LIVRE II

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LIVRE DEUXIÈME. UN TEXTE DE SAINT PAUL.

 

Julien, dans son second livre, avait soutenu que si, d'après saint Paul, un seul homme avait introduit le péché dans le monde, c'était uniquement par l'influence de son exemple. Saint Augustin prouve dans ce livre que le texte de saint Paul doit s'entendre de la transmission du péché originel.

 

I. Julien. Notre tâche deviendrait facile, s'il nous était donné de défendre la cause de la vérité devant des juges éclairés; ou, puisqu'il n'est pas toujours possible de trouver des juges de cette sorte, si les clameurs d'une foule ignorante ne venaient point troubler nos discussions.

                 Augustin. Sans aucun doute , les juges éclairés que tu cherches, devraient, pour être capables de porter un jugement sur tes paroles, avoir cultivé avec succès les sciences libérales et ne rien ignorer de ce qu'ont pensé même les philosophes du siècle. Or, tel était précisément Ambroise, par qui, si tu ne refuses pas de le prendre pour juge, tu ne saurais douter que ta condamnation ait été très-légitimement prononcée. Il a dit en effet : « Nous naissons tous dans l'état du péché, nous hommes dont l'origine même est souillée (1)  ». Il voulait montrer par ces paroles, que le Christ Sauveur, c'est-à-dire Jésus, est nécessaire aux petits enfants. Puisque tu contredis ici sa doctrine, tu dois reconnaître que si tu veux avoir des juges éclairés, c'est à condition que ces juges ne seront point des chrétiens catholiques.

II. Jul. Et, puisque nous supportons nous-mêmes les frais du triomphe qui se prépare pour le salut des Eglises, et que la sagesse des rapporteurs aurait dû décerner d'une voix unanime à la bonne cause; si du moins 1'opinion de la multitude n'avait pas le pouvoir de nous faire supporter, outre ces frais, des vexations humiliantes ! De ces deux classes d'hommes ainsi distinguées, la première nous favoriserait, la seconde ne pourrait nous nuire, si celle-là obtenait le pouvoir et si l'autre apprenait à rougir. Mais comme il règne partout une confusion étrange et que le nombre des sots est incalculable, on éteint dans l'Eglise le flambeau lumineux de la raison pour y substituer avec une assurance pleine

 

1. De la Pénitence, liv. I, ch. II ou III.

 

de fierté la lumière trompeuse de la croyance populaire.

Aug. Si notre enseignement est conforme à la croyance populaire, ce n'est donc point contre une croyance manichéenne que tu diriges, au milieu d'un peuple chrétien, tes argumentations d'où la logique est complètement absente. Les rêveries insensées des Manichéens, qui sont l'objet de tes justes mépris, sont aussi le partage d'un petit nombre d'hommes ; mais tu obéis toi-même à un rêve insensé, quand tu t'efforces, en les flétrissant du nom de Manichéens, d'exciter contre nous la haine des peuples dont tu refuses de reconnaître le témoignage; comme si ces peuples pouvaient, trompés par ton verbiage, donner le nom de Manichéens à Ambroise, à Cyprien qui ont, pour le salut même des enfants, enseigné l'existence du péché originel. Ambroise cependant n'a point fait naître, il a trouvé cette croyance dans le coeur de ces peuples ; Cyprien n'a pas été non plus l'auteur de cette croyance, il l'a trouvée pareillement établie ; ton père l'a trouvée, lui aussi, vivante dans le sein de l'Eglise, quand tu as reçu, encore enfant, dit-on, le sacrement de baptême ; vous-mêmes enfin vous avez trouvé les peuples catholiques instruits de cette doctrine. Modérez vos transports ; nous reconnaissons que notre croyance est la croyance du peuple : car nous sommes le peuple de celui qui a reçu le nom de Jésus, précisément parce qu'il sauve son peuple des péchés dont celui-ci est coupable (1) ; et quand vous voulez séparer de ce peuple les petits enfants, c'est vous-mêmes, en réalité, que vous en séparez.

III. Jul. Ainsi, les hommes éclairés étant presque réduits à l'impuissance et un pouvoir absolu étant accordé à la vile multitude, le respect dû à la vertu s'est trouvé proscrit du sein des Eglises par un décret que des séditieux

 

1. Malt. I, 21.

 

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ont porté ; et nous-mêmes, aux yeux de la foule, nous sommes coupables, parce que nous avons refusé d'augmenter le nombre des victimes de l'erreur; aux yeux de cette foule, dis-je, qui estimant la valeur d'une maxime d'après le succès qu'elle obtient, regarde comme plus conforme à la vérité celle à qui elle voit obtenir les applaudissements d'un plus grand nombre d'hommes.

Aug. Est-ce que Manès obtient les applaudissements du plus grand nombre ? Les Manichéens ne sont-ils pas, comme les parricides, peu nombreux et détestés de tout le monde? Cessez donc de vous glorifier de votre petit nombre; et, ce qui est encore une plus grande absurdité, de dire que notre doctrine obtient les applaudissements du grand nombre et de nous reprocher en même temps que notre doctrine est celle de quelques hommes voués à la haine publique.

IV. Jul. Tullius, parlant d'Epicure, dit que les enseignements d'un homme manquent évidemment de pénétration et de profondeur, quand on entend partout les hommes de cette sorte déclarer que ces enseignements leur plaisent. Nos adversaires au contraire, cédant en cela à une habitude perverse qui ne se dément jamais, regardent les applaudissements de la foule comme un témoignage de la sagesse des enseignements qui en sont l'objet.

Aug. Mais Tullius a été vaincu et convaincu d'erreur par celui qui a écrit cette maxime Nations, louez toutes le Seigneur ; et vous, « peuples, chantez tous ses louanges (1) ». Pour toi, tu cherches, non pas à faire entendre à ces peuples les enseignements de la vérité, mais à tromper quelques-uns d'entre eux par tes discours subtils, afin d'augmenter par là votre nombre si restreint; c'est pour cela que tu prêches avec tant d'ardeur les maximes soi-disant savantes de deux ou trois philosophes du siècle, en même temps que tu nous fais un sujet de reproches de ce que nos discours n'atteignent pas à une pareille hauteur, ce qui, suivant toi, est la cause véritable des applaudissements que nous obtenons de toute sorte d'hommes. Plusieurs fois cependant, tu as dit que je cherchais par-dessus tout à n'être pas compris : comment donc la doctrine que je défends peut-elle plaire à la multitude, sinon parce que le titre de catholique appartient

 

1. Ps. CXVI, 1.

 

à cette multitude qui repousse justement votre hérésie?

V. Jul. Les âmes que dévore une flamme impure, se font en effet un bonheur suprême de flétrir par leurs discours tout ce qui a été, en quelque temps et en quelque lieu que ce soit, un titre de gloire pour les saints, afin que l'exemple des vertus éclatantes de ceux-ci ne soit plus pour elles-mêmes un reproche accablant.

Aug. Les âmes que dévore une flamme impure, courent donc plutôt après toi, puisque la volupté obtient tes éloges : car les âmes chastes montrent clairement, par le mépris qu'elles font de tes discours, que tes louanges sont pour elles les louanges d'un ennemi.

VI. Jul. Elles se font un bonheur suprême et un plaisir exquis, d'accuser la faiblesse de la nature, de dire que la chair est coupable de péchés engendrés avec elle; et, bien loin d'attribuer à la volonté de l'homme l'oeuvre de sa conversion, d'appeler du nom de fonctions légitimes des membres humains les crimes que leurs passions leur font commettre : enfin de prétendre que la foi catholique consiste à confesser l'existence du libre arbitre, mais d'un libre arbitre par lequel l'homme est contraint à faire le mal, et privé de la faculté même de vouloir le bien.

Aug. Pourquoi ces colères contre nous, puisque nos désirs par rapport à l'oeuvre de notre conversion, sont d'autant moins douteux que nous demandons plus fidèlement cette conversion au Seigneur? C'est en vain que tu fais retentir avec orgueil les accents d'une éloquence pleine d'emphase. Nous refusons et nous refusons de la manière la plus absolue, d'être comptés parmi ceux qui se confient dans leur propre force (1). Notre âme a soif de Dieu (2), à qui elle dit : « Je vous aimerai, Seigneur, vous qui êtes ma forces (2). Car l'homme a la faculté de vouloir le bien; mais c'est le Seigneur qui prépare la volonté (3): par suite de la corruption dont celle-ci est atteinte, elle penche facilement vers le mal, et c'est pourquoi la nature a besoin d'être guérie.

VII. Jul. Elles se font un bonheur suprême et un plaisir exquis de qualifier de discours vains et hérétiques, le langage de ceux qui affirment que le Dieu juste a donné à l'homme,

 

1. Ps. XLVIII, 7. — 2. Id. LXII, 2.— 3. Id. XVII, 2. — 4. Prov. VIII, suiv. les Sept.

 

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en même temps que l'existence, la liberté de faire le bien ; qu'il est au pouvoir de chacun de nous de s'éloigner du mal et d'acquérir une gloire éclatante parla pratique de la vertu, afin de faire pénétrer ainsi l'aiguillon de la vigilance et de la crainte dans l'âme de ceux qui rejettent leurs infamies sur les nécessités de la chair.

Aug. Nous ne qualifions point de discours vains et hérétiques le langage de ceux qui affirment que le Dieu juste a donné à l'homme, en le créant, la liberté de faire le bien. Adam, en qui nous avons tous existé, avait été créé par Dieu dans cet état ; mais en commettant le péché, il perdit et lui-même et tous les hommes avec lui. C'est pour cela qu'aujourd'hui il n'est plus au pouvoir de ses descendants d'être délivrés du mal, si la grâce de Dieu ne leur donne le pouvoir de devenir enfants de Dieu (1). Par là même l'aiguillon de la vigilance et de la crainte pénètre, non pas ceux qui, suivant tes propres expressions, rejettent leurs infamies sur les nécessités de la chair, mais ceux qui demandent à Dieu par des prières incessantes de n'être pas exposés à la tentation de commettre ces infamies ; cet aiguillon, dis-je, les pénètre pour les empêcher de se laisser séduire par vos discussions où brillent, avec une rivalité jalouse, l'orgueil et l'ingratitude envers Dieu.

VIII. Jul. Enfin, ces âmes se font un bonheur et un plaisir exquis de déclarer que, dans les églises enrichies par la munificence des grands et où se presse une foule nombreuse, on prêche la doctrine que voici : Telle est la puissance du péché, que, avant même la formation des membres, avant la création de Pâme et son union avec le corps, il pénètre, plus rapide que le sang, dans le sein maternel; il flétrit l'innocence de l'enfant que ce sein va porter, de telle sorte que la faute précède la nature pour la souiller dès son origine; cette loi du péché habitant désormais dans les membres de l'homme, réduit celui-ci en esclavage, le contraint à commettre le crime et, par là même, le rend tout à fait digne, non pas de châtiment, mais de miséricorde pour ses actions les plus abominables. Car ce que nous qualifions de vices d'une volonté perverse, est appelé dans l'Eglise, par les hommes, par les femmes et par d'illustres pontifes, une maladie originelle.

 

1. Jean, I, 12.

 

Aug. Ambroise, ce pontife illustre qui a reçu les éloges les plus distingués de la bouche même de l'auteur de votre hérésie, te répond ici en ces termes : « Eve enfanta une race coupable, et par là elle transmit, comme héritage aux autres femmes, la nécessité d'enfanter pareillement dans l'état du péché les générations suivantes; de telle sorte que tout homme dont l'origine première remonte à la volupté charnelle, tout homme qui a passé par les voies ordinaires de la génération, qui a été formé du sang humain et qui a été ensuite enveloppé de langes, doit nécessairement subir la contagion du péché, avant de jouir du bienfait même de la respiration (1) ». Ainsi donc, ô Julien, la nature humaine a besoin d'être guérie par la miséricorde divine: elle ne doit pas, malgré tes vaines déclamations, être louée d'une intégrité qu'elle ne possède pas.

IX. Jul. Ces dogmes infâmes des Manichéens séduisent donc les oreilles de ceux que le vice impur a flétris.

Aug. Accuse, si tu l'oses, accuse Ambroise de manichéisme. Considère à qui s'adressent les paroles que tu veux paraître prononcer seulement contre moi : et si la crainte de Dieu, ou le respect humain ne sont pas des sentiments tout à fait étrangers à ton coeur, garde désormais un silence absolu. Pour moi, je dois entendre, non-seulement avec patience, mais même avec joie, les injures que tu adresses à ces personnages aussi bien qu'à moi-même ; mais le respect humain doit te faire rougir, les jugements de Dieu doivent te faire trembler, quand tu prodigues ainsi l'outrage à ces noms illustres.

X. Jul. C'est ce vice en effet qui a, comme une ortie, enflammé la haine de nos ennemis de l'un et l'autre sexe; ce vice qui autrefois, il est vrai, par suite des habitudes mauvaises que l'homme avait contractées, faisait sentir à celui-ci ses aiguillons brûlants, mais qui cependant pouvait être guéri par de saintes exhortations comme par un baume salutaire.

Aug. Quand l'ortie pique, elle cause une sensation douloureuse et agréable à la fois, mais agréable seulement à celui qui fait l'éloge de la volupté. D'autre part, si c'est, comme tu le penses, à cause des habitudes mauvaises contractées par lui personnellement,

 

1. Liv. du Sacrement de la Régénération, ou de la Philosophie.

 

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qu'un homme s'écrie : « Je ne fais pas le bien que je veux ; et je fais au contraire le mal que je ne veux pas (1) ». Manifestement vous reconnaissez que, au moins dans cet homme, la volonté humaine a perdu les forces nécessaires pour faire le bien ; et si la grâce divine ne vient au secours de cette volonté, de quoi lui serviront les exhortations multipliées et les discours éloquents d'un prédicateur quelconque ?

XI. Jul. Mais aujourd'hui qu'on a commencé à présenter ce vice comme un remède, et que le poids de l'autorité est venu s'ajouter à l'entraînement du plaisir, en sorte due, du consentement presque du Monde entier, cette passion infâme a pu soumettre l'esprit acte membres dont elle est la reine; aujourd'hui que la volupté a pu faire une guerre implacable à l'honnêteté, imposer victorieusement à toutes les âmes son abominable tyrannie et se livrer impunément à tous les excès ; la défense de la vérité devient pour nous d'autant plus difficile qu'elle se confond ici  avec la défense de la vertu. Contre des peuples qui courent d'eux-mêmes à la mort et qui détestent par-dessus tout les remèdes dont ils ont besoin, un petit nombre d'hommes, sans autre ressource que leur propre parole, ne sauraient avoir beaucoup de pouvoir. Que ferons-nous donc ? devrons-nous, pour cette raison , abandonner une telle entreprise ; nous venger par le silence des injures dont on nous accable; et, du port où notre conscience est en sûreté, nous rire du naufrage des autres ? Mais une telle haine serait contraire, d'abord à la charité que nous devons avoir pour le genre humain, ensuite à l'espérance et à la foi que nous avons en Dieu; car Dieu, non-seulement a opéré bien des fois des retours merveilleux au milieu des calamités publiques les plus désastreuses, mais il a promis une récompense éternelle à la constance avec laquelle il veut que nous agissions jusqu'à l’heure de notre mort, alors même que cette constance il obtiendrait pas présentement le succès de nos efforts.

Aug. Comment Dieu perte-t,il remède aux malheurs qui frappent les volontés mauvaises (car ces volontés sont la cause véritable des calamités qui affligent certaines époques, quand ces  calamités sont infligées justement), si ce n'est en faisant naître dans les coeurs des

 

1. Rom. VII, 19.

 

 

hommes, des volontés bonnes et droites ? Ou bien, si elles en ont le pouvoir, que les volontés mauvaises se guérissent elles-mêmes, conformément à votre opinion tout fait insensée qui a été pour vous la cause d'une perte lamentable, au sujet de laquelle nous adressons à Dieu des supplications pour vous : puisse-t-il être assez miséricordieux pour nous exaucer à ton sujet, comme il nous a exaucés au sujet de notre frère Turbantius !                 

XII. Jul. Fortifiés donc par les consolations que nous trouvons dans cette foi, poursuivons assidûment l'oeuvre que nous avons commencée et établissons les arguments que nous avons promis ; ne doutons pas surtout que nous trouvons déjà une grande partie de notre récompense plans ce fait seul, que nous avons le bonheur d'être retranchés dans la forteresse d'une croyance qui; malgré les attaques d'une foule généralement inspirée par l’envie, mais dont plusieurs cependant sont les innocentes victimes de l'erreur, a résisté aux assauts les plus formidables, en sorte qu'elle est inexpugnable et que la victoire lui est infailliblement assurée.

Aug, Tu te donnes à toi-même la palme contre tant d'évêques de Dieu qui, s’abreuvant et abreuvant les autres aux sources d’Israël (1), ont appris et enseigné, avant nous, dans l’Eglise du Christ, la doctrine contre laquelle tu diriges tes attaques. Or, agir ainsi, ce n’est point s’assurer infailliblement la victoire, mais se précipiter honteusement dans le cloaque d’une odieuse arrogance. Nous sommes assurés d’une chose, quand cette chose est en notre puissance ; mais comment la victoire peut-elle être en ta puissance, puisque tes efforts n’ont d’autre but  que de profaner les dogmes catholiques, ces dogmes qui ont l’antiquité pour origine et dont la certitude est tout à  fait inébranlable ?

XIII. Jul. Si en effet, comme nous l’avons montré dans le livre précédent, et comme nous l’expliquerons dans celui-ci, tout ce qui est conforme à la raison, à la science, à la justice, à la piété, aux témoignages sacrés, se trouve être favorable à la croyance que nous défendons : tous les efforts de nos ennemis réussissent uniquement à prouver qu’ils contredisent aveuglément tous les docteurs, qu’ils résistent opiniâtrement au témoignage

 

1. Ps. LXVII, 27.

 

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des saints, et qu'ils sont réellement des contempteurs de la divinité.

Aug. Mais cette affirmation est absolument contraire à la vérité : ni la raison, ni la science vraie, ni la justice, ni la piété, ni les témoignages sacrés ne sont point favorables à votre croyance; ceux qui jugent sainement déclarent au contraire que votre croyance se trouve renversée par toutes ces choses. La raison reconnaît que, par suite de sa lenteur naturelle, c'est à peine si elle peut arriver à saisir quelques lambeaux de vérité cette même lenteur naturelle est pour les savants une source de fatigues désespérantes dans leurs recherches: la justice déclare hautement qu'il est contraire à ses principes, qu'un joug accablant pèse sur les enfants d'Adam dès le jour où ils sortent du sein de leur mère, à moins qu'ils n'aient mérité ce châtiment par quelque péché la piété implore le secours de Dieu, pour être délivrés de ce mal : les témoignages sacrés donnent aux hommes des avertissements qui ont pour objet de leur apprendre à obtenir cette délivrance.

XIV. Jul. La preuve manifeste que les partisans de la transmission du péché n'ont aucune raison solide à opposer à ces arguments dont le poids les écrase, se trouve non-seulement dans leurs autres écrits, mais aussi dans ces petits livres que nous réfutons présentement. Ces derniers, adressés à un personnage militaire (comme il peut lui-même en rendre témoignage), absorbé par des occupations où les lettres n'ont aucune part, implorent contre nous un secours essentiellement impuissant et font valoir en leur faveur, à tort et à travers, des décrets rendus par la populace, ou par des villageois, ou par des gens de théâtre; décrets dont l'histoire ne Bous apprend nulle part quel est le tribunal qui les a promulgués.

Aug. Nous n'implorons point contre vous un secours essentiellement impuissant Mais dans votre propre intérêt, et pour mettre des bornes à votre audace sacrilège, trous rendons au pouvoir chrétien le tribut de louanges qu'il mérite, Considère aussi comment tu peux donner le nom de villageois et de gens de théâtre, à Cyprien, à Ambroise, et à tant d'autres écrivains d'une science profonde, qui partagent leur gloire dans le royaume de Dieu.

XV. Jul. Il est une chose cependant que nous ne pouvons nier en aucune manière c'est qu'il est tout à fait agréable à la foule, à celle du moins qui est esclave des plaisirs grossiers, d'imputer à la nature les fautes de la volonté et de justifier les dérèglements de la conduite en accusant l'origine même de l'homme : chacun se trouve ainsi dispensé du soin onéreux de mettre un terme aux désordres qu'il remarque en lui-même, mais qu'il considère comme n'étant pas son oeuvre personnelle.

Aug. Qui t'a dit que les péchés d'un homme quelconque sont commis par un autre homme? Saint Paul, au contraire, après avoir dit : « Ce n'est point moi qui fais cela, mais le péché qui habite en moi », ajoute aussitôt: « Car je sais que le bien n'habite pas en moi, c'est-à-dire dans ma chair (1) » ; or, ce dernier texte montre clairement que les oeuvres dont il est question dans le premier appartiennent réellement à l'Apôtre; par la raison que la chair elle-même appartient à celui qui est composé d'un corps et d'un esprit. Et cependant tu ne veux pas comprendre avec Ambroise, que ce mal par suite duquel la chair convoite contre l'esprit, est devenu notre condition naturelle, par l'effet de la prévarication du premier homme (2). Mais, puisque toi-même tu enseignes ordinairement que ces paroles de l'Apôtre n'expriment pas autre chose que la force irrésistible des habitudes mauvaises, qu'est-ce que tu as voulu dire par ces derniers mots; Chacun se trouve ainsi dispensé du soin onéreux de mettre un terme aux désordres qu'il remarque en lui-même, « mais qu'il considère comme n'étant pas son oeuvre personnelle? » Tu prétends sans doute que celui-là doit mettre fin â ses propres dérèglements, qui dit ; Ce n'est point moi qui fais cela » ; et tu prétends que cette conversion doit être accomplie par les forces de sa volonté personnelle ; tu vois cependant combien la volonté est faible dans ce même personnage, puisqu'il ajoute : « Je ne fais point ce que je veux ». De grâce, permettez au moins d'implorer le secours de Dieu à celui en qui vous voyez que la liberté de la volonté est ainsi affaiblie,

XVI. Jul. Toutefois, cette protection caduque accordée à une opinion sans fondement: sert à multiplier les péchés, au lieu d'en

 

1. Rom. VII, 17, 18. — 2. Ambr. Liv. VII sur saint Luc, XII, 52.

 

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faire diminuer le nombre. Ces démangeaisons d'hommes misérables et d'un tempérament maladif, ne pourront donc être d'aucun poids contre la raison elle-même ; mais puisque nos adversaires prétendent que l'existence du péché naturel est démontrée par plusieurs passages des Ecritures, et surtout par les paroles de l'apôtre saint Paul, dont j'ai remis l'interprétation au second volume de cet ouvrage; puisque, d'autre part, le moment est venu de remplir ma promesse, je vais tout d'abord (afin que le lecteur soit mieux préparé à la lecture de ce volume), préciser clairement ce qui a été établi et ce qu'il reste encore à établir. Il a été démontré qu'on ne peut prouver par les saintes Ecritures aucune thèse qui soit en contradiction réelle avec les principes de la justice ; car, si l'expression parfaite de la justice se trouve dans la loi de Dieu, il n'est pas possible que l'ennemi de la justice, c'est-à-dire l'injustice, trouve aucun appui dans cette même loi ; et par là même, ce qui est contraire à la raison, ne saurait être établi solidement sur l'autorité. Il a été démontré ensuite que nous connaissons Dieu par ses attributs; que nous devons par conséquent confesser sa justice aussi bien que sa toute-puissance ; qu'on ne peut laisser attaquer la première, sans exposer aux mêmes outrages la majesté divine tout entière ; car la justice est un attribut si essentiel de la divinité, que si l'on pouvait prouver que Dieu n'est pas juste, on prouverait par là même qu'il n'est pas Dieu : notre conclusion a été celle-ci, savoir, que nous rendons nos hommages à un Dieu en trois personnes, qui est infiniment juste : d'où il suit par une conséquence tout à fait rigoureuse, que le péché d'un autre ne saurait être imputé par ce Dieu aux petits enfants.

Aug. Pourquoi ne confesses-tu pas que le Dieu tout-puissant et juste n'a pu faire peser un joug accablant sur les enfants d'Adam, dès le jour où ils sortent du sein de leur mère, sans qu'un péché leur ait mérité d'être ainsi traités ?

XVII. Jul. Mais, après avoir défini la justice, nous avons raisonné aussi sur la nature du péché; et nous avons montré clairement que celui-ci n'est pas autre chose que l'acte d'une volonté mauvaise qui était libre de s'abstenir de l'oeuvre illicite vers laquelle ses désirs la portaient.

Aug. Voilà parfaitement défini le péché du j premier homme, qui fut pour les autres hommes l'origine véritable du mal par le. quel leur nature est dégradée. Adam, en effet, fut parfaitement libre de s'abstenir de l'œuvre mauvaise vers laquelle ses désirs le portaient : il n'avait pas encore subi les atteintes de ce vice, qui fait que la chair convoite contre l'esprit ; il ne disait pas encore : « Je ne fais pas ce que je veux » ; n'étant pas alors enchaîné à un corps de péché, il n'avait aucunement besoin du secours d'une autre chair semblable en apparence à la chair du péché.

XVIII. Jul. Et nous avons prouvé que les enfants, au moment de leur naissance, sont exempts de tout péché, par cette raison tout à fait manifeste, qu'il est impossible de dire qu'ils font alors usage de leur volonté.

Aug. Et pourquoi un joug accablant pèse-t-il sur eux, sinon parce que, malgré l'impuissance où ils se trouvent de faire usage de leur volonté, ils portent néanmoins la souillure d'une origine coupable?

XIX. Jul. Nous avons établi aussi dans une argumentation lumineuse, que le libre arbitre est nié par ceux qui affirment l'existence de péchés naturels. Le Carthaginois, il est vrai, a nié ce fait, non pas en son nom personnel, de peur que son témoignage n'eût pas assez de poids, mais, pour donner plus d'autorité à ses paroles, en s'appuyant sur le texte même de l'Evangile ; mais nous avons, par nos explications, rétabli les paroles sacrées dans leur sens véritable. Nous avons pareillement dégagé le témoignage de l'apôtre saint Paul des interprétations perfides que la fourberie avait dictées à notre adversaire; et nous avons prouvé, en citant les paroles même d'un Prophète, que notre Dieu, par les mains de qui sont façonnés seulement de bons vases, est le créateur de tous les hommes.

Aug. Nous t'avons répondu en cet endroit, et nous avons fait voir combien tu étais éloigné de la vérité.

XX. Jul. Telles sont les argumentations principales que nous avons établies dans le premier livre, et dont une seule est pleinement suffisante pour assurer le triomphe de la vérité. Il nous reste maintenant, comme preuve surabondante, à discuter la maxime parla quelle le Maître des nations enseigne que le péché est entré dans le monde par un seul (473) homme (1); à éclaircir, autant qu'il sera nécessaire, les définitions que nous avons données plus haut; nous prouverons aussi que la raison n'a jamais menti, et qu'on ne peut, sans une injustice abominable, imputer les dérèglements d'un homme aux auteurs de ses jours; enfin, quoique personne n'ait dû avoir de doute à ce sujet, nous établirons, soit dans ce livre, soit dans le livre suivant, par des témoignages de l'Ecriture, que tout ce qui est contraire à l'équité déplaît à Dieu, et se trouve être l'objet d'une défense de sa loi. D'où il suit, par une conséquence nécessaire, que nous avons parfaitement raison de soutenir que personne n'est coupable de péché au moment de sa naissance, et que Dieu ne peut condamner comme tel aucun de ceux qui reçoivent le bienfait de la vie : et par là même, que, dans chacun de nous, le libre arbitre est aussi intègre que la nature a été innocente avant le jour où nous avons pu faire usage de notre volonté personnelle.

Aug. Parle, afin que nous voyions si ton interprétation du texte de l'Apôtre sera aussi vaine que celles données déjà par toi dans le livre précédent.

XXI. Jul. Que les Manichéens contredisent à la fois la piété et la raison, quand ils enseignent que le péché existe avant le moment où l'homme fait usage de sa volonté, ce qui est en opposition avec la nature même des choses, et quand ils considèrent comme Dieu celui dont leurs raisonnements démontrent l'injustice; qu'ils flétrissent odieusement les saintes pages, quand ils prétendent trouver dans ces livres des témoignages attestant que les jugements de Dieu sont iniques. Aucune de ces trois propositions ne pouvant être prouvée par la raison, ni celle qui affirme l'existence du péché, sans le concours de la volonté, ni celle qui attribue à Dieu des actes contraires à la justice, ni celle qui suppose des iniquités dans la loi, la folie, l'impudence et l'impiété de nos adversaires sont les seules choses qui ressortent réellement de leurs argumentations.

Aug. Rougis d'avoir écrit ces mots : Ambroise n'était pas un manichéen, quand il disait que l'homme est flétri par la souillure du péché, avant le moment même où il voit le jour (2). Et cependant ce péché vient

 

1. Rom. V, 12. — 2. Liv. de la Philos.

 

uniquement de la volonté du premier homme; de qui les enfants tirent leur origine : par là même, il n'est pas vrai que Dieu commette une injustice, quand il impose, à cause de ce péché, aux petits enfants, un joug qui les accable : il n'est pas vrai que la loi soit inique, parce qu'elle enseigne cette doctrine comme parfaitement conforme à la vérité ; c'est ce que vous verriez vous-mêmes, si vous considériez les choses avec une intention droite.

XXII. Jul. Que le lecteur éclairé soit donc avant tout bien convaincu de ce principe Les saintes Ecritures, dans toutes leurs parties, ne renferment pas autre chose que la doctrine enseignée par les catholiques, pour la gloire de Dieu, comme le prouvent clairement une multitude de maximes contenues dans ces livres : si parfois quelques expressions difficiles à interpréter donnent lieu à des discussions, on doit regarder comme un fait certain que l'auteur de ce passage n'a pas voulu dire une chose contraire à la justice; on doit alors donner à ces textes l'interprétation indiquée par une raison évidente, ou par le témoignage manifeste d'autres textes qui ne renferment aucune équivoque. Citons maintenant les paroles de l'adversaire avec lequel nous discutons. Dans le chapitre où il avait été jusqu'à enseigner que Dieu crée des hommes pécheurs, doctrine combattue par nous dans le livre précédent, il a dit en termes discrets que le péché est entré dans le monde par un seul homme; et il n'a pas donné une explication étendue de ce passage. Cependant, après une discussion très-longue contre les extraits qu'il déclare lui avoir été envoyés, il arrive à un passage de mon livre, devant lequel il s'arrête comme pour en donner la réfutation ; mais ne pouvant obtenir dans cette entreprise le succès qu'il s'était promis, il passe rapidement à cette maxime de l'Apôtre, que le péché est entré dans le monde par un seul homme; et il s'efforce d'expliquer le contexte même dans un sens conforme à sa doctrine ; voilà pourquoi, passant le reste sous silence, j'ai eu hâte de réfuter cet endroit de son ouvrage comme j'avais promis de donner dans mon second volume la solution de cette question, j'ai voulu remplir ma promesse, et en même temps montrer d'une manière précise en quoi consistait son argumentation : car (474) j'aurais craint de paraître user de fourberie, si j'avais fait connaître l'interprétation que nous considérons comme conforme à la foi catholique, sans rappeler en même temps l'interprétation donnée par notre adversaire.

Aug. Tu donneras une interprétation pélagienne, et non pas une interprétation catholique. L'interprétation catholique est celle qui nous montre la justice de Dieu dans les souffrances et les tortures si multipliées et si douloureuses que subissent les enfants ; souffrances et tortures que, dans le paradis, l'équité n'aurait pas permis d'infliger à aucun d'entre eux, si la nature humaine n'avait pas été flétrie par le péché et condamnée justement.

XXIII. Jul. Discutant donc à mon tour, dans mon premier ouvrage, cette maxime ainsi formulée par lui : « Le péché, qu'il soit contracté par les enfants d'une manière ou d'une autre, est nécessairement l'oeuvre du démon : de même aussi l'homme, quelle que soit la manière dont s'accomplit sa naissance, est l'oeuvre de Dieu (1) » : — je donne ici le texte de ma discussion tel qu'il se trouve dans mon ouvrage, où il avait été mutilé horriblement par cet adversaire.

Aug. La thèse que tu défends est vraie, comme le fait de cette mutilation que tu m'attribues : c'est au contraire celui dont la feuille m'a été envoyée, qui a transcrit de ton ouvrage ce qu'il a voulu et comme il a voulu, dans la pleine liberté de ses déterminations et de son jugement.

XXIV. Jul. Je lui ai répondu : « Pour toi,  s'il m'est permis de parler en ces termes à un maître aussi illustre, tu cherches des détours ; mais sache bien que la vérité ne t'a pas laissé la faculté de divaguer. Nous a reconnaissons avec vous que le péché est l'oeuvre d'une volonté mauvaise ou l'oeuvre du démon ; mais comment ce péché peut-il se trouver dans un enfant? Par la volonté? Mais la volonté n'a pas encore existé en lui. Par la nature corporelle qu'il reçoit? Mais cette nature lui vient de Dieu. Par l'âme qui vient s'unir à ce corps ? Mais cette âme créée nouvellement par Dieu n'a rien de commun avec le sang dont le corps est formé. Par suite de l'acte conjugal? Mais cet acte fait partie du devoir des parents que tu avais déclaré précédemment ne point

 

1. Des Noces et de la Conc., liv. I. n.1.

 

pécher quand ils l'accomplissent : si cette concession n'était pas sincère de ta part, comme la suite de ton argumentation le fait voir, les noces doivent donc être maudites, puisqu'elles sont la cause du mal. Cependant le mariage n'est pas une substance particulière; c'est un mot dont on se sert pour exprimer une oeuvre accomplie par des personnes: conséquemment, les parents qui ont été par leur union la cause du péché, méritent une juste condamnation. Il n'est donc plus possible de douter que les supplices éternels doivent être le partage des époux à qui le démon est lui-même redevable du pouvoir absolu qu'il a réussi à exercer sur les hommes. Si tu acceptes cette a conclusion, tu rétractes par là même tout ce que tu paraissais avoir affirmé précédemment, savoir que l'homme est l'oeuvre de Dieu. Car, l'union charnelle étant l'origine des enfants, si le mal dont l'humanité est flétrie vient de notre origine, et si les droits que le démon exerce sur l'homme lui viennent précisément de ce mal, il s'ensuit nécessairement que le démon est l'auteur de l'homme, puisque c'est de lui que nous naissons ». J'ai cité alors pour la deuxième fois les paroles. de notre adversaire : « Le péché, qu'il soit contracté d'une manière ou d'une autre, est l'oeuvre du démon : de même aussi l'homme, qu'il naisse d'une manière ou d'une autre, est l'oeuvre de Dieu ». Et je me suis élevé aussitôt contre ce langage, en ces termes : « Quand je pense à ces paroles que la crainte met sur tes lèvres, et par lesquelles tu déclares que les noces ne sont pas une chose mauvaise, je ne puis sans rire porter de nouveau ma pensée sur tes autres discours précédents. Si tu crois que les hommes sont formés par Dieu et que les époux sont innocents, vois combien il est impossible de soutenir que ceux-ci transmettent un péché originel. Il est certain que le péché n'est commis ni par celui qui naît, ni par celui qui a engendré, ni par celui qui a créé : par quelle ouverture supposes-tu que le péché a pu pénétrer dans des âmes dont l'innocence est ainsi protégée ? »

Aug. J'ai fait à ce passage une réponse qui suffit pleinement, comme si j'avais lu ton ouvrage lui-même avant de faire cette réponse (1),

 

1. Ci-devant, contre Julien, liv. III, n. 54-57.

 

475

 

Toutefois, ici encore je ferai observer que l'on doit écouter l'Apôtre plutôt que toi; l'Apôtre, dis-je, qui nous a montré, non pas l'ouverture secrète, mais la porte visible à tous les peux par laquelle « le péché est entré dans le monde et par le péché la mort ; et ainsi la mort a passé dans tous les hommes par celui en qui tous ont péché (1) » ; quand tu auras commencé à interpréter ces paroles, non pas dans le sens de l'Apôtre, mais dans un sans conforme à votre doctrine, on verra combien est facilement saisissable l'expression de la vérité contre laquelle tu diriges les traits impuissants de ton verbiage tortueux.

XXV. Jul. Notre adversaire, dans son second livre, a donc cité comme pour le réfuter, mais toutefois en le mutilant, cet endroit de mon premier ouvrage (2). Il a omis, sans doute par prudence, de citer mes paroles relatives à la formation du corps et pareillement celles relatives à l'entrée de l'âme, que la raison et l'autorité de la loi sainte et de l'Église catholique déclarent être nouvellement créée par Dieu au moment où elle est unie au corps de chacun de nous.

Aug. Qu'on lise mes six livres, dans lesquels j'ai réfuté les quatre écrits par toi ; ces quatre livres dont le premier a fourni à l'auteur auquel j'ai répondu dans celui que tu essaies vainement aujourd'hui de réfuter à ton tour par un verbiage puéril, les extraits qu'il a transcrite dans la mesure et de la manière qu'il lui a plu; qu'on lise ces six livres et l'on verra, par la manière dont je t'ai répondu tant dans le troisième, que les omissions dont tu parles n'ont pas été un acte de fourberie de ma part; mais plutôt que l'auteur des extraits à qui j'adressais ma réponse, n'avait pas voulu transcrire ces phrases de ton ouvrage, soit pour être plus concis, soit parce qu'il considérait ces phrases comme étant d’aucune importance par rapport à l’objet de la discussion.

XXVI. Jul. Du reste, sauf quelques expressions modifiées, il a cité en les réunissant les autres phrases de ce passage, Mais il n'a rien imaginé pour détruire ces objections proposées par moi ; confessant au contraire la vérité de mes conclusions par l'impuissance même où il se trouve de formuler aucun argument, il dit que l'Apôtre répond à chacune de mes difficultés, quand il déclare que le

 

1. Rom. V, 12 . — 2. Des Noces et de la Conc., liv. II, n. 11-49.

 

péché est entré dans ce monde par un seul homme. Quel homme éclairé pourra croire que notre adversaire jouissait alors de l'intégrité de sa raison, puisqu'il n'a pas compris ou bien qu'il devait passer sous silence des arguments auxquels il ne trouvait rien à opposer, ou bien qu'il devait, pour répondre à de telles objections, imaginer des raisons quelconques auxquelles il ajouterait comme une confirmation puissante les paroles de saint Paul ?

Aug. Mais les paroles de l'Apôtre sont une réfutation de ta doctrine plus décisive que mes propres paroles : et cependant tu ne cèdes pas même à ces paroles de l'Apôtre : tu aimes mieux les dénaturer que de revenir toi-même à des pensées plus conformes à la foi.

XXVII. Jul. J'ai donc été amené logiquement, afin de mettre tous les hommes instruits d'accord avec moi, à rechercher comment le péché qui est l'oeuvre de la volonté mauvaise et qu'on appelle l'oeuvre du démon, pouvait se trouver dans un enfant : est-ce par un acte de la volonté de celui-ci ? mais l'adversaire même que nous combattons reconnaît que cet enfant n'a pu encore faire usage de sa volonté : est-ce par suite de l'acte conjugal? mais personne ne doute que cet acte ne soit un des devoirs des parents que notre adversaire avait déclarés d'abord ne point commettre de péché quand ils l'accomplissent : ou bien, si notre adversaire regrettait d'avoir fait cette concession, comme la suite de son ouvrage le faisait vair, il devait déclarer coupables les parents dont l'union. préparait ainsi au démon un. pouvoir souverain sur des enfants crées à l'image de Dieu ; et j'ajoutai, pour suivre la gradation commandée par la nature même de la discussion, que proclamer l'exigence du péché originel, c'est proclamer par là même le démon auteur des corps: car, si le mal dont l'humanité est flétrie vient de notre origine, si les droits que le démon possède sur l'homme lui viennent précisément de ce mal, il s'ensuit une le démon est l'auteur des hommes, puisque c'est de lui que naissent les enfants. Notre adversaire avait compris que la conclusion de ces arguments était celle-ci : Donc les partisans de la transmission du péché sont enfermés dans l’antre du manichéisme : c’est pourquoi j’ai tourné la clef et ouvert une issue à ces captifs, en faisant  (476) observer à ce même adversaire que s'il regardait les hommes comme ayant été véritablement créés par Dieu, et s'il confessait sincèrement l'innocence des époux, il devait comprendre que l'union de ceux-ci ne pouvait imprimer aux enfants la flétrissure du péché originel. « Assurément », lui ai-je dit, « le péché n'est commis ni par celui qui naît, ni par celui qui a engendré; ni par celui qui a créé : par quelle ouverture supposes-tu que le péché a pu pénétrer dans des âmes dont l'innocence est ainsi protégée ? » Ainsi après trois propositions accordées par mon ennemi, j'en ai établi une quatrième qui renfermait la conclusion suprême : pouvais-je, dites-moi, tenir un langage plus saint, plus vrai, plus lumineux, plus concis et plus solide ? Souvent après une ou deux propositions accordées par l'adversaire, on conclut dans la seconde ou la troisième : en vertu de quelle loi, après avoir obtenu trois concessions semblables, ne me serait-il pas permis de conclure par une quatrième proposition qui est étroitement liée à ces trois prémisses? Au reste, je parle ici des arguments que j'ai établis dans la seconde discussion : car, dans la première, mon adversaire m'accorde cinq propositions ou même un plus grand nombre, qui sont suivies d'une conclusion légitime et inattaquable.

Aug. Vois à quelles divagations sans fin tu te livres, dans la crainte que les paroles de l'Apôtre ne te condamnent aux yeux de ceux dont le jugement n'aurait pas été prévenu par tes interprétations , comme elles t'ont déjà condamné dans un jugement rendu par l'Eglise catholique. Mais accomplis toutes les excursions qu'il te plaira, retarde la difficulté autant que tu voudras; multiplie tes circuits à ton gré et de tous les côtés possibles; à quelque moment que le vaisseau de tes fourberies arrive à ces paroles de l'Apôtre, il est certain qu'il y échouera misérablement.

XXVIII. Jul. Adressons-nous donc maintenant à cet adversaire. Tu m'avais accordé que le péché est l'oeuvre de la volonté; j'aurais pu conclure aussitôt très-légitimement : Puisqu'il n'y a dans les enfants aucune volonté capable de commettre le péché, donc les enfants ne sont coupables d'aucun péché. Mais afin de t'accabler sous le poids d'un plus grand nombre de témoignages, je t'ai demandé par des interrogations graduelles comment l'enfant se trouve coupable de ce péché ; est-ce par un acte de sa volonté? Tu m'as accordé ici que cet enfant n'a jamais eu conscience de sa volonté. Je t'ai demandé alors s'il avait commis une première faute par le fait seul que ses membres n'étaient d'abord qu'une ébauche grossière? Mais tu m'avais accordé que ces membres reçoivent de Dieu leur forme première, et par là même qu'ils sont bons. Je t'ai demandé en troisième lieu si tu pensais que cette culpabilité fût une suite de l'union de l'âme au corps? Mais il est certain que cette âme se trouvait alors créée nouvellement, et qu'elle n'avait rien de commun avec le sang dont le corps a été formé. Enfin (puisque tu n'avais pu contredire aucune de ces réponses) je t'ai adressé cette question décisive : Appelles-tu oeuvre du démon le mariage , c'est-à-dire l'union des corps? Mais j'ai démontré et tu as reconnu toi-même que cette union est un des devoirs imposés aux parents. Chacune des questions que nous venons de rapporter ayant donc reçu sa réponse, ta doctrine de la transmission du péché livrait aux mains du démon les époux qui avaient été la cause du péché. Après tous ces arguments, j'ai porté contre toi une accusation qui se présentait d'elle. même : j'ai dit que tu regardais le démon comme l'auteur des corps, puisque tu lui attribuais l'oeuvre de l'union charnelle sans laquelle les corps ne peuvent prendre naissance. Cette première discussion a fait con. naître la nature de la maladie qui t'accablait; mais la seconde a montré à la fois combien tu es malheureux de partager de semblables sentiments, et combien la crainte qui t'arrache ces aveux rend plus éclatant le triomphe des catholiques. Tu nous accordes que les hommes sont créés par Dieu, que les époux sont innocents, et que les enfants n'accomplissent aucun acte par eux-mêmes; de ces trois propositions , dont tu as reconnu la vérité, j'ai tiré cette conclusion irréfutable; puisque le péché n'est commis ni par celui qui naît, ni par celui qui a engendré, ni par celui qui a créé, il ne reste plus aucune ouverture par laquelle on puisse enseigner, que le péché a pénétré. Si donc cette conclusion te déplaît, repousse les propositions; que tu as acceptées, et déclare que le péché; a été commis ou bien par celui qui a engendré, ou bien par celui qui a créé, ou bien par celui qui est né : trois maximes (477) dont l'une est insensée, dont l'autre est manichéenne, et dont la troisième est plus que manichéenne; car tu es un insensé, si tu dis que les petits enfants ont commis une faute; tu es un manichéen, si tu accuses les époux; tu es plus que manichéen, si tu regardes Dieu comme l'auteur du péché. Conséquemment, si ces trois maximes sont tellement contraires à la vérité que tu craignes encore de les défendre ouvertement, par quelle impudence, ô le plus insensé de tous les hommes, persistes-tu dans la négation de la conclusion que nous avons posée?

Aug. Quand tu seras arrivé aux paroles de l'Apôtre, tu y trouveras, non pas l'ouverture secrète, mais la porte tout à fait visible par laquelle le péché est entré dans le inonde ; sans doute tu t'efforceras de fermer cette porte; mais tu seras vaincu, toi et ton verbiage sans fin, par les cris des petits enfants enture à la mamelle qui demandent leur salut à Jésus-Christ, plutôt que tes louanges, et dont les larmes muettes attestent la misère personnelle avec une autorité bien plus décisive que celle des discussions tortueuses (misère dont assurément ils n'auraient pu en aucune manière subir les tristes atteintes dans le paradis, si Adam avait persévéré dans la droiture et la félicité de sa condition première).

XXIX. Jul. Quatre personnes sont ici en cause : Dieu qui donne au corps sa forme, les deux parents qui fourbissent la matière dont le corps doit être formé, et l'enfant qui prend naissance. Tu dis que le péché habite dans ce choeur : je te demande à mon tour par qui ce péché est commis. est-ce par Dieu ? tu me réponds négativement; est-ce par le père ? — Non, dis-tu ; est-ce par la mère? — Non ; est-ce par l'enfant? — Non : et tu penses, après cela, que je n'ai pas le droit de conclure que le péché doit nécessairement être absent du choeur de ces quatre personnes, puisqu'aucune d'elles ne le commet ?

Aug. Dis tout ce que tu veux : tu arriveras enfin aux paroles de l'Apôtre; et tout homme qui, en suivant les différentes phases de ton argumentation, reporte son esprit sur les choses que nous ne voulons point rappeler ici afin d'épargner au lecteur l'ennui d'une répétition continuelle, trouvera dans ce souvenir seul la réponse à tes arguments.

XXX. Jul. Que prétends-tu donc persuader, quand tu auras lu de nouveau les Ecritures,

ou quand tu auras nommé ceux qui partagent tes opinions abominables, toi qui ne peux pas encore donner une définition précise de ta doctrine ? A quoi te sert-il d'enseigner que le premier homme a commis un péché, puisque moi-même je ne le conteste nullement? Nous demandons comment, Adam étant mort depuis tant de siècles, le péché par suite duquel l'image de Dieu devient la propriété du démon, peut se trouver dans un petit enfant.

Aug.. Pourquoi toi-même n'admets-tu pas dans le royaume de Dieu certaines âmes créées à l'image de celui-ci, bien que, même suivant toi, elles n'aient commis aucun péché ni mérité aucun châtiment? Pourquoi donne-t-on aux enfants comme breuvage, et afin qu'il soit pour eux un principe de vie, le sang qui a coulé d'une chair semblable à la chair du péché, et qui a été répandu pour la rémission des péchés, si ces enfants ne sont pas destinés à la mort par suite d'un péché qu'ils ont contracté dès leur origine? Si tu réprouves cet usage, nie ouvertement que le Christ se soit fait petit enfant; nie ouvertement qu'il soit mort pour les petits enfants, lui qui « seul est mort pour tous » ; d'où il faut conclure avec l'Apôtre: « Donc tous sont morts , et il est mort pour tous  (1) ».  Déclare ouvertement que les petits enfants ne sont point morts, puisqu'ils n'ont aucun péché; déclare qu'ils n'ont pas besoin d'être baptisés dans la mort que le Christ à soufferte pour eux. Oui, exprime hautement ce que tu penses en secret; car ta manière de discuter trahit suffisamment tes sentiments réels : déclare, dis-je, que les enfants reçoivent en vain le sacrement qui les fait chrétiens ; mais alors, considère si tu dois revendiquer pour toi-même le titre de chrétien.

XXXI. Jul. Si ce péché est la suite de l'union des parents, condamne le mariage dans ta profession de foi, comme tu le condamnes dans ton argumentation ; et épargne-nous peine de te convaincre de manichéisme. Si au contraire tu n'oses enseigner cette doctrine, et que, cédant, sans égard pour les règles de la logique, à ton inclination en faveur des personnes qui se livrent aux plaisirs de la chair, tu prétendes, par un prodige d'argumentation inouï jusqu'alors, que la passion charnelle est une passion diabolique en elle-même et que, quand elle se traduit en actes,

 

1. II Cor. V, 14, 15.

 

478

 

elle devient pour les parents le principe d'une jouissance voluptueuse, et pour les enfants un principe de péché, tu trahis par là ta folie et ta honte personnelle : mais, de grâce, n'aie pas la prétention de croire que nous n'avons pas la liberté de défendre énergiquement et pour la gloire de Dieu l'innocence des enfants; taudis que toi-même tu ne crains pas, pour disculper librement et à ton gré, d'une faute que tu déclares être celle de la passion charnelle, les membres des personnes qui se livrent à cette passion; tu ne crains pas de faire remonter cette faute jusqu'à Dieu.

Aug. Quelle que soit l'inclination qui le porte à faire l'éloge de cette passion, c'est-à-dire de la concupiscence de la chair, l'apôtre saint Jean dit que cette concupiscence ne vient point du Père, mais du monde (1) : c'est à cause de cette concupiscence que le démon est appelé le prince de ce monde (2). Car nous savons du reste que le monde a été créé par Dieu. La pudeur conjugale fait donc un usage honnête de cette concupiscence de la chair, mauvaise en elle-même ; et le sacrement de la régénération spirituelle efface la souillure que cette même concupiscence a imprimée à l'enfant. Tant que cette doctrine ne sera pas la tienne, tu seras non pas catholique, mais Pélagien : tu seras nécessairement en contradiction avec les saintes Ecritures, quelque assuré que tu sois, à tes propres yeux, d'en être le défenseur. Et toutes les fois que, en attaquant ces principes, tu me donnes le nom de Manichéen, tu qualifies nécessairement aussi de la même manière celui qui enseigne que l'homme, passant par les voies ordinaires de la génération, et trouvant dans la volupté charnelle le principe de son existence, reçoit la flétrissure du péché avant même de jouir du bienfait de la respiration. C'est Ambroise qui parle ainsi, ô Julien (3) : insensé, c'est à Ambroise que tu donnes le nom de Manichéen !

XXXII. Jul. Quand tu proclames que la concupiscence de la chair a été implantée dans la nature humaine par le prince des ténèbres, et que cette concupiscence est un arbre du démon qui produit naturellement des hommes comme ses fruits propres, tu prouves clairement par là même, et sans y prendre garde, que, suivant toi, tes hommes ne sont

 

1. I Jean, II, 16. — 2. Jean, XII, 31. — 3. Liv. du Sacrement de la Régénération, ou de la Philosophie.

 

pas créés par Dieu, mais par le démon : or, cette doctrine tout à fait impie condamne à la fois l'oeuvre conjugale, c'est-à-dire l'union charnelle, et toute chair en général.

Aug. La chair n'est point condamnée par cette doctrine : mais toi-même cesse de louer dans la chair une intégrité dont elle ne jouit pas, afin qu'elle puisse recevoir de son Créateur et sauveur la guérison que tu reconnais lui être nécessaire. Car, sans aucun doute, la chair sera condamnée dans ceux en qui cette guérison n'aura pas été opérée.

XXXIII. Jul. Mais quand, après ces paroles sacrilèges, tu déclares que, suivant toi, la volupté qu'éprouvent les époux dans l'acte conjugal est une volupté diabolique ainsi que les mouvements des organes de la chair; que cependant les organes mêmes où s'opèrent ces mouvements et les époux qui éprouvent cette volupté, ne sont point coupables; quand, au lieu de ces époux et de ces organes, tu accuses les hommes nouvellement créés, c'est-à-dire, l'oeuvre informe de Dieu qui ne porte pas encore le nom d'enfant; bien loin d'abjurer en quelque chose l'impiété des Manichéens, tu cèdes visiblement à un transport de fureur et à un mouvement de colère tels qu'on ferait sagement de recourir pour toi au médecin plutôt qu'au bourreau, si la volonté et l'énergie persévérante avec lesquelles tu poursuis ton but, ne se trouvaient affirmées hautement et par la chute d'une foule d'hommes, et par ton opiniâtreté que rien ne peut vaincre, et par l'ardeur que tu apportes à faire sans cesse des citations de l'Écriture.

Aug. Je dois entendre ces injures sans indignation, puisqu'elles s'adressent, en même temps qu'à moi, à ces docteurs de l'Église qui ont interprété, dans un sens conforme à la saine doctrine de l'Apôtre, et non pas dans un sens conforme aux opinions perverses de julien, ces paroles : « Le péché est entré dans le monde par un seul homme ». Au nombre de ces docteurs, sans parler ici des autres, se trouvent Cyprien d'Afrique, Hilaire des Gaules, Ambroise d'Italie, Grégoire de Grèce; or, ces juges d'une science et d'une prudence consommées et en qui tu ne pourrais, sans la présomption la plus téméraire, te plaindre de ne pas rencontrer ces qualités, ces juges ont condamné votre hérésie avant même qu'elle fût née.

XXXIV. Jul. Lis à ce sujet le quatrième livre (479) de mon ouvrage, et tu verras combien, tout en paraissant les combattre, ton langage en réalité favorise et la cause d u démon que tu déclares être ton père, et celle de la passion charnelle qui est ta mère.

Aug. J'ai lu ton livre quatrième, et dans mon sixième j'ai répondu à toutes les objections qui s'y trouvent exposées : que le lecteur pieux, après avoir lu l'un et l'autre, juge à qui de nous deux appartient la victoire.

XXXV. Jul. Mais voyons maintenant les paroles de l'Apôtre par lesquelles, suivant toi, il a été répondu à toutes les difficultés que j'ai proposées ci-dessus: «L'Apôtre, dis-tu, a répondu à toutes ces difficultés de notre adversaire ; car, il n'accuse point la volonté personnelle de l'enfant, qui n'est pas encore capable de commettre le péché ; il n'accuse pas non plus le mariage considéré comme tel, puisque le mariage a été non-seulement institué, mais béni par Dieu même; enfin il n'accuse pas les parents en tant qu'ils sont unis d'une manière honnête et légitime, pour engendrer des enfants ; mais il dit : Le péché est entré dans le monde par un seul homme, et par le péché la mort; et a ainsi le péché a passé dans tous les hommes par celui en qui tous ont péché (1). Si nos adversaires écoutaient ces paroles avec des oreilles et des esprits catholiques, ils ne s'insurgeraient pas contre la foi et contre la grâce de Jésus-Christ; ils ne s'épuiseraient pas en efforts stériles pour interpréter, en leur faisant violence, ces paroles si explicites et si manifestes par elles-mêmes, dans un sens favorable à leur doctrine particulière et hérétique ; ils n'enseigneraient pas que saint Paul voulu dire en cet endroit, qu'Adam. ayant péché le premier, tout homme qui veut ensuite commettre le péché, trouve dans la personne du premier homme un modèle à imiter ; de telle sorte que, suivant eux, le péché passerait d'un seul homme dans tous les hommes, non point par le fait même que ceux-ci sont engendrés de celui-là, mais seulement en ce sens que les seconds imitent le premier. Certes, si l'Apôtre avait voulu parler en cet endroit de cette imitation, il aurait dit que le péché est entré dans ce monde, non pas par un seul homme, mais plutôt par le démon, et que le péché a passé par tous les

 

1. Rom. V, 12.

 

hommes. Car il est écrit du démon : Ceux-là deviennent ses imitateurs, qui entrent dans les

rangs de son parti (1). Mais saint Paul a dit que le péché est entré par un seul homme, c'est-à-dire par celui à qui remontent toutes les générations humaines; afin précisément de nous apprendre que le péché originel a passé par tous les hommes qui ont été engendrés (2) ».

Aug. Tu as cité les paroles de mon livre ; dis-nous maintenant en quel sens il faut entendre les paroles de l'Apôtre citées par moi dans ce passage : afin qu'il soit de plus en plus manifeste que tu es un hérétique, lorsque tu cherches à paraître faire l'éloge des enfants , dans l'intention réelle d'éloigner d'eux leur Sauveur.

XXXVI. Jul. Tout homme éclairé qui lit nos oeuvres , comprend que tu abuses de l'ignorance des personnes qui te protègent et que tu te retranches derrière des équivoques de langage. Quant au reste du vulgaire, dont le Prophète disait en s'adressant à Dieu : « Vous avez estimé les hommes comme les poissons de la mer (3) » ; ils se laissent tromper par ceux d'entre eux qui adoptent les premiers une opinion; incapables de faire par eux-mêmes un discernement salutaire, ils pensent qu'il peut y avoir une liaison réelle entre toutes les choses dont ils voient les noms rapprochés. Pour comprendre quelles sont les conséquences d'un principe, pour saisir la contradiction qui existe entre deux autres principes, pour découvrir les conclusions que les lois immuables et tout à fait dignes de respect de la logique obligent à déduire de chaque proposition accordée, il faut être à la fois très-instruit et très-attentif.

Aug. Tu t'égares encore à la recherche des dialecticiens, et tu fuis toujours les juges ecclésiastiques. Dis-nous donc ici comment on doit entendre ces paroles : « Le péché est entré dans le monde par un seul homme» ; puisque tu les comprends mieux que celui qui a dit : « Tous meurent en Adam » ; car le péché est entré dans ce monde par un seul homme, et par le péché la mort; et ainsi le péché a passé dans tous les hommes par celui en qui tous ont péché (4). « La faute du premier homme est donc la mort de tous les hommes; ». Le même auteur dit

 

1. Sag. II, 25. — 2. Des Noces et de la Concupis., liv. II; n, 45. — 3. Habac. I, 14. — 4. Ambr. Liv. IV sur saint Luc, IV, 38.

 

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encore en un autre endroit : « Adam a existé,  et nous avons tous existé en lui; Adam a péri, et tous ont péri en lui (1) ». C'est Ambroise qui parle ainsi, non pas un homme quelconque du vulgaire, de cette multitude ignorante que tu méprises avec une fierté trop hautaine et avec une audace trop impudente, sous prétexte qu'elle n'est pas capable de porter un jugement sur tes discussions; Ambroise, dis-je, que tu n'égales dans aucune branche des sciences humaines dont cependant tu te glorifies avec tant d'orgueil; et si tu veux savoir combien il est avancé dans les sciences ecclésiastiques, écoute ou du moins lis Pélage ton docteur, et cesse de t'attacher à une doctrine qui est en opposition avec la doctrine d'un tel maître.

XXXVII. Jul. Et le motif principal, qui nous détermine, pénétrés que nous sommes d'une compassion profonde, à la vue des désastres qui affligent les Eglises; le motif, dis-je, qui nous détermine à provoquer un examen sérieux de la part des hommes d'une science incontestable et incontestée, c'est précisément le désir que nous avons que tout le inonde sache, non pas ce qui est dit de part et d'autre, mais ce qui est dit en conformité avec les principes posés tout d'abord. Si en effet nous discutions devant un pareil tribunal, tu n'aurais pas la faculté de poser des conclusions niées par toi précédemment, non plus que celle de nier ce que tu avais affirmé auparavant : dans ton livre, au contraire, où tu ne respectes aucune des règles de la pudeur, tu fais avec assurance un amas confus des enseignements des Catholiques et des enseignements des Manichéens, et tu es pleinement satisfait, pourvu que l'on dise que tu as répondu; mais tu regarderais comme une occupation tout à fait puérile, de chercher seulement à voir par toi-même si tes discours sont fondés sur de solides raisons et s'ils ne se contredisent entre eux.

Aug. Dis-nous donc enfin, je te prie, comment on doit entendre ces paroles : « Le péché est entré dans le monde par un seul homme » : pourquoi encore ces calomnies, pourquoi ces injures, pourquoi ces détours inutiles? Si, dans cette assemblée dont tu parais désirer le jugement, tu voyais siéger Cyprien, Hilaire, Ambroise, Grégoire, Basile, Jean de Constantinople, pour ne point nommer

 

1. Liv. VII, sur saint Luc, XV, 24.

 

ici les autres, est-ce que tu oserais réclamer des juges plus savants, plus sages, plus sincères? Or, ces .docteurs mêmes élèvent la voix contre vos enseignements, ils condamnent vos écrits par leurs propres écrits que cherches-tu de plus? J'ai déjà fait cette démonstration d'une manière suffisante, dans le premier et dans le second de mes livres que j'ai publiés contre tes quatre livres: mais je suis prêt aujourd'hui encore à t'écouter ; dis-nous donc en quel sens ion doit entendre  ces paroles : « Le péché est entré dans le monde par seul homme ».

XXXVIII. Jul. Enfin après m'avoir accordé sans délai ce que je t'avais demandé, et considérant les conclusions que j'ai tirées de ces principes, tu confesses ton impuissance à attaquer la thèse établie par nous, et tu déclares que l'apôtre saint Paul a réfuté d'avance -tout ce que nous avons dit; puis tu montres ! cet Apôtre faisant précisément les concessions

que toi-même tu nous avais déjà faites. Voici en effet tes propres paroles : « L'Apôtre n'accuse point la volonté de l'enfant, puisqu'il n'y à pas encore, dans cet enfant, de volonté personnelle capable de commettre le péché (1) » : or, cette concession prouve, à elle seule, qu'il ne saurait y avoir aucun péché dans cet enfant, puisque l'essence du péché, suivant la définition que tu en as donnée toi-même, consiste en ce que la volonté con. sent à une chose défendue par la justice et à laquelle on, est libre de ne pas consentir.

Aug. Cette définition est celle du péché qui n'est pas en même temps un châtiment du péché. Puisque vous reconnaissez qu'il existe réellement des habitudes mauvaises, et que vous détruisez ainsi vos propres enseignements; dis-nous, si tu l'oses, comment la volonté humaine est libre de s'abstenir du, mal, dans celui qui s'écrie : « Ce que je veux, je ne le fais pas» : ou bien, nie qu'il s'agisse d'un mal véritable dans ces paroles du même Apôtre : « Je ne fais pas le bien que je veux; et je fais au contraire le mal que je ne veux pas (2) ». Mais, certes, nous savons que ce péché est le châtiment d'un autre péché; et que par là même on ne doit pas lui appliquer la définition du péché qui consiste dans le consentement donné par la volonté à une chose dont on est libre de s'abstenir. Saisis bien le sens de mes paroles, et dis-nous, je te

 

1. Des Noces et de la conc., liv. II, n, 45. — 2. Rom. VII, 15,19.

 

481

 

prie, comment on doit entendre ces autres expressions : « Le péché est entré dans le monde par un seul homme ».

XXXIX. Jul. Donc, si l'Apôtre n'accuse pas la volonté de l'enfant, parce qu'il comprend que cette volonté n'a pas pu encore exister, il déclare par là même qu'on ne découvre dans cet enfant aucun signe de culpabilité, surtout devant le tribunal d'un juste juge qui impute uniquement les fautes dont on a été libre de s'abstenir. Cependant, non content de nous avoir fait cette concession, tu ajoutes «L'Apôtre n'accuse pas non plus le mariage en tant que mariage, parce que celui-ci a été non-seulement institué, mais encore béni par Dieu (1) ». Cette concession pourrait également suffire, à elle seule, pour réfuter la doctrine du péché naturel; car, si l'Apôtre sait (et son langage ne laisse aucun doute à cet égard), si l'Apôtre sait que l'on ne doit point condamner le mariage, parce que l'union charnelle, accompagnée de volupté qui porte les hommes à s'engager dans cet état et qui est pour les époux un devoir et le moyen d'obtenir la fin pour laquelle ils ont pris ces engagements, a été instituée et bénie par Dieu; il est impossible que les fruits de cette union appartiennent au prince des ténèbres ; les enfants, ainsi engendrés, ne sauraient être coupables, surtout devant le tribunal d'une justice qui impute exclusivement les péchés dont on était libre de s'abstenir.

Aug. Cesse, je te prie, de te représenter l'union charnelle et la volupté des époux dans le paradis telles qu'elles sont aujourd'hui par suite de la passion dont la volonté ne règle plus les mouvements et qui trouble l'esprit des saints eux-mêmes par des sollicitations que ceux-ci repoussent, il est vrai, mais non sans en être grandement importunés. A Dieu ne plaise que les âmes fidèles et éclairées se forment une idée semblable de la volupté du paradis, de la paix et de la félicité dont y jouissaient nos premiers parents.

XL. Jul. Mais les paroles qui suivent rendront tout à fait manifestes la condescendance et la facilité avec laquelle tu fais des concessions. « L'Apôtre », dis-tu, « n'accuse pas les parents, en tant qu'ils sont unis entre eux d'une manière honnête et légitime pour engendrer des enfants (2) ». Réfléchis bien au sens de ces paroles : L'Apôtre n'accuse pas

 

1. Des Noces et de la Conc., liv. II, n. 45. — 2. Ibid.

 

les parents , en tant qu'ils sont parents. Saint Paul déclare donc qu'ils ne peuvent, en tant que parents, engendrer pour le démon, et que le fruit de leur union n'appartient pas à celui-ci : or, les parents n'ont avec leurs enfants d'autres rapports que ceux qu'ils tiennent précisément de leur qualité de parents : preuve manifeste que ces enfants ne sont point coupables, qu'ils ne font point partie du royaume du démon, et que le démon n'a pas le droit de les accuser. Pour donner à mes paroles une clarté plus grande encore, je me répète: la procréation des enfants dépend de l'union des sexes en tant que. les époux deviennent parents; mais si ces mêmes époux veulent se livrer entre eux à des actes d'une lubricité déréglée ou souiller la sainteté de leur mariage par des unions adultères, ces désordres sont nécessairement étrangers aux enfants, puisque ceux-ci naissent de la force du sang et non point de la fange du vice.

Aug. Tu confesses donc maintenant qu'il peut y avoir des actes d'une lubricité déréglée, même entre les époux qui remplissent le devoir conjugal? Voilà ce due fait en réalité cette cliente brillante dont tu t'es déclaré le patron : car ces excès se produisent uniquement, quand on cède aux mouvements par lesquels la concupiscence entraîne, même les époux qui s'unissent dans l'intention de procréer des enfants, à des actes qui ne sont pas nécessaires à cette procréation et que tu condamnes toi-même compte, des actes d'une lubricité déréglée : cependant tu as voulu faire de cette cliente un éloge si pompeux, que personne ne croirait que tu oses maintenant l'attaquer ; car tu as exalté son mérite avec une impudence telle que, bien-loin de rougir d'un pareil excès, tu t'es fait un plaisir véritable de lui assigner une place dans le séjour heureux où vivaient nos premiers parents.

XLI. Jul. C'est donc le sang, et non point les dérèglements des parents, qui se trouve transmis aux enfants ; d'autre part, c'est Dieu qui a institué ce mode de reproduction par le sang, et, comme tu es obligé d'en convenir, qui l'a béni.

Aug. Dieu a réellement institué ce mode de reproduction par le sang : mais ceux qui savent discerner ce qu'il y a de bon et ce qu'il y a de mauvais dans la nature corrompue, sans croire pour cela que la nature s'identifie (482) avec le mal ou le vice avec la nature; ceux-là:, peuvent discerner aussi laquelle de ces deux choses il appartient à Dieu de créer et laquelle il lui appartient de guérir. Mais vous n'aurez pas ce pouvoir, tant que vous serez Pélagiens et non pas Catholiques. Dis-nous donc, je te prie, dis-nous enfin comment on doit entendre ces paroles: « Le péché est entré dans le monde par un seul homme ».

XLII. Jul. Ainsi, on ne peut pas dire non plus que les enfants sont coupables, parce que les parents commettent le péché au moment même où ils les engendrent : car les parents n'ont d'autres rapports avec leurs enfants que ceux qui naissent de leur qualité de parents; d'où il suit que les enfants, à leur tour, n'ont d'autres rapports avec leurs parents que ceux qui naissent de leur qualité d'enfants. Il est certain en effet que la nature seule, et non point la faute de celui qui engendre, est communiquée à celui qui est engendré. Si tu déclares que l'Apôtre confirme à cet égard ce qui est déjà démontré par la raison, c'est donc à bon droit que, conformément aux enseignements de saint Paul, nous soutenons que les péchés des parents ne sauraient appartenir aux enfants; car, puisque l'Apôtre éclairé des lumières du Saint-Esprit, toi-même accablé sous le poids de la vérité que tu combats, et nous qui prenons pour guides les principes lumineux de la raison, nous confessons tous, d'une voix unanime et avec une égale sincérité, que les parents, comme tels, ne sont point coupables; que de plus ils n'ont avec leurs enfants d'autres rapports que ceux qui naissent de leur qualité de parents; il s'ensuit, par une conséquence rigoureuse, que les enfants, comme tels, c'est-à-dire avant qu'ils aient pu accomplir aucun acte de volonté personnelle, ne sauraient être coupables.

Aug. Les parents, il est vrai, sont parents précisément parce qu'ils ont engendré, et les enfants sont enfants parce qu'ils ont pris naissance; mais l'acte d'engendrer, et l'acte de prendre naissance ne sont point des actes mauvais, puisqu'ils appartiennent à un ordre de choses établi par Dieu, et que, si personne n'avait commis le péché, l'un et l'autre auraient pu s'accomplir dans le paradis en dehors de tout mouvement de la convoitise honteuse. Car la convoitise dont nous devons rougir présentement, n'aurait rien qui blessât la pudeur, si elle n'était pas née du péché ou si elle n'avait pas été altérée par le péché; ou bien elle n'existerait en aucune manière, et les parents feraient usage des organes de la reproduction comme les ouvriers tout usage de leurs mains; ou bien cette convoitise serait tellement soumise à la volonté qu'elle ne pourrait jamais solliciter celle-ci contre son gré; elle ne serait point cette convoitise dont nous voyons aujourd'hui la chasteté combattre les mouvements déréglés, tantôt dans la personne des époux qui luttent contre elle pour ne point se laisser aller entre eux à des actes d'une lubricité honteuse, tantôt dans la personne de ceux qui ne sont point engagés dans les liens du mariage et qui refusent de consentir aux sollicitations coupables de la chair. C'est précisément cette dernière convoitise qui est la source du péché originel; c'est à elle que toute participation a été refusée dans la naissance de celui qui est venu, non pas apporter ses propres péchés, mais effacer les nôtres.

XLIII. Jul. Laissons donc maintenant nos adversaires épuiser toutes les ressources de leur esprit pour trouver des raisons en faveur du Manichéisme ; laissons-les, aussi longtemps qu'ils voudront, user toutes les forces de leur intelligence à ce labeur impossible; je leur promets, non point par un sentiment d'orgueil, mais par le sentiment d'une conviction profonde, que cet édifice élevé par moi ne pourra jamais être ébranlé.

Aug. Ce que tu appelles un édifice est en réalité un monceau de débris sous le poids desquels tu as été tellement accablé que tu, t'es vu réduit à louer précisément ce que tu combats; si toutefois il y a encore en toi un amour quelconque de la chasteté, qui te fasse combattre ce que tu loues.

XLI.V. Jul. Comment donc as-tu l'audace d'ajouter : « Mais, le péché est entré dans le inonde par un seul homme, et par le péché la mort; et ainsi le péché a passé dans tous les hommes , par celui en qui tous ont péché (1)? » Suivant l'interprétation que tu nous donnes de cette maxime, l'Apôtre enseigne que cet homme a transmis son péché à ses descendants par la vie de la génération. Or, tu nous avais accordé précédemment que le Maître des nations n'accusait en aucune manière le mariage béni par Dieu même; que l'enfant, au moment de sa naissance, n'a

 

1. Des Notes et de la Conc., liv. I, n. 45.

 

483

 

pas encore la volonté nécessaire pour commettre le péché; qu'enfin les parents, en tant que parents, s'unissent d'une manière honnête et légitime, dans l'intention de procréer des enfants; et tu ajoutes. aussitôt, comme si tg avais écrit ce qui précède dans un moment de sommeil, tu ajoutes que le crime du premier homme est transmis à ses descendants par la voie de la génération;. Si les époux engendrent en tant qu'ils sont parents; si, d'autre part, ils s'unissent, en qualité. de parents, d'une union honnête et légitime ; si enfin cette union n.'est point condamnée par l'Apôtre, parce qu'elle a été non-seulement instituée, mais bénie par Dieu; de quel front et d'après quel principe oses-tu affirmer que cet acte de la génération est une cause de culpabilité, une source de crimes, et qu,'il s'accomplit sous les.auspices du démon?

Aug. Je ne sais  combien de fois déjà ces choses ont été dites, ni combien de fois il y a été répondu. Tes discours, sans fin réussissent uniquement à former des vapeurs épaisses qui ne te permettent plus de distinguer ce qu'il y a de mauvais dans le vice de ce qu'il y a de bon dans la nature : et répétant toujours les mêmes choses dans les mêmes termes, jusqu'à causer au lecteur un ennui insupportable, tu ne dis pas encore en quel sens on doit entendre ces paroles : « Le péché est entré dans le monde par un seul homme ».

XLV. Jul. L’union des parents ne mérite pas d'être condamnée par l'Apôtre, et cependant elle s'accomplit sous les auspices du démon; elle est instituée par Dieu, et elle est une source de crimes; enfin, elle est, comme tu en fais l’aveu, bénie par Dieu, et tu l’accuses d'être un germe diabolique.

Aug. Dieu a béni le mariage, et non pas la concupiscence de la chair qui résiste à l'esprit et qui n'existait pas avant le péché : mais Dieu n'a pas plus béni le péché que cette concupiscence qui résiste à l'esprit. Or, si le péché n'avait pas été commis et que là nature n'eût pas été flétrie, ou bien les époux, dont Dieu même a béni l'union, feraient des organes de la chair un usage semblable à celui que nous faisons de nos autres membres, lesquels obéissent à la volonté en dehors de tout mouvement d'une convoitise déréglée; ou bien les époux n'auraient pas même à rougir des mouvements déréglés de la convoitise, parce que la convoitise ne résisterait jamais à la volonté comme elle le fait aujourd'hui: c'est en effet ce que tu, éprouves toi-même, quand tu refuses de consentir aux sollicitations et aux entraînements de cette convoitise. Le mariage cependant est aujourd'hui encore une chose digne d'éloges : car il ne produit point, mais il trouve cette convoitise mauvaise dans la nature humaine : et les époux qui ont l'intention de procréer des enfants, font un usage honnête de cette même convoitise, quoique les enfants, ainsi engendrés, contractent un péché d'origine, et que, pour cette raison, ils aient besoin d'être régénérés.

XLVI. Jul. Ainsi, tous les principes de la science attestent que tes argumentations n'ont rien prouvé contre moi : et l'opposition, qui règne entre tes maximes, est un témoignage éclatant des efforts que tu fais pour contredire.les enseignements de l'Apôtre, et des attaques insensées que tu diriges contre Dieu. Mais, après avoir montré qu'il est impossible d'unir entre elles des choses qui sont incompatibles par leur nature, interrogeons maintenant les paroles de l'Apôtre, afin que personne ne regarde comme enseignée par lui cette doctrine barbare que tu as établie dans tes discours.

Aug. Donne-nous maintenant, du moins, l'interprétation que tu as cherché à différer par ces détours sans fin.

XLVII. Jul. J'entends saint Paul déclarer que le péché est entré dans le monde par un seul homme, et par « le péché la mort; et qu'ainsi le péché a passé dans tous les hommes par celui en qui tous ont péché (1) ». Tu affirmes que saint Paul a voulu parler en cet endroit, non pas de l'exemple du péché, mais de la génération que nous avons reçue. du premier homme: tu nous appelles nous-mêmes hérétiques, parce que nous entendons ces paroles des mauvais exemples ; et tu crois trouver un appui à ta doctrine dans ce raisonnement: « Certes », dis-tu, « si l'Apôtre avait voulu parler de cette imitation, il aurait dit que le péché est entré, non point par un seul homme, mais par le démon; et qu'il a passé également par tous les hommes. Car il est écrit du démon : Ceux-là se rendent ses imitateurs, qui se sont rangés de son parti (2). Mais saint

 

1. Rom. V, 12. — 2. Sag. II, 25.

 

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Paul a dit que le péché est entré par un seul homme, c'est-à-dire par celui de qui descendent toutes les générations humaines, « afin précisément de nous apprendre que le péché originel a passé dans tous les hommes par la voie de la génération (1) ». Pour moi, au contraire, je vois que l'Apôtre n'a rien dit où l'acte de la génération humaine soit flétri, rien où l'innocence naturelle soit condamnée, rien où l'oeuvre de Dieu soit déclarée une oeuvre mauvaise.

Aug. Tu appuies bien longtemps sur ce mot de rien, et quand tu auras cessé de le répéter, tu ne diras que des rien. Pourrait-on, en effet, ne pas rire de toi, quand tu t'efforces de persuader que ces paroles de l'Apôtre ne se rapportent pas à la génération humaine : « Le péché est entré dans le monde par un seul homme » ; par la raison, dis-tu, que cet homme de qui tous les autres hommes devaient naître ensuite, n'avait été lui-même engendré par personne ; quand vous prétendez, au contraire, que saint Paul a voulu parler ici de l'exemple donné par le premier homme, sous prétexte que l'exemple du péché qui devait être imité par la postérité d'Adam, est entré dans le monde par celui-là seul qui n'avait imité personne en commettant le péché ? Assurément, quelqu'un a péché le premier. Mais qui, parmi les chrétiens, ignore que le premier péché a été commis, non point par Adam, mais par le démon? N'est-il pas vrai que tu te plais à parler toujours et à ne rien dire ?

XLVIII. Jul. Enfin, tu t'efforces, à l'aide d'argumentations habiles, de tirer de ces paroles des conclusions qui n'y sont pas renfermées : Si l'Apôtre, dis-tu, avait voulu parler de cette irritation, il aurait dû nommer le démon; mais comme, dans sa pensée, il s'agissait uniquement de la génération, il a mieux aimé nommer l'homme que le démon. Je te demande ici, qui donc a pu te suggérer une interprétation semblable ? En vérité, est-ce que tu nies que les hommes commettent jamais le péché en imitant d'autres hommes ? Quoique cette vérité n'ait pas besoin d'un témoignage explicite des Ecritures, écoute cependant le Psalmiste : « Ne porte pas envie aux méchants, et ne sois point jaloux contre ceux qui commettent l'iniquité; ne porte pas envie à celui qui prospère dans sa voie (2) ». D'ailleurs tous les livres de

 

1. Des Noces et de la Conc., liv. II, n. 45. — 2. Ps. XXXVI, 1, 7.

 

l'Ancien Testament avertissent Israël de ne point imiter la conduite des peuples païens. Quelle raison impérieuse obligeait donc l'Apôtre, supposé qu'il voulût parler de cette imitation, à nommer le démon plutôt que l'homme, puisqu'il savait que le péché se commet également en imitant l'homme et en imitant le démon ? Ou bien, prouve donc toi-même, qu'il est impossible de commettre le péché en imitant d'autres hommes ; que ce fait n'est attesté en aucun endroit de la loi ; et assigne ainsi à tes conjectures le rang qu'elles méritent dans l'estime des hommes ; ou bien, s'il est tout à fait manifeste que rien n'a autant contribué à multiplier les péchés que l'imitation du vice, tu as fait preuve d'une ignorance profonde, quand tu as conclu que l’Apôtre aurait certainement nommé le démon, s'il avait voulu parler de cette imitation.

Aug. N'ai-je pas écrit tout à l'Heure que tu ne dirais rien de solide, toi dont le talent le plus remarquable consiste à parler sans cesse pour ne rien dire ? Assurément, il y a des péchés d'imitation dans le monde , puisque quand les hommes pèchent , ils suivent l'exemple de ceux qui ont déjà commis les mêmes péchés; cependant le péché, que les autres pécheurs devaient imiter, n'est pas entré dans le monde par ces hommes que chacun imite ; mais il est entré par celui qui a péché le premier sans imiter personne, c'est-à-dire par le démon, qu'ont imité en. suite tous ceux qui appartiennent à son parti, Or, le péché qui n'est point commis par un acte d'imitation, mais qui est contracté par nous au moment de notre naissance, est entré pareillement dans le monde, par celui qui le premier a engendré un homme. Ainsi, tu n'as rien dit, et tu as refusé de te taire, uniquement afin de séduire quelques lecteurs et de fatiguer les autres.

XLIX. Jul. Il est donc manifeste que ces paroles se rapportent non-seulement d'une manière logique, mais nécessairement, à l'imitation des hommes pécheurs ; et par là même il est tout à fait évident- que ton argument n'a aucune valeur. Tu ajoutes qu'il est écrit du démon : « Ceux-là se rendent, ses imitateurs, qui appartiennent à son parti » : et moi aussi je reconnais que cette maxime a été inspirée par la sagesse à l'auteur (quel qu'il soit) qui a écrit ce livre ; mais il ne te sert de rien de citer un texte où il est dit que (485) certains hommes commettent le péché en imitant le démon, si tu ne réussis pas à prouver qu'il est impossible de commettre le péché en imitant les hommes.

Aug. Il ne s'agit pas ici de savoir si l'on peut commettre le péché en imitant les hommes : qui ne sait que l'on pèche en suivant l'exemple des hommes pécheurs ? Mais la question est de savoir quelle espèce de péché est entrée dans le monde par un seul homme: est-ce un péché qui devait être commis ensuite par un acte d'imitation, ou bien un péché que nous devions contracter en naissant? La première espèce de péché, c'est-à-dire celui qui devait être commis ensuite par imitation, est entrée dans le monde par celui-là seul qui, le premier, et sans imiter personne, a donné aux autres, qui devaient l'imiter lui-même, l'exemple du péché, c'est-à-dire par le démon : la seconde espèce, au contraire, c'est-à-dire le péché que nous devions contracter en naissant, est entrée dans le monde par celui-là seul qui, le premier, et sans avoir été engendré par personne, a ouvert la source où les autres devaient ensuite puiser la vie, c'est-à-dire par Adam. Car, notre discussion n'a point pour objet de trouver un pécheur quelconque par qui le péché ait été commis dans le monde n'importe à quelle époque ; mais il s'agit précisément de savoir quel est celui par qui le péché est entré dans le monde: or, si l'on cherche quel est celui qui a donné l'exemple du péché, on trouve que c'est le démon ; si l'on cherche quel est celui qui a corrompu les sources de la vie, on trouve que c'est Adam. Conséquemment, l'Apôtre a voulu parler d'un péché transmis avec le sang, quand il a dit : « Le péché est entré dans le «monde par un seul homme ». Car le péché que l'on commet par un acte d'imitation, est entré dans le monde, non point par un seul homme, mais par le démon.

L. Jul. Car, puisque l'usage autorise également à dire tantôt que telle personne imite le démon et partage l'envie dont il est animé; tantôt que telle autre personne, marchant avec une ardeur jalouse sur les traces d'un homme, se souille soit du crime de l'envie, soit d'un vice infâme quelconque ; puisque, dis-je, ce mot d'imitation peut s'entendre et de l'homme et du démon : tu as donc voulu dire une chose absurde et tout à fait ridicule, quand tu as prétendu que le mot imitation n'avait pu être employé dans un sens relatif à Adam.

Aug. Est-ce que le péché est entré dans le monde par tel ou tel homme qui aurait été imité dans son péché par un autre homme? Dis-nous, si tu le peux, quel est le sens de ces paroles : « Le péché est entré dans le monde par un seul homme, et par le péché la mort ; et ainsi a passé dans tous les hommes », soit la mort, soit le péché, soit plutôt le péché avec la mort. Car, le péché qu'on imite toutes les fois qu'on pèche de nouveau, est entré dans le monde par le démon seul, qui a fait le premier, sans imiter personne, ce que les autres ont fait depuis en l'imitant.

LI. Jul. La suite de la discussion nous appelle à traiter d'autres questions : mais nous voulons insister encore ici, afin, par des définitions aussi concises que possible, de faire mieux comprendre au lecteur et de graver dans sa mémoire les vérités que nous venons d'établir. Dans presque tous les sujets que l'on peut avoir à traiter, on rencontre des homonymes, appelés aussi équivoques.

Aug. Tu avais promis de rendre ta doctrine facilement saisissable pour le lecteur, et tu parles d'homonymes et d'équivoques : mais les Pélagiens eux-mêmes pourront-ils comprendre ton langage, à moins qu'auparavant on ne les envoie apprendre cette terminologie dans les écoles des dialecticiens, dans tous les endroits où l'on pourra trouver de ces sortes d'écoles? Ou bien, avant qu'ils lisent tes livres, as-tu dessein de leur expliquer toi-même, dans une leçon en forme, les catégories d'Aristote ? Pourquoi ne le ferais-tu pas, toi, homme d'une perspicacité si rare, puisque les malheureuses victimes de tes discours trompeurs nourrissent ton oisiveté ?

LII. Jul. Mais, pour traiter maintenant la question dont il s'agit, l'acte de la génération est attribué proprement aux organes qui l'accomplissent ; l'imitation, au contraire, est toujours une oeuvre de l'âme. Or, cette inclination de l'âme à imiter ce qu'elle, veut dans les limites de ses forces, est pour l'homme une cause de déshonneur ou un titre de gloire, suivant les circonstances : c'est ainsi qu'on dit que l'homme imite, en faisant le bien, Dieu, les anges et les Apôtres : Dieu : « Soyez parfaits comme votre Père est parfait (1) » ;

 

1. Matt. V, 48.

 

486

 

les anges : « Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel (1) » ; les Apôtres : « Soyez mes imitateurs, comme je le suis moi-même de Jésus-Christ (2) ». Quand il fait le mal, au contraire, il imite le démon, suivant cette parole : «Ceux-là imitent le démon, qui appartiennent à son parti (3) » ; il imite d'autres hommes : « Ne soyez point tristes comme les hypocrites qui affectent de paraître avec un visage défiguré (4) » ; il imite les animaux : « Ne vous rendez pas semblables au cheval et au mulet, qui n'ont point d'intelligence (5) ». Ainsi, ces paroles, tant celles qui exhortent que celles qui défendent avec menaces, prouvent l'existence de cette inclination à imiter, contre laquelle, assurément, si elle ne pouvait exister, il serait inutile de recommander à l'homme de se mettre en garde.

Aug. Mais le péché d'imitation, c'est-à-dire le péché que l'on devait commettre par des actes d'imitation, est entré dans le monde uniquement par celui qui a péché sans imiter personne, et que les antres devaient imiter ensuite en commettant le péché; et ceux-là, assurément, ce n'est point Adam, mais le démon. Car, en s'exprimant ainsi : « Est entré dans le monde », l'Apôtre désigne le commencement de ce péché : or, il est manifeste que ce commencement n'a pas été l'oeuvre de l'homme, mais l'oeuvre du démon, si nous voulons parler du -péché qui devait être imité ensuite par les autres pécheurs. Logiquement donc, il ne reste plus qu'à attribuer, non pas à un acte d'imitation, mais à l'acte même de la génération, le péché qui est entré dans le monde par un seul homme. Toutefois, nous rendons grâces à Dieu de ce que, vaincu un instant par l'éclat irrésistible de la vérité, et parlant contre votre erreur, tu as confessé que le bon vouloir, par lequel nous imitons les hommes, de «bien, doit être attribué, non pas aux forces de notre libre arbitre, mais au secours de Dieu : car tu as montré que nous ne devons pas espérer de pouvoir par nous-mêmes imiter les anges, mais que nous devons demander cette grâce au Seigneur, quand tu as cité ces paroles de l'Oraison dominicale : « Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel ».

 

1. Matt. VI, 10. — 2. I Cor. XI, 1. — 3. Sag. II, 25. — 4. Matt. VI, 16. — 5. Ps. XXXI, 9.

 

LIII. Jul. Mais, s'il est manifeste que le mot imitation peut être employé indistinctement par rapport à des êtres différents, il est certain aussi que le mot génération, dans son sens vrai et propre, désigne la substance qui engendre; et qu'il se dit également des passions, mais par abus, et non pas dans son sens propre. Toutefois, cette manière de parler étant consacrée par l'usage, on comprend ce qu'elle signifie, et le mot génération ne perd pas pour cela la signification qui lui est propre. C'est ainsi que, dans l'Evangile, le Seigneur dit que le démon engendre les pécheurs : « Vous avez le démon pour père (1) ». En s'exprimant ainsi, le Seigneur déclarait que les pécheurs auxquels il adressait ces reproches, avaient pour père celui dont ils étaient convaincus d'imiter la méchanceté: et cependant tout le -monde comprend que, par ce mot de père, le Seigneur n'a pas attribué au démon les organes de la génération, ni à ces hommes une substance aérienne semblable à celle du démon. Faisons voir maintenant ce que nous avons voulu démontrer en posant ces principes. S'il était impossible de dire, dans le sens propre du mot, que les hommes imitent d'autres hommes, et si l'Apôtre avait déclaré que tous ont péché par Adam, j'aurais encore parfaitement le droit de soutenir que le sens des paroles de l'Apôtre doit être déterminé d'après l'usage des Ecritures, et que, de même que le Seigneur avait donné le nom de père au démon, quoique celui-ci ne pût engendrer matériellement; de même aussi l'Apôtre a écrit que l'homme peut être imité; j'aurais ainsi vengé les paroles de saint Paul du reproche d'être en contradiction évidente avec la raison.

Aug. Est-ce que Adam a donné le premier l'exemple du péché, et peut-on dire avec vérité que cette sorte de péché est entrée par lui dans le monde ? N'est-ce pas le démon qui le premier a donné l'exemple du péché à ceux qui voudraient l'imiter ? Conséquemment, saint Paul aurait dit que le péché est entré dans le monde parle démon, s'il avait voulu parler en cet endroit du péché que d'autres créatures devaient commettre ensuite par imitation.

LIV. Jul. Si après cela je voulais recueillir dans l'Evangile toutes les expressions qui s'y trouvent employées d'une manière abusive

 

1. Jean, VIII, 44.

 

487

 

il me serait impossible de le faire : à plus forte raison les paroles de l'apôtre saint Paul ne sont-elles pas une occasion d'erreur, puisqu'il n'emploie aucune expression dans un sens impropre, quand il déclare que le premier homme pécheur a été un exemple pour les pécheurs qui ont vécu après lui.

Aug. Saint Paul n'aurait donc pas dû représenter, l'un comme modèle de péché et l'autre comme modèle de justice, Adam et le Christ. S'il avait cité Adam comme premier pécheur, à cause de son péché que les, autres hommes ont imité, il aurait dû nécessairement citer aussi comme premier juste, dont les autres devaient ensuite imiter la justice, non pas le Christ, mais Abel ; car Abel fut le premier qui, sans imiter aucun homme et devant être lui-même imité par d'autres, pratiqua la justice. Mais saint Paul, sachant bien ce qu'il disait, a cité Adam comme modèle de péché, et le Christ comme modèle de justice; parce qu'il savait que le premier est l'auteur de la génération, et le second, l'auteur de la régénération.

LV. Jul. Et par là même tu as raisonné d'une manière stupide, quand tu as dit que si l'apôtre saint Paul avait voulu faire entendre que le péché a été transmis par voie d'imitation, il aurait dû nommer le démon plutôt qu'Adam; car il est manifeste que le mal qui vient de :l'homme et celui qui vient du démon, ont pu être transmis que par voie d'imitation. Mais après avoir vu renverser, par les mains de la raison plutôt que par mes propres mains, l'édifice que tu avais élevé, considère avec attention l'interprétation que nous donnons maintenant à ce passage de l'Apôtre.

Aug. Ceux qui liront ta thèse et ma réponse, estimeront que tu. n'as point renversé ce que j'avais établi, et que tu as porté vainement sur notre édifice, non pas les mains de la saine raison, mais celles de tes conjectures trompeuses.

LVI. Jul. Saint Paul fait voir que ses paroles ne signifient point que le péché a été transmis par la voie de la génération, puisqu'il joint au mot homme ces autres mots . « Un seul » ; car l'unité est le principe des nombres: quand il a voulu faire connaître celui par qui il disait que le péché est entré, il n'a pas seulement prononcé son nom, mais il l'a désigné numériquement : « Le péché », dit-il, « a passé dans les monde par un seul homme.». Une seule personne suffit pour donner un exemple à imiter, elle ne suffit point pour accomplir l'acte de la génération. D’autre part, le péché a passé, mais il a passé par un seul. Il est donc manifeste qu'il s'agit ici de l'imitation, et non pas de la génération qui ne peut s'accomplir sans le concours de deux personnes. Conséquemment, ou bien montre que la génération première a été accomplie par Adam seul, sans le secours d'une femme (car cette proposition n'a rien qui répugne à ton esprit distingué); ou bien, assurément, puisque tu vois que la génération ne saurait s'accomplir sans le concours de deux personnes, consens, quoique tardivement, à reconnaître que le nombre un n'a pas été employé pour accuser ce qui est l’oeuvre de deux. «Le péché », dit-il, « est entré dans le monde par un seul homme » ; en disant « par un seul », saint Paul n'a pas voulu faire entendre « par deux ». Pourquoi, je te prie, ce nombre est-il ainsi jeté au milieu de ces principes dogmatiques? et pourquoi l'Apôtre a-t-il pris tant de soin, non-seulement de nommer l'homme, mais de le désigner numériquement : « Un seul homme? » On voit ici la sagesse profonde de ces divines paroles, par lesquelles saint Paul , inspiré lui-même par le Saint-Esprit, a prévenu et désarmé les erreurs des temps présents, ne voulant pas être considéré comme ayant prononcé un mot quelconque de blâme contre le mariage institué ou contre la fécondité bénie par Dieu; et, d'autre part, la question qu'il traitait exigeant qu'il fît connaître l'origine du péché, il a employé, en parlant de la transmission de celui-ci, une expression numérique incompatible avec l'idée de génération. Certes, les premières créatures humaines avaient péché toutes deux, et.c'est avec raison qu'on leur attribue d'avoir:donné à leur postérité l'exemple du péché; pourquoi donc l'apôtre ne dit-il pas que le péché a passé par deux personnes? Cette expression n'eût-elle pas été plus conforme à la vérité historique? Mais l'Apôtre ne.pouvait rien faire de plus sage que de s'exprimer comme il l'a fait: il vit que:s'il nommait, les deux personnes qui avaient, les premières, donné l'exemple de la prévarication, et s'il déclarait que le péché avait passé par elles, il ouvrirait une porte à l'erreur, en donnant lieu de croire que, dans sa pensée, le mot deux était une (488) condamnation de l'union conjugale et de la fécondité. C'est pourquoi, par un acte de sagesse profonde, il a mieux aimé employer le mot « un seul » ; cette expression ne saurait éveiller l'idée de génération, et elle fait voir surabondamment qu'il s'agit d'exemple; l'imitation se trouve ainsi être l'objet de l'accusation portée en cet endroit, et la fécondité est mise hors de cause par cette expression numérique. Et pour résumer en deux mots ce que nous venons de dire, l'oeuvre de la génération dont Adam et Eve furent les premiers auteurs, ne peut s'accomplir sans le concours de deux personnes ; or, l'Apôtre déclare que le péché est entré, mais par un seul.

Aug. J'avais prédit que tu parlerais pour rien dire ; et les esprits les plus lents comprennent que ma prédiction s'est réalisée. Est-ce que les pécheurs n'imitent pas Eve, ou bien les péchés du genre humain n'ont-ils pas plutôt commencé par elle-même? Car; il est écrit : « C'est par la femme que le péché a commencé, et c'est à cause d'elle que nous mourons tous (1) ». Pourquoi donc ne veux-tu pas comprendre, que si l'Apôtre a joint les mots un seul D au nom générique de celui par qui le péché est entré dans le monde, c'est précisément parce qu'il voulait faire entendre qu'il parlait de la génération, et non pas de l'imitation? Car de même que le péché a commencé par la femme, de même aussi l'oeuvre de la génération commence par l'homme; c'est le sang de l'homme qui vient féconder celui de la femme ; le péché donc est entré dans le monde par un seul homme, c'est-à-dire, il est entré par le sang que, dans l'acte de la génération, la femme a reçu de l'homme; aussi, celui qui seul est né de la femme exempt de péché, n'a point voulu être conçu de cette manière.

LVII. Jul. Il demeure établi d'une manière irréfutable, que saint Paul attribue expressément, non pas au sang, mais à la conduite personnelle de chacun , la transmission de ce péché à la postérité. Considère donc combien ces paroles, échappées de tes lèvres, sont contraires à la vérité : « Mais l'Apôtre a dit que le péché est entré par un seul homme, c'est-à-dire, par celui à qui remontent toutes les générations humaines, afin précisément de nous apprendre que le péché originel a passé par tous les hommes qui ont été

 

1. Eccli. XXV, 33.

 

engendrés (1) » ; tandis que l'Apôtre a dit: « Par un seul homme », afin précisément qu'on ne crût pas que le péché originel avait passé par tous les hommes. Ton langage est tellement absurde que j'ai peine à ne' pas éclater de rire, quand tu dis que la génération remonte primitivement à un seul homme; car la diversité des sexes et les livres saints attestent que l'acte de la génération n'aurait pu s'accomplir sans le concours de deux personnes déjà existantes, en d'autres termes, sans le concours d'un homme et d'une femme.

Aug. Que ceux qui lisent ce passage de ton livre, lisent une seconde fois la réponse que j'y ai faite précédemment ; ou, s'ils ont conservé parfaitement le souvenir de cette réponse, qu'ils rient à leur aise des sottises que tu débites ici. Je pourrais dire cependant que, si l'Apôtre a joint au nom générique de celui par qui le péché est entré dans le monde, les mots « un seul », et non pas le mot deux, c'est parce qu'il est écrit : « Ils seront deux dans une seule chair (2) » ; de là cette parole du Seigneur : « Ainsi , ils ne sont plus deux, mais une seule chair (3) » ; surtout quand l'homme s'unit à la femme et qu'ils accomplissent le devoir conjugal. De cette union naissent des enfants qui contractent le péché, originel, parce que le vice engendre le vice en même temps que Dieu crée la nature : quoique les époux fassent un usage honnête d'une passion vicieuse en elle-même, ils ne sauraient cependant engendrer cette nature de telle sorte qu'elle puisse être exempte de vice; C'est précisément cette souillure qui est effacée dans les enfants, même malgré Julien, par celui qui est né sans en avoir lui-même subi les atteintes.

LVIII. Jul. Ou bien, si tu viens à répondre (car ton opinion ne saurait se soutenir si tu refuses d'admettre ce principe) ; si tu viens à répondre qu'Adam a pu concevoir et enfanter par lui-même, personne assurément ne croira que telle a été la pensée de l'Apôtre; mais tu montreras par là que tu aurais voulu toi-même pouvoir engendrer tout seul.

Aug. Tu ne trembles pas en entendant ces paroles de l'Ecriture : « Ni ceux qui disent des injures ne posséderont le royaume de Dieu (4)? » La fureur de prononcer de mauvaises

 

1. Des Noces et de la Conc., liv. II, n. 45. — 2. Gen. II, 24.— 3. Matt. XIX, 6. — 4. I Cor. VI, 10.

 

489

 

 paroles peut seule te pousser à m'adresser des injures aussi inconvenantes, et qui ne sont pour toi d'aucun secours.

LIX. Jul. Mais laissons ces aloses, et démontrons par les lumières infaillibles de la raison, l'inanité de la réponse que vous pourriez faire, ce semble, en cet endroit. Si donc tu dis qu'il est écrit, au sujet de cette union charnelle: Ils sont deux dans une seule chair, et si tu prétends que l'Apôtre, se conformant à cette manière de parler, a dit à son tour : « Par un seul homme », pour désigner ceux qui s'unissent l'un à l'autre : je répondrai que cette interprétation aussi est contraire à votre doctrine impie. L'Ecriture, en effet, ne dit pas : Ils seront deux hommes dans un seul homme ; mais : « Ils seront deux dans une seule chair » ; ces mots : « Une seule », nous montrent que cette volupté des personnes qui s'unissent l'une à l'autre, et la passion qui excite les organes de la chair jusqu'à les jeter dans un état de prostration, et, suivant l'expression de la sagesse divine, les fait brûler du désir de ne former plus qu'une seule chair; ces mots, dis-je, nous montrent que cette volupté et cette passion ont Dieu pour auteur et qu'elles ont subsisté dans le corps humain antérieurement au péché.

Aug. Si la passion (cette cliente dont tu fais l'éloge et la critique tout à la fois ; dont tu reconnais que l'on doit rougir et à laquelle toi-même tu ne rougis pas de donner tes affections et que tu oses encore placer dans le paradis telle absolument qu'elle est aujourd'hui); si la passion seule pouvait faire que l'on fût deux dans une seule chair, il serait tout à fait impossible d'entendre aussi du Christ et de l'Eglise ces paroles : « Ils seront deux dans une seule chair ». Certes, l'amour de la vérité n'est pas tellement éteint dans ton coeur, que tu oses introduire cette passion jusque dans l'union du Christ et de l'Eglise. Or, si le Christ et l'Eglise peuvent, en dehors de cette passion, être deux dans une seule chair; l'homme et la femme, supposé que personne n'eût commis le péché, auraient donc pu, eux aussi, s'unir entre eux, non point par un mouvement de cette passion honteuse dont celui-là même rougit dans sa conduite personnelle, qui ne rougit pas d'en faire l'éloge dans ses livres ; mais par le mouvement d'une charité vraiment digne d'éloges, et se trouver ainsi deux dans une seule chair sans autre but que celui de procréer des enfants. Voilà pourquoi le Seigneur, quand il a prononcé cette maxime : « Ils ne sont donc plus deux, mais une seule chair », n'a point dit : Ils ne sont plus deux chairs, mais une seule: Qu'est-ce à dire : Ils ne sont plus deux, en d'autres termes, deux créatures humaines? C'est comme le Christ et l'Eglise qui unis ensemble ne sont pas deux Christs, mais un seul Christ : car, il nous a été dit, à nous : « Vous êtes donc la postérité d'Abraham », et il avait été dit à Abraham, au sujet du Christ : « Et à ta postérité, c'est-à-dire au Christ (1) ».

LX. Jul. Et par là même, le démon ne peut rien s'attribuer soit du plaisir soit de la pudeur dont cette passion est la source.

Aug. Que parles-tu ici de pudeur? Est-ce que tu aurais honte de prononcer le mot de honte? Tu dis cependant que, même avant le péché, la passion honteuse existait dans ceux dont l'Ecriture parle en ces termes : « Ils étaient nus, et ils ne rougissaient point (2) ».

LXI. Jul. Toutefois, si la pensée de l'Apôtre avait ressemblé en quelque chose à celle que tu lui attribues, il aurait dit que le péché est entré par une seule chair, et non point par un seul homme. Mais, d'autre part, dans l'oeuvre de la génération, la substance charnelle seule est communiquée à l'enfant; car la chair de celui-ci vient de la chair de ses parents, mais son âme n'est point une émanation de leurs âmes; le nom d'homme, au contraire, indique, à la fois et dans son sens propre, l'esprit et le corps : et par là même, l'Apôtre parlant d'un seul homme ne désignait pas l'acte de la génération dans lequel il savait qu'il n'y a d'autre communication que celle de la substance charnelle ; il ne voulait pas non plus faire entendre qu'il s'agissait de deux personnes, puisqu'il prononce expressément les mots « un seul », afin de montrer que la transmission du péché s'est faite par voie d'imitation, et non point par voie de génération.

Aug. Que signifient donc ces paroles : « Ils ne sont plus deux, mais une seule chair », sinon : Ils ne sont plus deux hommes, parce que leurs chairs ne font plus qu'une seule chair? Le mot chair peut en effet être employé pour désigner l'homme, si l'on prend

 

1. Gal. II, 29, 16. — 2. Gen. II, 25.

 

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la partie pour le tout; c'est en ce sens que saint Jean a dit : « Le Verbe s'est1ait chair (1) », pour indiquer que celui dont il parlait s'est fait homme. Réciproquement, quand l'Apôtre a dit : « L'homme extérieur se corrompt (2) », je crois qu'il a voulu parler de la chair. C'est. pour cela que nous nous exprimons avec justesse quand nous disons : Le sépulcre d'un homme,  quoique le corps seul de celui-ci y soit enseveli. Elle ne s'est point trompée non plus, celle qui a dit : « Ils ont enlevé mon Seigneur du tombeau (3) », quoique le corps seul du Seigneur y eût été déposé. Conséquemment, sans trancher la question si obscure de l'origine de l'âme, saint Paul a pu dire : « Le péché est entré dans le monde par un seul homme », alors même que la chair seule des parents serait communiquée aux enfants. Réfléchis sérieusement à cela, et tu verras que tu as parlé pour ne rien dire.

LXII. Jul. Quoique les lumières de la vérité aient déjà dissipé toutes les ténèbres, j'avertis cependant le lecteur de prêter ici à mes paroles la plus sérieuse attention. Dans le cours de ce débat, j'ai cédé beaucoup de mes droits, et en suivant mon adversaire sur le terrain où il m'avait provoqué témérairement, j'ai défendu les principes de la vraie foi avec une force telle que, quand même les paroles du Maître des nations seraient celles que le partisan de la .transmission du péché a cru lire dans l'Epître aux Romains (4), il serait encore manifeste que la pensée même du péché originel n'est pas entrée dans l'esprit de saint Paul ; car, en disant, non-seulement « un homme», mais « un seul homme », il aurait accusé l'exemple donné par celui-ci, et non pas le sang transmis par la génération.

Aug. Tu nous donnes ici un exemple, mais un exemple de la légèreté de ton esprit : car si l'Apôtre voulait parler en cet endroit de l'exemple de péché qui a été donné par le premier homme pécheur , c'est-à-dire par Adam, il citerait certainement comme modèle de justice celui qui a été le premier homme juste, c'est-à-dire Abel.

LXIII. Jul. Mais il est certain que la phrase de l'Apôtre n'est pas celle que notre ennemi lui a attribuée. Voici le raisonnement de celui-ci : « Si l'Apôtre », dit-il, « avait voulu a parler de cette imitation, il aurait dit que le péché est entré, non pas par un seul

 

1. Jean, I, 14. — 2. II Cor. IV, 16. — 3. Jean, XX,13. — 4. V, 12.

 

homme, mais par le démon, et que ce même péché a passé par tous les hommes. « Car il est écrit du démon : Ceux-là sont ses imitateurs, qui se sont rangés de son parti (1). Mais saint Paul a dit que le péché est entré par un seul homme, c'est-à-dire par celui à qui remontent les générations humaines , afin précisément de nous montrer que le péché originel a passé par tous les hommes qui ont été engendrés (2)». Notre adversaire en impose donc, quand il affirme que le bienheureux Paul a déclaré que le péché est entré dans le monde par un seul homme, et que le péché «passé ainsi dans tous les hommes : cette dernière p proposition, dis-je, ne se trouve nulle part dans les écrits du Maître des Gentils; saint Paul ne parle pas de la transmission du péché, mais de la transmission de la mort. Voici comment sa phrase est construite : « De même que le péché est entré dans le monde par un seul homme, et par le péché la mort; de même aussi (il ou elle (3)) a passé dam tous les hommes par celui en qui tous ont péché ». Le sublime Docteur de l'Eglise a pesé les expressions qu'il devait employer; Le péché », dit-il, « est entré dans le monde par un seul homme, et par le péché à mort; et ainsi (il ou elle) a passé dans tous les hommes ». Il avait nommé d'abord la mort et le péché : quelle raison pouvait l'obliger, dès qu'il parlait de transmission, à séparer ces deux noms unis par lui précédemment, et à montrer ainsi en termes exprès, que, à la, vérité, le péché est entré dans ce monde par un seul homme, et par le péché la mort ; mais que la mort seule, et non pas le péché a passé dans tous les hommes, pour accomplir une sentence aussi juste qu'elle est sévère, pour punir nos prévarications et venger, non pas le sang que nous avons reçu de nos parents, mais les fautes dont nous nous sommes rendus coupables personnellement : quelle raison, dis-je, pouvait obliger l'Apôtre à s'exprimer avec tant de circonspection, si ce n'est le désir qu'il avait d'empêcher que ses paroles ne fussent regardées dans la suite comme favorisant tant soit peu votre doctrine?

            Aug. Ces paroles, à la vérité, paraissent obscures

 

1. Sag. II, 25. — 2. Des Noces et de la Conc., liv. II, n.45.  — 3. Conformément au génie des langues grecque et latine, le pronom qui sert de sujet au verbe n'est pas exprimé.

 

 

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en elles-mêmes : « Le péché est entré dans le monde par un seul homme, et par le péché la mort; et ainsi (il ou elle) a passé dans tous les hommes » :est-ce le péché, est-ce la mort ou bien l'un et l'autre à la fois, que saint Paul déclare avoir passé dans tous les hommes? mais la réponse à cette question est clairement indiquée par la nature même des choses. Car, si le péché n'avait pas été transmis, tous les hommes ne naîtraient pas avec la loi du péché, qui est dans nos membres : si la mort n'avait pas été transmise, tous les hommes ne mourraient pas, du moins de la mort qui nous frappe dans notre condition présente. Quand l'Apôtre ajoute : « En qui tous ont péché », ces mots « en qui » désignent uniquement Adam en qui il dit aussi que tous sont morts; car il n'eût pas été juste que le châtiment fût transmis sans que la faute fût transmise pareillement. Quelques efforts que tu fasses, il te sera impossible de renverser les fondements de la foi catholique par la raison surtout que tu es en contradiction avec toi-même, puisque tu dis maintenant que la mort seule, et non pas le péché, a été transmise, après avoir dit précédemment que l'Apôtre a parlé en termes exprès, non pas de deux personnes, mais d'un seul homme, afin précisément de nous montrer que la transmission du péché s'est opérée par voie d'imitation, et non point par voie de génération (1). Le péché a donc été transmis avec la mort; comment peux-tu dire après cela que la mort seule, et non point le péché, a été transmise?

LXIV. Jul. Considère avec attention combien ton langage est différent de celui de saint Paul. Celui-ci dit : « Par un seul homme » ; et toi, tu dis : Par deux personnes, en d'autres termes, par la voie de la génération. L'Apôtre déclare que le péché et la mort ont été le partage du premier homme, et la mort seule a passé aux enfants d'Adam: toi, au contraire, tu affirmes que le péché et la mort ont été transmis à tous les hommes.

Aug. Nous avons déjà répondu à ces difficultés : on peut lire de nouveau, si on le juge à propos, ce que nous avons dit ci-dessus, afin de nous dispenser de répéter sans fin et sans nécessité les mêmes choses.

LXV. Jul. C'est donc par un acte d'impudence que tu cherches à t'abriter sous l'autorité

 

1. Ci-dessus, Ch. LVI, LXI.

 

de ce nom, puisque, entre ta doctrine et la doctrine de saint Paul, il y a une différence et une contradiction trop manifestes. Car, l'Apôtre accuse l'oeuvre des hommes, et toi tu accuses l'oeuvre de Dieu ; l'Apôtre accuse les passions de ceux qui ont péché, toi tu accuses l'innocence et le sang des enfants qui commencent à vivre; l'Apôtre accuse la volonté des hommes, et toi tu accuses leur nature.

Aug. J'ai répondu précédemment à toutes ces difficultés : ceux qui se souviennent de mes paroles, ont déjà ri des tiennes; ceux, au contraire, qui ont perdu ce souvenir, peuvent lire de nouveau ce que j'ai écrit, et assurément, après avoir ri d'abord de la frivolité de tes argumentations, ils éprouveront à ton égard un sentiment de compassion profonde.

LXVI. Jul. Ainsi, suivant l'Apôtre, le péché est entré dans ce inonde par un seul homme, et par le péché la mort ; parce que le monde a arrêté ses regards sur Adam coupable et destiné à subir le châtiment d'une mort éternelle. La mort, au contraire, a passé dans tous les hommes; parce que tous les prévaricateurs, ceux même qui devaient naître dans les siècles suivants, furent compris dans la même sentence de condamnation : toutefois cette mort n'a pas le pouvoir de frapper les saints ni ceux qui sont encore innocents ; elle exerce ses rigueurs uniquement sur ceux qu'elle voit imiter la prévarication du premier homme.

Aug. La doctrine que tu enseignes ici est précisément celle qui fut objectée à votre hérésiarque Pélage dans l'assemblée des évêques de Palestine, et d'après laquelle Adam, au moment même de sa création, aurait été destiné à mourir, soit qu'il commit ensuite, soit qu'il ne commît pas le péché. L'Écriture dit en parlant de la mort qui nous frappe tous: «Le péché a commencé par la femme, et c'est à cause d'elle que nous mourons tous (1) » : tu ne veux pas que cette mort ait été transmise à tous les hommes, dès leur origine, par suite du péché, afin de n'être pas obligé de reconnaître en même temps que le péché nous a été transmis pareillement dès notre origine. Tu sens, en effet, combien il serait injuste que la transmission du châtiment eût lieu sans que la faute qui mérite ce châtiment fût transmise en même temps. Mais le

 

1. Eccli. XXV, 33.

 

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principe que tu t'efforces de combattre, est un principe tellement conforme à la foi catholique, que si Pélage n'avait pas condamné la doctrine enseignée ici par toi, lorsqu'elle lui fut objectée, comme je l'ai dit tout à l'heure, certainement il ne serait pas sorti de cette assemblée sans avoir été condamné lui-même. Ainsi, cette mort par laquelle l'esprit est séparé du corps, et celle qu'on nomme la mort seconde, et qui consiste en ce que l'esprit sera torturé avec le corps, ont passé dans tous les hommes, en ce sens du moins que le genre humain a mérité de les subir l'une et l'autre : mais la grâce de Dieu que nous avons reçue par les mérites de celui qui est venu mourir, afin de détruire le règne de la mort par la résurrection dont il nous a donné l'exemple ; la grâce de Dieu, dis-je, n'a pas permis à la mort de régner avec un tel empire. Voilà ce qu'enseigne la foi catholique, voilà ce qu'enseignent ceux dont Pélage a redouté la sentence; mais cette doctrine n'est pas enseignée par les hérétiques qui ont adopté la doctrine de Pélage.

LXVII. Jul. Quoique cette prévarication n'ait imprimé aucune flétrissure à la nature humaine, elle a été cependant pour les hommes un exemple de péché ; et par là même, quoiqu'elle ne pèse pas sur les petits enfants, elle ne laisse pas pour cela d'être un sujet d'accusation contre ceux qui suivent cet exemple.

Aug. Si tu as oublié qu'un joug accablant pèse sur les petits enfants, nous, de notre côté, nous te rappelons une fois de plus cette vérité.

LXVIII. Jul. Quant à la mort dont le juste juge a porté la sentence, elle a été transmise par celui en qui tous ont péché, il est vrai, mais en qui tous ont péché par des actes d'une volonté libre : ici comme dans une foule d'autres endroits de l'Écriture, le mot « tous » désigne un très-grand nombre, et non pas la totalité des hommes.

Aug. Tu t'efforces inutilement de torturer les expressions les plus simples et de rendre obscures celles dont le sens est manifeste. Tous ont péché dans la personne de celui en qui tous meurent, c'est-à-dire, dans la personne d'Adam ; si les petits enfants ne meurent pas en celui-ci, sans aucun doute ils ne recevront pas non plus une vie nouvelle en Jésus-Christ : mais comme « tous meurent en Adam, tous revivront aussi en Jésus-Christ (1) »; et par là même, ceux qui veulent dénaturer le sens de ces paroles, se portent à eux-mêmes des coups mortels sans pouvoir atteindre en aucune manière les enseignements de l'Apôtre.

LXIX. Jul. Mais poursuivons maintenant la discussion des paroles de notre adversaire, afin de montrer, par les développements que l'écrivain sacré a donnés à sa pensée, et comme on a pu déjà en juger par plusieurs raisons décisives, quelle est celle des deux doctrines qui se trouve conforme aux enseignements de l'Apôtre. « Les paroles qui suivent dans le texte de l'Apôtre ont-elles une autre signification ? Après s'être exprimé ainsi, il ajoute : Le péché a existé dans le monde jusqu'à la loi (2) : en d'autres termes, la loi elle-même n'a pu mettre fin au péché. Mais le péché n'était pas imputé, quand la loi n'existait pas. Le péché subsistait donc alors, mais il n'était pas imputé, par la raison que ce qui n'était pas connu ne pouvait pas être imputé : car, suivant l'expression de saint Paul en un autre endroit : La connaissance du péché nous est donnée par la loi (3). Mais la mort, dit-il, a régné depuis Adam jusqu'à Moïse ; ces derniers mots ont le même sens que ces autres employés précédemment : jusqu'à la loi ; jusqu'à Moïse, dit l'Apôtre, non pas en ce sens que le péché ait cessé ensuite d'exister ; mais en ce sens que la loi donnée par Moïse n'a pu elle-même détruire l'empire de la mort, laquelle, assurément, ne règne que par le péché. D'autre part, la, mort n'exerce sa puissance que pour envoyer les hommes ses sujets à une seconde mort qui durera éternellement. Elle a donc régné; et sur qui? Sur ceux mêmes, dit saint Paul, qui n'avaient point péché par une prévarication semblable à celle d'Adam, lequel est la figure de celui qui devait venir (4). Quel est celui qui devait venir, sinon le Christ ? et comment Adam est-il la figure du Christ , si ce n'est par opposition ? comme saint Paul le déclare en un autre endroit : De même que tous meurent en Adam, de même aussi tous revivront en Jésus-Christ (5). Dans celui-là la mort, dans celui-ci la vie : voilà comment le premier

 

1. I Cor. XV, 21. — 2. Rom. V, 13. — 3. Id. III, 20. — 4. Id. V, 14. — 5. I Cor. XV, 22.

 

493

 

est la figure du second. Toutefois, Adam n'est pas la figure du Christ sous tous les rapports absolument : de là ces paroles que l'Apôtre ajoute ensuite: Mais il n'en est pas du don comme du péché. Car si une multitude d'hommes sont morts à cause du péché d'un seul, la miséricorde et le don de Dieu se sont répandus d'une manière bien plus abondante sur une multitude d'autres hommes, par la grâce d'un seul homme, Jésus-Christ (1). Qu'est-ce à dire : Se sont répondus d'une manière bien plus abondante ? L'Apôtre s'exprime ainsi, parce que tous ceux qui sont délivrés par Jésus-Christ, subissent, à causé d'Adam, une mort temporaire, mais ils vivront éternellement à cause de Jésus-Christ (2)». Tu avais déclaré que les paroles qui suivaient dans l'Epître aux Romains n'avaient d'autre objet que d'enseigner l'existence du péché originel: nous avons démontré que les premières de ces paroles n'établissent point cette existence, puisque l'Apôtre commence par déclarer que le péché a été transmis par un seul homme, et non point par deux personnes.

Aug. Nous avons déjà répondu à cette objection, et tu continues à dire des choses qui ne signifient rien : cela du reste n'est pas étonnant ; tu ne sais pas encore ce que j'ai répondu : quand tu le sauras, si tu ne veux pas renoncer à tes vains discours pour enseigner la vérité, c'est alors seulement, que ton impudence sera à son comble.

LXX. Jul. Mais il nous reste à examiner si l'Apôtre enseigne du moins ensuite ce qu'il avait d'abord passé sous silence. « Le péché », dit-il, « a existé dans le monde jusqu'à la loi ». Suivant toi, l'Apôtre a voulu nous faire comprendre qu'il parlait ici d'un péché naturel : je demande alors, si ce péché a existé jusqu'à la loi, pourquoi il a cessé d'exister après la loi ? Car je ne t'accorde pas que ces paroles : jusqu'à la loi, signifient jusqu'à la fin de la loi plutôt que jusqu'au commencement de la loi. La signification naturelle du mot est ici en ma faveur . dire qu'une chose a existé jusqu'à la loi, c'est déclarer qu'elle n'existe plus après la loi. Or, tout ce qui a cessé à un moment donné, ne faisait point partie de la nature ; et par là même il est manifeste que ce qui a été affaibli par les préceptes de la loi, ce qui a même disparu

 

1. Rom. V, 15. — 2. Des Noces et de la Conc., liv. II, n. 46.

 

en grande partie par suite de cet affaiblissement, avait été contracté par voie d'imitation, et non point par voie de génération.

Aug. O intelligence d'hérétique ! car il m'est impossible de la qualifier autrement. Si la loi a mis fin au péché, suivant la manière dont tu prétends qu'on doit interpréter ces paroles : « Jusqu'à la loi » ; la justice a donc été établie par la loi. « Mais si la justice est établie par la loi, c'est donc en vain que le Christ est mort (1) ». Si, au contraire, au lieu de mettre fin absolument au péché, comme tu l'avais affirmé d'abord en des termes que tu as regretté aussitôt; si la loi a seulement affaibli (suivant l'expression que tu as employée ensuite comme plus exacte) et fait disparaître en grande partie le péché, saint Paul a donc menti, quand il a dit : « La loi est survenue afin que le péché fût plus multiplié (2) ». Mais saint Paul a parlé le langage de la vérité, et par là même tes propres paroles n'ont rien de vrai : et cependant, quoique tes discours ne soient appuyés sur aucune raison sérieuse , tu persévères dans tes contradictions avec l'opiniâtreté qui fait le caractère propre des hérétiques.

LXXI. Jul. Cependant, pour ne point paraître faire preuve d'une rigueur excessive dans ce débat, nous voulons bien t'accorder que ces mots : « Jusqu'à la loi », peuvent s'interpréter dans le sens de jusqu'à Jésus-Christ; tu reconnais donc que le péché, appelé par toi originel, n'existe plus depuis Jésus-Christ ? Mais comment peux-tu dire alors, que l'oeuvre du démon, l'arbre planté par la puissance ennemie, la loi du péché, subsiste vivante et animée dans les membres des Apôtres et de tous ceux qui ont reçu le baptême, jusqu'aujourd'hui, après tant de siècles écoulés depuis la venue de Jésus-Christ?

Aug. Je ne dis pas cela : et toi, tu parles pour ne rien dire. Autre chose est le péché, autre chose est le désir du péché auquel ne consent pas celui qui par la grâce de Dieu ne commet pas le péché : bien que la concupiscence qui nous porte au péché reçoive elle-même le nom de péché, parce qu'elle est le résultat du péché : comme une écriture quelconque est appelée la main de celui par la main de qui elle a été faite. Mais celui dont il a été dit : « Voici l'Agneau de Dieu,

 

1. Gal. II, 21. —  2. Rom. V, 20.

 

voici celui qui ôte les péchés du. monde (1)»; celui-là efface, dans le sacrement de la régénération, la souillure du péché qui a été contractée dans la génération première; par le don, qu'il nous fait de son esprit, il empêche le péché de régner dans notice corps mortel pour nous faire obéir à ses convoitises (2); par sa bonté inépuisable, qui nous autorise à lui adresser chaque jour cette prière : « Pardonnez-nous nos offenses (3) », il nous pardonne miséricordieusement les fautes que l'inclination au péché peut encore nous faire commettre malgré nos résistances et nos luttes sérieuses; il relève , dès qu'ils se repentent, les pécheurs qui étaient comme broyés sous le poids de leurs crimes; il nous introduira et nous revêtira des insignes de la royauté dans une cité où il, nous sera désormais impossible de commettre aucun péché, et où nous dirons : « O mort, où est ta puissance? O mort, où est ton aiguillon? Car l'aiguillon de la mort, c'est le péché  (4) ». Voilà comment cet Agneau de Dieu ôte les péchés du monde auxquels la loi n'avait pu mettre fin.

LXXII. Jul. Mais voyons ce qui suit. « Le péché », dit l'Apôtre, « n'était pas imputé, quand la loi n’existait pas (5) » : tu ajoutes, après ce texte : « Le péché existait donc, mais il n'était pas imputé, suivant ces autres paroles du même Apôtre : La connaissance du péché nous est donnée par la loi (6) ». Si donc le péché a été connu seulement par suite de la loi, et que le péché transmis avec le sang n'ait pas été imputé antérieurement à la loi, prouve que cette imputation a eu lieu sous la.loi. Car, si le péché a été connu seulement par suite de la loi, s'il n'était pas connu avant la loi, on ne peut pas douter que la promulgation de celle-ci ait eu pour objet principal de faire connaître et de faire éviter ce qui était inconnu précédemment.

Aug. Quand tu dis : De faire connaître, tu dis vrai, et nous enseignons nous-mêmes cette doctrine; mais c'est la grâce, et non pas la loi ; c'est l'esprit, et non pas la lettre, qui fait éviter le péché. Car la loi est survenue, non pas pour faire éviter le péché, mais, afin que ses ravages fussent plus multipliés et plus profonds, et que la grâce eût une efficacité surabondante pour effacer les péchés commis

 

1. Jean,  I, 29. — 2. Rom. VI, I2. — 3. Matt. VI, 12. — 4. I Cor. XV, 55, 56. — 6. Rom. V, 13. — 7. Id. III, 20.

 

et pour empêcher d'en commette de nouveaux.

LXXIII. Jul. Résumons ici le débat : ou bien prouve-moi que, sous la loi, le péché originel a été imputé à, un homme quelconque, prouve-moi qu'il était connu à cette époque, et je t'accorderai que l'Apôtre a parlé de ce même péché.

Aug. Je prouve, en effet, ce que tu me demandes de prouver ; mais si vous fermez les yeux devant .les choses que vous ne voulez point voir, et si, par les discussions ténébreuses que vous soulevez, vous empêchez également les autres de voir ces mêmes choses ! La circoncision de la chair était commandée par la loi (1) ; c'était assurément la meilleure manière d'indiquer à l'avance que Jésus-Christ, auteur de la régénération, effacerait le péché originel. En effet, tout homme naît. avec le prépuce comme il rait avec le péché originel : la loi ordonnait que la circoncision de la chair eût lieu le huitième jour, parce que Jésus-Christ est ressuscité le jour du dimanche, lequel est le huitième après celui; du sabbat qui est le septième : un homme circoncis engendre un enfant qui naît avec le prépuce, le premier communiquant au second une chose dont le premier a été privé; de même qu'un homme baptisé communique à l'enfant engendré par lui selon la chair la souillure originelle dont lui-même a été purifié. Enfin il est écrit dans un psaume de la loi : « J'ai été conçu dans l'iniquité, et le sein de ma mère m'a nourri dans le péché (2) ». Vous comprendriez certainement ces paroles, et vous n'oseriez élever contre elles aucune difficulté, si vous les lisiez avec les yeux- de la foi, comme faisaient les Cyprien, les Ambroise et les autres docteurs de l'Eglise qui ressemblaient à ceux-là.

LXXIV. Jul. Ou bien assurément, puisqu'il est impossible de trouver dans la loi un seul mot relatif au péché originel, reconnais avec nous, malgré ton impudence extrême, que l'Apôtre parle d'un péché que l'on contracte par voie d'imitation, que l'on commet par un acte de la volonté, que la raison condamne, que la loi dénonce, et dont le châtiment est un acte de la plus rigoureuse justice.

Aug. L'Ecriture parle de tous les péchés qui sont effacés par Jésus-Christ, quand elle dit : « Le péché a existé dans le monde jusqu'à

 

1. Gen. XVII, 14. — 2. Ps. L, 7.

 

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la loi » : car la loi n'efface ni le péché originel, ni ceux que les hommes ajoutent à celui-là ; ni le péché tel qu'il existait avant la loi, ni le péché tel qu'il a été aggravé depuis la promulgation de la loi. Tu dis ensuite que l'Apôtre parle d'un péché dont le châtiment est un acte de justice : sors donc de ton sommeil, et tu verras que le péché originel est, lui aussi, compris dans cette, définition. Car si le péché originel n'existait pas, la justice de Dieu ne ferait pas peser sur les enfants un joug qui les accable aussitôt qu'ils commencent à vivre : nous avons soin de te parler souvent de ce joug, afin que, si ton opiniâtreté résiste à la force de la persuasion, nous puissions du moins lasser ta constance par cette répétition continuelle. J'ai fait voir, par le précepte de la circoncision, que l'existence du péché originel est enseignée dans la loi. Si tu nies le fait de cet enseignement, montre-nous pour quel péché personnel l'âme de l'enfant qui n'avait pas été circoncis, était exterminée du milieu de son peuple (1). Je sais que tu ne feras pas cette démonstration ; mais, parce que ton désir est de nous fatiguer, tu ne garderas pas non plus le silence.

LXXV. Jul. D'ailleurs, le péché originel, que vous supposez exister, ne saurait être transmis par un seul homme , puisque la génération ne peut s'accomplir sans le concours de deux personnes.

Aug. Il a été répondu à cela; lis ce que j'ai dit à ce sujet, et tu comprendras que toi-même tu n'as rien dit de sérieux.

LXXVI. Jul. De plus, le péché originel n'a pu exister même un seul instant, s'il a pu ne pas exister à un autre moment; ce qui appartient à la nature d'un être persévère depuis le commencement jusqu'à la fin de cet être.

Aug. Tu pourrais en dire autant de la mort elle-même, car nous naissons aussi avec elle : « Le corps », dit l'Apôtre, « est mort à cause du péché (2) » ; quand même, comme vous le prétendez follement, ce fait ne serait pas le résultat du péché, il n'en est pas moins certain que nous naissons sujets à la mort; et cependant, la mort et l'assujettissement à la mort ne subsisteront plus, quand nous vivrons d'une vie immortelle. Conséquemment, de même que la mort, à laquelle nous avons été assujettis dès notre origine, a pu exister réellement

 

1. Gen. XVII, 14. — 2. Rom. VIII, 10.

 

et pourra ne plus exister lorsque notre nature sera élevée à une condition meilleure, de même aussi le péché originel a pu exister, quand il nous a été transmis avec le sang de nos parents; et il ne peut plus exister, quand il est effacé en nous par le sacrement de. la régénération.

LXXVII. Jul. Enfin la loi n'a pas enseigné l'existence du péché originel, et en réalité elle n'a pu l'enseigner : un législateur ne serait jamais assez insensé pour intimer à quelqu'un un précepte comme celui-ci : Je te défends de naître de telle ou de telle manière; et ce qu'il n'a pas été possible de faire éviter par des avertissements préalables, il ne saturait être juste d'en faire ensuite le sujet d'un châtiment.

Aug. On ne commande pas à l'homme. de naître de telle manière; mais Adam a reçu le précepte de suivre une règle de conduite déterminée par le Créateur; il a violé ce précepte, et c'est de lui, comme de notre père à tous, que découle le péché originel. Il est ordonné aussi que les enfants soient circoncis, et on menace de la damnation ceux qui ne le seraient pas; et cependant, non-seulement aucun autre précepte , mais ce précepte même de la circoncision ne s'adresse pas aux enfants. Ainsi, on ne commande pas à l'homme de naître de telle manière; et cependant la souillure du péché atteint « même l'enfant qui n'a vécu encore qu'un seul jour sur la terre (1) ». Lis les paroles du saint homme Job, et, en entendant le langage de celui que Dieu même a déclaré être véridique, tu comprendras que toi-même tu prêches le mensonge.

LXXVIIl. Jul. L'Écriture enseigne au contraire que ce qui a existé jusqu'à la loi n'existe plus après la loi; elle enseigne enfin que cela n'existe plus après l'avènement de Jésus-Christ.

Aug. L'Écriture enseigne que la souillure du péché originel n'existe plus après la rémission des péchés, comme la mort n'existe plus après la résurrection de la chair.

LXXIX. Jul. Conséquemment, suivant ton argumentation elle-même, il y a un moment où cela n'existe plus; suivant le témoignage de la vérité, cela n'a jamais existé.

Aug. Oh ! si vous-mêmes vous n'opposiez pas réellement, de vive voix et par écrit, votre

 

1. Job, XIV, 4, suiv. les Sept.

 

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témoignage menteur au témoignage de la vérité !

LXXX. Jul. Mais afin de graver plus profondément dans la mémoire du lecteur ce que nous venons d'établir, tu as donné autrefois cette définition du péché, laquelle, du reste, est excellente : « Le péché n'est pas autre chose que la volonté de faire ce que la justice défend et dont on est libre de s'abstenir ».

Aug. Nous avons déjà répondu que cette définition ne s'applique pas au péché qui est en même temps le châtiment d'un autre péché (1).

LXXXI. Jul. Cette définition nous a ouvert la voie pour parvenir à comprendre aussi les règles de la justice divine, et pour nous convaincre que les jugements de Dieu seraient absolument contraires à l'équité, s'il imputait comme péchés des actions dont il saurait que celui qu'il châtie à cause d'elles n'était pas libre de s'abstenir.

Aug. Quelle est donc la cause des souffrances auxquelles sont assujettis les petits enfants, s'ils ne sont coupables d'aucun péché absolument? Est-ce que le Dieu tout-puissant et juste n'aurait pas eu le pouvoir de préserver tant d'innocents de souffrances imméritées?

LXXXII. Jul. Nous avons rappelé que le Maître des nations, ajoutant au poids de la raison celui de son autorité propre, avait déclaré que le péché a passé dans ce monde par un seul homme; que par cette dernière expression il a éloigné l'idée de l'oeuvre conjugale, qui ne peut s'accomplir sans le concours de deux personnes ; et qu'il a parlé d'un seul homme afin précisément que personne n'eût la témérité de donner à ce passage une interprétation relative à deux créatures humaines.

Aug. Il a déjà été répondu à cela : c'est pour toi un vrai plaisir de débiter sans cesse des discours d'une frivolité insupportable.

LXXXIII. Jul. Nous avons montré que, en affirmant qu'il s'agit d'un seul, lorsque l'Apôtre parle d'un seul, et en enseignant que la nature humaine a été flétrie par des actes d'imitation, et non point par la voie de la génération, je suis en réalité beaucoup plus logique que le partisan de la transmission, quand il déclare que cet homme unique a été en quelque sorte le vestibule du péché,

 

1. Ci-dessus, liv. I, ch. XLVII.

 

et qu'il attribue au sang ce qui est l'oeuvre de la volonté : la nature même des choses repousse une telle doctrine.

Aug. Cesse donc de répéter des choses que flous avons déjà réfutées ; pourquoi nous obliger à répondre encore une fois et toujours dans les mêmes termes aux raisonnements de cette sagesse transcendante qui ne te permet pas de considérer ces paroles de saint Paul : « Le péché est entré dans le monde par un seul homme », comme se rapportant à la génération, sous prétexte que cette dernière s'accomplit par le concours de deux personnes, et non point par un seul homme; comme si ce péché, que vous prétendez avoir été transmis par voie d'imitation, et non point par voie de génération, avait été commis par un seul homme? Conséquemment, puisque ce premier péché a été commis par deux personnes, comment l'Apôtre a-t-il pu dire : « Le péché est entré dans le monde par un seul homme », sinon en ce sens que l'oeuvre de la génération commence, non point par la femme qui conçoit et qui enfante, mais par l'homme qui engendre; ou bien en ce sens qu'ils ne sont plus deux quand, par leur union mutuelle , ils deviennent une seule chair?

LXXXIV. Jul. Nous avons ensuite parlé de la loi, jusqu'au temps de laquelle saint Paul a déclaré que le péché avait subsisté sans être connu. Tu as essayé de prolonger ce temps jusqu'à la fin de la loi, et tu n'as pas compris que ton argumentation n'avait absolument aucune valeur; car nous devions te mettre dans la nécessité, ou bien de prouver que ce péché, dont tu prétends faussement que saint Paul a parlé, et que tu affirmes avoir régné jusqu'au moment où l'Ancien Testament a été aboli, était imputé ou du moins pouvait être imputé sous la loi, ou bien de nous accorder que ce péché ne règne plus depuis Jésus-Christ, afin que les expressions de l'Apôtre, après avoir subi cette interprétation violente, fussent du moins conformes à ta doctrine. Mais tu n'as pu ni donner ces preuves, ni faire cette concession. La pureté de notre foi repose donc sur un fondement inébranlable, parce qu'elle est conforme aux principes de la raison, à la sainteté de la justice et aux enseignements constants de l'Apôtre.

Aug. La réponse donnée par nous (497) précédemment et tes propres paroles prouvent également que tu ne dis rien de sérieux. Quand l'Apôtre a dit: « Le péché a subsisté dans le monde jusqu'à la loi », il a voulu parler, non-seulement du péché originel, mais de tous les péchés en général ; et ces péchés ont subsisté jusqu'à la loi, en ce sens que la loi n'a pu les faire disparaître, En disant : « Jusqu'à la loi », saint Paul a voulu que le temps de la loi elle-même fût compris dans cette expression ; de môme qu'il est dit dans l'Evangile : « Il y a donc en tout, depuis Abraham jusqu'à David, quatorze générations (1) » ; car, pour que ce nombre soit complet, il faut entendre : Jusqu'à David inclusivement, et non pas: Jusqu'à David exclusivement. Ainsi , quand nous interprétons ces paroles : « Quatorze générations jusqu'à David », nous n'excluons pas celui-ci de ce nombre, mais nous le comptons comme terminant la série; de même aussi, quand nous lisons ces paroles : « Le péché a subsisté dans le monde jusqu'à la loi », nous devons les interpréter de telle sorte que le temps de la loi y soit compris au lieu d'en être exclu. Quoiqu'il soit dit dans l'Evangile : Quatorze jusqu'à David, ce dernier n'est pas pour cela en dehors de ce nombre; quoique saint Paul dise: «Le péché a subsisté jusqu'à la loi», celle-ci n'est pas pour cela exclue du temps pendant lequel a subsisté le péché. Conséquemment, personne n'ôte le péché, que la loi elle-même n'a pu faire disparaître , bien qu'elle soit sainte, et juste, et bonne, sinon celui de qui il a été dit: « Voici l'Agneau de Dieu, voici celui qui ôte les péchés du monde (1) ». Il les ôte d'abord en pardonnant ceux qui sont commis, et parmi ceux-là il faut compter le péché originel; ensuite en nous aidant par sa grâce à les éviter et en nous conduisant à une vie où il nous sera impossible d'en commettre aucun.

LXXXV. Jul. Mais voyons la suite de tes paroles. Après avoir dit : « Adam n'est pas la figure du Christ sous tous les rapports absolument », tu ajoutes : « De là ces paroles qui suivent dans le texte de l'Apôtre : Mais il n'en est pas du don comme du péché. Car si une multitude d'hommes sont morts à cause du péché d'un seul, la miséricorde et le don de Dieu se sont répandus d'une manière bien plus abondante sur une multitude

 

1. Matt. I, 17. — 2. Jean, I, 29.

 

d'autres hommes, par la grâce d'un seul homme, Jésus-Christ (1) ». Voici comment tu expliques ces paroles de saint Paul : « Qu'est-ce à dire : Se sont répandus d'une manière bien plus abondante ? L'Apôtre s'exprime ainsi, parce que tous ceux qui sont délivrés par Jésus-Christ, subissent à cause d'Adam une mort temporaire, mais ils vivront éternellement à cause de Jésus-Christ (2) ». L'Apôtre, dont la doctrine fait l'objet de ce débat, a certainement déclaré que la grâce du Sauveur agit d'une manière plus puissante et plus efficace pour nous conférer le salut, que le péché d'Adam pour nous le faire perdre; il a montré ainsi que le Christ, dont la grâce (pour me servir de son expression) s'est répandue abondamment sur plusieurs n, a mérité à l'humanité des biens beaucoup plus précieux et auxquels un plus grand nombre d'hommes ont participé, si l’on compare ces biens aux maux qui sont la suite de la prévarication du premier homme, lequel, suivant toi, a corrompu les sources mêmes de la vie.

Aug. Saint Paul a dit: « La grâce s'est répandue d'une manière beaucoup plus abondante » ; il n'a point dit: S'est répandue sur une plus grande multitude, sur le plus grand nombre. Qui ne voit en effet que le plus grand nombre des hommes n'ont point eu de part à l'abondance de cette grâce ; et que le sort de ceux-là montre bien quelle devrait être, en rigueur de justice, la destinée réservée à la masse tout entière, si l'Esprit ne soufflait où il veut, si Dieu n'appelait ceux à qui il daigne accorder cette faveur, et s'il n'inspirait des sentiments de piété à ceux à qui il lui plaît (3)?

LXXXVI. Jul. Prouve donc que la pensée de l'Apôtre est conforme à vos opinions?

Aug. Qu'on lise les paroles de saint Paul sans ces intentions perverses avec lesquelles vous les lisez, et on n'aura pas besoin d'autres preuves.

LXXXVII. Jul. Si, comme vous le prétendez, le péché d'Adam a empoisonné les sources de la vie et mérité la damnation pour tous les hommes ; si Adam a transmis à sa postérité un sang tellement corrompu que l'économie divine de la création ait été bouleversée dans tout ce qui a rapport à la nature humaine;....

Aug. Quand l'esprit immonde agite un

 

1. Rom. V, 12, 13, 15. — 2. Des Noces et de la Conc., liv. II, n. 46. — 3. Ambr. Liv. VII sur saint Luc, IX.

 

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petit enfant, quand il le torture dans son corps et dans son âme, et qu'il pervertit en lui le sentiment et la raison ; est-ce que la nature de cet enfant, telle que Dieu l'avait créée, ne se trouve pas bouleversée dans toutes ses parties? Et cependant il vous est absolument impossible, à vous qui niez le péché originel, de dire comment cet enfant a pu mériter de subir des épreuves si cruelles. Pourquoi ne remarques-tu pas ici que le venin du démon bouleverse l'économie générale de la création aussi bien que l'économie particulière de la nature humaine? Dis-nous quels sont les mérites, quelle est la culpabilité de cet enfant, en proie, quelques instants après sa naissance, à des souffrances de ce genre, puisque tu ne veux pas entendre les paroles de l'Apôtre dans le sens qui leur a été attribué par l'Eglise catholique, dès la plus haute antiquité, et dont la nature elle-même atteste la vérité par les maux si manifestes auxquels elle est assujettie. Et cependant, si nous considérons les choses telles qu'elles sont en réalité, les desseins de Dieu ne sont renversés en aucune manière : car, le Créateur connaissait parfaitement l'avenir, quand il donna des lois à l'univers ; et aujourd'hui il ne punit pas chacune des créatures suivant ce que mérite l'apostasie de celles-ci ; disposant toutes choses avec nombre, avec poids et avec mesure (1), non-seulement il ne permet pas que personne subisse un châtiment immérité; mais aucun de nous ne subit personnellement un châtiment égal à celui qui est dû à la masse tout entière.

LXXXVIII. Jul. ... Que le mariage, institué par Dieu à l'origine du monde, ne puisse plus subsister sans la participation du démon auquel, suivant toi, appartiennent les convoitises charnelles; ou plutôt, que l'acte conjugal ayant perdu tout ce qu'il avait d'honorable au moment de son institution primitive, soit, dans les conditions où il s'accomplit aujourd'hui, avec les mouvements de la chair, avec la honte que ressentent les époux, avec la chaleur et ensuite la prostration des organes, avec la volupté qui affecte les sens, avec l'iniquité qui flétrit les enfants; que l'acte conjugal, disons-nous, soit manifestement, et sans que personne puisse faire aucune objection à cet égard, non plus l'oeuvre de Dieu, mais l'oeuvre du démon: ......

 

1. Sag. XI, 21.

 

Aug. Quand tu sauras discerner entre le mal qu'on appelle le vice, et qui ne peut subsister que dans un être bon en lui-même, et le bien qui appartient à la nature comme telle; tu ne justifieras plus le démon et tu n'accuseras plus Dieu ; tu ne justifieras plus ce qu'il y a de mauvais dans la passion charnelle, et tu ne jetteras plus l'odieux de tes invectives sur ce qu'il y a de bon dans le mariage.

LXXXIX. Jul. ... Enfin, que la liberté de détermination elle-même ait péri par suite de ce péché unique; et que personne désormais n'ait plus le pouvoir de se purifier de ses fautes anciennes, en se livrant volontairement à la pratique de la vertu; mais que tous soient, pour le fait d'un seul, entraînés à la damnation avec le torrent de l'humanité perdue par le péché; .....

Aug. Pourquoi n'admires-tu pas plutôt que les calamités qui pèsent sur l'universalité des hommes dès le premier instant de leur vie, soient telles que personne n'arrive au bonheur sans avoir passé d'abord par la souffrance, et que l'exemption absolue de tous les maux est accordée seulement après la vie présente à ceux à qui Dieu fait la grâce de les appeler à cet heureux état ? Porte tes réflexions sur ce sujet, et tu reviendras à des sentiments plus orthodoxes; tu comprendras alors que si ces maux ne pèsent pas injustement sur le genre humain, c'est donc aussi par un juste juge. ment de Dieu que le péché est entré dans le monde par un seul homme.

XC. Jul. Si toutes ces flétrissures, dis-je, ont été imprimées à l'image de Dieu par suite du péché du premier homme ; il est manifeste que la grâce de Jésus-Christ est absolument impuissante à nous procurer aucun bienfait réel, puisqu'elle n'a pu apporter aucun remède à des maux si multipliés et si profonds: ou bien, si elle a apporté des remèdes de ce genre, montre-nous en quoi ils ont consisté. Comparons en détailles effets du péché d'Adam avec les effets de la rédemption de Jésus-Christ. Car, si le premier a détruit toute l'économie de la nature humaine créée par Dieu, et cela indépendamment des péchés que nous commettons par notre volonté personnelle; le second a dû avant tout relever l'édifice ainsi renversé par le premier, et rétablir chaque chose dans son état primitif.

Aug. C'est ce que Jésus-Christ fait réellement, mais non pas de la manière dont tu (499) prétends qu'il doit le faire. Quel est, en effet, celui qui a connu les pensées du Seigneur, ou qui a été son conseiller (1) ?

XCI. Jul. En d'autres termes, les personnes baptisées ne devraient plus, dans l'accomplissement du devoir conjugal, ressentir en aucune manière l'aiguillon de la concupiscence ; elles ne devraient plus être assujetties, comme les autres nations, aux mouvements de la chair.

Aug. Les femmes baptisées ne devraient donc plus enfanter dans les gémissements ; car tu ne saurais nier que ces gémissements soient un châtiment infligé à Eve pécheresse.

XCII. Jul. Après le don de la grâce, le sentiment de la pudeur ne devrait plus faire rougir lès époux au moment où ils s'unissent ; les organes ne devraient plus tomber ensuite dans un état qui ressemble à celui où ils se trouvent pendant le sommeil; les sens ne devraient plus expier par un sentiment de douleur les douceurs de la volupté ; enfin le libre arbitre devrait être rendu aux personnes baptisées, et tu devrais confesser toi-même que, la nature humaine étant élevée de nouveau à son état primitif et n'étant plus soumise à la loi du péché, les mortels peuvent avec la même facilité briller par la pratique de vertus éclatantes, ou devenir des objets d'horreur en se livrant aux infamies du vice ; ou plutôt ceux qui ont participé aux sacrements ne devraient même plus être sujets à la mort.

Aug. Et cependant, ô Julien, tu ne rougis pas d'enseigner que l'union de nos premiers parents dans le paradis était semblable à celle dont tu confesses que les époux rougissent aujourd'hui. Est-ce donc qu'on pouvait rougir de quelque chose dans ce séjour où le Créateur, digne par lui-même d'être loué par-dessus tout, n'avait institué que des choses dignes d'éloges? Mais qui peut sonder ce mystère et en donner l'explication, sinon celui quine rougit pas de faire l'éloge d'une chose dont tout le monde rougit?

XCIII. Jul. Car, puisque le remède lutte contre le mal et que, d'autre part, la mort est déclarée être la suite du péché, le retranchement de celui-ci doit aussi avoir pour résultat de faire disparaître la première.

Aug. Vous continuez à prétendre qu'Adam a été créé dans un état tel que, soit qu'il commît, soit qu'il ne commît pas le péché, il était

 

1. Isa, XL, 13; Rom. XI, 34.

 

destiné à mourir; mais Pélage votre maître, dans l'assemblée des évêques de Palestine, vous a condamnés depuis longtemps, vous qui enseignez cette doctrine, comme il s'est condamné lui-même, puisqu'il n'est pas revenu à de meilleurs sentiments ; dans cette vie de souffrances Dieu ne donne pas le bonheur parfait aux siens, quoiqu'il leur pardonne leurs péchés et qu'il leur accorde le don de l'esprit de grâce. C'est pourquoi, à ceux qui refusent de prendre part aux plaisirs mauvais de ce siècle, ou qui savent faire un bon usage des douleurs et des épreuves de. la vie présente, il a promis une vie future où ils n'auront plus de maux à souffrir; où le mariage lui-même, s'il devait y subsister encore, serait semblable à celui qui aurait pu exister dans le paradis terrestre, supposé que personne n'eût commis le péché, et qui n'avait eu rien d'alarmant pour la pudeur; mais il n'y aura pas même de mariage de ce genre, parce que, le nombre des bienheureux étant complet, l'union conjugale ne sera plus nécessaire et l'oeuvre de la génération ne s'accomplira plus.

XCIV. Jul. Or, puisqu'il est certain que les personnes baptisées n'éprouvent dans leurs corps aucun des effets que nous venons d'énumérer; puisque, d'autre part, il a été démontré avec la lumière de l'évidence même, que la rédemption telle que vous l'entendez n'a pu, c'est-à-dire n'a dû s'accomplir sans opérer ce genre de guérisons : confesse donc, ou bien que les maux énumérés par nous tout à l'heure, ne sont pas la suite du péché, et par là même qu'ils ne sont pas non plus des blessures faites à la nature : et alors on saura quelle est la nature véritable de la grâce, puisque manifestement elle n'a opéré aucun changement dans ce qui est l'état normal de l'humanité : ou bien confesse que l'on ne doit reconnaître aux mystères du Christ aucun pouvoir de guérison, puisque, parmi un si grand nombre de maladies dont, suivant toi, la nature humaine est atteinte, ils n'ont pu en guérir même une seule.

Aug. Vous devriez au contraire, si les lumières de la saine raison pouvaient encore vous guider , vous devriez reconnaître ici quelle a été l'énormité de ce péché qui est entré dans le monde par un seul homme et qui a passé avec la mort dans tous les hommes : puisque, avant le moment où elles entrent dans la vie future, les personnes (500) baptisées elles-mêmes, quoique la souillure du péché originel soit effacée de leurs âmes, ne sont pas complètement affranchies des maux qui pèsent sur nous depuis notre naissance jusqu'à notre mort; et que dans la vie présente, alors même que nous avons reçu la promesse des biens éternels, nous devons encore être éprouvés par des maux de toute sorte. Car, si nous obtenions immédiatement la récompense que mérite notre foi, cette foi elle-même cesserait aussitôt d'exister; puisqu'elle consiste précisément à supporter avec une pieuse résignation les maux présents que l'on voit et à attendre fidèlement et patiemment les biens promis que l'on ne voit pas.

XCV. Jul. Jusqu'à présent, j'ai raisonné comme si l'Apôtre avait établi une égalité parfaite entre l'intensité du mal et l'efficacité du remède ; mais sans aucun doute la foi saine que nous défendons,nous paraîtra plus sublime encore, si nous considérons que saint Paul, bien loin de mettre la gravité de la maladie engendrée par le péché au-dessus de la puissance de la grâce, a déclaré que le dommage était compensé de beaucoup par le bienfait.

Aug. Tu dis vrai : le dommage qu'ont éprouvé ceux qui reçoivent le sacrement de la régénération est un dommage temporel, au lieu que le bienfait qu'ils reçoivent doit sans aucun doute durer éternellement ; mais dites-nous comment, sous un Juge infiniment juste et infiniment puissant, les petits enfants ont pu, s'ils ne contractent aucun péché, mériter d'éprouver ce dommage, dont leurs larmes attestent la réalité au moment de leur naissance.

XCVI. Jul. Que le lecteur éclairé considère donc attentivement les conclusions déjà établies dans ce débat. L'Apôtre a dit que les dons accordés par Jésus-Christ pour conduire les hommes au salut, se sont répandus sur une multitude plus considérable, si on la compare à la multitude de ceux à qui le péché d'Adam a été nuisible.

Aug. Saint Paul n'a pas dit cela : voici ses paroles : « La grâce s'est répandue d'unie manière bien plus abondante sur un grand nombre (1) »; c'est-à-dire, la grâce s'est répandue plus abondamment, non pas sur une plus grande multitude; en d'autres termes, non pas sur un plus grand nombre, comme il a déjà été répondu.

 

1. Rom. V, 15.

 

XCVII. Jul. Tu prétends que les maux énumérés par nous ci-dessus ont été infligés à la nature humaine par suite de ce péché d'Adam; et, d'autre part, il est certain que les hommes qui reçoivent les sacrements de Jésus-Christ ne sont pas guéris d'un seul de ces maux d'où il suit que, suivant toi, l'iniquité du premier homme a eu beaucoup plus de puissance pour causer du dommage, que la grâce de Jésus-Christ n'a d'efficacité pour le réparer : or, cette conclusion fait voir clairement qu'il y a entre ta doctrine et la doctrine de l'apôtre saint Paul une contradiction aussi profonde que celle qui règne entre les Manichéens et les Catholiques.

Aug. La grâce de Jésus-Christ efface la souillure du péché originel, mais elle efface d'une manière invisible une chose qui est elle-même invisible : elle remet aussi toutes les iniquités que les hommes ont, par leur conduite mauvaise, ajoutées à ce premier péché. Le jugement de condamnation est prononce par une seule faute; car cette faute unique, contractée par les enfants au moment de leur naissance, conduit ceux-ci à la damnation éternelle, s'ils n'en reçoivent le pardon: et toutefois la grâce ne remet pas seulement ce premier péché; autrement l'efficacité de la première ne serait pas plus grande que la puissance du second; mais elle remet avec celui-là les autres aussi; d'où il suit que l'efficacité de la grâce est plus grande que celle du péché : c'est pourquoi saint Paul a dit : « Le jugement de condamnation est prononcé à cause d'un seul péché, tandis que la grâce de la justification délivre d'une multitude de péchés (1) ». La grâce donne I aussi à l'esprit, de convoiter contre la concupiscence de la chair : et si parfois un homme fidèle subit dans ce combat une défaite légère, elle lui remet cette faute au moment de la prière; et quand cet homme fait une chute grave, elle lui inspire les sentiments d'un C repentir plus humble, afin de lui accorder ensuite son pardon. Elle donne enfin la vie éternelle à l'âme et au corps, cette vie dont les biens surpassent toutes nos conceptions, par leur nature aussi bien que parleur durée sans fin. Comment donc l'iniquité du premier homme a-t-elle été plus nuisible que la justice du second, c'est-à-dire de Jésus-Christ, n'a été utile; puisque le dommage causé par

 

1. Rom. V, 16.

 

501

 

celui-là est un dommage temporel, tandis que Jésus-Christ non-seulement nous accorde des secours temporels, mais nous délivre et nous rend parfaitement heureux pour l'éternité ? Ces principes posés, il est manifeste que notre doctrine est catholique et non point manichéenne; il est manifeste aussi qu'elle n'est point pélagienne, précisément parce qu'elle est catholique.

XCVIII. Jul. J'aurais parfaitement le droit de mépriser les vaines explications que tu donnes de ce passage, et de les laisser sans réfutation, comme indignes de fixer l'attention d'un homme instruit, si je ne craignais qu'on ajoutât plutôt foi à ta fourberie qu'à ma persévérance. Voici comment tu t'exprimes : « Qu'est-ce à dire : Se sont répandus d'une a manière beaucoup plus abondante ? L'Apôtre s'exprime ainsi, parce que tous ceux a qui sont délivrés par Jésus-Christ sua bissent à cause d'Adam une mort temporaire, mais ils vivront. éternellement à cause de Jésus-Christ (1) ». Si tu réfléchissais aux conclusions logiques de ces paroles, tu comprendrais qu'elles sont un désaveu implicite de ta doctrine sur la transmission du péché. Tu dis en effet que la grâce de Jésus-Christ s'est répandue d'une manière beaucoup plus abondante, en ce sens qu'elle nous confère la vie éternelle, tandis que le péché d'Adam nous fait subir seulement une corruption temporaire. Si donc la mort corporelle est la seule chose qui nous ait été communiquée par Adam; et que Jésus-Christ ait voulu compenser ce dommage par un bienfait plus précieux en nous appelant à une vie qui durera éternellement; il est manifeste que ce n'est point le péché du premier homme, mais la mort seule qui a été transmise à sa postérité.

Aug. Il est manifeste que tu as tourné mes paroles en dérision, ou plutôt que tu as feint de tourner mes paroles en dérision, précisément parce que tu voulais paraître, aux yeux de ceux qui ne comprennent pas tes discours, avoir dit quelque chose, tandis que en réalité tu ne disais absolument rien. J'ai enseigné qu'Adam a fait subir la mort temporelle à ceux qui sont délivrés par la grâce de Jésus-Christ ; et que ceux qui, par suite d'un jugement impénétrable, mais juste, ne reçoivent pas cette délivrance, subissent le

 

1. Des Noces et de la Conc., liv. II, n. 46.

 

châtiment d'une mort éternelle, lors même que la mort temporelle les frapperait dans l'âge le plus tendre. Comment donc peux-tu conclure de là que la mort seule, et non pas le péché d'Adam, a été transmise à ses descendants? N'obéis-tu pas en réalité au désir exclusif de faire croire à la vérité de tes discours bruyants, plutôt qu'à la nécessité d'admettre les conclusions logiques de mes paroles? Nous enseignons, nous, que le péché et la mort ont été transmis à la fois; nous proclamons que Jésus-Christ a fait disparaître l'un et l'autre : la souillure originelle par la rémission pleine et entière des péchés, la mort par la résurrection bienheureuse des saints; si les hommes ne jouissent pas du bienfait de cette résurrection dès qu'ils sont régénérés, c'est afin que la foi par laquelle on espère ce qu'on ne voit pas, soit exercée en eux : car les fidèles ne méritent ce titre qu'autant qu'ils ont cette espérance par eux-mêmes et pour leurs enfants. Voilà ce que nous enseignons, voilà la vérité catholique avec laquelle vous êtes en contradiction : et tout ce que vous dites dans vos discussions hérétiques, vous le dites contre vous-mêmes plutôt que contre cette vérité.

XCIX. Jul. Il faudra nécessairement aussi conclure que la mort éternelle, en d'autres termes le châtiment sans fin, ne nous a pas été transmis et, par là même, que le péché ne saurait nous être communiqué avec le sang. Montrons en quelques mots tout à fait explicites ce que l'on doit tenir pour certain l'Apôtre déclare que les dons de Jésus-Christ ont plus d'efficacité que le péché du premier homme; prétends-tu que ce péché communiqué, suivant toi, avec le sang, nous ait rendus sujets à une mort seulement ou à deux morts? Si, comme tu l'as affirmé en cet endroit, ce péché nous a rendus sujets à une mort seulement et à la mort corporelle ; il est donc incontestable que la grâce de Jésus-Christ a plus d'efficacité que le péché du premier homme : mais alors personne n'est plus coupable au moment de sa naissance; car, tu as déclaré précédemment que le règne du péché consiste en ce que l'homme subit la mort seconde, en d'autres termes, un châtiment éternel; tu as déclaré pareillement que le premier homme nous a communiqué seulement la mort corporelle : or, la conclusion de ces deux principes, c'est que ni le péché, (502) ni la mort éternelle n'ont été transmis par Adam à sa postérité.

Aug.    Il a déjà été répondu à cela: tu parles pour ne rien dire. Le règne du péché consiste, à la vérité, en ce qu'il nous envoie à la mort éternelle, s'il n'est remis par la grâce de Jésus-Christ ; mais la mort temporelle elle-même n'existerait pas, si Adam n'avait, par une juste punition de son péché, perdu le pouvoir de ne point mourir : car voici en quels termes Dieu déclara à l'homme pécheur qu'il devait mourir : « Tu es terre, et tu iras dans le sein de la terre (1) ». Jésus-Christ a daigné subir cette mort sans l'avoir méritée par aucun péché, afin d'aller, au moment où il la subissait, dans le sein de la terre, et d'élever ensuite, par sa résurrection, la terre jusqu'au ciel ;    mais, en détruisant ainsi l'empire de la mort éternelle, il n'a pas voulu exempter les fidèles de la mort temporelle, afin précisément que, au milieu de cette vie de combats, la foi en la résurrection s'exerçât en luttant contre cette mort.

C. Jul. Si tu dis au contraire que le péché d'Adam a flétri la nature humaine et nous a assujettis à deux morts, l'une temporelle et l'autre éternelle; que certaines personnes en particulier, et non pas le genre humain, sont, par la grâce de Jésus-Christ, exemptées de la seconde, ruais que la première subsiste après comme avant la rédemption : l'Apôtre est alors convaincu d'avoir enseigné une chose fausse, quand il a dit que la grâce a été beaucoup plus utile que le péché n'avait été nuisible ; or, il n'est pas possible de porter contre l'Apôtre une accusation de ce genre; c'est donc justement que nous te condamnons toi-même.

Aug. J'ai dit que la résurrection unique des bienheureux les délivre de l'une et de l'autre mort; de la mort temporelle, afin que leur âme ne soit pas privée de son corps ; de la mort éternelle, afin que ce même corps ne soit pas non plus pour leur âme un poids accablant ou une cause de souffrance. Si les fidèles sont encore assujettis pendant quelque temps à la première, c'est afin que leur foi trouve en elle un secours puissant; si plus tard l'empire de cette mort temporelle sur les coupables est détruit, c'est afin que ceux-ci trouvent un accroissement à leurs souffrances dans l'impuissance même où ils sont de se séparer de leurs

 

1. Gen. III, 19.

 

corps. Et par là même, pour ceux qui sont régénérés en Jésus-Christ et qui sortent de ce siècle pervers avec le titre d'élus, il est manifesté que la grâce compense surabondamment le dommage à eux causé par le péché qui est entré dans le monde par un seul homme, et qui a passé avec la mort par tous les hommes. Ainsi, l'Apôtre ne saurait être accusé d'erreur, puisqu'il a parlé le langage de la vérité; mais toi-même, ou bien tu ne comprends pas ses paroles, ou bien tu t'efforces avec une opiniâtreté hérétique d'établir des choses fausses et en contradiction avec la doctrine que tu sais être enseignée par lui.

CI. Jul. Saint Paul dit que la grâce de Jésus-Christ a été plus abondante que la faute du premier homme : ce n'est donc point la nature, ni la génération, ni la fécondité qu'il accuse, mais la volonté, mais le choix du mal et la perversité de la conduite.

Aug. Si la génération n'a causé aucun dommage, la régénération n'apporte aucun bienfait; si la nature n'est pas flétrie, Jésus-Christ n'est pas le Sauveur des petits enfants ; si c'est par sa volonté personnelle, que chacun mérite la récompense ou le châtiment, comment les enfants ont-ils mérité que Jésus-Christ les mît en possession du royaume de Dieu, puisqu'ils n'ont fait aucun usage de leur volonté propre, soit pour le bien, soit pour le mal? Enfin l'Apôtre a rapproché du mot péché le nom d'Adam, et non pas celui du démon; il a rapproché du mot justice le nom de Jésus-Christ, et non pas celui d'Abel; pour faire comprendre qu'il ne voulait point parler d'exemples et d'imitation, mais de génération et de régénération ; si donc Adam ne transmet pas aux hommes son péché avec son sang, Jésus-Christ ne donne pas non plus la justice aux enfants qui sont régénérés en lui; car les enfants qui ont été régénérés comme ceux qui ont été seulement engendrés, n'ont encore fait aucun usage de leur volonté personnelle. Allez maintenant si vous voulez, et, si vous l'osez, enseignez publiquement que la justice n'est point donnée aux enfants; qu'ils ne la posséderont pas même quand ils auront obtenu une demeure dans ce royaume où l'on verra les cieux nouveaux et la terre nouvelle dont parle l'Ecriture, et dans lesquels habite la justice (1) : ou bien, dans l'enivrement et le délire que vos

 

1. II Pierre, III, 13.

 

503

 

opinions, pareilles à un vin généreux, font naître en vous, déclarez que les enfants posséderont à la vérité la justice dans ce royaume, mais par suite d'actes méritoires de leur volonté propre, et non point par un bienfait gratuit de la grâce divine. Si vous n'osez tenir ce langage (car vous reconnaissez que la vie présente est le moment où l'on acquiert des mérites, et que dans l'éternité on reçoit seulement des récompenses) ; pourquoi hésitez-vous à reconnaître, ou pourquoi ne voulez-vous pas reconnaître que ces enfants ont pu, sans l'avoir mérité par aucun acte mauvais de leur volonté personnelle, participer au péché d'Adam de la même manière qu'ils doivent un jour participer à la justice de Jésus-Christ, sans avoir précédemment mérité cette faveur par aucun acte de bonne volonté?

CII. Jul. Et par là même, si la vérité n'a pas encore perdu tous ses droits au respect des hommes; si les clameurs bruyantes de l'iniquité n'ont pas encore rendu le monde entier tout à fait sourd à sa voix; on reconnaîtra que la raison, que la discussion, que, l'autorité de l'Apôtre et le témoignage de sa parole expresse démontrent clairement que entre les partisans de la transmission et les catholiques, il y aune distance égale à celle qui existe entre saint Paul et Manès, entre la sagesse et la sottise, entre la raison et la folie, entre la persévérance dans un enseignement toujours semblable à lui-même et cette versatilité dont tu nous offres le plus honteux exemple, puisque, pour ainsi dire dans la même ligne, tu nies ce que tu as affirmé et tu affirmes ce que tu as nié.

Aug. Il a été répondu à cela : de grâce, s'il ne t'est pas possible de dire quelque chose, tais-toi, supposé du moins que tu aies ce pouvoir; mais ce qu'il y a de plus déplorable, c'est que tu ne peux pas même te taire.

CIII. Jul. «Mais », dit saint Paul, « il n'en est pas du don comme du péché venu par un seul. Car le jugement de condamnation vient d'un seul; tandis que la grâce de la justification délivre d'un grand nombre de péchés (1) ». Tu joins à ces paroles de l'Apôtre ton interprétation personnelle conçue en ces termes : « Qu'est-ce à dire : Le jugement de condamnation vient d'un seul », si ce n'est : « vient d'un seul péché? » puisque saint Paul ajoute : « La grâce au contraire délivre

 

1. Rom. V, 16.

 

d'une multitude de péchés. Que nos adversaires disent comment cette condamnation est prononcée pour un seul délit, si ce n'est parce que le péché originel, qui a passé dans tous les hommes, suffit à lui seul pour rendre cette condamnation légitime. La grâce de la justification délivre au contraire d'une multitude de péchés, parce qu'elle remet non-seulement ce péché unique, contracté dès notre origine, mais aussi les autres que chaque homme en particulier ajoute à celui-là, parle mouvement de sa volonté personnelle. Car, si à cause du péché d'un seul la mort a régné a par un seul, à plus forte raison ceux qui reçoivent l'abondance de la grâce et de la justice,         régneront-ils dans la vie par un seul, Jésus-Christ. C'est pourquoi, de même que tous les hommes sont tombés dans la condamnation par le péché d'un seul, de même aussi tous reçoivent la justification a de la vie par la justice d'un seul (1) ». Puis, comme si tu avais prouvé quelque chose en citant ces paroles, tu parles de nous en des termes insultants : « Qu'ils persévèrent encore dans leurs vaines argumentations et qu'ils continuent à enseigner que cet homme a unique dont parle l'Apôtre n'a pas transmis son péché avec son sang, mais qu'il a seulement donné un exemple de péché. Comment donc tous les hommes sont-ils tombés dans la condamnation par le péché d'un seul, et non pas plutôt par la multitude de péchés qu'ils commettent personnellement? N'est-ce pas précisément parce que ce péché suffirait à lui seul pour conduire les hommes à la damnation, lors même que ceux-ci n'y ajouteraient aucun péché personnel; comme il conduit réellement à la damnation les enfants qui meurent après avoir pris naissance d'Adam , mais avant d'avoir reçu une seconde naissance en Jésus-Christ? Pourquoi donc notre adversaire nous adresse-t-il cette question dont il ne veut pas recevoir la solution de la bouche de l'Apôtre : comment l'enfant se trouve-t-il coupable de péché? est-ce par un acte de sa volonté, est-ce par un effet de l'acte conjugal ou par suite d'une faute commise par ses parents? Qu'il écoute (et qu'il apprenne à se taire), qu'il écoute comment les enfants se trouvent coupables de péché ; voici

 

1. Rom. V, 17, 18.

 

504

 

les paroles de saint Paul : Tous les hommes sont tombés dans la condamnation par le péché d'un seul (1)». Nous savons que tu né redoutes rien tant que les interrogations qui ont pour objet de te faire dévoiler tes sentiments et tes pensées secrètes : c'est pour cela en effet que vous cherchez avant tout à obtenir des puissances séculières que la question présente ne soit pas discutée dans un jugement en forme; car vous comprenez que vous devez recourir à la force, puisque vous ne trouvez aucun appui dans les principes de la raison.

Aug. Veux-tu ne pas craindre la puissance? Fais le bien (2). Mais ce n'est pas faire le bien que de répandre et d'enseigner hautement une doctrine hérétique en contradiction avec la doctrine de l'Apôtre. Pourquoi réclamer encore la discussion d'une chose qui a été jugée par le Siège apostolique; qui a été jugée aussi par l'assemblée des évêques de Palestine, par cette assemblée où sans aucun doute Pélage, auteur de votre erreur, aurait été condamné s'il n'avait condamné ces mêmes opinions que tu défends? Une hérésie condamnée par les évêques ne doit plus être l'objet d'un jugement; elle doit être réprimée par les puissances chrétiennes.

CIV. Jul. Mais le prestige de ton nom n'aura pas assez de pouvoir sur l'esprit des hommes éclairés, pour qu'il te soit permis, à toi qui es la cause première et l'auteur de tous ces maux, de te retirer du milieu du combat en te retranchant derrière l'autorité de l'Apôtre ; n'espère pas que saint Paul recevra pour toi les traits de tes ennemis, car il est lui-même, le maître et le prince sur lequel nous nous appuyons principalement contre vous. Apprends donc le langage que la logique même t'oblige à tenir; si toi et moi nous étions parfaitement d'accord pour reconnaître que l'Apôtre a enseigné l'existence du péché naturel et posé ainsi un fondement inébranlable à la doctrine des Manichéens, tu pourrais alors m'opposer son nom toutes les fois que je chercherais à diriger contre toi mes attaques ; mais en réalité je regarde constamment l'autorité du maître des Gentils comme une chose tout à fait inviolable; je ne souffre pas qu'une seule de ses paroles soit dénaturée par tes explications; de ses paroles, dis-je, que je démontre, d'après :le principe

 

1. Des Noces et de la Conc., liv. II, n. 46. — 2. Rom. XIII, 3.

 

rationnel énoncé plus haut, être inconciliables avec toute doctrine insensée, honteuse et impie; je prouve que saint Paul n'a pas dit un mot en faveur de l'existence du péché naturel, et tu as l'impudence de prétendre que ce même saint Paul doit me répondre pour toi, lui qui n'est pas interrogé par la raison que personne ne doute de la sagesse de ses enseignements ! Et tu ne rougis pas de t'écrier que je ne veux pas recevoir de la bouche de l'Apôtre une doctrine que je déteste sur tes lèvres, précisément parce que l'Apôtre nous a appris à discerner la saine doctrine de celles qui ne le sont pas !

Aug. Après les paroles de l'Apôtre citées par moi, ne devait-il pas te suffire de garder le silence ? Et toutefois, quoique tu ne puisses parler ni dans un sens contraire, ni dans un sens conforme à la doctrine de l'Apôtre, tu ne cesses de m'adresser la parole, et tu me jettes, entre autres insultes, celle-ci, que je suis la cause première et l'auteur principal de tous ces maux, comme si j'avais, le premier, cru à l'existence du péché originel ou commencé à discuter sur cette question. Tu penses, en effet, que tes livres tomberont entre les mains de lecteurs tellement ignorants qu'ils ne sauront pas même qu'une foule de docteurs illustres de l'Église ont, avant nous , compris et expliqué ces paroles de l'Apôtre comme l'Église catholique tout entière les entend et les interprète depuis qu'elle a commencé d'exister; si l'enseignement de ces docteurs est un enseignement pervers, comme vous ne craignez pas de le dire, comment, je te prie, puis-je être moi-même la cause première et l'auteur principal de tous ces maux? Ne serait-il pas plus vrai de dire que tu obéis à un mouvement de rage en m'adressant de pareilles injures ? Car, si tu considérais avec un esprit sain les afflictions dont la vie de l'homme est remplie, depuis les premiers pleurs qui suivent sa naissance jusqu'aux dernières plaintes qui précèdent sa mort, tu comprendrais sans doute que la cause première et l'auteur de ces maux, ce n'est ni moi ni toi, mais Adam ; mais tu ne veux pas comprendre cette vérité, et, fermant les yeux à la lumière, tu t'écries que les jugements de Dieu sont justes, et que cependant le péché originel n'existe pas. Assurément tu verrais combien ces deux propositions sont contradictoires, je ne dis pas si tu cessais d'être

 

505

 

l'auteur de ces maux, puisqu'en réalité tu ne l'es pas, mais si tu avais l'esprit sain, comme tu pourrais l'avoir; si, au lieu de suivre Pélage, tu prenais pour maîtres les docteurs catholiques.

CV. Jul. Voyons donc quelle est la valeur réelle de tes arguments. Après avoir dit que la grâce du Sauveur possède une efficacité beaucoup plus grande pour nous guérir que ne le fut celle de la prévarication du premier homme pour nous nuire, saint Paul ajoute : « Et il n'en est pas du don comme du péché venu par un seul, car le jugement de toua damnation vient d'un seul, tandis que la a grâce de la justification délivre d'un grand nombre de péchés ». Suivant toi, « ce péché «unique, mais suffisant pour rendre notre condamnation légitime, est un péché d'origine qui passe dans tous les hommes; on dit au contraire que la grâce de la justification délivre d'une multitude de péchés , parce qu'elle efface, non-seulement ce péché

unique contracté dès notre origine, mais encore les autres péchés que la volonté particulière de chacun de nous a ajoutés à celui-là ». Pour confirmer cette interprétation, tu établis un peu plus loin cette argumentation : Si l'Apôtre avait enseigné que ce péché unique, mais suffisant pour rendre notre condamnation légitime, a été contracté par voie d'imitation, il aurait dû ajouter que tous les hommes méritent la sentence de condamnation, non point par un péché unique, mais par la multitude de péchés qu'ils commettent par leur volonté personnelle. Or, comme il s'agit ici de dégager les paroles de l'Apôtre des interprétations insidieuses des Manichéens, je prie le lecteur de m'accorder son attention la plus sérieuse. Suivant toi, si nous avons raison d'affirmer que la faute première a été seulement un exemple donné aux pécheurs, l'Apôtre aurait dû enseigner que la mort a régné par suite d'une multitude de péchés, comme il a enseigné que la grâce de la justification délivre d'une multitude d'iniquités. Or, c'est précisément contre toi-même que tu établis cet argument; je vais te prouver que, si tes principes sont vrais, l'Apôtre n'a pu logiquement déclarer que la grâce de la «justification délivre d'une multitude de péchés », après avoir dit que le jugement de condamnation vient d'un seul péché ». Oublions un instant notre doctrine et raisonnons d'après vos principes; si la liberté de détermination a été détruite par le premier péché; si désormais elle se trouve tellement défectueuse dans tout le genre humain qu'elle n'ait plus d'autre pouvoir que celui de faire le mal, et qu'elle ait perdu la faculté de choisir le parti contraire, en d'autres termes, la faculté de s'éloigner du mal et de faire le bien ; si elle est honteusement assujettie à la nécessité de commettre le mal et contrainte à obéir aux convoitises criminelles; si, contrairement à toutes les lois de l'équité, une faute commise par la volonté est devenue un vice de la nature ; si la loi du péché habite dans les membres de l'homme après avoir obtenu, par suite du honteux plaisir qui accompagne l'acte conjugal, un empire tyrannique sur l'image et sur l'oeuvre de Dieu; si l'arbre du démon jette, avant la création de l'âme, ses racines dans le sein maternel pour y prendre ensuite son accroissement naturel, s'y développer librement et produire enfin un fruit empoisonné; si, dis-je, tous ces maux sont, comme vous le prétendez, le résultat d'une seule faute commise par le premier homme, au lieu d'ajouter que la grâce délivre d'une multitude de péchés, il serait plus logique de dire seulement que le genre humain subit la sentence de condamnation à cause d'un seul et unique péché; on comprendrait alors, et il serait plus exact de dire que cette grâce délivre d'un péché unique ceux qui sont délivrés par elle. Car si la liberté de détermination est détruite, si les désirs honnêtes sont devenus impossibles , si toutes les actions mauvaises sont une conséquence fatale de la faute de notre premier père, lequel nous a transmis un sang empoisonné, aucun autre péché ne saurait plus être ajouté à cette faute première par le mouvement de notre volonté personnelle.

Aug. Comment serait-il possible qu'un homme, dont les efforts tendent à dénaturer les paroles de l'Apôtre, réussit lui-même à parler le langage de la raison et de la vérité? Certes, quand l'usage de la volonté, dont les enfants sont privés, vient s'ajouter à cette faute contractée au moment de la génération , l'arbre du péché produit alors une multitude de fruits alimentés par une multitude de passions diverses comme par autant de racines; mais avant qu'il en fût ainsi, ce péché unique suffisait pour (506) précipiter dans la damnation les petits enfants qui auraient quitté cette vie sans avoir encore pu faire usage de leur volonté. Car si un mal plus grave et plus multiplié mérite un châtiment plus sévère, il ne s'ensuit pas qu'un mal moins grave et non encore multiplié ne mérite aucun châtiment. Comment donc la régénération, qui fait disparaître le mal multiplié par l'usage de la volonté, ne compense-t-elle pas surabondamment le mal produit par la génération, puisque le mal dont celle-ci est pour nous la source, quoiqu'il soit très-sérieux et qu'il ait plusieurs suites très-regrettables, n'est pas encore développé ni multiplié, et qu'il resterait isolé et ne prendrait aucun développement si l'usage de la volonté ne venait lui donner le moyen de croître et de se multiplier? De plus, avant que la grâce de Dieu soit venue au secours de la volonté pour lui rendre la liberté du bien et lui faire pratiquer la vraie justice, une foule de causes autres que le vice de notre origine peuvent porter ou ne pas porter cette même volonté à commettre le péché; de là vient que, même parmi les impies, à qui n'a pas encore été ou à qui ne sera jamais accordé le secours de la grâce qui justifie les impies, les uns commettent plus de péchés, les autres en commettent moins. « Le jugement de condamnation vient donc d'un seul » péché, parce que la damnation frappe ceux mêmes qui n'ont d'autre péché que celui qu'ils ont contracté dès leur origine; la grâce de la justification, au contraire, délivre d'une multitude de péchés, parce qu'elle efface, non-seulement le péché dont l'homme est souillé au moment de sa naissance, mais tous les crimes que nous ajoutons à cette faute première par l'usage de notre volonté propre. Telle est la vérité catholique enseignée par l'Apôtre et que tu ne saurais altérer par aucun verbiage hérétique, quelque interminables que soient les discours vains et trompeurs par lesquels tu mets notre patience à l'épreuve.

CVI. Jul. Et par là même, si le péché naturel est la cause de ces maux si déplorables, il n'est pas vrai de dire que la grâce de Jésus-Christ opère la justification en pardonnant une multitude de péchés : elle accomplit au contraire son oeuvre de miséricorde par la rémission d'un péché unique; et pour qu'elle remplit les engagements pris par elle à cet égard, il

faudrait qu'elle guérit tous les maux qu'on dit être le résultat de la blessure faite par le péché : toutefois, si même après les remèdes apportés par elle, les diverses maladies dont le démon a infecté la nature humaine, subsistent comme auparavant, on doit lui savoir gré de son bon vouloir et lui pardonner sa présomption; car, c'est le pouvoir, et non pas la volonté qui lui a manqué pour guérir des plaies dont nous étions atteints au moment de notre naissance.

Aug. Il a été déjà répondu à cela : comprends ma réponse, et tais-toi. Autre chose sont les combats que la grâce nous fait soutenir et pour lesquels elle nous prête le secours de sa force puissante ; autre chose est la victoire dont elle nous fait goûter les fruits dans le séjour de la paix éternelle, après nous avoir délivrés de tout ennemi soit extérieur, soit intérieur : dans le premier cas, il s'agit d'une guerre laborieuse dont la vie présente est le théâtre ; dans le second il s'agit du repos bienheureux dont on jouira au siècle futur seulement. Pour toi, si tu ne soutiens pas en toi-même cette lutte contre les vices de la chair, rougis ; si tu la soutiens réellement, tais-toi.

CVII. Jul. Qu'avons-nous donc établi dans cette discussion? Que ta doctrine et la doctrine de l'Apôtre se contredisent réciproquement. Suivant l'Apôtre, une multitude de péchés sont effacés par le bienfait de la grâce: toi au contraire tu enseignes qu'un seul péché naturel, appelé par toi la loi du péché, est pour tous les hommes une source de désirs coupables. Ainsi, il est manifeste que tu accuses la nature qui est l'oeuvre de Dieu, tandis que saint Paul accuse la volonté. D'autre part, il a été tout à fait impossible à saint Paul de s'exprimer en des termes différents de ceux qu'il a employés, quand il a dit que la sentence de condamnation peut être prononcée par suite d'un péché unique car, par son péché unique, le premier homme a donné l'exemple de l'iniquité; et de même qu'une seule prévarication a été pleinement suffisante pour faire prononcer la condamnation d'Adam, de même aussi une seule faute peut suffire pour rendre coupables les autres hommes. De là ces paroles de l'Ecclésiaste : « Celui qui pèche en un seul point, perd une multitude de biens (1) »; et ces autres

 

1. Eccl. IX, 18.

 

507

 

de saint Jacques : « Si après avoir observé toute la loi, tu la violes en un seul point, tu deviens coupable comme si tu l'avais violée tout entière (1) ».

Aug. Le péché d'Adam n'a donc été nuisible qu'à lui-même, et non pas à tout le genre humain. Car, tu ne pousseras pas l'absurdité jusqu'à prétendre que ce péché a été ou est encore nuisible à des hommes qui ne savent pas ou qui ne croient pas qu'il a existé et qu'il a produit de semblables effets : quoique les hommes imitent parfois ce qu'ils ignorent, tu parlerais d'une manière trop insensée, en déclarant qu'ils sont flétris et souillés par un péché commis, à leur insu, depuis des milliers d'années, si tu ne reconnaissais que ce péché a été transmis à toutes les générations. D'ailleurs, si Pélage n'avait pas condamné ceux qui prétendent que le péché d'Adam a été nuisible à lui seul, et non pas à tout le genre humain, il aurait été condamné lui-même par des juges qui assurément ne sont point Manichéens.

CVIII. Jul. La grâce du Seigneur Jésus-Christ au contraire n'a pas été donnée de telle sorte qu'elle dût apporter à chacun de nos péchés, comme à autant de blessures, un remède particulier de miséricorde, et nous accorder la rémission de chacun de nos péchés par autant de baptêmes différents: mais, grâce à l'efficacité toute-puissante du remède qu'elle apporte à nos crimes, c'est-à-dire aux oeuvres de la volonté mauvaise, elle opère une guérison tellement générale que les différentes espèces de souillures sont effacées par une seule et même consécration.

Aug. De quelque manière que tu prétendes que la grâce du Seigneur Jésus-Christ est donnée, tu exclus les petits enfants de toute participation à cette grâce, quand tu déclares qu'ils ne sont point sauvés par elle ; car vous divisez arbitrairement les deux noms du Seigneur, de telle sorte qu'il semble être Christ à l'égard des petits enfants à cause du royaume de Dieu auquel vous reconnaissez que ceux-ci ne peuvent parvenir, s'ils n'ont reçu le baptême; mais, en tant que Jésus, il leur est complètement étranger, parce qu'il n'opère pas en eux ce que ce nom signifie. Il est écrit en effet : « Tu lui donneras le nom de Jésus », et l'ange voulant faire connaître la

 

1. Jacq. II, 10.

 

raison pour laquelle le Seigneur doit être appelé Jésus, ajoute aussitôt : « Car c'est lui qui sauvera son peuple des péchés dont il est coupable (1) ». Puisque vous niez que le Seigneur sauve réellement les petits enfants, vous déclarez par là même que le nom de Jésus ne se rapporte pas à eux, et qu'ils sont étrangers à son peuple ; et vous osez protester avec colère, parce que c'est vous-mêmes au contraire que l'on exclut du milieu de ce peuple ! D'autre part, et pour ce qui regarde les péchés volontaires, de même que le jugement de condamnation nous frappe pour une multitude, de même aussi la grâce de la justification nous délivre d'un grand nombre de ces péchés. Pourquoi donc l'Apôtre dit-il : « Le jugement de condamnation vient d'un seul (péché), mais la grâce de la justification délivre d'un grand nombre de péchés »; si ce n'est parce que en cet endroit il n'oppose pas la volonté bonne à la volonté mauvaise, ni l'imitation du bien à l'imitation du mal, mais la régénération à la génération première? Car, si, d'une part, notre génération première fait prononcer contre nous un jugement de condamnation pour un seul péché; d'autre part aussi, notre régénération nous confère une grâce de justification qui nous délivre d'une multitude de péchés. La pensée que l'Apôtre a voulu exprimer en cet endroit est tout à fait manifeste ; écoutez ses paroles avec un esprit soumis et vous cesserez vous-mêmes de parler pour obéir à un esprit de contention.

CIX. Jul. C'est donc avec raison que l'Apôtre, parlant du premier homme, a désigné seulement un péché de celui-ci et nous a montré ce péché comme ayant été le premier exemple de prévarication : il a rappelé., dis-je, un seul péché et non pas plusieurs, parce qu'il savait que la partie historique de la loi ne rapporte elle-même qu'un seul péché d'Adam ; mais il a déclaré que la grâce de la justification délivre d'une multitude de péchés ceux sur qui elle descend, afin que personne ne fût tenté de considérer le bienfait de cette grâce comme étant de peu de valeur : car s'il avait dit : La grâce de la justification délivre d'un seul péché, il semblerait que cette grâce efface chacun de nos péchés isolément plutôt que tous nos péchés à la fois. Ainsi, en parlant d'abord d'un seul

 

1. Matt. I, 21.

 

508

 

péché, il s'est conformé au témoignage de l'histoire ; et quand il a dit ensuite que la grâce de la justification délivre d'une multitude de péchés, il a fait connaître la magnificence et le prix de ce don mystérieux.

Aug. Quelle raison avait-il de parler d'Adam, au moment où il exaltait le mérite de la grâce de Jésus-Christ, si ce n'est parce que le premier est l'auteur de la génération, et le second, l'auteur de la régénération ?

CX. Jul. Cette explication, conforme aux principes de la raison, est aussi la réfutation sans réplique de voire doctrine ; car, tu es obligé de reconnaître que, dans tous les passages cités par nous jusqu'ici, l'Apôtre ne parle pas du péché transmis comme les Manichéens le prétendent, et cela par le fait même que, en parlant de la grâce, saint Paul dit qu'elle efface une multitude de péchés.

Aug. C'est toi-même qui sers la cause du manichéisme, puisque tu permets à ses partisans d'introduire une autre nature mauvaise, quand tu nies que la cause des calamités qui pèsent sur les enfants réside dans un mal originel : calamités auxquelles assurément les enfants ne seraient pas assujettis, si au moment de leur naissance ,ils possédaient l'intégrité de nature et jouissaient du bienheureux état qui furent le partage du premier homme dans le paradis.

CXI. Jul. Saint Paul montre en effet que, dans sa pensée, le péché désigné précédemment sous le nom de péché unique, est de ta même espèce que ceux qu'il a dit être très-nombreux et qu'il a déclaré être effacés tous ensemble par la grâce ; d'autre part, tu reconnais toi-même que ces péchés nombreux sont précisément ceux que chacun de nous commet par le mouvement de sa volonté personnelle ; donc ce péché unique est, lui aussi, de la même espèce ;...

Aug. Je dis en effet que ce péché unique doit être compris dans cette multitude de péchés, et qu'on ne peut pas le séparer des autres ; on peut également dire avec. vérité que le premier est de la même espèce que, les seconds, si l'on prend le mot espèce dans le sens d'origine; car ce péché unique a eu, lui aussi, son origine dans la volonté du ,premier homme, au jour où le, péché d'Adam entra dans le monde pour passer ensuite par tous les hommes.

CXII. Jul. Et on doit le considérer comme ayant été contracté par un mouvement de la volonté personnelle de chacun de nous ; par là même, ce n'est pas le sang de nos parents, mais la perversité de nos désirs que l'on doit accuser. D'ailleurs, si l'Apôtre avait voulu enseigner l'existence d'un péché originel et unique, assurément il n'aurait point parlé ensuite de cette multitude de péchés qu'il déclare être effacés par la grâce.

Aug. Pourquoi n'en aurait-il point parlé ! Cette affirmation est appuyée, il est vrai, sur l'autorité des Pélagiens ; mais elle n'est pas appuyée sur le témoignage de la vérité qui contredit les nouveautés du pélagianisme et confond ses doctrines mensongères. La multitude de péchés, dont la grâce de la justification nous délivre, ne cesse pas d'être multitude parce que ce péché unique y est compris; et, d'autre part, ce péché unique, lors même qu'aucun autre péché n'y serait ajouté, n'en serait pas moins suffisant pour faire prononcer contre nous une sentence de condamnation. D'où il suit que le premier homme a pu nous communiquer avec son sang un péché unique, et Jésus-Christ nous pardonner au moment de notre régénération une multitude de péchés ; puisque, suivant saint Paul, les bienfaits que le second nous a procurés compensent surabondamment le dommage que le premier nous avait causé.

CXIII. Jul. Quoique les arguments établis ci-dessus soient plus que suffisants pour la défense de la vérité, je prie cependant le lecteur de prêter la plus sérieuse attention à ceux que nous allons ajouter. Il sera démontré d'une manière irréfutable que, en cet endroit, l'apôtre saint Paul ne traite nullement de la nature, ruais bien de la conduite des hommes, considérant successivement l'efficacité de la grâce et celle du premier péché, et comparant les effets de l'une et de l'autre, il s'efforce de prouver que les dons mystérieux accordés par Jésus-Christ compensent surabondamment les suites funestes du péché du premier homme. Nous avons montré nous-mêmes que cette doctrine ne saurait se concilier avec celle de la transmission du péché. Saint Paul a donc voulu relever le mérite de la grâce, non-seulement par l'énumération qu'il a faite précédemment de ses effets, mais encore et d'une manière spéciale par cette déclaration : « Le jugement de condamnation vient d'un seul ; mais la grâce nous délivre (509) d'une multitude de péchés pour nous procurer en même temps la justification de la vie». Le partisan de l'existence du mal naturel explique ces paroles de cette manière : « Le jugement de condamnation vient d'un seul », dit-il, « parce que ce péché unique, a contracté dès notre origine, suffirait pour nous conduire à la damnation, comme il y conduit réellement les enfants qui sont nés du premier homme et qui n'ont pas reçu une seconde naissance en Jésus-Christ; et cela, lors même que nous ne serions coupables d'aucun autre péché. Mais la grâce de la justification délivre d'une multitude de péchés, parce qu'elle remet, non-seulement celui que nous avons contracté à notre origine, mais aussi les autres que chacun de nous ajoute à celui-là par le mouvement de sa volonté personnelle (1) ». Tu déclares ici, dans un langage impie, il est vrai, et tout à fait digne d'un manichéen, tu déclares qu'il existe un péché naturel, que ce péché est unique, et tu ajoutes que, à cause de ce péché, les petits enfants doivent être envoyés à la damnation.

Aug. Celui qui a dit : « Nous naissons tous dans l'état du péché (2) », n'était pas un disciple de Manès. Mais vous-mêmes, dis-moi, de quel nom faut-il vous appeler, vous qui excluez du royaume de Dieu, sans qu'elles l'aient mérité par aucun péché, une foule d'âmes créées à l'image de Dieu-; vous qui niez en même temps que ces âmes soient condamnées par le jugement de Dieu, et qui établissez ainsi deux félicités éternelles : l'une dans le royaume de Dieu, l'autre en dehors du royaume de Dieu ; dites-nous, de grâce, dans cette félicité dont on jouira en dehors du royaume de Dieu, y aura-t-il un roi, ou bien n'y en aura-t-il pas ? S'il n'y a pas de roi, il est hors de doute que ceux qui auront part à cette félicité jouiront d'une liberté plus grande; trais s'il y a un roi, quel autre qu'un Dieu pourra régner sur des images de Dieu ? Or, si ce roi est Dieu, vous introduisez donc une seconde divinité; et vous me qualifiez moi-même de manichéen ! Si au contraire le Dieu qui doit régner dans ce séjour est précisément celui à l'image de qui ces âmes ont été créées; ces dernières doivent donc, elles aussi, jouir d'un bonheur éternel dans le

 

1. Des Noces et de la Conc., liv. II, n. 46. — 2. Ambr. Liv. II de la Pénit. ch. II ou III.

 

royaume de leur vrai Dieu. Mais que signifient alors ces paroles : « Si quelqu'un ne renaît de l'eau et de l'esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu (1) ? » Reconnaîtrez-vous enfin que les enfants non régénérés auront la souffrance en partage en dehors du royaume de Dieu ? Dites-nous donc, vous qui êtes toujours prêts à parler et à discuter, dites-nous comment ces enfants ont mérité de souffrir ainsi, puisque vous niez l'existence du péché originel.

CXIV. Jul. Prouve donc que cet effet, attribué à la grâce de Jésus-Christ par l'Apôtre saint Paul, s'accomplit dans les enfants, c'est-à-dire que la grâce les justifie en les délivrant d'une multitude de péchés; en d'autres termes, qu'elle leur procure la justice en leur accordant la rémission de plusieurs péchés à la fois : par là même, ou bien déclare que les enfants sont coupables d'une multitude d'iniquités, et prouve que les paroles par lesquelles l'Apôtre a exalté la munificence de Jésus-Christ, s'appliquent à eux, qu'ils sont certainement délivrés d'une multitude de péchés; ou bien confesse que, dans ces passages, saint Paul ne parle ni des enfants ni de la nature humaine, puisqu'il affirme que la grâce remet des fautes dont tu reconnais toi-même que les enfants ne sauraient être coupables au moment de leur naissance.

Aug. Que signifie ce langage ? Par quels flots de paroles bruyantes l'erreur a-t-elle empêché la voix si pénétrante de la vérité de parvenir jusqu'à toi ? Certes, Jésus qui sauve son peuple de la multitude de péchés dont il est coupable, ne laisse pas subsister le péché originel dans les enfants; par la raison que le péché originel est compris lui-même dans cette multitude.

CXV. Jul. « La grâce de la justification, dit saint Paul, délivre d'une multitude de péchés ». Tu enseignes, toi, que les enfants sont coupables d'un péché seulement. Tu vois par là même que, dans leur personne, la gloire de la grâce est beaucoup amoindrie , puisqu'elle ne trouve pas en eux cette multitude de péchés dont la rémission serait pour elle un titre éclatant à nos hommages. Ainsi, il est démontré que ces paroles de l'apôtre saint Paul : « La grâce de la justification délivre d'une multitude de péchés », si on les applique aux enfants, sont absolument

 

1. Jean, III, 5.

 

540

 

fausses. Comment essaieras-tu d'échapper à cette conclusion ? Tu diras sans doute (comme tu l'as déjà déclaré ci-dessus en termes explicites) que cette maxime de l'Apôtre : « La grâce de la justification délivre d'une multitude de péchés », s'accomplit dans les hommes d'un âge mûr, quand ceux-ci sont convaincus d'avoir commis une multitude de péchés par le mouvement de leur volonté personnelle ; que la justification délivre au contraire les enfants d'un seul péché, et non pas d'une multitude de péchés.

Aug. Tu aurais pu, sans grande difficulté, comprendre que c'est vous-mêmes qui excluez les enfants de cette justification que le Sauveur confère aux siens en leur accordant la rémission d'une multitude de péchés; puisque vous prétendez que les enfants n'ont aucun péché dont ils puissent obtenir la rémission ; tu aurais pu comprendre que nous, au contraire, nous ne méritons nullement ce reproche : quand nous disons que tous sont envoyés à la damnation pour le fait d'un seul pécheur, nous n'exceptons aucun âge; car les hommes d'un âge mûr sont, eux aussi, coupables de ce péché : pareillement, quand nous disons que la grâce justifie d'une multitude de péchés, nous n'exceptons non plus aucun âge; car celui qui remet la multitude des péchés (et ce mot de multitude signifie ici la totalité), n'en laisse par là même subsister aucun ; en d'autres termes, il en remet un grand nombre dans les plus pervers, il en remet un plus petit nombre dans ceux qui sont moins coupables, il en remet un seul dans les enfants. Vous auriez compris facilement ces vérités, dis-je , si un sentiment odieux de jalousie ne vous empêchait de reconnaître que les enfants ont un médecin dans la personne du Christ; si, par une impiété qui fait frémir, par un aveuglement tout à fait prodigieux et par un désir insatiable de blasphémer, vous ne refusiez obstinément au Christ la qualité de Jésus à l'égard des enfants. Prétendre que la grâce du Christ est communiquée seulement à ceux qui se trouvent coupables d'une multitude de péchés, y a-t-il quelque chose de plus insensé ? Par ce raisonnement , ou plutôt par cet aveuglement intellectuel, vous excluez de la participation à cette grâce, non-seulement les enfants que vous considérez comme n'ayant contracté aucune souillure à leur origine, mais tous ceux en général qui ne se trouvent pas coupables d'une multitude de péchés ; car, vous croyez qu'on doit interpréter ces paroles de l'Apôtre : « La grâce de la justification délivre d'une multitude de péchés (1) », en ce sens que cette grâce est communiquée exclusivement à ceux en qui elle trouve une multitude de péchés à pardonner. Et par là même, quand cet enfant que vous regardez comme exempt de tout péché aura grandi et qu'il aura commencé déjà à souiller son innocence, s'il reçoit le baptême de Jésus-Christ après avoir commis , je ne dis pas quelques péchés, mais seulement un péché unique, il n'aura certainement aucune part à cette grâce; par la raison qu'il sera alors justifié, non pas d'une multitude de péchés, mais d'un seul péché. J'estime que l'aveuglement de votre coeur n'est pas tel qu'il vous soit possible de ne pas rougir de pareilles absurdités. Or, si cette grâce est communiquée à ceux mêmes en qui elle ne trouve qu'un seul péché à pardonner; ces paroles : « La grâce de la justification délivre d'une multitude de péchés », désignaient donc, dans la pensée de l'Apôtre, les péchés de tout le peuple qui est justifié par cette grâce : péchés plus nombreux dans les uns, moins nombreux dans les autres, péché unique dans d'autres encore; mais péchés qui tous ensemble sont assurément une multitude de péchés.

CXVI. Jul. Cependant, cette explication, par laquelle tu ne réussiras ni à changer les règles de la logique, ni à. échapper toi-même à ses conclusions; cette explication, dis-je, a servi non-seulement à faire tomber le prestige de tes fourberies, mais à étouffer ces fantômes de haine que tu cherchais à exciter contre nous. Tu nous accusais hautement de porter, de graves atteintes aux principes de la foi, parce que nous enseignons que la grâce de Jésus-Christ doit être communiquée d'une manière uniforme; que l'on ne doit dénaturer , ni les paroles, ni les institutions du Sauveur; que la grâce confère également à ceux qui la reçoivent le bienfait de l'adoption, de la sanctification et de l'élévation à un degré de gloire supérieure ; que cependant elle ne trouve pas également coupables tous ceux qui s'approchent pour la recevoir; mais qu'elle délivre de leurs fautes et qu'elle rend bons, de méchants qu'ils étaient, ceux qui ont péché par

 

1. Rom. V, 16.

 

leur volonté personnelle, par cette volonté en dehors de laquelle on ne saurait être coupable d'aucun péché; que, à l'égard de ceux qui ont conservé dans toute sa pureté l'heureuse innocence du premier âge, le Christ, en leur accordant cette même grâce, ne leur reproche aucun acte de volonté mauvaise, parce qu'il sait qu'ils n'ont encore fait aucun usage de leur volonté;....

Aug. O démence inouïe ! Est-ce là une discussion, ou le langage d'un homme en délire? Les enfants attestent par leurs larmes qu'ils sont nés dans une condition digne de pitié, et tu ne veux pas que le Christ soit Jésus à leur égard ! et tu déclares qu'ils sont dans une condition heureuse , au moment même où tu refuses de les admettre dans le royaume de Jésus-Christ ! Si ce royaume était, comme il doit être pour tout chrétien, l'objet de tes affections, tu comprendrais que c'est un grand malheur d'en être exclu.

CXVII. Jul. ... Mais qu'il les fait passer d'une condition bonne à une condition meilleure; qu'il élève à un degré égal de sainteté tous ceux à qui il communique ses dons, mais qu'il ne les surprend pas tous dans la fange des mêmes vices; qu'il trouve au contraire les uns dans un état d'innocence et les autres dans un état d'asservissement à des passions coupables. Ainsi, parce que nous enseignons une doctrine qui est appuyée sur les principes de la vraie foi, sur l'autorité de la raison, et qui est partagée par toutes les intelligences pieuses; une doctrine qui exalte justement le mérite de la grâce de Jésus-Christ et qui n'attribue à Dieu aucune injustice; tu prétends, toi, que la dignité du sacrement est compromise et, par une subtilité dont la finesse ne peut être comparée qu’au pilon d'un mortier, que le prix de la grâce n'est plus qu'un vain mot, si l'on n'attribue à cette grâce le privilège odieux d'imputer à des innocents un péché dont ils ne sont point les auteurs; le privilège de renverser les principes de la justice et de rendre ceux qui n'ont pas encore l'usage de la raison responsables d'une faute qui a été commise sciemment par d'autres ; tu déclares enfin que la grâce ne saurait produire aucun effet, si l'on n'enseigne qu'elle agit d'une manière uniforme dans tous les hommes.

Aug. Comment as-tu cru devoir comparer au pilon d'un mortier, cet argument subtil qui n'est pas de moi, mais de tous les controversistes catholiques, avec lesquels je soutiens une doctrine dont vous vous efforcez vainement d'ébranler la certitude inattaquable ? Est-ce parce que tu as commencé à sentir que cette subtilité vous broie vous-mêmes comme une matière sans consistance ? Et cependant, toi qui, sous prétexte de défendre la justice de Dieu, cherches en réalité à détruire la croyance universelle de l'Eglise de Jésus-Christ touchant la damnation des enfants qui n'ont pas été régénérés; tu ne diras jamais comment il peut être juste qu'un joug accablant pèse sur les enfants, s'ils n'ont point contracté le péché originel. Et tu ne remarques pas que c'est vous-mêmes au contraire qui renversez les principes de la justice, ou plutôt qui détruisez la notion même de la justice du Dieu tout-puissant, quand vous enseignez que, par la volonté ou avec la permission divine, ce châtiment est infligé , sans aucun mérite de leur part et dès le jour de leur naissance, à un nombre incalculable d'hommes de toute sorte, c'est-à-dire, à autant d'images de Dieu. Enfin, tu ne diras jamais comment il peut être conforme à la justice, que des enfants exempts de toute faute personnelle, souvent même de toute flétrissure héréditaire , mais frappés par la mort avant d'avoir reçu le baptême, soient séparés de leurs parents et de leurs proches fidèles; ne soient point admis dans le royaume de Dieu; et, sans avoir mérité aucun châtiment, soient comptés, non point parmi les vases d'honneur, comme les autres enfants baptisés, mais parmi les vases d'ignominie (car il n'y a pas une troisième sorte de vases). Il répugne en effet à votre sagesse hérétique, d'admettre cette doctrine qui est celle des docteurs catholiques; tous les hommes ont été d'abord condamnés pour le fait d'un seul; mais les uns deviennent ensuite l'objet d'une indulgence miséricordieuse, tandis que la justice exerce sur les autres la rigueur de ses droits ; et cela, parce que tes voies du Seigneur sont impénétrables, en même temps qu'elles sont toutes miséricorde et vérité (1).

CXVIII. Jul. Il est donc manifeste que ta propre explication a détruit tous ces arguments par lesquels tu trompais des esprits absolument incapables de raisonner.

Aug. C'est toi-même qui détruis tes propres arguments, quand tu refuses de voir ou de

 

1. Ps. XXIV, 10.

 

512

 

confesser que ceux dont l'âme est souillée d'un péché unique, ont part, eux aussi, à la rémission des péchés ; si les enfants sont exempts de toute souillure, ils ne participent point à cette grâce de guérison ; et en niant que Jésus-Christ soit leur sauveur, vous devenez vous-mêmes leurs meurtriers impies.

CXIX. Jul. Car, d'une part, saint Paul déclare que « la grâce de la justification délivre d'une multitude de péchés » ; et , d'autre part, tu enseignes, toi, que ces paroles ne sauraient être réalisées dans la personne des enfants ; mais qu'elles s'accomplissent uniquement dans la personne de ceux qui sont parvenus à l'âge de maturité, précisément parce qu'ils ont ajouté, par le mouvement de leur volonté propre, des péchés nouveaux à ce péché unique; d'où il suit manifestement que, dans ta pensée, la grâce agit d'une manière différente suivant les dispositions diverses de ceux qui la reçoivent. Ceux qui font usage de leur volonté personnelle, offrent à la grâce une occasion de mériter des éloges légitimes; car, en les élevant à la dignité d'enfants adoptifs, elle les fait passer d'un état plusieurs fois criminel à l'état de justice ; à l'égard des enfants au contraire elle se montre, suivant toi, beaucoup moins généreuse et moins libérale ; la puissance qu'elle déploie n'est pas grande, et le remède qu'elle apporte ne saurait être efficace; elle porte même atteinte à l'équité, et par là à son propre honneur; elle s'engage seulement à effacer en eux ce péché unique, dont elle n'avait pas le droit de les déclarer coupables ; puis elle s'efforce de purifier de cette souillure unique et de rendre justes, ceux d'entre eux qu'elle délivre.

Aug. Il a déjà été répondu à cela ; tu répètes sans cesse les mêmes choses, précisément parce que tu ne trouves pas d'argument sérieux à faire valoir. Quand vous prétendez qu'on ne saurait imputer aucun péché aux enfants, vous déclarez par là même que Dieu est injuste, puisqu'il fait peser sur eux un joug qui les accable dès le jour de leur naissance (1). Lors même que cette maxime ne se trouverait pas exprimée dans l'Ecriture, qui serait assez aveugle pour ne point voir que les maux dont l'humanité est affligée commentent avec les larmes que nous répandons dès le berceau? Vous déclarez aussi que la

 

1. Eccli. XL, 1.

 

loi de Dieu est injuste, quand elle condamne l'enfant qui n'a pas été circoncis le huitième jour (1); vous considérez enfin comme un rite tout à fait inutile le précepte d'après lequel on doit, à la naissance d'un enfant, offrir un sacrifice de propitiation (2). Si au contraire l'existence de cette souillure d'origine est un fait attesté dans les saintes Ecritures et qui, d'ailleurs, se révèle assez par lui-même; ce péché doit, lui aussi, être compté parmi cette multitude de péchés dont la grâce de la justification nous délivre, en même temps qu'elle fait sortir les enfants de cet état malheureux pour les appeler à une condition parfaitement heureuse. Toutefois on ne goûte pas les fruits de cette double délivrance, dans le siècle pré. sent que Dieu a voulu être pour les hommes une époque de souffrance continuelle depuis le jour où nos premiers parents furent chassés par lui du paradis de délices; mais-seulement dans l'éternité future, dans cette éternité où Jésus-Christ règne déjà maintenant, et d'où il communique à ses membres les dons de l'Esprit-Saint comme gage des autres biens qu'il leur réserve.

CXX. Jul. Tu as donc confessé que la grâce agit d'une manière différente, suivant qu'elle se communique à des adultes ou à des enfants, Et ne crois pas trouver un moyen quelconque de me répondre, en ajoutant que cette différente est considérable, à la vérité, mais qu'elle vient uniquement du nombre des péchés pardonnés; que la grâce, alors même qu'elle se communique à une personne coupable d'un seul péché, trouve néanmoins une matière suffisante pour accomplir un acte d'indulgence. Cette argumentation, ne servirait de rien pour le succès de ta cause; car, il importe peu que tu expliques de telle,ou telle manière la différence qui existe dans les effets de la grâce qui est une en elle-même, dès lors que tu confesses la possibilité de cette différence.

Aug. Autre chose est d'attribuer à la grâce des effets différents, parce que la sainte Ecriture dit elle-même que la grâce de Dieu agit de plusieurs manières (1) ; autre chose est de refuser aux enfants la grâce de la rémission des péchés, et, s'ils ne sont pas arrachés à la puissance des ténèbres, de prétendre qu'on fait sur eux des insufflations et des exorcismes mensongers: insufflations et exorcismes qui sont grandement injurieux pour le Créateur,

 

1. Gen. XVII, 14. — 2. Lévit. XII, 6, 7. — 3. I Pierre, IV, 10.

 

513

 

si l'on croit que les enfants n'ont pas besoin du secours du Sauveur pour être arrachés à la puissance de l'esprit séducteur.

CXXI. Jul. Pour moi, en effet, une seule chose me suffit : tu as été obligé, malgré toi, de m'accorder que les paroles de l'Apôtre touchant la libéralité de la grâce ne sauraient être entendues également de tous les âges : il est vrai que tu as cherché à prouver qu'un pardon réel est accordé aux enfants mêmes qui viennent de naître; mais tu n'as pas écarté cette conclusion naturelle des principes posés par toi : La grâce de Jésus-Christ ne saurait accomplir dans la personne des enfants ce par quoi l'Apôtre a déclaré qu'elle est tout à fait digne d'éloges. Voici en effet comment l'Apôtre s'exprime, lorsqu'il veut montrer que les remèdes mystérieux de la grâce ont une efficacité plus grande que celle du péché du premier homme ; de cet homme qui, suivant le même Apôtre, fut le modèle de ceux qui devaient venir après lui : « Le jugement de condamnation », dit-il, « est prononcé pour un seul péché ; mais la grâce de la justification délivre d'une multitude de péchés ». Ainsi ce que saint Paul a dit à l'avantage de la grâce, savoir qu'elle opère notre justification en nous délivrant d'un grand nombre de péchés, ne saurait, suivant.toi, s'accomplir dans la personne des enfants; et, malgré tes résistances, tu as été amené par la force même de la logique, à confesser que la grâce ne produit pas des effets semblables dans les personnes d'un âge différent.

Aug. Nous avons déjà répondu à cela : tu parles pour ne rien dire. La grâce mérite nos éloges, lors même qu'elle remet un péché unique à tel ou tel homme en particulier; car ces péchés isolés font partie de cette multitude de péchés dont les hommes sont délivrés par celui qui sauve son peuple des péchés dont il est coupable (1) ; vous-mêmes (et c'est un châtiment dont l'équité est tout à fait incontestable), vous ne faites point partie de ce peuple, parce que vous prétendez que les petits enfants doivent en être exclus.

CXXII. Jul. Cette conclusion ayant été admise par toi, il est manifeste que tu n'étais contraint par aucune raison sérieuse à calomnier la nature humaine, dans le seul but d'empêcher que la grâce du baptême ne fût

 

1. Matt. I, 21.

 

déclarée produire des effets différents suivant la diversité des âges. Or, cette argumentation se trouvant appuyée sur un fondement ruineux; si tu as tant soit peu d'énergie, tant soit peu de pouvoir et de capacité, entreprends donc de prouver l'existence du péché naturel; de ce péché dont tu vois que la notion même est contraire aux principes de la raison, aux enseignements des livres saints et aux règles de l'équité. Par quelle distraction, en effet, as-tu été amené à appeler oeuvre et propriété du démon, l'union des corps qui a été instituée par Dieu, et la volupté charnelle qui porte à cette union; puisque, par le fait même que cette volupté existe également dans les hommes et dans les animaux, il est manifeste qu'elle a pour auteur celui-là même qui a créé les corps?

Aug. Rougis : c'est toi-même qui fais l'éloge de cette passion brutale. Oui, encore une fois, rougis : cette passion qui est pour toi pleine de charmes, mais contre laquelle doivent lutter nécessairement tous ceux qui ne veulent point commettre le péché en consentant à ses sollicitations; cette passion déréglée n'existait pas dans le paradis avant le péché. Ou bien elle n'existait alors en aucune manière, ou bien elle ne précédait pas la volonté intérieure et ne la dominait point. Ce n'est pas ainsi qu'elle règne aujourd'hui : tout homme en trouve la preuve en lui-même; et toi aussi tu fais partie de l'humanité. Réprime cette inclination violente que tu as pour la contradiction, et reconnais la corruption de la source d'où découle le péché originel. Cette corruption existait antérieurement au mariage, dans les premiers hommes qui furent engendrés; elle ne fut point un effet du mariage : l'usage qu'en font les époux est pour eux une nécessité; la chasteté conjugale rend cet usage honnête, et par là même les époux ne sont répréhensibles à aucun égard. Dans les animaux cette corruption n'est pas un mal précisément, parce qu'en eux la chair ne convoite point contre l'esprit : mais dans les hommes ce mal a besoin d'être guéri par la bonté divine, et non pas de recevoir de vains éloges de la part de ceux mêmes qu'il flétrit.

CXXIII. Jul. D'ailleurs, quelle raison avais-tu d'imputer d'abord à des innocents une faute commise par un autre, et d'essayer ensuite d'attribuer au sang ce qui appartient à la volonté ?

 

514

 

Aug. Tu répètes les mêmes choses dans des termes identiques , mais sans aucun doute tu ne dis rien de sérieux. Le sang est bon par sa nature, mais il se corrompt, et sa propre corruption engendre d'autres êtres corrompus. Le spectacle des corps peut suffire ici pour te convaincre : quoique leur auteur soit souverainement parfait, et qu'il n'y ait en lui absolument aucune tache, beaucoup d'entre eux cependant naissent dans un état défectueux ; et certes si personne n'avait commis le péché, on ne verrait naître dans le paradis aucun corps de ce genre.

CXXIV. Jul. Est-ce afin de nier aussi la réalité des opérations propres du baptême? et d'attribuer le crime d'une injustice manifeste à Dieu qui est tout équité et qui cesserait d'être Dieu, s'il pouvait cesser d'être juste?

Aug. C'est vous au contraire qui méritez ces reproches : car si les enfants sont sous le poids d'un joug accablant sans l'avoir mérité par un péché quelconque, Dieu est injuste; mais parce que Dieu ne saurait être injuste, il s'ensuit que toi-même tu es, à son égard, coupable de la plus injurieuse et de la plus aveugle calomnie.

CXXV. Jul. D'une injustice, dis-je, tellement manifeste que Dieu lui-même, en promulguant sa loi, a flétri par une sentence particulière cette manière dont tu prétends faussement que ses jugements s'accomplissent.

Aug. Il est écrit dans la loi de Dieu que, si un enfant n'est pas circoncis le huitième jour, son âme sera exterminée du milieu du peuple dont elle fait partie (1) : comment cet enfant a-t-il mérité ce châtiment ? dis-le-moi, si tu peux. Mais cela n'est pas en ton pouvoir; et cependant tu ne cesses de répéter que le péché originel n'existe pas.

CXXVI. Jul. Quelle raison impérieuse t'obligeait donc à prononcer tant de blasphèmes, si le principe sur lequel tu t'appuyais était imaginaire ? Car, ce principe dénué de fondement ressemblait en vérité à je ne sais quelle planche conservée par toi dans cet horrible naufrage, mais que tes bras, vaincus par la fatigue, ont enfin abandonnée, quoique tardivement. Et pour rendre ma pensée plus explicite, je me répète : les hommes ignorants te considéraient généralement comme un manichéen que l'on devait tolérer,

 

1. Gen. XVII, 14.

 

de peur précisément que la grâce de Jésus. Christ ne fût considérée comme produisant des effets différents, suivant les différentes sortes de personnes qui la reçoivent ; or, voici que, sans y avoir été contraint par nous, non-seulement tu adoptes maintenant cette maxime, mais tu as été obligé d'ajouter, comme une conséquence logique des principes posés par toi précédemment, que ces paroles de l'Apôtre : « La grâce de la justification délivre d'une multitude de péchés », peuvent s'accomplir dans la personne des hommes parvenus à l'âge adulte , non pas dans la personne des enfants ; que la grâce se montre beaucoup moins généreuse et moins libérale à l'égard de ceux-ci ; et cependant, quoique cette doctrine soit la tienne, tu confesses qu'elle n'a jamais été enseignée par l'Apôtre.

Aug. On peut lire de nouveau la réponse que je t'ai faite à ce sujet, et l'on comprendra qu'il n'y a rien de sérieux dans tes paroles; quoique, d'autre part, tu ne puisses garder le silence, parce que c'est pour toi un besoin de parler sans cesse. Quand Jésus sauve son peuple des péchés dont il est coupable, la grâce délivre d'une multitude de péchés, en même temps qu'elle opère la justification. Or, les péchés uniques des enfants font, eux aussi, partie de cette multitude de péchés que la grâce remet : comme lors même que le péché originel n'existerait pas, le péché premier et unique des adolescents serait compris dans cette multitude de péchés; et quand ces adolescents se présenteraient pour recevoir le baptême, on ne leur dirait pas : Vous ne pouvez encore être baptisés, parce que vous n'avez pas encore commis un grand nombre de péchés; car la grâce qui justifie délivre d'une multitude de péchés. Ils pourraient en effet répondre avec beaucoup de justesse : Parmi cette multitude d'iniquités que la grâce fait disparaître, se trouvent. les iniquités de chacun de nous en particulier, iniquités plus nombreuses chez les uns, moins nombreuses chez les autres, mais qui toutes ensemble forment une multitude d'iniquités.

CXXVII. Jul. Ainsi, même suivant toi, la grâce, en tant qu'elle confère le don de l'adoption, agit d'une manière uniforme dans tous les âges ; mais en tant qu'elle confère la rémission des péchés, elle n'impute pas à tous les hommes une culpabilité égale. Au reste, (

515) jusqu'ici j'ai fait preuve d'une réserve et d'une patience trop grandes.

Aug. Si tu parles avec réserve quand tu répands dans tes huit livres ces flots de paroles qui sont dirigées contre mon livre unique, ou plutôt contre une partie de mon livre, ta réserve ressemble en vérité à une intempérance sans bornes. Mais, puisque tu as jusqu'à présent agi avec réserve, pourquoi, au lieu d'élever si souvent la voix contre la vérité, n'as-tu pas songé plutôt à épargner ton âme?

CXXVIII. Jul. Dans la discussion précédente, je me suis contenté de prouver que toi-même, après avoir à ce sujet soulevé contre nous la haine et la fureur du peuple, tu enseignes que la rémission des péchés n'est pas accordée à tous les hommes d'une manière identique; de telle sorte que, quand même tu réussirais à persuader aux hommes l'existence de ce péché naturel unique, on devrait encore, par une conséquence évidente et nécessaire, déclarer que l'état des personnes qui s'approchent pour recevoir la grâce n'est pas toujours le même, et que cette parole de l'Apôtre : «La grâce de la justification délivre d'une multitude de péchés », s'accomplit seulement dans les personnes adultes, et non pas dans les petits enfants.

Aug. D'après ton verbiage même, elle ne s'accomplit pas non plus dans les personnes adultes ; car parmi ces personnes un grand nombre ne sont coupables que d'un seul péché (lors même que, comme vous le prétendez, elles seraient exemptes du péché originel); je veux dire celles à qui il arrive de se présenter au baptême après avoir commis le péché pour la première fois ; d'autres sont coupables d'un très-petit nombre, et non pas d'une multitude de péchés : les unes et les autres demeureront donc privées de cette grâce de Jésus-Christ, puisque la grâce de la justification délivre d'une multitude de péchés, et que ces personnes se trouvent coupables seulement d'un ou de quelques péchés raisonner ainsi, n'est-ce pas déraisonner d'une manière ineffable ? Apprends à connaître le Christ qui justifie et qui sauve son peuple d'une multitude de péchés; et comprenant que les péchés uniques ou peu nombreux de certains hommes peuvent être comptés comme faisant partie de cette même multitude, cesse de séparer le sort de ce peuple et celui des petits enfants; crois qu'ils ont, eux aussi, besoin de la médiation de Jésus, lequel est ainsi appelé, uniquement parce qu'il sauve son peuple des péchés dont il est coupable, et assurément les petits enfants font partie de ce peuple.

 

CXXIX. Jul. Mais j'ai le droit d'ajouter maintenant, comme une conséquence rigoureuse, que l'Apôtre n'a pas même soupçonné la transmission du péché enseignée par les Manichéens : il montre en effet qu'on ne pourrait, sans faire une injure gravé 'aux mystères, établir une comparaison absolue entre ceux-ci et les péchés ; ou, en d'autres termes, prétendre que le pouvoir de la grâce pour nous secourir n'est pas plus efficace que celui de l'exemple de la faute première ne l'a été pour nous nuire. Le Maître des nations a donc fait consister la sublime excellence de la foi chrétienne en ce que la puissance de cette foi est supérieure à la puissance du péché : c'est pour cela qu'il a eu soin de déclarer que l'efficacité du remède est- supérieure à celle des anciennes maladies.

Aug. Vous refusez ce remède aux enfants, quand, au mépris de la vérité et par un sentiment hostile à ces enfants eux-mêmes, vous prenez leur défense et prétendez qu'ils sont dans la voie du salut. Mais leur Dieu, qui, de la bouche même de ceux qui sont encore à la mamelle, sait tirer des louanges parfaites en l'honneur de son remède ; Dieu vous fait périr, vous qui travaillez à cette défense ennemie, puisqu'il fait périr l'ennemi et le défenseur.

CXXX. Jul. Il montre ensuite que c'est pour la grâce un titre de gloire, qu'on puisse lui appliquer sans restriction ces paroles : « Le jugement de condamnation vient d'un seul, tandis que la grâce de la justification délivre d'une multitude de péchés ». Comment donc te sera-t-il permis de ravir à la grâce de Jésus-Christ cet éloge par lequel l'Apôtre a voulu en célébrer le mérite? Pourras-tu détruire ce titre de gloire par lequel seul ce vase d'élection a voulu nous faire connaître l'estime et le respect que nous devons avoir pour elle ?

Aug. Cette grâce n'arrive pas jusqu'aux enfants, si, comme vous le prétendez, ils ne se trouvent souillés d'aucun péché ; mais cette souillure existe en eux, et par là même la grâce qui justifie d'un grand nombre de (516) péchés la multitude de ceux qui reçoivent la foi par elle; la grâce, dis-je, guérit aussi les enfants du péché unique dont ils sont coupables, et ainsi par la bouche des petits enfants elle confond les ennemis et les défenseurs dont les lèvres distillent le mensonge.

CXXXI. Jul. Saint Paul a dit : « La grâce de la justification délivre d'une multitude de péchés » ; il a déclaré que l'efficacité du remède est supérieure à celle du péché: cette maxime est conforme à la doctrine catholique ; car, suivant celle-ci, la rémission des péchés s'accomplit dans les hommes en qui on peut découvrir une multitude de fautes commises par le mouvement de la volonté personnelle ; mais dans ceux en qui n'existe pas ce mouvement de la volonté personnelle, c'est-à-dire, dans les enfants, il y a absence de péché unique comme il y a absence de péchés nombreux.

Aug. Ils n'ont donc aucune part au remède du Sauveur, et pour eux le Christ n'est pas Jésus : et toi qui tiens ce langage, tu oses accepter le nom de chrétien! De plus, si, comme tu le déclares, la rémission des péchés s'accomplit exclusivement dans ceux en qui on peut découvrir une multitude de péchés (car telle est l'interprétation que tu donnes à ces paroles de l'Apôtre : « La grâce de la justification délivre d'une multitude de péchés) » ; ils n'ont donc aucune part à la rémission des péchés, ceux qui étant, suivant vous, exempts du péché originel, se présentent au sacrement de la régénération avec un seul péché ou avec des péchés peu nombreux. Voyez l'absurdité d'un tel langage : et vous n'en rougissez pas, et vous n'en êtes pas effrayés, et vous ne vous taisez pas ! Si au contraire les hommes qui commencent à commettre l'iniquité et qui ne sont pas encore coupables d'une multitude de fautes, reçoivent néanmoins la grâce de la justification qui délivre d'une multitude de péchés; pourquoi refusez-vous de compter comme faisant partie de cette même multitude les péchés uniques de tel ou tel homme en particulier? ce refus de votre part ne vient-il pas uniquement du désir impie que vous avez d'exclure les enfants de toute participation à cette grâce? Pourquoi voulez-vous assumer sur votre conscience le poids d'une iniquité plus odieuse encore, en prétendant que les enfants même qui sont plus avancés en âge et qui commencent à commettre le péché, mais qui ne sont encore coupables que d'un péché ou de quelques péchés seulement, et non pas d'une multitude, n'ont pareillement aucune part à cette grâce ?

CXXXII. Jul. Conséquemment, quand l'Apôtre déclare que la puissance de la grâce est supérieure à la puissance du péché, il donne à notre doctrine l'appui de son autorité.

Aug. Dites plutôt qu'il détruit votre doctrine ; car cette grâce dont il déclare la puissance supérieure à la puissance du péché, purifie d'une multitude d'iniquités ; par là même elle peut être communiquée aux petits comme aux grands, et celui qui remet tous les péchés de tous les siens, c'est-à-dire les péchés des petits enfants et des adultes, ne refuse leur pardon à aucun des premiers.

CXXXIII. Jul. Montre-nous maintenant en quel endroit saint Paul a déclaré la puis sance de la grâce égale à la puissance du péché ; afin que, si ta foi n'admet pas que l'efficacité des remèdes ait été déclarée supérieure aux blessures , elle reconnaisse du moins que la première n'est pas inférieure aux secondes. Quand même tu trouverais cette maxime établie quelque part dans l'Ecri. ture, il n'en serait pas moins certain qu'elle est absolument contraire au sentiment de saint Paul ; car l'Apôtre, afin de rendre sa pensée plus saisissable, la résume tout entière en ces quelques mots : « La grâce de la justification délivre d'une multitude de péchés»; or, suivant toi, les enfants ne sont pas coupables d'une multitude de péchés, quoique tu n'admettes pas avec l'Apôtre qu'ils ne sont coupables d'aucun.

Aug. Suivant toi aussi, ceux qui ont commencé à commettre l'iniquité pour la première fois, ne sont pas coupables d'une multitude de péchés ; et cependant tu ne saurais nier que, lorsqu'ils se présentent au baptême, ils participent à cette grâce de la justification qui délivre d'une multitude de péchés.Ainsi les péchés de tout le peuple, dont les enfants, eux aussi, sont une partie, forment une multitude de péchés; quand la grâce de la justification, qui délivre d'une multitude de péchés, est communiquée à ce peuple de la cité de Dieu, elle trouve quelques-uns de ses membres coupables d'un grand nombre de péchés , elle en trouve d'autres coupables d'un petit nombre de péchés; enfin elle trouve les enfants coupables (517) d'un péché unique ; or, tous ces péchés ensemble forment une multitude de péchés, et cette multitude même confond tes paroles aussi vaines qu'elles sont intarissables. Si, au contraire, comme tu le penses, l'Apôtre enseigne que les enfants ne sont coupables d'aucun péché, pourquoi, suivant le même Apôtre, ces enfants sont-ils morts? Car, tu le reconnais toi-même , le Christ est mort aussi pour eux : « Un seul est mort pour tous; donc tous sont morts, et le Christ est mort pour tous (1) ». O Julien, ce n'est pas Augustin, c'est l'Apôtre qui s'est exprimé ainsi; ou plutôt, c'est le Christ qui a parlé par la bouche de son Apôtre : renonce à tes vains discours, soumets-toi à Dieu.

CXXXIV. Jul. Il est donc certain que l'Apôtre n'a point voulu parler en cet endroit des petits enfants, mais de ceux qui se déterminent déjà par le mouvement de leur volonté personnelle.

Aug. Calme les transports qui t'animent dans cette discussion, recueille tes esprits et considère les caractères de ce péché qui a été commis par un seul, qui est lui-même unique et dont il a été dit : « Si beaucoup sont morts à cause du péché d'un seul (2) », — (ici le mot beaucoup désigne précisément la totalité des hommes, dont le même Apôtre dit ailleurs: « Comme tous meurent en Adam (3) » ; — et tu verras que les enfants mêmes sont compris dans ce texte, puisque, de ton propre aveu, le Christ est mort aussi pour eux. Saint Paul, en effet, après avoir dit : « Un seul est mort pour tous », montre aussitôt la conclusion qui ressort nécessairement de ce principe, en ajoutant : « Donc tous sont morts, et le Christ est mort pour tous ».

CXXXV. Jul. Cependant ces paroles que le Maître des nations ajoute ensuite : « Comme c'est par le péché d'un seul que tous ont été frappés de condamnation ; de même aussi c'est par la justice d'un seul que tous les hommes reçoivent la justification (4) » ; ces paroles, dis-je, favorisent notre doctrine aussi manifestement qu'elles contredisent la tienne. Saint Paul employant le mot « tous » dans deux propositions qui expriment des choses contraires l'une à l'autre et absolument inconciliables dans la même personne, nous montre qu'il se sert ici d'une forme de langage familière

 

1. II Cor. V, 14,15. — 2. Rom. V, 15. — 3. I Cor. XV, 22. — 4. Rom. V, 18.

 

aux écrivains sacrés, et que nous devons interpréter le mot « tous » dans le sens de beaucoup. Car, de prime abord, ces paroles présentent une absurdité grossière : comment tous reçoivent-ils la justification , si tous marchent dans la voie de la damnation ? Ou bien, comment tous sont-ils entraînés au supplice, si tous sont élevés au séjour de la gloire ? La généralité de la première hypothèse rend la seconde impossible.

Aug. Conséquemment, quand il. dit ailleurs : « Celui en qui tous ont péché (1) », le mot tous doit être pris alors aussi dans le sens de beaucoup, et non pas dans son sens naturel ; et s'il en est ainsi, tu seras obligé de dire que ce n'est pas l'universalité des pécheurs, mais seulement un grand nombre d'entre eux qui sont devenus coupables en imitant cet homme unique. Si tu prétends au contraire qu'un grand nombre d'hommes seulement, et non pas l'universalité des hommes, sont devenus pécheurs en imitant Adam; par la raison qu'un grand nombre d'entre eux seulement, et non pas l'universalité des hommes, ont commis le péché (afin de désigner par là les enfants comme n'ayant commis aucun péché) ; nous te répondrons que, dans cette hypothèse, les enfants ne sont pas morts en Adam, et par là même que le Christ n'est point mort pour eux; puisque, comme l'Apôtre le déclare hautement, le Christ est mort uniquement pour ceux qui étaient morts : et ainsi tu arriveras logiquement à te contredire toi-même et à exclure de toute participation à la grâce du Christ les enfants pour qui tu seras obligé de dire que celui-ci n'est point mort. Par une conséquence inévitable, tu nieras que ces mêmes enfants aient besoin d'être baptisés en Jésus-Christ. Car, suivant la parole du même Apôtre, « Nous tous qui avons été baptisés en Jésus-Christ, nous avons été baptisés en sa mort (2) » . or, ceux-là seulement sont baptisés en la mort de Jésus-Christ, pour qui Jésus-Christ est mort. Il te sera donc absolument impossible de déclarer que les enfants sont exempts du péché originel, sans déclarer en même temps qu'ils n'ont aucune part à la grâce du baptême de Jésus-Christ. Au reste, quand tu regardes comme se contredisant l'une l'autre, ces deux propositions : Tous sont, pour un fait personnel au premier homme, frappés de condamnation;

 

1. Rom. V, 12. — 2. Id. VI, 3.

 

518

 

tous reçoivent aussi la justification parles mérites de Jésus-Christ, tu te trompes singulièrement. Nul homme ne se trouve, si ce n'est pour un fait personnel à Adam, sous le coup de cette condamnation dont nous sommes délivrés par le sacrement de la régénération ; et, d'autre part, nul homme n'est délivré de cette condamnation, si ce n'est par les mérites de Jésus-Christ : voilà pourquoi le mot tous est employé dans l'une et l'autre proposition : personne, au moment où il est engendré, ne se trouve frappé de condamnation, si ce n'est à cause d'Adam ; personne ne reçoit une vie nouvelle dans le sacrement de la régénération, si ce n'est par les mérites de Jésus-Christ. D'où il suit que la généralité de la première hypothèse ne rend pas la seconde impossible; car, parmi cette multitude d'hommes qui sont tous frappés de mort en Adam , Jésus-Christ communique une vie nouvelle à ceux à qui il lui plaît. Tu ne saurais donc regarder ces deux propositions comme se contredisant l'une l'autre, à moins de te mettre toi-même en contradiction avec ton propre langage.

CXXXVI. Jul. Mais si tu veux apprendre combien, ici encore, l'Apôtre nous favorise, juge de la nature de la blessure par la nature du remède. Si Jésus-Christ a sauvé tous les hommes, il faut supposer aussi qu'Adam a causé un préjudice réel à tous les hommes.

Aug. Parce que Jésus-Christ délivre de la damnation ceux qu'il lui plaît, est-ce une raison pour que tous ne puissent être d'abord frappés de condamnation à cause du péché d'Adam ? Il est dit que Jésus-Christ délivre tous les hommes, précisément parce que nul autre que lui n'opère cette délivrance ; comme il est dit ailleurs qu'il éclaire tout homme (1), en ce sens que Lui seul a le pouvoir de faire pénétrer la lumière dans l'intelligence humaine.

CXXXVII. Jul. Si Jésus-Christ a opéré un changement dans l'office des organes de la génération, on doit croire que ces organes avaient subi, par suite du péché d'Adam, une altération primitive ; si Jésus-Christ a réformé en quelque chose les sens de la chair, on doit en conclure que la faute d'Adam leur avait imprimé une flétrissure; si Jésus-Christ a fait en sorte que le remède fût transmis avec le sang, il faut dire aussi que le premier

 

1. Jean, I, 9.

 

homme a transmis son péché par la voie de la génération.

Aug. Il a déjà été répondu à ces arguments; mais écoute encore cette réponse en deux mots. Si tu étais un chrétien catholique, tu comprendrais qu'Adam nous transmet son péché au moment où nous sommes engendrés de lui, et que Jésus-Christ nous remet ce même péché au moment où, à son tour, il nous engendre à une seconde vie.. Mais la génération que nous recevons d'Adam est une génération charnelle, tandis que la régénération que nous recevons en Jésus-Christ est une régénération spirituelle. Cesse donc de chercher dans tous deux la transmission du sang; car, si tu n'oses l'affirmer, tu n'en es pas moins, mal. gré toi, obligé de reconnaître intérieurement que cette transmission n'a pas lieu dans la ré. génération spirituelle. La grâce de Jésus-Christ lutte aujourd'hui contre la faiblesse de la chair, et ultérieurement elle rétablira celle. ci dans un état d'intégrité parfaite ; dès cette vie elle nous a donné, comme gage de cette intégrité future et éternelle, l'Esprit-Saint (1), par qui la charité est répandue dans nos coeurs (2), afin que nous ne soyons pas vaincus par la faiblesse de la chair qui subsiste jusqu'à notre mort comme une source de luttes salutaires.

CXXXVIII. Jul. Si au contraire tous ces organes de la chair subsistent dans le même état où ils ont été établis primitivement par la nature; si la volonté humaine est amenée à la foi par des exhortations, par des prodiges, par des exemples, par des promesses de récompenses ou par des menaces de châtiments; et sans y être contrainte par aucune nécessité, si cette même volonté reçoit sa guérison par le moyen d'instructions, de mystères, de bienfaits gratuits; non point d'une manière violente, mais en conservant la plénitude de sa liberté, après avoir été attendue et appelée précédemment; il est manifeste, alors même que l'univers tout entier, rugissant à l'unisson ou possédé d'une rage commune, prétendrait le contraire, il est manifeste, dis-je, que ce n'est point la naissance, mais la volonté de chacun qui a été souillée par l'imitation du péché.

Aug. A quelques arguments que tu aies recours, tu ne réussiras pas à établir que les enfants sont exempts du péché originel, avant

 

1. II Cor. V, 5. — 2. Rom. V, 5.

 

519

 

d'avoir nié que ces enfants soient morts ; mais si tu nies ce fait, tu nieras en même temps que Jésus-Christ soit mort pour eux si au contraire, pour échapper à cette dernière conclusion, tu confesses que les enfants sont morts, sans aucun doute tu ne pourras nier qu'ils sont morts en Adam : ou bien, s'ils ne sont point morts de cette manière, dis-nous comment ils sont morts.

CXXXIX. Jul. Du reste, j'ai fait preuve jusqu'ici d'une indulgence excessive ; car, lors même qu'il serait vrai de dire que Jésus-Christ, depuis le jour où il est venu sur la terre, a fermé pour tous les hommes le chemin de la mort et leur a communiqué une vie qui ne doit pas finir, et qu'ainsi depuis le jour où le Verbe s'est fait chair, personne ne saurait plus tomber dans le péché, ni redouter les châtiments du péché; il ne s'ensuivrait pas qu'il nous a, par un acte de miséricorde suprême, délivrés ainsi des suites funestes du premier péché : car Dieu peut bien secourir et il secourt en effet très-souvent des hommes qui n'ont point mérité cette faveur, et en cela sa miséricorde est tout à fait digne d'éloges; mais il ne saurait, sans renverser tous les principes de la justice, punir ceux qui sont exempts de péché.

Aug. Conséquemment, puisque les enfants subissent un châtiment et qu'un joug accablant pèse sur eux dès le jour où ils sortent du sein de leur mère, reconnais la justice des jugements de Dieu et confesse l'existence du péché originel. Car, tu l'as déclaré toi-même, Dieu ne pourrait, sans renverser les principes de la justice, infliger à des créatures raisonnables un châtiment qu'elles n'auraient mérité par aucune sorte de péché.

CXL. Jul. Considère donc quelles sont les conclusions de toute cette discussion. Si, malgré la différence qui les sépare, on devait établir une certaine parité entre les effets de la grâce de Jésus-Christ et les effets de là fauté d'Adam; ou, pour parler plus clairement, s'il y avait du moins égalité numérique entre les opérations de l'une et les opérations de l'autre, bien que celles-ci soient, par leur nature même, opposées à celles-là; il faudrait enseigner que `là grâce a sauvé autant d'hommes que la faute première en avait perdus, et que sous ce rapport il n'y a absolument aucune différence entre la première et la seconde. Dans cette hypothèse aussi, le remède aurait dû être appliqué exactement aux endroits mêmes que le mal aurait atteints; en d'autres termes, si le péché antique avait exercé une influence quelconque sur les mouvements de la chair, sur les organes de la génération et sur la honte qui y est attachée; enfin sur l'état malheureux où naissent les enfants, le remède apporté par la grâce aurait détruit précisément ces effets du péché d'Adam : autrement l'impuissance et l'inutilité de cette grâce seraient démontrées clairement par le fait même qu'elle n'aurait pu découvrir I'endroit de la maladie et que, au lieu de rétablir la nature dans la force et l'intégrité de son état primitif, elle n'aurait fait qu'appliquer à la volonté des remèdes sans valeur.

Aug. Il a déjà été répondu à cela quand nous avons parlé de la différence qui existe entre le siècle présent et le siècle futur (1). Aujourd'hui, en effet, nous recevons par un don de l'Esprit la force de combattre et de remporter la victoire; dans le siècle futur, au contraire, n'ayant plus d'ennemi ni extérieur, ni intérieur, nous jouirons d'une paix ineffable et éternelle. C'est pourquoi, quiconque prétend posséder ici-bas tous les biens dont la possession est réservée au siècle futur, montre par là même qu'il ne possède point le don de la foi.

CXLI. Jul. Mais, entre ces deux extrêmes, la vérité nous enseigne que, lors même que le remède accordé à l'humanité en général serait également utile à tous les hommes en particulier, à ceux même qui ne l'auraient mérité aucunement, ni par leurs désirs, ni par leurs efforts ; il ne faudrait pas en conclure que le péché d'Adam nuit aux petits enfants , puisqu'ils n'ont pu y donner un consentement volontaire. D'où il suit que, supposé même que l'on dût regarder la grâce et le péché comme ayant une égale puissance, il serait encore manifeste que cette manière d'apprécier l'une et l'autre ne suffirait pas pour prouver qu'un seul homme naît coupable.

Aug. Il est certain qu'un joug accablant pèse sur les petits enfants ; comment alors Dieu peut-il être juste, si aucun homme n'est coupable en naissant?

CXLII. Jul. Or, non-seulement l'Apôtre n'a point enseigné que la puissance de la grâce

 

1. Ci-dessus, ch. XCIII, XCIV, CVI.

 

520

 

est inférieure à la puissance du péché, mais il a déclaré que la première est supérieure à la seconde, quand il a dit que le nombre de ceux qui ont participé aux fruits abondants de la grâce est supérieur au nombre de ceux qui ont éprouvé les funestes effets du péché; d'autre part, suivant la doctrine des partisans de la transmission, il est certain que le péché a été beaucoup plus nuisible que la grâce n'a été utile; il est donc prouvé, d'une manière tout à fait irréfutable, que l'apôtre saint Paul n'a pas dit un seul mot de la transmission du péché, et que, de plus , son enseignement confond également les partisans de cette doctrine et les Manichéens leurs maîtres.

Aug. L'apôtre saint Paul n'a point dit : « Le nombre de ceux qui ont participé aux fruits abondants de la grâce est supérieur au nombre de ceux qui ont éprouvé les funestes effets du péché » ; il n'a point parlé ainsi ; tu te trompes complètement, si toi-même tu ne cherches pas à tromper les autres. Il a dit que la grâce s'est répandue sur un grand nombre d'une manière beaucoup plus abondante; il n'a point dit qu'elle s'est répandue sur un plus grand nombre, mais qu'elle a été plus abondante. Car, en comparaison de ceux qui se perdent, le nombre de ceux qui parviennent au salut est petit ; mais, cette comparaison écartée , ce même nombre est considérable en lui-même. Pourquoi cependant les uns sont-ils plus nombreux que les autres? C'est un dessein de Dieu dont beaucoup d'hommes voudraient pénétrer le secret; mais en réalité ce secret n'est dévoilé qu'à un très-petit nombre, ou même à aucun d'entre eux absolument. Le Tout-Puissant pourrait ne pas créer ceux que, dans sa prescience absolue, il ne peut ignorer devoir être mauvais ; mais, étant lui-même infiniment bon, il sait qu'il pourra faire un usage excellent de la perversité même du plus grand nombre; c'est pourquoi l'Apôtre nous enseigne à ce sujet que Dieu a voulu par là manifester sa colère et sa puissance dans ceux qu'il a laissés, avec une extrême patience, devenir des vases de colère, et qu'il a voulu en même temps faire connaître les richesses de sa gloire sur les vases de miséricorde (1). Mais les Pélagiens refusent de croire que, dans un seul homme, la masse tout entière a été corrompue et tout entière

 

1. Rom. IX, 22, 23.

 

condamnée, corruption et condamnation dont la grâce seule nous guérit et nous délivre. Pour. quoi, en effet, le juste est-il à peine sauvé (1)? Est-ce que la délivrance du juste est une oeuvre difficile à Dieu ? Non, assurément; mais afin qu'il soit manifeste que la nature humaine a mérité d'être condamnée, celui-là même qui est tout-puissant ne veut pas la délivrer facilement d'un état si déplorable; c'est pourquoi, ceux en qui ne brûle pas le feu de l'amour divin sont entraînés par un penchant violent à commettre le péché et rencontrent de grandes difficultés dans la pratique de la justice; mais la charité qui allume dans les autres les flammes de cet amour vient de Dieu (2).

CXLIII. Jul. Mais je donne à cette discussion des développements trop étendus; poursuivons.

Aug. Tu fais cette déclaration, comme si tu devais traiter les questions suivantes d'une manière plus concise, tandis qu'en réalité tu cherches uniquement, par ton verbiage sans fin et par tes discours mensongers, à obscurcir des maximes de l'Apôtre qui sont manifestes comme l'évidence même.

CXLIV. Jul. « Saint Paul a dit que tous sont frappés de condamnation pour un fait personnel à Adam, et que tous reçoivent la justification de la vie parla médiation de Jésus-Christ, quoique en réalité Jésus-Christ ne transfère pas à la vie tous ceux qui meurent en Adam ; mais il a employé le mot tous dans l'un et l'autre cas, parce que, comme personne n'est frappé de mort, si ce n'est par suite d'un fait personnel à Adam, de même aussi personne ne reçoit la vie, si ce n'est par suite des mérites de Jésus-Christ. C'est ainsi que, en parlant d'un professeur de belles-lettres, nous disons, s'il est seul dans la cité : Cet homme enseigne ici les lettres à tout le monde ; non pas en ce sens que tous les habitants de la cité s'appliquent à l'étude des lettres, mais en ce sens que personne ne les apprend, si ce n'est de la bouche de ce maître. D'ailleurs, après avoir employé le mot tous, il dit ensuite un grand nombre; et cependant, ces deux expressions différentes désignent, dans sa pensée, les mêmes personnes : De même que par la a désobéissance d'un seul homme un grand nombre ont été constitués pécheurs, de même aussi, par l'obéissance d'un seul, un

 

1. I Pierre, IV, 18. — 2. I Jean, IV, 7.

 

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grand nombre seront établis dans la juslice (1). Que notre adversaire demande encore comment un enfant peut se trouver coupable de péché. Les saintes pages lui répondent: « Le péché est entré dans le monde par un seul homme (2) ». Si nous confessons que les pages de l'Apôtre méritent le titre de saintes, c'est uniquement parce que, étant conformes à la raison, à la piété, à la foi, elles nous apprennent à croire que la justice de Dieu est, par sa perfection, au-dessus de toute atteinte; parce qu'elles nous apprennent à défendre les oeuvres de ce même Dieu comme bonnes et équitables; à proclamer que ses préceptes ont été dictés par une sagesse infiniment éclairée et qu'ils sont conformes aux principes de la justice...

Aug. L'équité de Dieu à l'égard des enfants est elle-même une preuve de la fausseté de ta doctrine; car Dieu serait coupable d'une injustice révoltante si les enfants, exempts de toute souillure, n'avaient mérité en aucune manière de subir le joug accablant qui pèse sur eux.

CXLV. Jul. Et par là même à nier qu'aucun homme puisse être condamné pour le péché d'un autre; à nier qu'un péché quelconque soit transmis avec le sang par suite de l'état où se trouve la nature humaine ; parce qu'elles nous apprennent à croire et à affirmer hautement que l'homme engendré suivant les lois établies par Dieu, trouve, dans sa propre conscience , des règles capables de diriger son libre arbitre dans la voie de la justice, et par là même le pouvoir d'éviter tout ce qui est mal et d'accomplir tout ce qui est bien. D'où il suit que cet homme ne doit point croire, comme vous l'enseignez, que l'affection au péché et la nécessité de le commettre lui viennent de la source d'où il a reçu sa propre substance; en d'autres termes, du sang dont il a été formé ; il ne doit point regarder cette maxime également opposée à la raison et au bon sens, cette maxime impie qui outrage à la fois la nature, la raison et Dieu; il ne doit point la regarder comme étant contenue dans le livre de l'Apôtre, sous prétexte que celui-ci a enseigné que le péché est entré dans ce inonde par un seul homme, et que la mort a passé ainsi dans tous les hommes (3); car saint Paul, afin de ne laisser

 

1. Rom. V, 19. — 2. Des Noces et de la Conc., liv. II, n. 46, 47. — 3. Rom. V, 12.

 

subsister aucune obscurité à cet égard, ajoute presque aussitôt que le mot tous, employé d'abord par lui, doit être considéré comme désignant la multitude de ceux qui se seraient rendus coupables de péché par des actes d'imitation, non point par le fait même de leur génération.

Aug. Peux-tu prétendre qu'Abraham ne reçut pas la promesse d'avoir pour postérité toutes les nations, quand il lui fut dit: « Dans ta race seront bénies toutes les nations (1) », sous prétexte qu'en un autre endroit le mot tous est remplacé par les mots : un grand nombre : « Je t'ai établi le père d'un grand nombre de nations (2)? » Peux-tu, dis-je, tenir ce langage, et, par tes vains discours, contredire les prédictions faites en ce même endroit de l'Ecriture et que nous voyons accomplies par les événement.; enfin, peux-tu nous empêcher nous-mêmes de regarder comme désignant toutes les nations les termes d'une promesse où il n'est pas question d'autre chose que de toutes les nations, et cela parce qu'il te plaît d'enseigner, dans une dialectique à toi, que le mot toutes est employé et doit être interprété comme désignant, non pas toutes les nations, mais un grand nombre de nations à l'exclusion des autres? Si au contraire, quoique le mot beaucoup puisse, à la vérité, être interprété dans un sens différent du mot tous, cette dernière expression cependant peut très-bien, lors même qu'elle est employée dans son sens propre,être remplacée par le mot beaucoup, quand on ne veut pas que la totalité dont il s'agit soit regardée comme renfermant un petit nombre d'individus (car, par exemple, ces saints que le feu de la fournaise n'eut pas le pouvoir de consumer, chantaient tous les louanges de Dieu au milieu des flammes inoffensives, et cependant à eux tous ils ne formaient qu'un petit nombre, puisqu'ils n'étaient que trois (3));quelle est la valeur de cet argument par lequel tu prétends établir que le mot tous ne doit pas être interprété comme indiquant une totalité réelle, sous prétexte que les mêmes personnes sont désignées ailleurs par les mots de un grand nombre? Lorsqu'il s'agit d'une totalité véritable, on se sert quelquefois du mot beaucoup, afin précisément de montrer que la totalité dont on parle renferme un grand nombre d'unités, et non pas quelques unités

 

1. Gen. XXII, 10. — 2. Id. XVII, 5. — 3. Dan. III, 49-51.

 

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seulement. Par exemple, quand on parle de tous les cheveux de l'homme, on peut les désigner sous le nom de multitude ; mais quand on parle de la totalité des doigts de l'homme, cette expression ne saurait plus être employée.

CXLVI. Jul. Enfin l'Apôtre a dissipé toutes les obscurités dont sa thèse pouvait être enveloppée, quand il a dit: « De même que par la désobéissance d'un seul homme beaucoup ont été constitués pécheurs, de même aussi, par l'obéissance d'un seul, beaucoup seront établis dans la justice (1) » ; ainsi, de même que personne n'obtient la récompense promise à la vertu, sinon celui qui, depuis l'incarnation de Jésus-Christ seulement, s'efforce de la mériter en imitant la sainteté de l'Homme-Dieu, de même aussi personne ne participe à la souillure d'Adam, sinon celui qui imite le premier homme en transgressant la loi et en commettant le péché.

Aug. Voilà précisément le venin caché et tout à fait abominable de votre hérésie : vous prétendez que la grâce de Jésus-Christ consiste dans les exemples qu'il nous a laissés, et non pas dans un don proprement dit qu'il nous a fait : suivant vous, c'est par l'imitation de Jésus-Christ que l'on devient juste, et non point par l'assistance du Saint-Esprit qui conduit les hommes à cette imitation et que le Seigneur a répandu sur les siens avec une libéralité magnifique; vous ajoutez avec une attention presque scrupuleuse : « Depuis l'incarnation de Jésus-Christ seulement », sans doute à cause des anciens que vous prétendez avoir pratiqué la justice sans le secours de la grâce, par la raison qu'ils n'ont pas eu l'exemple de Jésus-Christ. Que direz-vous donc, si, même après l'accomplissement du mystère de l'incarnation, certains hommes, sans avoir encore entendu annoncer l'Evangile, entreprennent d'imiter les justes qui ont vécu avant eux et vivent eux-mêmes dans la justice ? Quelle argumentation est la vôtre ! Où en êtes-vous? Ces hommes ne mériteront-ils pas alors les récompenses dues à la vertu? Par une conséquence également nécessaire, si l'on devient juste en imitant les hommes qui ont pratiqué la justice, c'est en vain que Jésus-Christ est mort (2) : car il y a eu avant lui des hommes justes qui pouvaient être imités par ceux qui auraient voulu être justes.

 

1. Rom. V, 18. — 2. Gal. II, 21.

 

Pourquoi, d'ailleurs, l'Apôtre ne dit-il pas: Soyez les imitateurs de Jésus-Christ comme je le suis moi-même; mais : « Soyez mes imitateurs, comme je le suis moi-même de Jésus-Christ (1) ? » A-t-il donc voulu remplacer lui-même le Christ à l'égard des Corinthiens? Voyez-vous combien sont détestables les conséquences de vos principes, quand, au lieu de vous en tenir au texte de l'Apôtre qui parle uniquement d'Adam et de Jésus-Christ, vous prétendez opposer l'imitation de celui. ci à l'imitation de celui-là, et non pas remédier au vice de notre génération première par la génération nouvelle ?

CXLVII. Jul. Mais il enseigne en même temps que la grâce de Jésus-Christ est communiquée à des âmes innocentes qui n'ont point participé à la faute d'Adam : c'est pour quoi il a soin d'ajouter en des termes encore plus explicites : « La grâce de Dieu et le don d'un seul homme, Jésus-Christ, se sont répandus d'une manière beaucoup plus abondante sur un plus grand nombre (2) » ; d'où il suit que la parité établie dans les paroles que nous venons de rapporter, consiste uniquement en ce que, parmi les personnes qui sont parvenues à l'âge de raison, les unes imitent le premier homme en obéissant à leurs inclinations mauvaises, tandis que les autres imitent Jésus-Christ en s'efforçant de pratiquer le bien; mais la prééminence attribuée ici à la munificence de la grâce, prouve que celle-ci consacre et rend plus parfaites des âmes qui sont déjà dans un état d'innocence. Ces principes posés, tu dois voir que l'Apôtre combat ta doctrine, et non pas la mienne; tu dois comprendre que ses traits sont dirigés contre toi seul; car tes maximes, qui sont aussi celles de ton maître Faustus, lequel t'a donné les premières notions de ta science hérétique; tes maximes, dis-je, pourraient, à défaut d'autre texte, être réfutées sans réplique par le texte seul où saint Paul déclare que, par la désobéissance d'un seul, un grand nombre d'hommes, et non pas tous les boni. mes, ont été constitués pécheurs, et que, par l'obéissance d'un seul, non pas tous les hommes, mais un grand nombre d'entre eux seulement ont été établis dans la justice. Mais, afin de rendre plus manifeste encore aux yeux du lecteur la contradiction qui règne entre ta doctrine et ces paroles de l'Apôtre:

 

1. I Cor. XI, 1. — 2. Rom. V, 15.

 

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Celui-ci déclare que  tous les hommes n'ont pas été constitués pécheurs par suite du péché d'Adam; tu affirmes, toi, que par suite de ce même péché d'Adam, tous les hommes sans exception contractent un péché naturel et se trouvent soumis à la puissance du démon

on ne peut plus douter que ta doctrine et celle de saint Paul soient directement opposées l'une à l'autre.

Aug. Saint Paul, parlant des mêmes personnes, emploie tantôt le mot « tous », et tantôt ces autres mots : « un grand nombre »; dans sa pensée, cette dernière expression ne détruit pas le sens de la première; autrement, il se contredirait lui-même, comme votre perversité cherche à nous le faire croire, ou comme votre aveuglement vous le fait croire faussement à vous-mêmes. L'Apôtre donc ayant employé, pour désigner les mêmes personnes, tantôt le mot « tous », et tantôt ces autres mots: «un grand nombre », j'ai démontré, moi, que ces deux expressions ne se contredisent pas réciproquement; que la totalité des hommes a pu très-bien être désignée sous le nom de «La multitude des hommes», par la raison précisément que le mot tous s'applique parfois à un petit nombre de personnes ou de choses toi au contraire, en déclarant que l'on ne doit pas entendre « tous les hommes », là où l'Apôtre dit: « tous les hommes », tu montres sans aucun doute, et de la manière la plus convaincante, que ta doctrine est en contradiction avec celle de ce même Apôtre.

CXLVIII. Jul. En effet, quand vous dites, Manès et toi : Tous les hommes sont naturellement pécheurs, saint Paul dit au contraire: Un grand nombre d'hommes, non pas tous les hommes, sont pécheurs; et par là, il écarte du sang dont nous avons été formés une accusation qui doit peser sur notre conduite, et il détruit la doctrine du péché originel. Mais, afin de rendre plus sensible encore l'argument que nous avons établi : Suivant les paroles explicites de l'Apôtre, on doit entendre qu'un grand nombre d'hommes sont devenus pécheurs par suite de la désobéissance d'Adam ; et qu'un grand nombre aussi sont devenus justes par suite de l'obéissance de Jésus-Christ; or, cette manière de s'exprimer est une preuve manifeste que, dans la pensée de saint Paul, ceux qui sont justes ne sont lias les mêmes hommes que ceux qui sont coupables : quelle est donc ton impudence, d'oser chercher dans ces paroles des arguments pour établir l'existence d'un péché naturel? Car, quand tu enseignes que tous les hommes naissent coupables par suite du péché d'Adam, et que par là même ils sont la propriété du démon, mais que quelques-uns parmi eux sont ensuite délivrés de cette condition malheureuse par les mérites de Jésus-Christ, ton langage n'est pas le même que celui de l'Apôtre, puisque, suivant lui, tous les hommes n'ont pas été constitués pécheurs par suite de la désobéissance d'Adam, mais seulement un grand nombre d'entre eux.

Aug. Nous avons montré déjà que l'on peut, sans aucune contradiction, employer pour désigner les mêmes personnes, le mot tous » et les mots . « un grand nombre »; c'est pour cette raison que l'Apôtre dit tantôt: « un grand nombre » d'hommes, et tantôt: « tous » les hommes : ce n'est pas le texte de saint Paul, mais le tien seul, qui fait mention d'une partie du genre humain ; d'où il suit que ton langage se trouve en contradiction avec celui de l'Apôtre. Or, ce que dit l'Apôtre est incontestablement vrai, et par là même ce que tu dis, toi, est incontestablement faux. D'autre part, tu as écrit (1) que « l'Apôtre a pris soin d'ajouter en des termes encore plus explicites : La grâce de Dieu et a le don d'un seul homme, Jésus-Christ, se sont répandus d'une manière beaucoup plus abondante sur un plus grand nombre d'hommes »; tu as voulu faire entendre par là que saint Paul a dit : « un plus grand nombre d'hommes », parce que la grâce de Jésus-Christ est communiquée aux enfants qui n'ont pas eu encore le pouvoir d'imiter le premier homme ; or, ou bien ta bonne foi a été surprise par un exemplaire incorrect, ou bien tu veux toi-même surprendre la bonne foi de tes lecteurs, ou bien tu as été induit en erreur par un faussaire, ou enfin tu as été trompé par ta propre mémoire. Car l'Apôtre ne dit pas : « un plus grand nombre », mais seulement : « un grand nombre ». Prends le texte grec : tu y liras pollous, (un grand nombre) et non pas pleistous (un plus grand nombre). Ainsi, l'Apôtre a dit que la grâce s'est répandue d'une manière beaucoup plus abondante sur un grand nombre, et non pas sur un plus grand nombre d'hommes, ainsi que nous l'avons déjà démontré : s'il avait employé cette expression : «un plus grand nombre », à cause des petits enfants qui participent

 

1. Au chapitre CXLVII.

 

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à la grâce, quoiqu'ils n'aient pas eu encore le pouvoir d'imiter le premier homme, il aurait parlé contrairement à la vérité, et il serait devenu semblable à vous-mêmes. En effet, si l'on compare tous ceux qui ont imité Jésus-Christ depuis son incarnation, en ajoutant à ce nombre les petits enfants régénérés par le baptême, avec les pécheurs que vous prétendez être tous, par une détermination de leur libre arbitre , des imitateurs du premier homme, et qui ont commis ou qui commettront volontairement le péché, depuis Adam jusqu'à la fin du monde; on voit manifestement de quel côté est le plus grand nombre, et votre interprétation contraire à la réalité des faits tombe d'elle-même.

CXLIX. Jul. Si la pensée de l'Apôtre avait ressemblé en quelque chose à la tienne, il aurait dû dire : Tous les hommes ont été constitués pécheurs par suite de la désobéissance d'un seul, mais par suite de l'obéissance de Jésus-Christ quelques-uns d'entre eux sont rentrés dans la voie de la justice. Voilà sans aucun doute en quels termes il aurait dû s'exprimer, s'il avait voulu enseigner la doctrine que tu lui prêtes. Mais, à côté de cette maxime il n'aurait pu établir cette autre , savoir, que la grâce de Jésus-Christ a été beaucoup plus 'utile aux hommes que l'iniquité d'Adam ne leur avait été nuisible. Conséquemment, lors même que nous ne connaîtrions en aucune manière l'usage qui a autorisé saint Paul à dire qu'un grand nombre d'hommes ont été constitués pécheurs par suite de la désobéissance d'un seul homme, nous ne devrions pas moins considérer comme un fait incontestable que cet Apôtre ne parle point d'un péché d'origine, puisqu'il parle d'une chose qui, suivant ses déclarations les plus explicites, est propre à un grand nombre d'hommes, et non pas à tous les hommes.

Aug. Par rapport à ces mots : « Un grand nombre, tous », il a déjà été répondu suffisamment. Mais est-il étonnant que l'Apôtre ne se soit pas exprimé de la manière dont tu affirmes qu'il aurait dû le faire, s'il avait enseigné la doctrine que nous enseignons ? Quand même, ainsi que vous le prétendez, saint Paul aurait dit que, par suite du péché d'un seul, un grand nombre d'hommes ont été constitués pécheurs, de telle sorte que par ces mots : un grand nombre, on ne pût entendre tous les hommes, mais ceux-là seulement qui, imitant

le premier homme, ont commis le péché par leur volonté personnelle ; il n'en serait pas moins incontestable que le même Apôtre n'a point ajouté : Quelques-uns, parmi ce grand nombre, ont été justifiés par suite de l'obéis sauce de Jésus-Christ, quoique cette proposition soit parfaitement vraie. Comment donc peux-tu avancer que, « si la pensée de l'Apôtre avait ressemblé en quelque chose à la nôtre, il aurait dû dire : Tous les hommes ont été constitués pécheurs par suite de la désobéissance d'un seul, mais quelques-uns d'entre a eux sont rentrés dans la voie de la justice par suite de l'obéissance de Jésus-Christ ? » Comme si vous ne reconnaissiez pas vous-mêmes que, parmi les transgresseurs de la loi, lesquels, suivant vous, méritent seuls le nom de pécheurs en tant qu'ils ont imité la prévarication d'Adam, quelques uns ont été justifiés de nouveau par suite de l'obéissance de Jésus-Christ. Nous pouvons donc vous dire, nous aussi à notre tour : Si la pensée de l'Apôtre avait ressemblé en quel que chose à la vôtre, sans aucun doute il aurait dû s'exprimer ainsi : Un grand nombre d'hommes, non pas tous les hommes, ont été constitués pécheurs par suite de la désobéissance d'un seul ; mais aussi, parmi ce grand nombre, quelques-uns sont rentrés dans la voie de la justice par suite de l'obéissance de Jésus-Christ. Ou plutôt, si sa pensée avait eu quelque chose de commun avec la vôtre, il aurait dû s'exprimer d'une manière beau. coup plus explicite encore et dire: « la vérité, un grand nombre de Juifs ont été constitués pécheurs par suite de la désobéissance d'un seul homme, parce due, après avoir reçu la loi, ils ont commis le péché en imitant la prévarication de cet homme ; mais aussi parmi ce grand nombre quelques-uns ont été justifiés par suite de l'obéissance de Jésus-Christ. Or, si nous n'avons pas le droit de nous auto riser, pour vous condamner, de ce fait seul que l'Apôtre ne s'est pas exprimé de la manière dont j'ai dit qu'il aurait dû le faire, supposé que sa pensée eût été la même que la tienne ; manifestement tu n'as pas, toi non plus, le droit de t'autoriser, pour me condamner, de ce fait seul que l'Apôtre ne s'est pas exprimé de la manière dont tu prétends qu'il aurait dû le faire, si sa pensée avait été la même que la mienne. Conséquemment, puis. que saint Paul s'est exprimé de la manière  (525) dont il a jugé à propos de s'exprimer, il ne s'agit plus que de savoir quel est, de nous deux, celui dont la doctrine est conforme à la sienne; mon enseignement est-il le même que l'enseignement de l'Apôtre, quand je dis que ces paroles, écrites par lui, sont le langage de la vérité même : « Par le péché d'un seul tous les hommes sont tombés dans la condamnation » ; et ces autres : « Par la désobéissance d'un seul un grand nombre d'hommes ont été constitués pécheurs (1) » ; parce que l'on peut, sans aucune contradiction, dire que ces mots : un grand nombre d'hommes, désignent tous les hommes, et réciproquement? ou bien toi-même au contraire es-tu l'interprète fidèle de la pensée de saint Paul, quand tu dis : Dans l'épître aux Romains ces mots: Un grand nombre d'hommes, désignent réellement un grand nombre d'hommes ; mais ces autres mots : tous les hommes, ne désignent pas tous les hommes?

CL. Jul. Après avoir donc dévoilé cette ignorance ou cette impudence qui t'empêche de vouloir ou de pouvoir donner une interprétation du texte de l'Apôtre ; après avoir démontré à la clarté lumineuse de la vérité, que le Christ a déclarée n'être pas autre que lui-même (2) ; après avoir démontré, dis-j e, que rien dans les paroles de saint Paul ne saurait servir d'appui aux sottises Manichéennes, c'est-à-dire à vos propres sottises ; nous allons nous appliquer maintenant à donner l'explication du texte de saint Paul, et comme nous avons montré en quel sens il ne peut être entendu, nous établirons d'une manière évidente quelle est l'interprétation qui peut et qui doit y être attachée.

Aug. Tu es tellement éloigné de la vérité, ton impuissance à trouver une interprétation contraire au sens manifeste des paroles de l'Apôtre est si absolue, que tu flétris du nom de manichéisme la doctrine que tant de saints et illustres docteurs ont vue dans ces mêmes paroles, quoiqu'ils fussent guidés dans leur croyance et dans leurs enseignements à ce sujet par la tradition de l'Eglise catholique (d'ailleurs étant doués d'une raison saine ils ne pouvaient interpréter d'une manière différente des paroles aussi explicites); et cependant, quelqu'infecté que soit ton esprit du venin de l'hérésie Pélagienne, tu es obligé de reconnaître que ces docteurs n'étaient point des Manichéens.

 

1. Rom. V, 18, 19. — 2. Jean, XIV, 6.

 

CLI. Jul. L'Apôtre écrit aux Romains à une époque où le mélange des Juifs et des Gentils commençait déjà à exister, et où les Eglises étaient composées également des uns et des autres. Il entreprend de mettre fin aux querelles qui divisaient ces deux peuples. D'abord, il déclare hautement aux Gentils qu'ils ne sauraient trouver dans leur ignorance de la loi une excuse capable de justifier l'impiété dont ils se sont rendus coupables quand ils ont rendu l'honneur qui n'est dû qu'à Dieu, à de vaines images représentant, soit un homme, soit des oiseaux, soit des quadrupèdes, soit des reptiles ; car, sans autres lumières que celles de leur raison naturelle, ils ont pu connaître, par les oeuvres de la création , sinon les rites et les cérémonies judaïques, au moins Dieu tel qu'il se révèle dans les êtres que sa main toute-puissante a formés; quoique sa nature elle-même soit voilée à nos regards comme le plus impénétrable de tous les mystères. De plus, la conscience personnelle faisait connaître à chacun les préceptes de la loi qui se rapportent à l'honnêteté de la conduite ; elle lui apprenait, par exemple, à ne point faire souffrir au prochain ce qu'il n'aurait pas voulu qu'on lui fît souffrir à lui-même; s'appuyant donc sur ce principe, l'Apôtre établit d'une manière irréfutable que l'impiété des Gentils peut très-justement être condamnée, sinon par la loi elle-même, du moins par cette justice première qui a dicté la loi, et au tribunal de laquelle ceux qui ont péché sans ta loi, périront aussi sans la loi. Mais il importait surtout de réprimer l'orgueil extrême des Juifs qui étaient remplis de mépris pour les Gentils et qui, prétendant trouver pour eux-mêmes un sujet de gloire dans les purifications de la loi, estimaient nécessairement que la grâce de Jésus-Christ, en tant qu'elle remet les péchés, avait été plus avantageuse aux Gentils qu'à eux-mêmes; puisque, grâce aux enseignements de la loi, ils avaient, eux Juifs, évité le péché. C'est pourquoi. l'Apôtre accable ceux-ci sous le poids d'une argumentation pressée ; il démontre qu'ils ont eu une part d'autant plus grande aux faveurs de la miséricorde divine, que, après avoir été instruits par les maximes de la loi, ils ont commis le péché avec une conscience parfaitement éclairée; il prouve par là même qu'ils ont été coupables et qu'ils auraient pu être sévèrement condamnés au (526) tribunal de celui qui est la justice même et qui jugera par la loi ceux qui auront péché sous la loi : « Car ceux qui écoutent la loi, ne sont point pour cela justes devant Dieu; mais les observateurs de la loi seront justifiés (1) ». Après ce début, les raisonnements que saint Paul établit dans tout le cours de son livre, ont pour but tantôt de réprimer l'orgueil des Juifs, tantôt de rendre impossible aux Gentils toute excuse mensongère, afin de montrer que le remède apporté par Jésus-Christ a été également utile à l'un et à l'autre peuple;....

Aug. Vous refusez vous-mêmes ce remède aux petits enfants que la loi ordonnait expressément de circoncire le huitième jour, figurant ainsi d'avance la grâce de celui dont le jour du Seigneur , c'est-à-dire le huitième jour après le septième, le Sabbat, nous a montré la résurrection; et vous n'avez ni le pouvoir ni la volonté de considérer que l'enfant qui meurt sans avoir reçu la grâce de Jésus-Christ, est réservé à une perte inévitable, de même que .aux termes de la loi, l'âme de l'enfant non circoncis devait être exterminée du milieu de son peuple (2): il vous sera impossible de trouver une raison qui justifie cette extermination, tant que vous nierez que les petits enfants contractent un péché d'origine.

CLII. Jul. Par Jésus-Christ, dis-je, qui non-seulement a pardonné les fautes volontaires qu'on avait été libre de ne pas commettre, mais qui a daigné aussi accorder la gloire de la bienheureuse éternité à ceux qui réforment leur conduite en imitant les vertus dont il était lui-même le modèle le plus parfait et le plus accompli. Ainsi, dans cette Epître, saint Paul s'adresse tour à tour aux Gentils et aux Juifs, suivant que la suite et les circonstances de son argumentation lui en offrent l'occasion ; mais dans les passages qui sont l'objet de cette discussion, il dirige ses traits uniquement contre les Israélites qui osaient porter le mépris pour ceux qui étaient nés de parents incirconcis, jusqu'à affirmer qu'ils n'avaient pu, même en recevant le bienfait de la foi, être élevés à une dignité égale à leur propre dignité ; pour confondre une telle arrogance, il retrace l'histoire des origines de la nation juive,et par la manière même dont la circoncision a été établie il prouve que les effets de la chair retranchée par elle ne sont pas tels

 

1. Rom. XII, 13. — 2. Gen. XV, 11, 12, 14.

 

que les hommes soient nécessairement justes ou criminels, suivant que ce retranchement a été ou n'a pas été opéré sur eux.

Aug. Quand l'Apôtre écrivait ces lignes, il ne traitait ni de la circoncision, ni de l'intégrité de la chair, mais bien des préceptes de la loi parmi lesquels se trouve aussi celui-ci : « Tu ne convoiteras point (1) ». Il a lui-même cité ces paroles textuellement (2). Pourquoi refuser plus longtemps de vous rendre à l'évidence ? Vous-mêmes vous courez les premiers à votre perte, quand vous travaillez ainsi à rendre la vérité obscure aux yeux des ignorants.

CLIII. Jul. « Ce n'est donc pas en vertu de la loi que la promesse a été faite à Abraham d'avoir le monde pour héritage, mais c'est en vertu de la justice de la foi. Car, si ceux qui ont reçu la loi sont héritiers, la foi devient vaine et la promesse est détruite. La loi en effet opère la colère; et là où il n'y a point de loi il n'y a point non plus de prévarication. Ainsi, c'est à la foi qu'est attachée la promesse , afin que celle-ci soit gratuite et assurée à toute la postérité d'Abraham ; non-seulement à celle qui a reçu la loi, mais à celle qui imite la foi d'Abraham, lequel est le père de nous tous (suivant celte parole de l'Ecriture : Je t'ai établi père d'une multitude de nations) devant Dieu à qui il a cru comme à celui qui rend la vie aux morts et appelle les choses qui ne sont pas comme celles qui sont; Abraham, dis-je, qui espérant contre l'espérance même, crut qu'il deviendrait le père d'un grand nombre de nations suivant ce qui lui fut dit : Ainsi. sera ta postérité. Et, sans faiblir dans sa foi, il ne considéra point que son corps était déjà éteint, puisqu'il avait environ cent ans, ni que Sara ne pouvait plus enfanter ; il n'hésita point, en défiance de la promesse divine, mais il s'affermit dans la foi, rendant ainsi gloire à Dieu; pleinement assuré que tout ce que celui-ci a promis,         il a le pouvoir de le faire : voilà pourquoi cela lui fut même imputé à justice (3) »

Aug. Tu ne rougis pas de citer ces paroles, toi dont les attaques sont dirigées contre la grâce par laquelle ces promesses ont leur accomplissement? Vos paroles en effet sont un démenti donné à la parole divine, quand vous

 

1. Exod. XX, 17 ; Deut. V, 21. — 2. Rom. VII, 7. — 3. Id. IV, 13-22.

 

527

 

vous attribuez comme votre œuvre personnelle ce que Dieu a promis qu'il ferait lui-même. Car, Isaac, dont la naissance avait été l'objet de la promesse faite à Abraham, était la figure prophétique de ceux qui devaient, non pas s'élever par eux-mêmes, mais être élevés par Dieu à l'état de justice. De là ces paroles que le Seigneur adresse parla bouche du prophète à l'Eglise universelle : « Je suis le Seigneur, c'est moi qui te forme (1) ». C'est pour cela aussi que les justes sont appelés enfants de la promesse, dans ce passage de l'Apôtre tout à fait explicite : « La parole de Dieu ne peut rester sans effet; mais tous ceux qui descendent d'Israël ne sont pas Israélites; tous ceux qui appartiennent à la  race d'Abraham ne sont pas pour cela ses enfants; mais c'est en Isaac que sera ta postérité ; en d'autres termes, ce ne sont point les enfants selon la chair qui sont enfants de Dieu, mais ce sont les enfants de la promesse qui sont comptés dans la postérité (2) ». Ainsi, ce que Dieu a promis de faire, il l'accomplit. Et de même que tous ces témoignages sont un appui inébranlable pour ceux dont l'espérance repose sur Dieu, de même aussi ils confondent ceux qui mettent leur confiance dans leurs propres forces s; et conséquemment, de même qu'ils sont un appui inébranlable pour la foi catholique, de même aussi ils sont une réfutation sans réplique de l'erreur pélagienne.

CLIV. Jul. Nous avons montré dans un premier ouvrage, combien ces paroles sont contraires à votre doctrine, et si la nécessité de rentrer dans cette discussion vient à se présenter, nous y rentrerons. Pour le moment, considérons que les termes de la promesse faite à Abraham au sujet de la récompense de sa foi et dans laquelle il était dit qu'il deviendrait le père d'un grand nombre de nations, prouvent, d'une part, qu'il ne devait pas être regardé comme le père d'un peuple seulement, puisqu'il est désigné comme devant être le pitre d'un grand nombre de nations ; et d'autre part, que la récompense accordée à la promptitude de sa foi, ne lui est pas tellement personnelle que les imitateurs de sa foi doivent être considérés comme exclus de la même rémunération. « Ce n'est pas pour lui seul», dit l'Apôtre, « que l'Ecriture enseigne que cela lui fut imputé à justice; mais

 

1. Isa. XLV, 8, suiv. les Sept. — 2. Rom. IX, 6-8. — 3. Ps. XLVIII, 7.

 

pour nous aussi à qui cela sera imputé de même, si nous croyons en celui qui a ressuscité d'entre les morts Jésus-Christ Notre-Seigneur; lequel a été livré pour nos péchés et est ressuscité pour notre justification (1) ».

Aug. Dites-nous, ô vous qui travaillez, non pas à défendre, mais à déprimer le libre arbitre par vos éloges également pompeux et mensongers ; vous qui, ignorant la justice de Dieu et voulant établir votre propre justice, n'êtes point soumis à la justice de Dieu (2) ; dites-nous : si les nations n'avaient point voulu croire et vivre dans la justice, la promesse faite à Abraham fût-elle devenue vaine ? Non, diras-tu. Donc, pour qu'Abraham reçût comme prix de sa foi la multiplication de sa race, la volonté des nations fut préparée par le Seigneur; et celui-là seul qui est assez puissant pour accomplir ce qu'il a promis, leur donna de vouloir ce qu'ils auraient pu ne point vouloir.

CLV. Jul. Or , puisque l'exemple d'Abraham encore incirconcis nous est proposé comme un témoignage de la vérité de la foi, et que ce patriarche a obtenu réellement comme récompense la multiplication de sa race; d'après quel principe, ô toi, Juif, dit l'Apôtre, crois-tu que les Gentils ne sauraient participer à la même justice que toi, dès lors qu'ils sont véritablement imitateurs de la foi d'Abraham, et qu'ils partagent sans restriction sa croyance touchant la puissance de Dieu ?

Aug. Tu parles à merveille contre vous-mêmes : car, si les Gentils croient à la puissance de Dieu, ils n'espèrent pas, comme vous, être justifiés, en d'autres termes, ils n'espèrent pas devenir justes par leurs propres forces; mais ils mettent leur confiance dans la puissance de celui qui justifie l'impie.

CLVI. Jul. Quelle raison as-tu de penser, dit-il, que, sans les consécrations légales, les nations n'ont pu être élevées à la dignité d'enfants d'Abraham, puisqu'il est constant que la promesse faite à celui-ci a été antérieure à la foi, et qu'elle a été, non pas l'effet des ablutions, mais le prix de la conduite ?

Aug. Si, comme vous le pensez, l'homme n'est redevable qu'à lui-même de cette conduite que, sans aucun doute, vous voulez désigner comme bonne, Dieu pour qui l'avenir

 

1. Rom. IV, 23-25. — 2. Id. X, 3.

 

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est présent, aurait dû faire à cet égard une prédiction, et non pas une promesse, et l'Apôtre alors n'aurait pas dit de lui à ce sujet : « Ce qu'il a promis, il a aussi le pouvoir de l'accomplir (1) » ; mais il aurait dit : Ce qu'il a prévu, il a aussi le pouvoir de le prédire,ou bien, il a aussi le pouvoir de le révéler. Mais quand les hommes disent: Ce que Dieu a promis, nous-mêmes nous l'accomplissons, ils s'attribuent fièrement un pouvoir qu'ils n'ont pas et ils attribuent à Dieu fine arrogance qui met le mensonge sur ses lèvres.

CLVII. Jul. « Si ceux qui ont reçu la loi sont héritiers, la foi devient vaine et la promesse est détruite (2) ». Ces paroles, tant qu'elles n'ont pas reçu une interprétation rationnelle, présentent une difficulté sérieuse car, sans aucun doute, ceux que l'Apôtre dit ici avoir reçu la loi, sont les mêmes qu'il avait désignés précédemment comme ayant reçu la circoncision , et qu'il connaissait comme s'attribuant à eux-mêmes un privilège tel que, dans leur pensée, personne, excepté eux, ne pouvait être élevé à la dignité d'enfant d'Abraham : et il avait établi dans cette discussion, que non-seulement ceux qui avaient reçu la circoncision, mais ceux mêmes qui ne l'avaient point reçue, avaient voulu devenir les imitateurs d'Abraham, devaient être comptés à juste titre parmi la postérité de ce patriarche.

Aug. Et si ces incirconcis n'avaient point voulu imiter la foi d'Abraham, la promesse fût-elle devenue vaine ? Quelle est ta pensée à cet égard ? Je vous engage à considérer quelle est la nature de la grâce, dont vous vous constituez les ennemis, quand vous niez que Dieu fasse naître dans l'âme des hommes la volonté qui y règne : Dieu fait naître en nous cette volonté, non pas en ce sens qu'il nous fait croire malgré notre volonté opposée, ce langage serait tout à fait absurde; mais en ce sens qu'il nous donne la volonté de croire, alors que nous n'avons pas cette volonté. Et en cela, Dieu n'agit pas comme un docteur humain qui, enseignant la parole divine, instruit et exhorte, fait des menaces et des promesses: les efforts de cet homme demeurent sans succès, si le Seigneur, par un de ces moyens mystérieux dont lui seul a le secret, ne produit intérieurement la volonté même dans l’auditeur. Car, lorsqu'un docteur plante

 

1. Rom. IV, 21. — 2. Id. 14.

 

et arrose en répandant des flots de paroles, nous pouvons dire : Peut-être l'auditeur croit-il, peut-être ne croit-il pas; mais quand Dieu donne l'accroissement (1), sans aucun doute l'auditeur croit et fait des progrès. Telle est la distance qui sépare la loi de la promesse, la lettre de l'esprit.

CLVIII. Jul. Après avoir donc essayé précédemment de nous faire comprendre que les Gentils n'avaient pu être exclus de la participation commune à la justice chrétienne, mais que par cette même foi ils méritaient d'être comptés avec les enfants de la circoncision parmi la postérité d'Abraham ; saint Paul ajoute maintenant que personne d'entre les circoncis n'a part à la promesse qui fut faite à Abraham : or, si on ne les interprète d'une manière rationnelle, il y a entre ces deux passages une contradiction absolue. Mais, quand l'Apôtre dit : « Si ceux qui ont reçu la loi sont héritiers, la foi devient vaine et la promesse est détruite » ; il ne déclare point que personne parmi les Juifs ne doit être regardé comme étant devenu par la foi héritier de l'antique promesse : un mot seulement fait défaut dans ce texte, et ce mot peut être facilement suppléé, si l'on interprète la paroles de l'Apôtre en ce sens que ceux qu ont reçu la loi ne sont pas les héritiers uniques ; comme s'il avait été dit : Si ceux qu ont reçu la loi    sont les seuls héritiers, la foi devient vaine. Car les incirconcis paraîtraient réellement exclus, si l'héritage de bénédiction était accordé uniquement à ceux qui avaient reçu la circoncision. Il faut donc bien comprendre que, dans le langage des Ecritures, on ne nie pas toujours ce que l'ou s'abstient d'affirmer; et que, par là même, l'intelligence du lecteur doit suppléer les mots qui ne sont pas exprimés.

Aug. Ces paroles sont interprétées de celle manière par ceux qui ne savent pas les inter prêter. Pourquoi, je vous prie, ne considérer vous pas que ceux qui ont reçu la loi ne sont point héritiers, précisément parce que « la loi opère la colère ? Car là où il n'y a point loi, il n'y a point non plus de prévarication (2) ». Ceux, au contraire, qui ont reçu promesse sont héritiers, parce que Dieu accomplit lui-même ce qu'il a promis. Celui, en effet, qui croit pouvoir accomplir les préceptes de la loi par une détermination de sa volonté

 

1. I Cor, III, 6. — 2. Rom. IV, 15.

 

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personnelle et sans le secours de la grâce, celui-là veut établir sa propre justice, et non pas recevoir la justice de Dieu. Pourquoi le même Apôtre dit-il : « Afin que je sois trouvé en lui, possédant, non point ma propre justice qui vient de la loi, mais la justice qui vient de la foi, la justice qui vient de Dieu (1)? » Pourquoi appelle-t-il sa propre justice celle qui vient de la loi,et pourquoi réprouve-t-il cette justice? Pourquoi déclare-t-il que la justice qui lui vient de la foi n'est pas sa propre justice, mais un don que Dieu lui a fait ? Est-ce que la loi ne vient pas de Dieu ? A moins d'être infidèle, qui oserait le prétendre ? Mais l'Apôtre dit que la justice qui vient de la loi est sa propre justice, en ce sens que par elle l'homme croit que la loi lui suffit pour accomplir les préceptes divins, et par là même il met sa confiance dans ses forces personnelles. Il dit au contraire que la justice que nous recevons par la foi vient de Dieu, précisément parce que Dieu départit à chacun une mesure de foi (2) : et la foi nous oblige à croire que Dieu opère en nous-même le vouloir (3) ; comme il l'opéra en effet dans cette marchande de pourpre dont il avait ouvert l'intelligence, afin qu'elle prêtât son attention à ce que disait Paul (4). D'où il suit que les Juifs mêmes qui crurent en Jésus-Christ, et parmi lesquels se trouvait saint Paul, ne doivent en aucune manière être regardés comme héritiers en tant qu'ils ont reçu la loi, mais bien en tant qu'ils ont reçu l'objet de la promesse. Car il a été dit. « C'est par Isaac que sera ta postérité», précisément parce que « ceux qui sont enfants selon la chair ne sont point pour cela enfants de Dieu; mais les enfants de la promesse sont comptés dans la postérité (5) ».

CLIX. Jul. L'Apôtre a donc établi son argument de cette manière : Si l'héritage de bénédiction appartenait exclusivement à ceux qui ont reçu la loi ; de même que l'exclusion des incirconcis serait manifeste, il faudrait aussi, par une conséquence nécessaire, admettre que parmi ceux qui ont reçu la loi, personne n'est privé de cette bénédiction ; en d'autres termes, si le mérite de la circoncision était tel que sans elle la foi n'eût absolument aucune efficacité ; de même que les Gentils seraient manifestement repoussés, il serait

 

1. Philipp. III, 9. — 2. Rom. XII, 3. — 3. Philipp. II, 13. — 4. Act. XV, 14. — 5. Rom. IX, 7, 8.

 

démontré aussi que personne parmi les Juifs n'a jamais pu aller à la perdition.

Aug. Comment, ô dialecticien inepte, comment la logique enseigne-t-elle que si ceux qui ont reçu la loi ont seuls part à l'héritage de bénédiction, personne d'entre ceux qui ont reçu la loi n'est privé de cette bénédiction ? Parce que nul n'est héritier, s'il n'a reçu le baptême, tous ceux qui ont été baptisés sont-ils pour cela héritiers ? Cette interruption, il est vrai, est étrangère à la question qui s'agite entre nous; mais je la fais afin de montrer combien tu es subtil, toi qui déclares que je suis plus épais que le pilon d'un mortier (1).

CLX. Jul. Mais, puisque vous reconnaissez que ceux qui ont transgressé la loi après l'avoir reçue n'ont point de part à l'héritage de bénédiction, parce que la loi opère la colère pour les hommes de cette sorte; il s'ensuit nécessairement que cette promesse n'est point attachée à la circoncision, mais à la foi. D'autre part, cette promesse serait détruite, si en dehors de la loi personne n'était juste; car, la loi n'a été promulguée que quatre cent trente ans après la promesse faite (2) ; et si en dehors de la loi cette promesse n'avait pu s'accomplir à l'égard de personne, il faudrait dire par là même que Abraham, Isaac, Jacob et tous les saints qui ont vécu durant ce laps de temps, n'ont eu aucune part à la bénédiction.

Aug. Dis plutôt que la promesse serait détruite, si un seul homme était juste par le fait même qu'il a reçu la loi. « Car, si ceux qui ont reçu la loi sont héritiers, la foi est anéantie et la promesse devient vaine ; la loi, en effet, opère la colère (3) » ; afin sans doute que l'on soit dans la nécessité de recourir à la grâce de Dieu pour échapper à sa colère.

CLXI. Jul. Or, cette doctrine est manifestement contraire à la vérité : car, sous la loi, les pécheurs étaient punis et, avant la loi, la justice et la foi ne furent point privées de la récompense qu'elles méritaient; d'où il suit que la gloire de cette promesse appartient, non pas aux corps mutilés par le fer, mais aux âmes qui se distinguent par une intégrité de moeurs parfaite. Saint Paul ajoute une maxime qui foudroie la doctrine de la transmission du péché : « La loi », dit-il,

 

1. Ci-dessus, ch. CXVII. — 2. Gal. III, 17. — 3. Rom. IV, 14, 15.

 

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opère la colère ; mais là où il n'y a point de loi, il n'y a point non plus de prévarication ». Persuade donc qu'une loi a été donnée aux enfants encore dans le sein de leurs mères, qu'une loi peut leur être donnée au moment de leur naissance ; et qu'ainsi ils peuvent être accusés et convaincus de prévarication. Car, pour nous, nous croyons avec l'Apôtre dont nous soutenons que la doctrine n'avait rien de contraire à la raison ; nous croyons, dis-je, que l'on ne saurait être prévaricateur à un âge où l'on n'a pu encore recevoir aucune loi ; parce que « là où il n'y a point de loi, il n'y a point non plus de prévarication » ; si cette « loi opère la colère», ce n'est pas elle qu'il faut accuser, mais uniquement la perversité de ceux qui préfèrent l'iniquité à la vertu.

Aug. Ces paroles ne renferment donc pas une loi de Jésus-Christ : « Si quelqu'un ne renaît de l'eau et de l'Esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu (1) ?» Tu vois ici une loi qui regarde même les enfants. Mais dis-nous plutôt : l'enfant dont l'âme était exterminée du milieu de son peuple, s'il n'avait été circoncis le huitième jour (1), de quelle prévarication était-il convaincu pour être frappé d'un châtiment aussi rigoureux (2) ? Comment expliquer ce mystère , sinon en disant que cet enfant, quoiqu'il n'eût commis encore aucun péché personnel, était cependant coupable de prévarication « semblable à celle d'Adam, en qui tous ont péché (3) ? » Tes efforts pour obscurcir la clarté manifeste et pour dénaturer le sens parfaitement orthodoxe de ces paroles de l'Apôtre, sont aussi vains qu'ils sont opiniâtres.

CLXII. Jul. Saint Paul a donc prouvé que ces paroles : « Cela lui fut imputé à justice », ont été écrites, non pas pour Abraham seulement, mais aussi pour nous à qui sans aucun doute la même imputation est faite, quand nous croyons-en Dieu qui a ressuscité Jésus-Christ d'entre les morts; Jésus-Christ qui a été, suivant l'expression de l'Apôtre, livré à cause de nos péchés, et qui est ressuscité pour notre justification (4) ».

Aug. Vous privez de cette grâce les enfants que vous prétendez n'avoir contracté aucun péché originel ; d'où il suit, par une conséquence nécessaire, qu'ils n'ont point de part

 

1 Jean, III, 5. — 2. Gen. XVII, 14. — 3. Rom. V, 14, 12. — 4. Ib. IV, 23-25.

 

au bienfait que Jésus-Christ nous a accordé quand il a été livré à cause de nos péchés; et avec de telles pensées.et un tel enseignement, vous osez prendre le titre de chrétiens catholiques !

CLXIII. Jul. Avec quelle énergie et quelle insistance persévérante il enseigne que, au tribunal du juste Juge, de Dieu, les péchés d'un homme ne nuisent point à un autre homme ! Quand il énumère les biens inestimables que la mort de Jésus-Christ nous a procurés, il observe avec soin que celui-ci a couru à la mort à cause de nos péchés qui étaient à la fois nombreux et personnels à nous-mêmes, et non pas à cause d'un péché unique et étranger, dont l'auteur aurait depuis longtemps cessé de vivre.

Aug. A la vérité, la désobéissance de cet homme unique est appelée à juste .titre un péché étranger, parce que, n'étant pas nés alors, nous ne pouvions encore accomplir aucun acte personnel, soit bon, soit mauvais; mais nous étions tous en Adam au moment où il commit cette désobéissance, et son péché a été si énorme en lui-même et si pernicieux dans ses conséquences, qu'il a imprimé une flétrissure à la nature humaine tout entière; comme le prouve suffisamment la condition malheureuse où le genre humain se trouve aujourd'hui d'une manière si manifeste ; c'est pourquoi ce péché étranger devient, par un héritage funeste, notre péché propre; de là ces paroles d'un docteur catholique, qui avait bien compris la pensée de l'Apôtre : « Nous naissons tous en état de péché, nous hommes dont l'origine même est souillée (1) ». Si vous voulez suivre l'interprétation donnée par ce docteur et par les autres qui ont été avec lui les défenseurs de la vérité catholique, vous ne serez plus obligés de refuser aux petits enfants le bienfait que nous a procuré la mort de celui qui a été livré à cause de nos péchés » et qui «lui seul est mort pour tous ». Quand l'Apôtre ajoute ici : « Donc tous sont morts; et le Christ est mort pour tous (2) » ; et que vous protestez en ces termes : Les petits enfants ne sont point morts; ajoutez donc aussi, haute. ment : Et le Christ n'est point mort pour eux; et voyez si vous n'êtes pas déjà frappés rte mort, vous qui vous opposez à ce que la

 

1. Ambroise. De la Pénitence., liv. I, chap, II ou III. — 2. II Cor. V, 14, 15.

 

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mort de Jésus-Christ soit un principe de vie pour ceux qui sont dans cet état. Suivant vous, en effet, on ne doit pas imputer aux enfants un péché commis par un seul homme qui depuis longtemps a cessé de vivre. Vous ne considérez pas que le premier homme, Adam, a depuis longtemps cessé de vivre, mais de telle sorte toutefois que Jésus-Christ est le second homme après lui, quoique tant de milliers d'hommes aient paru sur la terre entre l'un et l'autre ; d'où il suit manifestement que tout homme né du premier par la voie de procréations successives, est uni moralement à ce premier, de même que tout homme qui, par la munificence de la grâce, renaît dans le second, est uni moralement à celui-ci. De telle sorte que le genre humain tout entier se compose pour ainsi dire de deux hommes désignés, l'un sous le nom de premier, et l'autre sous le nom de second homme.

CLXIV. Jul. Or, puisqu'il parle de péchés nombreux, il ne songe même pas au péché unique des Manichéens; ou, en d'autres termes, au péché des partisans de la transmission.

Aug. Mais certes, quelle que soit l'opiniâtreté de ton esprit, tu reconnaîtras que, si une multitude d'hommes se présentaient au sacrement de la régénération le jour même où ils ont péché pour la première fois, on pourrait qualifier de nombreux les péchés qu'ils auraient commis ainsi par leur volonté personnelle, quoique en réalité chacun de ces hommes ne fût coupable que d'un seul péché; et cependant, je ne dis pas par cet argument, mais par cette argutie impossible que vous prétendez appuyer sur les paroles de l'Apôtre, vous excluez tons ces hommes de la participation à la grâce qui justifie d'un grand nombre de péchés ; car, suivant vous, tout homme qui est coupable d'un péché seulement, ne saurait avoir aucune part au bienfait qu'elle procure. A combien plus forte raison donc est-il permis de parler de péchés nombreux n, quand il s'agit à la fois du péché originel et des péchés plus ou moins multipliés commis par la volonté personnelle de chacun ? Et cependant les hommes sont délivrés de tous ces péchés par la grâce dont il a été dit qu' « elle justifie en effaçant une multitude de péchés (1) ». Adam

 

1. Rom. V, 16.

 

« a existé, et nous avons tous existé en lui; Adam a péri, et tous ont péri en lui ». C'est Ambroise qui a parlé ainsi (1) ; et, malgré tes calomnies, Ambroise n'était point un manichéen. Cyprien a dit que, par leur naissance première, les enfants contractent la souillure de la mort antique (2); malgré tes calomnies, Cyprien n'était point manichéen. Hilaire a dit que tous les hommes ont péché en Adam seul; malgré tes calomnies, Hilaire n'était point un disciple de Manès. Tes calomnies ne réussiront point à prouver que l'Eglise dans le sein de laquelle ces docteurs avaient appris cette doctrine., était une Eglise manichéenne; cette Eglise au contraire était catholique, aujourd'hui encore elle continue de mériter ce titre, et voilà précisément pourquoi elle n'a pu vous conserver dans son sein, vous dont les pensées et les discours sont contraires à cette doctrine; et pour demeurer elle-même catholique, elle a protégé par votre condamnation la faiblesse de ses petits enfants.

CLXV. Jul. « Etant donc justifiés par la foi, ayons la paix avec Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur, par qui aussi nous entrons dans cette grâce en laquelle nous sommes établis, et par suite de laquelle nous nous glorifions dans l'espérance de la gloire de Dieu (3) ». Vous, dit-il, qui voyez que la justification vous a été conférée par la rémission de vos péchés, vivez dans une concorde que rien ne puisse altérer; et, sans aucun sentiment de jalousie, louez les dons du Médiateur , dont la munificence vous a ouvert l'entrée de cette grâce ; du Médiateur qui a rendu à la liberté et qui a fait échapper à la vengeance ceux que la justice déclarait coupables, et qui l'étaient réellement, non point par un effet de leur nature, mais par suite des actes qu'ils avaient commis volontairement; du Médiateur enfin qui nous a accordé, à nous dont la seule attente était celle des supplices éternels, de pouvoir nous glorifier aujourd'hui dans l'espérance de la gloire de Dieu.

            Aug. Cette justification n'est point conférée parla seule rémission des péchés, si ce n'est dans vos discours. Quand Dieu justifie l'impie, non-seulement il lui pardonne le mal qu'il a fait, mais il lui donne en même temps la charité, afin que celui-ci cesse de faire le mal et

 

1. Liv.VII sur saint Luc, XV, 24. — 2. Epît. LXIV, à Fidus. — 3. Rom. V, 1, 2.

 

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qu'il accomplisse le bien par le Saint-Esprit dont l'Apôtre implorait l'assistance continuelle pour ceux à qui il disait: « Nous adressons des prières à Dieu, afin que vous ne fassiez aucun mal (1) ». C'est contre cette grâce que vous dirigez vos efforts violents; et cela, non pas afin de défendre par vos discours le libre arbitre de la volonté, mais afin que ce libre arbitre devienne la triste victime de votre présomption.

CLXVI. Jul. Mais afin de montrer d'une manière encore plus explicite les conséquences heureuses de cette doctrine et la sécurité avec laquelle on doit l'embrasser, l'Apôtre énumère ensuite les bienfaits que cette philosophie chrétienne apporte aux fidèles : « Outre cela, nous nous glorifions encore dans les tribulations qui nous accablent; sachant que la tribulation produit la patience, que la patience produit la pureté, et la pureté, l'espérance ; or , l'espérance ne confond point, parce que la charité de Dieu est répandue dans nos coeurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné (2) ». En d'autres termes, non-seulement ces bienfaits nous ont permis de nous réjouir parfois du prix inestimable des dons qui nous sont conférés; mais dès aujourd'hui même, au milieu des angoisses qui nous torturent comme un feu dévorant, la seule possession de la vertu nous procure une force merveilleuse ; nous nous rions de la fureur de nos persécuteurs; à nos yeux la cruauté des impies doit servir à nous instruire dans la pratique de la patience plutôt qu'à troubler notre joie; et ainsi non-seulement nous évitons le péché à cause de la récompense qui nous attend, mais nous estimons que cette fuite du péché est elle-même une récompense.

Aug. Si c'est une récompense de ne point commettre le péché, par qui cette récompense est-elle donnée? Tu ne diras pas, sans doute, que l'homme se la donne à lui-même; quoique les principes de votre abominable hérésie t'obligent à accepter cette conséquence. Or, si c'est Dieu qui donne à l'homme cette récompense, de ne point commettre le péché; il me semble que le mot don devrait être employé ici plutôt que le mot récompense, afin de ne pas laisser croire que l'homme a mérité d'une manière quelconque d'éviter ainsi le péché; car Pélage lui-même a condamné ceux qui

 

1. II Cor. XIII, 7. — 2. Rom. V, 3-5.

 

enseignent que la grâce de Dieu nous est donnée par suite de nos mérites. Mais toi-même tu as dit tout à l'heure comment ce don, en d'autres termes, ce pouvoir d'éviter le péché, est accordé à l'homme, quand tu as cité ces paroles de l'Apôtre : « La charité de Dieu est répandue dans nos coeurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné ». D'où il suit que, suivant les principes de la philosophie chrétienne, le pouvoir de nous glorifier dans nos tribulations ne vient pas de nous. mêmes; c'est, au contraire, un pouvoir que nous avons reçu : et voilà pourquoi il est dit à celui qui se glorifie de ses propres mérites, comme s'il n'en était redevable qu'à lui. même : « Qu'as-tu que tu n'aies reçu? Et si tu l'as reçu, pourquoi t'en glorifier comme si tu ne l'avais point reçu (1)? » Ainsi donc, nous nous glorifions, non point comme si nous n'étions pas redevables à un autre de nos mérites; mais nous nous glorifions en celui de qui nous les avons reçus, et tout homme qui se glorifie, se glorifie dans le Seigneur (2), Voilà la nature de la grâce telle qu'elle est enseignée par la foi catholique : pourquoi, dites-moi, opposer à cette doctrine vos principes erronés, puisque la vérité vous arrache à vous-mêmes des aveux qui sont la réfutation de ces principes?

CLXVII. Jul. Ensuite, lorsque nous voyons; sous les deux testaments, l'accomplissement des promesses qui ont été faites,. nous regardons comme de vaines futilités tous les biens et tous les maux, sans exception, de la vie présente, parce que l'immensité infinie de la charité de Dieu à notre égard est à nos yeux un gage assuré de la fidélité avec laquelle il remplira ses engagements. Notre espérance ne sera point confondue, et notre attente des biens éternels ne sera pas une amère déception, puisque nous possédons un gage de notre bonheur futur dans la charité de Dieu qui a été répandue dans nos coeurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné ; en d'autres termes, puisque Dieu, en nous communiquant les dons du Saint-Esprit, nous a donné autant de preuves de son amour pour le genre humain.

Aug. Tu ne veux pas compter parmi ces dons le pouvoir même d'éviter le péché ; mais, plaçant ta confiance dans tes propres forces, tu prétends te donner à toi-même ce

 

1. I Cor. IV, 7. — 2. Id. I, 31.

 

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pouvoir. Ne te mets pas en colère, je te prie : « Maudit soit quiconque place son espérance dans un homme (1) ».

CLVIII. Jul. Il accomplira donc fidèlement toutes les promesses qu'il a faites aux fidèles.

Aug. Il accomplira précisément celle par laquelle il s'est engagé à les rendre fidèles; car il a promis à Abraham que les Gentils viendraient à la foi, et un fidèle d'un grand mérite s'exprime en ces termes : « C'est par un bienfait gratuit de la miséricorde divine que je suis devenu fidèle (2) ».

CLXIX. Jul. Car, puisqu' « il n'a pas épargné son propre Fils, mais qu'il l'a livré pour nous tous », et que nous avons été ainsi, consacrés en lui par l'opération du Saint-Esprit; sans aucun doute, « il nous a donné toutes choses avec lui (3)». « Pourquoi, en effet, lorsque nous étions encore faibles et languissants, le Christ est-il mort, au temps a marqué, pour les impies (4) ? »

Aug. Tu cites des témoignages divins qui sont la réfutation et la ruine de votre erreur. Saint Paul, en effet, ne dit pas : Le Christ est mort même pour les impies; mais il dit simplement : « Le Christ est mort pour les impies ». Or, comme tu l'as confessé toi-même ailleurs, le Christ est mort même pour les enfants ; et cependant, par une impudence tout à fait incompréhensible pour moi, tu nies que l'impiété du premier homme leur ait été transmise avec son sang. Comment donc ont-ils part aux bienfaits de celui qui « est mort pour les impies? »

CLXX. Jul. « Certes, à peine quelqu'un a voudrait-il mourir pour un juste : car il est extrêmement rare que quelqu'un ait le courage de mourir pour un homme de bien. Dieu témoigne donc ici son amour pour nous ; car, si le Christ est mort pour nous lorsque nous étions encore pécheurs, maintenant que nous sommes justifiés par son a sang, nous serons, à bien plus forte raison, délivrés par lui de la colère. Si, lorsque nous étions ennemis de Dieu, nous avons été réconciliés avec lui par la mort de son Fils; à bien plus forte raison nous serons, après notre réconciliation, sauvés par sa vie. Mais outre cela, nous nous glorifions en Dieu par Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui maintenant nous avons obtenu cette

 

1. Jérém. XVII, 5. — 2. I Cor. VII, 25. — 3. Rom. VIII, 32. — 4. Id. V, 6.

 

réconciliation (1) ». Saint Paul montre ici avec quelle miséricorde inépuisable le Christ a accompli toutes ses actions, puisqu'il a daigné mourir pour des hommes qui ne méritaient absolument aucune faveur.

Aug. Tu apportes ici dans ton langage une modération et une réserve telles que l'on croirait volontiers que, suivant toi, Jésus-Christ est mort même pour les enfants; vous nous accordez en effet que ceux-là mêmes n'ont mérité aucune récompense, qui, de votre propre aveu , n'ont accompli aucune bonne action ; mais ce langage n'est point celui de l'Apôtre, puisqu'il a dit que Jésus-Christ est mort pour des impies et pour des pécheurs. C'est donc inutilement que tu as cru devoir apporter des limites à la miséricorde immense du Christ ; car il est mort pour des hommes qui méritaient d'être châtiés. Vous amoindrissez pour les enfants ce bienfait incomparable que le Sauveur nous a accordé, quand vous déclarez qu'ils sont dans la voie du salut ; le Sauveur dit en effet : « Ceux qui se portent bien n'ont pas besoin de médecin (2) » ; les enfants n'ont donc pas besoin du Christ, puisque, suivant vous, il n'est pas Jésus à leur égard : car il est hors de doute que le Christ est Jésus à l'égard de ceux-là seulement qui ont besoin de lui. Mais retirez-vous, docteurs inhumains: les enfants ont besoin du Christ. Il les sauve donc, eux aussi, de leurs péchés, et c'est précisément pour cela qu'il a reçu le nom de Jésus, sui. vaut cette parole de l'ange : « Tu lui donneras le nom de Jésus; car il sauvera son peuple des péchés dont celui-ci est coupable (3) ».

CLXXI. Jul. Car, entraînés par des passions criminelles, ils avaient foulé aux pieds la raison et la loi, et ils avaient cédé aux désirs coupables de leur coeur, malgré les reproches de leur propre conscience dont le poids aurait dû les accabler et les retenir. Mais il était constant aussi que plusieurs prophètes s'étaient acquis une gloire éclatante en méprisant la mort pour l'amour de la justice ; il était constant qu'un grand nombre d'hommes avaient couru, sans hésiter un seul instant, au-devant du trépas , pour défendre divers intérêts d'un ordre supérieur et pour maintenir dans tout son éclat l'honneur de la dignité dont ils étaient revêtus; aussi, de

 

1. Rom. V, 7, etc. — 2. Matt. IX, 12. — 3. Id. I, 21.

 

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peur que la vertu incomparable de Jésus-Christ ne parût inférieure à celle dont les uns et les autres nous offraient des exemples, saint Paul entreprend de montrer que la charité et la constance du Sauveur brillent d'une splendeur unique, et il ajoute : Je reconnais, moi aussi, quoique ce soit un fait rare, quoique ce soit un fait presque inouï, je reconnais que plusieurs hommes ont consenti à souffrir la mort pour la cause de la justice et du bien; mais la sublimité du motif qui les faisait agir, l'excellence de la cause dont ils prenaient héroïquement la défense, adoucissait pour eux la douleur des tortures : Jésus-Christ, au contraire ne trouvait rien qui pût mériter son amour dans la volonté dépravée des impies, et cependant il n'a pas refusé de sacrifier sa vie même pour ces hommes qui avaient ainsi dégradé leur dignité première en suivant les penchants coupables de leur coeur : il est donc manifeste que la vertu de Jésus-Christ est supérieure à celle de tous ces hommes; car si un petit nombre d'entre eux ont souffert autant que lui, il n'en est pas un seul qui ait souffert pour une cause semblable. Ne désespérons donc jamais de sa munificence inépuisable; s'il est mort pour nous lorsque nous étions encore pécheurs, à plus forte raison, maintenant que nous avons été justifiés par son sang, nous serons par sa médiation sauvés de la colère.

Aug. Cessez donc d'exclure les petits enfants du nombre des pécheurs, puisque vous confessez que Jésus-Christ est mort aussi pour eux.

CLXXII. Jul. Et après que nous avons mérité d'être réconciliés avec Dieu, ou plutôt après que le Sauveur nous a mérité cette réconciliation, nous devons nourrir notre âme de la pensée des joies éternelles et espérer non-seulement d'être sauvés, mais même de parvenir à la gloire.

Aug. Considère attentivement, je te prie, le langage de saint Paul ; comment a-t-il été amené à parler du premier homme? Il traitait de la réconciliation que tu reconnais toi-même avoir été accomplie par la médiation de Jésus-Christ et qui a mis fin à l'inimitié qui existait entre Dieu et nous. Voici ses expressions : « Etant donc justifiés par la foi, ayons la paix avec Dieu, par Notre-Seigneur Jésus-Christ». Et un peu plus loin : « Si Jésus-Christ, lorsque nous étions encore faibles et languissants, est mort, au temps marqué, pour les impies » . Puis, après quelques autres paroles : « Dieu », dit-il, « a témoigné son amour à notre égard en ce que, dans le temps où nous étions encore pécheurs, Jésus-Christ est mort pour nous ; à plus forte raison , maintenant que nous sommes justifiés par son sang, nous serons sauvés par lui de la colère ». Considère encore avec attention ces autres paroles : « Si, lorsque nous étions ennemis de Dieu, nous a avons été réconciliés avec lui par la mort de son Fils; à plus forte raison, notre réconciliation une fois accomplie, serons-nous sauvés par sa vie ». Après avoir affirmé tant de fois l'existence de cette réconciliation, il en parle encore en dernier lieu en ces termes : « Jésus-Christ par qui maintenant nous avons obtenu notre réconciliation » ; et il ajoute ensuite : « C'est pourquoi, de même que le péché est entré dans le monde par un seul homme (1) ». Ainsi, de même que l'inimitié a subsisté par suite d'une action de cet homme seul, de même aussi la réconciliation a été accomplie par Jésus-Christ seul. Quiconque prétend que les enfants sont exempts du péché qui a été la source de cette inimitié, nie par là même qu'ils aient part à cette réconciliation pour laquelle Jésus-Christ a pris le titre de médiateur; et par une conséquence nécessaire il les exclut aussi de la justification qui s'opère par le sang de Jésus-Christ ; par ce sang à l'effusion duquel le Sauveur, au moment où il invita les hommes à le prendre comme breuvage, n'attribua point d'autre cause que la rémission des péchés (2). D'où il suit logiquement, que la mort de Jésus-Christ ne procure aucun avantage réel aux petits enfants qui ne sont point coupables de péché: car, nous avons été, par cette mort, réconciliés avec Dieu, lorsque nous étions ses ennemis; et, suivant vous, les enfants n'ont jamais été les ennemis de Dieu. Pour que cette réconciliation s'accomplit, nous avons dû mourir au péché qui avait été la cause de cette inimitié; et, suivant les expressions du même Apôtre, pour mourir ainsi au péché, « nous tous qui avons été baptisés en Jésus-Christ, nous avons été baptisés dans sa mort ». Ces paroles sont, dans l'épître de saint Paul, la réponse à cette question qu'il vient de poser

 

1. Rom. V, 1-12. — 2. Matt. XXVI, 28.

 

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immédiatement auparavant: « Si nous sommes morts au péché, comment vivrons-nous encore dans le péché ? » Afin de montrer que nous sommes morts au péché, il répond aussitôt : « Ignorez-vous que nous tous qui avons été baptisés en Jésus-Christ, nous avons été baptisés dans sa mort (1) ? » Où est votre indépendance et votre courage ? Pourquoi craignez-,vous de dire ce que vous ne craignez pas de croire, savoir, que les enfants ne doivent pas être baptisés en Jésus-Christ, puisque, suivant vous , ils sont exempts de tout péché, et par là, même ils ne sauraient mourir au péché?

CLXXIII. Jul. « C'est pourquoi., de même que le péché est entré dans ce monde par un seul homme, et par le péché la mort ; de même aussi la mort a passé dans tous les hommes par celui en qui tous ont péché (2) ». Afin de réprimer l'orgueil des Juifs, qui prétendaient que le privilège de la sainteté avait été accordé à leur race avec celui de la loi, et qui regardaient par là- même les Gentils comme ayant un besoin plus pressant de recevoir le pardon de leurs péchés; l'Apôtre attaque la perversité de la conduite de l'homme, et il s'élève contre la multitude de ceux qui ont péché dans les siècles passés ; il veut que la puissance souveraine avec laquelle l'iniquité a régné sur ce monde ressorte du fait même de l'antiquité de son empire; il montre combien étaient multipliés les crimes que la grâce de Jésus-Christ avait effacés, et dans quel état d'assoupissement-ils avaient plongé l'humanité, alors que la dépravation des parents les transmettait aux enfants par la voie d'une imitation constante. C'est pour cela qu'il rappelle la mémoire du premier homme ; non pas que le péché eût, commencé par Adam, car il est certain que la femme fut coupable avant lui; mais parce que, en vertu de la dignité attachée à son sexe, la responsabilité du mauvais exemple retombait sur lui; par cet homme donc « le péché est entré, et par le péché la mort », celle sans doute dont les pécheurs sont menacés, en d'autres termes, la mort éternelle; «et ainsi », dit-il, « la mort a passé dans tous les hommes par celui en qui tous ont péché; ». Il montre clairement ici de quelle manière cette mort a été transmise à la postérité d'Adam; cette transmission est accomplie par voie d'imitation,

 

1. Rom. VI, 2, 3. — 2. Id. V, 12.

 

et non point par voie de génération.

Aug. Tu as déjà reçu une réponse touchant la question de savoir pourquoi l'Apôtre, au lieu de parler de la femme par laquelle le péché a commencé d'exister, se borne à parler d'un seul homme; il s'exprimait ainsi, ou bien pour faire entendre que ces mots désignaient à la fois l'un et l'autre à cause de l'unité de chair qui existait entre eux, ou bien parce que, l'acte de la génération commençant dans la personne de l'homme, il voulait nous enseigner que le péché est entré dans le monde par cette même génération. Mais, puisque suivant vous, dont la poitrine recèle un coeur humain, la mort, qui est la compagne inséparable du péché, a été transmise à la postérité par voie d'imitation, et non point par voie de génération; pourquoi ne déclarez-vous pas hautement que les enfants ne doivent pas être baptisés en Jésus-Christ? Car, s'ils doivent recevoir ce baptême, tous ceux qui sont baptisés en Jésus-Christ étant baptisés dans sa mort, il est manifeste que, eux aussi, ils meurent au péché: car, la raison que l'Apôtre a mise en avant pour établir que nous sommes morts au péché, c'est que nous avons été baptisés dans la mort de Jésus-Christ. Après avoir dit : « Si nous sommes morts au péché, comment vivrons-nous encore dans le péché ? » il ajoute aussitôt, pour montrer que nous sommes morts au péché : « Ignorez-vous que nous tous qui avons été baptisés en Jésus-Christ, nous avons été baptisés dans sa mort? » Or, quiconque est exempt de péché, ne saurait par là même mourir au péché dans le baptême ;tout homme au contraire qui, en recevant le baptême, ne meurt pas au péché, n'est point baptisé dans la mort de Jésus-Christ; d'où il suit qu'il n'est point baptisé en Jésus-Christ. Pourquoi hésitez-vous encore ? Ouvrez librement vos enfers; qu'ils se rangent librement parmi vos disciples, ceux qui ne veulent pas que leurs enfants frappés de la mort du péché, soient rendus à la vie par le baptême.

CLXXIV. Jul. Car , après avoir dit : « La mort a passé dans tous les hommes », saint Paul ajoute aussitôt : « En ce que tous ont commis le péché » ; ces mots, « en ce que tous ont commis le péché », ne signifient pas autre chose que ceci : Tous ont commis le péché; de même que ces paroles de David : « En quoi le jeune homme corrige-t-il sa conduite ? »

 

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ne signifient pas autre chose que ceci : « Comment corrige-t-il sa conduite? » « En observant vos commandements (1) ». Ainsi, ce en quoi il est dit que le jeune homme corrige sa conduite, c'est précisément ce par quoi il la corrige. Or, telle est précisément la forme de langage employée par l'Apôtre, quand il dit que la mort a été transmise (in quo) en ce que tous ont commis le péché par leur volonté personnelle ; dans sa pensée, les mots in quo ne doivent pas être regardés comme se rapportant, soit à Adam, soit au péché; il veut seulement désigner par là tous les hommes qui commettent le péché.

Aug. Ouvre les yeux; tous meurent en Adam, et si les enfants ne sont pas morts en lui, ils ne reçoivent pas non plus la vie en Jésus-Christ; pourquoi donc, par un acte de simulation criminelle, courez-vous présenter ces mêmes enfants au baptême de celui que nous adorons comme donnant la vie et comme procurant le salut dans ce sacrement, puisque, en criant qu'ils sont vivants et sains, vous vous opposez par là même à ce qu'ils soient vivifiés et guéris?

CLXXV. Jul. D'autre part, le mot tous est souvent employé dans le sens de un grand nombre; nous en trouvons une multitude d'exemples dans l'Écriture; ainsi le Psalmiste dit : « Tous se sont écartés de leur voie, tous sont devenus coupables » ; et un peu plus loin il ajoute : « Ils dévorent mon peuple comme un morceau de pain (2) » ; montrant ainsi que ce peuple n'était pas compris dans cette universalité représentée par lui comme occupée à faire le mal. Nous trouvons pareillement dans l'Évangile ce récit : « Et tout le peuple criait : Crucifie-le ! crucifie-le ! (3) » Et cependant , malgré la généralité de cette expression, elle ne s'applique nullement aux Apôtres, ni à Nicodème, ni aux saintes femmes. Saint Paul lui-même désignera tout à l'heure sous le nom de multitude ceux qu'il désigne ici comme étant l'universalité du genre humain.

Aug. Je t'ai déjà répondu à ce sujet que le mot tous peut, sans contradiction aucune, être interprété dans le sens de un grand nombre, parce que quand on parle de tous les hommes, il s'agit non pas d'un petit nombre, mais d'un grand nombre d'hommes. Et ce

 

1. Ps. CXVIII, 9. — 2. Id. XIII, 3, 4. — 3. Matt. XXVII, 23 ; Luc, XXIII, 21.

 

que tu as dit en citant ces paroles du Psalmiste: « Tous se sont écartés de leur voie, tous sont devenus coupables », est parfaitement vrai; le Psalmiste distingue les enfants des hommes qui tous se sont écartés de leur voie, des enfants de Dieu qui ne se sont pas égarés ainsi et qui sont dévorés par ceux-là : Dieu a jeté un regard sur les enfants des hommes, tous ceux-ci se sont écartés de leur voie; mais les enfants de Dieu ne sont pas compris dans ce nombre. Conséquemment, parmi tous ces enfants des hommes écartés de leur voie, se trouvait aussi tout ce peuple qui criait: « Crucifie-le ! crucifie-le ! » Mais ceux qui croyaient déjà en Jésus-Christ ne faisaient en aucune manière partie de ce peuple. Explique, si tu le peux, ces paroles qui sont inexplicables dans ton système : « Un seul est mort pour tous » ; et ose dire que tous ceux pour qui Jésus-Christ est mort , n'étaient pas eux. mêmes frappés de mort; quoique l'Apôtre t'oblige aussitôt à garder le silence et qu'il étouffe ta voix audacieuse, en montrant que la conséquence de cette maxime est celle-ci : « Donc tous sont morts ». Cesse de dénaturer ainsi le témoignage de l'Apôtre , cesse de donner à ses paroles une interprétation qui ne te permet pas d'entendre celles-ci : « Si un seul est mort pour tous, donc tous sont morts (1) ». La mort a passé avec le péché dans tous ces derniers, par celui en qui tous sont frappés de mort ; parmi eux se trouvent même les enfants, puisque Jésus-Christ est mort pour les enfants aussi ; et Jésus-Christ est mort pour tous, précisément parce que tous sont morts. Quelque raisonnement que tu cherches à établir, à quelque subterfuge que tu aies recours, quelques paroles de l'Apôtre que tu t'efforces de faire disparaître ou de dénaturer, tu ne réussis pas à prouver que les enfants n'ont pas été frappés de la mort qui est le châtiment du péché; car tu n'oses affirmer que Jésus-Christ n'est pas mort pour les enfants eux-mêmes.

CLXXVI. Jul. Il est aisé maintenant devoir les conclusions que nous avons établies l'Apôtre a employé le mot tous dans le sens d'un très-grand nombre; et il dit que ce très. grand nombre d'hommes ont été frappés de mort, précisément parce qu'ils ont commis le péché par leur volonté personnelle. Son accusation n'a donc pas pour objet un péché

 

1. II Cor. V, 14, 15.

 

537

 

d'origine, mais un péché commis par la volonté ; et en effet, ses paroles n'indiquent pas autre chose, si l'on considère attentivement le sens naturel et propre des mots. Car si, dans la croyance de saint Paul, le péché avait été transmis à la postérité par la voie de la génération, c'est-à-dire si le premier homme avait jeté comme un trait son péché sur ceux qui n'existaient pas au moment où il le commit, l'Apôtre mentirait quand il dit que tous ont péché.

Aug. Je pourrais te dire ici : Comment la postérité d'Adam a-t-elle suivi l'exemple donné par celui-ci au moment où il commit le péché, puisque cette postérité n'existant pas alors, elle ne fut pas témoin de l'acte peccamineux, elle n'entendit point les paroles qui furent prononcées, elle ne crut pas même au récit des témoins? Mais je laisse cette réponse : « Adam a existé, et nous avons tous existé en lui; Adam a péri, et tous ont péri en lui : c'est pourquoi tous meurent en lui (1) ». Ecoute le langage tout à fait explicite de l'Apôtre; n'écoute pas ton propre verbiage tortueux à l'excès.

CLXXVII. Jul. Quand un homme seul accomplit une action, et que par là il trace la voie aux autres, il n'est pas vrai de dire que tous les autres ont accompli cette action conséquemment, ou bien le péché du premier homme a passé à sa postérité, et celte-ci n'a point péché elle-même; ou bien cette postérité a péché réellement, et, ce mot exprimant l'accomplissement même d'un acte peccamineux, le péché d'Adam n'a point été transmis à sa postérité, si ce n'est par voie d'imitation seulement.

Aug. Si un homme devient goutteux par suite de ses excès et qu'il transmette, comme il arrive souvent, son infirmité à ses enfants; ne dit-on pas avec raison que celle-ci a passé du père à sa postérité? que les enfants eux-mêmes se sont rendus goutteux dans la personne de leur père, parce que, au moment où ce dernier commettait ses excès, ils existaient déjà en lui ; et qu'ainsi le père et les enfants formaient encore un seul homme? Ces enfants donc se sont rendus sujets à cette infirmité, non point par un acte humain personnel, mais parce qu'ils formaient alors une partie du sang de leur père. Or, ce phénomène dont les maladies corporelles nous

 

1. Ambr. Liv. VII sur saint Luc , XV, 24.

 

offrent parfois des exemples, l'Apôtre savait qu'il s'était produit par suite de ce péché aussi énorme qu'il est ancien, dont notre premier père fut l'unique auteur, et qui a flétri et dégradé la nature humaine tout entière, quand il disait dans un langage dont vous vous efforcez d'obscurcir la clarté tout à fait lumineuse : « Le péché est entré dans le monde par un seul homme, et par le péché la mort; et ainsi (le péché) a passé dans tous les hommes par celui en qui tous ont péché (1) ». Il voulait par là exalter le mérite de la grâce de Jésus-Christ, en comparant les effets de celle-ci aux effets du péché, et en opposant le chef de la régénération au chef de la génération.

CLXXVIII. Jul. Quant à la difficulté que tu as cru nous opposer, soit dans le livre auquel je réponds en ce moment, soit dans ceux que tu avais écrits à Marcellin, savoir que le péché a été transmis et lorsque, pour me servir de « tes expressions, tous les hommes étaient cet homme unique (2) » ; elle disparaît facilement devant la lumière de la vérité, après avoir seulement excité le rire de tous les hommes tant soit peu instruits. Un tel argument, en effet, ne prouve pas autre chose que ton impiété; cette impiété, .dis-je, par laquelle tu crois, bien que cette doctrine sacrilège ait été condamnée autrefois dans la personne de Tertullien et de Manès, qu'il y a une transfusion des âmes comme il y a une transfusion des corps : cet enseignement est si abominable que, depuis que nous vous l'avons objecté dans la lettre envoyée par nous en Orient, tu t'es efforcé de t'en justifier et de nier qu'il soit de toi, dans les livres que tu as écrit dernièrement à Boniface. Voici en effet tes paroles : « Ils prétendent que nous confessons la transfusion des âmes ; je ne sais dans quel livre ils ont lu cet enseignement (3) » ; tu affirmais ainsi que ta doctrine rie contient rien de semblable. Or, pour faire ressortir ton imposture de la comparaison même, de tes paroles, comment peux-tu dire que la doctrine de la transfusion des âmes, doctrine impie assurément , ne fait point partie de ton enseignement, puisque tu déclares que tous les hommes ont été cet homme unique? Si tu ne crois pas qu'une

 

1. Rom. V, 12. — 2. Des Mérites et de la Rémission des péchés, liv. 1, n. 11. — 3. Contre les deux Epîtres des Pélagiens, liv. III, n. 26.

 

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partie de l'âme soit attachée au sang transmis dans la génération; comment as-tu la hardiesse d'écrire que tous les hommes ont été Adam seul, puisque l'homme ne peut exister sans être âme et corps à la fois?

Aug. Tu penses que le mot homme ne saurait être employé pour désigner le corps seul de l'homme ; or, tu sais parfaitement que le Fils unique de Dieu lui-même, Jésus-Christ Notre-Seigneur, a été crucifié et enseveli sous Ponce-Pilate ; son Eglise tout entière le confesse ainsi qu'une multitude de sectes hérétiques, et en particulier la vôtre ; et cependant le corps seul de Jésus-Christ a été enseveli. On ne devrait donc pas, suivant toi, dire que Notre-Seigneur Jésus-Christ , Fils unique de Dieu, a été enseveli; car, en Jésus-Christ, Fils unique de Dieu, Notre-Seigneur, il n'y a pas seulement un corps, mais le Verbe de Dieu, une âme raisonnable et un corps à la fois ; on aurait dû au contraire, après ces paroles de la profession de foi : « A été crucifié sous Ponce-Pilate », ajouter celles-ci : et son corps a été enseveli. L'Ecriture elle-même, en parlant du premier homme dont il s'agit précisément ici, n'aurait pas dû dire : « Dieu forma l'homme de la poussière de la terre (1) » ; car le corps seul de l'homme est composé de terre. Enfin, déclarez hautement que Dieu lui-même s'est trompé quand, menaçant l'homme de la mort, il lui a dit : « Tu es terre, et tu retourneras dans le sein de la terre (2) » : tandis que, suivant tes principes, il aurait dû dire : Ton corps est terre, et il retournera dans le sein de la terre. Mais, « Adam a existé, et nous avons tous existé en lui (3) » ; les docteurs catholiques ont reçu et enseigné avant nous cette doctrine, dans la sainte Eglise, conformément aux maximes des saintes Écritures : et voilà pourquoi j'ai dit : « Tous ont été celui-là seul »; comme en saint Matthieu (4) il est dit que le premier homme et la première femme n'étaient plus deux, mais une seule chair. J'ai appliqué à mon tour ce langage à tous les enfants issus de cette chair, parce que, au moment où le premier péché. fut commis, tous les hommes étaient cet homme unique : alors, en effet, personne n'avait encore passé du corps d'un homme dans un sein maternel ; car la génération des enfants n'est pas autre chose que

 

1. Gen. II, 7. — 2. Id. III, 19. — 3. Ambr. Liv. VII sur saint Luc, XV, 24. — 4. Matt. XIX, 6.

 

la transmission du sang d'un homme dans le sein d'une femme. De quelle manière donc et dans quelle mesure tous ceux qui sont nés d'Adam 'étaient-ils Adam seul? Les corps seuls étaient-ils renfermés dans cette unité de personne, ou bien les corps et les âmes à la fois? Je confesse que je l'ignore, et je ne rougis pas, comme vous, de reconnaître que je ne sais pas ce que j'ignore en effet : toutefois,ce que je sais parfaitement, c'est que l'Ecriture, parlant de tout homme,. s'exprime ainsi : « L'homme est devenu semblable à la vanité; ses jours passent comme une ombre (1) » ; ailleurs encore , les mêmes livres saints ajoutent : « Cependant, tout homme vivant, quel qu'il soit, n'est que vanité (2) »; or, la justice du Dieu Créateur ne permettrait pas qu'il en fût ainsi, si le péché originel n'existait pas.

CLXXIX. Jul. De plus, quand même tu parlerais ici de la chair seulement, la folie de ton interprétation ne serait pas pour cela excusable. Tu dis : « Tous les hommes ont été cet homme unique » ; or, au moment où Adam commit son péché, il y avait déjà, non pas une seule personne , mais, deux, Adam et son épouse; c'est de la substance de ces deux personnes, et non pas de leur faute, qu'a été engendré, suivant les lois établies par Dieu, le genre humain.

Aug. Je l'ai dit déjà, et je le répète encore ici : voici comment je me suis exprimé ; « Tous ont été cet homme unique », c'est-à-dire tous ceux qui devaient être formés du sang d'Adam, tous ceux qu'Adam devait engendrer. Celui donc qui a été le premier auteur de la génération, devait être aussi le principal auteur de la souillure originelle que contracteraient les enfants nés de ce couple. Celle à laquelle il s'unit ne conçut pas autre chose que ce qu'elle reçut de lui; son enfantement fut postérieur à la génération d'Adam, quoiqu'elle eût péché la première. Voilà pourquoi la sainte Ecriture dit que les enfants de Lévi existaient dans la personne d'Abraham leur père, et qu'ils don. aèrent en lui la dîme au prêtre Melchisédech (3) : lis l'Epître aux Hébreux et réforme ton langage.

CLXXX. Jul. Enfin la sainteté d'Abel, célébrée dans toutes les pages de l'Ecriture, atteste que le péché de ces parents ne nuisit en aucune manière à leur propre fils.

 

1. Ps. CXLIII, 4. — 2. Id. XXXVIII, 6. — 3. Hébr. VII, 5-10.

 

539

 

Aug. Pourquoi donc l'Apôtre n'a-t-il pas proposé à notre imitation ce même Abel qui fut le premier juste ? Pourquoi au contraire, parlant de deux hommes dont l'un serait la cause de notre condamnation et l'autre la cause de notre justification, a-t-il nommé Adam et Jésus-Christ ? Si Abel ne sentait pas dans ses membres une loi opposée à la loi de l'esprit (1), et contre laquelle, en sa qualité de juste, il eût à lutter intérieurement; si sa chair ne convoitait pas contre l'esprit (2), le péché de ses parents ne lui avait nui en aucune manière. Mais quiconque prétend que telle a été la condition d'Abel, doit enseigner aussi que la chair de ce dernier n'était pas une chair de péché ; or, sans aucun doute, le Seigneur Jésus-Christ n'aurait pas eu une chair semblable à la chair du péché, si la chair de tous les autres hommes n'avait pas été une chair de péché.

CLXXXI. Jul. Caïn au contraire, envieux, parricide, engendré de la même nature, mais non pas inspiré par une volonté semblable, Caïn est en proie à des terreurs qui font le supplice de son âme. Ainsi l'Apôtre a dit que le péché est entré dans ce monde par un seul homme, et par le péché la mort; et que de cette manière la mort a passé dans tous les hommes qui ont commis le péché ; mais, cette maxime, conforme à la doctrine catholique, ne saurait être d'aucun secours pour vous-mêmes.

Aug. L'Apôtre fait voir que la mort a passé avec le péché, quand il dit : « Et la mort a passé ainsi dans tous les hommes ». C'est pourquoi les enfants eux-mêmes sont arrachés à la puissance des ténèbres, au moment où ils reçoivent le baptême : autrement, comme nous l'avons déjà dit et comme nous sommes obligés de le répéter souvent, on fait à Dieu une injure grave quand on exorcise son image et qu'on fait sur elle des insufflations, si l'on n'a pas pour but de chasser, par ces exorcismes et par ces insufflations, le prince du monde (3), afin que cette image devienne la demeure du Saint-Esprit. Quant au crime dont Caïn se rendit coupable, on ne doit pas en faire retomber la responsabilité sur l'origine dont Caïn était issu, puisqu'il commit ce crime volontairement.

CLXXXII. Jul. Car, elle est conçue en des termes qui n'indiquent pas autre chose qu'un

 

1. Rom. VII, 23. — 2. Gal. V, 17. — 3. Jean, XII, 31.

 

exemple donné primitivement, et des actes accomplis ensuite volontairement par des hommes qui imitent cet exemple.

Aug. Je te l'ai dit déjà : c'est donc le nom d'Abel, et non pas celui de Jésus-Christ, qui aurait dû être opposé à celui d'Adam.

CLXXXIII. Jul. D'ailleurs, si l'Apôtre avait voulu nous représenter la procréation des enfants comme souillée parle péché, ou comme étant elle-même une source de péché, il aurait dit que le péché est entré, non point par un seul homme, mais par deux personnes.

Aug. Il a été répondu à cela. Tu ne dis rien de sérieux, et cependant tu ne cesses de parler, précisément parce que tu ne trouves rien à dire qui soit appuyé sur la raison.

CLXXXIV. Jul. Il n'aurait pas dit non plus : « La mort a passé en ce que tous ont péché » ; mais, en ce que tous ont eu leur origine dans la volupté diabolique et dans la chair du premier homme et de la première femme ; et s'il avait parlé ainsi, il n'aurait pas donné un appui à votre doctrine, mais il aurait renversé toutes les maximes établies par lui-même. Conséquemment saint Paul accuse la volonté de ceux qui commettent le péché et l'exemple du péché qui leur a été donné ; et par là même vous avez à la fois contre vous le témoignage de la raison et le témoignage de l'Apôtre.

Aug. Donc il aurait dû citer comme ayant donné l'exemple de la justice, Abel qui fut le premier juste, de même que, suivant vous, il a cité Adam, le premier pécheur, comme ayant donné l'exemple du péché. Pourquoi nous-mêmes, en effet, nous lasserions-nous de te faire les mêmes réponses, puisque. tu n'as pas honte de nous opposer si souvent et si inutilement les mêmes objections ?

CLXXXV. Jul. « Le péché en effet a existé dans ce monde jusqu'à la loi ; mais le péché n'était pas imputé, puisque la loi n'existait pas; cependant la mort a régné depuis Adam jusqu'à Moïse, même sur ceux qui n'avaient point péché par une prévarication semblable à celle d'Adam, lequel est la figure de celui qui devait venir (1) ». Il distingue les différentes espèces de péchés par les dénominations diverses qu'il leur donne, afin de montrer que autre chose est le péché proprement dit, autre chose est la prévarication ;

 

1. Rom. V, 13, 14.

 

540

 

son but unique en cet endroit, c'est de faire voir que toute prévarication est un péché, mais que tout péché n'est pas une prévarication ; que le mot de « prévarication » ajoute encore à l'odieux qui s'attache au mot de péché, et que les transgresseurs d'un précepte positif doivent être regardés comme plus coupables que ceux qui pèchent sans avoir été instruits par aucune loi de ce genre et enfermant seulement les yeux aux lumières de la raison naturelle. Ainsi, avant la loi qui fut donnée par le ministère de Moïse, et écrite par lui; avant cette loi, dis-je, dont les prescriptions devaient servir de règle à toutes les actions del'homme, et dont il n'était pas permis au peuple qui vivait sous elle d'ignorer les préceptes ; pendant le temps qui s'écoula depuis Adam jusqu'à Moïse l'Apôtre accuse de péché, et non pas de prévarication, les mortels qui se rendaient coupables en cédant à leurs inclinations perverses, de quelque nature qu'elles fussent.

Aug. Quel est donc le sens de ces paroles : La mort a régné depuis Adam jusqu'à Moïse, « même sur ceux qui n'ont point péché par une prévarication semblable à celle d'Adam? » A quelques distinctions que vous ayez recours , il est incontestable que ces paroles de l'Apôtre sont contraires à votre doctrine. Car, si vous séparez ces mots : «  Regnavit mors et in eos qui non peccaverunt : La mort a régné même sur ceux qui n'ont point péché » ; si vous séparez ces mots de ceux qui suivent, comment ce règne de la mort est-il juste, sinon à cause du péché originel? Et alors, comme si l'Apôtre se demandait à lui-même pourquoi la mort a régné même sur ceux qui n'ont point péché, il répond : « In similitudinem praevaricationis Adae : cause d'une prévarication semblable à celle d'Adam » ; c'est-à-dire, non pas à cause de leurs péchés personnels, mais parce que Adam prévaricateur a engendré des enfants semblables à lui ; ces paroles ont été ainsi interprétées même par des docteurs catholiques, qui ont vécu avant nous. En effet, quoique ce péché premier et unique, qui est entré dans le monde par un seul homme, soit commun à tous, et que l'Apôtre ait dit pour cette raison : « En qui tous ont péché » ; les enfants cependant ne sont coupables d'aucun péché personnel. Et voilà pourquoi saint Paul a pu dire avec vérité que ces enfants n'ont point péché ; mais que, suivant ses propres expressions, la mort a régné sur eux « à cause d'une prévarication semblable à celle d'Adam ». Si au contraire vous lisez ainsi ce passage : « La mort a régné depuis Adam jusqu'à Moïse, même sur ceux qui n'ont point péché par une prévarication semblable à celle d'Adam », c'est-à-dire, même sur ceux qui ont péché, il est vrai, mais qui n'ont point péché par une prévarication semblable à celle d'Adam ; personne, d'après vos propres maximes, ne se trouve dans cette condition, puisque vous prétendez que tous ceux qui ont péché ont péché par une prévarication semblable à celle d'Adam; en d'autres termes, qu'ils ont suivi son exemple. La tannière est donc fermée de part et d'autre au petit renard, il lui est impossible d'y entrer pour s'y cacher; ou bien, si déjà il y était caché, il ne saurait plus. en sortir pour prendre la fuite.

CLXXXVI. Jul. D'où. il suit que ceux à qui la loi n'a pas été donnée, ne doivent pas être regardés comme transgresseurs de préceptes; mais leur culpabilité n'en est pas moins incontestable, puisque, sans tenir compte des maximes de la raison, dont la lumière brille dans la conscience personnelle de chacun, ils ont foulé aux pieds les droits de la société humaine ou les lois de la pudeur; c'est pour. quoi il est dit qu'ils ont péché en imitant un autre homme, non pas cependant en transgressant la loi, puisque celle-ci n'était pas encore promulguée à cette époque. Le péché donc , et non pas la prévarication, a existé jusqu'à la loi ; depuis la loi, au contraire, non-seulement le péché, mais la prévarication même a existé. La mort , elle aussi, a régné; cette mort éternelle dont Dieu avait menacé expressément de frapper le premier homme, s'il commettait le péché. Cette mort, dis-je, qui est due au péché, cette mort qui est un châtiment, a régné avant la loi en ceux qui ont commis le péché, par exemple, dans les habitants de Sodome et dans ceux qui, au temps du déluge ou à différentes époques, ont péri d'une manière violente à cause de leurs iniquités, volontaires toutefois; elle a régné aussi depuis la loi, en ceux qu'elle a trouvés coupables de prévarication.

Aug. Suivant toi, la mort qui est un châtiment, c'est la mort éternelle seule ; mais si la mort, qui est la séparation de l'âme et du (541) corps, n'est pas un châtiment, pourquoi est-elle un objet de frayeur pour la nature, pour cette nature que tu déclares n'être pas corrompue? Pourquoi l'enfant, dès qu'il commence un peu à sortir du premier âge, est-il déjà saisi d'effroi en pensant qu'il peut être tué? Pourquoi ne nous sentons-nous pas portés à la mort comme au sommeil, par une inclination naturelle? Pourquoi regarde-t-on comme de grands hommes ceux qui ne craignent pas la mort, et pourquoi ceux-ci sont-ils si rares? Pourquoi celui-là même qui déclarait avoir un désir ardent d'être dissous et réuni ensuite à Jésus-Christ (1), pourquoi cependant ne veut-il pas être dépouillé, mais revêtu d'un vêtement nouveau, afin que ce qui est mortel en lui, soit absorbé par la vie (2)? Pourquoi a-t-il été dit à Pierre, au sujet précisément de sa fin glorieuse : « Un autre te ceindra et, te conduira là où tu ne veux pas (3)? » Si donc c'est en vain que l'on craint la mort, cette crainte elle-même est déjà un châtiment ; mais si, de plus, l'âme éprouve une répugnance naturelle à être séparée du corps, la mort, elle aussi, est un châtiment, quoique, avec le secours de la grâce divine, nous puissions en faire un bon usage.

CLXXXVII. Jul. Car, au tribunal de cette justice qui impute uniquement les péchés dont on a été libre de s'abstenir, ceux qui ont péché sans la loi seront jugés sans la loi, et ceux qui ont péché sous la loi seront jugés par la loi  (4). Quand l'Apôtre dit : « Mais la mort a régné depuis Adam jusqu'à Moïse sur ceux mêmes qui n'ont point poché par une prévarication semblable à celle d'Adam » ; il fait voir clairement quelle est sa pensée; en d'autres termes, il montre que les Juifs commettant le péché sous la loi, se sont rendus coupables d'une prévarication semblable à celle d'Adam, parce que le premier homme, lui aussi, avait reçu la loi, non pas écrite, il est vrai, mais verbale , de ne point, goûter les fruits de l'arbre (Dieu voulant par là éprouver son obéissance) ; et en mangeant un de ces fruits, malgré la défense qui lui en avait été faite, il commit le crime de prévarication. Ainsi, même après la promulgation de la loi par le ministère de Moïse, le peuple commettant le péché est convaincu de s'être rendu coupable d'une prévarication semblable à celle d'Adam;

 

1. Philipp. I, 23. — 2. II Cor. V, 4. — 3. Jean , XXI, 18. — 4. Rom. II, 12.

 

parce que, comme le premier homme, en commettant le péché il transgressait une loi; au contraire, pendant le temps qui s'écoula entre les deux lois, entre la première qui fut promulguée, non pas écrite, et la seconde qui fut à la fois promulguée et écrite, ceux qui commirent le péché ne sont pas déclarés exempts de péché, mais aussi ils ne sont pas représentés comme s'étant rendus coupables d'une prévarication semblable à celle d'Adam, puisqu'ils n'avaient reçu aucune loi.

Aug. En niant que certains hommes se soient rendus coupables d'une prévarication semblable à celle d'Adam, tu prouves contre toi-même que ceux qui ont péché sans la loi ne sont pas devenus coupables par suite de l'exemple du premier homme; ce n'est donc point par voie d'imitation, mais par la voie de la génération, que la mort a passé dans tous les hommes à la suite du péché. Car, si, pendant le laps de temps immense qui s'est écoulé avant la loi, il y avait eu interruption du règne de la mort qui est entrée dans le monde par le péché du premier homme; et que celle-ci eût commencé à régner de nouveau au moment où les Juifs commencèrent à devenir transgresseurs de la loi ; de telle sorte quelle n'eût jamais frappé que ceux qui étaient coupables d'une prévarication semblable à celle d'Adam; l'Apôtre ne dirait pas, en parlant de cette mort, qu' elle est entrée par un seul homme, et qu'elle « a passé par tous les hommes ». En effet, je ne dis pas à quel ignorant, mais à quel insensé persuaderez-vous que la mort est entrée par un seul homme et qu'elle a passé par tous les hommes; puisque, suivant vous, une multitude de nations et de siècles n'ont pas été soumis à l'empire de la mort ; que cet empire a été établi seulement sur ceux qui avaient reçu la loi; que tous les autres ont été épargnés; et que, suivant vous pareillement, la mort a régné sur ceux mêmes qui ont péché, non point par une prévarication semblable à celte d'Adam, mais sans aucune prévarication, parce qu'ils péchaient sans aucune loi positive? Il vous est absolument impossible de rendre votre doctrine acceptable, si ce n'est en revenant à la foi catholique, à cette foi qui oppose au premier homme, chef de la génération, le second homme, chef de la régénération.

CLXXXVIII. Jul. Ce même Adam est appelé la figure de celui qui devait venir, c'est-à-dire (542) de Jésus-Christ; mais on doit entendre ce mot de figure dans un sens d'opposition, et considérer le premier comme le modèle des pécheurs, et le second comme le modèle des justes. L'incarnation de Jésus-Christ offrit aux regards du monde le modèle de la justice, non pas le premier, mais le plus parfait modèle; car, même avant que le Verbe se fît chair, grâce à la foi qu'ils avaient en Dieu, les Prophètes et un, grand nombre d'autres saints pratiquèrent des vertus éclatantes; mais quand la plénitude des temps fut accomplie, le type achevé de la justice brilla dans la personne de Jésus-Christ, et Celui qui avait été annoncé comme devant être le père du siècle futur, resplendit, en sa qualité de rémunérateur des saints qui avaient vécu avant lui et de ceux qui devaient venir après lui, dans tout l'éclat d'une gloire à laquelle nulle autre ne saurait être comparée......

Aug. Nous reconnaissons ici votre hérésie Pélage a enseigné que les anciens n'ont pas vécu dans la justice par suite de la foi qu'ils avaient en l'incarnation de Jésus-Christ; sous prétexte que celui-ci n'était pas encore venu dans la chair . tandis que assurément ils n'auraient pas- annoncé cette incarnation future, s'ils n'y avaient pas cru les premiers. Mais vous avez été amenés à enseigner cette absurdité, quand vous avez soutenu que la justice a pu exister par les seules forces de la nature et avec le secours de la loi ; or, si la justice a pu exister de l'une ou l'autre de ces deux manières, il s'ensuit que Jésus-Christ est mort inutilement:

CLXXXIX. Jul. De même aussi, et dans un sens opposé, Adam est appelé le modèle du péché, non pas le premier, mais le plus achevé de tous les modèles.

Aug. Pourquoi donc est-il, non pas le premier, mais le plus achevé de tous les modèles? Car, tu ne nies pas que, en sa qualité de père du genre humain, Adam ait été le; premier modèle du péché ; et aucune raison ne t'autorise à déclarer qu'il a été le plus achevé de tous les modèles, si tu ne reconnais qu'il a péché d'une manière d'autant plus grave qu'il lui était plus facile de ne point pécher, alors que sa nature n'était point corrompue et que la loi du péché ne luttait pas encore dans ses membres contre la loi de l'esprit; cette corruption et ces luttes sont un châtiment auquel tout homme est assujetti en naissant ; en naissant, dis-je, pour périr éternellement, s'il ne reçoit une seconde nais sauce; et dans un état de perdition, s'il n'est cherché et trouvé par celui qui est venu chercher ce qui était perdu (1).

CXC. Jul. Je dis qu'Adam a été le plus achevé de tous les modèles, non point que je refuse de reconnaître que le démon a été plus coupable; mais :parce que, comme il s'agissait de savoir de quelle manière le péché est entré dans ce monde, l'Apôtre s'est exprimé d'une manière plus convenable, en parlant d'un homme sur qui plusieurs générations avaient arrêté leurs regards, que s'il avait parlé d'un être dont la nature est aérienne. Il était certain cependant que la femme avait péché la première, même parmi les créatures humaines; mais, parce que, en toute autre chose, l'autorité du père est plus efficace et plus imposante, saint, Paul a cité comme ayant donné le premier exemple de péché, non pas celle qui se rendait coupable la première, mais celui que la noblesse et la supériorité de son sexe nous montre comme ayant dû, plus que tout autre, servir de modèle. Tu vois combien l'enchaînement de cette interprétation prouve qu'elle est conforme à la vérité.

Aug. La preuve que l'Apôtre n'a pas opposé une imitation à une autre imitation, mais bien la régénération à la génération, c'est le titre même de modèle qu'il donne à Jésus-Christ et l'opposition qu'il établit entre celui-ci et Adam, entré l'homme second et l'homme premier. Si donc ceux qui reçoivent une naissance nouvelle ne participent pas à la justice de Jésus-Christ, ceux qui naissent pour la première fois ne participent pas non plus au péché d'Adam; et alors Jésus-Christ n'est pas un modèle opposé au premier homme; mais ce titre appartient réellement à Jésus-Christ; et, de même que ceux qui reçoivent une naissance nouvelle entrent en participation de la justice de Jésus-Christ, même les enfants, quoiqu'ils n'aient pas: encore le pou. voir de pratiquer la justice; de même aussi, et sans aucun. doute, ils sont nés ou ils naissent coupables dû péché d'Adam, quoiqu'ils soient encore incapables de commettre le péché par eux-mêmes. Reconnais à Jésus-Christ le titre de modèle et cesse- toi-même de donner l'exemple de la contradiction la plus odieuse.

CXCI. Jul. Considère maintenant combien

 

1. Luc, XIX, 10.

 

543

 

ton interprétation est contraire, non-seulement aux autres paroles de ce passage, mais en particulier à celles où l'Apôtre déclare que la mort a régné même sur ceux qui «n'ont point péché par une prévarication semblable à celle d'Adam, lequel est la figure de celui qui devait venir ». En effet, si, comme tu le penses, l'Apôtre avait parlé d'un péché naturel, quand il écrivait ces mots : in quo omnes  peccaverunt (en qui ou en ce que tous ont péché) ; quels seraient donc ceux qu'il déclare aussitôt être exempts, non-seulement de la prévarication d'Adam, mais même de toute faute semblable à la faute du premier homme ?

Aug. Tu interprètes ainsi ces paroles, mais tu ne les comprends en aucune manière; l’Apôtre explique comment la mort a pu régner sur ceux mêmes qui n'ont point péché, quand il ajoute : « Par une prévarication a semblable à celle d'Adam » ; en d'autres termes, il montre que la mort a régné sur ceux mêmes qui n'ont point péché, par la raison qu'ils ont contracté une souillure qui ressemble en quelque chose à- la prévarication d'Adam. Car notre naissance nous revêt du premier homme, comme notre régénération nous revêt de Jésus-Christ.

CXCII. Jul. « La mort », dit-il, « a régné même sur ceux qui n'ont point péché par une prévarication semblable à celle d'Adam » ;tu vois qu'il a établi une distinction tout à fait manifeste entre ceux qui s'étaient égarés de la même manière qu'Adam et ceux qui s'étaient égarés d'une manière différente.

Aug. S'ils s'étaient égarés d'une manière différente, comment donc avaient-ils pu être ses imitateurs ? Oppose la régénération à la génération , non pas une imitation à une autre imitation; tu comprendras alors en quel sens l'Apôtre de la vérité a dit que le premier homme est la figure de celui qui devait venir, et tu renonceras à la doctrine inventée par Pélage, l'auteur de votre hérésie.

CXCIII. Jul. Or, cette distinction né saurait plus être établie, dès qu'on suppose l'existence d'un péché naturel ; car, si ce péché existait réellement, il imprimerait là même souillure à tous les hommes sans exception .personne donc ne serait exempt de ce mal, et on ne trouverait pas un seul homme dont on pût dire avec vérité qu'il n'aurait pas commis un péché semblable à celui-là, puisque en réalité il aurait été commis par tous.

Aug. Ce que tu proclames ici, en t'inspirant de quelque souvenir, est conforme à la vérité et contraire à votre propre doctrine; le péché originel a imprimé la même souillure à tous les hommes sans exception; personne ne serait exempt de ce mal, si la grâce divine ne venait nous en délivrer par les mérites de Jésus-Christ. La mort a exercé son règne sur ceux mêmes qui n'ont point péché; en d'autres termes, sur ceux qui n'ont commis aucun péché personnel ; et ceux-ci méritaient ce châtiment, parce qu'ils étaient coupables d'une prévarication semblable à celle d'Adam, lequel est la figure, de celui qui devait venir, c'est-à-dire de Jésus-Christ. Car, de même que notre naissance nous revêt du premier homme, notre régénération nous revêt du second homme.

CXCIV. Jul. L'Apôtre conclut en déclarant que les uns ont commis le péché comme Adam, tandis que les autres n'ont pas même subi les premières atteintes d'une flétrissure semblable à celle de la prévarication ancienne; il est donc tout à fait manifeste que les crimes doivent être attribués à la conduite de l'homme et non pas au sang dont il a été formé. Et pour résumer en quelques mots cette discussion, l'Apôtre dit que le péché est entré par un seul homme ; la raison démontre que ces paroles s'appliquent uniquement à des actes d'imitation, et non point à la génération, puisque celle-ci est l'oeuvre de deux personnes.

Aug. Ta plume reproduit sans cesse les mêmes discours, mais aussi sans jamais rien écrire de sérieux; tu ne vois pas que s'il s'agissait en cet endroit d'un péché d'imitation commis par le genre humain, l'Apôtre dirait que le péché est entré dans le monde par une seule plutôt que par un seul; car, non-seulement Eve a commis le péché la première, mais Adam commettant le même péché, ne fit qu'imiter son épouse. Saint Paul voulait donc parler de là génération; et non point d'une imitation de ce genre, quand il disait : « Le péché est entré dans le monde par un seul homme »; ou bien, parce nombre singulier, il désignait à la fois le premier homme et la première femme, conformément à ces paroles . « Ils ne sont plus deux (1) » ; ou

 

1. Matt. XIX, 6.

 

bien il citait de préférence celui qui a la première part dans l'acte de la génération, celui dont le sang vient d'abord se mêler au sang de la femme. Nous avons déjà bien des fois donné ces explications; mais nous ne cesserons pas d'opposer à tes répétitions nos propres répétitions ; seulement nous ménagerons les nôtres autant que possible.

CXCV. Jul. Saint Paul continue en ces termes : « Et ainsi la mort a passé dans tous les hommes ».

Aug. Qu'eu-ce à dire : « Et la mort a passé ainsi », sinon : la mort a passé de la même manière qu'elle est entrée, c'est-à-dire,- avec le péché ou par le péché?

CXCVI. Jul. Il s'est exprimé d'une manière tout à fait explicite, afin que personne ne crût que le péché a passé de la même manière; afin de montrer aussi que la mort, qui est le châtiment infligé par la justice suprême, frappe uniquement les pécheurs en qui cette justice trouve un sujet de condamnation légitime, par suite des actes mauvais qu'ils ont accomplis volontairement. Il prouve donc que ce n'est point la nature, mais la volonté humaine qui doit être accusée.

Aug. Tes efforts persévérants et sans cesse renouvelés pour trouver un appui à ta doctrine, sont absolument impuissants. Considère Adam et Jésus-Christ; le premier est la figure de celui qui devait venir; or, il n'y a pas un rapport d'opposition entre Jésus-Christ et Adam, si Adam ne nous transmet pas son péché au moment de notre naissance comme Jésus-Christ transmet sa justice aux enfants au moment où ils sont régénérés.

CXCVII. Jul. Il ajoute que la mort a régné « en ce que tous ont péché » ; ces expressions désignent, non pas la perte d'un enfant qui vient au monde, mais les actes d'un homme qui agit par lui-même. Preuve manifeste qu'il dirige son accusation contre les actions coupables et qu'il ne flétrit pas l'innocence.

Aug. Tous ont péché en celui en qui tous meurent;.et celui-là est la figure, par opposition, de celui en qui tous reçoivent la vie. Or, « de même que tous meurent en Adam, « tous revivront aussi en Jésus-Christ (1) ». Saint Paul s'exprime ainsi, parce que, comme personne ne va à la mort si ce n'est par suite d'un fait personnel en Adam ; de même aussi personne ne renaît à la vie si ce n'est par

 

1. I Cor. XV, 22.

 

suite des mérites de Jésus-Christ. O homme incapable de rien dire, si du moins tu pouvais garder le silence !

CXCVIII. Jul. II ajoute après cela que le péché a régné jusqu'à la loi, montrant ainsi que le règne du péché a cessé dès que la loi a été promulguée.

Aug. Si le règne du péché a cessé par le fait seul que la loi a été promulguée, il s'en. suit que la justice s'acquiert par la loi. « Si la justice s'acquiert par la loi, c'est donc en vain que Jésus-Christ est mort (1) ». Ces paroles sont de l'Apôtre, et non pas de moi. Désormais déclarez-vous ouvertement, ô ennemis de la croix de Jésus-Christ. Pourquoi craignez-vous le grand peuple de Jésus-Christ puisque vous ne craignez pas le grand jugement de ce même Jésus-Christ? Enseignez ouvertement que nous pourrions être justifiés par les seules forces de la nature, avec la secours de la loi seule ; que Jésus-Christ est mort en vain. Mais parce que vous redoutez le jugement de la multitude chrétienne, vous avez recours à une explication pélagienne, et quand on vous demande pourquoi Jésus Christ est mort, puisque la nature ou la loi suffit pour nous rendre justes, vous répondez : C'est afin que cette même justification s'accomplisse plus facilement ; comme si nous pouvions, quoique avec plus de difficulté, parvenir à la justice par les seules forces de la nature ou avec le secours de la loi seule. O Jésus-Christ, répondez, triomphez de ces contradicteurs et réduisez-les au silence ; criez-leur: « Sans moi vous ne pouvez rien faire » ; apprenez-leur à se taire, à ceux qui crient : Même sans vous nous pourrions, quoique avec plus de difficultés, faire quelque chose : ou bien, s'ils ne peuvent se taire, qu'ils se retirent du moins dans quelque lieu secret, où ils ne séduiront plus personne, Pourquoi donc l'Apôtre dit-il : « Le péchés subsisté dans le monde jusqu'à la loi »; sinon parce que la promulgation de la loi n'a pu mettre fin au péché, mais celui-là seul dont il a été dit : « Voici l'Agneau de Dieu , voici celui qui ôte les péchés du monde (3)?»

CXCIX. Jul. La génération, au contraire, qui a commencé en Adam, demeure même après la loi : or, si cette génération était, comme tu le prétends, une source de péchés et une

 

1. Gal. II, 21. — 2. Jean, XV, 5. — 3. Id. I, 29.

 

545

 

plante du démon, ce genre de crimes subsisterait, non pas jusqu'à la loi, mais même après la loi et après Jésus-Christ. Conséquemment, le péché que l'Apôtre déclare avoir existé jusqu'à la loi, et n'avoir pu subsister après la loi, ce péché est manifestement un péché d'action personnelle, et non pas un péché de naissance.

Aug. Tu déclares ouvertement ici que l'Apôtre a dit : « Le péché a existé dans le monde jusqu'à la loi », non pas précisément parce que la loi elle-même n'a pu mettre fin au péché, mais parce que le péché n'a pu subsister après la loi ; et tu n'es pas effrayé en entendant cette voix de Dieu qui, par la bouche d'un homme de Dieu, désigne Jésus-Christ en ces termes : « Voici l'Agneau de Dieu, voici celui qui ôte le péché du monde? » Où est ta raison, où est ton bon sens? Ce n'est pas la nature, ce n'est pas la loi, mais : « Voici celui qui ôte le péché du monde » : et tu oses dire que le règne du péché a cessé au moment où la loi a été promulguée, et que le péché n'a pu subsister après la loi? tandis que l'Apôtre déclare que : « Si la justice existe par la loi, c'est donc en vain que Jésus-Christ est mort » ; et encore : « Personne n'est justifié par la loi (1) » ; et ailleurs : « La loi est survenue pour que le péché devînt plus abondant (2) » ; ailleurs enfin: « Si la loi qui a été donnée avait pu vivifier, la justice viendrait vraiment de la loi; mais l’Ecriture a renfermé tous les hommes sous le péché, afin que la promesse fût accomplie par la foi en Jésus-Christ, en faveur des croyants (3) ! ». Si vous avez des oreilles, cessez vous-mêmes de parler : ou bien, si vous voulez parler le langage de la vérité, ouvrez auparavant vos oreilles à la parole divine. Tu te souviens sans doute d'avoir dit que la génération a commencé par Adam; toi qui as coutume d'enseigner que la génération a commencé nécessairement par deux personnes, et que par là même l'Apôtre n'a point voulu faire entendre quelle est l'origine véritable du péché, puisque, suivant lui, le péché est entré dans le monde par un seul homme. Qui croirait que tu puisses oublier ce que tu as enseigné si souvent contrairement à la vérité ? Tu l'as oublié cependant, et tu as parlé enfin le langage de la vérité. Sors de ton sommeil ; écoute du moins

 

1. Gal. III,11. — 2. Rom. V, 20. — 3. Gal. III, 21, 22.

 

tes propres paroles : Là génération a commencé en Adam, donc le péché est entré par la génération, puisqu'il est entré dans le monde par un seul homme. Car tu as dit toi-même : « La génération qui a commencé par Adam subsiste même après la loi ». C'est donc avec raison que l'Apôtre, parlant d'un péché qui est entré dans le monde pour être transmis ensuite par la voie de la génération, a nommé un seul homme, et non pas le démon, puisque le péché qui est entré par celui-ci dans le monde devait être transmis seulement par voie d'imitation.

CC. Jul. « Le péché », dit-il, « n'est pas imputé lorsque la loi n'existe pas (1) » ; cette maxime, aussi bien que toutes les autres enseignées par lui, détruit complètement la doctrine de la transmission par le sang.

Aug. Assurément, lorsque la loi n'existe pas, le péché n'est pas imputé, mais par les hommes seulement, lesquels ne connaissent pas les jugements impénétrables de Dieu. Car, si Dieu n'impute pas le péché lorsque la loi n'existe pas, comment la justice divine laissera-t-elle périr sans la loi ceux qui auront péché sans la loi (2)?

CCI. Jul. En effet, si le péché transmis avec le sang n'était pas imputé avant la loi, et qu'après la loi il n'ait plus existé, il s'ensuit qu'à aucune époque absolument il n'a eu le pouvoir de nuire au genre humain. Avant la loi le péché naturel n'était pas imputé : sous la loi il n'a pas été imputé non plus, puisque aucun texte de cette loi ne nous le montre, soit comme existant, soit comme étant imputé. Il est donc manifeste que les accusations de l'Apôtre ont pour objet, avant la loi, les péchés commis par la libre volonté de l'homme, et, après la loi, les prévarications accomplies par cette même volonté libre.

Aug. Si l'existence du péché originel n'est pas enseignée dans la loi, pourquoi donc est-il dit dans cette loi que l'âme d'un enfant non circoncis le huitième jour est exterminée du milieu de sa race (3)? pourquoi, à la naissance d'un enfant, offrait-on un sacrifice pour le péché (4) ? Désormais, je te prie, tais-toi instruis-toi par l'exemple des enfants et imite leur silence.

CCII. Jul. D'où il suit nécessairement que saint Paul n'a rien dit de la transmission du péché par le sang : quoique ces preuves

 

1. Rom. V, 13. — 2. Id. II,12. — 3. Gen. XVII,14. — 4. Lév. XII, 6.

 

546

 

soient pleinement suffisantes pour établir que l'Apôtre n'a jamais enseigné la doctrine du péché naturel (cette doctrine qui est contraire à la raison et qui a été inventée par les Manichéens), nous trouvons cependant un argument surabondant à cet égard dans ce fait seul que, suivant une distinction établie expressément par le même Apôtre, les hommes ne sont pas, tous absolument, souillés par suite de la prévarication d'Adam; car, même parmi ceux sur qui la mort exercerait son règne à cause de leurs iniquités, il s'en trouverait un grand nombre qui devraient être regardés comme exempts de la prévarication d'Adam.

Aug. O calomniateur, ô discoureur obstiné ! « Nous naissons tous dans l'état du péché, nous hommes dont l'origine même est souillée (1) ». Celui qui a écrit ces mots n'était pas un manichéen; mais, suivant un éloge que votre propre docteur lui a donné, il a, comme une fleur merveilleuse, brillé d'un éclat admirable parmi les écrivains ecclésiastiques. Comment donc peux-tu dire que tous les hommes ne sont pas souillés de la -prévarication d'Adam, et, ce qui est pire encore, comment oses-tu attribuer à l'Apôtre une maxime absurde inventée par toi-même? Saint Paul dit au contraire: «La mort a régné depuis Adam jusqu'à Moïse, sur ceux mêmes qui n'ont point péché », voulant désigner par ces dernières expressions les enfants qui n'ont point commis de péchés personnels; il ajoute : « Par une prévarication semblable à celle d'Adam (2) », afin de montrer pourquoi la mort a exercé son règne sur eux, ainsi que nous l'avons déjà ci-dessus expliqué d'une manière suffisante (3). Comment, en effet, « le péché est-il entré dans le monde par un seul homme, et par le péché la mort », si la mort a régné cependant sur un certain nombre d'hommes qui- n'avaient point participé au péché de cet homme unique? Car, ceux sur qui la mort a exercé son règne participent au péché par lequel la mort est entrée ; mais ceux qui ne participent point au péché par lequel la mort est entrée, comment peuvent-ils être, par un juste jugement, soumis à l'empire de la mort? Or, comme tu l'as dit toi-même, ils ne participent point au péché qui est entré dans le monde par un seul homme, ceux qui n'ont point

 

1. Ambr. Livre I de la Pénit., chap. II ou III. — 3. ROM. V, 14. — Chap, CXCI.

 

péché par une prévarication semblable à celle de cet homme : la mort n'a donc point exercé,

 son règne sur eux. Cependant, que signifient ces paroles : « La mort a exercé son règne sur ceux mêmes qui n'ont point péché par une prévarication semblable à celle d'Adam », sinon que la mort a exercé son règne sur ceux mêmes qui n'ont point péché, en ce:sens qu'ils n'ont commis aucun péché personnel ? La mort a donc exercé son règne à cause de la ressemblance de la prévarication d'Adam ; parce que, quoique ces hommes n'aient commis aucun péché personnel, ils participent cependant au péché par lequel la mort est entrée dans le monde; ils contractent la ressemblance de la prévarication primitive, non pas en commettant eux-mêmes un péché de prévarication, mais en naissant du prévaricateur par qui la nature humaine a  été flétrie tout entière.

CCIII. Jul. Vois donc si tu peux toi-même douter de la vérité de ce que nous disons, savoir que des créatures à peine formées par la main de Dieu, et dont l'innocence n'a pu être flétrie, parce qu'elles n'ont pas encore fait usage de leur volonté personnelle; que ces créatures, dis-je, n'ont point péché en Adam, puisque, d'après le témoignage de l'Apôtre, parmi ceux mêmes qui sont coupables de fautes personnelles, il s'en trouve un grand nombre qui doivent être regardés comme n'ayant point péché par une prévarication semblable à celle d'Adam.

Aug. Il a déjà été répondu à cela : il ne te reste plus d'autre ressource que le silence; car tu ne saurais enseigner que l'erreur, en t'efforçant de dénaturer les enseignements de l'Apôtre. Celui-ci en effet déclare que la mort a exercé son règne sur ceux mêmes qui n'ont point péché, c'est-à-dire sur les enfants qui ne sont coupables d'aucun péché personnel, à cause de la ressemblance de la prévarication d'Adam, lequel est  la figure de celui qui devait venir; et la preuve, c'est que Jésus-Christ communique sa justice à ces enfants comme Adam leur a communiqué son péché; c'est que Jésus-Christ leur communique la vie comme. Adam leur a communiqué la mort. Autrement il n'y aura plus aucune conformité entre eux et Jésus-Christ, et ils ne seront plus chrétiens : telle, est, à vrai dire, votre pensée intime, quoique vous craigniez de l'exprimer ouvertement.

 

547

 

CCIV. Jul. Mais voyons aussi la suite des paroles de saint Paul : «Cependant il n'en est pas de la grâce comme du péché : car si par le péché d'un seul un grand nombre sont morts, la grâce et le don de Dieu se sont répandus beaucoup plus abondamment sur un plus grand nombre, par la grâce d'un seul homme, Jésus-Christ (1) ». Suivant lui, les bienfaits immenses que procure la grâce surpassent le mal qu'a produit le péché; et le nombre de ceux qui sont sauvés est supérieur au nombre de  ceux qu'il affirme avoir péri par suite de la prévarication.

Aug. Nous l'avons dit déjà plusieurs fois , le texte de saint Paul ne porte pas plures, un plus grand nombre; mais, multos , « un grand nombre » : le mot magis (plus) ne se rapporte pas non plus au mot multos, mais bien au mot abundavit (s'est répandue plus abondamment) ; parce que ceux à qui la vie de Jésus-Christ a été transmise vivront éternellement, tandis que la mort, qui leur avait été transmise par suite du péché d'Adam, leur a causé seulement un dommage temporaire : voilà comment la grâce s'est répandue sur eux d'une manière beaucoup plus abondante que le péché.

CCV. Jul. Si tu crois fermement à la vérité des paroles de l'Apôtre, et si tu ne penses pas qu'il ait menti d'une manière impudente ; dis-nous comment cette maxime ne fait pas rougir, comme d'une imposture audacieuse, celui qui enseigne l'existence d'un péché naturel. Car, si le péché originel existait réellement, et qu'il donnât au démon le droit de propriété sur la nature humaine tout entière, saint Paul aurait-il pu diviser ainsi l'humanité en deux parties et comparer le nombre de ceux qui sont sauvés avec le nombre de ceux qui périssent? Le Seigneur voulant montrer dans l'Evangile combien le nombre des bienheureux est petit, s'est exprimé en ces termes : « Combien étroite et resserrée est la voie qui conduit à la vie, et combien est petit le nombre de ceux qui la trouvent ! Combien large et spacieuse est la voie qui conduit à la perdition, et combien sont nombreux ceux qui y entrent (2) ! »

Aug. Ce qui renverse la doctrine que vous enseignez ici, c'est précisément cette maxime que le nombre de ceux qui parviennent au

 

1. Rom., V, 15. — 2. Matt. VII, 13, 14.

 

salut est petit, comparé au nombre de ceux qui périssent : car les premiers considérés en eux-mêmes et en dehors de toute comparaison avec les seconds, sont nombreux aussi ; il est dit, en effet, dans l'Apocalypse, que personne ne saurait compter leur multitude (1).

Si saint Paul avait employé, pour les désigner, non pas le mot multos (un grand nombre), mais le mot plures (un plus grand nombre), nous ne pourrions pas dire qu'ils sont en plus petit nombre (car le mot plures renferme l'idée de comparaison) ; mais le mot plures n'existe pas dans le texte de l'Apôtre, et c'est vous-mêmes qui l'y introduisez. Cependant, même dans cette hypothèse, votre argumentation ne serait pas plus solide : car, suivant les principes de votre doctrine de  l’imitation, (doctrine dont vous croyez que l'invention a été de votre part un acte de génie,.bien qu'elle soit en contradiction avec les enseignements véridiques et tout à fait explicites de l'Apôtre ; et qui consiste à soutenir que tous les pécheurs doivent être regardés comme ayant participé au péché du premier homme, non point parce qu'ils ont été engendrés de lui, ruais parce qu'ils ont imité sa conduite) ; suivant cette doctrine, dis-je, le nombre de ceux qui périssent par suite du péché ou à cause du péché d'un seul, est bien supérieur au nombre de ceux qui sont délivrés par la grâce d'un seul homme, Jésus-Christ. Qui ne voit en effet qu'il y a plus de pécheurs que de justes? et, suivant vous, ce n'est pois une partie, mais la totalité de ces pécheurs qui participent au péché d'un seul homme, non pas en tant qu'ils ont été engendrés de lui, ruais en tant qu'ils ont irrité sa conduite. Cependant, lors même que vous diriez que les transgresseurs de la loi seuls, et non pas tous les pécheurs, contractent par voie d'imitation la souillure du péché du premier homme; la loi de Dieu ayant été annoncée à une multitude de nations, il serait encore vrai de dire : « Combien large et spacieuse est la voie qui conduit à la mort, et combien sont nombreux les prévaricateurs

qui entrent dans cette voie! combien étroite et resserrée est la voie qui conduit à la vie, et combien le nombre de ceux qui la trouvent est petit ! » du moins si on le compare à la multitude de ceux qui périssent; et cela, alors même que l'on ajouterait au petit nombre de

 

1. Apoc. VII, 9.

 

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ceux qui sont délivrés les enfants qui meurent après avoir reçu le baptême. Comment donc l'Apôtre aurait-il pu dire : La grâce de Dieu s'est répandue d'une manière beaucoup plus abondante sur un plus grand nombre? Ces paroles sont de vous, et non pas de lui; voici comment il s'est exprimé : « La grâce s'est répandue d'une manière beaucoup plus abondante sur un grand nombre » ; car, nous l'avons déjà dit, le nombre de ceux qui parviennent au salut est petit, si on le compare au nombre de ceux qui se perdent; mais considéré en lui-même, le nombre des élus est si grand que personne n'a le pouvoir de les compter. D'autre part, la grâce se répand sur eux d'une manière beaucoup plus abondante, en ce sens que, par suite du péché d'Adam, ils vivent dans le temps accablés de misères et sujets à la mort; tandis que, par suite des mérites de Jésus-Christ, ils jouiront d'une vie infiniment heureuse et qui ne finira point. Vos inventions ne sont plus fondées sur rien de sérieux : puissiez-vous enfin rendre votre intention droite !

CCVI. Jul. Ces expressions employées par vous, un grand nombre, un petit nombre, désignent des quantités indéterminées, celles précisément que l'on trouve, quand on compare deux nombres, dont l'un est plus grand et l'autre plus petit. Dieu comparant donc ceux qui doivent être sauvés avec la multitude de ceux qui se perdent, a déclaré due les premiers sont peu nombreux ; et l'Apôtre, comparant ici le nombre de ceux qui avaient péché de la même manière qu'Adam, avec le nombre de ceux qui sont sauvés par la grâce de Jésus-Christ, affirme que le second est beaucoup plus grand.

Aug. Le texte ne porte pas plures (un plus grand nombre), mais multos (un grand nombre). Saint Paul a écrit son Epître en grec et il a dit pollous (un grand nombre), et non. pas pleistous (un plus grand nombre) ; lis et tais-toi.

CCVII. Jul. Déclare donc que cette maxime peut s'accorder avec la doctrine manichéenne qui enseigne la transmission d'un péché par le sang.

Aug. C'est l'enseignement des docteurs catholiques, et non pas une imposture des Manichéens, que tous les hommes ont péché en Adam : ceux qui ont compris la doctrine de l’Apôtre, ont enseigné ce que vous niez contrairement aux paroles de ce même Apôtre. Conséquemment, vous aussi, vous êtes des imposteurs; et quoique vos erreurs découlent d'un autre principe, votre langage est aussi insensé que celui des Manichéens.

CCVIII. Jul. Si, d'une part, le péché naturel a soumis à l'empire du démon l'universalité de ceux qui ont été engendrés humainement ; si, d'autre part, on doit croire que quelques-uns sont, au dernier âge du monde, délivrés de cet état par les mérites de Jésus. Christ; comment parle-t-il le langage de la vérité, ou bien quel respect et quelle croyance mérite-t-il de notre part, ce maître qui, contrairement à un témoignage si manifeste du monde tout entier, enseigne que la justice a été communiquée à un plus grand nombre que la faute ? Pourquoi donc ajoute-t-on foi à la parole de ce maître, quand il raisonne sur des maximes obscures, s'il ment au sujet d'un fait aussi évident ? Penser ainsi serait une impiété sacrilège : telle est cependant la conséquence nécessaire des maximes établies par toi : que l'infamie manichéenne disparaisse donc devant la gloire éclatante de l'Apôtre.

            Aug. C'est vous-mêmes, au contraire, qui vous efforcez de rendre obscures des vérités manifestes comme la lumière, quand vous dénaturez les paroles de l'Apôtre, non-seulement par des interprétations erronées, mais encore par des changements et des interpolations. Saint Paul, en effet, n'a pas employé le mot plures (un plus grand nombre), mais le mot multos (un grand nombre) : quoique le grand nombre dont il est ici question se trouve être petit, quand on le compare au nombre de ceux qui se perdent. O calomniateur impudent, ô discoureur obstiné, la doctrine de l'Apôtre est celle qui lui a été attribuée par Ambroise, lequel n'était pas un Manichéen : « Nous naissons tous en état de péché, nous hommes dont l'origine même est souillée (1) ». Ecoute cette fleur éclatante (éloge que lui a donné ton maître), et arrache de ton coeur ces noires épines et ces dards ignobles auxquels tu as recours pour suppléer à la faiblesse de tes arguments.

CCIX. Jul. L'Apôtre ne ment pas : conséquemment la grâce de Jésus-Christ a été communiquée à un plus grand nombre que

 

1. Ambr. Liv. I de la Pénit., ch. II ou III.

 

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la faute d'Adam, que cette faute dont ceux-là se sont rendus les coupables imitateurs, qui ont péché sous la loi; or, jusqu'à Jésus-Christ, les Juifs seuls ont péché sous la loi. Compare donc la nation juive, ou plutôt compare les membres adultes de la nation juive, seule placée sous la loi et commettant par là même le péché par une prévarication semblable à celle d'Adam (puisque celui-ci commit le péché après avoir reçu une loi), avec ces milliers d'hommes qui ont été sauvés par la munificence de la grâce, parmi la multitude des nations païennes appelées par la prédication de l'Evangile ; et tu comprendras alors que l'apôtre saint Paul a parlé le langage de la vérité, quand il a déclaré que ceux à qui la grâce de Dieu et le don de Jésus-Christ ont été utiles, sont plus nombreux que ceux à qui la prévarication antique a été nuisible.

Aug. Le mot plures (un plus grand nombre) De se trouvant pas dans le texte de l'Apôtre, mais seulement celui de multos (un grand nombre), tout l'échafaudage de ton argumentation est renversé par là même : quoique l'on doive donner le nom de prévaricateurs, non pas aux Juifs seulement, comme il te plaît de le dire, mais à tous ceux qui transgressent la loi promulguée par la prédication même de l'Evangile, et qui se rendent ainsi plus coupables encore : prévaricateurs dont le nombre ajouté à celui des Juifs transgresseurs de la loi de Moïse est tel que le inonde en est rempli, et que le nombre de ceux qui sont délivrés joint à la multitude des enfants qui meurent après avoir reçu le baptême, est petit, comparé à celui-là; j'ai déjà établi cette démonstration dans une réponse précédente. Le docteur des nations s'écrie en des termes qui vous condamnent manifestement: « Comme tous meurent en Adam, tous revivront aussi en Jésus-Christ (1) » ; ce mot tous ne désigne pas un petit nombre, mais un grand nombre. D'où il suit que un grand nombre meurent en Adam, et que un grand nombre revivront en Jésus-Christ ; mais ceux qui meurent en Adam sont plus nombreux que ceux qui revivront en Jésus-Christ : si l'on compare donc ceux qui participent à la mort du premier avec ceux qui participent à la vie du second, ceux-là sont plus nombreux; mais malgré l'infériorité numérique résultant pour les autres de cette

 

1. I Cor. XV, 22.

 

comparaison, leur multitude considérée en elle-même est encore telle que personne ne saurait la compter (1). Ainsi, ces paroles : « Tous revivront en Jésus-Christ », signifient seulement que personne ne revivra, si ce n'est en Jésus-Christ. Pour le prouver, je me suis servi de cette comparaison : s'il n'y a dans une cité qu'un seul maître de belles-lettres, on dit que tous apprennent la littérature près de lui, non pas en ce sens que tous se livrent réellement à cette étude, mais en ce sens que personne ne s'y livre, si ce n'est à l'école de ce maître (2). Tu n'as pas même essayé de réfuter cette interprétation, parce que tu as compris qu'elle est parfaitement rationnelle et que personne ne se trompe sur le sens de cette manière de parler.

CCX. Jul. Après avoir montré l'étendue et la munificence de la grâce par le nombre infini des hommes qu'elle sauve, il compare le don et le péché ; et pour exalter le mérite du premier, il observe très-judicieusement que celui-ci guérit par sa vertu unique une multitude de blessures: Et non sicut per unum peccatum, ita et donum, dit-il; en d'autres termes, il n'en est pas du don comme du péché qui suffit, lors même qu'il serait seul, pour causer la perte de l'homme.

Aug. Saint Paul a dit: Per unum peccantem, c'est-à-dire, l'homme a été perdu par un seul pécheur; et non point : Per unum peccatum, c'est-à-dire, le péché suffit, lors même qu'il est seul, pour causer la perte de l'homme. Et quand l'Apôtre ajoute ensuite

Le jugement de condamnation vient d'un seul péché », cette dernière expression ne peut être entendue que du péché commis par ce pécheur unique. C'est ce que vous ne voulez pas, il est vrai ; mais que pouvez-vous à cet égard, puisque l'Apôtre s'est exprimé ainsi, même malgré votre volonté opposée ? Réformez donc votre enseignement : c'est la seule chose qu'il vous reste à faire et le premier devoir que vous ayez à remplir.

CCXI. Jul. « Car le jugement de condamnation vient d'un seul; tandis que la grâce de la justification délivre d'une multitude de péchés (3) » ; en d'autres termes, les péchés qui sont graves peuvent suffire, lors même qu'ils seraient seuls, pour que ceux qui en sont coupables soient accusés et condamnés.

 

1. Apoc. VII, 9. — 2. Des Noces et de la Conc., liv. II, n. 45. — 3. Rom. V, 16.

 

550

 

Aug. Pourquoi ajoutes-tu le mot de péchés graves, qui ne se trouve pas dans le texte de l'Apôtre, sinon parce que tu as compris qu'un péché unique, s'il était léger, ne suffirait pas pour faire prononcer la sentence de condamnation dont parlait saint Paul ? Ce jugement ne vient donc pas d'une faute quelconque commise par une personne quelconque : le jugement de condamnation vient précisément de cette faute unique, qui a été commise par.un seul pécheur, c'est-à-dire par Adam. Et vous voulez encore altérer le langage de l'Apôtre, qui est conforme à la vérité, de peur de réformer votre propre langage qui est contraire à la vérité ?

CCXII. Jul. La grâce au contraire n'est pas conférée de telle sorte que son remède soit appliqué successivement à chacun de nos péchés, et que par là même cette application soit renouvelée un grand nombre de fois : il suffit que la grâce soit répandue une seule fois dans une âme pour que, par le premier effort et par un seul acte de sa puissance, elle purifie cette âme d'une multitude de péchés de natures différentes. Voilà pourquoi l'Apôtre dit : « La grâce de la justification délivre d'une multitude de péchés » ; en d'autres termes : La grâce délivre les hommes d'une multitude de péchés, et en même temps elle les élève jusqu'à la gloire de la justification qu'elle leur accorde. Il ne parle donc pas ici, comme tu le conjectures, du péché unique d'Adam ; s'il oppose le mot unité au mot multitude, c'est seulement afin de faire mieux ressortir le mérite de la grâce ; en ce sens que le remède de celle-ci n'a pas besoin d'être appliqué aussi souvent que le péché est commis par chacun des mortels, comme si chaque baptême ne pouvait effacer qu'un seul péché à la fois.

Aug. Tu parles ici comme si l'Apôtre avait dit : La grâce de la justification délivre d'une multitude de péchés à la fois. Saint Paul ne s'est pas exprimé ainsi : considère attentivement ses paroles et corrige ton propre langage. « La grâce de la justification », dit-il, « délivre d'une multitude de péchés». Qu'importe-t-il à notre discussion, que tous les péchés soient remis à chacun dans le baptême, en même temps et en une seule fois? La condamnation qui sera prononcée à la suite du jugement dernier, ne sera-t-elle pas sans aucun doute prononcée une seule fois pour tous les péchés qui n'auront pas été pardonnés? On peut même dire avec plus de vérité, de la damnation que de la rémission des péchés par 1a grâce de Jésus-Christ, qu'elle s'accomplit en une seule fois. Car, si quelqu'un pèche après avoir reçu le baptême, ses péchés ne sont plus les mêmes; et cependant ils sont remis par la même grâce à ceux qui en sont coupables ; et cette rémission a lieu, non pas une fois, mais sept fois, mais septante sept fois (1). La même grâce remet chaque jour leurs péchés de chaque jour à ceux qui disent dans leurs prières : « Pardonnez-nous nos offenses », quand ils ajoutent avec sincérité : « comme nous pardonnons nous-mêmes à ceux qui nous ont offensés (2) ». Ainsi, que tel ou tel homme en particulier soit coupable d'un péché seulement, que d'autres soient coupables d'un petit nombre de péchés, que d'autres enfin soient coupables d'un plus grand nombre d péchés ; que ces péchés aient été commis avant le baptême, ou bien qu'ils aient été au contraire commis après le baptême et qu'ils ne puissent être effacés que par la pénitence, par la prière et par l'aumône; il est toujours vrai de dire que la grâce de la justification purifie d'une multitude de péchés ceux qu'elle délivre de l'état de damnation ; car, tous ces péchés sont une multitude de péchés, et cette multitude de péchés sont remis par la grâce de la justification. Si cette grâce ne vient pas ainsi nous délivrer, le péché unique, non pas celui dont nous nous sommes rendus coupables personnellement (l'Apôtre en cet endroit ne parlait pas de ce genre de péchés), mais le péché qui est entré dans le monde par un seul pécheur suffit pour nous envoyer à la damnation; c'est en effet ce que saint Paul a déclaré en des termes tout à fait explicites. Car il ne dit pds, ainsi que tu le prétends : Non sicut per unum peccatum (il n'en est pas du don comme du péché qui suffit, lors même qu'il est seul, pour perdre l'homme), comme s'il voulait désigner un péché unique dont nous pouvons nous être rendus coupables personnellement; mais il dit : Non sicut per unum peccantem, (il n'en est pas du bienfait de la grâce comme de notre perte qui a été causée par un seul homme). Ouvre les yeux, et lis : et cesse de vouloir remplacer un mol par un autre de ton invention, comme si

 

1. Matt. XVIII, 22. — 2. Id. VI, 12.

 

ceux à qui tu t'adresses étaient aveugles.

CCXIII. Jul. Mais voici la pensée qu'il a voulu exprimer : Chaque péché en particulier, dit-il, avait fait une blessure mortelle à ceux qui s'en étaient rendus coupables, et les hommes couverts d'une infinité de blessures de ce genre, ont été sauvés par une seule et unique application du remède de la grâce.

Aug. Saint Paul a dit : Per unum peccantem, et par ce mot il a désigné Adam; il n'a point dit : Per unum peccatum, ainsi que tu l'affirmes, pour faire entendre par cette substitution de mots et par cette interpolation, qu'il a désigné en cet endroit les péchés uniques de tel ou tel homme en particulier.

CCXIV. Jul. « Et si à cause du péché d'un seul la mort a régné par un seul; à plus forte raison ceux qui reçoivent l'abondance ode la grâce et le don de la justice, régneront-ils dans la vie par un seul, Jésus-Christ (1) ». Il exprime ensuite la conséquence logique de ces prémisses; ou plutôt, après avoir établi ces deux maximes, il donne l'explication de l'une et de l'autre dans les paroles qu'il ajoute ensuite. Il déclare donc que la mort exerce son règne par un seul homme qui a donné l'exemple du péché, et dont la prévarication est imitée par ceux qui commettent le péché sous la loi ; il déclare en même temps que ceux-là, sans exception, règnent par un seul dans la vie, qui ont reçu l'abondance de la grâce, laquelle grâce est utile uniquement à ceux qui imitent la vertu du premier homme. Il ne reste donc plus aucune difficulté à éclaircir : cette seconde maxime par laquelle saint Paul déclare que ceux-là règnent dans la vie, qui ont reçu l'abondance de la grâce , nous donne en même temps l'explication de la première ; car elle nous apprend que personne n'est envoyé à la mort, excepté ceux qui ont voulu suivre l'exemple du pécheur.

Aug. Quel est ce pécheur? Le premier homme, sans aucun doute ; car c'est lui que vous déclarez avoir été l'origine première du péché, en ce sens que son péché a été imité, non pas en ce sens que son péché a été transmis par la voie de la génération ; conséquemment, si, comme tu le prétends, « personne n'est envoyé à la mort, excepté ceux qui ont voulu suivre l'exemple de ce pécheur », ceux-là donc ne sont pas envoyés à la mort,

 

1 Rom. V, 17.

 

qui , selon tes propres expressions, n'ont point péché par une prévarication semblable à celle d'Adam. Comment alors enseignes-tu que la mort a régné sur ceux mêmes qui ont péché par un acte de leur libre arbitre, il est vrai, mais non point par une prévarication semblable à celle du premier homme, parce qu'ils ont péché sans avoir reçu aucune loi? Manifestement, ils n'ont point, en commettant le péché, imité celui-ci ; puisque par leur péché ils ne se sont point rendus coupables d'une prévarication semblable à celle d'Adam : il s'ensuit qu'ils n'ont pas eu la volonté de suivre l'exemple qui leur avait été donné par ce pécheur; leur péché n'étant point semblable au péché du premier homme, il est incontestable qu'ils ne sauraient en aucune manière être appelés ses imitateurs. Or , puisque la mort a réellement exercé son règne sur eux, pourquoi dis-tu que « personne n'est envoyé à la mort, excepté ceux qui ont voulu suivre l'exemple du pécheur », de celui sans doute que tu prétends avoir été la source d'où découle tout péché par voie d'imitation ? Ils n'ont point voulu suivre l'exemple de ce pécheur, puisque par leur péché ils ne se sont point rendus coupables d'une prévarication semblable à la sienne ; et cependant la mort a exercé son règne même sur eux. Veux-tu revenir à la vérité catholique et confesser que la mort a exercé son règne sur ceux mêmes qui n'ont point péché, en d'autres termes; sur ceux qui n'ont commis aucun péché personnel, mais qui ont subi l'empire de la mort, parce que leur premier père leur à transmis comme un héritage malheureux la ressemblance de la prévarication dont lui-même s'était rendu coupable ? Telle est, en effet, l'interprétation donnée à ces paroles de l'Apôtre par les docteurs de l'Eglise ; ils ont compris qu'on ne pouvait les interpréter dans leur sens véritable, si l'on n'y voyait enseignée la transmission d'un péché originel à titre d'héritage malheureux; c'est pourquoi ils ont dit que les enfants, par le fait même qu'ils naissent d'Adam suivant la chair, contractent dans cette naissance première la souillure de la mort antique (1): ces docteurs cependant n'étaient point manichéens; mais, obéissant à l'esprit de Dieu qui parlait par leur bouche, ils vous ont condamnés vous-mêmes, disciples de Pélage.

 

1. Cypr. Epit. LXIV à Fidus.

 

552

 

CCXV. Jul. D'autre part, il est démontré que la vie dans laquelle les saints régneront, est éternelle; donc on doit regarder comme éternelle aussi la mort qui suit l'iniquité volontaire. « C'est pourquoi, de même que par le péché d'un seul tous les hommes sont tombés dans la condamnation; de même aussi par la justice d'un seul tous les hommes reçoivent la justification de la vie. Car, de même que par la désobéissance d'un seul un grand nombre ont été constitués pécheurs ; de même aussi, par l'obéissance d'un seul, un grand nombre seront constitués justes (1) ». Toute équivoque disparaît, l'impudence seule peut encore faire peser cette accusation calomnieuse sur l'universalité du genre humain; on ne saurait plus, sans faire acte d'ineptie manifeste, chercher des difficultés dans une question si clairement résolue. L'Apôtre déclare que ce n'est pas l'universalité des hommes, mais un grand nombre d'entre eux, qui ont appris, par la désobéissance du premier homme, à commettre eux-mêmes le péché; suivant lui aussi, un grand nombre d'hommes, et non pas tous les hommes, se sont élevés, par suite de l'obéissance d'un autre homme, jusqu'à l'état de justice. Il ne s'agit pas ici de l'origine de l'humanité, il s'agit de volontés et de conduites différentes : les mots de désobéissance et d'obéissance désignent l'oeuvre de la volonté, et non pas un effet de la génération. Certes, si la doctrine de l'Apôtre était celle que tu lui prêtes, quand aurait-il pu déclarer que tous les hommes sont en voie de damnation par le fait même de leur naissance ; qu'un petit nombre sont rendus à la vie par le fait même de leur croyance, avec plus d'opportunité qu'en cet endroit où il s'agissait de trancher définitivement toute cette discussion? Il aurait dû dire, en effet : De même que par la désobéissance d'un seul homme tous ont été constitués pécheurs; ou plutôt : Non point par cette désobéissance, mais, de même que par le fait seul qu'ils ont été engendrés d'Adam, tous sont nés pécheurs; de même aussi, par l'obéissance d'un seul, un grand nombre seront constitués justes.

Aug. Il aurait dû dire plutôt : De même que par leur désobéissance personnelle un grand nombre ont été constitués pécheurs, de

 

1. Rom. V,18, 19.

 

même aussi par leur obéissance personnelle, un grand nombre seront constitués justes; ou bien, s'il avait voulu parler en cet endroit de l'imitation où vous croyez avoir trouvé un moyen d'échapper à des difficultés inextricables et au témoignage accablant de la vérité, il aurait dû dire : De même que, par l'imitation de la désobéissance d'un seul homme, un grand nombre ont été constitués pécheurs, de même aussi, par l'imitation de l'obéissance d'un seul homme, un grand nombre seront constitués justes. Et moi aussi, j'ai dit comment l'Apôtre aurait dû s'exprimer, s'il avait voulu enseigner ce que vous enseignez vous-mêmes; ne crois pas qu'il nous soit grandement difficile de construire des phrases à notre gré, au lieu d'interpréter la pensée réelle d'un auteur d'après ses propres paroles. Saint Paul a dit que, par la désobéissance d'un seul homme qu'il savait être le chef de la génération, un grand nombre ont été constitués pécheurs; parce que la nature humaine a été flétrie par cette désobéissance; que par l'obéissance d'un seul homme qu'il savait être le chef de la régénération, un grand nombre ont été constitués justes; parce que la nature humaine est guérie par l'obéissance de celui qui s'est rendu obéissant jusqu'à la mort de la croix (1), afin que par sa grâce ceux-là mêmes fussent constitués justes, à qui il n'a pas été donné ici-bas de pratiquer personnellement la justice; tels sont, par exemple, ceux qui meurent immédiatement après avoir été purifiés dans le sacrement de la régénération; qu'ils soient adultes ou qu'ils ne soient pas encore sortis du premier âge. Voilà pourquoi l'Apôtre a mieux aimé employer une expression qui marque un temps futur, et dire: «seront constitués », non pas, ont été constitués; car, c'est dans l'éternité du siècle futur que les justes vivront de cette justice qui sera exempte de toute espèce de péché. En parlant des pécheurs, au contraire, il dit qu'ils ont été constitués n, non pas qu'ils seront constitués, afin de désigner par ce mot qui marque un temps passé, ce siècle qui passe et où la nature humaine est déjà flétrie réellement, Quant aux mots un grand nombre, employés pour désigner la totalité des hommes, je t'ai précédemment fait une réponse suffisante à cet égard. Toi, au contraire, tu n'as pu, si ce

 

1. Philipp. II, 8.

 

553

 

n'est par une contradiction manifeste, donner au mot tous l'interprétation que tu lui as donnée, quand tu as dis qu'il ne désigne pas tous les hommes; tu n'aurais été en aucune manière obligé de tenir un langage semblable, si tu n'avais mieux aimé suivre la doctrine de Pélage que la doctrine de l'Eglise catholique. La totalité des hommes est quelquefois désignée sous le nom de un grand nombre, afin précisément de la distinguer des totalités qui renferment seulement un petit nombre d'individus.

CCXVI. Jul. Si l'Apôtre s'était exprimé en ces termes, l'impiété et l'absurdité de son langage seraient également manifestes : en établissant cette comparaison entre deux personnes d'un caractère opposé, il aurait fait acte d'ineptie grossière, puisqu'il aurait comparé des objets n'ayant entre eux aucune ressemblance, savoir la nature et la volonté : dû côté du mal, il aurait placé une nécessité inhérente au sang; du côté du bien, la liberté seule, de la volonté; ou plutôt, non pas même cette liberté, puisque si l'homme était coupable naturellement, il ne posséderait plus la faculté de choisir le bien et d'éviter le mal. Ainsi, l'Apôtre, ce docteur de l'Eglise également sage et éclairé, enseigne que le péché a existé et qu'il a été transmis par un acte de désobéissance; il enseigne que la justice se multiplie également par voie d'imitation.

Aug. Qu'est devenue cette maxime écrite par toi précédemment, savoir, que la mort seule, et non pas le péché, a été transmise (1) ? Tu déclares maintenant que le péché a non-seulement existé, mais qu'il a été transmis par un acte de désobéissance, accompli par cet homme unique dont l'Apôtre a rappelé le nom. Aurais-tu par hasard oublié ce que tu as écrit précédemment? On doit alors te féliciter d'un oubli par suite duquel tu es obligé de parler le langage de la vérité. Il te semble que, si l'on peut établir une comparaison entre deux objets d'un caractère opposé, on ne doit point placer d'un côté une nécessité inhérente au sang, et de l'autre côté des actes volontaires ; mais tu trouverais que ce langage est grossièrement inepte, si tu comprenais que ceux qui sont placés avec le premier homme du côté du mal, ont contracté la souillure du péché par le fait seul de leur génération, et indépendamment de tout acte

 

1. Ci-dessus, ch. LXIII, LXIV, CXCVI.

 

de leur propre volonté; de la même manière que les enfants placés avec le second homme participent à la justice, indépendamment de tout acte de leur volonté personnelle, et par le fait seul qu'ils ont reçu la paix dans le sacrement de la régénération. Au reste, si tu veux absolument que l'on compare une semence à une autre semence : de même qu'Adam a imprimé une flétrissure au sang humain, de même aussi Jésus-Christ fait produire des fruits merveilleux à la semence spirituelle. L'apôtre saint Jean nous a révélé l'existence de cette dernière, quand il a dit : « Et (celui qui est né de Dieu) ne saurait commettre le péché, parce que la semence de Dieu demeure en lui (1) ». La vérité de cette maxime se manifestera plutôt dans le siècle futur, où les bons seuls seront admis et où ils n'auront plus le pouvoir de commettre le péché; car, dans ce siècle pervers, ceux mêmes qui appartiennent déjà au siècle futur, où le péché ne subsistera plus, ont encore sujet d'implorer chaque jour pour leurs péchés la miséricorde du Père.

CCXVII. Jul. Par là même, il renverse la doctrine du péché naturel, et il montre que l'on ne doit pas confondre la cause de notre substance avec celle de notre volonté. Et de peur que cette interprétation ne soit regardée comme une création de notre esprit, plutôt que comme la doctrine de l'Apôtre, écoutons ce que celui-ci ajoute après les paroles que nous avons entendues. « La loi est survenue », dit-il, « pour que le péché devînt plus abondant ; mais là où le péché a été abondant, la grâce a été surabondante; afin que, comme le péché a régné pour la mort, la grâce règne de même par la justice, en donnant la vie éternelle par Jésus-Christ Notre-Seigneur (2) ». Montre-nous donc comment ton péché, en d'autres termes, comment le péché transmis avec le sang, a commencé à devenir abondant après la loi; après la loi, dis-je, dont la connaissance a commencé elle-même à se répandre après la promulgation qui en fut faite par le ministère de Moïse.

Aug. Montre plutôt toi-même comment, pour me servir de tes propres expressions (3), le règne du péché a cessé dès que la loi a été promulguée; tandis que, suivant l'Apôtre, le péché est devenu plus abondant dès que cette promulgation a été faite. Pour moi, je prouve

 

1. I Jean, III, 9. — 2. Rom. V, 20, 21. — 3. Ci-dessus, ch. CXCVIII.

 

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ce que j'ai avancé : car, indépendamment de toute preuve, la vérité de mes paroles est suffisamment évidente par elle-même. Le péché originel a existé même avant la loi : car le péché est entré dans le monde par un seul homme, et la mort a passé avec le péché par tous les hommes (1) . Il y eut aussi à cette époque des péchés commis volontairement: car ceux qui ont péché sans la loi, périront sans la loi (2). La loi est survenue, afin que le péché devînt plus abondant (3) : car ces sortes de péchés qui existaient avant la loi, ont acquis depuis la loi un nouveau degré de gravité, et ils ont dû être appelés du nom de prévarications. En effet, lorsqu'il n'y a point de loi, il n'y a point non plus de prévarication (4). Là donc où il y a eu abondance de toutes ces espèces de péchés, la grâce a été surabondante (5); car, dans ceux qui participent à la grâce, cette dernière efface toutes ces espèces de souillures et, de plus, elle leur accorde que la délectation du péché soit vaincue en eux par la délectation de la justice; enfin, elle leur donne de parvenir ensuite à cette vie où il n'y aura plus absolument aucun péché. Pourquoi, dès lors, né me serait-il pas permis de comparer des objets n'ayant entre eux aucune ressemblance, ainsi que tu l'as déclaré tout à l'heure; puisque cette comparaison a pour but de constater des rapports d'opposition, et que l'on considère d'une part la génération, d'autre part la régénération ; d'une part, le règne de la mort, d'autre part, le règne de la vie ; d'une part, l'abondance, d'autre part, la rémission des péchés; d'une part, la délectation du péché, qui, par suite de la corruption de la nature, se change en habitudes mauvaises, d'autre part, la lutte contre la concupiscence de la chair, cette lutte qui, avec le secours du Saint-Esprit, nous conduira à la paix de la victoire et nous délivrera de tout ennemi soit intérieur, soit extérieur? Prends pour guides ces principes, si tu ne veux pas que ta raison s'égare; cesse désormais de contredire par tes discours insensés des maximes qui font partie de la saine doctrine.

CCXVIII. Jul. Tu prétends que, dans ces divers passages, l'Apôtre a certainement parlé du péché naturel. Il avait dit précédemment que ce péché a subsisté jusqu'à la loi, pour

 

1. Rom. V, 12. —  2. Id. , II, 12. — 3. Id. V, 20.— 4. Id. V, 15. — 5. Id. V, 20.

 

faire entendre qu'il a cessé d'exister depuis la loi : ici, au contraire, il déclare que ce même péché a commencé à croître et à devenir abondant après la loi.. Nous avons montré que ces deux propositions peuvent être conciliées, si on les interprète dans le sens catholique suivi par nous ; mais toi-même, par quelle impudence oses-tu soutenir que, suivant une maxime précédente de l'Apôtre, le péché a cessé au moment de la promulgation de la loi, et que, suivant cette autre maxime citée en dernier lieu, le même et unique péché est devenu plus abondant au moment de cette même promulgation? Comment donc le péché naturel est-il devenu plus abondant après la loi? Les mouvements de la chair ont-ils commencé alors à devenir plus violents, et doit-on regarder ton péché comme ayant pris un développement considérable par suite de l'accroissement et de la nouveauté de ces mouvements ? Ou bien, une loi particulière fut-elle donnée aux petits enfants, et, après avoir été engendrés par un mouvement de cette passion que tu déclares être une passion diabolique, la racine et le fruit du péché, reçurent-ils le précepte de purifier une nature à la formation de laquelle ils étaient étrangers, et de rendre honnête l'acte par lequel leurs parents les avaient engendrés? Devaient-ils conclure de là que leur propre substance était corrompue ; et se seraient-ils rendus coupables de désobéissance, précisément parce qu'ils auraient refusé de se soumettre à ce précepte ? Mais une telle imputation n'aurait pas pu être faite par le plus ignorant de tous les hommes, bien loin qu'elle ait été faite réellement par la loi que Dieu même a donnée.

Aug. Avons-nous dit quelque part que le péché originel a pris un accroissement nouveau après la loi ? Ou bien voulons-nous donner cette interprétation à ces paroles de l'Apôtre : « La loi est survenue afin que le péché devînt plus abondant? » Le péché est devenu réellement plus abondant, non pas en ce sens que le genre de péchés qui avait déjà existé auparavant a pris des accroissements nouveaux; mais en ce sens que ce genre de péchés a revêtu un caractère de gravité in. connu avant la loi, je veux dire le caractère de prévarication, comme nous l'avons démontré un peu plus haut. Au reste, la chasteté des saints lutte continuellement contre la (555) concupiscence de la chair et contre ses inclinations déréglées. La pudeur conjugale combat elle-même contre cette concupiscence , puisque, si elle y cède honnêtement dans l'intention de procréer des enfants, elle résiste à tous les mouvements dont cette procréation ne serait pas la cause et la fin. Donc, en t'efforçant d'admettre ou d'introduire jusque dans la paix du paradis cette concupiscence, objet de tes plus chères affections, et les luttes dont elle est la source, tu te prépares à être toi-même exclu du paradis. A quelques arguments que tu aies recours pour la défendre , quelques éloges que tu lui donnes pour en exalter le mérite, ou bien elle est un principe de corruption, ou bien elle est elle-même corrompue : aussi les soldats de Jésus-Christ qui lui font la guerre lui ont voué une haine tout à fait légitime ; toi-même tu es contraint finalement à dire que tu luttes énergiquement contre elle, quoique tu ne rougisses pas d'en faire en même temps l'éloge. Tout homme dont la génération a été l'oeuvre de cette concupiscence, naît avec une chair de péché : c'est pourquoi celui qui est né revêtu d'une chair semblable à la chair du péché, n'a point voulu qu'elle eût aucune part dans l'oeuvre de sa formation personnelle'; et par là même, quoiqu'il fût revêtu d'une chair véritable, il n'était pas revêtu d'une chair de péché. C'est par un effet de cette concupiscence, ta cliente, incomparablement belle à tes yeux, mais hideusement ignoble aux yeux de tous les saints, que les enfants contractent au moment où ils sont engendrés un péché originel dont la souillure ne peut être effacée que par le sacrement de la régénération ; cette flétrissure de notre origine est l'oeuvre d'Adam, le salut que nous trouvons dans la régénération nous vient de Jésus-Christ; la première est l'oeuvre de celui par qui le péché est entré dans le monde, le second nous vient de celui qui ôte les péchés du inonde. Telle est l'idée que se forme d'Adam et de Jésus-Christ tout homme qui a cessé d'appartenir à Adam pour appartenir à Jésus-Christ.

CCXIX. Jul. Quel est donc le caractère nouveau de gravité ajouté après la loi au péché naturel, puisque l'on ne trouve dans la loi ni une défense, ni une condamnation relative à ce péché, ni même une expression qui ressemble tant soit peu à un blâme ou qui paraisse seulement établir l'existence d'une faute de ce genre?

Aug. L'existence de ce péché est démontrée même dans la loi ; mais, pour que vous puissiez voir cette démonstration, il faut que le voile soit ôté de dessus vos yeux (1). La condamnation prononcée contre l'âme d'un enfant qui n'est pas circoncis le huitième jour, n'est-elle pas une preuve manifeste de la réalité de ce péché (2)? Le précepte qui est donné ailleurs d'offrir un sacrifice pour le péché, à la naissance d'un enfant, n'est-il pas une autre preuve aussi manifeste (3), ainsi que je l'ai déjà rappelé précédemment?

CCXX. Jul. Certes, ta raison n'est pas encore assez égarée pour que tu oses affirmer que, depuis l'institution de la circoncision charnelle, la transmission du péché par le sang s'est faite d'une manière plus abondante comment donc ce péché a-t-il pris un accroissement nouveau depuis la loi, puisque l'on ne trouve dans cette loi ni une condamnation, ni même une parole qui y soit relative ? Vois au contraire combien notre doctrine est conforme à la saine raison qui place le péché dans la volonté seule de celui qui le commet. L'Apôtre déclare que le péché a existé jusqu'à la loi (4), pour nous faire comprendre que, après la loi, le péché est devenu prévarication, c'est-à-dire transgression de préceptes promulgués ; c'est ainsi que le péché est devenu plus abondant, depuis que la loi est survenue ; la souillure qu'il imprime a revêtu un caractère plus odieux, le caractère de prévarication ; les actes de la volonté mauvaise , qui avant la loi étaient de simples péchés, se sont changés en transgressions depuis la loi ; quoique Dieu en portant la loi ne se soit point proposé d'aggraver par les prescriptions de cette loi la culpabilité des hommes. Car la loi en elle-même n'est pas un péché, ni une cause de péché; les commandements de cette loi sont au contraire saints, justes et bons (5). Mais parce que la perversité des pécheurs a fait servir à les blesser eux-mêmes le fer qui devait être l'instrument de leur guérison ; parce que ces pécheurs se sont opposés à la réalisation des desseins de Dieu, et qu'ainsi leur salut a été mis en péril précisément par ce qui devait servir à l'assurer ;

 

1. II Cor. III, 16. — 2. Gen. XVII,14. — 3. Lév. XII, 6. — 4. Rom., V, 13. — 5. Id.VII,7,12. 

 

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l'Apôtre se plaçant au point de vue de la réalité historique, déclare que des obstacles insurmontables ont été opposés au dessein dont Dieu poursuivait l'accomplissement, quand il donnait sa loi. Et parce que cette promulgation n'a pas servi à rendre les hommes meilleurs, comme c'était l'intention expresse du législateur, mais qu'elle a eu dans le plus grand nombre un résultat tout à fait contraire, saint Paul dit que les pécheurs ont poursuivi la réalisation de leurs désirs coupables avec un succès tel que la loi semblerait avoir été donnée uniquement, afin que les méchants devinssent plus méchants encore, et afin que le caractère de prévarication vînt s'ajouter au péché.

Aug. Tu oses parler ainsi, toi qui, relativement à la promulgation de la loi, attribues à Dieu un dessein différent de celui qui lui est expressément attribué par saint Paul ; tu oses prononcer un blasphème aussi monstrueux que celui-ci : « Des obstacles insurmontables ont été opposés au dessein dont Dieu poursuivait l'accomplissement, quand il donnait sa loi » ; comme si l'événement avait été contraire aux prévisions de Dieu, et que le résultat de la promulgation de la loi n'eût pas été celui que l'auteur même de la loi voulait obtenir. Dieu donc, suivant ta propre sagesse, Dieu pour qui l'avenir n'a point de secret, s'est vu trompé dans l'accomplissement de ses desseins? Tu ne considères pas ce que dit l'Ecriture : « Il y a dans le coeur de l'homme une multitude de pensées; mais la volonté de Dieu demeure éternellement (1) ». Veux-tu savoir, autant du moins qu'il est permis à un homme, quel était. le dessein du Dieu tout-puissant et dont la prescience est infinie, quand il donnait sa loi? Ecoute ces paroles de l'Apôtre : « Si la loi qui a été donnée avait pu communiquer la vie, il serait parfaitement vrai de dire que la justice vient de la loi ». Et comme si nous -lui adressions cette question : Pourquoi donc la loi a-t-elle été donnée? il ajoute : « Mais l'Ecriture a tout compris sous le péché, afin que la promesse fût accomplie par la foi en Jésus-Christ, en faveur des croyants (2)». Voilà dans quel dessein Dieu a donné la loi. Qui ne sait du reste que, si le péché est devenu plus abondant depuis que la loi est survenue, ce n'est point par la faute de la loi, mais par

 

1. Prov. XIX, 21, suiv. les Sept. — 2. Gal. III, 21, 22.

 

la faute de l'homme ? Or, ce penchant déplorable qui fait que l'on trouve plus de plaisir dans les choses défendues, et que la loi elle. même devient la force du péché (1); ce penchant est détruit uniquement par l'esprit qui vivifie, non point par la lettre qui tue. Cette lettre cependant a été utile; quoiqu'elle fût une cause de mort par le fait même qu'elle était une cause de prévarication, l'inclination au péché étant devenue plus violente précisé. ment parce que celui-ci était devenu l'objet d'une défense positive, la lettre obligeait néanmoins les pécheurs à recourir à l'esprit qui vivifie ; elle contraignait à implorer le secours de la grâce divine, l'homme qui place fatalement sa confiance dans sa propre vertu, mais qui est extrêmement faible sous la loi, bien que cette loi soit sainte, juste et bonne; et qui est incapable par lui-même de parvenir à pratiquer ce qui est. saint, ce qui est juste, ce qui est bon.

CCXXI. Jul. En ce sens donc on peut dire avec raison qu'il y a eu abondance des péchés que la volonté de chacun commettait, soit avant, soit après la loi, mais. en se rendant coupable de péché seulement dans le premier cas, et en se rendant coupable de prévarication dans le second. On dit qu'une chose croît et abonde, quand, sans changer de nature, elle prend des développements nouveaux; c'est ainsi que, depuis Moïse, le caractère de transgression est venu mettre le comble au péché commis par la libre volonté; car la transgression et le péché sont de la même nature; ils diffèrent seulement par le temps où ils ont été commis; tous deux sont l'oeuvre de la volonté mauvaise qui pèche, non pas en cédant à une violence insurmontable, mais par un mouvement spontané et condamnable. Ces principes posés, il est manifeste que tu ne saurais trouver dans les paroles de l'Apôtre aucun argument en ta faveur. Saint Paul, en effet, n'enseigne pas que, depuis que la loi est survenue, la transmission du péché par le sang s'est faite d'une manière plus abondante, ou que ce péché est devenu plus énorme ; et l'on né peut pas dire avec vérité que les péchés de la volonté reçoivent comme un accroissement naturel, ce qui manifeste. ment n'a pu être l'oeuvre de la volonté des petits enfants. Il n'y a donc pas eu après la loi abondance d'une chose que cette loi n'a

 

1. II Cor. XV, 56.

 

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pu ni défendre, ni châtier. « Mais où il y a eu abondance de péché, il y a eu surabondance de grâce; afin que comme le péché a régné pour la mort, la grâce règne de même par la justice, pour la vie éternelle ».

Aug. Le péché originel n'a point pris un accroissement nouveau après la loi ; mais la loi a trouvé ce même péché existant, et la circoncision des enfants qu'elle prescrivait était le symbole de la rémission qui en était faite; comme elle a trouvé existants aussi les péchés d'ignorance qui n'ont point reçu un nouvel accroissement depuis qu'elle a été promulguée; car l'ignorance elle-même a été plutôt diminuée par le fait seul que la connaissance de la loi a été répandue. Toutefois, le péché dont personne n'est exempt au moment de sa naissance, a reçu de nouveaux accroissements, quand l'homme a commencé à faire usage de sa volonté, parce que celui-ci a été entraîné par la concupiscence originelle à donner son consentement au péché. Mais les autres péchés sont devenus abondants, ou si l'on veut, ils ont pris un accroissement excessif, depuis que la connaissance du péché a été répandue par la loi (1), et que les hommes ont commencé à commettre le crime de prévarication. Si vous voulez considérer ces maximes et soumettre votre esprit au témoignage de la vérité, il n'y aura plus aucune raison qui vous oblige à contredire ces paroles de l'Apôtre dont le sens est tout à fait manifeste : « Le péché est entré dans le monde par un seul homme et par le péché la mort; et ainsi la mort a passé dans tous les hommes (2) ». Car, quand saint Paul a dit: « La mort a passé dans tous les hommes », et que vous au contraire vous dites : La mort n'a point passé dans tous les hommes, ne vous mettez-vous pas en contradiction évidente avec l'Apôtre? et si vous vous mettez en contradiction avec l'Apôtre, vous vous mettez par là même en contradiction avec Jésus-Christ. Comment donc vous étonnez-vous d'être un objet d'horreur aux yeux de l'Eglise de Jésus-Christ, dès lors que par vos maximes pernicieuses vous vous efforcez de priver les enfants malades des remèdes salutaires que Jésus-Christ nous a apportés?

CCXXII. Jul. L'Apôtre s'explique plus clairement encore dans la suite de son discours; il enseigne que, quand l'homme s'est trouvé

 

1. Rom. III, 20. — 2. Id. V, 12.

 

en dehors de la voie du salut, Dieu, se souvenant de sa miséricorde infinie, a apporté à ces maux extrêmes un remède d'une efficacité extraordinaire ; suivant lui , Dieu a voulu s'attacher par des bienfaits ceux qu'il n'avait pu corriger parles préceptes de sa loi; il a voulu contraindre les hommes à l'aimer à l'avenir, de telle sorte qu'il pût oublier leurs fautes passées; et que désormais toute leur application fût de conserver la justice dont ils avaient été mis en possession dès qu'ils avaient fait un premier acte de foi. Ainsi, l'abondance des péchés précédents a exigé un secours également abondant de la miséricorde divine ; car si l'étendue de la miséricorde n'avait pas été aussi grande, il n'y aurait plus eu aucun moyen de remédier à des maladies d'une telle gravité. Cependant, après avoir exalté ainsi le prix des bienfaits de Dieu, l'Apôtre a compris que ses paroles pouvaient donner lieu à une objection et que l'on pourrait dire : Si nous devons juger du mérite d'une cause par les effets qu'elle produit, et si la multiplication de nos péchés a attiré sur nous une effusion plus grande de la miséricorde divine ; il faut donc augmenter de plus en plus le nombre de nos péchés, afin que la grâce se répande sur nous d'une manière de plus en plus abondante. C'est pourquoi il prévient ce raisonnement : « Que dirons-nous donc? s'écrie-t-il; demeurerons-nous dans le péché afin que la grâce devienne plus abondante? A Dieu ne plaise ! Car, nous qui sommes morts au péché, comment vivrons-nous encore dans le péché ? Ne savez-vous pas que nous tous qui avons été baptisés en Jésus-Christ, nous avons été baptisés en sa mort ? Nous avons donc été ensevelis avec lui par le baptême pour mourir au péché, afin que comme Jésus-Christ. est ressuscité dans la gloire du Père, nous marchions de même, nous aussi, dans une vie nouvelle ».

Aug. Est-ce que ce témoignage de l'Apôtre ne saurait plus vous accabler, par le fait seul que vous le citez, afin sans doute de nous empêcher d'oublier combien sont inébranlables les fondements de la maison de Dieu que vous vous efforcez de détruire? Insensé, après avoir dit : « Si nous sommes morts au péché, comment vivrons-nous encore dans le péché? saint Paul ajoute : Ne savez-vous pas que nous tous qui avons été baptisés en Jésus-Christ, nous avons été baptisés dans

 

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sa mort?» afin précisément de montrer que nous sommes morts au péché par le fait même que nous avons été baptisés en Jésus-Christ. Es-tu tellement sourd grue tu ne puisses entendre ces paroles ? ton aveuglement est-il si complet que tu ne puisses voir ces vérités évidentes comme la lumière? Confesse donc que les petits enfants qui ont reçu le baptême, sont morts au péché ; confesse par là même l'existence du péché originel; car ces enfants n'ont pu mourir à aucun autre péché ; déclare ouvertement, ou bien que les enfants n'ont pas besoin d'être baptisés, ou bien que, quand ils reçoivent le baptême, ils ne sont point baptisés en Jésus-Christ, ou du moins, ils ne sont point baptisé dans la mort de Jésus-Christ ; et, si tu le peux, efface ces paroles de l'Apôtre : « Nous tous qui avons a été baptisés en Jésus-Christ, nous avons été baptisés en sa mort ». Si, au contraire, tu ne saurais effacer ces paroles (et ton impuissance à cet égard est incontestable) , quand tu entends cette expression absolue : « Tous ceux qui », cesse de vouloir excepter les enfants; permets au Christ d'être Jésus, même à l'égard des enfants; car ils ne sont pas exclus, mais ils font partie du peuple qui est sauvé par lui et délivré de ses péchés, conformément à ces paroles de l'Ange : «Vous lui donnerez le nom de Jésus (1) ».

CCXXIII. Jul. II déclare que nous étions déjà morts au péché au moment où, pour recevoir le bienfait de la miséricorde, nous avons fait profession de renoncer au monde et à toute espèce de péchés ; que par là même, conservant le souvenir de ce don précieux, nous devons vivre de telle sorte que nous puissions être considérés comme ensevelis avec Jésus-Christ, et que la sainteté éclatante de nos moeurs soit une image fidèle de la résurrection du Sauveur; suivant lui enfin, de même que Jésus-Christ, depuis sa résurrection, n'est plus sujet à aucune infirmité, à aucune souffrance corporelle, nous devons, nous aussi, nous efforcer de nous mettre à l'abri des atteintes de toute espèce de péchés et de vices. « Car, si nous avons été entés sur la ressemblance de sa mort, nous le serons aussi sur la ressemblance de sa résurrection ; sachant bien que notre vieil homme a été crucifié avec lui, afin que le corps du péché, soit détruit et que désormais nous ne soyons

 

1. Matt. I, 21.

 

plus asservis au péché. Car, celui qui est mort, est justifié du péché (1) ». Il porte la conviction dans l'esprit des fidèles par un argument irrésistible : Si vous voulez, dit-il, devenir participants de sa résurrection, imitez auparavant la vertu de sa mort ; mourez d'abord aux vices afin de vivre ensuite dans la vertu ; vous participerez à cette félicité incomparable seulement lorsque vous porterez la ressemblance de la mort de Jésus-Christ, c'est-à-dire , lorsque vous serez morts aux péchés. Notre vieil homme en effet doit être regardé comme attaché à la croix du Sauveur, afin que le corps du péché soit détruit parla force toute-puissante de la passion de celui-ci. L'Apôtre, suivant sa coutume, appelle corps du péché, les vices, et non pas la substance même de la chair. Aussi ajoute-t-il : « Afin que le corps du péché soit détruit et que désormais nous ne soyons plus asservis au péché. Car celui qui est-.Niort, est justifié du péché ».

Aug. De quelque manière que tu interprètes ces mots: « Le corps du péché », tu ne nieras point que les enfants qui ont été baptisés en Jésus-Christ soient morts au péché; autrement, tu nierais de la manière la plus manifeste qu'ils aient été baptisés en la mort de Jésus-Christ; et par là même tu nierais qu'ils aient été baptisés en Jésus-Christ. Car, « nous tous qui avons été baptisés en Jésus-Christ, nous avons été baptisés en sa mort ». Dis-nous donc à quel péché meurent les enfants, quand ils sont baptisés en Jésus-Christ ? Tu ne trouveras absolument.rien à répondre, à moins que tu ne cites, en les interprétant comme elles sont interprétées par l'Eglise de Jésus-Christ tout entière, ces paroles de sains Paul: « Le péché est entré dans le monde par un seul homme, et par le péché la mort ; et la mort a passé ainsi dans tous les hommes par celui-ci qui tous ont péché ». Voilà comment. les enfants meurent au péché, quand ils sont baptisés en la mort de Jésus-Christ. Ne soyez pas, je vous prie, semblables au cheval et au mulet qui n'ont point d'intelligence (2). Ecoutez : « Si nous sommes morts au péché, comment vivrons-nous dans le péché ? Ne savez-vous pas que nous tous qui avons été baptisés en Jésus-Christ, nous avons été baptisés en sa mort?» Conséquemment, nous tous qui avons été baptisés en

 

1. Rom. VI, 1-7.  — 2. Ps. XXXI, 9.

 

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Jésus-Christ, nous sommes morts au péché ; car nous avons été baptisés en sa mort. Ecoulez : « Nous tous qui avons été baptisés » ; il ne s'agit pas des enfants à l'exclusion des adultes, et il ne s'agit pas des adultes à l'exclusion des enfants ; mais, « nous tous », c'est-à-dire, nous enfants et adultes, « qui avons été baptisés en Jésus-Christ, nous avons été baptisés en sa mort », et par là même nous sommes morts au péché. Ainsi donc, ou bien déclarez ouvertement que le baptême de Jésus-Christ n'est pas nécessaire aux enfants, ou bien dites que les enfants, quand ils sont baptisés en Jésus-Christ, meurent à un péché qu'ils ont commis par eux-mêmes; ou plutôt, puisque vous ne pouvez trouver aucun autre péché dans ces mêmes enfants , consentez enfin à reconnaître l'existence du péché originel.

CCXXIV. Jul. Il s'adressait à des vivants, et il disait que la justice leur avait été conférée par le moyen des sacrements, Comment donc enseigne-t-il que la justification appartient précisément à celui qui est mort? En s'expriment ainsi, ne montre-t-il pas de la manière la plus explicite que dans sa pensée le mot de mort désigne ici le renoncement, et que ce mot a été choisi par lui afin de faire comprendre que les fidèles doivent s'abstenir de tout péché comme les morts s'abstiennent de toute action?  

Aug. O amateur passionné de la dispute ! Suivant toi, dans ce passage de l'Apôtre, le mot de mort est employé pour désigner le renoncement, en sorte que le renoncement au péché et la mort au péché sont une seule et même chose ; mais rappelle-toi . donc de quelle manière clans l'Eglise de Jésus-Christ, dans cette Eglise où toi-même tu as été baptisé, on célèbre les mystères du baptême ; et tu trouveras que les enfants prononcent: leur acte de renoncement comme leur acte de foi, par la bouche de ceux qui les portent; peut-être cependant ces rites ne sont-ils plus pratiqués parmi vous. Tels sont en effet les progrès que vous avez faits dans la voie du mal, et dans la, voie de l'erreur où vous avez entraîné avec vous ceux qui ont cru à votre parole (1); d'après vos principes, l'enfant qui va recevoir le baptême ne doit faire aucun acte de renoncement, parce qu'il n'a contracté aucun péché d'origine; ou bien, s'il doit

 

1. I Tim. III, 17.

 

renoncer à un péché, dites-nous à quel péché, et corrigez enfin votre doctrine contraire à la vérité.

CCXXV. Jul. «Si nous sommes morts avec Jésus-Christ, nous croyons que nous vivrons avec Jésus-Christ, sachant que Jésus-Christ, ressuscité d'entre les morts, ne meurt plus ;  la mort n'aura plus d'empire sur lui ; car, s'il est mort pour le péché, il est mort une seule fois; et s'il vit, il vit pour Dieu. Ainsi vous-mêmes, considérez-vous comme étant morts au péché, mais comme vivants pour Dieu en Jésus-Christ Notre-Seigneur (1) ». Jésus-Christ, dit-il, qui est mort une seule fois pour le péché; en d'autres termes, Jésus-Christ qui est mort une seule fois à cause clé nos péchés, ne meurt plus désormais; il vit au contraire dans la gloire de Dieu ; de même vous aussi, considérez-vous.comme étant morts au péché, comme ne devant plus vivre que pour la vertu et comme devant être soumis à l'empire de celle-ci exclusivement.

Aug. Oh la merveilleuse explication ! L'Apôtre dit que Jésus-Christ est mort au péché, peccato mortuum; et tu dis, toi : En d'autres termes, à cause de nos péchés. Donc, lorsque saint Paul ajoute : « De même, vous aussi, considérez-vous comme étant morts au péché », on doit interpréter ces paroles de cette manière : Considérez-vous comme étant morts à cause de vos péchés ? Certes, ce n'est point là ce qu'il enseigne en ce endroit; et toi-même, au lieu d'entendre ainsi ces paroles, tu reconnais qu'elles désignent des hommes morts au péché, c'est-à-dire des hommes qui ne doivent plus vivre au péché. Montre donc comment Jésus-Christ, lui aussi, est mort au péché, et n'accuse pas l'Apôtre de s'être  exprimé d'une manière inexacte, quand il a ajouté ces mots: «De même vous aussi ». A la vérité, Jésus-Christ est mort pour effacer nos péchés, mais néanmoins il est mort au .péché; or, puisqu'il n'était coupable d'aucun péché absolument, soit originel, soit personnel, comment a-t-il pu mourir au péché, si ce n'est parce que la ressemblance a été désignée par le nom même de l'objet auquel elle ressemblait? Nous savons en effet que Jésus-Christ est venu dans une chair semblable à la chair du péché (2); il est venu dans une chair véritable, mais non pas comme les autres hommes, dans une chair de péché ; il est donc

 

1. Rom. VI, 8-11. — 2. Id. VIII, 3.

 

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mort à cette ressemblance du péché , qu'il portait dans sa chair mortelle; et il a accompli ainsi le mystère de notre salut, en nous faisant mourir nous-mêmes au péché dont il portait la ressemblance ; et voilà précisément de quelle manière nous sommes baptisés en sa mort; de même qu'il a subi une mort véritable, nous obtenons, nous aussi, une véritable rémission de nos péchés. Mais les enfants ne sont pas exclus ; car, « nous tous qui avons été baptisés en Jésus-Christ, nous avons été baptisés en sa mort ». Les hommes ne sont point baptisés en Jésus-Christ de telle sorte que les uns soient baptisés en sa mort et que les autres ne soient point baptisés en cette même mort, mais comme l'enseigne celui par la bouche de qui Jésus-Christ même parlait, tous ceux qui sont baptisés en Jésus-Christ sont baptisés eu sa mort; et par là même, tous ceux qui sont baptisés en Jésus-Christ meurent au péché. S'il s'agit de « tous ceux qui sont baptisés », il s'agit nécessairement des enfants; mais à quel péché meurent les enfants ? De grâce, confessez enfin la réalité de la génération, afin de ne pas nier la vérité de la régénération; confessez l'existence d'une chair de péché dans les enfants, afin de ne pas nier que la chair semblable à la chair du péché soit morte, même pour les enfants.

CCXXVI. Jul. Où est ici l'accusation portée contre la nature? Où est la souillure attribuée à l'origine de la substance humaine? Où est la sentence de condamnation portée contre les mouvements qui accompagnent l'acte de la génération? Il est clair comme le jour que le Maître des nations s'adresse uniquement à la volonté de l'homme, puisqu'il exhorte celui-ci à renoncer aux passions honteuses qui se cachent (1), à réformer sa conduite et à mener une vie meilleure. Mais il est temps de laisser l'Apôtre lui-même donner un résumé de nos explications; nous ne poursuivrons pas plus longtemps l'interprétation des maximes énoncées par lui dans ces divers passages ; écoutons-le dissertant sur les principes qu'il vient d'établir. On verra, à la fin de son discours, quel est celui dont la doctrine et la foi sont conformes aux siennes. Nous disons, nous, que saint Paul a parlé d'un péché de la volonté humaine, de cette volonté qui se trouve dans chacun de ceux qui pèchent; suivant toi, au contraire, il a parlé du péché

 

1. II Cor. IV, 2.

 

que tu crois, sur le témoignage de Fauste, être transmis par la voie de la génération et contracté par tous les hommes, indépendamment de leur volonté. Faisons trêve, s'il te plaît, au débat qui s'agite entre nous; de notre part, afin d'agir avec toute la modération possible, nous oublierons un instant la dignité de l'Apôtre, cette dignité qu'il me suffirait d'invoquer pour te réduire au silence; car, lors même que ses paroles sembleraient être en tout conformes aux vôtres, il n'en serait pas moins manifeste, eu égard à la sublimité incomparable de sa mission, qu'une doctrine aussi abominable n'a pu être enseignée par lui; qu'il a pu s'exprimer d'une manière obscure, mais qu'il n'a pu enseigner des maximes aussi perverses; pour le moment, accordons-lui seulement que le flambeau de la raison humaine n'était pas éteint en lui, et croyons qu'il a compris mieux que toi ses propres écrits. « Que le péché», dit-il, « ne règne donc point dans votre corps mon tel, en sorte que vous obéissiez à ses convoitises (1) ». Je pourrais déjà dire ici que cette exhortation seule est une preuve que saint Paul parlait de péchés commis par la volonté; car, s'il existait des maux naturels, ils pourraient être châtiés par la justice, on pourrait en implorer le pardon de la miséricorde suprême, mais on ne pourrait en au. tune manière recevoir l'ordre de les éviter. La folie de tout homme qui demanderait que l'on s'appliquât à éviter des choses inhérentes à la nature humaine serait un mal plus grand que tout autre mal naturel, s'il pouvait en exister de cette sorte. Mais l'Apôtre n'a formulé aucun précepte dont on puisse avec raison attaquer la légitimité. C'est donc manifestement d'un péché volontaire qu'il recommande la fuite avec des instances si pressantes.

Aug. Qui ignore que l'Apôtre ne parle pas aux enfants, mais à ceux qui sont capables de comprendre ses paroles et d'obéir, avec le secours de la grâce de Dieu, aux préceptes qu'il proclame? quoique assurément il soit au pouvoir des parents de faire accomplir à leurs enfants des actes d'obéissance, à mesure que l'usage de. la raison se développe en eux; et d'empêcher ainsi qu'ils n'aient reçu en vain la grâce de Dieu (2), au moment où ils ont été régénérés sans le savoir? Cependant, cette

 

1. Rom. VI, 12. — 2. II Cor. VI, 1.

 

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cliente, qui est toute belle à tes yeux, mais qui est tout à fait hideuse aux yeux de tous ses adversaires; cette concupiscence de la chair, dis-je, par le moyen de laquelle s'accomplit la naissance de l'homme et dont aucun homme n'est exempt, l'Apôtre ordonne qu'elle soit réprimée ; il ne permet pas qu'on la laisse exercer son empire, et il l'appelle du nom de péché, d'abord parce qu'elle tire son origine du premier péché, ensuite parce que tout homme qui cède aux mouvements par lesquels elle cherche à l'entraîner vers des choses défendues, commet le péché ; cette concupiscence n'existera plus en nous lorsque nous aurons revêtu un corps immortel ; conséquemment, puisque l'Apôtre pouvait dire : « Que le péché ne règne point dans votre corps », pourquoi a-t-il ajouté un mot et s'est-il exprimé ainsi : « Dans votre corps mortel », sinon parce qu'il a voulu faire naître en nous l'espoir que cette concupiscence, appelée par lui du nom de péché, n'existera plus quand nous ne serons plus revêtus d'un corps mortel? Apprends-nous toi-même pourquoi, au lieu de dire : « Que le péché n'existe point dans votre corps mortel », il dit : « Que le péché ne règne point » ; cette manière de s'exprimer ne vient-elle pas uniquement de ce que cette concupiscence, qui ne peut exister que dans une chair mortelle, règne sur ceux qui cèdent aux convoitises par lesquelles elle les porte au mal, et qui, vaincus ainsi par elles, sont bientôt, s'ils ne reçoivent le secours de la grâce, entraînés partout où elle les attire; avec une violence d'autant plus grande qu'ils se trouvent en présence d'une défense de la loi? quant à ceux qui, par un bienfait gratuit de Dieu, accomplissent ce qui est prescrit, c'est-à-dire qui n'obéissent pas aux mouvements et aux sollicitations pressantes de cette concupiscence, et qui ne font pas servir leurs membres d'instruments à ses convoitises, elle existe en eux, mais elle ne règne pas sur eux. La preuve qu'elle existe en eux, c'est qu'ils éprouvent une inclination violente au mal; et la preuve qu'elle ne règne pas sur eux, c'est que, la délectation de la justice étant .victorieuse, ils n'accomplissent point le mal. Comment, en effet, pourrait-on nous commander de ne point lui obéir, si elle ne nous donnait soit des ordres, soit des conseils ? Et comment pourrait-elle nous donner les uns ou les autres, si elle n'existait pas en nous?

CCXXVII. Jul. « Et n'abandonnez point vos membres au péché comme des instruments d'iniquité ; mais offrez-vous à Dieu comme devenus vivants de morts que vous étiez, et donnez-lui vos membres comme des instruments de justice. Car le péché ne vous dominera plus, parce que vous n'êtes plus sous la loi , mais sous la grâce (1) ». Vous devez, dit-il, servir Dieu avec d'autant plus de fidélité que vous devez le servir avec une générosité plus grande. Car le péché vous dominait quand le châtiment dû à vos fautes était suspendu comme une menace au-dessus de vos têtes ; mais depuis que vous avez reçu la grâce et les bienfaits de Dieu; depuis que, déchargés du poids de vos iniquités, vous avez respiré librement , un sentiment de pudeur naturelle doit vous avertir de rendre grâces à votre libérateur.

Aug. Suivant une coutume qui vous est particulière et qui est la.conséquence nécessaire de votre erreur, tu fais consister l'essence même de la grâce dans la seule rémission des péchés; d'où il suit que du reste l'homme n'est redevable qu'à lui-même et à son libre arbitre de la justice proprement dite qui existe en lui. Or, tel n'est pas le langage de l'Eglise, qui répète dans tout l'univers ces paroles qu'elle a recueillies de la bouche du bon Maître : « Ne nous faites pas entrer en tentation (2) » ; tel n'est pas le langage de celui qui dit : « Nous demandons à Dieu que vous ne commettiez le mal en aucune manière (3) » ; tel n'est pas le langage de Celui qui dit : « J'ai prié pour toi, Pierre, afin que ta foi ne vienne pas à défaillir (4) ». Ici, en effet, il s'agit d'une grâce qui nous empêche de commettre le péché, non point d'une grâce qui efface les péchés que nous avons commis. En réalité donc, la grâce vient à notre secours de ces deux manières : elle nous apporte le pardon des mauvaises actions que nous avons commises, et en même temps elle nous aide à éviter le mal et à pratiquer le bien.

CCXXVIII. Jul. Cependant ces paroles pouvaient faire naître la même difficulté à laquelle saint Paul avait déjà répondu précédemment; on lui objecterait peut-être que, une fois délivrés de la loi et des menaces de châtiments rigoureux renfermées dans la loi, les

 

1. Rom. VI, 13, 14. — 2. Matt. VI, 13. — 3. II Cor. XIII, 7. — 4. Luc, XXII, 32.

 

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hommes pouvaient donc en toute sécurité commettre le péché sous le règne de la grâce et sous l'empire de la bonté divine; c'est pourquoi il ajoute aussitôt . « Quoi donc? pécherons-nous parce que nous ne sommes plus sous la loi, mais sous la grâce ? Dieu nous en garde ! ne savez-vous pas que quand vous vous rendez esclaves de quelqu'un pour lui obéir, vous demeurez esclaves de celui à qui vous obéissez, soit du péché, soit de l'obéissance et de la justice (1) ? » Croirons-nous enfin au témoignage même de l'Apôtre, quand il déclare quelle est la nature du péché dont il a fait jusqu'ici l'objet de son discours? « Quand vous vous rendez esclaves de quelqu'un », dit-il, « pour lui béir, vous demeurez esclaves de celui à qui vous obéissez, soit du péché, soit de la justice ». Où donc se trouve-t-il désigné dans les paroles de l'Apôtre, ce péché que l'on suppose être venu avant que les enfants aient pu faire usage de leur volonté, avant qu'ils aient été capables d'obéissance, avant que leur intelligence ait reçu aucun développement, avant qu'ils aient eu conscience de leur propre vie; ce péché, dis-je; que l'on suppose être venu subitement souiller le sang même dont ces enfants ont été formés? Certes, nulle part il ne saurait être question d'un péché de ce genre, si ce n'est dans les livres des Manichéens.

Aug. Ce n'est point dans les livres des Manichéens qu'on lit ces paroles : « Nous avons été, nous aussi, enfants de colère par nature aussi bien que les autres (2) » ; vous donnez ici au texte grec une interprétation d'un genre nouveau, mais en cela vous faites preuve d'une impudence encore plus inouïe; suivant vous l'Apôtre semblerait avoir dit, non pas : « Nous avons été, par notre nature, enfants de colère » ; mais : « Nous avons été, tous sans exception, enfants de colère ». Peut-être même oserez-vous faire cette correction dans vos exemplaires; car vous ne voulez pas reconnaître avec nous que si la foi dont nous prenons la défense n'était pas d'autant plus ancienne qu'elle est plus conforme à la vérité, les mots : « par notre nature », ne se trouveraient pas dans tous les exemplaires latins. Il ne faut pas conclure de là, cependant, que l'Apôtre n'aurait pas dû nous avertir d'obéir à la justice et non pas au péché, sous

 

1. Rom VI, 15, 16. — 2. Ephés. II, 3.

 

prétexte que nous naissons tous en état de péché, nous autres hommes dont l'origine même est flétrie (1). Car, alors même que la souillure de notre génération a été effacée par le bienfait de la régénération , il nous reste encore à obéir à l'esprit de justice, et notre devoir est de nous soumettre à lui; il nous reste encore à refuser d'obéir à la concupiscence de la chair, et notre devoir est de lutter contre elle; et, en agissant ainsi, nous devons sans aucun doute nous souvenir que cette obéissance pieuse est elle-même un don de Dieu, celui précisément qu'il a promis en ces termes par la bouche de son Prophète : « Je leur donnerai un coeur docile, afin qu'ils me connaissent; je leur donnerai des oreilles attentives, afin qu'ils m'écoutent  (2)» ; ces dernières expressions signifient-elles autre chose que ceci : Afin qu'ils m'obéissent?

CCXXIX. Jul. Au reste, saint Paul montre clairement (si toutefois, dans ces jours malheureux, les hommes ont encore une foi quelconque en ses paroles), qu'il donne le nom d'esclaves du péché à ceux-là seuls qui ont incontestablement obéi au péché par des actes de leur volonté personnelle, par des actes de cette volonté qui a été changée dès qu'ils ont commencé à se faire les serviteurs de la justice. C'est donc l'obéissance principalement qui a été mise en cause par l'Apôtre; c'est à elle qu'il a attribué l'empresse. ment avec lequel les hommes se sont soumis à l'empire du vice d'abord, et ensuite à l'empire de la vertu.

Aug. Ceux qui s'appuient sur leur propre force (3), s'appuient, comme vous, sur le néant; et comme vous aussi, ils seront confondus et anéantis.

CCXXX. Jul. « Mais grâces soient rendues à Dieu », dit-il, «de ce que, après avoir été esclaves du péché, vous avez obéi du fond du cœur, vous modelant sur la doctrine à laquelle vous vous êtes adonnés; ainsi affranchis du péché, vous êtes devenus esclaves de la justice (4)».

Aug. Quelque sourd que tu sois, écoute l'Apôtre rendant grâces à Dieu, de ce que les Romains ont obéi du fond du coeur à la doctrine de ce même Dieu ; car, il ne dit pas: « Grâces soient rendues à Dieu », parce que sa doctrine vous a été prêchée; mais, « parce

 

1. Ambr. Liv. I de la Pénitence, ch. II ou II. — 2. Jér. XXIV, 7 . — 3. Ps. XLVIII, 7. — 4. Rom. VI,17,18.

 

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que vous avez obéi ». Tous en effet n'obéissent pas à l'Evangile (1) ; mais ceux-là seulement à qui il a été donné de pratiquer cette obéissance ; de même que le Seigneur dit en un autre endroit : « Pour vous, il vous a été donné de connaître le mystère du royaume des cieux; mais, pour eux, ce don ne leur a pas été accordé (2) ». Ils n'auraient donc pas obéi du fond du coeur, en d'autres termes, il n'auraient pas obéi volontairement, si leur volonté n'avait pas été préparée par le Seigneur : autrement, c'est-à-dire, si Dieu n'est pas l'auteur de cette obéissance, l'Apôtre a menti quand il lui a rendu grâces à ce sujet.

CCXXXI. Jul. Le changement, dit-il, que vous avez opéré, du fond du coeur, dans la nature de votre obéissance, vous a délivrés du péché et vous a fait entrer dans un état de sainteté.

Aug. Mais ce changement est l'oeuvre de la droite du Très-Haut. Ecoute un homme de Dieu confessant dans le livre des psaumes la gratitude de ce don et apprends quel est celui qui change la volonté de l'homme en une volonté meilleure. « Et j'ai dit : C'est maintenant que je commence, ce changement a est l'oeuvre de la droite du Très-Haut (3) ».

CCXXXII. Jul. « Je parle humainement, à a cause de la faiblesse de votre chair : comme donc vous avez fait servir vos membres à l'impureté et à des iniquités toujours croissantes, ainsi maintenant faites-les servir à la justice pour votre sanctification (4) ». O maître rempli de l'Esprit de Dieu ! ô vase d'or véritable ! ô trompette qui fait retentir, non pas des sons entrecoupés, mais des paroles parfaitement articulées ! Par la douceur avec laquelle il exhorte, il donne à son discours une autorité irrésistible !

Aug. O toi-même, séducteur rempli d'un esprit hérétique, attribuant tout à la volonté de l'homme, contrairement à ces paroles de l'Apôtre: « As-tu donc quelque chose que tu n'aies point reçu (5) ? » O disciple de Pélage, quand l'Apôtre s'exprimait ainsi, son but était de planter et d'arroser : il savait cependant aussi que a celui qui plante n'est rien, ni cet lui qui arrose; mais que tout vient de Dieu qui donne l'accroissement (6) » ; c'est pourquoi il ne donnait pas seulement des préceptes, mais il adressait encore des prières à Dieu, afin que ceux à qui il annonçait la parole

 

1. Rom. I, 16. — 2. Matt. XIII, 11. — 3. Ps. LXXV         , 11. — 4. Rom. VI, 19. — 5. I Cor. IV, 7. — 6. Ib. III, 7.

 

divine ne commissent point de mal; car il dit expressément en un autre endroit : « Nous adressons des prières à Dieu, afin que vous ne commettiez aucun mal (1) ».

CCXXXIII. Jul. Afin de ne point paraître commander aux hommes des choses difficiles et impraticables, il emprunte une expression au langage familier et il déclare que ses préceptes sont « humains », c'est-à-dire faciles, praticables; puis il fait ressortir la douceur de la loi qu'il prêche, par une comparaison. Je ne vous demande pas, dit-il, de répondre par l'intensité de vos efforts à la sublimité incomparable de votre vocation; les préceptes que je vous impose ne sont pas aussi extraordinaires que les biens promis comme récompense à la vertu, et dont la possession vous est assurée, si vous observez ces préceptes : je ne vous apporte point une loi barbare, je ne vous présente pas un joug qui soit à peine supportable; si, à raison du prix incomparable de la justice, je vous commandais quelque chose de semblable, vous me répondriez par des plaintes amères au sujet de la faiblesse de la chair; vous chercheriez une excuse dans l'impossibilité où vous seriez de supporter une fatigue accablante et continuelle. Je m'adresse donc à vous d'un ton plus modéré, et je vous demande de vous appliquer à la pratique de la vertu avec une ardeur égale à celle avec laquelle vous avez précédemment commis le péché : à la vérité, une chose honnête de sa nature se trouve nécessairement avilie, quand, dans les efforts que nous faisons pour nous la procurer, nous cédons à un désir semblable à celui qui nous inspirait, lorsque nous nous portions avec frénésie vers des choses déshonnêtes; cependant, il suffit pour l'observation de la loi qui vous est imposée, il suffit, dis-je, que vous vous appliquiez à la pratique de la justice, avec une ardeur égale à celle avec laquelle vous vous êtes appliqués à commettre l'iniquité et à jouir des plaisirs infâmes.

Aug. Ils ne pourront cependant pratiquer la justice de cette manière, à moins que, aidés du secours tout-puissant de la charité, ils ne luttent contre cette cliente qui est pour toi d'une beauté ravissante, je veux dire, contre la concupiscence de la chair : tous les hommes sont assujettis, en naissant, à cette loi des membres qui doit résister plus tard à

 

1. II Cor. XIII, 7.

 

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la loi de l'esprit ; la souillure qu'elle imprime subsiste jusqu'au moment où nous sommes régénérés ; enfin les mortels ne sauraient, par leur propre esprit, triompher de cette loi de la chair; il faut pour cela qu'ils soient conduits par l'Esprit de Dieu : « Car tous ceux qui sont conduits par l'Esprit de Dieu sont enfants de Dieu (1) ». Allez maintenant, et, sous prétexte d'exalter le libre arbitre au détriment de ce dogme chrétien enseigné par les Apôtres, abandonnez-le à son impuissance réelle; vous-mêmes enfin, mettez votre confiance dans vos propres forces, non pas pour vous élever, mais pour faire les plus déplorables chutes.

CCXXXIV. Jul. Croyons donc aux enseignements du Maître des nations et rendons-lui témoignage de la vérité de sa parole. Il a donné, pour me servir de son expression, un précepte véritablement humain, quand il a ordonné que les vices de la volonté fussent corrigés par la réformation de la volonté elle-même.

Aug. Mais cette réformation humaine ne saurait s'accomplir sans l'assistance divine. Qui donc réforme la volonté de l'homme, sinon celui à qui il est dit : « Dieu des armées, convertissez-nous (2) » ; et ailleurs : « O Dieu ! vous nous tournerez vers vous, et vous nous donnerez la vie (3) ? » Le Seigneur dirige les pas de l'homme, et la volonté de celui-ci sera conforme aux voies de Dieu (4). Mais si le Seigneur ne dirige point les pas de l'homme, la volonté de l'homme ne sera point conforme aux voies de Dieu, malgré les prescriptions de la loi à cet égard.

CCXXXV. Jul. Or, autant ce précepte est humain, autant le langage que vous attribuez à l'Apôtre aurait été non-seulement inhumain, non-seulement cruel, mais injuste ; non-seulement injuste, mais insensé : sachant que les hommes naissent en état de péché, il aurait reproché à ses contemporains un vice qui remonte au premier acte de génération humaine; il leur aurait ordonné d'éviter des fautes dont il aurait cru qu'ils étaient coupables en naissant ; il m'aurait prescrit avec menaces de me dépouiller d'une chose qui avait commencé à être inhérente à ma nature, avant que mon âme fût unie à mon corps,avant que mon corps fût entré dans ce monde!

 

1. Rom. VIII , 14. — 2. Ps. LXXIX, 8. — 3. Id. LXXXIV, 7. —  4. Id. XXXVI, 23.

 

Aug. Donc, nous ne sommes pas assujettis à la concupiscence de la chair, au moment de notre naissance; ou bien l'Ecriture ne commande pas de résister aux inclinations de cette concupiscence, quand elle dit . « Résiste à tes mauvais désirs (1) » ; et ailleurs : « Fuis les désirs de jeune homme (2) ». Pourquoi saint Paul n'a-t-il point dit : Fuis les désirs volontaires? Le mot jeune, en effet, s'emploie pour désigner une époque de la vie; mais les différents âges sont une propriété de la nature, non pas de la volonté, et cette concupiscence s'enflamme principalement à l'époque de la jeunesse; car, dans le premier âge, son ardeur est encore assoupie, de même que le flambeau de la raison n'est pas encore allumé, de même que l'énergie de la volonté elle-même n'est pas encore éveillée. Un oeil chrétien, je ne dis pas un oeil pélagien, distingue dans la nature humaine la souillure contractée par suite des lois que le Créateur a établies, d'avec les autres souillures ajoutées à celle-là par suite de la conduite coupable de l'homme ; un esprit chrétien rend ainsi hommage à son auteur pour le bien qu'il voit en lui-même; et, quant aux fautes volontaires dont il voit sa nature souillée, il implore sa guérison de la miséricorde de ce même auteur ; car, le seul précepte qui nous soit donné par rapport à la faute dont nous sommes coupables en naissant, c'est de recevoir le sacrement de la régénération.

CCXXXVI. Jul. Saint Paul aurait pu, avec plus de justice, être averti par ceux dont il prétendait réformer la conduite, de réfléchir mûrement sur la nature des obligations qu'il leur imposait, et de considérer que le premier devoir d'un sage législateur consiste à ne pas outrepasser dans son commandement les bornes de l'équité. Car une loi perd toute son autorité, dès lors qu'elle n'a plus l'équité pour appui; elle acquiert au contraire une autorité irrésistible, quand elle a été pesée avec soin dans la balance de la justice. Ainsi donc, il est incontestable que l'Apôtre, ce législateur des églises, digne de tous nos respects; ce maître qui, pour faire accepter son enseignement, n'invoquait d'autre raison que la sagesse, l'équité et l'humanité de ses préceptes; il est incontestable, dis-je, que l'Apôtre n'a pas dit un seul mot du péché naturel; mais qu'il a répété sous toutes les formes, (565) deux choses parfaitement vraies, savoir, que notre volonté seule nous a rendus esclaves du vice, et que la réformation de cette même volonté peut nous rendre à l'avenir serviteurs de la justice. Mais, dans l'explication de ce passage de l'épître aux Romains, le but unique de mes efforts était de démontrer que les Manichéens ne sauraient trouver aucun argument en leur faveur dans les paroles de l'apôtre saint Paul ; d'autre part, le contexte de ce passage nous a révélé d'une manière tout à fait lumineuse l'objet réel de la thèse qui est développée dans tout le cours de cette épître ; c'est pourquoi, je n'ai plus qu'à terminer ici mon second livre. Nous devons cependant faire observer encore qu'il ne reste plus aucune ressource aux partisans de la transmission du péché par le sang, si ce n'est la ressource de leur impudence; car, en même temps qu'ils confessaient leur impuissance à trouver dans les principes de la raison aucun appui en faveur de leur doctrine, ils prétendaient trouver dans les paroles de saint Paul que nous avons expliquées, de quoi se consoler surabondamment de cette infortune: mais il a été démontré que les préceptes donnés en cet endroit par l'Apôtre, ne contiennent rien qui soit contraire à la dignité du législateur, rien qui soit en opposition avec les saintes maximes de la justice ou avec les principes de la raison ; il est donc manifeste aussi que la doctrine de nos adversaires se trouve désormais condamnée sans retour, puisque, d'une part, elle est contredite par la raison, par une multitude de passages des saintes Ecritures, par les maximes de la piété envers Dieu, telles qu'elles sont professées dans l'Eglise catholique; et que, d'autre part, il est impossible de trouver aucun argument en sa faveur dans ce passage de l'épître aux Romains.

Aug. Il est manifeste, pour tous ceux qui ont la tête saine et qui lisent ces pages avec intelligence, que, quand tu répandais ces flots de paroles contre des paroles qui appartenaient au bienheureux Apôtre autant qu'à moi, tu ne trouvais eu réalité aucune réponse sérieuse à me faire ; par ce vain fracas de paroles sans fin comme sans liaison, tu voulais seulement paraître, aux yeux des lecteurs ignorants, avoir dit quelque chose. Que vous y consentiez pu non, « le péché est entré dans le monde par un seul homme, et par le péché la mort; et la mort a passé ainsi dans tous les hommes (1) ». Que signifie le mot « ainsi », sinon, par le péché, et non point sans le péché? La mort n'aurait point passé, si elle n'avait été conduite par le péché; car la mort suit le péché, elle ne le précède point. Voilà l'origine de tous ces maux qui pèsent sur les mortels « dès le jour où ils sortent du sein de leur mère », suivant le langage de l'Ecriture (2). Quand vous prétendez que les enfants se trouvent assujettis à ces maux, sans être coupables d'aucun péché, vous attribuez vous-mêmes à Dieu une injustice réelle; et de plus, vous offrez aux Manichéens une arme redoutable. Ceux-ci en effet, pour ne pas accuser Dieu d'injustice, attribuaient ces maux qui pèsent sur nous dès notre naissance, à une nature mauvaise et immuable, à la substance des ténèbres qui vient d'un principe autre que Dieu : la foi catholique réfute victorieusement ce langage impie aussi bien que le vôtre, en attribuant tous ces maux au péché qui est entré dans le monde par un acte de la volonté du premier homme : ce péché a été suivi de la mort, qui met notre âme en fuite et réduit notre corps à l'état de cadavre, et à laquelle vous prétendez, vous, que l'homme aurait été assujéti naturellement, lors même qu'il n'aurait commis aucun péché. Mais la logique vous oblige à dire aussi que, non-seulement ces inclinations violentes et impérieuses , dont vous feriez volontiers vos délices; mais encore les fièvres brûlantes et les autres maladies sans nombre, que nous voyons attaquer les enfants et les conduire au tombeau, auraient existé dans le paradis , lors même que personne n'aurait commis le péché; car vous prétendez que les enfants souffrent tous ces maux sans être coupables d'aucune faute et sans avoir mérité aucun châtiment. Retirez-vous donc, je vous prie, avec vos éloges également faux et pernicieux; éloignez-vous des petits enfants, cessez de leur nuire par vos louanges mensongères et de répéter qu'ils sont exempts de toute souillure ; laissez-les venir à Jésus-Christ leur Sauveur, afin qu'ils soient délivrés par lui; confessez votre erreur, conformez votre langage à celui de la vérité et permettez au second homme de guérir la nature malheureuse que le premier homme a flétrie mortellement.

 

1. Rom. V, 12. — 2. Eccli. XL, 1.

 

 

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