LETTRE CCLXVI
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rte de l'église 38 - CH-1897 Le Bouveret (VS)

LETTRE CCLXVI.

 

Florentine était une jeune fille très-appliquée à l'étude des choses religieuses; elle attendait une lettre de saint Augustin pour oser lui adresser des questions sur les vérités chrétiennes; l'évêque d'Hippone lui écrit avec une bonté admirable et une étonnante modestie. Ceux qui enseignent recevront ici d'utiles leçons.

 

AUGUSTIN ÉVÊQUE A SA CHÈRE FILLE FLORENTINE, DAME ILLUSTRE ET HONORABLE DANS LE CHRIST, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

 

1. Lorsque je pense à la sainte vie que vous avez choisie , à la chaste crainte du Seigneur qui est au fond de vos entrailles et qui demeure éternellement (1),  je me sens vivement porté à vous être utile, non point seulement par des prières devant Dieu, mais encore par des instructions adressées à vous-même. Je l'ai fait plus d'une fois dans mes lettres à votre mère, dont je ne saurais prononcer le nom qu'avec respect. Mais elle m'écrit que vous voulez d'abord recevoir une lettre de moi, et qu'ensuite vous ne craindrez pas de demander à mon ministère les choses dont vous pourriez avoir besoin ; je sais qu'une libre servitude m'en rend redevable, dans la mesure de mes forces, tant envers vous qu'envers ceux qui, comme vous, ont le goût des vérités divines. Je fais donc ce que vous voulez, quoique-ce soit une autre que vous qui m'ait exprimé ce désir: je ne veux pas avoir l'air devons fermer cruellement la porte, quand votre

 

1. Ps. XVIII, 10.

 

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confiance vient y frapper; c'est maintenant à vous à parler, si vous croyez avoir quelque chose à me demander. Ou je sais ce que vous souhaitez, et je ne vous le refuserai pas ; ou je ne le sais point, mais c'est sans dommage pour la foi et le salut, et là-dessus je vous rassurerai pleinement, autant que je le pourrai. Si les choses que je ne saurais pas étaient de celles qu'il fallût connaître, je prierais le Seigneur de me rendre capable de vous répondre, car souvent l'obligation de donner est un mérite pour recevoir, ou bien je vous répondrais de manière à vous apprendre à qui nous devrions nous adresser sur les points que nous ignorerions tous les deux.

2. Je vous dis cela tout d'abord, afin que vous ne pensiez pas être certaine de trouver auprès de moi la réponse à tout ce que vous voudriez, et que, si votre attente était trompée, vous ne me jugiez pas plus hardi que sage pour avoir offert de vous instruire sur ce qu'il vous plaira. Je ne me suis pas proposé comme un docteur accompli, mais comme un homme qui s'éclaire avec ceux qu'il est obligé d'éclairer, ma chère fille, illustre et honorable dame en Jésus-Christ. Dans les choses même que je sais tant bien que mal, j'aimerais mieux vous trouver instruite que si vous aviez besoin de moi. Car nous ne devons pas souhaiter que d'autres soient ignorants pour avoir à enseigner ce que nous savons; mieux vaut que Dieu nous instruise tous ; c'est ce qui se verra dans la patrie céleste, lorsque les promesses s'accomplissant, l'homme ne dira pas à son prochain : « Apprenez à connaître le Seigneur, car tous alors le connaîtront, dit le Prophète (1), depuis le plus petit jusqu'au plus grand. » Lorsqu'on enseigne il faut se tenir en garde contre l'orgueil : ceux qui apprennent ne sont pas exposés à ce danger. C'est pourquoi la sainte Ecriture nous dit : « Que tout homme soit prompt à écouter, mais lent à parler (2); » et le Psalmiste : « Vous me donnerez la joie et l'allégresse, parce que j'aurai beaucoup écouté; » et il ajoute : « Et mes os humiliés tressailliront (3). » David avait vu que l'humilité, difficile à garder lorsqu'on enseigne, l'est beaucoup moins quand on apprend,car il faut que le maître occupe un lieu élevé, et, à cette hauteur, il est malaisé de se défendre contre l'orgueil.

3. Reconnaissez donc quels dangers nous courons,

 

1. Jérém. XXXI, 31. — 2. Jacq. I, 19. — 3. Ps. L, 10.

 

nous de qui on attend, non-seulement que nous soyons des docteurs, mais encore que nous enseignions les choses divines, et qui ne sommes que des hommes. Toutefois, dans ces travaux et ces périls, il est une grande consolation, c'est de voir ceux qu'on instruit parvenir au point de ne plus avoir besoin d'être enseignés par des hommes. Ce n'est pas nous seulement qui avons été menacés de ce danger de l'orgueil; un autre le connut : et qui sommes-nous en comparaison de lui? le Docteur des nations a passé par cette épreuve. « De peur, dit-il, que je ne vinsse à m'enorgueillir par la grandeur de mes révélations, l'aiguillon de la chair m'a été donné (1). » Notre-Seigneur, admirable médecin de cette enflure de l'âme; dit encore : « Ne cherchez pas à être appelés maître par les hommes, parce que vous n'avez qu'un seul Maître, le Christ (2). » Et le Docteur des gentils , n'oubliant pas cela , ajoute : « Celui qui plante n'est rien, ni celui qui arrose, mais tout vient de Dieu qui donne l'accroissement (3). » C'est ce que n'oubliait pas le précurseur, qui s'humiliait d'autant plus en toutes choses qu'il était le plus grand parmi ceux qui sont nés de la femme (4) , et qui se trouvait indigne de délier la chaussure du Christ (5). A-t-il voulu montrer autre chose quand il a dit :   «Celui qui a l'épouse est l'époux; l'amide l'époux est debout et l'écoute, et sa joie est d'entendre la voix de l'époux (6) ? » C'est cette manière d'entendre qui faisait dire au Psalmiste, comme je l'ai rappelé plus haut: « Vous me donnerez la joie et l'allégresse parce que j'aurai écouté, et mes os humiliés tressailliront. »

4. Sachez donc que ma joie sur votre foi, votre espérance et votre charité, sera d'autant plus véritable, d'autant plus solide et d'autant plus pure, que vous aurez moins besoin, non-seulement de moi pour vous instruire, mais d'aucun homme. Toutefois, pendant que j'étais au lieu où vous êtes, et que la retenue de votre âge ne me permettait pas de rien savoir de vous, votre père et votre mère, si amis du bien et des saintes études, daignèrent me taire connaître votre vive ardeur pour la piété et la vraie sagesse; ils me demandèrent de ne pas vous refuser mon humble concours dans les choses où vous pourriez avoir besoin d'être instruite par moi. C'est pourquoi j'ai cru devoir

 

1. II Cor. XII, 7. — 2. Matth. XXIII, 8. — 3. I Cor. III, 7. — 4. Matth. XI, 11; Ecclés. III, 20. — 5. Luc, III, 16. — 6. Jean, III, 29.

 

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vous prévenir par cette lettre, afin que vous m'adressiez les questions qu'il vous plaira, mais aux conditions marquées plus haut. J'attends ces questions , car je ne voudrais pas m'exposer à un discours inutile en m'efforçant de vous enseigner ce que vous sauriez déjà. Mais tenez pour certain que, lors même que vous pourriez apprendre de moi quelque chose de bon, votre maître véritable sera toujours ce Maître intérieur que vous écouterez dans votre âme; c'est lui qui vous fera reconnaître la vérité de ce que je vous aurais dit; car celui qui plante n'est rien, ni celui qui arrose, mais tout vient de Dieu qui donne l'accroissement.

 

   

 

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