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TROISIÈME SUPPLÉMENT. (3)

 

VINGT-SEPTIÈME SERMON. SUR LE JUGEMENT DERNIER.

VINGT -HUITIÈME SERMON. SUR LES TRIBULATIONS ET LES MISÈRES DE CE MONDE.

VINGT-NEUVIÈME SERMON. SUR LA PÉNITENCE QUE TOUT CHRÉTIEN DOIT PRATIQUER, S'IL VEUT GUÉRIR SON AME DES PÉCHÉS QU'IL A COMMIS APRÈS LE BAPTÊME.

TRENTIÈME SERMON. SUR LA CONFESSION.

TRENTE ET UNIÈME SERMON. SUR LA RÉCONCILIATION DES PÉCHEURS. I.

TRENTE-DEUXIÈME SERMON. POUR LA RÉCONCILIATION DES PÉCHEURS.

TRENTE-TROISIÈME SERMON. POUR LA RÉCONCILIATION DES PÉCHEURS. III.

TRENTE-QUATRIÈME SERMON. PRIÈRE AU SAINT-ESPRIT.

TRENTE-CINQUIÈME SERMON. OU PREMIER TRAITÉ DU COMBAT SPIRITUEL.

TRENTE-SIXIÈME SERMON. OU DEUXIÈME TRAITÉ DE LA LUTTE CONTRE LES VICES.

TROISIÈME TRAITÉ. SUR LES SEPT DEMANDES DU NOTRE PÈRE.

 

 

VINGT-SIXIÈME SERMON. EXPOSITION DE FOI.

 

ANALYSE. — 1. Le Fils est un seul Dieu avec le Père. — 2. Divinité du Saint-Esprit. — 3. Ces trois personnes ne son qu'un seul Dieu.

 

1. La foi en la substance unique de la Trinité, c'est-à-dire du Père, du Fils et du Saint-Esprit, est d'avant tous les temps : elle dépasse tous nos sens ; les paroles ne peuvent l'expliquer ; nul esprit ne saurait la comprendre. Une seule puissance, un seul Dieu, et trois noms. Le Verbe naît de la Vierge Marie ; il se revêt d'un corps matériel, mais il reste la pensée sublime de Dieu. Cette parole divine ne s'est pas assimilée à la chair, mais elle s'y est enfermée, elle lui est demeurée supérieure : c'était la parole impassible du Très-Haut, et, néanmoins, elle a souffert et subi les coups de la mort, pour communiquer la vie à sa créature, que sa désobéissance avait précipitée dans l'abîme.

O homme ! chercherais-tu à comprendre la Divinité ? Te blâmerais-je pour cela ? Si tu crois, tu fais bien ; mais si tu dis : Comment Dieu est-il Père? tu tombes dans les ténèbres. Si tu dis : Comment Dieu est-il Fils ? la lumière t'abandonne encore ; car: « Nul ne connaît le Père, si ce n'est le Fils, et nul ne connaît le Fils, si ce n'est le Père (1) ». Supposer trois puissances , c'est confesser trois Dieux; pour nous, nous croyons trois personnes , mais une seule puissance, une seule divinité. En nommant le Père, tu glorifies le Fils, et en prononçant le nom du Fils, tu adores le Père. Si, de la Trinité nous ne faisons qu'une seule personne, nous

 

1. Matth, XI, 27.

 

 

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judaïsons, parce que les Juifs ne reconnaissent qu'une seule personne et confessent un seul Dieu. A reconnaître trois Dieux-, nous ressemblerions aux Gentils. Mais il n'en est pas ainsi ; nous confessons que le Père est dans le Fils, et que le Fils est dans le Père, avec le Saint-Esprit ;'nous ne divisons ni ne partageons la nature divine, Dieu de Dieu, puissance de puissance, lumière de lumière, vérité de vérité. Pour le constater, pas de témoins : ni le ciel, ni la terre, ni la mer, ni la lumière, ni les ténèbres, ni les anges, ni les chérubins, ni les séraphins ; car : « Au  commencement le Fils était dans le Père (1) » . Personne ne connaît celui qui ne peut naître, si ce n'est celui qui est né, parce qu'il sait de qui il est né ; de même celui-là seul, qui a engendré, connaît celui qui peut naître; aussi le Père connaît-il le Fils, puisqu'il l'a engendré. L'engendré est pareil à son auteur; c'est le conseil et la sagesse du Père ; c'est, avec lui, une seule puissance, une même divinité. Tu cherches à comprendre la génération du Fils de Dieu? Depuis peu il a pris une origine particulière dans le sein de la Vierge Marie ; mais, quant à sa génération divine, on ne peut dire que ceci : « Dès le commencement il est dans le Père ». Je confesse un seul Dieu innascible, et je reconnais un seul Dieu né. Je proclame que le Père tout-puissant est sans commencement et sans fin, qu'il contient toute chose et n'est contenu en rien, qu'il gouverne tout et n'est gouverné par quoi que ce soit, qui voit tout et n'est vu de personne. J'avoue aussi que Jésus-Christ, Fils de Dieu, possède toute la sagesse et la puissance de Dieu, son Père. Autant le Père a de puissance, « autant en possède » le Fils. L'engendre n'est pas moindre que celui qui ne peut naître ; il n'a été ni fait ni créé.

2. Si je disais que l'Esprit est né, je déclarerais que le même Père a deux Fils, au lieu de dire qu'il a un Fils unique et qu'un seul Fils a été engendré par un seul Père. Il n'y a qu'un seul Père, et il a fait toutes choses, comme il n'y a qu'un seul Jésus-Christ, par qui toutes choses ont été faites. Si je dis que le Fils n'est pas né, je reconnais dès lors que le Père Tout. Puissant n'est pas seul innascible, et je confesse deux Tout-Puissants ; et si, d'un autre côté, j'avoue qu'il a été fait, je parle à la manière des Gentils, car ils adorent les oeuvres de

 

1. Jean, I, 2.

 

l'homme et n'adorent pas le Créateur du ciel et de la terre. Comment donc m'exprimer à son égard? Dirai-je que c'est un fantôme? Que Dieu m'en garde, car le Christ ne pardonnera jamais le blasphème. Supposez que deux morceaux de bois, liés ensemble, soient jetés dans une fournaise ardente, un seul jet de flammes s'échappe de tous les deux à la fois; ainsi, du Père et du Fils procède l'Esprit-Saint, et il possède, comme eux, la puissance et la divinité.

3. Le bienheureux apôtre Paul a parfaitement défini notre croyance: « Un Dieu », dit-il, « médiateur entre Dieu et les hommes (1) ». Ce n'est pas en tant que Dieu de Dieu, qu'il est devenu médiateur; car il n'y a qu'un seul Dieu même jusque dans la Trinité: mais la vertu du Père s'étant incarnée dans le sein de la Vierge Marie, et revêtue du vieil homme qui était tombé par sa désobéissance, elle est devenue la médiatrice de l'humanité. Comme l'attestent les Evangiles, lorsque le Sauveur eut conduit ses Apôtres sur le Thabor, il leur manifesta la puissance de sa divinité, et voilà qu'une nuée lumineuse le couvrit (2). Cette nuée indiquait que la Vertu du Père se trouvait en lui. Il en est dont la doctrine est insensée; comment expliquent-ils trois personnes en une seule substance? Par trois personnes, ils en. tendent trois puissances. Pour nous, nous disons qu'il y a trois personnes en une seule et même puissance, trois noms et un seul Dieu, trois paroles exprimant le même sens, c'est-à-dire, le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Ceux-là partagent et divisent encore la puissance et la divinité de la Trinité sainte; c'est, disent-ils, comme un empereur, un préfet et un comte. Non, et loin de vous enseigner une pareille doctrine ou cette exposition de foi, je l'anathématise; car il est écrit dans nos livres sacrés: « Les perfections invisibles de Dieu sont devenues visibles par la création de ce monde (3) ». Pour faire un empereur de la terre, il faut trois choses, mais la puissance impériale est une. Si l'empereur ôte son diadème de dessus sa tête, il est un César, mais n'est plus un empereur dans toute l'acception du mot; voilà pourquoi ceux qui blasphèment le Saint-Esprit ne sont pas chrétiens. Si l'empereur se dépouille de la pourpre, ce n'est plus qu'un homme: ainsi font les Juifs, en n'adorant qu'une seule personne.

 

1. I Tim. II, 5.— 2. Matth. XVII, 5.— 3. Rom. I, 10.

 

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Quant à nous, nous comparons le Maître du ciel à l'empereur de la terre: celui-ci est un homme dans la pourpre, et la pourpre se trouve en lui; mais la couronne placée sur sa tête, entraîne de droit pour lui la faculté de porter la pourpre, et signifie qu'en lui la puissance impériale est une. Ainsi en est-il de la Trinité: le Père est dans le Fils, et le Fils est dans le Père; pour le Saint-Esprit, il est le trait d'union entre l'un et l'autre : c'est la puissance et l'unité de la Trinité.

 

VINGT-SEPTIÈME SERMON. SUR LE JUGEMENT DERNIER.

 

ANALYSE. — 1. Les bons récompensés. — 2. Les méchants condamnés. — 3. Conclusion.

 

1. « Quand le Fils de l'homme viendra dans sa majesté, il s'assoiera sur le trône de sa gloire, et toutes les nations seront assemblées devant lui, et il séparera les uns d'avec les autres, comme le berger sépare les brebis a d'avec les boucs, et il mettra les brebis à sa droite, et les boucs à sa gauche. Alors, il dira à ceux qui seront à sa droite: Venez, ô bénis de mon Père, possédez le royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde (1)» ; où se trouve la lumière inextinguible, où l'on goûte éternellement le bonheur, où l'on puise la vie sans fin de l'immortalité, où l'on partage à toujours la joie des anges et des Apôtres, où habite la lumière de la lumière et la source de la lumière, où l'on voit la cité des saints, la Jérusalem céleste, où les martyrs et les patriarches sont réunis avec Abraham, Isaac, Jacob et tous les élus, où les joies ne sont point suivies de douleur et de tristesse, où l'on ne verra ni les ombres de la nuit, ni la caducité de la vieillesse, où chacun éprouvera un insatiable amour et une paix particulière, où l'on aura pour témoins les esprits bienheureux et toutes les puissances, où Dieu nous donnera la manne, c'est-à-dire, des aliments célestes, et nous rendra participants de la vie des anges, où, enfin, car je voudrais tout dire d'un seul mot, l'on ne ressentira ni mal , ni douleur , et où nous jouirons de tous les biens. A ces paroles du

 

1. Matth. XXV, 31-34.

 

Sauveur, les justes demanderont : Seigneur, pourquoi nous avez-vous préparé une si grande gloire, une gloire si parfaite? Et le Christ leur dira : Voici pourquoi : Vous avez eu la miséricorde et la foi, la charité et la patience, la longanimité, la douceur et la justice, la continence et l'humilité; vous vous êtes montrés hospitaliers, affables et joyeux pour les pèlerins et les étrangers, amis de la justice et de la vertu; les maux du prochain vous ont attristés, comme son bonheur vous a réjouis; vous avez ressenti de la joie à voir ceux à qui n'échappait pas même une parole inutile ; la crainte de Dieu vous a saisis à la vue de ceux mêmes qui ne transgressent point leurs obligations et n'oublient ni un iota, ni un point de la loi du Seigneur; vous n'avez reçu aucun présent pour opprimer les innocents et dire le mensonge au lieu de la vérité; de votre cœur et de votre corps vous avez retranché le vice, vous avez considéré comme rien ce bas monde; vous avez renoncé non-seulement au diable et à ses oeuvres, au monde et à ses pompes, mais encore à vous-mêmes, et vous avez pris sur vous la croix de Jésus-Christ, pour le suivre fidèlement. — Seigneur, reprendront les justes, quand avez-vous remarqué en nous tout ce bien ? Quand avons-nous fait aux autres ce qu'il vous appartient de leur faire? Et il leur dira: « En vérité, je vous le dis : ce que vous avez fait pour l'un des moindres de mes frères, vous (568) l'avez fait pour moi (1) », et en ma présence. Et ce que vous avez fait en secret, je vous le rendrai en public.

2. Alors le Roi dira à ceux qui seront à sa gauche : « Allez, maudits, au feu éternel, que mon Père a préparé pour le diable et pour ses anges (2) », « où il y aura des pleurs et des grincements de dents (3) », où l'on n'a des yeux que pour pleurer, où l'on désire la mort sans la recevoir, « où lever qui ronge ne meurt point, et le feu qui brûle ne s'éteint jamais (4) » ; où rien ne se prépare que des supplices, où nul maître n'est obéi de son serviteur, où le vieillard n'est pas respecté, où les jeunes gens manquent d'emploi, où il n'y a ni joie ni allégresse pour succéder au chagrin, où le travail ne se trouve point remplacé par les honneurs ou le repos; là, des ténèbres éternelles et des tourments horribles, l'ardeur de la soif et une terre d'oubli, la violence des flammes et la douleur causée par les vers; on n'y voit rien que des supplices, on n'y entend rien que des gémissements; on n'y éprouve aucune consolation, on n'y rencontre que l'enfer et les abîmes de la géhenne, dont le Prophète a dit : « Dans l'enfer, qui est-ce qui chantera vos louanges (5)? » c'est-à-dire personne. En ce lieu d'horreur, qui est-ce qui pourra chanter des cantiques au Seigneur? Ceux qui s'y trouvent renfermés n'ont plus le pouvoir de rien faire. Il y aura là des tortures de genres différents: là se trouvent « le dragon que Dieu a formé pour se jouer de lui (6) »

 

1. Matth. XXXV, 40. — 2. Ibid. 41. — 3. Id. VIII, 12. — 4. Marc, IX, 43. — 5. Ps. VI, 6. — 6. Id. CIII, 26.

 

Malheur à ceux parmi lesquels se trouve ce dragon dont le Sauveur a triomphé sur la croix, et qu'il a attaché, comme un passereau, à l'instrument de son supplice ! Si, en ce monde, les hommes ne peuvent supporter le joug de sa domination, comment le supporteront ceux qui se trouveront avec lui? Alors ces maudits lui répondront: Seigneur, pourquoi nous avoir préparé de si grandes peines, des tortures si insupportables? Et il leur dira: En voici le motif : c'est à cause de votre méchanceté, de vos ruses, de votre malignité, de votre avarice, de vos fautes, de vos injustices, de vos larcins, de vos mensonges, de vos insultes, de votre cupidité, de vos homicides et adultères, de vos colères, de vos fornications, de votre orgueil, de votre vaine gloire, de votre méchanceté pour le prochain, de cette tristesse qui engendre la mort; c'est parce que vous n'avez pas reçu les pèlerins et que vous vous êtes réjouis du mal qui survenait à vos frères, et attristés de leur bonheur; c'est pour vos blasphèmes et vos murmures, votre paresse et votre gourmandise, votre incontinence de parole et d'action, votre vaine gloire et vos bouffonneries, votre impudicité et votre colère.

3. Pour tous ces méfaits et autres semblables, les pécheurs et les impies iront au feu éternel; mais en raison de toutes leurs bonnes oeuvres que nous avons nominées et que nous avons omises, les justes iront dans la vie éternelle pendant les siècles des siècles (1). Ainsi soit-il.

 

1. Matth. XXV, 46.

 

 

VINGT -HUITIÈME SERMON. SUR LES TRIBULATIONS ET LES MISÈRES DE CE MONDE.

 

ANALYSE. — 1. Notre époque n'est pas plus mauvaise que les précédentes. — 2. on le prouve par des exemples.—  3. et par l'expérience actuelle. — 4. Quels jours peut-on appeler bons?

 

1. Toutes les fois que nous éprouvons quelque tribulation ou quelque misère, nous. devons y voir un avertissement et une correction. Nos saints Livres eux-mêmes ne nous promettent pas, en effet, la paix, la sécurité et le repas : ils nous annoncent, au contraire, (569) des tribulations, des misères et des scandales. L'Evangile ne s'en tait pas: « Mais », dit-il, « celui qui persévérera jusqu'à la fin sera sauvé (1) ». De quel bonheur l'homme a-t-il joui en cette vie, depuis le moment où notre premier père nous a mérité la mort et a reçu la malédiction de Dieu, malédiction dont le Seigneur Christ nous a délivrés? « Mes frères», dit l'Apôtre, « ne murmurez pas, comme quelques uns d'entre eux ont murmuré et ont trouvé la mort dans la morsure des serpents (2)». Aujourd'hui, mes frères, le genre humain est-il soumis à des épreuves inconnues jusqu'à nos jours, et que nos pères n'aient pas subies avant nous ? Ou plutôt, souffrons-nous seulement ce que, au dire de l'histoire, ils ont souffert en leur temps? Et tu rencontres des hommes qui murmurent de l'époque actuelle ! Quand est-ce que nos aïeux ont eu à se louer entièrement de leur existence ? Hé quoi ? Si l'on pouvait faire remonter ces hommes au temps de leurs pères, ils murmureraient encore. Parmi les siècles passés, lequel, à ton avis, a été bon ? Ils t'apparaissent bons, parce que tu n'y as pas vécu. Aujourd'hui, pourtant, tu as échappé à la malédiction, tu crois au Fils de Dieu, tu es imbu et instruit de là doctrine renfermée dans nos saints Livres. Je m'étonne de te voir supposer qu'Adam ait passé une vie paisible : or, tes parents n'ont-ils pas hérité d'Adam? C'est bien à lui que Dieu a adressé ces paroles : « Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front ; tu travailleras la terre d'où tu as été tiré, et elle te produira des ronces et des épines (3)». Il a mérité cette punition, il l'a reçue et ç'a été l'effet du juste jugement de Dieu.

2. Pourquoi donc t'imaginer que les temps anciens ont été meilleurs que le temps présent? Depuis le premier Adam jusqu'à l'Adam d'aujourd'hui, il y a eu travail et sueurs, ronces et épines. Il y a eu le déluge, des moments difficiles, des années de famine et de guerre, les annales de l'histoire en font mention; nous ne devons donc point prendre occasion des jours actuels, pour murmurer contre Dieu. Nos ancêtres ont vu jadis, et il y a de cela bien longtemps, de bien tristes choses: alors se vendait à poids d'or la tête d'un âne mort (4); on achetait à prix d'argent la fiente de pigeons (5) ; on vit même des femmes

 

1. Matth. X, 22.— 2. I Cor. X, 10.— 3. Gen. III, 18, 19.— 4. IV Rois, II, 25. — 5. ibid.

 

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s’engager mutuellement à faire mourir leurs enfants pour les manger': lorsqu'elles furent arrivées à bout du premier, la mère du second ne consentit point à tuer le sien: la cause fut donc portée au tribunal du roi, et celui-ci se reconnut plutôt comme coupable que comme juge. Mais à quoi bon rappeler les guerres et la famine de ce temps-là ? Qu'elles ont été terribles, les calamités d'alors ! A en entendre le récit, à le lire, nous frémissons tous d'horreur. En réalité, n'est-ce point pour nous un motif de remercier Dieu, au lieu de nous plaindre de l'époque où nous vivons ?

3. Quand le genre humain s'est-il trouvé à l'aise? En quel temps n'a-t-on pas vu régner la crainte et la douleur ? Le monde a-t-il jamais joui d'une félicité durable ? De trop vieilles misères n'ont-elles pas toujours été son partage ? Si tu ne possèdes pas, tu brûles d'acquérir ; et si tu possèdes, ne crains-tu point de perdre? et ce qu'il y a en cela de plus malheureux, c'est qu'en dépit de tes désirs et de tes craintes, tu te trouves bien. Tu vas épouser une femme: qu'elle soit mauvaise, elle fera ton supplice; qu'elle soit bonne, tu auras une peur incessante de la voir mourir. Avant de naître, les enfants sont une source de douleurs atroces; ils n'inspirent que des inquiétudes, une fois qu'ils sont nés. Qu'on est heureux à la naissance d'un enfant, et, toutefois, comme on redoute de le voir mourir et de le pleurer ! Où rencontrer une existence à l'abri du malheur ? La terre que nous habitons ne ressemble-t-elle pas à un immense navire? Ne sommes-nous pas, comme des nautonniers, ballottés au gré des flots, sans cesse exposés à perdre la vie, toujours battus par l'orage et la tempête, à chaque instant menacés du naufrage, et soupirant ardemment après le port; car ils ne sentent que trop qu'ils sont des passagers ? Par conséquent, peut-on vraiment appeler bons des jours remplis d'incertitude, qui passent avec la rapidité de l'éclair, dont on peut dire qu'ils ont fini avant de commencer, et qu'ils ne viennent qu'afin de cesser d'être ?

4. Donc, « où est l'homme qui souhaite vivre et désire voir des jours heureux ? (2)» Pour ce bas monde, il n'y a, à vrai dire, ni vie, ni jours heureux. Les seuls jours de bonheur sont ceux de l'éternité. Ce sont des jours,

 

1. IV Rois, VI, 46. — 2. Ps. XXXIII, 13.

 

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et des jours sans fin; le Prophète l'a dit : « J'habiterai pendant toute la durée des jours éternels (1), parce qu'un jour passé dans votre demeure vaut mieux que mille jours (2) ». Oui, un jour sans fin est. préférable à tous les autres. Voilà ce qu'il nous faut désirer: voilà ce qui nous est promis en termes ordinaires et se réalisera d'une manière ineffable. « Où est l'homme qui souhaite vivre ? » On dit tous les jours : Vie et vie; mais pour celle-ci, de quoi s'agit-il ? « Et désire voir des jours a heureux ? » Tous les jours, on parle même d'heureux jours; et, si on les examine de près, il n'y en a plus. Tu as aujourd'hui passé une bonne journée, si tu as rencontré ton ami, et si cet ami consentait à rester avec toi, quelle bonne journée tu passerais ! Après avoir rencontré son ami, l'homme ne se plaint-il pas d'avoir dû le quitter? Voilà comme est bon, pour toi, le jour qui te quitte

 

1. Ps. XXII, 9. — 2. Id. LXXXIII, 10.

 

après t'avoir visité. J'ai passé de bonnes heures : où sont-elles ? Ramène-les-moi. J'ai passé un moment agréable: tu t'en réjouis; plains-toi plutôt de ce qu'il n'est plus. « Quel est l'homme qui souhaite vivre et désire voir des jours heureux? » Et tous de s'écrier Moi ! Mais ce ne sera qu'après cette vie, après les jours présents. Il nous faut donc attendre; mais que nous recommande-t-on de faire pour parvenir à ce que l'avenir seul peut nous procurer ? Que ferai-je dans cette vie telle quelle, pour arriver à la vie et voir des jours heureux? Ce que dit ensuite le Psalmiste: « Préserve ta langue de la calomnie et tes lèvres des discours artificieux ; éloigne-toi du mal et pratique le bien (1) ». Fais ce qui est commandé, et tu recevras ce qui est promis. S'il y a des efforts à t'imposer et que tu aies peur de la peine, que, du moins, l'éclat de la récompense te ranime !

 

1. Ps. XXXIII, 14, 15.

 

 

VINGT-NEUVIÈME SERMON. SUR LA PÉNITENCE QUE TOUT CHRÉTIEN DOIT PRATIQUER, S'IL VEUT GUÉRIR SON AME DES PÉCHÉS QU'IL A COMMIS APRÈS LE BAPTÊME.

 

ANALYSE. — 1 . Plaise à Dieu que   nous ressentions, pour la guérison de nos âmes, une sollicitude pareille à celle que nous ressentons pour la guérison de nos corps. — 2. Les remèdes pour les blessures spirituelles sont la pénitence et la confession.— 3. Conclusion.

 

1. Il serait à désirer, bien-aimés frères, que notre corps jouît d'une santé continuelle, qu'il ne souffrît jamais des atteintes de la, maladie et ne reçût pas de blessures. Si nous consultons les instincts naturels d'un esprit droit, personne d'entre nous ne consentira à se voir mutiler ou. à être cloué sur un lit de douleur. L'Apôtre en a fait la remarque : «Jamais personne n'a haï sa propre chair au contraire, il la nourrit et il en a soin (1) ». Qu'involontairement on souffre d'une maladie, ou qu'on reçoive un coup de flèche, je ne dirai pas dans une partie essentielle du corps,

 

1. Éphés. V, 29,

 

mais seulement à la superficie d'un membre, on emploie aussitôt, et avec un soin qui ne se dément pas, tous les remèdes possibles: on bande la plaie, on fait provision de simples de toute espèce, dont l'application sur le mal peut guérir, et, s'il le faut pour obtenir la cure, on va même à l'étranger chercher ce qui est nécessaire. La dépense est comptée pour rien, et la pauvreté n'entre pas en ligne de compte; les ressources de la vie se consacrent à la maintenir; on regarde comme cause de salut des choses même plus viles que le sel, on n'épargne non plus les soins préservatifs d'aucune sorte pour empêcher le mal de couver (571) en dessous et de s'aggraver, pour préserver le malade de plus cruelles souffrances. Donc, mes frères, vous prenez toutes les précautions possibles, afin de rétablir votre santé corporelle, quand elle se trouve compromise ; et, pourtant, ce corps doit mourir un jour, car sa condition le condamne à tomber plus tard en poussière. Sans doute, nous espérons qu'il ressuscitera, mais, en attendant, il faut qu'il subisse cette sentence : « Tu es terre, et tu retourneras en terre (1) ». De telles paroles montrent à l'homme le peu de valeur de son enveloppe mortelle, puisqu'elles lui apprennent que, s'il a été tiré de la terre, il y rentrera. Pourquoi donc, mes très-chers frères, attacher notre coeur aux choses d'un rang inférieur? Sachez-le bien, le corps est inférieur à l'âme par la dignité ; car l'âme, c'est la maîtresse du corps, les membres sont à son service, elle en dispose, à son gré, pour les usages qui, lui conviennent. Quant à elle, après avoir gouverné cet esclave soumis à ses ordres, elle reste à l'abri de la mort, même quand la mort brise les liens qui l'unissaient au corps. La condition de notre âme est donc infiniment supérieure à celle de notre corps; même dans notre façon ordinaire de parler, nous en rendons témoignage, lorsque nous disons le plus souvent: Pour le salut de notre âme, ne voulez-vous pas faire cela? La raison et l'opinion générale attribuant à l'âme la primauté d'honneur, que ne devons-nous pas faire pour conserver intact et dans toute son intégrité ce que nous a procuré notre première ou notre seconde naissance, c'est-à-dire la grâce sanctifiante ou l'innocente naturelle ? A les garder consiste la beauté de l'âme, l'intégrité de sa forme, sa santé, son élégance : comme, parmi les corps, il n'y a de beaux que ceux sur lesquels on n'aperçoit ni taches, ni cicatrices; ainsi les âmes ne conservent l'éclat e leur primitive beauté qu'autant qu'elles ne sont rendues hideuses ni par les souillures ni par les blessures du péché.

2. Mais les hommes ont rarement le bonheur d'avoir toujours conservé la santé de leur âme, de parcourir le chemin de la vie sans rencontrer de pierre d'achoppement, de n'être sujet à aucune illusion : qu'ils mettent donc, du moins, à obtenir leur guérison spirituelle, un zèle pareil à celui qu'ils mettent à

 

1. Gen. III, 19.

 

recouvrer la santé de leur corps. Qu'aux blessures de leur âme ils appliquent la main du conseil, et si elle a été transpercée par la lance du péché, qu'elle prenne le remède de la pénitence; et si elle gît malade, qu'on la réchauffe dans le bain des larmes. Le désespoir ne doit pas ôter à ceux qui veulent guérir l'espérance de sortir de leur maladie et la faculté de revenir à la santé. Le Prophète a dit, en effet : « Celui qui tombe ne cherchera-t-il jamais à se relever, et celui qui s'est éloigné ne se rapprochera-t-il point (1) ? » Sortons donc de l'abîme de fausse honte où nous sommes tombés, relevons-nous pour aller à Dieu, et après notre chute, ne restons pas misérablement couchés par terre. N'allons pas couvrir nos ulcères du voile de la confusion, car la corruption s'étendrait infailliblement plus loin et atteindrait bientôt les parties nobles. Laissons-nous relever par l'espoir de guérir le mal que la honte dérobe aux regards; ce sentiment de fausse pudeur est ridicule, car rien n'échappe à la vue de celui-là seul dont l'oeil est à craindre. A quoi bon des hommes cacheraient-ils ce que Dieu connaît par lui-même? Si le juge sait les fautes du coupable, de quel avantage sera pour celui-ci que tous les autres les ignorent? Ce juge est celui dont le Psalmiste a dit : « Dieu scrute les reins et les coeurs (1) ». « Il démêle », ajoute l'Apôtre, « les pensées et les mouvements du coeur (2) ». « Aucune créature n'est invisible pour lui, mais tout est à nu et à découvert devant ses yeux (3) ». Pourquoi donc nous tromper au point de croire que nous pouvons lui dérober la connaissance de nos misères? De ce que les hommes ignorent nos fautes, s'ensuit-il que le voile épais dont nous les couvrirons suffira à les dérober à la vue de Dieu? Mes frères, rien de plus dangereux pour une âme pécheresse que de se refuser à avouer ses faiblesses, ou de s'étudier à les cacher. Comment, en effet, guérir celui . qui, malgré ses trop réelles blessures, veut paraître bien portant? C'est impossible, mais il est bien près de revenir à la santé celui qui, repoussant les appréhensions d'une fausse honte, va se montrer au médecin et lui dit: « Prenez pitié de moi, Seigneur, car je suis infirme : « guérissez-moi, parce que je vous ai offensé (4) » ; qui lui révèle la plaie hideuse de ses fautes,

 

1. Ps. XI, 9. —2. Id. VII, 10. — 3. Hébr. IV, 12. — 4. Ibid. 13.

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et en parle hautement en ces termes: « Je vous ai déclaré mon crime et n'ai point caché mon iniquité. Je confesserai contre moi mes prévarications; Seigneur, vous m'avez pardonné l'énormité de mon crime (1)». Voyez, mes bien-aimés frères, quels sont les fruits et les avantages de la confession de nos fautes ! « Seigneur, je confesserai contre moi mes prévarications ». Qu'est-ce que le Psalmiste ajoute immédiatement après ces paroles ? « Et vous m'avez pardonné l'énormité de mon crime ». Quel remède efficace ! Quelle rapide guérison ! Montrer ses plaies au médecin, et en recevoir aussi vite la santé ! Lui faire voir la cause du mal, et se trouver, au même instant, garanti contre la douleur ! A peine as-tu ouvert la bouche pour faire l'aveu de tes faiblesses, que déjà tu as obtenu ton pardon. Est-il à mépriser le médecin qui, sans tarder un moment, « guérit les coeurs brisés et cicatrise leurs blessures (2)», qui ne manifeste à ses malades aucun ennui de les entendre, et n'épouvante aucun de ceux qui ont recours à lui, en leur parlant de la gravité de leurs blessures ; qui les invite, au contraire, à s'approcher de lui, et leur adresse ces pressantes paroles par la bouche du

 

1. Ps. XXXI, 5. — 2. Id. CXLVI, 3.

 

prophète Isaïe : « J'effacerai moi-même tes iniquités ; je veux oublier tes crimes (1) ? » Mais toi, ne les oublie pas : « Confesse d'abord tes iniquités, et tu seras justifié (2) ». Admirable bonté de Dieu ! Que son indulgence est digne de nos louanges ! L'aveu de nos fautes sera suivi, non pas du châtiment, mais du pardon; il nous le promet, car il dit : « Confesse d'abord tes iniquités, et tu seras justifié ». Ce que les justes obtiennent en travaillant à l'oeuvre de leur sanctification, tu l'obtiendras toi-même en faisant pénitence.

3. Profitons avec empressement, mes très chers frères, de la bonté sans égale du médecin qui nous appelle à lui ; ne rougissons pas de lui dévoiler les plaies de nos égarements; ainsi pourrons-nous revenir à la santé. N'allons pas dissimuler les infirmités de notre âme et traîner longuement dans nos mauvaises habitudes; car, évidemment, nous tomberions en danger de mort. Daigne nous préserver d'un pareil danger celui qui a dit : « Je ne veux point la mort de l'impie, mais je veux qu'il se convertisse et qu'il vive (3) ». N'est-il pas le maître des destinées de l'homme? Gloire donc à lui, qui vit et règne dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il

 

1. Isaïe, XIII, 25. — 2. Ibid. 26. — 3. Ezéch. XXXIII, 11.

 

TRENTIÈME SERMON. SUR LA CONFESSION.

 

ANALYSE. — 1. Pour accorder aux hommes son pardon, Dieu les invite à se convertir, mais ils ne l'écoutent pas. — 2. Exhortation à ne plus vivre de la vie d'un monde qui passe. — 3. Excellence de la pénitence et de la conversion démontrée par l'exemple de Jonas et des Ninivites. — 4. Il nous faut pratiquer la pénitence pour être dignes de participer aux mérites de la mort que le Christ a soufferte pour nous.

 

1. Jamais le Dieu tout-puissant ne refusera sa miséricorde aux hommes qui obéiront avec foi à ses commandements, et toutes les fois que notre coeur sera prêt à reconnaître ses fautes, le Seigneur nous en accordera aussitôt le pardon. C'est son désir constant, pourvu que le pécheur ne se complaise pas dans le mal ; car voici ce qu'il dit par l'intermédiaire du Prophète : « Revenez à moi, et je reviendrai à vous (1) ». Il envoie des hérauts, on les méprise; il appelle à lui les pécheurs, et les pécheurs ne se convertissent pas. Viendra le jour du jugement, où ils demanderont et ne seront pas exaucés. Le Sauveur leur dit : « Revenez de vos voies criminelles (2) » ; ils

 

1. Zach. 1, 3. — 2. Ibid. 4.

 

répondent : Nous resterons dans le mauvais chemin. Ne sont-ce point d'impudents contempteurs du Très-Haut? aussi une condamnation à mort les attend. Puisse chacun de nous dire à Dieu: « J'ai péché (1) », car aussitôt il répondra: J'ai pardonné. Par l'effet ordinaire de sa bonté, Dieu veut accorder aux pécheurs le pardon de leurs fautes, mais, par l'effet habituel de leur malice, les coupables sont tout prêts à refuser leur grâce.

2. La source du pardon est ouverte à quiconque veut vivre. Mes frères, vivons, et vivons bien; car la vie présente passera avec le temps, mais la vie future ne finira jamais. Mais on vous voit aimer cette vie terrestre de manière à réaliser en vous ce que dit Salomon : « Je me suis créé des musiciens et des musiciennes, des échansons et des femmes chargées de me verser à boire » (2), et le reste « et je n'ai rien trouvé de mieux que de boire et de manger (3) ». Tu choisis volontiers un pareil genre de vie ; pourquoi donc ne pas faire encore ce qu'il ajoute : « Je n'ai rien trouvé de mieux que de boire et de manger, et cela est vanité des vanités (4) ? » C'était justice, car il n'y a vraiment en cela que vanité. Vivre et bien faire, voilà ce qui s'appelle vivre ; mais vivre et mal agir, ce n'est pas réellement vivre. Vivons donc ce petit espace de temps, de manière à mériter de vivre beaucoup dans le séjour éternel qui nous attend. Ici-bas, en effet, ne sommes-nous pas comme en un lieu de passage ? un jour viendra où nous devrons en sortir, et tu nourris des désirs pareils à ceux que tu nourrirais, si tu ne savais pas d'où tu viens. Le monde est devenu la demeure de ton corps, et celui-ci le domicile de ton âme. Ton corps est comme un prolongement du monde, et ton âme lui est étrangère. Le séjour de ton corps est ici-bas; celui de ton âme, c'est le ciel; car « ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l'esprit est esprit (5) ». La chair est venue de la terre et y retournera; l'esprit est venu du ciel, et quand se briseront les liens qui l'unissent au corps, il y rentrera. Mais quelle dure nécessité, sortir de ce monde ! Où iras-tu donc à ce moment-là ? tu sortiras du monde pour aller au ciel. On redoute de pénétrer dans la maison d'un grand personnage inconnu : par quel moyen gravir les

 

1. II Rois, XII, 13. — 2. Ecclé. II, 8. — 3. Id. VIII, 15. — 4. Id. 1, 2. — 5. Jean, III, 6.

 

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degrés de l'échelle qui aboutit au ciel ? Malgré une conscience pure, on tremble en face d'un tribunal de la terre ; la voix et l'aspect d'un juge remplissent l'âme d'épouvante quelles seront donc les émotions des pécheurs, quand il leur faudra paraître devant Dieu, eux que la seule vue des Anges suffit à jeter dans le trouble?

3. Si je ne me trompe, mes frères, la comparaison que je viens d'employer ne manque pas de justesse; mais si la crainte a glacé nos coeurs, que la prière s'échappe vite de nos lèvres; que notre pénitence efface, en un clin d'oeil, les fautes que notre ignorance a été si longtemps à commettre. Croyez-moi, mes frères, puisqu'en agissant ainsi vous ajoutez foi, non pas à mes propres paroles, mais au commandement du Seigneur, que vous venez d'entendre. La population de Ninive vivait, mais elle ne vivait pas bien; c'est pourquoi le Seigneur dit au prophète Jonas : « Va dans la grande ville; là, prêche avec force contre elle, parce que le bruit de sa malice est monté jusqu'à moi (1) ». Sa mission avait été d'être un humble prédicateur, et, de fait, il se montra un grand contempteur. On l'avait envoyé à Ninive, et ce fut à Tarse qu'il se rendit. Il méprisa Dieu et s'enfuit dans un vaisseau, comme si la puissance de Dieu ne s'étendait pas jusque sur mer ! Alors il se mit à dormir; sa sécurité était telle que, durant son sommeil, il ronflait. Pendant ce temps-là, les nautonniers jetaient à l'eau tous les vases qui se trouvaient sur le navire, ils pleuraient, car ils se croyaient condamnés à périr misérablement. Lève-toi ! s'écrièrent-ils enfin; il faut que nous sachions par le fait de qui nous vient notre malheur. Désigné publiquement par les sorts , il ne chercha point à nier sa faute ; au contraire, il se condamna lui-même. « Prenez-moi », dit-il, « jetez-moi dans la mer, et la tempête s'apaisera (2) ». Les matelots le précipitèrent du haut du vaisseau et, en-dessous des flots, se trouva une baleine qui l'engloutit. Au sein des abîmes son tombeau fut le ventre d'un poisson, et celui-ci le. garda intact, dans ses entrailles, l'espace de trois jours. Jonas en sortit aussi sain qu'il y était entré ; alors il se montra docile et accomplit les ordres divins qu'il avait d'abord méprisés et éludés; aussi le peuple et la ville tout entière firent-ils pénitence en versant des

 

1. Jonas, I, 2. — 2. Jean, I, 12.

 

 

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larmes, tandis que Jonas attendait au loin que Dieu fît périr Ninive ; mais le feu, envoyé , pour la réduire en cendres, s'éteignit sous le torrent des larmes de ses habitants. Dieu leur pardonna donc leurs égarements, et, au même instant, le Prophète fut saisi de douleur. Seigneur, dit-il, je savais que vous êtes prompt à pardonner , voilà pourquoi je m'étais enfui à Tarse, au lieu d'exécuter vos ordres. Un peu de fatigue avait rempli son âme de tristesse, et nul sentiment de joie ne s'empara de son coeur, lorsque, à l'égard de Ninive, l'indulgence succéda aux menaces de la justice divine. Il en sortit donc et s'endormit bientôt; car il avait vu un grand concombre élever au-dessus de sa tête son épais feuillage, pour le défendre contre les ardeurs brûlantes du soleil: cet arbrisseau, sorti de terre par l'ordre du Seigneur, sécha bientôt après sous l'influence de la même volonté divine. subitement élevé, il disparut tout aussi vite. Il n'y avait pas d'autre nécessité à ce qu'il sortît de terre que celle-ci : Dieu avait promis,son pardon aux pécheurs, afin de les exciter à se convertir. — Mais, me diras-tu, qui est-ce qui t'autorise à parler ainsi ? — Lis le livre de Jonas, et tu verras que le Prophète pleure sur le sort du concombre ; puis, si tu pousses plus loin la lecture, le Seigneur t'apparaîtra, comme épargnant la ville. « Jonas », dit-il, « tu gémis sur le sort d'une plante qui est venue sans toi, qui s'est accrue en une nuit et qui a péri le lendemain ; et moi, je n'épargnerais pas la grande ville de Ninive, où il y a plus de cent vingt mille hommes (1)? »

4. Mes frères, un seul : Pardonne, suffit à délivrer de la mort un grand nombre. Il y en a beaucoup (je dirais même qu'ils sont en énorme quantité) pour dire : « Mangeons et buvons (2) », car c'est notre nature : une fois enfermés dans le tombeau, nous n'avons plus de vie, nous n'avons plus, de châtiment à redouter. Non, sans doute, tu n'éprouveras pas de châtiment, si tu te convertis et obtiens ton pardon. Avant la passion de ton Sauveur, ton premier père ne pleurait-il pas ? Ignores-tu donc que si Jésus-Christ n'était pas venu, Adam aurait pour toujours été enseveli dans l'enfer? Jésus-Christ homme est venu pour ce motif : il s'est anéanti à cause de toi, et afin de te trouver. D'abord , tu avais péché par ignorance, et il t'a purifié par l'effusion de son sang ; mais si, après avoir été instruit, tu recommences à pécher, il est sûr que tu éprouveras toute la sévérité de sa justice. Donc, en tout ceci, mes frères, obéissons à ses commandements, et nous deviendrons participants de la récompense qu'il nous a promise. Ainsi soit-il.

 

1. Jonas, IV, 10, 11. — 2. Isaïe, XXII, 13.

 

 

TRENTE ET UNIÈME SERMON. SUR LA RÉCONCILIATION DES PÉCHEURS. I.

 

ANALYSE. — 1. Pouvoir de la pénitence. — 2. Prière à l’évêque pour l'engager à recevoir les pécheurs. — 3. Continuation de cette prière. — 4. Conclusion.

 

1. La fragilité humaine, empoisonnée par le venin du péché comme par la morsure d'un serpent, n'offrirait plus de ressource, si la pénitence ne venait y appliquer le remède, et si une humble confession ne lui obtenait la grâce de l'indulgence divine. Comme, dans le corps humain , les parties corrompues d'une plaie s'enlèvent au moyen de l'instrument du chirurgien, ainsi l'âme, blessée par le péché, se refait sous l'influence douloureuse de la pénitence : une douleur qui enlève les grandes douleurs, une peine salutaire,

 

 

1. Ce sermon appartient sans doute à l’époque où saint Augustin, encore prêtre, prêchait devant son évêque.

 

 un chagrin de courte durée, préparent des joies éternelles; une tribulation nous garantit des autres tribulations, et l'inquiétude enfante pour nous la sécurité. En effet, le Dieu de miséricorde n'a jamais voulu la mort du pécheur, autant qu'il a voulu le voir se convertir et vivre : par une raison tout opposée, et parce qu'il est un juste juge, il ne veut point que le péché demeure impuni. Le pénitent s'inflige donc lui-même le châtiment qu'il mérite, et ainsi va-t-il au-devant de la main de Dieu, qui venait le frapper et ne viendra plus que pour le secourir. Il humilie donc son esprit dans la tristesse et les gémissements, dans la douleur et les larmes, il tire lui-même vengeance de ses iniquités, . et, par là, il ne laisse rien à la justice divine qu'elle puisse exiger de lui, il offre à la bonté paternelle du Très-Haut une belle occasion de pardonner. Dès lors donc, il exercé contre sa propre personne tous les droits de la justice, puisqu'il se déteste le premier comme pécheur. L'accord s'établit entre lui et Dieu, ne hait-t-il pas, en effet, ce que hait en lui le Seigneur ? Il se punit, mais que cette punition est, peu de chose ! Il s'irrite contre sa faiblesse, il se soumet aux rigueurs de la pénitence; mais qu'est-ce que cela? Que c'est peu de chose en comparaison des flammes éternelles ! Mais quand il en est encore temps, avant que luise le jour de la colère divine et de la manifestation des coeurs, qui doit se faire au jugement de la justice éternelle, si le pécheur, attaché en quelque sorte au pilori de sa conscience , s'irrite contre lui-même et se condamne aux déchirements de la pénitence, la colère de Dieu n'est plus allumée contre lui ; bien au contraire, il se réjouit plus de la conversion de ce seul pécheur, que de la persévérance dans le bien de quatre-vingt-dix-neuf justes qui ne sont point égarés (1). Il met d'autant plus d'empressement à pardonner les crimes des pécheurs repentants, qu'il a montré plus de patience à différer l'heure de les punir. Car « s'il fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et tomber la pluie sur les justes et sur les pécheurs (2) », c'est afin que, tout en continuant à manifester sa miséricorde aux bons, il force les méchants à rougir de leur persistance dans le mal.

2. Aussi, vénérable pape, vois agenouillés,

 

1. Matth. XVIII, 18. — 2. Id. V, 45.

 

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non-seulement en présence du Seigneur, mais encore à tes pieds, ceux que, dans sa patience, Dieu invitait à se repentir. Aujourd'hui, ils ne se détournent plus de lui et ne s'amassent plus des trésors de colère ; car ils sont convertis et crient miséricorde. Ils demandent leur pardon, ils le cherchent, ils frappent à la porte. Tu es rempli des dons de la grâce, accorde-les donc à leur repentante ; tu es éclatant de lumière, guide donc leurs pas vers le but où ils veulent parvenir; tu as les clefs en tes mains, ouvre-leur donc la porte puisqu'ils y frappent. Puissent tes entrailles de pasteur se sentir émues à la vue de ces brebis que l'Agneau a rachetées de sols sang, et qu'il a, par le secours mystérieux de sa grâce, arrachées à la dent des loups. Elles te montrent leurs blessures, elles mettent à nu devant toi leurs consciences déchirées par des bêtes féroces : jette sur elles tes regards, reçois-les dans tes bras. Elles ne diffèrent nullement de te manifester leurs plaies, ne diffère pas non plus d'y appliquer un prompt remède. Ces pécheurs se tenaient dans l'Eglise, comme s'ils eussent été au paradis l'antique ennemi en est devenu jaloux :. ils ont manqué une seconde fois de vigilance, et le serpent, se traînant sur sa poitrine et son ventre, est tombé sur eux, il les a de nouveau trompés, il en a fait de nouveau ses esclaves. Au souvenir de la condamnation de notre premier père, ils ont été saisis de crainte ; mais au lieu de fuir la présence du Très-Haut, au lieu de se cacher à l'ombre d'une excuse, loin de déguiser la honte de leurs désordres sous le voile inutile de paroles de justification, et de les envelopper comme d'un vêtement de feuilles (1), ils ouvrent devant toi leurs coeurs et répandent leurs âmes en ta présence. La crainte ne les éloigne pas; au contraire, ils se rapprochent, et, par ton intermédiaire, ils veulent revenir à Dieu. Essuie donc leurs larmes , guéris leurs pieds de leurs faux pas. Ils arrivent d'un pays lointain; va au-devant d'eux. En toi se trouve celui qui a ainsi agi à l'égard de son plus jeune fils, de ce fils pour qui ses désordres furent la source des souffrances de l'exil et des privations de la misère (2). Que ceux-ci se nourrissent, comme lui, du veau gras. Que d'eux on dise aussi: Ils étaient morts, et ils sont ressuscités; ils étaient perdus, et ils sont

 

1. Gen. III, 7. — 2. Luc, XV, 11 et suiv.

 

 

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retrouvés (1). Laisse-toi attendrir par les larmes de leurs frères, par les sanglots de tous ces assistants qui prient, non pour leurs propres fautes, mais pour celles des pécheurs; néanmoins, ces fautes ne nous sont point complètement étrangères, car nous ne formons qu'un seul et même corps avec ces membres souffrants : nous avons le même chef, et nous compatissons à leurs maux. Nous sommes animés, à leur égard, de l'esprit de douceur, car nous craignons d'être nous-mêmes soumis à l'épreuve. Pourrions-nous nous croire dispensés de pleurer pour des frères tombés et repentants, quand le Christ nous a commandé de prier même pour nos ennemis?

3. Pour donner aux gémissements de tous une nouvelle force, joins-y les tiens; unis à leurs faibles mérites tes mérites bien plus grands, car ils sont comme les cheveux blancs de ton âme : prosterne-toi, en faveur de tes enfants, aux pieds de ton Dieu. Cette humiliation t'élèvera davantage ; ta douleur sera pour toi une source de joie; en te faisant esclave, tu règneras. Tu es la bonne odeur du Christ, joins-y le feu de la commisération, et brûle pour apaiser le Seigneur. Ils méritent pitié, ton coeur est rempli de miséricorde, mets-le donc sur l'autel de la charité. Tu es assis sur le trône élevé des Apôtres, que ton affection pour ces malheureux t'en fasse descendre jusque dans l'abîme où ils sont tombés. Imite le Père, dont la volonté est que pas un de ces petits ne périsse (2). Imite le Fils bien qu'il eût la forme de Dieu, il a pris la forme d'esclave (3), il est venu pour servir et non pour être servi (4). Imite le Saint-Esprit, qui, selon Dieu, intercède pour les saints (5). Il t'engage, lui aussi, à prier pour eux; car c'est par lui que la charité a été répandue dans ton coeur. Jadis, quand ils marchaient dans les voies de l'erreur, tu les rappelais au bon chemin; maintenant qu'ils y reviennent, offre les à Dieu et les lui réconcilie. Tu courais à leur recherche quand ils étaient perdus; aujourd'hui qu'ils sont retrouvés, prie pour eux. Constitués dans l'état du péché, ils se sont éloignés de la vraie vie et approchés des portes de l'enfer, qui ne prévaudront jamais contre celui dont tu tiens la place. Depuis quatre jours Lazare se trouvait enfermé dans le tombeau par une lourde pierre

 

1. Luc, XV, 21. — 2. Matth. XVIII, 14. — 3. Philipp. II, 6, 7. — 4. Matth. XX, 28. — 5. Rom. VIII, 34.

 

aussi son cadavre exhalait-il déjà une odeur insupportable; le Sauveur l'a rappelé du séjour de la mort et lui a commandé, d'une voix forte, de sortir de son sépulcre (1): mais, bien que déjà rendu à la vie, il se trouvait encore paralysé dans ses mouvements par ses funèbres liens; il n'appartenait donc pas encore à la société des vivants. « Déliez-le », dit Jésus, « et laissez-le aller (2) ». Ainsi l'intervention de l'homme devait achever l'oeuvre bienfaisante de Dieu. Je comparerais ces pécheurs à Lazare. Leurs iniquités les avaient fait mourir; ils gisaient sans vie, écrasés par le désespoir , et répandaient autour d'eux l'odeur fétide de la corruption de leurs moeurs. Ramenés à la vie par la puissance divine, ils confessent leurs égarements et sortent déjà des profondeurs de leurs ténèbres; mais comme ils sont encore enveloppés dans l'étroit linceul de leur culpabilité, ils se trouvent toujours séparés de la communion des saints. Dieu les a ressuscités, mais nous te les présentons pour que tu les délies, surtout parce que tu occupes le siège de l'Apôtre à qui il a été dit : « Tout ce que tu délieras sur la terre sera délié dans le ciel (3) ». Sans doute, tes entrailles , qui sont celles de la sainteté et de la miséricorde, n'ont pas besoin de nos exhortations pour s'émouvoir ; ce que je demande en leur faveur sera moins le fruit de mes prières que celui de ta paternelle affection. Néanmoins, les bons offices que nous leur rendons aujourd'hui ne leur paraîtront pas hors de propos, puisque nos paroles leur feront estimer davantage les dons de Dieu, et mieux comprendre ce qu'ils devront à tes mérites. Notre Père, qui est au ciel, sait, en effet, ce qui nous est indispensable , avant même que nous le lui demandions (4) ; et, pourtant, il nous engage à le lui demander, et, quand nous le lui demandons, il nous l'accorde. A voir sa générosité répondre à nos demandes, nous l'aimons plus vivement, et nous reconnaissons mieux en lui notre Père; si, au contraire, il nous accordait ses bienfaits, avant que nous lui en ayons manifesté le désir, nous les regarderions, non comme des dons gratuits, mais comme des redevances obligées.

4. Voilà mon devoir accompli; j'ai parlé de mon mieux, et, toutefois, mes paroles ont à

 

1. Jean, XI, 1 et suiv.— 2. Ibid. 44 et suiv. — 3. Matth. XVIII, 18. — 4. Id. VI, 8.

 

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peine été dignes que tu y prêtes une oreille favorable, bien que j'aie voulu aider à guérir les plaies de mes frères. A toi maintenant d'accomplir la tâche dont tu es redevable, comme pasteur, à l'égard de toutes tes brebis sans exception : à toi de céder aux aveux des coupables, aux gémissements des justes, aux supplications de tous. Daigne le Seigneur notre Dieu faire ce qu'il a promis, recevoir, comme un sacrifice agréable, le repentir de ces malheureux, ne point mépriser leur coeur contrit et humilié, écouter miséricordieusement leurs gémissements et leurs supplications, les épargner dans l'avenir, puisque, dans le présent, ils reviennent au bien, et les délier dans le ciel, puisque tu les auras déliés sur la terre.

 

 

TRENTE-DEUXIÈME SERMON. POUR LA RÉCONCILIATION DES PÉCHEURS.

 

ANALYSE. — 1. Motifs pour lesquels l'évêque doit donner l'absolution aux pécheurs. — 2. Trompés d'abord par le diable, ils confessent maintenant leurs fautes et demandent leur pardon. — 3. Prières et gémissements des justes en leur faveur.

 

1. « Voici le temps favorable, voici les jours de salut (1) ». Puissent t'émouvoir, vénérable pape, les larmes des pénitents qui désirent obtenir, par ton intermédiaire, le pardon de celui qui habite en toi ! Ils viennent, ils se prosternent et ils pleurent devant le Dieu qui les a créés, afin qu'il anéantisse leurs couvres et répare en eux la sienne. Puisse-t-il détourner ses regards, non pas de leurs personnes, mais de leurs iniquités ! Qu'il ne jette plus ses yeux sur eux, comme sur des pécheurs, pour effacer de la terre jusqu'à leur souvenir (2), mais comme sur des pénitents qui ont soif de la justice, pour prêter l'oreille à leurs supplications (3). C'est leur corps qui a été, pour eux, l'instrument du péché ; aussi le châtient-ils sévèrement. Après avoir tiré vengeance de leur méchanceté, ils demandent au Dieu clément leur pardon. Pour l'apaiser , ils s'irritent contre eux-mêmes; ils se punissent, afin qu'il ne les punisse pas. Ils lui offrent en sacrifice un esprit repentant: ainsi lui font-ils agréer leur coeur humilié et contrit (4); car il résiste aux

 

1. II Cor. VI, 2. — 2. Ps. XXXIII, 17. — 3. Ibid. 16. — 4. Id. 1, 19.

 

 

superbes, et aux humbles il accorde sa grâce (1). Le baptême avait fait d'eux des hommes nouveaux; mais, puisqu'ils se sont blessés, poissent-ils trouver leur guérison dans la pénitence. Devenus infidèles à leurs promesses, puissent-ils ne point éprouver plus fard les supplices qu'ils ont fait profession de croire. Ils n'ont étendu sur personne leur bras vengeur : Dieu doit-il se venger d'eux? Puisqu'ils se sont montrés miséricordieux, ne méritent-ils pas d'obtenir miséricorde ? Ils ont pardonné, qu'on leur pardonne donc; ils ont été généreux, qu'on se montre tel à leur égard. A la voix du Christ s'est fendu le rocher de leurs instincts pervers, qui écrasait de son poids leurs ténébreuses consciences; et, par la vertu de leur confession, ils semblent sortir d'un tombeau et paraître au grand jour. Délie-les donc et laisse-les aller, car tu as les clefs, et tout ce que tu délieras sur la terre sera délié dans le ciel (2). Autrefois le péché régnait en maître sur leurs membres; aujourd'hui que la justice a triomphé d'eux, ils reviennent à elle. Ne vois-tu pas un torrent

 

1. Jacques,  IV, 6. — 2. Matth. XVIII, 18.

 

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de larmes s'échapper de ces yeux qu'avaient fascinés les illusions du mal? Les gémissements et les sanglots qu'ils poussent en leur propre faveur ne retentissent-ils pas à leurs oreilles, jadis si facilement ouvertes à tous les propos condamnables? Les mains dont ils se sont servis pour faire le mal, ils les tendent maintenant suppliantes, pour obtenir le remède à leurs maux. Leurs pieds couraient dans le mauvais chemin ; ils ont changé de voie, et où sont-ils venus? Nous le voyons présentement; et, nous en sommes également témoins, leur corps, tout à l'heure vil instrument des plus sales jouissances, se roule maintenant dans la poussière et les larmes. Ces mouvements extérieurs ne sont-ils pas l'indice évident de la victoire que le Christ a intérieurement remportée sur eux? L'ennemi a été chassé de leur âme; qu'il soit torturé. Le fort a vu sa maison pillée parle plus fort (1); il a été enchaîné et forcé de rendre ceux qu'il avait fait esclaves. A entendre ces pécheurs confesser leurs égarements, on ne saurait, un instant, douter de leur repentir; mais Dieu est tout près de ceux qui ont le coeur brisé par la douleur. Cette douleur est un remède, et non un châtiment. Ah ! il désirait les soins du médecin, celui qui s'écriait : « Brûlez mes reins et mon coeur (2) ». Cette douleur fait disparaître la corruption et ne tue :pas, car « Dieu ne veut pas tant la mort du pécheur que sa conversion et sa vie (3)». « Ce ne sont pas ceux qui se portent bien qui ont besoin du médecin, mais les malades (4) ». Le Christ n'est pas venu appeler les justes à la pénitente, mais les pécheurs. Or, s'il les appelle, ce n'est point afin qu'ils se réjouissent d'être des pécheurs, mais c'est pour qu'ils gémissent de leurs prévarications et en fassent l'aveu. Qu'ils détestent donc-en leur propre personne ce qu'y déteste Dieu lui-même; par là ils se sauveront et mériteront' d'être agréables à ses yeux. De même que, loin de se complaire dans la pensée que ses clients sont malades, le médecin cherche, au contraire, à les guérir de leurs infirmités; ainsi le Christ sanctifie les pécheurs au lieu d'aimer leur état de péché. Qu'est-ce donc que faire pénitence ? C'est tirer vengeance de ses iniquités, afin d'éviter la vengeance divine : la pénitence est une peine qui préserve d'autres

 

1. Matth. XII, 29.— 2. Ps. XXV, 2.— 3. Ezéch. XXXIII, 2. — 4. Matth. IX, 12. — 5. Ibid. 13.

 

peines, un jugement qui va au-devant du jugement de Dieu, un châtiment qui adoucit la sévérité de celui qui sait tout, une sentence portée contre l'homme pour son bien, une accusation faite par le coupable pour empêcher sa condamnation.

2. L'antique ennemi a porté plus d'envie à ces pécheurs déjà rachetés par le Christ, qu'il n'en a porté au premier homme avant sa chute : il a déployé plus de malice et de ruse dans l'Eglise qu'au paradis. Dans ce lieu de délices, il était facile à Adam de se laisser tromper; car, n'ayant point encore perdu son innocence, il n'avait devant les yeux aucun exemple qui pût le détourner du mal; comme il n'avait pas encore fait l'expérience de la mort, il ne pouvait se figurer qu'il fût exposé à ses coups. Aujourd'hui, il est tombé: parce que nous sommes ses descendants, nous avons été condamnés, par le fait même de notre naissance, à mourir corporellement ; quant à la mort de notre âme, le dangereux serpent, voulant nous séduire, nous a fait croire aussi. qu'elle ne nous atteindrait pas, et il a osé nous dire encore . Si tu désobéis à Dieu, tu ne mourras pas de mort (1). Ce tentateur, homicide dès le commencement (2), a renouvelé son mensonge; on l'a cru encore une fois; il a frappé l'homme à nouveau et précipité dans la mort les pécheurs en faveur desquels le Christ avait triomphé de la mort même. Ceux-ci se montrent plus prudents; au lieu d'excuser leurs égarements, ils s'en accusent; aussi reviennent-ils à la vie. Loin de se dérober aux regards de l'Eternel, loin de se mettre à l'abri derrière des paroles inutiles comme derrière un rideau de feuilles, ils versent des larmes salutaires, ils montrent au grand jour ce qu'ils ont fait, ils offrent à leurs propres regards le spectacle de leurs crimes. Par leur aveu, ils préviennent les accusations que leur ennemi dirigerait plus tard contre eux, et ainsi triomphent-ils de lui; car, dans sa miséricorde, le Seigneur aime mieux céder à la prière du Christ et les délivrer, puisqu'ils confessent leurs iniquités, que de les punir quand le démon viendrait les attaquer et de les convaincre à son tribunal. Il s'entendent et accomplissent cette parole du Prophète : « Confessez-vous à Dieu , parce qu'il est bon (3) ». Pourquoi a-t-on peur d'avouer ses crimes à un juge de ce monde? C'est qu'un

 

1. Gen. III, 4. — 2. Jean, VIII, 44. — 3. Ps. CXVII, 1.

 

pareil aveu serait immédiatement suivi d'une condamnation; -tandis que, auprès du Dieu bon, à qui l'on ne peut rien cacher, il suffit de confesser ses égarements pour en être purifié. Insiste donc, en leur faveur, auprès de celui dont tu es le représentant, afin qu'il se montre indulgent pour toutes leurs faiblesses. Qu'il guérisse leurs langueurs, qu'il délivre leur vie de la corruption, qu'il redresse ceux qui sont courbés, qu'il brise les chaînes des captifs, qu'il justifie les pécheurs (1) et chérisse les justes, qu'il daigne intercéder auprès du père de famille , qui menaçait d'arracher l'arbre stérile. Tu les as excommuniés, et, par là, tu n'as pas inutilement creusé autour d'eux un fossé profond, pour le remplir de sales mais fertiles ordures, comme tu aurais fait d'une corbeille de fumier; ils te donneront lieu de te réjouir des résultats heureux de ton travail ; tu seras heureux d'avoir demandé leur pardon.

8. Beaucoup de sacrifices s'offrent pour eux; une foule immense d'assistants présentent à Dieu l'offrande d'un esprit tourmenté par le chagrin : ils ne sont pas restés fidèles aux promesses de leur baptême, mais de nouvelles eaux baptismales coulent sur leurs

 

1. Ps. CXLV, 8.

 

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têtes; ce sont les larmes abondantes de leurs proches : en effet, « que ceux qui se croient  fermes prennent garde de tomber (1) ». Les uns associent leur douleur aux souffrances des autres, afin de se réjouir avec ceux-ci de leur guérison. Les uns s'abaissent pour relever les autres, car ceux-ci ne se prosternent que pour se relever. Et parce que Dieu est charité, il opère en eux tous. Puisses-tu donc te sentir ému à l'égard de tous par les sentiments de la charité qui habite en toi d'une manière si admirable; que, par ton intercession, le Seigneur prête une oreille favorable aux prières et aux gémissements de ceux qui pleurent leurs propres péchés et de ceux qui pleurent les péchés de leurs frères. Qu'il daigne accorder à tous le salut, puisque tous pleurent également les mêmes fautes. Puisse la société des membres du Christ goûter la joie après avoir ressenti la douleur ! Tous, sans doute, n'ont pas péché; mais parce que tous sont unis dans les liens d'une mutuelle charité, ils éprouvent un chagrin égal. Par Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent la gloire et l'honneur pendant les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

1. I Cor. X, 12.

 

TRENTE-TROISIÈME SERMON. POUR LA RÉCONCILIATION DES PÉCHEURS. III.

 

ANALYSE. — 1. Les pécheurs sont là qui gémissent. — 2. Appel à la pitié de l'évêque, dont le coeur doit se laisser émouvoir par les larmes de tous les assistants — 3. Efficacité de la pénitence et de la confession. — 4. Allocution aux pénitents — 5. et à l'évêque.

 

1. La foule des malheureux pécheurs se tient prosternée à terre. Son grand désir est qu'on prie pour elle; aussi s'adresse-t-elle au coeur apostolique du vénérable Pontife, qui est une autre demeure habitée par la miséricorde. Cette foule, bienheureux pape, tu l'as reçue toute belle, rachetée sur le démon, digne de fixer tes espérances de pasteur ; elle t'est venue du Saint des saints, du Pasteur des pasteurs, du Rédempteur des captifs, de Celui qui retrouve les égarés et guérit les malades ; du haut de son trône céleste, il te l'a donnée, car au lieu de t'élever à de hautes considérations, tu t'abaisses au niveau des (580) humbles (1) ; loin de prendre en dégoût les infirmités de tous, ta paternelle bonté se met au service de quiconque se trouve atteint d'une mauvaise maladie, non pour lui adresser des reproches, mais pour lui procurer la guérison. Ton désir n'est pas d'être servi par les pécheurs, mais de les servir ; tu ne cherches nullement ton plaisir à les voir prosternés à tes genoux ; ce que tu souhaites, c'est de prier pour eux et de voir tes prières exaucées. Je viens solennellement intercéder pour eux auprès de toi ; si je t'adresse la parole, c'est que je connais ta bonne volonté ; c'est qu'en cela je ne te ferai point violence pour t'extorquer leur pardon. Ceux que je recommande à ton indulgence par mes paroles, tu cours au-devant d'eux par charité. De ma bouche sort maintenant en leur faveur un ardent appel à ta pitié, et de ton coeur s'élèvent aussi pour eux vers Dieu des supplications non moins pressantes. Voilà ces pécheurs ; leur âme est souillée de crimes, mais ils en gémissent ; ils ont, en quelque sorte, écarté la pierre de leur endurcissement, et sortent des ténèbres de leurs péchés, comme du séjour de la mort, pour se montrer à la lumière de la pénitence; à eux s'appliquent ces paroles prononcées par le Sauveur au sujet de Lazare : « Délie-le, et laisse-le aller (2) ». Le grand cri poussé par le Christ les a ébranlés; loin de vouloir périr en excusant leurs fautes, ils prétendent revenir à la vie en les accusant, et, après avoir aperçu la lueur de l'espérance, sortir des ombres profondes d'une conscience plongée dans l'état de mort. Brise donc les chaînes qui paralysent leurs mouvements, car tout ce que tu délieras sur la terre sera délié dans le ciel (3) ; dans ce ciel, vers lequel n'osait lever les yeux ce pécheur qui frappait sa poitrine en disant : « Seigneur, ayez pitié de moi, car j'ai péché (4) ». Comment, en effet, aurait-il pu lever les yeux au ciel, dès lors qu'il y apercevait la chaîne de ses iniquités? Pourtant, il descendit justifié du temple du Seigneur, et non pas le Pharisien (5) ; et le principe de sa justification fut, non pas l'innocence de sa vie, mais uniquement son humilité. Ainsi arriva-t-il que Dieu s'approcha de préférence de celui qui se tenait le plus éloigné de l'autel. « Pour nous », dit l'Apôtre, « nous

 

1. Rom. XII, 16. — 2. Jean, XI, 44. — 3. Matth. XVIII, 18. — 4. Luc, XVIII, 13. — 5. Luc, XVIII, 14.

 

sommes les temples du Dieu vivant (1) ». Si cela est vrai de tous les bons fidèles, ainsi, et à bien plus forte raison, en est-il de toi, qui présides au gouvernement des fidèles, en cet endroit surtout où préside celui à qui le Christ a dit: « Je te donnerai les clefs du royaume des cieux (2)».

2. Ces pécheurs se trouvent donc dans le temple de Dieu, c'est-à-dire dans son Eglise; nous les y voyons prosternés loin de l'autel; ils voudraient demander à être réconciliés avec Dieu par la réception du corps et du sang de Jésus-Christ. Puissent leurs désirs, passant par ton coeur et venant de son saint temple, être accueillis de lui (3). Ils veulent lui offrir un sacrifice expiatoire pour leurs péchés ; mais, pour cela, ils ne lui apportent, ni la graisse des boucs, ni la chair des taureaux, ni de nombreux chevreaux gras, ni les fruits premiers-nés de leurs entrailles; leurs dons consistent en des âmes brisées de douleur, en des coeurs contrits et humiliés (4) ; jamais le Seigneur n'a dédaigné de pareils dons. Place-les donc, ô bon prêtre, place-les en leur faveur sur l'autel de ton âme, où brille la flamme du saint amour : que des entrailles de ta charité s'élève pour eux vers le trône de l'Eternel la fumée d'un encens d'agréable odeur. Ils se sont fatigués dans les gémissements ; toutes les nuits, leur couche a été baignée de leurs pleurs et leurs lits humectés de leurs larmes (5). Maintenant encore, ils en arrosent le pavé de cette basilique, et ils ne sont pas seuls à le faire; car ceux qui n'ont point partagé leur culpabilité, partagent leur douleur. Tous sont rangés autour de toi, pleins de sollicitude, les uns pour eux-mêmes, les autres pour le salut de . leurs frères ; tous n'ont pas de prévarications à confesser, mais tous gémissent et pleurent. Y a-t-il dans un même corps un seul membre qui ne compatisse pas aux souffrances d'un autre membre, qui n'en partage pas les douleurs, qui ne pourvoie pas à sa sûreté à l'heure du péril, qui ne travaille pas à le soulager au moment de l'épreuve ? « Car, que « celui qui croit être ferme, prenne garde de  tomber (6) ». Que chacun, réfléchissant sur soi-même, craigne d'être tenté comme lui (7) . Portez les fardeaux les uns des autres (8), et vous accomplirez ainsi la loi de Jésus-Christ,

 

 

1. II Cor. VI, 16.— 2.Matth. XVI, 19.— 3. Ps. XVII, 7.— 4. Ps. L,19. — 5. Id. VI, 7. — 6. I Cor. X, 12. — 7. Galat. VI, 1. — 8. Ibid. 2.

 

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qui n'a commis aucun péché (1), qui a appelé les pécheurs, a prié pour eux, et leur a pardonné leurs fautes. De tous ses membres, les uns appartiennent à son corps, les autres sont tombés à terre ; les premiers sont attachés aux seconds, et ceux-ci se prosternent pour se relever. Un homme sage qui n'oublie point sa condition humaine peut-il voir tomber un de ses semblables et s'enorgueillir de ce que lui-même reste debout? Ici, tous ne sont point dans l'état de péché, mais, pour tous, la faiblesse est la môme; ils sont unanimes à demander afin que les pécheurs reçoivent, et à frapper pour qu'on leur ouvre; ceux-ci se trouvent dans l'affliction, et tous éprouvent de la douleur, et, quand ils seront revenus à la santé, tous se réjouiront.

3. Puisse l'ennemi caché du genre humain éprouver avec ses anges, en voyant ces pécheurs se relever, un tourment pareil à la joie qu'il a ressentie en les voyant tomber ! Pour commettre l'iniquité, ils se sont mis d'accord avec lui ; mais ils ne l'ont pas fait en ce sens qu'ils veuillent encore tirer leur gloire de leur chute ; ils ont été blessés, mais ils ne refusent pas le remède; ils se sont éloignés de leur Maître, mais ils n'ont pas la volonté de ne point revenir à lui. Par conséquent, celui qu'ils n'ont point su vaincre parla morti6cation,la pénitence les en a rendus victorieux; elle seule triomphe de l'ennemi, même quand il triomphe, et, par elle seule, l'accusateur est réduit à l'impuissance, non pas quand on nie ses propres fautes, mais quand on les avoue. La pénitence enlève la douleur à la douleur, et préserve de la vengeance en affligeant. Pour ne point rencontrer dans notre juge un vengeur de nos fautes, mais pour trouver un Dieu Père qui nous reçoive dans ses bras, nous nous punissons par les oeuvres de la pénitence, et, par là, nous tirons vengeance de nous-mêmes. Ainsi a-t-il, en quelque sorte, puni sa prévarication, ainsi a-t-il porté contre lui-même un jugement sévère celui qui, revenant d'un pays lointain, a dit à son père : « Je ne suis pas digne d'être appelé votre fils (2) ». Et son père l'a regardé comme d'autant plus digne de porter ce titre, qu'il s'en était reconnu plus indigne. La pénitence torture le coeur, mais, en un rien de temps, elle écarte toute condamnation aux tourments éternels. Ineffable bonté

 

1. I Pierre, II, 22. — 2. Luc, XV, 19.

 

581

 

de Dieu ! En niant nos fautes, nous ne réussirons jamais à lui donner le change ; il nous suffit d'en faire l'aveu pour l'apaiser. Nous aurons beau garder le silence sur nos iniquités, jamais nous ne les déroberons à sa vue ; confessons-les, et il nous les pardonnera. Sans doute, nous n'apprenons rien à Dieu en confessant nos faiblesses, mais par cela que nous nous déplaisons sous le même rapport qu'à lui, nous faisons de grands efforts pour nous en approcher. Ainsi s'exprime le Psalmiste : « J'ai dit : Je confesserai contre moi mes prévarications au Seigneur, et vous m'avez pardonné l'énormité de mon crime (1) » . Je confesserai, non pas d'une manière quelconque, mais contre moi, mes prévarications au Seigneur. Telle est la vertu de la pénitence, qu'en parlant contre lui-même, le pécheur agit dans son propre intérêt. Dieu déteste, en effet, le pécheur; aussi aime-t-il l'homme qui se déteste comme pécheur, car celui-ci hait ce que hait Dieu lui-même.

4. Prenez courage, vous tous qui demandez pardon au Seigneur; que la joie et la consolation rentrent en vos coeurs, que votre foi s'affermisse, que votre espérance se ranime, que votre charité s'enflamme. Celui qui, sans avoir commis de péché, a bien voulu mourir pour vous, vous accordera le pardon de vos fautes ; puisqu'il a consenti à mourir pour vous procurer la vie, il ne permettra point que vous périssiez. « Approchez-vous de Dieu, et il s'approchera de vous (2). Résistez au démon, et il fuira loin de vous (3) ». Rappelez-vous qu'on vous retire de la gueule d'un lion rugissant; souvenez-vous qu'on vous arrache aux griffes de celui qui croyait vous voir éternellement tourmentés avec lui. Le Seigneur entend vos sanglots, car il. habite dans le coeur du pontife qui préside cette assemblée : puissent les prières adressées en votre faveur à Dieu, par votre évêque, suppléer à ce qui pourrait manquer aux vôtres !

5. O le meilleur des prélats, réjouis-toi donc ; car les enfants que tu avais engendrés par l'Evangile (4) « étaient morts, et ils sont ressuscités; ils étaient perdus, et ils sont retrouvés (5) ». Qu'on déchire le cilice dont ils étaient enveloppés, et qu'ils se revêtent d'allégresse (6). Admets-les de nouveau au

 

1. Ps. XXXI, 5. — 2. Jacques, IV, 8. — 3. Ibid. 7. — 4. I Cor. IV, 15.— 5. Luc, XV, 24. — 6.  Ps. XXIX, 12.

 

582

 

festin du veau gras (1) ; arrache leurs âmes à la mort ; essuie leurs larmes, préserve leurs pieds de l'abîme, afin qu'ils marchent en la

 

1. Luc, XV, 33.

 

présence du Seigneur dans la terre des vivants (1).

 

1. Ps. CXIV, 8, 9.

 

TRENTE-QUATRIÈME SERMON. PRIÈRE AU SAINT-ESPRIT.

 

ANALYSE. — 1. Invocation à l'Esprit de miséricorde. — 2. Suite. — 3.     Saint Augustin continue à prier l'Esprit de toute bonté.

 

1. Esprit-Saint, mon Dieu, j'éprouve le désir de parler de vous, et, néanmoins, je crains pour moi de le faire, car je ne trouve en moi rien qui me le permette. Pourrais-je, en effet, dire autre chose que ce que vous m'inspirerez? Pourrai-je prononcer un seul mot, si vous ne venez en moi pour vous substituer à moi et vous parler de vous-même ? Donnez-vous donc à moi pour commencer, ô généreux bienfaiteur , ô don parfait; car, quant à vous, vous m'appartenez; rien ne peut m'appartenir, je ne puis m'appartenir moi-même, si je ne vous possède d'abord. Soyez à moi, et ainsi serai-je à moi, et aussi à vous : si je ne vous possède pas, rien ne m'appartiendra. Près de qui aurai-je le droit de vous posséder? Près de personne, si ce n'est près de vous. Il faut donc que vous vous donniez à moi, afin que je puisse faire auprès de vous votre acquisition. Prévenez-moi donc, préparez mon âme à vous recevoir, et quand vous y serez entré, parlez-vous pour moi et écoutez-vous en moi. Ecoutez-vous en mon lieu et place, ô vous qui êtes si bienveillant ! Ecoutez une bonne fois, et ne vous irritez pas. Voyez de quel esprit s'inspirent mes paroles pour moi, je l'ignore, mais je sais pertinemment que, dépourvu de votre assistance, je ne puis rien dire. Je m'en souviens : il vous a suffi jadis de toucher un homme adultère et assassin pour en faire le psalmiste ; vous avez délivré l'innocente Suzanne ; vos regards se sont abaissés sur une femme possédée par sept démons, sur Madeleine, et la charité surabondante dont vous l'avez remplie en a fait l'apôtre des Apôtres : le larron a été visité par vous, pendant qu'il était en croix, et, le même jour, vous l'avez placé dans le ciel pour l'y faire jouir de la gloire du Christ. Sous votre influence, l'apostat a versé des larmes de repentir, et vous l'avez préparé à recevoir le souverain pontificat. N'est-ce point à votre appel que le publicain est devenu un évangéliste? N'avez-vous point terrassé le persécuteur, et, quand il s'ert relevé, n'était-il point devenu un docteur hors ligne ? N'êtes-vous pas venu du ciel pour visiter les Juifs orgueilleux, et en les voyant consumés par les ardeurs de la plus audacieuse doctrine, ne les avez-vous pas délaissés? Dieu de sainteté, quand je réfléchis à ce que vous avez inspiré à tous ces personnages, je me sens encouragé, par leur exemple, à vous parler ainsi, et je sais, à n'en pas douter un instant, que vous m'avez appris à vous répondre de la sorte : voilà aussi pourquoi je soupire vers vous et me jette dans vos bras. Ecoutez-moi, bonté sans limites, et que votre misérable créature n'encoure point votre indignation. Si mes crimes surpassent, par leur nombre, les crimes de tous ces personnages qui me rappellent vos miséricordes, votre indulgence dépasse de beaucoup en étendue ma culpabilité ; car n'est-elle pas infinie? Il lui est facile de pardonner un péché ! Ne lui est-il pas aussi aisé d'en pardonner des centaines de mille? A l'un il a suffi d'un seul péché mortel pour se voir réservé à la (583) damnation, quand il est sorti de ce monde : avec des milliers de fautes, un autre a été réservé par Dieu, comme étant prédestiné à la vie. Qu'y a-t-il en cela, ô très-doux Esprit ? C'est que, d'un côté, se manifeste votre miséricorde, et, de l'autre, votre justice. Ces deux hommes, bien différents l'un de l'autre, se trouvent également destinés après une multitude de crimes énormes et pour la fin du monde, celui-ci à entrer dans la vie, celui-là à tomber dans d'affreux tourments. Qu'en conclure, ô Dieu plein de bonté? C'est qu'en tout cela votre miséricorde sans bornes reste toujours égale à elle-même, bien que vous agissiez diversement. Le petit nombre des péchés ne donne pas plus la certitude d'arriver à la vie éternelle, que la grandeur et la multiplicité des fautes ne doit donner lieu au désespoir. Mais parce que votre miséricorde est préférable à toutes les vies, je l'invoque, je la désire, il m'est doux de m'y attacher. Donnez-vous à moi par son intermédiaire, et donnez-la moi par vous : que je la possède en vous, et qu'elle vous serve de chemin pour venir en moi. C'est elle qui m'inspire le confiant courage de vous parler; elle rend mon âme supérieure à elle-même : en la possédant je vous possède. Je ne demande donc rien que vous, car vous êtes le docteur et la science, le médecin et le remède, vous voyez l'état des âmes , et vous les préparez, vous ôtes l'amour et l'amant, la vie et le conservateur de la vie. Que dire de plus? Vous êtes tout ce qu'on peut appeler bon. Car si nous ne sommes point anéantis, c'est l'effet de votre indulgence : elle seule nous soutient eu nous attendant ; elle seule nous conserve en ne nous condamnant pas, nous rappelle sans nous faire de reproches, nous renvoie sans nous juger, nous accorde la grâce sans nous la reprendre, et nous sauve par sa persévérance.

2. Ame pécheresse, ô mon âme, lève-toi donc, redresse-toi, sois attentive à ces consolantes paroles, ne refuse pas un secours qui peut t'aider si puissamment à te réformer. Remarque-le bien : pour ta restauration, cette personne divine est la seule qui te soit nécessaire. Lève - toi donc tout entière, ô mon âme, et, puisqu'en cette personne seule se trouve ton salut, consacre-lui toutes tes forces, prépare-toi à lui servir de demeure; reçois-la, afin qu'elle te reçoive à son tour. Venez donc, très-doux Esprit ; étendez votre doigt, aidez-moi à me lever. Que ce saint doigt s'approche de moi, m'attire vers vous, se pose sur mes plaies et les guérisse. Qu'il fasse disparaître l'enflure de mon orgueil ; qu'il ôte la pourriture de ma colère; qu'il arrête en moi les ravages du poison de l'envie ; qu'il en retranche la chair morte de la nonchalance; qu'il y calme la douleur de la cupidité et de l'avarice; qu'il en ôte la superfluité de la gourmandise, et y remplace l'infection de la luxure par les parfums odorants de la plus parfaite continence. Puisse-t-il me toucher, ce doigt qui fait couler sur les blessures le vin, l'huile et la myrrhe la plus pure t Puisse-t-il me toucher, ô Dieu plein de bonté ! Alors disparaîtra toute ma corruption , alors je reviendrai à ma primitive innocence, et quand vous viendrez habiter en moi, qui ne suis maintenant qu'un sac déchiré, vous y trouverez une demeure en bon état, fondée sur la vérité de la foi, bâtie sur la certitude de l'espérance et parachevée avec une charité ardente. Bien que nous ne vous désirions pas depuis longtemps, venez, hôte aimable; oui, venez. Demeurez avec nous, car si vous n'y restez pas, il se fera tard, et le jour baissera (1). Frappez et ouvrez,car si vous ouvrez la porte, personne ne la fermera : entrez et fermez-la derrière vous, et personne ne l'ouvrira (2). Tout ce que vous possédez est en paix (3), et, sans vous, il n'y a point de paix possible, vous, le repos des travailleurs, la paix des combattants, le plaisir de ceux qui souffrent, la consolation des malades, le rafraîchissement de ceux que la chaleur accable, la joie des affligés, la lumière des aveugles, le guide de ceux qui doutent, le courage des timides; car personne ne goûte la tranquillité, s'il ne travaille pour vous : celui-là seul jouit de la paix, qui combat pour vous; souffrir pour vous, c'est le comble du bonheur; pleurer pour vous, c'est la suprême consolation. Quand mon âme gémit pour vous, alors, à vrai dire, elle se livre au vice et aux plaisirs. Ineffable bonté vous ne pouvez souffrir qu'on souffre, qu'on pleure ou qu'on travaille à cause de vous; car, au même moment commencent le travail et le repos, le combat et la paix, la peine et le bonheur. Etre en vous, c'est être dans l'éternelle félicité.

 

1. Luc, XXIV, 29. — 2. Apoc. III, 7. — 3. Luc, XI, 21.

 

 

581

 

3. O mon bien-aimé, touchez donc, oui, touchez mon âme; cette âme que vous avez créée et choisie pour votre demeure au jour de mon baptême. Mille fois, hélas ! vous avez été honteusement et injurieusement chassé de cette maison qui vous appartenait en propre, et voilà que votre misérable hôtesse vous rappelle à grands cris ; car c'est pour elle le plus grand des malheurs de se trouver privée de vous. Revenez, ô Esprit bon, prenez pitié de cette séditieuse qui vous a chassé de chez elle. Maintenant, ah ! maintenant, elle se rappelle vivement tout le bonheur qu'elle éprouvait à se trouver auprès de vous. Tous les biens lui étaient venus à cause de vous (1); sitôt que vous vous êtes retiré d'elle, ses ennemis l'ont dépouillée; ils ont emporté avec eux tous les trésors que vous lui aviez apportés, et, non contents de l'appauvrir, ils l'ont accablée de coups et de blessures et laissée presque morte (2). Revenez donc , Seigneur bien-aimé; descendez à nouveau dans votre maison , avant que votre hôtesse insensée rende le dernier soupir. Aujourd'hui je vois, aujourd'hui je sens combien je suis malheureuse en vivant séparée de vous: je rougis et tombe dans une confusion extrême de ce que vous vous êtes éloigné de moi; mais les inénarrables faiblesses dont votre absence a été pour moi le principe me forcent à vous rappeler. Précieux gardien, venez dans la maison de votre misérable Marthe, et gardez-la dans la vérité, « pour qu'elle ne s'endorme pas un jour dans la mort et que son ennemi ne dise point: J'ai prévalu contre elle (3) ». Mes oppresseurs triompheront si je suis ébranlée (4). Mais, avec votre secours, j'espérerai dans votre miséricorde, je m'y attacherai, j'y mettrai ma confiance : en elle sera la part de mon héritage, et, ainsi, je ne craindrai pas ce que peut contre moi un homme mortel (5). Il vous est impossible de ne pas me faire

 

1. Sag. VII, 11. — 2. Luc, X, 30. — 3. Ps. XII, 5.— 4. Ibid. 6. — 5. Ps. LV, 5.

 

miséricorde, car la miséricorde vous est consubstantielle. Voyez ma pauvreté, voyez mes pressants besoins, et prenez pitié de moi selon votre infinie grandeur, et non selon mes iniquités. Daigne votre commisération montrer qu'elle est au-dessus de toutes vos oeuvres (1). Que la malice du péché ne prévale pas sur la grandeur de votre bonté. C'est par indulgence que vous dites: « Je ne veux pas la mort du pécheur, mais je veux qu'il se convertisse et qu'il vive (2) ». Car vous voulez la miséricorde et non le sacrifice (3). Très-généreux bienfaiteur, étendez votre droite, cette sainte main qui n'est jamais vide, qui ne sait point refuser, qui ne cesse de donner à l'indigent: étendez donc, aimable bienfaiteur , étendez cette main toute pleine de vos dons : c'est la main des pauvres. Donnez à votre pauvre, ou plutôt à la pauvreté elle-même, ces armes ou ces trésors qui enrichissent l'indigent sans lui laisser rien à craindre. Achevez, Seigneur, ce que votre bras a commencé (4). Car, je le vois, si vous nous sauvez, c'est, non pas à cause des oeuvres de justice que nous avons faites, mais par votre miséricorde (5). Donc, très-sainte communication, accordez-moi le don de piété, dont le propre est d'inspirer la douceur, comme aussi de conserver et de rendre celui à qui il a été départi libre de toute attache aux biens de la terre ; ainsi pourrons-nous dire avec l'Apôtre Pierre

« Voilà que nous avons tout abandonné et que nous vous avons suivi (6) ». Dès lors que nous aurons renoncé à ce qui est de ce monde passager, votre esprit secourable nous conduira dans la voie droite (7), jusqu'à la terre des vivants, et par l'affectueuse piété qu'il nous inspirera, il nous introduira dans ce séjour où nous pourrons éternellement jouir de vous pendant la suite sans fin des siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

1. Ps. CXLIV. 9. — 2. Ezéch. XXXIII, 11. — 3. Matth. IX, 13.— 4. Ps. LXVII, 29.— 5. Tit. III, 5. — 6. Matth. XIX, 27.— 7. Ps. CXLII, 10.

 

 

TRENTE-CINQUIÈME SERMON. OU PREMIER TRAITÉ DU COMBAT SPIRITUEL.

 

ANALYSE. — 4. Les bons chrétiens ont été conduits de la terre d'Egypte dans la terre promise. — 2. Néanmoins, ils doivent non pas s'endormir crans le repos, mais lutter contre leurs passions. — 3. Il leur faut détruite ces passions, comme, d'après l'ordre de Dieu, les Israélites devaient faire disparaître les nations étrangères.— 4. Combien la paresse des moines est blâmable. — 5. Motifs de l'avancement spirituel. — 6. Pourquoi Dieu ne veut pas que nous triomphions de nos ennemis sans combat.— 7. Exhortation finale aux moines.

 

1. Frères bien-aimés, si nous voulons considérer avec attention notre point de départ et notre destinée, nous serons, faute de forces, impuissants à remercier Dieu. Nous sommes, en effet, les enfants d'Israël : nous avons subi, en Egypte, le joug de Pharaon , et la puissance de ce roi orgueilleux a lourdement pesé sur nous. Car le prince de ce monde ne trouvait-il pas sa joie à nous écraser sans relâche sous l'insupportable fardeau de l'esclavage, et à nous accabler incessamment d'occupations et d'oeuvres serviles? Il nous obligeait à faire cuire des briques : si, seulement, nous avions eu à construire un temple au Seigneur avec les pierres précieuses des vertus ! Mais non; il nous fallait, par ordre, élever un édifice purement terrestre. Voilà, néanmoins, que le Dieu de nos pères, le Dieu béni de tous les siècles , nous a tirés de l'Egypte, c'est-à-dire des ténèbres où vivait le vieil homme ; il a brisé les chaînes dont nous tenait chargés une domination tyrannique, et nous a fidèlement introduits dans la terre promise. Nous sommes entrés dans ce pays de répromission, du moment où nous avons renoncé aux convoitises mondaines pour placer nos confiantes et solides espérances dans l'éternité : et déjà nous possédons en espérance les biens futurs dont la grâce divine nous accordera plus tard la réelle jouissance. La grâce de l'espérance n'avait-elle pas déjà mis en possession de cette terre des vivants ceux à qui l'Apôtre Pierre adressait ces paroles: « Vous êtes la race choisie, le sacerdoce royal, la nation sainte, le peuple conquis, pour annoncer        les grandeurs de Celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière (1)? »

2. Mais de ce que nous ayons été introduits dans cette terre promise, sous la conduite de la grâce divine , il ne suit nullement que nous devions nous livrer au repos et céder à la nonchalance ou à la paresse : succomber au sommeil, s'abandonner à une imprudente sécurité, est chose malsaine. Il est donc utile pour nous de ne jamais nous coucher sans être revêtus des armes des vertus, afin de ne point rester un seul instant sans défense : il nous faut combattre avec acharnement les dangereux et cruels ennemis de notre salut; car c'est par la guerre qu'on arrive à la paix; c'est aussi par le travail qu'on parvient au repos. En' effet, point de victoire sans combat, point de triomphe sans victoire. Nous avons des ennemis au-dedans de nous-mêmes ; si nous ne voulons point périr avec eux, c'est pour nous une impérieuse nécessité de lutter contre eux sans faiblesse comme sans relâche. Les ennemis qui nous ont déclaré la guerre, avec lesquels nous sommes toujours en lutte, ne se trouvent point séparés de nous par de larges- fossés, par des remparts flanqués de tours, par des rivières profondes ; d'abruptes montagnes ne s'opposent pas à leur marche en avant. Ils sont toujours avec nous, parce qu'ils se tiennent dans les secrets replis de notre âme. Les vices principaux sont au nombre de sept, et de cette race de vipères sortent, comme d'une source fétide, toutes les autres passions, pareilles à autant de rejetons venimeux. Voici leurs noms : L'orgueil,

 

1. Pierre, II, 9.

 

 

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l'avarice, la vaine gloire, la colère, l'envie, la luxure et la haine. Nous omettons d'en parler d'une manière plus expresse, car la plupart de ceux qui ont traité de la parole divine nous ont laissé à cet égard une foule de réflexions; pour le moment , il nous suffira d'affirmer ceci : c'est que quiconque aura négligé de les combattre, quiconque, avec l'aide de Dieu, ne les aura pas vaincues, ne pourra jamais ni triompher dans les luttes spirituelles , ni , par conséquent , mériter la couronne de la victoire: « On ne sera couronné qu'après avoir combattu vaillamment (1) ».

3. Voilà bien les nations que Moïse ordonnait au peuple israélite de faire disparaître de la surface de la terre, sans avoir jamais contracté avec elles aucune alliance ! Il s'exprimait ainsi: « Lorsque le Seigneur, ton Dieu, t'aura introduit dans la terre que tu vas posséder, et qu'il aura exterminé plusieurs nations devant toi, les Héthéens, les Gergézéens, les Amorrhéens, les Chananéens, les Phérézéens, les Hévéens et les Jébuzéens, sept nations beaucoup plus nombreuses et plus puissantes que toi, et que le Seigneur, ton Dieu, te les aura livrés, tu les frapperas jusqu'à la mort. Tu ne feras pas d'alliance avec eux et tu n'auras pas pitié d'eux (2) ». Vous venez de l'entendre, frères bien-aimés, le Dieu tout-puissant a livré en nos mains les nations acharnées à notre perte, et, par une disposition particulière de sa providence, il les a fait disparaître de devant nous. Pourquoi, alors, dégénérer et croupir dans la langueur ? Pourquoi ne pas nous saisir de la victoire qui nous est envoyée du ciel ? Puisque le Seigneur a décrété la défaite de nos ennemis, pourquoi ne point nous acquitter de la part d'action qui nous est dévolue? Si nous pesons bien les unes après les autres toutes les paroles précitées, nous voyons que, dans les desseins de l'Éternel, ces nations sont déjà jetées par terre et qu'il nous ordonne de les frapper et de les détruire nous-mêmes. Voici les termes dont se sert Moïse: « Lorsque le Seigneur, ton Dieu, t'aura introduit dans la terre que tu vas posséder, et qu'il aura exterminé les nations » ; puis il ajoute bientôt : « Tu les frapperas ». De là, il est plus clair que le jour que, dans sa prescience, le Dieu tout-puissant en a déjà fini avec nos adversaires;

 

1. II Tim. II, 5. — 2. Deut. VII, 1, 2.

 

mais il a décidé que leur extermination se fera par notre intermédiaire. Il combat lui-même et il nous invite à vaincre. Il détruit les forces ennemies, et il nous réserve l'honneur du triomphe. Il veut que son courage nous fasse remporter la victoire, afin de pouvoir accorder à nos succès la couronne de myrte. Ne laissons donc pas notre courage se briser sous l'effort du désespoir, puisque la force d'en haut nous exhorte vivement à lutter avec énergie. Que la faiblesse inhérente à la nature humaine ne vienne en rien nous arrêter, puisque nous combattrons sur l'ordre de Dieu et appuyés sur son autorité. Écoutons, comme s'appliquant à nous, ces paroles adressées aux Israélites par Moïse: « Ne crains point, mais souviens-toi de ce qu'a fait le Seigneur, ton Dieu, contre Pharaon et tous les Egyptiens, et de ces grandes plaies que tes yeux ont vues, et de ces prodiges, et de ces miracles, et de cette puissante main, et de ce bras étendu pour te tirer de l'Égypte. Ainsi tu traiteras tous les peuples que tu redoutes (1) ». Pourquoi donc nous défier de notre faiblesse, quand nous avons pour éclaireur et pour guide dans nos luttes Celui-là même qui inspire le courage? Il suscite le combat, il nous y mène, il nous promet le succès, et il ne nous l'accorderait pas ! Il y est tenu. Que notre âme s'enflamme donc d'une ardeur guerrière ; qu'elle se précipite sur le champ de bataille, pour mettre en déroute les masses ennemies, puisque les lâches eux-mêmes brûlent du feu des combats ! Pas d'alliance entre nous et nos adversaires ! Pas d'arrangements qui nous forcent à la paix !

4. Ne pas aller au combat, c'est une honte; y aller et agir avec mollesse, c'est s'exposer à un danger certain de mort. « Mieux vaut, en effet, ne pas connaître la voie de la justice, que de retourner en arrière après l'avoir connue (2)». Plusieurs, ayant reçu l'instruction nécessaire pour exercer le métier des armes spirituelles, tombent dans une telle tiédeur d'âme, deviennent si mous que, s'ils ont encore la force de ne pas faire le mal, ils n'ont pas le courage de travailler à leur avancement dans le bien. Pour eux, le moindre des soucis est de vaincre la faim par la diète, de résister aux plaisirs de la table, de supporter les rigueurs du froid, de s'imposer les veilles

 

1. Deut. VII, 18, 19. — 2. II Pierre, II, 21.

 

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les plus ordinaires. Ils seraient bien fâchés d'empiéter sur le terrain des choses défendues, mais ils sont tout aussi portés à jouir des choses permises. Vous les voyez engagés dans les rangs de la sainte milice, mais ce que c'est que le combat spirituel, ils l'ignorent complètement. Leurs noms sont inscrits sur la liste des soldats, et les devoirs de l'état militaire leur sont évidemment inconnus : la preuve en est qu'ils ne craignent pas de marcher sans armes dans les rangs d'hommes armés; ils ne rougissent nullement de s'avancer avec nonchalance et dépourvus de leurs ceinturons, au milieu de guerriers cuirassés ; aussi se laissent-ils ébranler par le premier coup de n'importe quel javelot, et tomber par terre, parce qu'ils ne sont point protégés par le bouclier d'une prudente circonspection. Il eût mieux valu pour eux de vivre ignominieusement à l'ombre de leur toit domestique, que de venir mourir peu militairement et sans aucun titre de gloire au milieu de cellules monacales. Quiconque, en effet, cherche à jouir, dans l'état monastique, des plaisirs du corps, ressemble à un homme qui voudrait tirer du suc d'un bois desséché ; car, de cette vie molle et relâchée, il résulte pour beaucoup que, sachant beaucoup de choses, ils s'ignorent eux-mêmes, et qu'ils seraient incapables de dire ce qu'ils peuvent ou ce qu'ils ne peuvent point endurer en fait d'épreuve : de là il arrive aussi que ceux à qui il a été donné de connaître ce qu'on pourrait appeler l'écorce du soldat, ont encore besoin de s'essayer pour apprendre ce qu'ils sont eux-mêmes. Parmi les hommes engagés depuis longtemps dans le saint ordre, nous en avons rencontré un bon nombre qui ne savaient pas encore ce qu'ils pouvaient supporter en fait de jeûnes, de veilles et d'autres pratiques indiquées par les règles de la discipline céleste. L'Ecriture dit formellement : « Quiconque ignore sera lui-même ignoré (1) ». Alors , comment serait-il connu de Dieu , comment le connaîtrait-il à son tour, celui qui, étant à sort service, est convaincu de s'ignorer soi-même ? Or, quand un guerrier ardent assiège des remparts, il s'efforce d'en approcher en creusant des fossés , il essaie de s'emparer des retranchements, et au milieu d'une grêle épaisse de traits il cherche à savoir par quel endroit il pourra monter à l'assaut.

 

1. I Cor. XIV, 38.

 

Pour celui qui veut se vaincre lui-même, c'est donc une honte de ne point se connaître, et, par conséquent , d'ignorer la mesure de ses forces. Voilà pourquoi le Sauveur a dit : « Efforcez-vous d'entrer par la porte étroite (1) ». Il n'avait pas encore fait l'expérience de lui-même, ce soldat de Dieu , à qui s'appliquent ces paroles de l'Ecriture : « Il mit un casque d'airain sur sa tête (2) », et le reste; mais il se connaissait suffisamment, « lorsqu'il prit l'épée du philistin Goliath (3) », et le reste.

5. Voulez-vous des preuves qui attestent qu'un homme fait des progrès sur le champ de bataille spirituel? Les voici: il avance, si les efforts que les vices tentent contre lui sont plus mous, s'il réprime aisément les révoltes de la chair, s'il apaise avec moins de difficulté le tumulte soulevé par le choc de ses pensées, s'il arrache, aussitôt qu'elles se montrent, les naissantes épines des convoitises charnelles ; si, avec le glaive de la crainte de Dieu, il tranche incontinent la tête orgueilleuse de la superbe, de la luxure et de tous les autres vices. A quoi bon, d'ailleurs, faire partie de la sainte milice, si, comme au début de son apprentissage militaire, on doit laisser tomber ses bras à l'heure de la bataille et trembler sur ses genoux encore mal affermis? C'était pour les garantir de ce nonchalant laisser-aller, que l'éloquent prédicateur Paul adressait à ses disciples les paroles que voici: « Relevez vos mains languissantes et fortifiez vos genoux affaiblis; marchez d'un pas ferme dans la voie droite, et si quelqu'un vient à chanceler, qu'il prenne garde de s'écarter du chemin (4) ». Une main habile à combattre parvient facilement au triomphe, et un corps qui s'accommode de la cuirasse se porte vivement au combat. Si un moine n'est pas encore capable de réprimer son orgueil, d'arrêter son avarice, d'éteindre les flammes de son envie, de conserver son âme à l'abri des atteintes de la luxure, de se débarrasser du venin de toute méchanceté envers celui qui s'est rendu coupable d'offense à son égard, de supporter une injure sous prétexte de conserver à la justice tous ses droits, pourra-t-on lui tenir un langage autre que celui-ci : Eu égard à ta profession, tu as, il est vrai, donné ton nom peur servir dans la

 

 

1. Matth. VII, 13. — 2. I Rois, XVI, 38. — 3. Ibid. 51 .— 4. Hébr. XII, 12, 13.

 

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milice sacrée; mais ce que c'est que le combat spirituel, tu n'en sais pas le premier mot? Pour ceux qui tendent à la perfection, il faut, autant que possible, leur persuader de conserver une sévérité salutaire, et d'apprendre plutôt à ignorer le vice qu'à le vaincre. Puissent ces hommes, qui font profession d'être morts avec le Christ, éprouver une véritable honte d'avoir encore à dompter les mouvements rebelles de la chair et les passions effrénées de l'esprit, contre lesquelles il faut lutter comme si l'on se trouvait toujours au début du combat ! Autrement, quand ils auraient déjà acquis, par leur valeur, le droit de se reposer, ils se retrouveraient encore dans les rangs de ceux qui commencent seulement à exercer le métier des armes. Lorsqu'un soldat du Christ est encore novice, il doit donc apprendre à en venir aux mains, et, suivant l'occasion, s'opposer à tous les vices qui pourraient se manifester en lui. Qu'il soit donc prévoyant , qu'il porte de tous côtés les regards éveillés d'une attentive circonspection, qu'il se tourne de çà de là et oppose à tous les traits qu'on lui envoie le bouclier d'une habile défense; c'est ainsi que, par l'humilité, il viendra à bout de l'orgueil, qu'il réfrénera la gourmandise par la sobriété, qu'il écrasera la colère parla douceur, qu'il domptera l'avarice par ses largesses, que la crainte du feu éternel éteindra l'ardeur de ses passions honteuses, et qu'enfin la poutre de la haine sera consumée par la flamme de son ardente charité. Il se plaît à contempler une pareille lutte, le Dieu qui sonde les profondeurs de l'âme et à qui rien n'échappe de ce qui s'y passe. Ce spectacle réjouit aussi les anges, puisque la nature humaine profite des combats qui se livrent contre elle, pour devenir meilleure et rentrer avec eux dans cette société dont elle avait été exclue; puisqu'en luttant, elle tend à rentrer en possession de cette paix véritable qu'elle avait perdue jadis pur s'être écoutée et n'avoir pas résisté à ses convoitises.

6. Mes frères, ne nous plaignons point de ce qu'il ne suffit pas de nos désirs pour remporter immédiatement une victoire complète sur nos ennemis : ne nous chagrinons nullement de nous voir toujours en butte aux chagrins, aux peines, aux soucis et aux insupportables ennuis qu'engendrent de continuelles fluctuations d'esprit. En cela se voit la preuve de l'action providentielle de Dieu; une victoire remportée trop vite gonflerait d'orgueil notre âme; tombant des hauteurs où elle se serait élevée, elle ne ferait qu'une plus lourda chute, et elle attribuerait l'honneur de son triomphe non à Dieu, son véritable auteur, mais uniquement à elle-même. Telle est la raison de ces paroles adressées par Moïse au peuple juif: «Après t'avoir éprouvé et puni, le Seigneur a pris enfin pitié de toi, afin que tu ne dises point dans ton coeur : Ma puissance et la force de mon bras m'ont donné tous ces biens, mais pour que tu te souviennes que le Seigneur, ton Dieu, t'a lui-même donné toute ta force (1) ». Voilà aussi pourquoi il arrive souvent qu'une âme, après avoir remporté sur elle-même de grandes et nombreuses victoires, cède en face d'un obstacle, peut-être de minime importance, bien qu'elle ne néglige point les précautions d'une vigilance minutieuse: c'est là l'effet d'une disposition de la Providence; car un homme, brillant de l'éclat de toutes les vertus, se laisserait aller à l'enflure de l'orgueil; se voyant, au contraire, et malgré ses longs efforts, au-dessous d'une mince tentation, après en avoir victorieusement supporté de très-violentes, il attribue son triomphe, non pas à lui-même, mais au Dieu dont la grâce l'a aidé à dominer les ennemis qu'il a vaincus. Voilà pourquoi il est écrit: « Telles sont les nations que le Seigneur a laissé subsister, afin de s'en servir pour l'instruction d'Israël ». Israël est instruit par les nations qui n'ont point péri ; et aussi, par les faibles tentations qui lui font échec, notre âme apprend que, d'elle-même, elle n'est jamais venue à bout des plus grandes.

7. Frères bien-aimés, ce qui nous a principalement décidés à quitter le monde, ce qui doit fixer toute notre attention, puisque nous avons le bonheur d'appartenir à la sainte milice, le voici: Notre âme, revêtue de l'armure des vertus, doit s'exercer toujours au combat spirituel et tâcher d'en finir avec ces vices hideux qui rôdent sans cesse autour de nous pour nous corrompre ; employons à cette lutte toute l'ardeur dont nous sommes capables. De quel avantage aurait-il été aux Juifs de sortir de la terre d'Egypte et de s'en tenir là, sans pouvoir écraser la puissance de leurs ennemis dans une guerre d'extermination? Auraient-ils ensuite joui paisiblement de la

 

1. Deut. VIII, 16, 18.

 

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possession de la terre promise? Evidemment, non. Seraient-ils parvenus à ce buttant désiré, si, après s'être dérobés à la tyrannie de Pharaon, sous le joug de laquelle on leur permettait de mener encore une vie telle quelle, ils avaient, par leur indolente incurie, engagé les Chananéens à leur mettre l'épée sur la gorge? Secouons donc, frères bien-aimés, secouons une torpeur indigne de nous, torpeur d'une âme paresseuse et sans énergie; car, ne voulons-nous point parvenir à la couronne par de vaillants et généreux combats ? Soyons toujours prêts à repousser loin du champ de notre coeur les bataillons des vices et les bêtes sauvages qui voudraient y pénétrer; ne leur permettons pas de mettre le pied dans ce qui est de notre domaine et d'y établir leur détestable pouvoir. Dieu daigne nous en faire la grâce ! Que nos ennemis ne nous voient jamais céder lâchement devant eux ! Que jamais ils ne puissent se vanter et se réjouir de nous avoir fait reculer l Nous avons à notre tête, pour nous diriger dans les combats, un chef invincible; nous pouvons et devons lui dire: « Seigneur, jugez ceux qui me persécutent, combattez ceux qui me combattent; prenez vos armes et votre bouclier, levez-vous pour me secourir (1) ». Il est bienheureux, le guerrier spirituel qui marche à la suite d'un tel chef sur les champs de bataille, et mérite d'obéir aux ordres d'un pareil général ; car Dieu accorde l'audace à ce hardi champion , il lui donne la victoire comme récompense de ses efforts, et après la victoire la couronne du triomphe. Que dis-je? Le Dieu béni dans tous les siècles n'est-il pas lui-même la largesse accordée aux combattants, la récompense réservée au mérite, l'éternelle couronne qu'attendent les triomphateurs?

 

1. Ps. XXXIV, 1, 2.

 

TRENTE-SIXIÈME SERMON. OU DEUXIÈME TRAITÉ DE LA LUTTE CONTRE LES VICES.

 

ANALYSE. — 1. Le diable s'attaque de préférence aux commençants : un soldat du Christ. doit lui résister.— 2. Trois vertus conviennent particulièrement à la vie érémitique. — 3. Eloge de ce genre de vie. — 4, 5, 6, 7. Continuation de cet éloge.

 

1. Quiconque entre dans une cellule pour lutter contre le diable, et se jette avec l'ardeur d'un généreux courage dans l'arène du combat spirituel, doit n'avoir pas d'autre intention que celle de ne plus ressentir, même pour un moment, les convoitises de la chair, et de mourir tout à la fois à lui-même et au monde. Qu'il se prépare donc à souffrir toutes sortes de calamités et de misères; qu'il se dévoue à la mort pour le Christ, garnisse son carquois des traits de toutes les vertus et se propose d'affronter toutes les difficultés et tous les obstacles; ainsi arrivera-t-il que, quand il les rencontrera, il y sera préparé, et loin d'y succomber lâchement, il y résistera avec égalité d'âme. A l'endroit où un fleuve sort de terre, ce n'est qu'un simple filet d'eau ; mais à mesure qu'il avance et prolonge son cours, des ruisseaux viennent de çà et de là le gonfler ; ainsi en est-il de notre homme intérieur, il est presque imperceptible et semble être à sec au moment où nous débutons dans la sainte carrière ; mais peu à peu, les vertus venant s'y adjoindre de côté et d'autre, comme des ruisseaux, il prend du corps. Pour rétrécir le lit du fleuve ou en arrêter les eaux, il faut nécessairement remonter jusqu'à la source, afin d'y établir une digue; n'étant encore là qu'un ruisseau au lieu d'être déjà un fleuve, ce cours d'eau peut être facilement dompté par des obstacles. Autre comparaison : celui qui veut entrer dans un palais (590) royal, sort de sa propre maison, accompagné d'un cortége peu considérable, mais le nombre de ses compagnons s'accroît peu à peu le long du chemin. Par conséquent, un ennemi qui voudrait lui tendre des embûches n'attendrait pas, pour cela faire, qu'il fût éloigné de son logis : il profiterait, au contraire, du moment où cet homme n'est pas encore environné d'un nombreux cortège, et le mettrait ainsi dans l'impossibilité d'échapper à une attaque subite. Pour nous, nous nous mettons vainement en route pour nous approcher de notre roi, quand, ignorants encore et novices dans l'art de la guerre spirituelle, nous prêtons le serment militaire; mais comme nous ne sommes pas encore versés dans les rangs de ceux qui connaissent à fond le métier des armes spirituelles, notre vieil ennemi nous tend des piéges à la porte même du vestibule de notre maison ; c'est là qu'il dispose toutes les ressources de sa malice, tous les fils et toutes les ficelles de sa méchanceté, toutes les machines à tromper les hommes, tous les raisonnements qu'il peut mettre au service de sa fourberie venimeuse ; il emploie tout cela à obstruer, dans sa victime, le ruisseau encore petit que forment en quelque sorte les bonnes oeuvres, et pendant sa marche, alors qu'elle se trouve presque seule et dépourvue de bon nombre de compagnons, il cherche ainsi à la faire périr. Mais au milieu de la grêle de traits qui tombe sur lui, en dépit de la furie des combats qui lui faut supporter, le soldat du Christ ne doit ni se laisser paralyser par l'épouvante, ni succomber à la fatigue ; mais il lui faut se munir d'avance du bouclier d'une invincible foi: alors, plus violentes seront les attaques de ses ennemis conjurés, plus vives devront être ses aspirations vers Dieu, plus solide et plus ferme devra être son espérance dans le secours d'en haut; plus il sera certain, la première tentation victorieusement déjouée, que ses forces et son énergie ne tarderont pas à doubler, que ses ennemis lui tourneront incessamment le dos, et que bientôt il triomphera d'eux. L'esprit tentateur vomit donc contre les novices tout le fiel de sa méchanceté, il distille contre eux le venin de son artificieuse et mensongère finesse; en voici la .raison: il n'ignore pas que s'il perd alors son temps et si ses méchants efforts n'aboutissent pas, l'occasion de faire du mal lui échappera pour toujours. J'ajouterai même que, n'ayant pu dominer, il succombera forcément, et que n'ayant point prévalu contre un novice, il périra sous les coups de son adversaire, quand celui-ci se sera aguerri.

2. Toutefois, remarquons bien ceci: si toutes les vertus sans exception doivent être le partage de tous ceux qui se hâtent de gagner le ciel, il en est trois, parmi elles, qui conviennent particulièrement à la vie solitaire et dont les ermites doivent mettre la pratique au nombre de leurs devoirs spirituels. Ce sont : le repos, le silence et le jeûne. Pour observer les règles de la justice, il suffit généralement d'avoir la dévotion et de porter l'habit religieux ; mais les trois vertus précitées doivent se pratiquer avec soin et faire partie des habitudes ordinaires de l'ermite. La fonction spéciale du prêtre est de vaquer à l'oblation du sacrifice, comme celle du docteur est de prêcher. Quant à l'ermite, il n'en a pas d'autre que de chercher son repos dans l'exercice du jeûne et du silence. C'est pourquoi les anciens maîtres de la vie érémitique disaient avec raison à leurs disciples: « Reste assis dans ta cellule, mets un frein à ta langue et à ta gourmandise, et tu te sauveras ». Oui, il faut arrêter les appétits grossiers, car si l'on remplit immodérément son estomac d'aliments et de viandes, il est sûr que tous les autres membres s'abandonneront à leur tour à leurs propres convoitises. Pour la langue, il n'est pas moins indispensable de la retenir; lâchez-lui la bride, laissez-la tourner sans règle et sans frein, votre âme perdra toute la vigueur que lui avait communiquée la grâce divine, et elle décherra de l'état de salutaire énergie dans lequel elle se trouvait. Il y a, néanmoins, mode et discrétion à employer en tout cela ; si, en effet, d'une oeuvre indifférente en elle-même on fait une chose obligatoire, le fardeau deviendra bientôt insupportable, et, pour ne point s'en charger, on s'en, débarrassera par pusillanimité.

3. Mais je voudrais en tout ceci faire un choix, vous dire quelques mots sur les mérites de la vie solitaire, et vous ouvrir ma pensée sur la perfection des vertus qu'elle exige, en faisant brièvement l'éloge de la vie érémitique, plutôt qu'en engageant à cet égard une longue discussion. Il est hors de doute que la vie solitaire est l'école de la (591) céleste doctrine, elle enseigne les arts divins. On y trouve le Dieu qui indique la voie par laquelle on tend et on parvient à la souveraine connaissance de la vérité. Le désert est comme un paradis de délices où les vertus, belles comme les bois de teinture les plus odorants, ou pareilles aux fleurs empourprées des aromates, exhalent leurs agréables parfums. Ici se rencontrent, en effet, les roses de la charité, aux teintes de feu, les lis de la chasteté, blancs comme la neige, et la violette de l'humilité, qui ne redoute point les tempêtes, parce qu'elle ne se plaît pas sur les hauteurs : là, c'est la myrrhe de la parfaite mortification, qui s'épanche abondamment, et l'encens d'une prière assidue qui monte sans cesse. Mais pourquoi rappeler en détail toutes ces merveilles, puisque toutes les plantes des saintes vertus y brillent de l'éclat de toutes les nuances, et font le perpétuel ornement de la solitude qu'elles ombragent toujours de leur gracieuse verdure. O désert, vraies délices des âmes pures, source inépuisable des plaisirs du cœur ! n'est-ce point là cette fournaise de Chaldée, où de saints enfants arrêtent, par leurs prières, la fureur de l'incendie, et, par la vivacité de leur foi, éteignent les flammes qui pétillent autour d'eux ; c'est-à-dire, où les chaînes tombent en cendres, et où les membres ne sentent aucune chaleur, parce que les péchés y sont déliés et que l'âme, portée à chanter l'hymne de louange, s'écrie : « Seigneur, vous avez brisé mes chaînes, je vous offrirai un sacrifice de louange (1) » Tu es la fournaise au sein de laquelle se forment les vases destinés au service du souverain Roi, où, frappés par le marteau de la pénitence et polis par la lime d'une salutaire mortification, ils acquièrent un brillant qu'ils conserveront toujours : la rouille spirituelle y disparaît sous l'action du feu, et l'âme s'y dépouille des rugosités de ses fautes. La fournaise n'éprouve-t-elle pas les vases que fabrique le potier? Ainsi en est-il de la solitude permanente à l'égard de l'ermite. Sa cellule est le rendez-vous des négociants célestes; on y enferme la masse des marchandises avec lesquelles on acquiert la possession de la terre des vivants. L'heureux commerce que celui en vertu duquel on échange les bien célestes contre des biens terrestres, les biens éternels contre des biens passagers !

 

1. Ps. CXV, 7.

 

L'heureux marché que celle où l'on vous propose l'achat d'une vie sans fin, d'une vie dont vous pouvez devenir le possesseur, pourvu que vous donniez ce que vous avez, si minime qu'en soit la valeur ! Une légère souffrance du corps suffit pour vous y procurer les célestes festins; quelques larmes y donnent droit à vivre éternellement ; on s'y débarrasse des propriétés d'ici-bas pour devenir maître de l'héritage éternel. O cellule, admirable atelier où s'exercent les ouvriers spirituels, où l'âme de l'homme rétablit certainement en elle-même l'image de son Créateur et récupère son innocence originelle, où les sens émoussés retrouvent la finesse de leur tranchant primitif, où, enfin, la nature corrompue en revient aux azymes de la sincérité ! Chez toi, le jeûne donne de la pâleur au visage, mais l'âme prend de l'embonpoint et se nourrit de la grâce divine; chez toi, l'homme dont le coeur est pur aperçoit Dieu, tandis qu'enveloppé , auparavant , de ses propres ténèbres, il ne s'apercevait pas lui-même. Sous ton influence, il revient à son principe, et des humiliantes profondeurs de son exil, il remonte jusqu à la hauteur de sa dignité antique. A l'abri de la forteresse de son âme, il voit les flots de ce fleuve terrestre s'éloigner bien loin de lui, et, dans cet écoulement général, il s'aperçoit que lui-même est entraîné par la rapidité du courant.

4. O cellule , je reconnais en toi la tente des soldats du Christ, l'armée du triomphateur toute prête à combattre, le camp de Dieu, la tour de David flanquée de forts détachés: à tes murs sont appendus mille boucliers et toutes les armes des guerriers vaillants. Tu es le champ des divines batailles, l'arène où se livre le combat spirituel; les anges te contemplent comme l'amphithéâtre dans lequel se trouvent réunis de courageux lutteurs, où l'âme en vient aux prises avec le corps, et où le faible l'emporte sur le fort. Tu es le rempart des soldats en campagne, le retranchement qui protège les héros, la forteresse où se tiennent à l'abri ceux qui ne savent point reculer devant l'ennemi. Que les barbares ennemis, qui l'entourent, entrent en fureur, qu'ils s'approchent avec leurs beffrois et lancent leurs javelots ; que la forêt de leurs épées s'élève impénétrable, ceux qui mènent la vie d'ermites se trouvent protégés par la cuirasse de la foi; ils trépignent sous (592) l'invincible égide de leur chef, et, sûrs de la défaite de leurs adversaires, ils en triomphent déjà. C'est à eux, en effet, que s'adressent ces paroles: « Le Seigneur combattra pour toi, et tu demeureras dans le silence (1) ». Quand même il n'y aurait là qu'un seul guerrier, il pourrait encore s'appliquer cet autre passage: « Ne crains pas, car il y a plus de soldats avec nous qu'avec eux (2) ». O désert, tu donnes la mort aux vices ! tu fais naître et vivre les vertus ! La loi t'exalte, les   Prophètes t'admirent, et quiconque est parvenu au sommet de la perfection sait ton éloge. A toi Moïse est redevable des deux tables du Décalogue ; c'est par toi qu'Elie a connu le passage et les traces du Seigneur; c'est par toi qu'Elisée a reçu le double esprit de son maître. A cela dois-je ajouter quelque chose ? non; car, dès le début de sa carrière réparatrice, le Sauveur du monde a voulu que son héraut fût ton hôte à l'aurore du siècle futur, l'étoile du point du jour devait sortir de la solitude, et, à la suite, le plein soleil devait en venir pour dissiper, par l'éclat de ses rayons, les ténèbres de ce monde. Tu es l'échelle de Jacob, puisque tu aides les hommes à monter au ciel et que, par toi, les anges en descendent, leur apportant le secours d'en haut. Tu es la voie d'or, qui ramène dans la patrie la race d'Adam, l'arène où les habiles coureurs méritent la couronne. O vie érémitique, bain des âmes, tombeau des crimes, piscine dont les eaux purifient ceux qui se trouvent souillés ! Tu ôtes ce qu'il y a d'impur dans le secret des consciences, tu fais disparaître les taches du péché, tu aides les âmes à acquérir l'éclatante pureté des anges ! Dans la cellule se réunissent à la fois et Dieu, et les hommes qui accomplissent encore leur pèlerinage terrestre, et les esprits célestes. Là se rendent, en effet, les habitants de la Jérusalem éternelle, afin de converser avec les hommes; mais, dans ces entretiens, on n'entend pas de paroles proférées par une langue charnelle ; la conversation s'y fait sans bruit, et les secrets des âmes s'y dévoilent silencieusement. Enfin, la cellule est le témoin des communications secrètes qui s'échangent entre Dieu et les hommes. Admirable et merveilleuse chose ! Quand le frère, dans sa cellule, psalmodie pendant les heures de la nuit, il est comme un soldat en faction, chargé de faire vedette

 

1. Exod. XIV, 14. — 2. IV Rois, VI, 16.

 

autour du camp divin. D'une part, les astres fournissent leur course dans le ciel, et, d'autre part, se déroule sur les lèvres de l'ermite, et dans un ordre parfait, la suite des psaumes. De même que les étoiles, se succédant les unes aux autres, prennent la place de celles qui les précèdent, jusqu'au moment où parait le jour; ainsi les psaumes sortent de la bouche du solitaire comme d'un autre Orient, et, marchant d'un pas en quelque sorte égal à celui des astres, s'avancent insensiblement vers leur terme. Le moine accomplit le devoir de son état de dépendance, les étoiles s'acquittent de l'office qui leur a été confié. L'un, en psalmodiant, s'avance intérieurement vers la lumière inaccessible; en se succédant mutuellement, le autres renouvellent le jour que contemplent les yeux charnels; et tandis que tous tendent à leur fin par des routes différentes, les éléments eux-mêmes se trouvent, d'une certaine manière, d'accord avec le serviteur de Dieu, tout en lui rendant service. Enfin la cellule sait de quel feu d'amour divin brûle le coeur de celui qui l'habite; elle sait avec quel empressement, dans quel degré de perfection il cherche à s'approcher de Dieu; elle sait quand la rosée de la grâce céleste pénètre l'âme de l'homme, quand les nuages de la componction versent sur elle les abondantes ondées des pleurs et des larmes, quand, enfin, l'amertume du coeur ne détruit pas le fruit des larmes, bien que les yeux du corps restent secs ; en effet, si le rameau des. séché des yeux extérieurs ne porte aucun fruit, la racine se conserve néanmoins toujours vivace dans le terrain humide du coeur. Peu importe qu'un homme ne puisse jamais pleurer; il suffit que son âme soit sensible. La cellule, c'est l'atelier où se polissent les pierres précieuses: sortant de là, elles n'auront plus besoin, pour entrer dans la construction du temple, de passer sous le marteau bruyant de l'ouvrier.

5. O cellule, tu n'as presque rien à envier au tombeau du Christ, puisque tu reçois des hommes que le péché a fait mourir, et que, sous le souffle de l'Esprit-Saint, tu les rends à Dieu pleins de vie. Tu es le tombeau où viennent expirer les étourdissantes tentations de cette vie mondaine, mais où s'ouvrent les portes de la vie céleste : en toi trouvent un port tranquille ceux qui échappent à la fureur des flots du siècle. Tu es le séjour du (593) médecin habile aux soins duquel ont recours tous ceux qui ont été blessés dans le combat et qui ont échappé aux périls de la bataille; car, aussitôt qu'on se réfugie à l'ombre de son toit, la pâleur des âmes blessées disparaît, et toutes les plaies de l'homme intérieur se trouvent parfaitement guéries. Jérémie t'avait aperçue; quand il disait :« Heureux celui qui attend en silence le salut de Dieu !  Heureux l'homme qui porte le joug dès sa jeunesse ! Il s'assiéra solitaire et il se taira, parce que Dieu a posé ce joug sur lui (1) ». Celui qui t'habite s'élève au-dessus de lui-même. Quand, en effet, une âme affamée s'élève au-dessus des choses de la terre et se suspend à la voûte de la contemplation des choses divines, elle se sépare du monde, elle s'éloigne de ses influences et s'élance dans les régions célestes sur les ailes de ses désirs. Dès lors qu'il cherche à contempler celui qui domine toutes les choses créées, l'homme s'élève au-dessus de lui-même en même temps qu'il s'élève au-dessus de ce bas monde et de ce qu'il renferme.

6. O cellule, séjour vraiment spirituel, où les orgueilleux deviennent humbles, où les gourmands deviennent sobres, où la cruauté se change en dévouement charitable et la colère en douceur, où, enfin, la haine fait place à une affection toute céleste et ardente. La langue oiseuse trouve en toi un frein, et la blanche ceinture de la chasteté y vient serrer les reins que tourmente la luxure. A respirer ton atmosphère, les étourdis reprennent l'habitude de la gravité, les amateurs de plaisanteries renoncent à leurs airs bouffons, et ceux qui parlent trop se renferment sévèrement dans les bornes étroites du silence. Sous ton toit, on triomphe de la fatigue, du jeûne et des veilles, on conserve la patience, on apprend l'innocente simplicité, on ignore complètement la duplicité et la fourberie; les vagabonds y sont retenus en place par les chaînes du Christ, et ceux dont les moeurs ne connaissent pas de règle mettent un terme à leur dépravation. Tu sais élever les hommes au sommet de la perfection et les conduire jusqu'au faîte de la plus sublime sainteté; à ton ombre, l'homme devient joyeux et agréable, et l'égalité de son caractère le rend toujours semblable à lui-même. Tu fais de lui une pierre carrée, toute prête à entrer dans

 

1. Lament. III, 26-28.

 

la construction de la Jérusalem céleste; la légèreté de ses moeurs ne l'exposera point à rouler en un autre endroit, mais le poids de ses sentiments sincèrement religieux le tiendra fixément à la même place. Sous ton influence, les hommes étrangers à eux-mêmes rentrent en possession de leur propre personne, et les vertus fleurissent en des vases où l'on n'avait encore vu que des vices. « Tu es noire, mais tu es belle comme les tentes de Cédar, comme les pavillons de Salomon (1). Tu es le lavoir des brebis tondues (2), tu ressembles aux fontaines d'Hésébon (3) ». Tes yeux sont comme des colombes sur la rive des eaux, lavées dans le lait, et qui habitent les bords des ruisseaux paisibles. Tu es le miroir des âmes; l'âme humaine s'y contemple à l'aise; elle y voit parfaitement les défectuosités auxquelles elle doit pourvoir, les superfluités qu'il lui faut retrancher, les obliquités qu'elle doit redresser, les difformités qu'elle doit faire disparaître. Tu es le lit nuptial où se donnent les arrhes de l'Esprit-Saint, où l'âme heureuse fait alliance avec le céleste Epoux. Les hommes droits te chérissent, et quiconque s'éloigne de toi se prive de la lumière de la vérité et ne sait plus où diriger ses pas. « Que ma langue s'attache à mon palais si je ne me souviens pas de toi, si Jérusalem n'est pas toujours ma première joie (4) ! » C'est pour moi un vrai plaisir de m'unir au même Prophète et de te dire encore : « Elle sera mon repos à jamais; je l'habiterai; elle est l'objet de tous mes désirs (5) ». « Que tu es belle, que tu es ravissante, délices de mon âme (6) » ! Rachel, qui était grande et belle, te préfigurait (7) ; « et Marie a choisi la meilleure part, qui ne lui sera point enlevée (8) ». Tu es la colline des parfums, la fontaine des jardins, le fruit du grenadier. A en juger par ton écorce, ceux qui ne te connaissent pas te croiraient remplie d'amertume; mais, qu'on pénètre jusqu'au coeur, on y trouvera caché un inépuisable trésor de douceur.

7. O désert, tu nous sers d'abri contre les persécutions du monde; les travailleurs trouvent en toi leur repos et les âmes leur consolation; ton ombre tempère les ardeurs du soleil; chez toi, nous divorçons avec le péché et recouvrons la liberté de nos coeurs ! Ecrasé

 

1. Cant. I,  4. — 2. Id. IV, 2. — 3. Id. VII, 4. — 4. Ps. CXXXVI, 6. — 5. Id. CXXXI, 14.— 6.  Cant. VII, 6. — 7. Gen. XXIX, 17.— 8. Luc, X, 41.

 

 

 594

 

sous le poids des épreuves de cette vie, le coeur accablé d'ennuis à cause de sa timidité et des ténèbres où il se voyait plongé, David désirait s'enfoncer dans ta solitude: « Voilà », disait-il, « que j'ai précipité ma fuite; j'ai établi ma demeure dans le désert (1) ». Que dire de plus, quand je vois le Rédempteur du monde daigner te visiter lui-même au commencement de sa vie publique et te consacrer en faisant de toi son séjour? L'Evangile en fournit la preuve certaine : Quand Jésus eut purifié l'eau du baptême par cela même qu'il lui permit de couler sur sa tête, « l'Esprit le poussa dans le désert, et il demeura dans le désert quarante jours et quarante nuits, et il était tenté par Satan, et il demeurait avec les bêtes sauvages (2) ». Que le monde se reconnaisse pour ton obligé, puisqu'il sait que le Sauveur lui est venu de toi pour prêcher son Evangile et opérer ses miracles. O désert, séjour redouté des esprits malins, pareilles aux tentes d'un camp rangées en ordre, semblables aux tours de Sion et. aux forteresses d'Israël, les cellules des moines s'y élèvent contre les Assyriens et en face de Damas. Dans ces cellules, le même esprit fait remplir des devoirs bien différents les uns des autres; car on y psalmodie, on y récite des prières, on y écrit, on s'y occupe de travaux manuels de toutes sortes ; pourquoi, alors, ne pas appliquer en toute justesse au désert ces paroles divines : « Que tes pavillons sont beaux, ô Jacob ! Que tes tentes sont belles, ô Israël ! Elles sont comme des vallées couvertes d'arbres, comme des jardins le long  des fleuves, comme des tentes dressées par Jéhovah, comme des cèdres sur le bord des eaux (3)? » Que dire de plus à ton sujet, ô vie érémitique, vie sainte, vie angélique, vie bénie, vivier des âmes, trésor des pierres précieuses destinées au ciel, palais habité par les sénateurs spirituels ! Le parfum que tu

 

1. Ps. LIV, 8. — 2. Marc, I, 12.— 3. Nomb. XXIV, 5, 6.

 

répands surpasse de beaucoup la suave odeur de tous les aromates; le miel qui coule des rayons de la ruche ne t'égale pas en douceur; tu flattes bien mieux le palais d'un coeur éclairé par la grâce que ne pourraient le faire les sucs réunis de toutes les fleurs; par conséquent, tout ce qu'on peut dire de toi ne sera jamais à la hauteur de tes mérites, car une langue de chair est impuissante à exprimer ce qu'éprouvent invisiblement les esprits; ce que tu ressens dans ton palais intérieur, dans les secrets replis de ton coeur, jamais l'organe de la voix du corps ne sera capable d'en donner une idée. Ils te connaissent bien ceux qui t'aiment; ils savent ce que tu mérites de louanges ceux qui trouvent leur repos dans les embrassements de ton amour. Au reste, comment l'homme, qui ne se connaît pas lui-même, pourrait-il se vanter de te connaître? Moi-même, je reconnais que je ne puis faire ton éloge ; mais, ô vie bénie, il y a une chose que je sais bien et que j'affirme sans hésiter; la voici : Quiconque fait ses efforts pour persévérer dans le désir de t'aimer, finira par habiter en toi, et Dieu habitera en lui. Le diable lui devient utile par les tentations dont il le poursuit, et il gémit de le voir tendre vers le séjour d'où il s'est vu lui-même chassé. Le vainqueur des démons entre donc dans la société des Anges; celui qui s'est exilé du monde devient l'héritier du paradis; en se renonçant soi-même, on est disciple du Christ, et, parce qu'aujourd'hui on marche sur ses traces, on sera certainement élevé, après le voyage, à l'honneur de régner avec le Sauveur. Enfin, et j'ajoute ceci en toute confiance, quiconque, par amour pour Dieu, passera sa vie jusqu'à la fin dans la solitude, sortira de cette maison de boue pour entrer dans la construction de l'édifice éternel et céleste qui ne sera point fait de main d'homme (1).

 

1. II Cor. V, 1.

 

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TROISIÈME TRAITÉ. SUR LES SEPT DEMANDES DU NOTRE PÈRE.

 

ANALYSE. — 1. Dans les Ecritures, nous trouvons cinq fois le nombre sept : que désigne-t-il ? - 2. Il y a sept vices principaux. — 3. Sept demandes opposées à ces sept vices, et, d'accord avec elles, sept dons du Saint-Esprit et sept béatitudes. — 4. La première demande est contre l'orgueil. — 5. La seconde contre l'envie. — 6. La troisième contre la colère. — 7. La quatrième contre la paresse. — 8. La cinquième contre l'avarice. — 9. La sixième contre la gourmandise. — 10. La septième contre la luxure.

 

1. Mon frère, je trouve cinq fois le nombre sept dans la sainte Ecriture. Suivant tes désirs; et autant que cela me sera possible, je veux en énumérer le détail, afin que tu sois à même d'en distinguer les différentes parties ; puis je reprendrai chaque chose l'une après l'autre et t'aiderai,.par mes explications, à bien saisir la concordance qui se trouve entre elles. Il est d'abord question des sept vices : 1° de l'orgueil ; 2° de l'envie; 3° de la colère; 4° de l'ennui, ou, en d'autres termes, de la paresse ; 5° de l'avarice ; 6° de la gourmandise ; 7° de la luxure. A ces vices sont, en second lieu, opposées les sept demandes que nous lisons dans la prière du Seigneur : 1° Celle par laquelle nous adressons à Dieu cette supplique : « Que votre nom soit sanctifié (1) »; 2° celle où nous lui disons : « Que votre règne arrive » ; et ainsi de suite. En troisième lieu viennent les sept dons du Saint-Esprit : 1° l'esprit de crainte; 2° l'esprit de piété, et le reste. Quatrièmement, nous lisons les noms des sept vertus : 1° la pauvreté d'esprit, c'est-à-dire l'humilité; 2° la mansuétude ou la bonté; 3° la componction ou la douleur; 4° la soif de la justice ou le désir du bien ; 5° la miséricorde ; 6° la pureté du coeur ; 7° la paix. Enfin, et en cinquième lieu, se présentent les sept béatitudes: 1° le royaume des cieux ; 2° la possession de la terre ; 3° la consolation; 4° le rassasiement en fait de justice; 5° la miséricorde; 6° la vue de Dieu; 7° l'adoption accordée par lui. Distingue et comprends bien ceci : les sept vices sont les maladies de l'âme ; l'homme est le malade, Dieu le médecin, les dons du Saint-Esprit le

 

1. Matth. VI, 9.

 

remède, les vertus la santé, les béatitudes la joie que l'on goûte au sein du bonheur.

2. Il y a donc sept vices principaux, qui sont comme autant de sources d'où sortent tous les autres ; les fleuves de Babylone y puisent leurs eaux, et vont ensuite conduire et répandre sur toute la terre un déluge d'iniquités. Aussi le Psalmiste a-t-il dit : « Près des fleuves de Babylone », etc. Parlons donc de ces vices qui portent de tous côtés leurs ravages, qui détruisent totalement notre innocence naturelle et produisent, en même temps, le germe de tous nos maux. Ils sont au nombre de sept : les trois premiers dépouillent l'homme de tout ce qu'il a ; le quatrième lui donne le fouet ; une fois flagellé, l'homme est chassé par le cinquième, puis séduit par le sixième, et enfin, le septième le réduit en servitude. En effet, l'orgueil ôte à l'homme son Dieu ; l'envie lui enlève son prochain, la colère l'arrache à lui-même ; une fois dépouillé de tout, il se voit flagellé par l'ennui, puis l'avarice le met dehors, puis la gourmandise le séduit, et, enfin, la luxure en fait un esclave. L'orgueil est l'amour de sa propre excellence; car l'âme qui en est infectée aime le bien qu'elle possède, exclusivement et indépendamment de celui à la générosité duquel elle le doit. Pernicieux orgueil, que fais-tu ? Pourquoi conseiller au rayon de se séparer du soleil, et au ruisseau de se rendre indépendant de la source ? Est-ce qu'en se privant des eaux de la source, le ruisseau ne se dessèche pas ? Est-ce qu'en refusant la lumière du soleil, le rayon ne se confond pas avec les ténèbres ? Est-ce qu'en refusant de recevoir ce qu'ils n'ont pas (596)  encore, l'un et l'autre ne perdent pas aussitôt même ce qu'ils avaient déjà? Comme tout bien a sa vraie source en Dieu, ainsi, en dehors de Dieu, on ne peut utilement posséder aucun bien ; aussi l'envie suit-elle toujours de près l'orgueil ; car si on n'a point porté ses affections jusqu'à la source de tout bien, on se tourmente d'autant plus vivement du bonheur d'autrui, qu'on se laisse injustement exalter par le sien propre. Le châtiment, résultat infaillible de l'envie, est donc, de toute justice, infligé à l'enflure du coeur ; il est juste, en effet, que n'ayant point voulu aimer le principe de tout bien, on sèche d'ennui à la vue du bonheur d'autrui ; car, évidemment, on ne souffrirait pas de voir la réussite heureuse du prochain, si l'on possédait par l'amour Celui de qui tout bien procède. Se regarderait-on comme dépouillé de la félicité d'autrui, si on plaçait ses affections là où l'on posséderait avec son propre bien le bien de tous ses semblables ? Certainement non. Autant donc l'orgueil nous élève contre le Créateur, autant la jalousie nous rend inférieurs au prochain ; plus factice est, d'un côté, notre élévation, plus réelle est, de l'autre, notre chute. Néanmoins, la corruption, une fois en marelle, ne peut pas même s'arrêter là. Sitôt, en effet, que l'orgueil a enfanté l'envie, celle-ci donne naissance à la colère ; car il est naturel qu'on prenne en dégoût ce qu'on possède en soi-même, quand on ne peut reconnaître ce qu'on possède en la personne des autres ; aussi perd-on du même coup et ce dont la charité nous assurait la possession en Dieu, et ce que l'orgueil s'efforçait de posséder en dehors de Dieu. L'envie nous fait perdre le prochain, la colère nous dérobe à nous. mêmes. Ayant tout perdu, où la malheureuse conscience irait-elle puiser la joie et le bonheur ? Elle se trouve comme étouffée en elle-même par la tristesse ; elle n'a pas voulu se réjouir charitablement du bien d'autrui ; ses propres maux peuvent-ils aboutir à autre chose qu'à la déchirer? A la suite de l'orgueil, de l'envie et de la colère, qui ôtent à l'homme tout ce qu'il a, vient immédiatement la tristesse: celle-ci, le trouvant dépouillé, lui donne le fouet pour le mettre dehors, l'avarice succède à la tristesse ; c'est justice, car s'il ne goûte plus les joies célestes, il lui faut chercher au dehors sa consolation; puis vient la gourmandise, qui le séduit ; dès lors que l'âme s'adonne aux objets extérieurs, ce vice se trouve en quelque sorte dans son voisinage ; il la tente, et, par l'intermédiaire de l'appétit naturel, il l'entraîne aux excès de la bouche ; enfin, voici la luxure, qui, le trouvant séduit, jette violemment l'homme dans l'esclavage. Quand une fois la crapule a allumé l'incendie dans son corps, le feu de la débauche survient à son tour et désagrège ses forces, en sorte que son esprit ne peut plus faire un pas, faute d'énergie et de fermeté. Voilà donc l'âme honteusement subjuguée et condamnée au plus dur esclavage; à moins que le Sauveur ne prenne pitié d'elle, c'en est, pour toujours, fini de sa liberté.

3. A l'encontre des sept principaux vices, viennent les sept demandes, par lesquelles nous supplions Celui qui nous a appris à prier, de venir à notre secours; car il a promis de donner son bon esprit à ceux qui le prieraient. L'orgueil enfle le coeur; l'envie le dessèche : il se déchire sous l'influence de la colère : la tristesse le broie et le réduit, pour ainsi dire, en poussière; l'avarice le jette aux quatre vents : il devient humide et se corrompt au contact de la gourmandise ; enfin, la luxure le foule aux pieds et le réduit en boue, en sorte que ce malheureux peut s'écrier : « Je suis plongé dans la vase de l'abîme (1) ». Il est incapable d'en sortir, s'il ne crie vers Dieu pour lui demander son secours, ce secours dont le Prophète a dit : « J'ai attendu , j'ai attendu le Seigneur ; il s'est abaissé vers moi, il a entendu mes cris, il m'a retiré de l'abîme de la misère et du milieu de la fange (2) ». Le Sauveur nous a donc appris à prier, afin que nous sachions qu'il est la source de tout bien.

4. « Que votre nom soit sanctifié ». Cette première demande , que nous adressons à Dieu, est contre l'orgueil ; car, par là, nous le supplions de nous inspirer la crainte et le respect de son nom. L'orgueil nous a rendus rebelles et entêtés à son égard ; nous le conjurons donc de nous accorder l'humilité, qui fera de nous des hommes soumis à ses ordres. Cette demande a pour effet d'obtenir le don de l'esprit de crainte de Dieu : en venant dans notre coeur, cet esprit y allumera la vertu d'humilité, qui, à son tour, fera disparaître la maladie de l'orgueil : alors, l'homme, devenu humble, pourra parvenir au royaume

 

1. Ps LXIII, 5. — 2. Ps. XXXIX, 1, 2.

des cieux, d'où la superbe a précipité l'ange rebelle.

5. A l'envie nous opposons la seconde demandé, qui est ainsi conçue : « Que votre règne arrive ». Le règne de Dieu c'est le salut de l'homme. On dit que Dieu règne sur les hommes, quand ils lui sont soumis, maintenant, en s'unissant à lui par la foi, plus tard, en le contemplant face à face. Aussi, celui qui demande au Seigneur que son règne arrive, lui demande-t-il le salut des hommes, et, par cela même qu'il demande le salut de tous, déclare-t-il qu'il réprouve la jalousie méchante. Cette prière obtient l'esprit de piété, qui doit embraser le cœur du feu de la charité et aider l'homme à mériter lui-même l'héritage éternel qu'il souhaite à ses semblables.

6. Contre la colère, nous disons à Dieu « Que votre volonté soit faite ». Car, pour dire : « Que votre volonté soit faite », il faut ne pas vouloir engager de discussion. Par ces paroles, nous donnons à entendre que nous acceptons de grand cœur les desseins de Dieu sur nous ou sur les autres. Elles nous obtiennent l'esprit de science, qui, par sa venue en nos coeurs, nous instruira et nous inspirera intérieurement une salutaire componction alors nous saurons que les maux qui nous affligent sont le résultat de nos fautes, et que le bien qui nous échoit est l'effet de la miséricorde divine ; ainsi, et quelles que soient les circonstances, heureuses ou malheureuses, où nous nous trouvions, nous apprendrons, non pas à nous irriter contre le Créateur, mais à nous montrer toujours résignés à faire sa volonté ! Comme conséquence de la componction du coeur, qui naît de l'humilité de l'âme sous l'influence de l'esprit de science, l'esprit se calme et s'adoucit, la colère et l'indignation disparaissent, tandis que l'emportement ôte la raison et tue celui qui s'y abandonne. Pour cette vertu de componction, la consolation vient à la suite afin de la récompenser, sans qu'elle ait eu néanmoins à souffrir la moindre douleur ; et, de la sorte, il arrive que quiconque s'afflige et se lamente volontairement ici-bas en présence de Dieu, méritera de jouir au ciel de la vraie joie, de la véritable allégresse.

7. Voici contre la tristesse, c'est la quatrième demande : « Donnez-nous aujourd'hui notre pain quotidien ». La tristesse est l'ennui (597) d'une âme dégoûtée : elle a lieu, quand cette âme, en quelque sorte remplie de répugnance et d'amertume par suite de ses infirmités, ne ressent plus aucun goût pour les biens intérieurs. Aussi, pour obtenir la guérison de ce vice, peut-on prier le Dieu miséricordieux de se souvenir, de son habituelle bonté et d'accorder à cette âme languissante l'aliment intérieur qui lui rendra ses forces épuisées par le manque d'appétit : par là, ce qu'elle ne saurait désirer, faute de goût, elle commencera à l'aimer dès qu'il sera présenté devant elle. A cette demande Dieu octroie l'esprit de force, qui ranimera cette âme épuisée et qui, en lui rendant sa vigueur primitive, lui rendra aussi le désir et le goût des aliments intérieurs. La force communique donc au cœur la faim de la justice ; et celui qui brûle ici-bas du désir ardent de la piété, recevra, comme récompense dans le ciel, la plénitude du bonheur.

8. Cinquième demande: a Accordez-nous», etc. : elle est dirigée contre l'avarice. Celui qui remet aux autres leurs dettes ne doit pas éprouver d'inquiétudes pour lui-même, puisqu'il ne veut pas se montrer exigeant : c'est de toute justice. Dès lors que Dieu, par sa grâce, nous délivre de l'avarice, il nous impose une condition pour notre salut et nous indique le moyen par lequel nos dettes doivent s'éteindre. Comme résultat de cette prière, nous recevons donc l'Esprit de conseil; il doit nous apprendre à pardonner volontiers en ce monde à ceux qui nous offensent, afin que nous méritions d'obtenir miséricorde au moment où il nous faudra, en l'autre, rendre compte de nos fautes.

9. La sixième demande concerne la gourmandise : « Ne nous induisez pas en tentation » ; c'est-à-dire, ne permettez pas que nous soyons induits en tentation. Ne sommes-nous pas réellement tentés, quand, sous prétexte d'appétit naturel, les convoitises de la chair s'efforcent de nous entraîner en des excès coupables? Ces convoitises ne cachent-elles point, dans leurs flancs, la volupté, puisqu'elles profitent de la nécessité pour nous flatter? Jamais nous ne sommes induits en cette sorte de tentation, quand nous subvenons à la nature dans la mesure de ses besoins, de manière à empêcher toujours notre appétit de dégénérer en convoitises de la chair. Pour nous y aider, Dieu nous donne (598) l'esprit d'intelligence; alors l'aliment spirituel de sa parole retient en de justes bornes notre appétit sensuel ; il fortifie notre âme, et, ainsi, la faim corporelle ne peut plus briser ses forces, et la volupté devient incapable de la dompter. Voilà pourquoi le Sauveur lui-même a répondu à celui qui le tentait : «L'homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu (1) ». Il voulait, par là, nous montrer clairement que ce pain intérieur répare les forces épuisées de l'âme, et qu'il ne faut pas se tourmenter, si, pour un temps, l'on souffre de la faim matérielle. Pour combattre la gourmandise, nous recevons donc l'esprit d'intelligence : cet esprit débarrasse notre cœur de toutes ses souillures et le purifie : il applique sur notre oeil intérieur, en guise de collyre, la connaissance de la parole divine; il le guérit et le rend si clairvoyant, que celui-ci devient assez perspicace pour contempler l'éclat de la divinité même. Le remède à la gourmandise, c'est donc l'Esprit d'intelligence qui produit dans le cœur la pureté : et cette pureté du cœur mérite à son tour de jouir de la vision de Dieu, selon qu'il est écrit : « Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu'ils verront Dieu (2) !

10. « Délivrez-nous du mal ». Telle est la

 

1. Matth. IV, 3. — 2. Id. V, 9.

 

septième prière qui a trait à la luxure. Il est éminemment convenable que l’esclave demande sa liberté ; aussi cette prière a-t-elle pour résultat d'obtenir l'esprit de sagesse, qui doit rendre aux captifs la liberté qu'ils ont perdue, et les délivrer du joug d'une infâme servitude. Sagesse dérive de saveur : en effet, l'âme, attirée par les charmes de l'éternelle douceur, se recueille déjà en elle-même, ne fût-ce que par ses désirs, et ne trouve plus au-dehors,. dans les voluptés de la chair, le principe dissolvant qui l'énervait. Dès que, par son onction , l'esprit de sa. gesse se met en contact avec notre coeur, il tempère l'ardeur de la concupiscence de nos membres, et, après l'avoir calmée et assoupie, il fait naître en nous la paix intérieure; notre âme tout entière se renferme dans la jouissance des plaisirs spirituels , et en l'homme se rétablit pleinement et parfaitement l'image de Dieu, suivant cette parole de l'Ecriture : « Bienheureux les pacifiques, parce qu'ils seront appelés enfants de Dieu (1) » . Puisqu'il nous a ordonné de le devenir, puisse cette grâce nous être accordée par Notre-Seigneur Jésus-Christ Dieu, qui vit et règne, avec le Père et l'Esprit-Saint, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

1. Matth. V, 9.

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