LETTRE XLIII
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rte de l'église 38 - CH-1897 Le Bouveret (VS)

LETTRE XLIII. (Année 397 ou commencement de l'année 398.)

 

Le schisme des donatistes. — Exposé des faits par des témoignages irrécusables. Les donatistes mis en contradiction avec eux-mêmes; leurs prétentions et leur attitude condamnées par les saintes Ecritures. La vérité est démontrée contre eux jusqu'à l'évidence la plus palpable. Des traits d'éloquence se rencontrent dans la dernière partie de cette lettre. Les personnages à qui elle est adressée habitaient Tubursi (1).

 

AUGUSTIN A SES BIEN – AIMÉS ET HONORABLES SEIGNEURS ET FRÈRES GLORIUS, ÉLEUSIUS, LES DEUX FÉLIX, GRAMMATICUS, ET A TOUS CEUX QUI VOUDRONT BIEN LIRE CECI.

 

1. L'apôtre Paul a dit : « Evitez l'hérétique « après l'avoir averti une première et une

 

1. Nous rencontrons plus d'une fois dans les lettres de saint Augustin le nom de l'ancienne cité de Tubursi ; grâce à de précieuses communications, nous pouvons en déterminer l'emplacement; Tubursi était situé sur la route de Çalame à Madaure, à peu prés à égale distance de l'une et de l'autre ; ses vestiges forment un énorme monceau de ruines; ce lieu se nomme aujourd'hui Sremica. Dans cette XLIIIe lettre, nous trouvons une autre cité dont nous aurions aimé à marquer la position précise, c'est Tigisis ; nous savons seulement que cette ville était située au sud de Constantine, sur la route de Théveste, aujourd'hui Tebessa.

 

 

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seconde fois, sachant que celui qui est en cet « état est perverti, et qu'il pèche et qu'il est « condamné par son propre jugement (1). » Mais on ne doit pas compter au nombre des hérétiques ceux qui défendent sans passion opiniâtre une doctrine, même fausse et perverse, surtout lorsque ne l'ayant point orgueilleusement enfantée, mais l'ayant reçue de leurs pères comme un héritage d'erreur, ils cherchent la vérité avec une prudente sollicitude, tout prêts à Se corriger, du moment qu'ils l'auront trouvée. Si je ne vous croyais pas de tels sentiments, je ne vous écrirais peut-être pas. Cependant, comme nous demandons qu'on évite l'hérétique enflé d'un odieux orgueil et devenu insensé dans l'obstination de ses mauvaises disputes, dans la crainte qu'il ne séduise les faibles et les petits; ainsi nous ne le repoussons pas quand nous avons l'espoir de le ramener, n'importe par quels moyens. Aussi ai-je écrit à quelques-uns des principaux d'entre les donatistes, non pas des lettres de communion qu'ils ne reçoivent plus depuis longtemps déjà, à cause de leur éloignement de l'unité catholique répandue par toute la terre , mais des lettres particulières comme nous pouvons en adresser aux païens : si parfois ils les ont lues, ils n'ont pas voulu y répondre, ou, ce qui est plus à croire, ils ne l'ont pas pu. Il nous a paru que nous remplissions ainsi ce devoir de charité que l'Esprit-Saint nous prescrit, non-seulement à l'égard des nôtres, mais encore à l'égard de tous, lorsqu'il nous dit par le ministère de l'Apôtre : « Que le Seigneur vous « multiplie et vous fasse abonder en charité les uns pour les autres et pour tous (2). » Ailleurs l'Esprit-Saint nous enseigné encore qu'il faut reprendre avec douceur les dissidents : « Dans l'espérance, dit l’Apôtre, que Dieu leur donnera un jour l'esprit de pénitente pour connaître la vérité, et qu'ils sortiront des pièges du démon qui les retient captifs pour qu'ils fassent sa volonté (3). »

2. J'ai commencé par vous dire ces choses, afin qu'on ne m'accuse ni d'orgueil ni d'imprudence pour vous avoir écrit et avoir voulu m'occuper de l'affaire de votre âme, quoique

 

1. Tite, III, 10, 11.

2. I Thess. III, 12. —  3. II Timoth. II, 25, 26.

 

vous ne soyez pas de notre communion : si je vous écrivais pour une terre ou pour terminer une question d'argent, personne assurément n'y trouverait à redire : tant les choses de ce monde tiennent au coeur des hommes, et tant ils se sont avilis à leurs propres yeux ! Cette lettre sera donc un témoin qui me défendra au tribunal de Dieu : il sait quel esprit m'anime dans ce que je fais en ce moment, et il a dit : « Bienheureux les pacifiques, parce qu'ils seront appelés enfants de Dieu (1) ! »

3. Veuillez donc vous rappeler que, pendant que j'étais dans votre ville (2), traitant avec vous de quelques points de la communion de l'unité chrétienne, on produisit de votre part certains actes d'où il résulte que soixante-dix évêques condamnèrent Cécilien, ancien évêque catholique de Carthage, avec ses collègues et ceux qui l'avaient ordonné; et qu'on discuta aussi, avec une haine et une acrimonie particulières, la cause de Félix, évêque d'Aptonge. Cela étant lu, je répondis qu'il n'y avait rien de surprenant que les hommes qui firent alors le schisme eussent voulu condamner témérairement, en dressant acte de cette condamnation , des absents sans connaissance de cause et à l'instigation de rivaux et de gens perdus; que nous avons d'autres actes ecclésiastiques d'après lesquels Sécondus, évêque de Tigisis, alors primat de Numidie, laissa au jugement de Dieu et sur leurs sièges épiscopaux, des évêques qui, présents et interrogés, s'avouèrent traditeurs, et dont les noms figurent sur la liste de ceux qui ont condamné Cécilien ; car c'était encore Sécondus qui présidait cet autre concile où il condamna des absents comme traditeurs, en s'appuyant sur le témoignage de ceux qui présents se confessèrent coupables du même crime et reçurent de lui leur pardon.

4. Nous dîmes ensuite que peu. de temps après l'ordination de Majorin, qu'ils nommèrent criminellement contre Cécilien, élevant autel contre autel et rompant l'unité du Christ par de furieuses divisions, ils allèrent demander à l'empereur Constantin de faire juger par des évêques les différends survenus en Afrique, et qui troublaient la paix; que cela fut fait en présence de Cécilien et de ceux qui avaient passé la mer pour l'accuser; que, d'après la sentence rendue par Melchiade, évêque de Rome, assisté de ses collègues envoyés par l'empereur à la prière des donatistes, on ne put

 

1. Matth. V, 9. —  2. A Tubursi.

 

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contre lui, condamné; qu'ensuite tous les donatistes demeurant encore dans l'opiniâtreté de ce schisme détestable, l'empereur soumit de nouveau la question à l'examen et à la décision d'un concile à Arles ; qu'ils en appelèrent de ces jugements ecclésiastiques à Constantin lui-même; que devant ce nouveau tribunal, les deux parties étant présentes, l'innocence de Cécilien fut reconnue une fois de plus, que les donatistes se retirèrent confondus et n'en persistèrent pas moins dans la même perversité d'opinion; que l'affaire de Félix, évêque d'Aptonge, ne fut pas négligée, mais que, par l'ordre du même prince, elle fut envoyée au tribunal du proconsul, qui proclama l'innocence de l'évêque Félix.

5. Mais comme nous ne faisions que rappeler ces faits sans avoir la preuve sous les yeux, nous paraissions ne pas accomplir tout ce que vous attendiez de nous, et, sans retard, nous envoyâmes chercher ce que nous avions promis de lire; en moins de deux jours; nous courûmes les chercher à l'église de Gélitsi et les apportâmes tous à votre ville; puis, comme vous savez, on vous lut, dans l'espace d'une journée, tout ce qu'il fut possible : ce furent d'abord les actes par lesquels Sécondus, évêque de Tigisis, n'osa pas déposer des traditeurs s'avouant tels, et osa, sur leur déposition, condamner Cécilien et ses autres collègues quoiqu'ils fussent absents et n'avouassent rien ; ce furent ensuite les actes proconsulaires, qui attestent l'innocence de Félix après un examen très-attentif. Vous vous souvenez que ces pièces vous furent lues avant midi. Nous vous lûmes dans l'après-midi les requêtes des donatistes à Constantin, le récit de leur affaire portée à Rome devant les juges nommés par l'empereur, qui les condamnèrent et maintinrent Cécilien sur son siège; enfin les lettres de Constantin où tous ces faits éclatent avec des preuves d'incomparable autorité.

6. Hommes, que voulez-vous de plus? que vous faut-il encore? Il ne s'agit ni de votre or ni de votre argent; nous n'avons pas à discuter pour une terre, des héritages ou la santé de votre corps : nous excitons vos âmes pour les faire arriver à l'éternelle vie et les arracher à l'éternelle mort. Réveillez-vous donc. Nous ne remuons point ici une question obscure; nous ne cherchons pas à pénétrer des secrets inaccessibles aux investigations des hommes ou dont un petit nombre seulement puisse percer la profondeur ; il s'agit d'une chose évidente Qu'y a-t-il de plus clair et de plus facile à voir? Nous disons qu'un concile téméraire, quoique très-nombreux, a condamné des innocents et des absents; nous le prouvons par les actes proconsulaires qui déclarent innocent celui-là même dont les actes de votre concile font sonner le plus haut la culpabilité. Nous disons que ce sont des traditeurs, se reconnaissant comme tels, qui ont porté la sentence contre des hommes accusés de l'être; nous le prouvons par les actes ecclésiastiques, où on lit leurs noms, et où Sécondus, évêque de Tigisis, pardonne, sous le voile d'un sentiment pacifique, un crime constaté, et rompt ensuite la paix en condamnant sans connaître : ce qui montre bien qu'il ne se préoccupait pas des intérêts de la paix, mais qu'il craignait pour lui-même. Car Purpurins, évêque de Limat, lui rappela que lui Sécondus, emprisonné afin d'être forcé de livrer les Ecritures, n'avait pas recouvré pour rien sa liberté, et qu'il avait livré ou fait livrer les livres saints; ce fut alors que l'évêque de Tigisis, redoutant les effets d'un soupçon assez fondé, après avoir pris conseil d'un parent du même nom que lui, et avoir consulté aussi ses collègues présents, crut devoir abandonner au jugement de Dieu les crimes les plus évidents, et se donna les airs de sauver la paix : c'était faux, puisqu'il ne sauvait que lui-même.

7. Si la pensée de la paix avait habité dans son âme, il n'aurait pas condamné, à Carthage, avec ces traditeurs coupables de leur propre aveu et laissés au jugement de Dieu, les absents que personne n'avait convaincus de ce même crime auprès de lui. Car il devait d'autant plus craindre de rompre l'unité de la paix, qu'il se trouvait là dans une grande et illustre cité d'où le mal, une fois commencé, se répandrait comme de la tête sur tout le corps de l'Afrique. De plus, Carthage est voisine des régions d'outre-mer, et le monde entier connaît son nom; aussi l'autorité de son évêque n'est pas petite, et il pouvait ne pas prendre souci de la multitude de ceux qui conspiraient contre lui, en se voyant uni de communion avec l'Eglise de Rome où la chaire apostolique a toujours gardé sa forte primauté (1), et avec les autres contrées

 

1. ... Romance ecclesiae, IN QUA SEMPER APOSTOLICAE CADHEDRAE  VIGUIT PRINCIPATUS. Nous recommandons à l'attention et à la bonne foi des protestants ces paroles écrites, il y a près de quinze siècles.

 

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d'où l'Evangile est venu en Afrique : il pouvait y porter sa cause si ses adversaires faisaient effort pour indisposer ces Eglises contre lui. Si donc Sécondus refusa de se rendre au milieu de collègues qu'il savait ou qu'il soupçonnait, ou, comme le veulent les donatistes, qu'il faisait semblant de croire prévenus contre la vérité de sa cause; c'était pour lui, s'il avait voulu être vraiment gardien de la paix, un nouveau motif de prendre garde que ces évêques ne condamnassent des absents qui avaient décliné leur juridiction. Il ne s'agissait pas de prêtres, de diacres ou de clercs d'un ordre inférieur, mais d'accusés qui étaient évêques comme eux, et qui, réservant leur cause tout entière, pouvaient la porter au jugement d'autres collègues et surtout des chefs des Eglises apostoliques; auprès de pareils juges, une sentence contre des absents n'était d'aucune valeur; ceux-ci ne repoussaient pas une juridiction qu'ils eussent d'abord acceptée, mais ils l'avaient toujours tenue pour suspecte et ne l'avaient jamais reconnue.

8. C'est surtout de cela que se serait inquiété Sécondus, si, étant primat, il n'avait dirigé le concile que dans des vues de paix; il aurait sans doute aisément apaisé ou modéré la rage de ses collègues contre des absents, en leur tenant ce langage : « Vous voyez, mes frères, la paix que les princes du siècle nous accordent par la miséricorde de Dieu, après les longues horreurs de la persécution; nous ne devons pas, nous, chrétiens et évêques, rompre cette unité chrétienne que le païen lui-même n'attaque plus. Ainsi donc, ou remettons à a la justice de Dieu toutes ces causes qui ont affligé l'Eglise en des temps de malheur; ou bien, s'il en est quelques-uns parmi vous qui connaissent d'une manière certaine qu'ils sont coupables, s'ils peuvent prouver facilement leur crime et les convaincre malgré leurs dénégations, et s'ils craignent de communiquer avec eux, qu'ils aillent vers nos frères et nos collègues les évêques des Eglises d'outre-mer pour se plaindre de leurs actes, de leur contumace, et de ce que, la conscience chargée, ils refusent de se soumettre au jugement de leurs collègues d'Afrique : de là on les obligera à se présenter, et ils auront à répondre aux questions qui leur seront faites. En cas de refus de leur part, leur iniquité sera révélée par les Eglises d'outre-mer; et pour que l'erreur ne puisse s'asseoir sur le siège de l'Eglise de Carthage, des lettres synodiques, dénonçant nominativement les coupables à toute la terre, partout où l'Eglise du Christ est répandue, les sépareront de la communion de toutes les Eglises. Ceux-ci une fois exclus de toute l'Eglise, nous ordonnerons en sûreté un autre évêque pour le peuple de Carthage : si nous agissions autrement, il serait à craindre que l'Eglise d'outre-mer ne se mît pas en communion avec le nouvel évêque ordonné, parce qu'on ne regarderait pas comme déposé celui dont là renommée a annoncé l'ordination, et qui a reçu des lettres de communion. Evitons de hâter notre sentence, de peur que le scandale d'un grand schisme. n'éclate dans l'unité du Christ au milieu des temps meilleurs qui commencent pour l'Eglise, de peur que nous n'élevions un nouvel autel, non pas contre Cécilien, mais contre toute la terre qui, dans son ignorance, reste en communion avec lui. »

9. Admettons qu'il se fût rencontré quelqu'un d'assez violent pour repousser un aussi bon conseil, qu'aurait-il pu faire ? Comment aurait-il pu condamner un seul de ses collègues absents, sans tenir sous sa main les actes du concile refusés par le primat? Et si les manoeuvres séditieuses contré le premier siège de l'Afrique avaient été assez fortes pour que quelques-uns eussent voulu condamner ceux dont le primat voulait différer le jugement, combien il eût été meilleur de se mettre en désaccord avec cette portion inquiète et agitée, que de rompre la communion avec tout l'univers ! Mais comme on ne pouvait rien prouver devant les évêques d'outre-mer contre Cécilien et ses ordinateurs, on ne voulut pas les déférer avant de les juger, et, après la sentence portée contre eux, on n'en informa pas les Eglises d'outre-mer, qui auraient dû éviter la communion avec les traditeurs d'Afrique condamnés. Ah ! si on avait fait ainsi, Cécilien et les autres se seraient rendus auprès des juges ecclésiastiques d'outre-mer pour se justifier, dans un débat exact, contre leurs faux accusateurs.

10. Nous avons donc raison de croire que ce concile, méchant et criminel, fut surtout composé d'évêques traditeurs, auxquels Sécondus, évêque de Tigisis, avait pardonné après leur aveu. Le bruit de leur crime s'était répandu (31) au loin, et, pour détourner le soupçon, ils en calomnièrent d'autres. Ils espéraient que l'Afrique entière, sur la foi de plusieurs évêques, reprochant des faussetés à des innocents condamnés à Carthage comme traditeurs, eux-mêmes, les vrais traditeurs, parviendraient à se cacher comme dans un nuage de rumeur menteuse. Vous le voyez, mes très-chers, ce que quelques-uns d'entre vous disaient n'être pas vraisemblable, peut avoir eu lieu; des évêques, après s'être reconnus traditeurs et avoir obtenu que leur crime soit laissé à la justice de Dieu, se sont faits juges d'évêques absents accusés d'être traditeurs, et les ont condamnés. Plus ils se sentaient coupables, plus vivement ils saisirent l'occasion de faire tomber sur d'autres une accusation fausse, et d'éloigner ainsi de la recherche de leurs propres crimes les langues tournées contre eux. S'il n'était pas possible de condamner dans un autre le mal qu'on aurait soi-même commis, l'apôtre saint Paul ne dirait pas : « C'est pourquoi, ô homme, qui « que tu sois, qui condamnes les autres, tu es inexcusable, parce qu'en les condamnant tu te condamnes toi-même, puisque tu fais les mêmes choses que tu condamnes (1). » C'est précisément ce que firent vos évêques, et ces paroles de l'Apôtre leur conviennent tout à fait et très-justement.

11. Ce ne fut donc point par amour pour la paix et l'unité que Sécondus remit à Dieu la punition de leurs crimes; autrement, il aurait pris soin d'écarter le schisme à Carthage, où ne se trouvait personne à qui on dût pardonner un crime avoué, mais où il était bien aisé de conserver la paix en s'abstenant tout simplement de condamner des absents. On n'avait pas à pardonner à des innocents qui n'étaient point convaincus du crime, qui n'avaient rien avoué et qui étaient absents : un tel pardon eût été injurieux. Le pardon ne se reçoit pas sans la certitude de la faute. Combien donc furent violents et aveugles ceux qui crurent pouvoir condamner ce qu'ils n'auraient pas pu pardonner, puisqu'ils ne le connaissaient point ! Mais là on avait remis à Dieu la punition des actes connus pour que d'autres ne fussent point recherchés, et ici l'on condamna les actes inconnus pour couvrir le reste. Quelqu'un dira : Ces actes étaient connus ? Si je l'admettais, il ne s'ensuivrait pas moins qu'il aurait fallu avoir égard a l'absence des accusés. Ils ne se

 

1. Rom. II, 1.

 

dérobèrent pas aux juges; ils ne les reconnurent jamais comme tels. Ces seuls évêques africains ne formaient pas toute l'Eglise, et ce n'était pas se soustraire à tout jugement ecclésiastique que de ne pas vouloir s'offrir à leur jugement. Il restait au delà des mers des milliers d'évêques pour juger ceux qui semblaient tenir pour suspects des évêques africains ou numides. Que deviendrait donc ce que nous crie l'Ecriture : « Ne blâmez personne avant de l'avoir interrogé; et quand vous l'aurez interrogé, reprenez-le avec justice (1)? » Si donc l'Esprit-Saint n'a pas voulu qu'on blâmât ni qu'on reprît personne sans l'avoir interrogé, combien il a été criminel, non-seulement de blâmer ou de reprendre, mais de condamner tout à fait ceux que leur absence n'a pas même pu permettre d'interroger !

12. Après avoir condamné des collègues absents qui ne reconnurent jamais leur justice et déclarèrent toujours leur troupe fort suspecte, vos évêques soutiennent qu'ils n'ont condamné que des crimes connus. Mais, dites-le-moi, je vous en prie, comment les ont-ils connus? Vous répondez : Nous ne le savons pas, puisque les actes publics ne nous en apprennent rien. Je vous montrerai, moi, comment ils les ont connus. Regardez attentivement l'affaire de Félix d'Aptonge ; voyez quelle fureur contre lui ! L'affaire des autres fut comme celle de cet évêque dont on prouva l'innocence après un profond et sévère examen. Avec quelle prompte justice et quelle sûreté de pensée ne devons-nous pas proclamer innocents ceux qui furent l'objet d'accusations légères et de faibles réprimandes, puisqu'on a trouvé irréprochable celui contre lequel tant de violences avaient éclaté !

13. Il est une chose qui fut dite, qui ne reçut pas votre assentiment, mais que je ne saurais passer sous silence, c'est qu'un évêque ne devait pas se faire absoudre par un proconsul comme si l'évêque avait choisi lui-même le tribunal proconsulaire, et qu'il ne se fût pas conformé aux ordres de l'empereur à qui appartenait principalement ce soin dont il devait rendre compte à Dieu ! C'est lui en effet que les sollicitations de vos évêques avaient fait juge de la cause des traditeurs et du schisme; ils lui avaient même adressé une requête sur ce sujet, et plus tard ils en appelèrent de nouveau à son jugement : et cependant ils n'ont

 

1. Ecclésiastiq. XI, 7.

 

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pas voulu l'accepter. C'est pourquoi, s'il faut réserver un blâme à celui qui a été absous par un juge de la terre qu'il n'avait pas demandé, combien faut-il blâmer davantage ceux qui ont voulu un roi pour juge de leur cause ! S'il n'est pas criminel d'en appeler à l'empereur, il ne peut pas y avoir de crime à être entendu par l'empereur, ni par celui à qui il délègue le soin de juger. Celui de vos amis qui a soulevé ce blâme a voulu charger la cause de l'évêque Félix de l'histoire d'un homme suspendu au chevalet pour souffrir la question et être déchiré avec des ongles de fer. Mais Félix pouvait-il s'opposer à toutes les sévérités des recherches judiciaires lorsque le juge d'instruction cherchait à éclaircir sa cause ? Ne pas vouloir que la vérité fût cherchée de la sorte, n'aurait-ce pas été l'aveu même du crime? Et cependant ce même proconsul, au milieu des voix terribles de ses crieurs, au milieu de ses bourreaux aux mains ensanglantées, n'eût jamais condamné un collègue absent, refusant de comparaître devant lui, tant qu'il serait resté quelque autre tribunal pour le juger; et, s'il l'avait condamné, il en eût été justement puni par ces mêmes lois qui armaient sa justice.

14. Si les actes proconsulaires vous déplaisent, rendez-vous aux actes ecclésiastiques: on vous les a tous lus par ordre. Direz-vous que Melchiade (1), évêque de l'Eglise de Rome, n'aurait pas dû , avec ses collègues d'outre-mer, s'attribuer la connaissance d'une affaire jugée par soixante-dix évêques d'Afrique sous la présidence du primat de Tigisis ? Mais se l'est-il attribuée? Ce fut l'empereur qui, prié par vos amis eux-mêmes, envoya à Rome des évêques pour examiner la question avec Melchiade et statuer selon ce qui paraîtrait le plus juste. Nous le prouvons par les sollicitations des donatistes et les paroles même de l'empereur; vous vous souvenez qu'on vous les a lues, et vous avez la permission de les voir et de les copier. Lisez et considérez toutes ces choses. Voyez comme rien n'a été épargné pour le maintien de la paix ou pour son établissement, comme on a traité la personne des accusés, de quelles infamies quelques-uns d'entre eux se trouvèrent chargés, avec quelle évidence il résulta de leurs propres déclarations qu'ils n'avaient

 

1. Saint Melchiade ou Miltiade, d'origine africaine, élu pape le 21 juillet 311, mort le 10 janvier 314. Son pontificat, de courte durée, fut marqué par la victoire de Constantin sur Maxence, et par la condamnation des donatistes.

 

rien à dire contre Cécilien, mais qu'ils avaient voulu tout rejeter sur la multitude du parti de Majorin (1), multitude séditieuse et ennemie de la paix de l'Eglise ; cette turbulente troupe devait accuser Cécilien, et les vôtres espéraient que les clameurs populaires suffiraient pour tourner à leur guise l'esprit des juges sans qu'il fût besoin de preuves ni d'examen : mais une bande furieuse et enivrée à la coupe de l'erreur et de la corruption pouvait-elle articuler contre Cécilien des faits véritables après que soixante-dix évêques, dans une témérité violente, avaient condamné des collègues absents et innocents, ainsi que l'atteste l'affaire de Félix d'Aptonge ? Ils s'étaient entendus avec cette multitude pour rendre une sentence contre des innocents non interrogés: ils voulaient qu'elle devînt encore l'accusatrice de Cécilien; mais des juges ne s'étaient point rencontrés qui fussent tombés dans de tels égarements.

15. Vous pouvez, dans votre sagesse, reconnaître la perversité des accusateurs et la fermeté des juges : ceux-ci refusèrent jusqu'au bout d'admettre contre Cécilien les plaintes de la populace du parti de Majorin, où n'apparaissait pas une personne proprement dite dont on pût écouter le témoignage; et ils demandèrent  soit les accusateurs, soit les témoins, soit les autres personnes nécessaires aux débats, qu'on avait vues, disait-on, et que Donat avait fait disparaître. Le même Donat promit de les représenter; après l'avoir promis, non pas une fois, mais souvent, il ne voulait plus se montrer devant ce tribunal qui avait entendu de sa bouche des aveux tels que le but évident de sa retraite était de ne pas assister à sa condamnation : cette condamnation, toutefois, ne devait être motivée que sur ce qui avait été prouvé en sa présence et à la suite de ses réponses. Il arriva aussi qu'un écrit revêtu de quelques signatures, dénonça Cécilien, ce qui donna lieu à un nouvel examen. On sait quels étaient ces dénonciateurs; on ne put rien prouver contre Cécilien; mais que dis-je que vous n'ayez entendu et que vous ne puissiez lire chaque fois que vous le voulez ?

16. Vous vous rappelez tout ce qu'on a répété sur ce nombre de soixante-dix évêques et sur le poids de leur autorité. Mais les hommes sages aimèrent mieux s'abstenir d'entrer dans des questions infinies qui les eussent embarrassés

 

1. Ce Majorin avait été élevé par les donatistes sur le siège épiscopal de Carthage, à la place de Cécilien; injustement rejeté.

 

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comme les anneaux d'une chaîne; ils ne s'occupèrent ni du nombre de ces évêques, ni du lieu d'où ils étaient partis; ils ne reconnaissaient en eux que des hommes assez aveuglés pour condamner précipitamment des collègues sans les entendre. Et quelle sentence que celle que porta en dernier lieu le bienheureux Melchiade lui-même 1 Combien elle fut pure, intègre, prudente. et pacifique 1 L'évêque de Rome ne voulut pas séparer de sa communion ceux de ses collègues contre lesquels rien n'était prouvé; il ne blâma fortement que Donat, en qui il reconnut la cause de tout,le mal ; il laissa aux autres la liberté de revenir au bien, tout prêt à envoyer des lettres de communion à ceux-là même qu'on savait être ordonnés par Majorin : de sorte que, partout où la division aurait amené deux évêques, il aurait voulu que le premier ordonné fût maintenu, et qu'un autre peuple fût confié à l'autre. O l'excellent homme ! ô l'enfant de la paix chrétienne et le père du peuple chrétien ! Comparez maintenant ce petit nombre 'à la multitude de vos évêques, non pas le nombre au nombre, mais. le poids au poids: d'un côté la modération, de l'autre la témérité; ici la vigilance, là l'aveuglement. Ici, la mansuétude n'a point affaibli l'intégrité, ni l'intégrité la mansuétude; là, au contraire, la crainte était couverte par la fureur et la fureur s'accroissait par la crainte. Ceux-ci s'étaient réunis pour rejeter les fausses accusations en recherchant les crimes véritables; ceux-là pour cacher les crimes véritables en condamnant des crimes supposés.

17. Cécilien devait-il se confier à de tels juges, lorsqu'il en avait auprès de qui il pouvait très-aisément prouver son innocence si sa cause était portée à leur tribunal? Il ne devait pas se confier à eux, quand même il eût été un étranger ordonné tout à coup évêque de l'Eglise de Carthage, quand même il aurait ignoré ce que pouvait alors pour corrompre les méchants et les simples une certaine Lucille, très-riche femme qu'il avait offensée étant diacre, en la reprenant au nom de la discipline ecclésiastique elle avait été comme un surcroît de mal pour consommer l'iniquité (1). Car dans ce concile où des traditeurs qui s'étaient avoués coupables

 

1. Saint Jérôme, dans une de ses lettres, parle des misérables femmelettes (miserae mulierculœ), qui se rencontrent dans l'histoire des hérésies. A côté de Simon le Magicien, il voit la courtisane Hélène ; à côté d'Apelles, Philumène; à côté de Montan, Prises et Maximille; à côté de Donat, Lucille; à côté d'Elpide, Agapet. Des femmes jouent aussi un rôle dans les hérésies de Nicolaüs d'Antioche, de Marcion et d'Arius. Lettre de saint Jérôme à Ctésiphon contre Pélage.

 

condamnèrent des absents et des innocents, ils étaient en petit nombre ceux qui cherchaient à couvrir leurs crimes parla diffamation d'autrui, et qui, par de fausses rumeurs, travaillaient à détourner de la recherche de la vérité; ces meneurs et ces intéressés étaient eh petit nombre, malgré le crédit que leur donnaient leurs relations avec Sécondus qui, tremblant pour lui-même, les avait épargnés. Ce fut surtout l'argent de Lucille qui gagna les autres et les poussa contre Cécilien. Dans les actes déposés chez Zénophile, personnage consulaire, il est dit qu'un certain diacre appelé Nondinarius, ayant été dégradé par Sylvain, évêque de Cirta, et n'ayant pu parvenir à le fléchir par des lettres d'autres évêques, exhala sa colère en révélations multipliées, et les produisit en jugement public ; entre autres faits qui furent alors déclarés et qui se trouvent consignés dans les actes, on remarque que l'argent de Lucille corrompit les évêques et qu'à Carthage, métropole de l'Afrique, on éleva autel contre autel. Je sais que nous ne vous lûmes pas ces actes, mais vous vous souvenez bien que ce fut le temps qui nous manqua. Un mécontentement né de l'orgueil favorisa aussi la défection de ces évêques; ils supportaient mal de n'avoir pas ordonné eux-mêmes le pontife de Carthage.

18. Cécilien ne reconnaissant donc pas en eux de vrais juges, mais des ennemis et des, gens corrompus, aurait-il pu vouloir sortir de son église pour se rendre dans une maison particulière où, au lieu du tranquille et sérieux examen de ses collègues, il aurait trouvé une fin violente sous les coups d'une faction, sous les coups de haines de femmes? Son peuple l'aurait-il laissé sortir, surtout en pensant que dans l'Eglise d'outre-mer, étrangère à ces inimitiés privées et à ces déchirements intérieurs, il lui était réservé un tribunal intègre et non corrompu? Si ses ennemis ne voulaient rien faire de ce côté, ils se retrancheraient eux-mêmes de la communion de l'univers, qu'il était impossible de déclarer coupable ; s'ils essayaient de l'accuser devant ce tribunal, il y serait présent, il défendrait son innocence contre leurs machines de guerre, comme vous avez appris qu'il le fit ensuite, lorsque ses adversaires sollicitèrent trop tard le jugement d'outre-mer, après le schisme accompli et après le crime horrible d'avoir élevé autel contre autel. C'est par là qu'ils auraient commencé s'ils s'étaient reposés (34) sur la vérité; mais ils avaient eu besoin que le temps donnât quelque consistance à de fausses rumeurs; ils avaient voulu se présenter devant les juges sous la protection d'une favorable opinion qui était leur ouvrage; ou bien, ce qui est plus à croire, ayant condamné Cécilien à leur guise, ils se croyaient en sûreté par leur grand nombre, et n'osaient pas porter une mauvaise cause là où l'absence de toute influence corruptrice rendrait si facile la découverte de la vérité.

19. Mais voyant que l'univers demeurait en communion avec Cécilien, et que c'était à lui et non pas à l'évêque criminellement ordonné par eux que s'adressaient les lettres des Eglises d'outre-mer, ils eurent honte de garder toujours le silence; on aurait pu leur demander pourquoi ils souffraient que l'Eglise, chez tant de peuples, conservât par ignorance ses relations avec des évêques condamnés, pourquoi ils s'étaient séparés de tant d'Eglises innocentes, en laissant leur évêque de Carthage hors de la communion avec le monde entier. Ce fut à deux fins et à deux fins mauvaises qu'ils portèrent la cause de Cécilien aux Eglises d'outre-mer ; une condamnation à force de ruse et de mensonge eût satisfait leur animosité passionnée; à défaut d'une sentence conforme à leur haine, ils se promettaient de persister dans leur révolte et se réservaient d'annoncer qu'ils avaient eu de mauvais juges : c'est la coutume de tous les mauvais plaideurs, après que la manifestation de la vérité leur a donné tort. Mais on pouvait leur répondre en toute vérité Admettons que les évêques qui jugèrent à Rome n'aient pas été de bons juges; il restait encore le concile général de l'Eglise universelle, où la cause pouvait reparaître avec les mêmes juges; et si leur sentence eût été trouvée mauvaise, elle eût été cassée. Qu'ils prouvent qu'ils ont fait cet appel; nous prouvons aisément, quant à nous, tout le contraire, par cela seul que le monde entier n'est pas en communion avec eux; et, s'ils l'ont fait, là encore ils ont été vaincus : leur séparation en est elle-même un témoignage.

20. Toutefois, ce qu'ils tentèrent ensuite se montre suffisamment dans les lettres de l'empereur. Après qu'un jugement ecclésiastique d'une si grande autorité eut proclamé l'innocence de Cécilien et la perversité de ses accusateurs, ils n'en appelèrent point à d'autres collègues dans l'épiscopat, mais ils osèrent accuser les juges de Rome auprès. de l'empereur. Il leur donna d'autres juges à Arles, c'étaient d'autres évêques; ce n'est pas qu'un examen nouveau lui parût nécessaire, mais il céda à leurs perverses instances, et voulut par tous moyens réprimer leur inexplicable audace. Malgré leurs plaintes bruyantes et menteuses, l'empereur était trop chrétien pour oser examiner lui-même ce qui venait de passer par le jugement d'évêques à Rome; il institua un tribunal composé d'autres évêques, et les donatistes en appelèrent encore de ceux-ci à l'empereur : vous savez vous-mêmes combien il détesta leur conduite à cet égard. Plût à Dieu au moins que le jugement de l'empereur eût mis un terme à leurs coupables folies et qu'ils eussent enfin cédé à la vérité comme lui-même obtempéra à leurs désirs, quand, de guerre lasse, il examina leur, affaire après les évêques et dans le dessein de s'en excuser lui-même auprès des vénérables pontifes, mettant pour condition que les donatistes n'auraient plus rien à dire désormais, s'ils refusaient d'accepter la sentence impériale qu'ils avaient eux-mêmes provoquée ! L'empereur ordonna que les parties se rendissent à Rome pour plaider la cause. Cécilien ne s'y étant pas trouvé, par je ne sais quel motif, l'empereur, pressé par la partie adverse, lui ordonna de le suivre à Milan. Quelques-uns alors commencèrent à se dérober, s'indignant peut-être que Constantin n'eût pas fait comme eux et n'eût pas aussitôt et promptement condamné Cécilien absent; le prévoyant empereur fit conduire les autres par des gardes à Milan. Cécilien s'y trouva et comparut devant l'empereur; la cause fut jugée, et les lettres de Constantin attestent quelles précautions et quels soins précédèrent la sentence qui déclara l'innocence de Cécilien et la méchanceté des accusateurs.

21. Et pourtant ils baptisent encore hors de l'Eglise, et rebaptisent, autant qu'ils le peuvent, les enfants même de l'Eglise; ils offrent le sacrifice dans la séparation et le schisme, et saluent par des souhaits de paix les peuples qu'ils éloignent de la paix du salut. L'unité du Christ est déchirée , l'héritage du Christ est blasphémé , on souffle sur le baptême du Christ; ils ne veulent pas être punis de ces choses par la puissance humaine ordinaire qui leur épargne ainsi des peines éternelles pour de si grands sacrilèges. Nous leur reprochons la fureur du schisme , l'extravagance de la (35) réitération du baptême, la coupable, division de l'héritage du Christ répandu au milieu de toutes les nations. Non-seulement dans nos livres, mais dans ceux qui sont entre leurs mains, nous mentionnons des Eglises dont ils lisent les noms sans être en communion avec elles; lorsqu'ils prononcent le nom, de ces Eglises dans leurs assemblées, ils disent au lecteur: la paix soit avec vous ! et ils n'ont pas la paix avec ces mêmes peuples auxquels ces paroles sont adressées. Ils nous reprochent des crimes faussement attribués à des hommes qui sont morts, des crimes étrangers à la question s'ils étaient vrais; ils ne comprennent pas qu'ils se trouvent tous enveloppés dans les griefs que nous faisons peser sur eux, et que leurs accusations contre nous n'atteignent que la paille et l'ivraie de la moisson du Seigneur et non pas le froment; ils ne considèrent pas que tout en restant uni aux méchants, on ne communique avec eux qu'en approuvant leurs oeuvres; ceux à qui leurs oeuvres déplaisent et qui ne peuvent pas les corriger, mais les supportent, de peur qu'en arrachant l'ivraie avant l'époque de la moisson, ils n'arrachent en même temps le froment, ce n'est pas avec leurs méfaits, mais avec l'autel du Christ qu'ils 'demeurent en communion; non-seulement ils n'en sont pas souillés, mais ils méritent d'être loués par les divines paroles : ne voulant point que les horreurs du schisme outragent le nom du Christ, ils tolèrent pour le bien de l'unité ce qu'ils détestent pour le bien de la justice.

22. S'ils ont des oreilles, qu'ils entendent ce que l'Esprit dit aux Eglises; car on lit dans l'Apocalypse de saint Jean : « Écris à l'ange de l'Église d'Ephèse; voici ce que dit Celui qui tient sept étoiles dans sa main droite, et qui marche au milieu des sept chandeliers d'or : Je connais tes oeuvres, et ton travail et ta patience; je sais que tu ne peux souffrir les méchants; tu as éprouvé ceux qui se disent apôtres et ne le sont pas. Tu les as trouvés menteurs, et tu uses de patience à leur égard, et tu les as supportés à cause de mon nom, et tu ne t'es point découragé (1). » Si l'Écriture voulait parler de l'ange des cieux supérieurs et non point des chefs de l'Église, elle ne continuerait pas ainsi : « Mais j'ai contre toi que tu as abandonné ta première charité. Souviens-toi donc d'où tu es tombé, et fais pénitence, et reprends tes premières oeuvres;

 

1. Apoc. II, 1-3.

 

autrement je viendrai à toi et j'ôterai ton « chandelier de sa place si tu ne fais pénitence (1).» Cela ne peut être dit des anges du ciel, qui conservent toujours la charité : ceux qui en sont déchus, ce sont-le démon et ses anges. La première charité dont il s'agit ici est donc celle par laquelle l'ange d'Ephèse a supporté les faux apôtres à cause du nom du Christ, celle à laquelle on lui ordonne de revenir pour qu'il ait à recommencer ses premières oeuvres. Et nos ennemis nous reprochent les crimes de quelques méchants, des crimes qui nous sont étrangers, même inconnus pour la plupart; s'ils étaient vrais et que nous les vissions de nos yeux, et que, ménageant l'ivraie par respect pour le froment, nous tolérassions les coupables dans une pensée d'unité; quiconque entend les Écritures saintes sans être sourd de coeur, non-seulement ne nous jugerait dignes d'aucun blâme, mais au contraire nous décernerait de grandes louanges.

23. Aaron tolère la multitude qui veut avoir une idole, qui la fabrique et l'adore. Moïse tolère des milliers de juifs murmurant contre Dieu et des offenses si souvent répétées contre son saint nom. David tolère Saül son persécuteur, qui abandonnait le ciel par des moeurs criminelles et interrogeait l'enfer parla magie ; il le venge quand on le tue, et l'appelle le Christ du Seigneur par respect pour le mystère de l'onction sacrée. Samuel tolère les coupables fils d'Héli et ses propres fils, coupables comme eux; le peuple n'ayant pas voulu les supporter, il fut repris par la vérité divine et châtié par la divine sévérité: Samuel tolère le peuple lui-même, superbe contempteur de Dieu. Isaïe tolère ceux à qui il reproche avec vérité tant de crimes. Jérémie tolère ceux de qui il a tant à souffrir. Zacharie tolère les pharisiens et les scribes, tels que l'Écriture nous les représente à cette époque. Je sais que j'en passe plusieurs; lise qui voudra, lise qui pourra les célestes paroles, on verra que tous les saints serviteurs et amis de Dieu ont toujours eu à tolérer avec leur peuple; leur union avec les mauvais dans les sacrements de ce temps-là, loin d'être une souillure , était au contraire un motif de louange; «ils s'appliquaient, comme dit l'Apôtre, à garder l'unité de l'esprit dans le lien de la paix (2). » Qu'on réfléchisse aussi à ce qui s'est passé depuis l'avènement du Seigneur; les exemples de tolérance seraient bien plus

 

1. Apoc. II, 4, 5. — 2. Ephés. IV, 3.

 

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nombreux dans l'univers s'ils avaient pu être tous recueillis et consignés par écrit; mais cependant remarquez ceux qui nous ont été conservés. Le Seigneur tolère Judas, démon, voleur, vendeur de son Maître; il lui permet de recevoir avec des disciples innocents ce prix de notre salut (1), que les fidèles connaissent. Les apôtres tolèrent de faux apôtres; Paul, ne cherchant rien pour lui, mais tout pour Jésus-Christ, fréquente avec une tolérance glorieuse ceux qui cherchent toujours leurs intérêts et jamais ceux de Jésus-Christ. Enfin, ainsi que je l'ai rappelé tout à l'heure, la voix divine loue, sous le nom d'ange, le chef d'une Eglise d'avoir toléré pour le nom du Seigneur les méchants qu'il haïssait et qu'il avait reconnus tels après épreuve faite.

24. Bref, que nos ennemis s'interrogent eux-mêmes : ne tolèrent-ils pas les meurtres et les incendies des circoncellions, la vénération dont on entoure les cadavres de ceux qui ont volontairement cherché la mort dans les précipices? n'ont-ils pas supporté pendant tant d'années les gémissements de toute l'Afrique sous le poids des incroyables maux causés par le seul Optat (2) ? Je vous épargne le récit des actes tyranniques et des brigandages publics accomplis dans chaque province, chaque cité, chaque bourgade d'Afrique; vous aimerez mieux vous le conter à vous-mêmes, soit à l'oreille, soit tout haut, comme il vous plaira; partout où vous tournerez vos regards, vous rencontrerez ce que je dis ou plutôt ce que je tais. Nous n'accusons pas ici ceux que vous aimez dans ce parti; ils ne nous déplaisent point parce qu'ils supportent les mauvais, mais parce qu'ils sont mauvais sans tolérance aucune, parce qu'ils ont fait le schisme, élevé autel contré autel, et qu'ils se sont séparés de l'héritage du Christ répandu sur toute la terre, selon les anciennes promesses. Nous déplorons la violation de la paix, le déchirement de l'unité, la réitération du baptême, l'anéantissement des sacrements, qui demeurent saints jusque dans des hommes scélérats. Si cela leur paraît de faible importance, ils doivent considérer les exemples qui montrent comment Dieu juge ces choses. Ceux qui se fabriquèrent une idole périrent de la mort ordinaire de l'épée (3); mais quand il fallut châtier les

 

1. L'Eucharistie.

2. Optat, évêque de Thamugade.

3. Exod. XXXII, 27, 28.

 

auteurs du schisme, la terre s'entr'ouvrit pour engloutir les chefs, et la flamme dévora la multitude qui s'était laissé séduire (1) : à la différence des châtiments on reconnaît l'inégale gravité des fautes.

25. Les Ecritures sacrées sont livrées dans la persécution; les traditeurs avouent leur crime, on en laisse à Dieu la punition. On n'interroge pas les innocents, et des hommes téméraires les condamnent. Celui qui, parmi ces absents condamnés, avait été plus violemment accusé que les autres, est reconnu irréprochable par des jugements certains. On en appelle 'des évêques à l'empereur; l'empereur est pris pour juge; on méprise son jugement. Vous avez lu ce qui se passa alors, vous voyez ce qui se passe maintenant; si un côté de ces choses vous laisse des doutes, ouvrez les yeux à ce qui suit. N'enfermons pas l'examen de la question dans les vieux écrits, dans les archives publiques, dans les actes de la cité ou de l'Eglise ; la terre entière nous est un plus grand livre; j'y lis l'accomplissement de cette promesse consignée dans le livre de Dieu : « Le Seigneur m'a dit : Vous êtes mon fils, je vous ai engendré aujourd'hui; demandez-moi, et je vous donnerai les nations pour héritage, et l'étendue de toute la terre pour la posséder (2). » Celui qui n'est pas en communion avec cet héritage, quels que soient les livres qu'il ait en main, doit se tenir pour déshérité, et quiconque l'attaque montre assez qu'il est séparé de la famille de Dieu. On agite la question des traditeurs des divins livres où cet héritage est promis; que celui-là donc soit reconnu avoir livré le testament aux flammes, qui plaide contre la volonté du testateur. Que vous a-t-elle fait, ô parti de Donat, que vous a-t-elle fait l'Eglise des Corinthiens ? ce que je dis de cette Eglise, je veux qu'on le dise aussi de toutes les autres, quel que soit l'éloignement de leur distance. Que vous ont fait ces Eglises qui n'ont pu connaître ni ce que vous avez fait vous-même, ni ceux que vous avez notés d'infamie ? l'univers a-t-il perdu la lumière du Christ parce que Cécilien a offensé Lucille en Afrique?

26. Qu'ils sentent enfin ce qu'ils ont fait ils ont vu en quelques années leur propre ouvrage justement renversé. Demandez par quelle femme Maximien (3), qu'on dit être parent

 

1. Nomb. XVI, 31-35. — 2. Ps. II, 7, 8.

3. Maximien, diacre donatiste de Carthage.

 

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de Donat, se sépara de la communion de Primien, et comment, ayant réuni des évêques favorables à ses desseins, il condamna Primien absent, et se fit ordonner évêque à sa place c'était ainsi que Majorin, dans une réunion d'évêques achetés par l'or de Lucille, avait condamné Cécilien absent, et lui avait pris son siège. Trouverez-vous bon par hasard que Primien ait été justifié contre la faction de Maximien par les autres évêques africains de sa communion, et n'admettez-vous pas la justification de Cécilien prononcée contre la faction de Majorin par les évêques d'outre-mer restés fidèles à l'unité? Je vous en prie, mes frères, est-ce que je vous demande là une bien grande chose? est-ce que je veux vous faire comprendre quelque chose de bien difficile? L'Eglise d'Afrique, ni par l'autorité ni par le nombre, ne peut soutenir la comparaison avec toutes les autres Eglises de l'univers; quand même elle aurait gardé son unité, elle serait encore moindre à l'égard du monde chrétien que le parti de Maximien à l'égard du parti de Primien ; je demande cependant, et je le crois juste, que le concile de Sécondus, évêque de Tigisis, suscité par Lucille contre Cécilien absent, contre le siège apostolique, contre tout l'univers en communion avec Cécilien, n'ait pas plus de valeur que le concile de la faction de Maximien suscité par je ne sais quelle autre femme contre Primien absent et contre la multitude en communion avec Primien dans le reste de l'Afrique : quoi de plus clair? quoi de plus équitable ?

27. Vous voyez toutes ces choses, vous les connaissez et vous en gémissez ; et pourtant Dieu voit aussi que rien ne vous force à demeurer dans cette séparation mortelle et sacrilège, si vous préférez à de charnelles affections le royaume de l'esprit, si, en vue d'éviter des peines éternelles, vous ne craignez pas de heurter ces amitiés humaines qui ne vous serviront de rien au tribunal de Dieu. Allez donc, consultez; informez-vous de ce que vos amis peuvent trouver à nous répondre; s'ils produisent des pièces écrites, nous en produisons aussi ; s'ils disent que les nôtres sont fausses, qu'ils ne s'indignent point que nous en disions autant des leurs. Personne n'effacera du ciel la constitution de Dieu, personne n'effacera de la terre l'Eglise de Dieu ; il a promis le monde entier à la vérité chrétienne, l'Eglise a rempli le monde entier : les mauvais et les bons se mêlent dans son sein, elle ne perd que les mauvais sur la terre, elle n'admet que les bons dans le ciel. Ce discours que nous vous adressons par la grâce de Dieu, le seul qui sache quel amour pour la paix et pour vous nous inspire, sera votre correction si vous le voulez, et un témoignage contre vous, quand même vous ne le voudriez pas.

 

 

 

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