LETTRE CXXXI
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rte de l'église 38 - CH-1897 Le Bouveret (VS)

LETTRE CXXXI. (Année 412.)

 

Les lettres des dames romaines qui avaient l'honneur de correspondre avec saint Augustin auraient été bien intéressantes pour nous, comme étude religieuse et comme étude littéraire; leur perte est regrettable. La petite lettre qu'on va lire est une réponse à Proba; elle nous donne une idée des sentiments élevés qui s'échangeaient entre l'évêque et l'illustre veuve.

 

AUGUSTIN A L'ILLUSTRE DAME PROBA, SA TRÈS-EXCELLENTE FILLE, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

 

C'est comme vous le dites; l'âme établie dans un corps corruptible, enfermée dans une certaine contagion terrestre, courbée en quelque sorte et accablée sous ce pesant fardeau, a plus facilement des désirs et des pensées pour lis choses d'en-bas que pour l'unique chose d'en-haut. La sainte Écriture nous l'a appris en ces termes : « Le corps qui se corrompt appesantit l'âme, et cette maison de terre abaisse l'esprit partagé en des soins divers (1). » C'est pourquoi notre Sauveur est venu; il a redressé par sa parole de salut la femme de l'Évangile courbée depuis dix-huit ans (2) et qui représentait peut-être cet accablement de l'âme chrétienne; par là nous ne devions plus entendre en vain ces mots : haut les cœurs, ni répondre en vain : nous les tenons élevés vers le Seigneur. Voyant cela, vous faites bien de chercher dans l'espérance des biens futurs un adoucissement aux maux de ce monde. Un bon usage de ces maux les change en biens; il suffit qu'au lieu d'accroître nos ambitieux désirs ils exercent notre patience. « Nous savons, dit l'Apôtre, que tout se change en bien pour ceux qui  aiment Dieu (3). » Il dit tout; il s'agit donc non-seulement des choses qu'on désire pour leur douceur, mais encore de celles qu'on évite à cause de leur amertume; nous recevons. les unes sans nous laisser prendre, nous supportons les autres sans abattement ; et, selon les divins préceptes, nous rendons grâces de tout à Celui de qui nous disons : « Je bénirai le Seigneur en tout temps; ses louanges seront toujours sur mes lèvres (4) ; » et encore « Il m'est bon que vous m'ayez humilié, afin que j'apprenne la justice de vos voies (5). » Si une félicité trompeuse nous souriait toujours ici-bas, l'âme humaine n'aspirerait pas vers ce port où se trouve la seule vraie sécurité, ô illustre dame et très-excellente fille !

En témoignant les respects qui sont dus à votre excellence, et en vous - remerciant des soins pieux que vous prenez de ma santé, je demande pour vous au Seigneur les récompenses de la vie future et les consolations de la vie présente; je me recommande à l'amitié et à la prière de vous tous, dans les coeurs de qui le Christ habite par la foi. (Et d'une autre main.) Que le vrai Dieu, véritablement vrai, console votre coeur et protège votre santé, illustre dame et très-excellente fille !

   

 

1. Sag. IX, 15. — 2. Luc, VIII, 11-13. — 3. Rom. VIII, 28. — 4. Ps. XXXIII, 2. — 5. Ps. CXVIII, 71.

 

 

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