LETTRE I
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rte de l'église 38 - CH-1897 Le Bouveret (VS)

LETTRE PREMIÈRE. (Fin de l'année 386.)

 

Hermogénien était un ami des jeunes années de saint Augustin ; notre Saint, dans ses premières et déjà si belles études philosophiques, aimait à recueillir les jugements de cet ami. —  Nous ayons dit, dans l'Histoire de saint Augustin, ce qu'étaient les philosophes désignés sous le nom d'Académiciens, et nous avons analysé, l'ouvrage que notre docteur leur a consacré, ci-dessus, page 16-20. — Dans cette lettre, il assure qu'il a plutôt voulu les imiter que les combattre. — Si les fondateurs de cette école ont voilé la vérité, c'était. pour la soustraire aux . profanations des hommes grossiers c'est aussi dans l'intérêt de la vérité qu'Augustin démontre, à ses contemporains indolents, la possibilité de la connaître avec certitude.

AUGUSTIN A HERMOGÉNIEN.

 

1. Je n'oserais jamais, même sous forme de badinage, attaquer les académiciens; l'autorité de si grands hommes me toucherait déjà beaucoup, si de plus je ne savais que leur pensée n'a pas été celle que le vulgaire leur a prêtée. Autant que je l'ai pu, je les ai imités plutôt que combattus, ce qui passerait mes forces.

Il me paraît qu'il était alors convenable que si quelque chose de pur coulait de la source platonicienne, on le mît à la portée d'un petit nombre d'hommes seulement, en le faisant passer dans un lit étroit tout voilé d'ombres et sous des buissons épineux, au lieu de le conduire à découvert et de l'exposer à être troublé et souillé sous les pieds des bêtes qui s'y seraient précipitées. Quoi de plus bestial en effet que l'opinion de ceux qui croient que l'âme .que un corps? Contre des hommes de cette sorte, il était raisonnable et utile de recourir à l'art et à la méthode du vrai Dieu (1). Mais dans ce siècle où nous ne voyons plus de philosophes, si ce n'est peut-être ceux qui en portent la robe, et que je ne trouve pas dignes d'un nom si vénérable, il me semble bon de ramener à l'espérance de découvrir la vérité ceux que les académiciens, par le génie de leur langage, détourneraient de la connaissance des choses. Il ne faudrait pas que des précautions prises dans un temps pour le déracinement de profondes erreurs, servissent à empêcher qu'on ne répandît la science.

2. En ce temps-là, les différentes sectes s'agitaient dans l'étude avec une ardeur si vive qu'on devait uniquement redouter que le faux ne fût autorisé. Chacun, chassé à coups d’arguments du point où il se croyait le plus expugnable, se mettait à chercher autre chose, avec d'autant plus de force et de prudence que l’application à la science des mœurs était plus grande et que la vérité et ses profondeurs obscures paraissaient se cacher dans la nature des choses et dans la nature même de l’esprit. Aujourd’hui, qu’on aime si peu le travail et les nobles études, si on entend dire que des philosophes

 

1. Qui voile la vérité aux indignes,comme on le remarque dans les paraboles évangéliques. (Matt. XIII, 10-16)

 

 

 

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très-subtils aient jugé impossible de rien connaître, les intelligences se laissent aller et se ferment éternellement. On n'osera pas se croire plus pénétrant que ces philosophes, ni se vanter d'avoir trouvé ce qui a échappé à la grande étude, au. génie, aux loisirs, au savoir vaste et varié de Carnéade pendant une longue vie. Si ces esprits paresseux se décident, par un effort, à lire les ouvrages qui semblent refuser à la nature humaine la faculté de connaître la vérité, ils retombent aussitôt dans un assoupissement si profond que la trompette céleste ne peut les éveiller.

3. Votre jugement au sujet de mes petits livres (1), m'est très-agréable, et telle est mon opinion sur vous, que je ne crois pas votre sagesse capable de se tromper ni votre amitié capable de feindre; c'est pourquoi je vous demande de voir soigneusement et de m'écrire si vous approuvez ce que j'ai dit, à la fin du troisième livre, plutôt par conjecture qu'avec certitude, mais pourtant, je pense, avec plus d'utilité que de motifs de n'y pas croire. Quoi qu'il en soit de ce que j'ai écrit, ce qui me plaît surtout, ce n'est pas d'avoir vaincu les académiciens, ainsi que l'amitié, plus peut-être que la vérité, vous le fait dire, c'est d'avoir brisé le lien qui m'empêchait de m'approcher des mamelles de la philosophie, et d'avoir triomphé du désespoir de trouver le vrai, cette pâture de l'esprit (2).

 

1. Contre les Académiciens.

2. Les quatre premières lettres ont été écrites de Cassiacum

 

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