LETTRE CLXV
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rte de l'église 38 - CH-1897 Le Bouveret (VS)

430

 

LETTRE CLXV.

 

Cette lettre, écrite en 410 , eût demandé , par sa date, une autre place ; on l'a mise ici parce que le grand solitaire de Bethléem y engage Marcellin à consulter saint Augustin sur la question de l'origine de l'âme, traitée dans la lettre CLXVIe, adressée à saint Jérôme. On y voit les malheurs du monde à cette époque pénétrer jusque dans la cellule du laborieux et profond commentateur des livres divins.

 

JÉRÔME , A SES SEIGNEURS VRAIMENT SAINTS , A SES VÉNÉRABLES ET BIEN-AIMÉS FILS MARCELLIN ET ANAPSYCHIE, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

 

1. J'ai enfin reçu d'Afrique une lettre de vous; et je ne me repens pas d'avoir audacieusement persisté à vous écrire malgré votre silence; je voulais obtenir une réponse et savoir par vous et non par d'autres que vous étiez en bonne santé. Je me souviens de votre question sur l'âme; cette question n'est pas petite, mais l'une des plus importantes dans la science ecclésiastique. L'âme descend-elle du ciel, comme font cru Pythagore, tous les platoniciens et Origène ? découle-t-elle de la propre substance de Dieu, comme l'imaginent les stoïciens, Manichée et les partisans de l'hérésie espagnole de Priscillien? les âmes créées depuis longtemps, sont-elles cachées dans le trésor de Dieu, comme l'assurent follement certains écrivains ecclésiastiques ? ou bien Dieu les crée-t-il chaque jour, et les envoie-t-il dans des corps, selon ce qui est écrit dans l'Évangile : « Mon Père agit sans cesse et moi avec lui (1) ? » enfin se transmettent-elles par voie de propagation, comme l'estiment Tertullien , Apollinaire et la plupart des Occidentaux, de façon que l'âme naisse de l'âme comme le corps naît du corps, et que la condition de son existence soit la même que la condition de l'existence des animaux? J'ai dit mon sentiment à cet égard dans des écrits contre Ruffn où j'ai réfuté l'ouvrage qu'il a dédié à Anastase, de sainte mémoire, évêque de l'Église de Rome; en cherchant par une déclaration menteuse, fourbe ou plutôt insensée, à se jouer de la simplicité de ceux qui l'écoutent, il se joue de sa foi même ou plutôt de sa perfidie. Je crois que votre saint père Océanus a ces livres-là; ils sont mis au jour depuis longtemps et répondent à beaucoup de calomnies de Ruffin. Mais là où vous êtes, vous avez certainement un saint et savant homme, l'évêque Augustin; il pourra vous instruire de vive voix, comme on dit, et vous donner son opinion et en même temps la nôtre.

2. J'ai voulu autrefois entreprendre les prophéties d'Ezéchiel et tenir une promesse faite souvent aux lecteurs studieux; mais à peine avais-je commencé à dicter que les malheurs de l'Occident et surtout de la ville de Rome sont venus jeter le trouble dans mon esprit; j'en étais au point de ne plus savoir mon nom, comme dit le proverbe vulgaire; j'ai gardé un long silence, sachant que

 

1. Jean, V, 17.

 

c'était le temps des larmes. Cette année-ci, je venais d'achever trois livres de ce travail, quand les Barbares, pareils à un torrent qui entraîne toutes choses, se sont précipités sur l'Égypte, la Pales tine, la Phénicie, la Syrie; c'est d'eux que votre Virgile a dit : « les Barcéens errants au loin (1), » et deux aussi que l'Écriture a parlé dans ce passage sur Ismaël : « il habitera vis-à-vis de tous ses frères (2); » il a fallu toute la miséricorde du Christ pour que j'aie pu échapper à ces barbares. Si selon le mot d'un illustre orateur (3), les lois se taisent au milieu des armes, combien plus encore l'étude de l'Écriture, qui a tant besoin de livres et de silence,. tant besoin d'attention de la part de ceux qui écrivent, et de sécurité et de paix de la part de ceux qui dictent ! J'ai envoyé deux de ces livres à ma sainte fille Fabiola; si vous en voulez une copie, vous pouvez les lui emprunter. Le temps m'a manqué pour faire transcrire les autres; lorsque vous aurez lu ces deux premiers livres et que vous aurez vu le vestibule, vous imaginerez aisément ce que sera le bâtiment lui-même. J'espère que la miséricorde de Dieu qui nous a aidé dans le difficile commencement de cette ouevre, continuera à nous soutenir dans les parties suivantes où sont racontées les guerres de Gog et de Magog (4), et dans les dernières parties où le Prophète décrit la construction, la variété et les dimensions du temple sacré et inexplicable (5).

Notre saint frère Océanus, à qui vous désirez que je vous recommande, est si grand et si bon, si versé dans la loi du Seigneur, qu'il vous instruira sans que nous ayons besoin de l'en prier, et vous expliquera ce que nous pensons nous-même, dans la petite mesure de notre esprit, sur toutes les difficultés des Écritures. Que le Christ notre Dieu tout-puissant vous garde en bonne santé, durant une longue vie, ô seigneurs vraiment saints !

 

 

 

1. Au lieu de : lateque vagantes, la plupart des éditions de Virgil portent : lateque furentes. Enéide, IV, 43.

2. Gen. XVI, 12.

3. Cicéron. Pro Milone.

4. Ezéch. XXXVIII, XXXIX. — 5. Ibid. XL-XLIII.

 

 

 

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