique. Acceptez tous ces malheurs, au cas quil plaise à Dieu de les permettre; contraignez votre volonté de consentir à ce sacrifice, et ne vous donnez point de relâche que vous ne la sentiez disposée à vouloir ou à ne pas vouloir tout ce que Dieu peut vouloir ou ne pas vouloir. Enfin, lorsquune de ces disgrâces se fera en effet sentir, au lieu de perdre du temps à vous plaindre ou des hommes ou de la fortune, allez vous jeter promptement aux pieds de votre divin Maître, pour lui demander la grâce de supporter avec constance cette infortune. Un homme qui a reçu une plaie mortelle, sil est sage, ne court point après celui qui la blessé, il va dabord au médecin qui peut le guérir. Mais quand, dans de pareilles rencontres, vous chercheriez lauteur de vos maux, ce serait encore à Dieu quil faudrait aller, puisquil ny a que lui qui puisse en être la cause. Allez donc à Dieu, mais allez-y promptement, allez-y sur lheure; que ce soit le premier de tous vos soins; allez lui rapporter, pour ainsi dire, le trait quil vous a lancé, le fléau dont il sest servi pour vous éprouver. Baisez mille fois les mains de votre Maître crucifié, ces mains qui vous ont frappé, qui ont fait tout le mal qui vous afflige. Répétez-lui souvent ces paroles quil disait lui-même à son Père, dans le fort de sa douleur: Seigneur, que votre volonté se fasse et non pas la mienne; Fiat voluntas tua. Oui, mon Dieu, dans tout ce que vous voudrez de moi, aujourdhui et pour tous les temps, au ciel et sur la terre, quelle se fasse, cette volonté, mais quelle se fasse sur la terre comme elle saccomplit dans le ciel. 2) Les adversités sont utiles aux justes, nécessaires aux pécheurs Voyez cette tendre mère qui, par mille caresses, tâche dapaiser les cris de son fils, qui larrose de ses larmes, tandis quon lui applique le fer et le feu: dès que cette douloureuse opération se fait sous ses yeux et par son ordre, qui peut douter que ce remède violent ne doive être extrêmement utile à cet enfant et quil ny doive trouver une santé parfaite, ou du moins le soulagement dune douleur et plus vive et plus longue? Je fais le même raisonnement lorsque je vous vois dans ladversité. Vous vous plaignez quon vous maltraite, quon vous outrage, quon vous noircit par des calomnies, quon vous dépouille injustement de vos biens: votre Rédempteur (ce nom est encore plus tendre que le nom de père et de mère), votre Rédempteur est témoin de tout ce que vous souffrez, lui qui vous porte dans son sein, lui qui a déclaré si hautement que quiconque vous touche le touche lui-même à la prunelle de lil, lui-même néanmoins permet que vous soyez traversé, quoi quil pût facilement lempêcher, et vous doutez que cette épreuve passagère doive vous procurer les plus solides avantages! Quand le Saint-Esprit naurait pas appelé bienheureux ceux qui souffrent ici-bas, quand toutes les pages de lÉcriture ne parleraient pas en faveur des adversités, quand nous ne verrions pas quelles sont le partage le plus ordinaire des amis de Dieu, je ne laisserais pas de croire quelles nous sont infiniment avantageuses. Pour me le persuader, il suffit que je sache quun Dieu, qui a mieux aimé souffrir tout ce que la rage des hommes a pu inventer des plus horribles tortures, que de me voir condamné aux plus légers supplices de lautre vie; il me suffit, dis-je, que je sache que cest ce Dieu qui me prépare, qui me présente le calice damertume que je dois boire en ce monde. Un Dieu, qui a tant souffert pour mempêcher de souffrir, ne me ferait pas souffrir aujourdhui pour se donner à lui-même un plaisir cruel et inutile. Il faut faire crédit à la Providence Pour moi, lorsque je vois un chrétien sabandonner à la douleur dans les peines que Dieu lui envoie, je dis dabord: voici un homme qui safflige de son bonheur; il prie Dieu de le délivrer de lindigence où il se trouve, et il devrait lui rendre grâce de ly avoir réduit. Je suis sûr que rien ne pouvait lui arriver de plus avantageux, que ce qui fait le sujet de sa désolation; jai pour le croire mille raisons sans réplique. Mais si je voyais tout ce que Dieu voit, si je pouvais lire dans lavenir les suites heureuses dont il couronnera ces tristes aventures, combien plus encore me sentirais-je affermi dans ma pensée! En effet, si nous pouvions découvrir quels sont les desseins de la Providence, il est certain que nous souhaiterions avec ardeur les maux que nous souffrons avec tant de répugnance. Mon Dieu! si nous avions un peu de foi, si nous savions combien vous nous aimez, combien vous avez à cur nos intérêts, de quel il envisagerions-nous les adversités? Nous irions au-devant delles avec empressement nous bénirions mille fois la main qui nous frapperait. Quel bien peut-il donc me revenir de cette maladie, qui moblige dinterrompre tous mes exercices de piété, dira peut-être quelquun? Quel avantage puis-je attendre de cette perte de tous mes biens qui me met au désespoir, de cette confusion qui abat mon courage, et qui porte le trouble dans mon esprit? Il est vrai que ces coups imprévus, dans le moment quils frappent, accablent quelquefois ceux sur qui ils tombent, et les mettent hors détat de profiter sur lheure de leur disgrâce: mais attendez, et bientôt vous verrez que cest par là que Dieu vous dispose à recevoir ses plus insignes faveurs. Sans cet accident, vous ne seriez peut-être pas devenu plus mauvais, mais vous nauriez jamais été si saint. Nest-il pas vrai que depuis que vous vous étiez donné à Dieu, vous naviez encore pu vous résoudre à mépriser je ne sais quelle gloire fondée ou sur quelque agrément du corps ou sur quelque talent de lesprit, qui vous attirait lestime des hommes? Nest-il pas vrai quil vous restait encore quelque amour pour le jeu, pour la vanité, pour le luxe? Nest-il pas vrai que le désir dacquérir des richesses, délever vos enfants aux honneurs du monde, ne vous avait point entièrement abandonné? Peut-être même que quelque attachement, quelque amitié peu spirituelle disputaient encore votre cur à Dieu. Il ne vous fallait plus que ce pas pour entrer dans une liberté parfaite; cétait peu, mais enfin vous naviez pu encore faire ce dernier sacrifice; de combien de grâces, cependant, cet obstacle arrêtait-il le cours? Cétait peu, mais il nest rien qui coûte tant à lâme chrétienne, que de rompre ce dernier lien qui lattache au monde ou à elle-même; ce nest pas que, dans cette situation, elle ne sente une partie de son infirmité; mais la seule pensée du remède lépouvante, parce que le mal est si près du cur que, sans le secours dune opération violente et douloureuse, on ne peut le guérir; cest pour cela quil a fallu vous surprendre, quil a fallu quune main habile, lorsque vous y pensiez le moins, ait porté le fer bien avant dans la chair vive, pour percer cet ulcère caché au fond des entrailles; sans ce coup votre langueur durerait encore. Cette maladie qui vous arrête, cette banqueroute qui vous ruine, cet affront qui vous couvre de honte, la mort de cette personne que vous pleurez, toutes ces disgrâces feront bientôt ce que toutes vos méditations nauraient pu faire, ce que tous vos directeurs auraient tenté inutilement. Avantages inattendus des épreuves Et si ladversité où vous êtes a leffet voulu par Dieu, si elle vous dégoûte entièrement des créatures, si elle vous engage à vous donner sans réserve à votre Créateur, je suis sûr que vous lui adresserez plus de remerciements de ce quil vous aura affligé, que vous ne lui avez offert de vux pour détourner laffliction; tous les autres bienfaits comparés à cette disgrâce ne seront à vos yeux que des faveurs légères. Vous aviez toujours regardé les bénédictions temporelles quil a versées jusquici sur votre famille, comme les effets de sa bonté pour vous; mais pour lors vous verrez clairement, vous sentirez au fond de votre âme, quil ne vous a jamais tant aimé que lorsquil a renversé tout ce quil avait fait pour votre prospérité, et que, sil avait été libéral en vous donnant des richesses, de lhonneur des enfants, de la santé, il a été prodigue en vous enlevant tous ces biens. Je ne parle point des mérites quon acquiert par la patience; il est certain que, pour lordinaire, on gagne plus pour le ciel dans un jour dadversité, que durant plusieurs années passées dans la joie, quelque saint usage quon en fasse. Tout le monde sait que la prospérité nous amollit; et cest beaucoup quand un homme heureux selon le monde, se donne la peine de penser au Seigneur une ou deux fois par jour; les idées des biens sensibles qui lenvironnent occupent si agréablement son esprit, quil oublie aisément tout le reste. Ladversité, au contraire, nous porte comme naturellement à élever les yeux au ciel, pour adoucir, par cette vue, limpression amère de nos maux. Je sais quon peut glorifier Dieu dans toutes sortes détats, et que la vie dun chrétien qui le sert dans une fortune riante, ne laisse pas de lui faire honneur; mais quil sen faut que ce chrétien lhonore autant que lhomme qui le bénit dans les souffrances! On peut dire que le premier est semblable à un courtisan assidu et régulier, qui nabandonne point son prince, qui le suit au conseil, qui est de tous ses plaisirs, qui fait honneur à toutes ses fêtes; mais que le second est comme un vaillant capitaine, qui prend des villes pour son roi, qui lui gagne des batailles, à travers mille périls et au prix de son sang, qui porte bien loin et la gloire des armes de son maître et les bornes de son empire. Ainsi, un homme qui jouit dune santé robuste, qui possède de grandes richesses, qui vit dans lhonneur, qui a lestime du monde, cet homme, sil use comme il doit de tous ces avantages, sil les reçoit avec reconnaissance, sil les rapporte à Dieu qui en est la source, certainement on ne peut douter quil ne glorifie son divin Maître par une conduite si chrétienne; mais si la Providence le dépouille de tous ses biens, si elle laccable de douleurs et de misères, et si, au milieu de tant de maux, il persévère dans les mêmes sentiments, dans les mêmes actions de grâces, sil suit le Seigneur avec la même promptitude et la même docilité, par une voie si difficile, si opposée à ses inclinations, cest alors quil publie la grandeur de Dieu et lefficacité de sa grâce, de la manière la plus généreuse et la plus éclatante. Occasions de mérites et de salut De là, jugez quelle gloire doivent espérer de Jésus-Christ les personnes qui lauront glorifié dans une route si épineuse. Ce sera, pour lors, que nous reconnaîtrons combien Dieu nous aura aimés, en nous donnant les occasions de mériter une récompense si abondante; ce sera, pour lors, que nous nous reprocherons à nous-mêmes de nous être plaints de ce qui devait accroître notre félicité, davoir gémi davoir soupiré, lorsque nous avions lieu de nous réjouir, davoir douté de la bonté de Dieu, lorsquil nous en donnait les plus solides marques. Si tels doivent être un jour nos sentiments, pourquoi ne pas entrer dès aujourdhui dans une si heureuse disposition? Pourquoi dès cette vie, ne pas bénir Dieu au milieu des maux dont je suis sûr que je lui rendrai dans le ciel déternelles actions de grâces? Tout cela nous fait assez voir que, de quelque manière que nous vivions, nous devrions toujours recevoir ladversité avec joie. Si nous sommes bons, ladversité nous purifie et nous rend meilleurs, elle nous remplit de vertus et de mérites; si nous sommes vicieux, elle nous corrige, elle nous contraint de devenir vertueux. 3) Recours à la prière Il est étrange que, Jésus-Christ sétant si souvent, si solennellement engagé à exaucer tous nos vux, la plupart des chrétiens se plaignent tous les jours de nêtre pas écoutés. Car enfin, on ne peut pas rejeter la stérilité de nos prières sur la nature des biens que nous demandons, puisquil na rien excepté dans ses promesses: Omnia qucumque orantes petitis, credite quia accipietis. On ne doit pas non plus lattribuer, cette stérilité, à lindignité de ceux qui demandent, puisquil a promis sans exception à toutes sortes de personnes: Omnis qui petit, accipit. Doù peut donc venir que tant de prières sont rejetées? Ne serait-ce point peut-être que, comme la plupart des hommes sont également insatiables et impatients dans leurs désirs, ils font des demandes si excessives ou si pressantes, quils lassent, quils rebutent le Seigneur ou par leur indiscrétion ou par leur importunité? Non, non; lunique raison pour laquelle nous obtenons si peu de Dieu, cest que nous lui demandons trop peu, et avec trop peu dinsistance. Jésus-Christ, il est vrai, nous a promis, de la part de son Père, de nous tout accorder, et même les plus petites choses; mais il nous a prescrit un ordre à observer, dans tout ce que nous demandons, et, sans lobservation de cette règle, en vain espérons-nous de rien obtenir. Il nous a dit, dans saint Matthieu: Cherchez dabord le royaume de Dieu et sa justice, et tout le reste vous sera donné comme surcroît: Quærite primum regnum Dei et justitiam eius, et hæc omnia adjicientur vobis. Pour obtenir des biens On ne vous défend pas de souhaiter des richesses, et tout ce qui est nécessaire à lentretien, même à la douceur de la vie; mais il faut souhaiter ces biens dans leur rang, et si vous voulez quà cet égard vos désirs soient infailliblement accomplis, demandez dabord les plus grandes choses, afin quen vous les accordant, il y ajoute encore les plus petites. Voilà justement ce qui arriva à Salomon. Dieu lui ayant donné la liberté de demander tout ce quil voudrait, il le supplia de lui accorder la sagesse, dont il avait besoin pour sacquitter saintement de ses devoirs de la royauté. Il ne fit aucune mention ni des trésors ni de la gloire du monde; il crut que si Dieu lui faisait une offre si avantageuse, il devait en prendre occasion dobtenir des biens considérables. Sa prudence lui mérita aussitôt ce quil demandait, et même ce quil ne demandait pas. Quia postulasti verbum hoc, et non petisti tibi dies multos, nec divitias
, ecce feci tibi secundum sermones tuos: Je vous accorde volontiers cette sagesse, parce que vous me lavez demandée, mais je ne laisserai pas de vous combler dannées dhonneurs et de richesses, parce que vous ne mavez rien demandé de tout cela: Sed et hæc quæ non postulasti, divitias scilicet et gloriam. Si donc cest là lordre que Dieu observe dans la distribution de ses grâces, nous ne devons pas nous étonner que, jusquici, nous ayons prié sans succès. Je vous avoue que souvent je suis touché de compassion, quand je vois lempressement de certaines personnes, qui distribuent des aumônes, qui vouent des pèlerinages et des jeûnes, qui intéressent jusquaux ministres des autels pour le succès de leurs entreprises temporelles. Hommes aveugles, je crains que vous ne priiez et que vous ne fassiez prier en vain! Il fallait faire ces offrandes, vouer ces jeûnes, ces pèlerinages, pour obtenir de Dieu une entière réforme de vos murs, pour obtenir la patience chrétienne, le mépris du monde, le détachement des créatures; après ces premières démarches dun zèle réglé, vous auriez pu faire des prières pour le retour de votre santé et pour lavancement de vos affaires; Dieu aurait écouté ces prières, ou plutôt il les aurait prévenues et se serait contenté de connaître vos désirs pour les accomplir. Sans ces premières grâces, tout le reste pourrait être nuisible et il lest pour lordinaire, voilà pourquoi on nous le refuse. Nous murmurons, nous accusons le Ciel de dureté, de peu de fidélité dans ses promesses. Mais notre Dieu est un Père plein de bonté, qui aime mieux essuyer nos plaintes et nos murmures, que de les apaiser par des présents qui nous seraient funestes. Pour écarter les maux Ce que jai dit des biens, je le dis encore des maux dont nous souhaitons dêtre délivrés. Je ne soupire point, dira quelquun, pour une grande fortune, je me contenterais de sortir de cette extrême indigence où mes malheurs mont réduit; je laisse la gloire et la haute réputation à ceux qui en sont affamés, je voudrais seulement éviter lopprobre où me jettent les calomnies de mes ennemis; enfin, je me passe des plaisirs, mais je souffre des douleurs que je ne puis plus supporter; depuis longtemps je prie, je demande avec instance au Seigneur quil veuille les adoucir; mais je le trouve inexorable. Je nen suis pas surpris; vous avez des maux secrets bien plus considérables que les maux dont vous vous plaignez, maux néanmoins dont vous ne demandez point dêtre affranchis; si, pour lobtenir, vous aviez fait la moitié des prières que vous avez faites pour être guéri des maux extérieurs, il y a longtemps que Dieu vous aurait délivré des uns et des autres. La pauvreté vous sert à tenir dans lhumilité votre esprit, naturellement orgueilleux; lattachement extrême que vous avez pour le monde vous rend nécessaires ces médisances qui vous affligent; les maladies sont, en vous, comme une digue contre la pente que vous avez pour le plaisir, contre cette pente qui vous entraînerait dans mille malheurs. Ce ne serait pas vous aimer, ce serait vous haïr cruellement, que de vous décharger de ces croix, avant de vous donner les vertus que vous navez pas. Si le Seigneur vous voyait quelque empressement pour ces vertus, il vous les accorderait sans délai, et il ne serait pas nécessaire de demander le reste. On ne demande pas assez Vous voyez donc que, pour ne demander pas assez, nous ne recevons rien, parce que Dieu ne saurait nous accorder peu, ne saurait borner sa libéralité à de petits objets, sans nous nuire à nous-mêmes. Je vous prie dobserver que je ne dis pas quon ne puisse, sans offenser Dieu, demander des prospérités temporelles, demander dêtre délivré des croix sous lesquelles on gémit; je sais que pour rectifier les prières par lesquelles on sollicite ces sortes de grâces, il suffit de les demander à condition quelles ne seront contraires ni à la gloire de Dieu, ni à notre propre salut; mais comme il est difficile quil soit glorieux à Dieu de vous exaucer ou utile pour vous dêtre exaucé, si vous naspirez pas à de plus grands dons, je dis que, tandis que vous vous contentez de peu, vous courez le risque de ne rien obtenir. Voulez-vous que je vous donne une bonne méthode pour demander le bonheur même temporel, méthode capable de forcer Dieu à vous exaucer? Dites-lui de tout votre cur: Mon Dieu, ou donnez-moi tant de richesses que mon cur en soit satisfait ou inspirez-men un mépris si grand, que je ne les désire plus; ou délivrez-moi de la pauvreté ou rendez-la-moi si aimable que je la préfère à tous les trésors de la terre; ou faites cesser ces douleurs ou, ce qui vous serait encore plus glorieux, faites quelles se changent en délices pour moi, et que loin de maffliger et de troubler la paix de mon âme, elles deviennent à mon égard la source de la joie la plus douce. Vous pouvez me décharger de la croix; vous pouvez me la laisser, sans que jen sente le poids. Vous pouvez éteindre le feu qui me brûle: vous pouvez, sans léteindre, faire quau lieu de me brûler il me serve de rafraîchissements, comme il a servi aux jeunes Hébreux dans la fournaise de Babylone. Je vous demande lun ou lautre. Quimporte de quelle manière je sois heureux? Si je le suis par la possession des biens terrestres, je vous en rendrai dimmortelles actions de grâces; si je le suis par la privation de ces mêmes biens, ce sera un prodige qui donnera encore plus de gloire à votre nom, et je nen serai que plus reconnaissant. Voilà une prière digne dêtre offerte à Dieu par un véritable chrétien. Lorsque vous prierez de la sorte, savez-vous quel sera leffet de vos vux? Premièrement, vous serez content, quoi quil arrive; et que désirent autre chose ceux qui sont les plus affamés des biens temporels, si ce nest dêtre contents? En second lieu, non seulement vous obtiendrez infailliblement lune des deux choses que vous aurez demandées, mais, pour lordinaire, vous les obtiendrez toutes deux. Dieu vous accordera la jouissance des richesses; et afin que vous les possédiez sans attachement et sans danger, il vous en inspirera en même temps un mépris salutaire. Il mettra fin à vos douleurs, et, de plus, il vous en laissera une soif ardente, qui vous donnera tout le mérite de la patience, sans que vous souffriez. En un mot, il vous rendra heureux dès cette vie, et de peur que votre bonheur ne vous corrompe, il vous en fera connaître et sentir la vanité. Peut-on rien désirer de plus avantageux? Rien, sans doute. Mais comme un avantage si précieux est bien digne dêtre demandé, souvenez-vous quil mérite encore dêtre demandé avec insistance. Car la raison pour laquelle on obtient si peu, ce nest pas seulement parce quon demande peu, cest encore parce que, soit que lon demande peu, soit que lon demande beaucoup, on ne demande pas assez. Persévérance dans la prière Voulez-vous que toutes vos prières soient infailliblement efficaces? Voulez-vous forcer Dieu à satisfaire tous vos désirs? Je dis dabord quil ne faut jamais se lasser de prier. Ceux qui se relâchent, après avoir prié quelque temps, manquent ou dhumilité ou de confiance; et ainsi ils ne méritent pas quon les exauce. Il semble que vous prétendiez quon obéisse sur lheure à votre prière, comme si cétait un commandement; ne savez-vous pas que Dieu résiste aux superbes, et quil na de complaisance que pour les humbles? Quoi? votre orgueil ne saurait-il souffrir quon vous fasse revenir plus dune fois pour la même chose? Cest avoir bien peu de confiance en la bonté de Dieu, que den désespérer si tôt, que de prendre les moindres délais pour des refus absolus. Quand on a véritablement conçu jusquoù sétend la bonté de Dieu, on ne se croit jamais rebuté, on ne saurait croire quil veuille nous ôter toute espérance. Pour moi, javoue que plus je vois que Dieu me fait demander une même grâce, plus je sens croître en moi lespérance de lobtenir; je ne crois jamais que ma prière est rejetée, que quand je maperçois que jai cessé de prier; lorsque, après un an de sollicitations, je me trouve autant de ferveur que jen avais en commençant, je ne doute plus de laccomplissement de mes désirs; et bien loin de perdre courage après tant de délais, je crois avoir lieu de me réjouir, parce que je suis persuadé que je serai dautant plus pleinement satisfait quon maura laissé prier plus longtemps. Si mes premières instances avaient été entièrement inutiles, je naurais pas si souvent réitéré les mêmes vux, mon espérance ne se serait pas soutenue; puisque mon assiduité na pas cessé, cest une raison pour moi de croire que jen serai payé libéralement. En effet, la conversion dAugustin ne fut accordée à sainte Monique quaprès seize ans de larmes; mais aussi ce fut une conversion entière, une conversion incomparablement plus parfaite quelle ne lavait demandée. Tous ses désirs se terminaient à voir lincontinence de ce jeune homme réduite dans les bornes du mariage, et elle eut le plaisir de lui voir embrasser les conseils les plus élevés de la chasteté évangélique. Elle avait seulement souhaité quil fût baptisé, quil fût chrétien, et elle le vit élevé au sacerdoce, à la dignité dévêque. Enfin, elle ne demandait à Dieu que de le voir sortir de lhérésie, et Dieu en fit la colonne de son Église et le fléau des hérétiques de son temps. Si, après un ou deux ans de prières, cette pieuse mère se fut rebutée; si, après dix ou douze ans, voyant que le mal croissait tous les jours, que ce malheureux fils sengageait encore en de nouvelles erreurs, en de nouvelles débauches, quà limpureté il avait ajouté lavarice et lambition; si alors elle eût tout abandonné par désespoir, quelle aurait été son illusion! Quel tort naurait-elle pas fait à son fils? De quelle consolation ne se serait-elle pas privée elle-même! De quel trésor naurait-elle pas frustré son siècle et tous les siècles à venir! Une confiance obstinée En finissant, je madresse à ces personnes, que je vois courbées au pied des autels, pour obtenir ces précieuses grâces que Dieu a tant de complaisance de nous voir demander. Âmes heureuses à qui Dieu fait connaître la vanité des choses mondaines, âmes qui gémissez sous le joug de vos passions, et qui priez afin den être délivrées, âmes ferventes qui êtes tout enflammées du désir daimer Dieu et de le servir comme les Saints lont servi, et vous qui sollicitez pour la conversion de ce mari, de cette personne qui vous est si chère, ne vous lassez point de demander, soyez constants, soyez infatigables dans vos poursuites; si on vous refuse aujourdhui, demain vous obtiendrez tout; si vous nemportez rien cette année, lannée prochaine vous sera plus favorable; ne pensez pas cependant que votre peine soit perdue: on vous tient compte de tous vos soupirs, vous recevrez à proportion du temps que vous aurez employé à demander; on vous amasse un trésor qui comblera tout dun coup, qui surpassera tous vos désirs. Il faut jusquau bout vous découvrir les ressorts secrets de la Providence: le refus que vous essuyez maintenant nest quune feinte dont Dieu se sert pour enflammer davantage votre ferveur. Voyez comme il en use envers la Chananéenne, comme il refuse de la voir et de lentendre, comme il la traite détrangère, et plus durement encore. Ne diriez-vous pas que limportunité de cette femme lirrite de plus en plus? Cependant, en lui-même, il ladmire, il est charmé de sa confiance et de son humilité; et cest pour cela quil la rebute. Ô clémence déguisée, qui prends le masque de la cruauté, avec quelle tendresse rejettes-tu ceux que tu veux le plus exaucer! Gardez-vous de vous y laisser surprendre; au contraire, pressez dautant plus quon semblera vous rebuter davantage. Faites comme la Chananéenne, servez-vous contre Dieu même des raisons quil peut avoir de vous refuser. Il est vrai que me favoriser devez-vous dire ce serait donner aux chiens le pain des enfants; je ne mérite pas la grâce que je demande, mais aussi nest-ce pas à mes mérites que je prétends quon laccorde, cest aux mérites de mon aimable Rédempteur. Oui, Seigneur, vous devez craindre que vous nayez plus dégard à mon indignité quà votre promesse, et quen voulant me faire justice, vous ne vous fassiez tort à vous-même. Si jétais plus digne de vos bienfaits, il vous serait moins glorieux de men faire part. Il nest pas juste de faire des faveurs à un ingrat; hé! Seigneur, ce nest pas votre justice, cest votre miséricorde que jimplore. Soutenez votre courage, âme heureuse, qui avez si bien commencé à lutter avec Dieu, ne lui donnez point de relâche; il aime la violence que vous lui faites, il veut être vaincu. Signalez-vous par votre importunité, faites voir en vous un miracle de constance, forcez Dieu à quitter le déguisement et à vous dire avec admiration: Magna est fides tua, fiat tibi sicut vis. Ô homme, que votre foi est grande; javoue que je ne puis plus vous résister: allez, vous aurez ce que vous désirez, et pour cette vie et pour lautre. Exercice particulier de conformité à la divine Providence La pratique de ce pieux exercice est dune grande importance, à cause des avantages précieux quen retirent toujours les personnes qui veulent bien sy appliquer. 1) Acte de Foi, dEspérance et de Charité I. On produit dabord un acte de foi en la Providence divine. On tâche de bien se pénétrer de cette vérité, que Dieu prend un soin continuel et très attentif, non seulement de toutes choses en général, mais encore de chacune en particulier, de nous surtout, de notre âme, de notre corps, de tout ce qui nous intéresse, que sa sollicitude, à laquelle rien néchappe, sétend à notre réputation, à nos travaux, à nos besoins de toute nature, à notre santé comme à nos maladies, à notre vie comme à notre mort et jusquau moindre de nos cheveux, qui ne peut tomber sans sa permission. II. Après lacte de foi, on fait un acte despérance. On sexcite alors à une ferme confiance que cette Providence divine pourvoira à tout ce qui nous concerne, quelle nous dirigera, nous défendra avec une vigilance et une affection plus que paternelles, et nous gouvernera de telle sorte que, quoi quil arrive, si nous nous soumettons à sa conduite, tout nous sera favorable et tournera à notre bien, même les choses qui y sembleraient le plus contraires. III. Il faut ajouter à ces deux actes celui de charité. On témoigne à la divine Providence lattachement le plus vif, lamour le plus tendre, comme un enfant le témoigne à sa bonne mère en se réfugiant dans ses bras; on proteste dune estime absolue pour tous ses desseins, quelque impénétrables quils soient, sachant bien quils sont les fruits dune sagesse infinie qui ne peut se tromper et dune souveraine bonté qui ne peut vouloir que la perfection de ses créatures; on fait en sorte que cette estime soit assez pratique pour nous disposer à parler volontiers de la Providence et même à prendre hautement sa défense contre ceux qui se permettraient de la nier ou de la critiquer. 2) Acte de filial abandon à la Providence Après avoir plusieurs fois renouvelé ces actes et sen être bien pénétrée, lâme sabandonne à la divine Providence, elle se repose et sendort doucement entre ses bras, comme un enfant entre les bras de sa mère. Elle fait siennes alors ces paroles de David: Je dormirai et me reposerai en paix, parce que cest vous, Seigneur, qui avez affermé mon espérance en votre Providence. Ou bien elle dira avec le même prophète: Le Seigneur me régit et rien ne me fera défaut; il ma placé lui-même au milieu de ses pâturages, il ma conduit près dune eau pure et fortifiante pour mon âme; il ma fait entrer dans les sentiers de la justice pour la gloire de son nom et pour ma perfection. Ô mon Seigneur! guidé par votre main et couvert de votre protection, je marcherai au milieu des ombres de la mort, au milieu de mes ennemis et je ne craindrai aucun mal, parce que vous êtes avec moi. Vous mavez préparé une nourriture contre ceux qui me persécutent; votre miséricorde maccompagnera tous les jours de ma vie, afin que jhabite dans la maison du Seigneur, pendant la durée des jours éternels. Pleine de lallégresse que lui inspirent daussi suaves paroles, lâme, dans cette heureuse disposition, reçoit avec respect des mains de la Providence divine, tous les événements présents et elle attend tous ceux qui doivent survenir, avec une douce tranquillité desprit, avec une paix délicieuse. Elle vit comme un enfant, à labri de toute inquiétude. Ce nest pas, toutefois, quelle demeure dans une attente oisive des choses dont elle a besoin et quelle néglige de sappliquer aux affaires qui se présentent. Au contraire, elle fait, de son côté, tout ce qui dépend delle pour les mener à bien, elle y emploie toutes ses facultés; mais elle ne sadonne à de tels soins que sous la direction de Dieu, elle ne regarde sa propre prévoyance que comme entièrement soumise à celle de Dieu et elle lui abandonne la libre disposition de tout, nattendant dautre succès que celui qui est dans les desseins de la volonté divine. 3) Utilité de cet exercice Oh! que lâme ainsi disposée rend dhonneur et de gloire à Dieu! Cest, en effet, une très grande gloire pour lui, que davoir une créature si attachée à sa Providence, si dépendante de sa conduite, pleine dune si ferme espérance et jouissant dun si profond repos desprit dans lattente de ce quil voudra bien lui envoyer. Aussi quel soin Dieu ne prend-il pas dune telle âme! Il veille sur les plus petites choses qui lintéressent: il inspire, aux hommes établis pour la gouverner, tout ce qui est nécessaire pour la bien conduire; et si par quelque motif que ce fût ces hommes voulaient agir envers elle dune manière qui lui fût nuisible, il ferait naître, par des voies secrètes et inopinées, des obstacles à leurs desseins et il les forcerait dadopter ce qui serait le plus avantageux à cette âme chérie. Cest ainsi que le Seigneur garde tous ceux qui laiment. Si lÉcriture donne des yeux à ce Dieu de bonté, cest pour veiller sur eux; si elle lui donne des oreilles, cest pour les écouter; si elle lui donne des mains, cest pour les défendre. Et celui qui les touche le touche à la prunelle de loeil. Je vous porterai dans mes bras, dit le Seigneur par la bouche du prophète Isaïe, je vous presserai contre mon sein, je vous caresserai sur mes genoux; comme une mère caresse son petit enfant, ainsi je vous consolerai. Dans Osée: Et jétais comme un père nourricier pour Ephraïm; je les portais entre mes bras. Moïse avait dit longtemps auparavant: Dans le désert, le Seigneur votre Dieu vous a portés comme un père a coutume de porter son petit enfant, par tous les chemins que vous avez suivis. Dieu dit encore dans Isaïe: Vous serez nourris de la mamelle des rois, vous recevrez une nourriture délicieuse et divine, et vous apprendrez, par une douce expérience, avec quelle sollicitude moi, le Seigneur, je veille à votre salut. Oh lheureuse situation pour mon âme! On trouve, dans la personne de Noé, une image sensible du bonheur que goûte celui qui sabandonne entièrement à Dieu. Pendant que des pluies épouvantables tombaient du ciel et au milieu du bouleversement général des éléments et de toute la nature, Noé était en repos et en paix dans larche avec les lions, les ours, parce que Dieu le conduisait. Les autres, au contraire, étaient dans la plus étrange confusion de corps et desprit, perdaient leurs biens, leurs femmes, leurs enfants et se perdaient eux-mêmes, engloutis impitoyablement dans les flots. Ainsi lâme qui sabandonne à la Providence, qui lui laisse le gouvernail de sa barque, vogue avec tranquillité sur locéan de cette vie, au milieu des orages du ciel et de la terre, tandis que ceux qui veulent se gouverner eux-mêmes et que le Sage appelle des âmes indisciplinées, fugitives et rebelles à la Providence sont dans de continuelles agitations et, nayant pour pilote que leur volonté inconstante et aveugle, finissent, après avoir été longtemps le jouet des vents et des tempêtes, par un funeste naufrage. Abandonnons-nous donc absolument à la Providence divine, laissons-lui tout pouvoir de disposer de nous; conduisons-nous comme ses véritables enfants, suivons-la avec amour comme notre mère; confions-nous à elle dans toutes nos nécessités, attendons sans inquiétude quelle y apporte les remèdes de sa charité. Enfin, laissons-la faire et elle nous pourvoira de tout, au temps, au lieu et de la manière convenables; elle nous conduira par des voies admirables au repos de lesprit et à la béatitude dont nous sommes appelés à jouir dès cette vie même, comme dun avant-goût de léternelle félicité qui nous est promise. APPENDICE Exemple de conformité à la volonté de Dieu, proposée par saint François de Sales «Je veux vous présenter un soleil auprès de tout cela (les exemples quil vient de citer), un vrai esprit franc et libre de tout engagement, et qui ne tient quà la volonté de Dieu. Jai pensé souvent quelle était la plus grande mortification de tous les Saints de la vie desquels jai eu connaissance; et, après plusieurs considérations, jai trouvé celle-ci: Saint Jean-Baptiste alla au désert à lâge de cinq ans et savait que notre Sauveur, et le sien, était né tout proche de lui, cest-à-dire une journée, ou deux ou trois, comme cela. Dieu sait si le cur de saint Jean, touché de lamour de son Sauveur dès le sein de sa mère, eût désiré de jouir de sa sainte présence. Il passe néanmoins vingt-cinq ans là au désert, sans venir une seule fois voir Notre-Seigneur, et sortant sarrête à catéchiser, sans venir à Notre-Seigneur, et attend quil vienne à lui; après cela, layant baptisé, il ne le suit pas, mais demeure à faire son office. Ô Dieu! quelle mortification desprit! Être si près de son Sauveur, et ne le voir point! lavoir si proche, et nen jouir point! Et quest-ce cela, sinon avoir son esprit désengagé de tout, et de Dieu même, pour faire la volonté de Dieu et le servir? Laisser Dieu pour Dieu, et naimer pas Dieu pour laimer tant mieux et plus purement. Cet exemple étouffe mon esprit de sa grandeur». Quelques pensées du général de Sonis (1825-1887) «Je mets toujours le cap de mon navire vers le bon Dieu. Quels que soient les vents qui soufflent, quils soient favorables ou contraires, je maintiens ma direction: car, après tout, cest à ce port-là que je veux aborder». «Je tends toujours mon dos aux coups du sort, dont la main est, quoi que je fasse le diable, tenue en respect par la toute-puissante Providence». «Soumettons-nous à la sainte volonté de Dieu. Être chrétien nest que cela, et si je devais résumer en deux mots notre divin symbole, je ne sache pas quil y en ait de plus vrais que ceux-ci: Amour et Résignation. Là est tout le christianisme». «On nous dit ordinairement de supporter nos peines, parce quune grande joie nous en récompensera dans le ciel. Mais déjà sur cette terre, combien ces peines deviennent légères pour le vrai chrétien, qui aime Jésus-Christ et porte sa croix avec lui! Il ny a vraiment que nous qui sachions ce quest le bonheur; le monde ne le connaît pas. Nous sommes au Calvaire, et déjà nous triomphons dans le Ciel». «Que Dieu soit mille fois béni dans la douleur comme dans la joie! Il faut savoir porter avec résignation sa couronne dépines et ouvrir son coeur aux blessures qui font couler les larmes que saint Augustin appelle le sang de notre cur. Il faut aussi porter sa croix et se traîner dans ce chemin rocailleux de la vie, à la suite de ce divin Maître, quil faut suivre jusquau bout, sous peine de mourir de mort». «Quil fait bon de se mettre, comme lenfant, entre les mains de Dieu, et de lui dire: Fiat». «Plaise à Dieu que cette série dépreuves que je considère comme une bénédiction de Notre-Seigneur, qui veut bien me permettre de porter un petit bout de sa croix, tourne à mon profit et à ma sanctification
Sil plaît à Notre-Seigneur de ne pas me rendre la santé, cest sans doute que cela convient mieux, et il faut toujours le remercier de tout, de la peine comme de la joie; lessentiel, cest que lâme se porte bien, et cest à quoi il faut aviser de mieux en mieux tous les jours». «Il en sera ce que Dieu voudra. Lui seul sait ce qui convient, et rien nest bon comme sa volonté adorable». «Que la sainte volonté de Dieu se fasse donc partout et toujours, dans la joie comme dans la peine, dans la santé comme dans la maladie. Cest là le fondement de toute vie chrétienne». Extrait de lImitation de Jésus-Christ Jésus-Christ. Mon fils, laissez-moi disposer de vous selon ma volonté; je sais ce qui vous convient. Pour vous, vous pensez en homme, et vous jugez, en beaucoup de choses, daprès les inclinations de la nature. Le Fidèle. Seigneur, ce que vous dites est vrai. Vous avez infiniment plus de soin de moi, que je ne puis en avoir moi-même. Celui-là est bien en danger qui ne se repose pas du tout sur vous. Pourvu, Seigneur, que ma volonté demeure droite et ferme en vous, faites de moi ce quil vous plaira; car tout ce que vous ferez de moi ne peut être que bon. Si vous voulez que je sois dans les ténèbres, soyez-en béni; et si vous voulez que je sois dans la lumière, soyez-en de nouveau béni. Si vous daignez me consoler, soyez-en béni; et si vous me voulez dans la tribulation, soyez-en toujours également béni. Jésus-Christ. Mon fils, cest ainsi quil faut vous comporter, si vous désirez marcher avec moi. Vous devez être aussi prompt à accepter la souffrance que la joie. Vous devez vous estimer aussi heureux dêtre pauvre et dans le besoin, que riche et dans labondance. Le Fidèle. Seigneur, je souffrirai de grand cur, pour lamour de vous, tout ce qui marrivera par votre volonté. Je veux recevoir indifféremment de votre main le bon et le mauvais, le doux et lamer, la joie et la tristesse, et vous rendre pour tout des actions de grâces. Préservez-moi seulement de tout péché, et je ne craindrai ni la mort, ni lenfer. Pourvu que vous ne me rejetiez pas à jamais, et que vous ne meffaciez pas du livre de vie, tout ce qui peut marriver de tribulation ne saurait me nuire. Accordez-moi votre grâce, ô très doux Jésus! quelle soit avec moi, quelle agisse avec moi, et quelle demeure avec moi jusquà la fin. Faites que toujours je désire et veuille ce qui vous est le plus agréable, et vous plaît davantage. Que votre volonté soit la mienne, et que ma volonté suive constamment la vôtre dans une conformité parfaite. Puissé-je vouloir et ne vouloir pas avec vous, voulant, ou ne voulant pas, ce que vous voulez, ou ne voulez pas. Donnez-moi de mourir à tout ce qui est du monde, et daimer pour vous à être méprisé et inconnu dans cette vie. Faites que je me repose en vous par-dessus tout ce quon peut désirer, et quen vous mon cur trouve la paix. Vous êtes la véritable paix du cur, son unique repos; hors de vous tout fatigue et inquiète. Dans cette paix-là, cest-à-dire en vous seul éternel et souverain bien, je mendormirai et me reposerai. Amen. Acte de conformité à la volonté de Dieu Que la très juste, la très haute et très aimable volonté de Dieu soit faite, louée et éternellement exaltée en toutes choses. |